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Introduction

L’enseignement des sciences physiques et mathématiques au cours des deux premières années post‑bac est confronté à des difficultés croissantes depuis plusieurs années. Le problème est d’autant plus important depuis la réforme de 2010 concernant l’enseignement secondaire, et la nouvelle réforme qui arrive également à l’université à la rentrée prochaine ne va qu’augmenter les disparités d’après une étude menée par Dufour (2014). En effet, avec cette réforme, les lycéens choisissent trois spécialités en classe de première et n’en gardent que deux pour le bac. Les étudiants perdent donc le tronc commun scientifique qui était jusqu’ici présent au lycée formé par les mathématiques, la physique-chimie et la SVT. Ce document représente un retour d’expérience d’un « nouveau » modèle pédagogique instauré dans un premier temps au sein du cursus de préparation aux écoles d’ingénieurs Polytech, correspondant à la première année de l’école d’ingénieurs Polytech à l’Université Aix‑Marseille. Il fut repris ensuite dans d’autres cursus de l’Université Aix‑Marseille et également au cycle préparatoire intégré de l’école d’ingénieurs ESAIP sur le campus d’Aix-en-Provence. Les résultats de cette méthode ont été très encourageants au sein des différents cursus concernés.

Ce modèle d’apprentissage de type « classe inversée » combine une approche pédagogique par projet/problème et de l’enseignement par les pairs, comme cela est souligné par Gutierrez (2011). Cette méthode a évolué au cours des années, notamment avec l’utilisation croissante des outils numériques. Cette utilisation au service de l’enseignement est un sujet d’actualité (Lameul et Loisy, 2014).

I. Paradoxes, besoins et cadrage théorique

Quand les étudiants arrivent pour la première fois dans l’enseignement supérieur, ils sont confrontés à de nombreuses difficultés, ce qui est également le cas des enseignants (Lassarre et Giron, 2003). Certaines difficultés sont assez contradictoires (par exemple, un étudiant va moins travailler régulièrement et seulement pour les partiels alors qu’il étudie à un niveau plus élevé nécessitant plus de travail), dans le sens où les attentes et le comportement de l’apprenant et de l’enseignant ne sont pas cohérents, et on peut les qualifier de paradoxes. De plus, Felouzis (1997) montre que l’enseignement est fortement touché par les problèmes contradictoires précédemment évoqués et c’est aux enseignants et à l’établissement de réduire ces freins. Le but de cette première partie est de donner une vision générale de ces paradoxes.

L’origine de ces difficultés réside dans plusieurs raisons corrélées, comme le souligne Coulon (2017). La transition entre le lycée et le supérieur en est l’une des principales. Ce passage dépend fortement du pays en question, dans notre cas la France. Le principal problème est lié à une vision différente des connaissances et compétences pédagogiques du secondaire et du supérieur. La différence est d’autant plus importante en mathématiques ou en physique où nous allons concentrer notre étude d’après Le Cam et al. (2018) puisque l’aspect calculatoire n’est que très peu étudié au lycée.

En France, il existe plusieurs formations où les sciences physiques et mathématiques sont prépondérantes. Traditionnellement, les meilleurs étudiants du secondaire continuent leurs scolarités post‑bac au sein des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) dans le but d’intégrer deux années plus tard une école d’ingénieurs. L’admission de ces étudiants se fait sur l’étude de leur dossier scolaire, à savoir les notes obtenues sur les dernières années du lycée. Ils doivent avoir une moyenne supérieure à 14/20 lors de leur dernière année pour pouvoir rejoindre une CPGE. La plupart de ces étudiants rencontrent des difficultés en mathématiques et en physique, comme le montre une étude menée par Le Cam et al. (2018) étant donné le manque de méthode de travail et de prérequis, notamment sur l’aspect calculatoire. La situation est encore plus difficile pour le parcours de la licence à l’université où très peu de sélection est effectuée sur l’admission des nouveaux étudiants. Dans la suite, nous présentons une expérimentation d’un nouveau modèle pédagogique instauré dans un premier temps dans la classe préparatoire intégrée d’ingénieur Polytech (PEIP) puis repris quelques années plus tard dans la classe préparatoire intégrée d’ingénieur ESAIP.

1. Le paradoxe étudiant

La plupart des étudiants qui commencent une formation en maths-physique n’ont pas pleinement conscience des attentes du supérieur, d’après une étude menée par Saglam-Arslan (2004). Ils ont, habituellement, une grande ambition dans le sens où ils souhaitent devenir ingénieurs ou chercheurs, sans réellement prendre connaissance de la quantité de travail nécessaire pour y arriver. Michaut (2000) met en avant le fait que leurs méthodes de travail et leurs connaissances ne sont pas forcément en adéquation avec l’exigence requise dans le supérieur.

À 18 ans, en s’éloignant du domicile familial et de la surveillance parentale, les étudiants font face à plusieurs sollicitations extérieures et ils imaginent qu’ils peuvent poursuivre des études de haut niveau en n’y accordant que très peu de temps, selon l’étude de Boujut et al. (2009). Après quelques semaines, ils commencent à réaliser ce que nous leur demandons et, par conséquent, une grande majorité d’entre eux se rendent compte que la motivation des étudiants n’est pas compatible avec leurs attentes. C’est ce que Millet (2003) appelle le « paradoxe étudiant ».

Un enseignant, exerçant depuis plusieurs années dans le supérieur et considérant les étudiants actuels, fera le constat pessimiste suivant : le savoir des étudiants est plus vaste mais beaucoup plus superficiel qu’auparavant; les techniques de calcul, de raisonnement et de simplification mathématiques ou physiques sont quasiment inexistantes. Les méthodes de travail ne sont pas adaptées. Bien évidemment, les étudiants ne sont pas les seuls responsables de ce constat dont la principale cause réside dans le système éducatif français lui-même et l’évolution de la société. Nous devons adapter l’enseignement supérieur en transformant nos pratiques pédagogiques (Pirot et De Ketele, 2000).

2. Les réformes du système pédagogique secondaire

Les réformes pédagogiques appliquées au secondaire en 2010 ont concerné les étudiants du supérieur à partir de 2013. C’est d’autant plus frappant quand nous comparons les sujets de bac avant et après la réforme et nous remarquons que l’examen du bac correspond plus à une étude de documents qu’à des résolutions d’exercices. L’approche est plus importante que le contenu. Les compétences en calcul des étudiants ont beaucoup régressé, comme le souligne Saglam-Arslan (2004). De plus, le programme de mathématiques donne une plus large part aux statistiques et probabilités qui sont nécessaires du point de vue sociétal. Cependant, le calcul dans les autres thèmes a été réduit au détriment des études proprement scientifiques.

Cette réforme présente tout de même quelques avantages. Bien que les sujets soient traités de manière superficielle, un même sujet peut être abordé de différentes matières et selon différentes approches pédagogiques. La réforme a mis en avant une pédagogie par projet qui n’était pas forcément promue avec l’ancienne réforme. Le bienfait principal de cette réforme est que les étudiants sont prêts à passer à un modèle pédagogique actif.

Une nouvelle réforme de l’enseignement secondaire a eu lieu ces deux dernières années et est arrivée aux portes du supérieur à la rentrée 2021. Elle marque la fin du bac tel que nous le connaissons et des sections S, ES et L. À la place, les étudiants doivent choisir trois options à la fin de la classe de seconde, dont l’une des trois est arrêtée à la fin de la première dans le but de ne suivre que deux options lors de l’année de terminale. Une adaptation du programme est nécessaire pour mieux appréhender la transition entre l’enseignement secondaire et supérieur. Il est cependant encore trop tôt pour analyser les conséquences de cette réforme sur le système éducatif français.

3. Le paradoxe enseignant/système

Les enseignants du supérieur sont confrontés à un second paradoxe qui provient de la lente évolution du système éducatif. Depuis plus d’une vingtaine d’années, autant dans le secondaire que dans le supérieur, nous assistons à une augmentation du contenu des programmes éducatifs et à la multiplication des méthodes pédagogiques utilisées pour étudier un sujet précis alors que le temps alloué pour l’enseignement des sciences a diminué. C’est la raison pour laquelle nous pouvons considérer que les étudiants sont sujets à une éducation plus large mais plus superficielle qu’auparavant. Younès et al. (2012) mettent en avant le fait que ce paradoxe est d’autant plus important quand nous réalisons que le programme du supérieur n’a que très peu évolué depuis.

L’exemple le plus problématique en physique concerne l’enseignement de la mécanique. En effet, dans le but de laisser de la place à l’enseignement de l’épistémologie, de l’anglais et du français et des enseignements sous forme de projets en lien avec les travaux pratiques, le temps consacré à l’enseignement de la mécanique a été divisé par trois en moins de vingt ans. Le principal problème concernant l’enseignement de la physique en cycle préparatoire intégré vient du fait qu’il n’y a pas de continuité de programme entre la première et la deuxième année, car même si quelques changements sont notables dans le programme de première année, celui de seconde année est resté inchangé à l’université. Par conséquent, la situation est d’autant plus critique sachant que les programmes sont très ambitieux et en complète contradiction avec le savoir acquis par les étudiants. L’absence d’effort n’entraîne pas de sanctions et les lacunes ne sont jamais comblées. Les conséquences sont nombreuses (moins de travail régulier, moins de participation en cours, mauvais résultats aux examens). Il faut enseigner moins mais mieux, comme le précisent également Eneau et al. (2012).

Les étudiants réalisent l’écart qu’il y a entre les exigences et leurs connaissances et, par la suite, ils minimisent leur motivation en cours (Boujut et al., 2009). Le fait de ne connaître que partiellement le cours ne peut que les démotiver par la suite. La faute n’en incombe pas aux étudiants, c’est le système éducatif du supérieur qui en est la principale cause. C’est en réalité plus complexe que cela, car il y a plusieurs paramètres qui entrent en compte entre les incohérences de programme et le manque de prérequis des apprenants. Un fort changement doit donc être opéré, du moins partiellement, dans le but de résoudre ce paradoxe qui est le principal problème de l’échec des étudiants à l’entrée dans l’enseignement supérieur et dont une conséquence indirecte est le renforcement de l’hétérogénéité des étudiants.

Traditionnellement dans les universités françaises, l’enseignement est descendant. Les leçons sont dispensées dans des amphithéâtres où les enseignants présentent les notions à connaître sur une partie du programme et la pédagogie active n’est que peu présente.

Cette méthode pédagogique fonctionne plutôt bien avec les étudiants de troisième année qui ont une forte motivation (Hottin, 1999). En réalité, en s’intéressant de plus près aux étudiants de première année, on constate que seulement en moyenne 10 % des meilleurs étudiants ont la capacité de résoudre les problèmes demandés, d’après une étude menée par Lambert‑Le Mener (2012). En effet, la pédagogie descendante n’est pas adaptée aux étudiants de première année universitaire, car ces apprenants n’ont pas encore de bases théoriques solides et cette difficulté est moins visible avec les apprenants de troisième cycle (Jacob, 2018).

Pour plus de 90 % des étudiants, cette première année représentera un vrai défi. Dans les amphithéâtres, l’assiduité et la présence ne sont pas contrôlées et les étudiants peuvent très vite décrocher.

Les programmes sont de plus surchargés, ce qui ne permet pas aux enseignants d’approfondir les notions étudiées de manière très rapide parfois. De plus, le rapport aux savoirs est transformé par l’accès à Internet et aux nouvelles technologies alors que le rapport aux rôles l’est, quant à lui, par les réseaux sociaux.

II. Approche méthodologique de la pédagogie active mise en place

Lasry et al. (2014) nous montrent que la pédagogie active peut être menée en pratique sous plusieurs formes. Les méthodes les plus connues sont, par exemple, la pédagogie par les pairs, comme l’expliquent Mazur (2014) et l’approche par problème ou projet (Raucent et al., 2010). Le point commun de ces approches est le positionnement des étudiants au centre du processus pédagogique. Les enseignants jouent un rôle de guide ou de tuteur en suivant le modèle de Milgrom (Frenay et al., 2007) : « Moins d’enseignement donne un meilleur apprentissage. » Cependant, chaque méthode possède sa propre particularité et diverses variations. Dans la suite, nous discuterons d’une « nouvelle » méthode pédagogique active basée sur une combinaison de l’enseignement par les pairs et de l’approche par problème. (Le terme « nouvelle » fait référence à une méthode qui est certes proche de ce qu’il est possible de trouver dans certaines études, mais celle‑ci n’est pas identique, car elle a été élaborée au moyen de notre propre retour d’expérience par suite de nos enseignements au sein de ce cursus.)

En fait, il n’y a rien de nouveau dans cette méthode, mais ce mot fait référence aux enseignants avec qui nous avons partagé ce retour d’expérience de pédagogie active pour les premières années de PEIP. Après plusieurs discussions et lectures bibliographiques, nous avons convergé vers la méthode présentée ici.

1. Cadre

Cette méthode décrite ci-après a pour principal objectif de développer une profonde compréhension de la discipline à travers les raisonnements physiques et les capacités à résoudre les problèmes. Elle concerne l’apprentissage des aspects théoriques de la physique utilisés pour décrire les phénomènes physiques (approximations, modèles physiques, lois, théories, outils mathématiques...). En parallèle, environ 20 % du temps est consacré aux travaux pratiques, dans le but de développer l’intuition de phénomènes physiques ou pour synthétiser tout le savoir du semestre en des expériences plus complexes.

Nous avons appliqué cette méthode dans un premier temps sur les années scolaires 2013-2018 pour les PEIP, mais la méthode continue d’être pratiquée sans les auteurs de cet article qui sont les initiateurs du scénario pédagogique. Depuis 2015, ce modèle est adopté et pratiqué en L1 MIPCSPI Méca, puis plus récemment depuis 2018 en PES (dispositif d’aide à la réussite) dans toutes les disciplines. Depuis 2017, il est également repris en partie au sein des enseignements donnés à l’ESAIP.

Pour les PEIP, cela a correspondu à plus de 140 étudiants divisés en 5 promotions d’une trentaine et pour l’ESAIP, environ une trentaine d’étudiants par année scolaire. Pour rappel, ceux‑ci sont sélectionnés en entrée sur une étude du dossier et un concours à passer durant la dernière année du lycée pour ces deux établissements.

Les enseignements concernés en PEIP sont la mécanique (3 h par semaine sur l’année entière), l’optique géométrique (2 h par semaine sur le premier semestre) et l’électricité (2 h par semaine sur le second semestre). À l’ESAIP, cela concerne les matières analyse et physique (150 h à l’année).

2. Principes

2.1 Absence de cours

Étant donné que les cours en amphithéâtre sont inefficaces (Hottin, 1999), autant ne pas prévoir de cours magistraux. Les étudiants devraient travailler à la maison individuellement en utilisant comme support des livres et c’est ce que nous avons mis en place.

Avant chaque session (tutoriel), l’enseignant précise un plan clair de travail à réaliser. Il faut prévoir un temps de préparation de 3 heures de devoirs à la maison pour préparer une séance en présentiel de 2 heures. Le premier livre de Young et Freedman (2013) fournit une introduction simple et des exercices simples d’applications. Un second livre, écrit spécialement pour cette méthode pédagogique par Virey (2015), contient tous les éléments du programme officiel.

Les applications et les aspects fondamentaux des nouvelles idées sont introduits avec un point de vue pragmatique et historique. Une initiation à la résolution très détaillée des problèmes physiques est donnée dans la partie « exercices de cours ».

2.2 Absence de correction d’exercices et travail de groupe

L’enseignant rencontre les étudiants dans la salle de classe seulement pendant des séances de travail en équipe et ceux‑ci doivent y résoudre quelques exercices et un problème. L’enseignant ne doit fournir aucune correction, sauf pour les questions les plus difficiles.

Au commencement de cette séance, sur demande des étudiants, un rappel de cours ou résumé de cours sur les principaux points est réalisé par l’enseignant. Par la suite, les étudiants sont répartis en plusieurs équipes de 5 à 6 personnes dans un travail collaboratif avec un emploi du temps bien précis à respecter. Chacun doit participer aux discussions et avoir un rôle : scribe, gardien du temps, gestion du temps, calcul numérique... Dans ce scénario, l’enseignant est un simple tuteur qui répond aux questions et un guide dans l’apprentissage.

Les meilleures séances de travail en groupe sont celles où le tuteur n’intervient que très peu ou quasiment pas, ce qui arrive à une fréquence de deux ou trois fois sur une trentaine de séances. Travailler en groupe est un élément essentiel de cette méthode.

  • L’apprentissage individuel de la discipline est efficace grâce à la collaboration : une meilleure préparation de la compréhension, une confrontation des différents points de vue, l’émulation des étudiants au sein d’un groupe, la régulation entre les étudiants et, l’un des points les plus importants de l’enseignement par les pairs, la nécessité d’expliquer ses propres idées et de les communiquer aux autres.

  • Développement de la multicompétence : l’analyse critique, la logique et les approches de problème, la prise de décision, l’autoévaluation, la communication et la résolution de conflits sont des compétences qui sont développées avec cette approche pédagogique, comme le précise également Karsenti (1997).

2.3 Évaluations fréquentes

Seulement 5 % des étudiants ont assez de maturité pour étudier sans pression, selon Pinte (2017). Les évaluations peuvent prendre différentes formes :

  • Chaque séance de tutoriel commence par une évaluation de 10 à 15 minutes sur les devoirs réalisés à la maison. En étudiant un nouveau chapitre, on réalise un QCM dans le but de vérifier si les notions de cours sont connues et si les exercices d’application sont maîtrisés. On utilise des tests en ligne afin d’avoir une estimation rapide des résultats et de pouvoir prévoir au besoin un rappel de cours en fonction des résultats du test.

  • Il est possible d’alterner entre un QCM et un test papier quand les exercices fondamentaux doivent être étudiés plus profondément. Les étudiants sont informés d’avance dans le but de préparer cette évaluation à la maison et les sujets sont parfois même donnés à l’avance.

  • Chaque étudiant écrit un compte rendu sur la séance de tutoriel précédente où la correction de chaque exercice trouvé par le groupe est écrite proprement et bien rédigée. L’enseignant ramasse un tiers des comptes rendus au cours de chaque séance à évaluer.

  • Quand le temps le permet, nous pouvons également réaliser des évaluations orales qui sont facultatives. Les meilleurs étudiants peuvent faire des rappels de cours au début de la séance de tutoriel à la place de l’enseignant. Les étudiants les plus faibles présentent les résultats du travail de groupe à la fin de la séance et la note est la même pour le groupe entier.

  • Il y a deux examens d’une durée de 1 h 30 prévus et un examen final de 3 h sur le semestre avec des coefficients différents et la moyenne générale tient également compte du contrôle continu effectué avec la méthode des pairs.

2.4 Utilisation des outils numériques pour l’alignement pédagogique

Les outils numériques sont des outils précieux dans ce modèle de pédagogie active. En effet, il existe plusieurs outils numériques intéressants pour nos séances, notamment l’environnement numérique de travail Moodle, l’exerciseur en ligne WIMS ou encore le logiciel de tests interactifs Kahoot! Ces outils permettent de prévoir un alignement pédagogique, ce qui demande à l’enseignant d’être cohérent avec les prérequis des étudiants, les méthodes de travail, les connaissances et les objectifs d’apprentissage. La pyramide de Bloom (1956), représentée au sein de la figure 1, permet de bien penser la progression des apprentissages en établissant les diverses étapes de la taxonomie de Bloom en fonction de la mobilisation cognitive des étudiants. Cette pyramide fait apparaître les différents étages mais également les différents modules cités ci-dessous.

Figure 1

La séquence pédagogique selon le modèle de Bloom

La séquence pédagogique selon le modèle de Bloom

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Voici les cinq types de modules proposés aux étudiants. Les quatre premiers sont sur la plateforme Moodle et le dernier sur l’exerciseur WIMS :

  • Module « leçon ». Il reprend les points importants du cours (définitions, connaissances élémentaires, théorèmes et techniques de calcul). En cas d’erreur, un rappel de cours est effectué sur la notion incomprise. Ce module correspond aux deux premiers niveaux de la pyramide de Bloom.

  • Module « exercice ». On applique la leçon à une connaissance ou compétence précise du programme. Si une question ne peut être traitée par un étudiant, une sous-question est proposée avant de revenir à la question initiale. Ce module correspond aux niveaux 2 et 3 de la pyramide de Bloom.

  • Module « problème ». Il correspond de manière générale à un ancien sujet d’examen nécessitant la maîtrise de plusieurs compétences et connaissances. Il correspond au niveau 4 de la pyramide de Bloom.

  • Module « test ». Il sert à l’autoévaluation. Il suit le module « leçon » et sert à renforcer l’apprentissage des définitions de bases (niveaux 1 et 2 de la pyramide de Bloom). Les résultats obtenus en classe entière permettent à l’enseignant d’adapter les contenus à travailler la séance suivante.

L’ENT Moodle nous permet donc d’utiliser ces différentes fonctionnalités avec notamment des tests de type contrôle ou autoévaluation, mais également de réaliser les différents modules cités plus haut et schématisés à la figure 2.

Figure 2

Fonctionnalités de Moodle

Fonctionnalités de Moodle

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  • La plateforme WIMS décrite par Guerimand (2006) propose des exercices à valeurs générées automatiquement et aléatoirement pour chaque étudiant. Elle est plus riche en mathématiques et par conséquent très utilisée lors de mes cours d’analyse. Tous les niveaux de Bloom sont concernés selon la nature de l’exercice proposé.

Nous avons travaillé ces dernières années sur le niveau 6 de la pyramide de Bloom, à savoir la création d’exercices de la part des étudiants. L’idée est simple : demander aux étudiants de construire un sujet d’examen original et sa correction. Une évaluation de cette épreuve créative peut avoir lieu ou alors nous pouvons choisir un exercice au hasard et l’insérer dans l’examen final, ce qui représente une source de motivation pour les étudiants.

Nous utilisons depuis plus récemment également le logiciel de tests interactifs Kahoot! décrit par Ismail et Mohammad (2017), qui peut, selon les questionnaires, concerner plusieurs niveaux de la pyramide de Bloom.

2.5 Réalisation de travaux pratiques (TP) avec téléphones intelligents

Afin de varier les outils pédagogiques mis en place, nous avons ajouté ultérieurement des TP avec téléphones intelligents dans notre scénario pédagogique à l’ESAIP. En effet, les téléphones intelligents font aujourd’hui partie intégrante de notre vie. Ils sont souvent dépeints comme étant un frein à la vie sociale et un objet de dépendance, cependant leur capacité réelle n’est pas optimisée. En effet, à l’aide de certaines applications, il est possible de réaliser très facilement des expériences scientifiques intéressantes, comme l’indique le site Smartphonique.fr : réaliser une étude mécanique de mouvement d’un système, retrouver une bonne approximation de la masse de la Terre, étudier la concentration de certains colorants chimiques et bien d’autres.

Le défi consiste à utiliser les téléphones intelligents comme accompagnement de supports scientifiques mais aussi de comprendre comment fonctionnent ces capteurs mis en jeu dans le cadre du Projet sciences, qui fait partie de l’unité d’enseignement Fondamentaux scientifiques de l’ESAIP. Ce projet intervient chaque semestre dès l’entrée des étudiants en cycle préparatoire intégré. Son but est tout d’abord de leur apprendre à travailler en groupe sur des thèmes divers et en utilisant différents supports :

  • Au premier semestre, il consiste à exposer sous forme de compte rendu et de PowerPoint un sujet choisi dans une liste donnée sur la thématique des mathématiques.

  • Au second semestre, ce projet s’oriente sur la chimie et cette fois‑ci, le rendu est une affiche accompagnée d’une soutenance.

  • Au cours du troisième semestre, les étudiants doivent réaliser une expérience en physique, du début à la fin avec les moyens du bord, et être capables de dégager un raisonnement scientifique pour expliquer le phénomène étudié.

  • Enfin, lors du quatrième semestre, une simulation d’un stand pour la fête de la science est demandée dans une thématique de leur choix.

Nous avons réalisé des TP de physique en utilisant les capteurs présents sur un téléphone mis en évidence par des applications gratuites telle Phyphox. Cette étude a été motivée par une conférence à laquelle j’ai assisté le 27 juin 2018 à l’Université Aix‑Marseille intitulée TP de physique avec son smartphone exposée par Ulysse Delabre, de l’Université de Bordeaux. Le but était de montrer comment on peut détourner simplement les capteurs de ces téléphones intelligents pour faire des expériences dans différents domaines de la physique. Ceci permet aux étudiants de faire des expériences librement hors des salles de TP classiques et assez facilement. Nous avons donc mené cette étude depuis septembre 2018 avec divers groupes d’étudiants pour l’étude de différents phénomènes : l’effet Doppler, la mécanique newtonienne, les oscillations et encore le daltonisme.

Le retour des étudiants est très positif. En effet, ils ont pris part au projet et à cette expérimentation avec beaucoup d’entrain et de curiosité, cela a vraiment été une source de motivation pour eux. Même si les étudiants étaient au début du semestre un peu réticents à faire usage de téléphones intelligents en TP, il s’avère qu’ils ont apprécié leur utilisation détournée, comme le révèle l’étude menée par Bosco (2021).

Ces TP avec téléphones intelligents sont insérés dans notre scénario pédagogique lors de séances de TP, mais dans le scénario, il n’y a pas de séances de TP. Nous utilisions cet outil lors des applications directes du cours dans le but de montrer des phénomènes physiques.

2.6 Convergence vers le modèle développé

Les différents éléments cités précédemment nous permettent de présenter ci‑dessous la méthode développée. Afin de préparer au mieux notre séquence, nous nous sommes intéressés tout d’abord à notre scénario d’apprentissage. Nous devons pour cela avoir un point de départ où il faut noter les prérequis des étudiants et prévoir quels sont les objectifs d’apprentissage pour la dernière séance. Entre la première séance et la dernière, il est important de s’interroger sur les méthodes pédagogiques à utiliser, les outils accessibles, la progressivité à adopter et le type d’évaluations à prévoir, comme cela est expliqué en détail dans le travail mené par Bosco et Virey (2022).

Ce scénario est schématisé à la figure 3.

Figure 3

Scénario d’apprentissage en classe inversée

Scénario d’apprentissage en classe inversée

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La méthodologie que nous avons mise en place prend en compte les éléments explicités auparavant et synthétisés ci‑dessous :

  • Externaliser l’étude des notions simples en dehors des séances en classe

  • Ne pas réaliser des séances de cours classiques

  • Privilégier les travaux de groupe

  • Prévoir des évaluations fréquentes

  • Utiliser des outils numériques pour varier les pratiques

  • Prévoir un questionnaire en fin de séquence pour évaluer le dispositif mis en place

  • L’organisation de cette séquence est représentée à la figure 4.

Une fois ce dispositif déployé et les séquences réalisées, nous nous sommes intéressés aux résultats obtenus à l’issue d’un questionnaire distribué en fin de séquence pédagogique que nous vous présentons dans la partie suivante.

Figure 4

Comment organiser une séquence d’apprentissage

Comment organiser une séquence d’apprentissage

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III. Principaux résultats obtenus

Afin d’analyser les principaux résultats et d’éviter les biais de cohorte, les différents prérequis ont été évalués et nous avons également réalisé une enquête de satisfaction auprès des étudiants sur plusieurs années scolaires, dont vous trouverez ci-dessous les principaux résultats :

1. Augmentation du taux d’étudiants ayant un solide savoir

Malgré le niveau plus faible en calcul et en raisonnement scientifique provenant de la réforme du lycée, et avec des examens plus difficiles, nous arrivons à entraîner plus d’étudiants vers le haut alors qu’avec des enseignements traditionnels, nous nous satisfaisons d’un taux de réussite de 7,5 % en moyenne. Avec la méthode de pédagogie active décrite plus haut, nous atteignons un taux de réussite d’une moyenne de 45 %. Le ressentiment général est confirmé par le score final obtenu à l’examen qui peut augmenter de 7 à 10 points sur 20 en moyenne. La grande majorité des étudiants atteint une moyenne allant de 12 à 16 sur 20.

2. Augmentation de la difficulté des examens et du programme

À la fin des semestres, nous sommes en mesure de proposer des devoirs plus difficiles. À la place d’exercices classiques, nous donnons des sujets de synthèse semblables à ceux d’il y a plus de 15 ans et nous obtenons de meilleurs résultats. De plus, avec le même temps consacré, nous avons la capacité d’élargir le programme étudié, qui représente une étape amenant à la réduction du paradoxe enseignant/système éducatif mentionné précédemment.

3. Évaluation positive et travail de groupe

D’autres indicateurs nous montrent la pertinence d’une stratégie de pédagogie active. Tout d’abord, l’évaluation de la méthode pédagogique de la part de l’étudiant est positive : d’après plusieurs sondages réalisés en fin de semestre sur trois années consécutives, 58 % des étudiants trouvent cette méthode efficace à la fin du premier semestre et ce nombre croît jusqu’à 72 % à la fin du second. Lors de la mise en route du travail en groupe et de l’absence de correction, les étudiants sont perplexes mais découvrent les vertus de cette pédagogie à travers la pratique. Ce sentiment est confirmé par les tuteurs qui voient l’émulation des étudiants augmenter avec le temps. Nous avons vu, pour les meilleures équipes, que les étudiants souhaitent travailler ensemble dans d’autres disciplines également. Les meilleurs étudiants disent avec fierté : « Pour la première fois, nous avons travaillé de manière plus dure en physique qu’en mathématiques. » D’ailleurs, l’année suivante, les étudiants demandent aux enseignants de poursuivre cette méthode.

Vous trouverez aux figures 5 et 6 quelques résultats que nous avons obtenus à l’issue de nos retours d’enquête réalisés à l’ESAIP entre les années 2015 et 2018. Ils permettent de voir l’évolution du taux de réussite et du taux de satisfaction des étudiants avant et après l’insertion du dispositif de classe inversée pour la mécanique.

Figure 5

Évolution de la moyenne de la classe pour la mécanique entre les années 2015 et 2018

Évolution de la moyenne de la classe pour la mécanique entre les années 2015 et 2018

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Figure 6

Taux de satisfaction étudiant

Taux de satisfaction étudiant

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4. Difficultés

Les étudiants ont besoin d’au moins un mois afin de comprendre qu’ils doivent s’investir davantage dans le travail régulier avant leur entrée dans le supérieur. Par exemple, un étudiant peut commencer l’année avec un 4/20 et finir le second semestre avec un 18,5/20.

  • La dynamique du travail en groupe fonctionne bien si au moins 4 étudiants sur 6 jouent le jeu. D’après nos analyses, pour donner suite à cette expérimentation, en moyenne 1 à 2 groupes par classe ont une dynamique assez faible. Nous pouvons également rencontrer en moyenne 15 % d’étudiants réfractaires à cette méthode, car ils sont en difficulté ou n’aiment pas la physique. Cette dernière catégorie d’étudiants est la plus difficile à gérer. De plus, lorsque l’effectif de la classe est supérieur à 28, comme cela a pu être le cas au sein de ma promotion de première année l’an dernier, il convient d’augmenter le nombre de groupes en ne dépassant pas le nombre de 7 étudiants pour chacun. Dans ces cas, il est parfois difficile pour le tuteur de gérer tous les groupes en même temps.

  • La pression doit être permanente dans le but de maintenir un niveau de travail important. C’est ce que nous avons réalisé lors de notre retour d’expérience, mais ce que nous retrouvons également dans l’étude menée par Gauthier et al. (2020). Il est important de souligner que cette notion de pression peut varier selon les études, comme l’énonce également Mache (2021). Si l’enseignant relâche la pression ou si les étudiants obtiennent des notes excellentes aux examens intermédiaires, ils arrêtent de travailler. La maturité met du temps à s’installer.

  • Les enseignants tuteurs doivent être convaincus de la pertinence de la méthode et engagés pendant les séances de tutoriel, sinon la motivation des étudiants décroît et les difficultés augmentent. Lorsque nous partageons des matières avec d’autres collègues enseignants, ce qui fut le cas lors de cette expérimentation, il est parfois difficile de les motiver à se lancer dans l’utilisation de cette méthode pédagogique, car certains y sont réfractaires et n’en retiennent que la partie « cours en vidéo ».

  • L’utilisation des outils numériques peut engendrer parfois quelques disparités chez les étudiants en fonction de leur réseau Wi‑Fi ou de leur équipement. Il faut donc être en mesure de leur trouver des solutions de remplacement.

IV. Discussion

La mise en place de la classe inversée n’est jamais simple pour un enseignant et nécessite un temps de préparation important dans la réalisation des supports pédagogiques, mais aussi et surtout la mise en oeuvre d’un scénario pédagogique adapté afin que chaque outil numérique utilisé ou particularité prenne pleinement sa place avec du sens, comme le souligne Faillet (2014). Cette recherche de pédagogie active n’est pas simple, ce qui peut mener à plusieurs adaptations en classe en fonction de l’avancée des étudiants.

Cette mise en place nécessite également de la part de l’enseignant un changement de posture : il n’est plus le « savant » qui descend linéairement l’information mais au contraire un guide ou un tuteur pour les apprenants. Cailliez (2017) montre que ce changement de posture pour l’enseignant n’est pas facile et peut le placer dans une situation qu’il ne connaissait pas jusque‑là, mais c’est également l’occasion pour lui de se rapprocher des étudiants au cours de cet apprentissage, du fait notamment de son changement de rôle.

Comme de nombreux articles le précisent et notamment l’étude menée par Lebrun et Lecoq (2015), l’enseignement par classe inversée permet à l’enseignant et à l’étudiant d’enseigner et d’apprendre dans le bon sens en externalisant l’apprentissage des notions simples en dehors des salles de classe. Il est alors possible de mettre l’accent et de se concentrer en classe sur l’approfondissement des notions plus complexes afin de permettre, en fin de séquence pédagogique, un développement accru de la connaissance et des compétences de l’apprenant.

Notre étude est en accord avec les études précédemment citées dans cette partie et les étudiants préfèrent ce style d’apprentissage actif à l’enseignement traditionnel. Ce fut le cas au sein de ce dispositif qui a été développé à Polytech Marseille, mais également à l’ESAIP Campus Méditerranée, et c’est également le cas la plupart du temps dans plus de 80 % des cas, comme le soulignent différentes études menées par Jacob (2018) et Thobois-Jacob et al. (2017).

Enfin, il est important également de laisser une place non négligeable aux outils numériques, car outre les aspects de ludification et de motivation, ils permettent de réaliser des tests intermédiaires qui ont pour but d’autoévaluer les étudiants à la maison ou tout simplement de les évaluer en début de séance afin de voir si les connaissances et/ou compétences sont acquises ou non. L’enseignant a besoin de ces indicateurs pour jouer son rôle de tuteur au mieux, comme le précise une étude menée par Thobois-Jacob et al. (2018).

Comme pour les études précédentes, l’apport de notre modèle de classe inversée nous a permis non seulement d’initier les étudiants au travail de groupe et à l’évaluation par l’approche des pairs, mais également d’avoir de meilleurs taux de réussite aux examens tout en augmentant la difficulté de ces derniers grâce à un approfondissement plus important pendant les séances en présentiel.

Conclusion et retour enseignant

Cette méthode pédagogique nous a donc permis de réduire considérablement le paradoxe étudiant.

En réalité, les étudiants ont un contrat plutôt clair : s’ils sont passifs, l’échec est garanti. Ils sont poussés à être actifs et à prendre le contrôle de leur propre savoir. De plus, ils apprennent à travailler en collaboration dans les groupes de travail, ce qui leur permet de développer des compétences supplémentaires. Il semble clair que les étudiants sont les premiers bénéficiaires de cette méthode pédagogique. Néanmoins, dans cette conclusion, il est important d’insister sur le fait que les seconds bénéficiaires de cette méthode sont les enseignants, ce qui est également mis en avant avec l’article de Boujut et Bruchon‑Schweitzer (2007).

Il est difficile pour les enseignants de devenir tuteurs. Dans les amphithéâtres, ils sont fiers d’exposer leurs savoirs acquis après plusieurs années d’efforts, sans avoir pleinement conscience du fait qu’ils étalent leur culture de manière égocentrique.

Quand nous voyons des étudiants en train de discuter entre eux à propos des sciences, d’échanger des idées, de développer un raisonnement critique et, pour certains, de fournir des explications aux autres, c’est un réel plaisir. Le cadre de la méthode oblige les étudiants à le faire et cela apparaît dès les cinq premières minutes de travail de groupe. Tous mes collègues, devenus tuteurs, sont contents d’aller en classe et cela nous semble maintenant difficile d’enseigner autrement.

De plus, par suite des différents échanges que nous avons eus avec les enseignants ces dernières années et notamment depuis ces récents mois liés à l’enseignement à distance, les outils numériques prennent une part de plus en plus importante dans la pédagogie. Par ailleurs, les outils numériques que nous utilisons au sein de ce modèle pédagogique seront plus détaillés dans un autre article.