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L’action culturelle universitaire[1], dans le cas de la France, s’est structurée de longue date, dans le sillage du renouveau de la politique culturelle des années 1980 et des nombreux protocoles nationaux interministériels lancés à cette époque. Elle entretient une relation riche, mais ambivalente avec l’environnement culturel externe et les modèles dominants de politique culturelle, tels qu’ils ont été revivifiés en 1981 par le ministère de la Culture et diffusés auprès des collectivités territoriales, avec un déséquilibre souvent contesté entre politique en faveur de la création et politique du développement culturel[2].

Cette ambivalence ne signifie pas que ces modèles dominants n’ont aucune influence sur les stratégies mises en place par les universités. Notre hypothèse est que les campus ont développé des approches en partie intégrées et en partie spécifiques, qui se sont progressivement situées en marge des politiques culturelles en raison de logiques institutionnelles particulières. Ils peuvent de ce fait jouer un rôle dans les débats qui agitent actuellement ces politiques (participation, droits culturels, diversité culturelle, notamment) du fait de méthodologies d’action et d’objectifs ajustés à leurs cibles de publics. En particulier, pour pouvoir agir, ils doivent remettre en question la différenciation entre publics et acteurs de la culture qui est un des fondements des politiques culturelles depuis leur « invention » (Urfalino, 1996) par André Malraux, ainsi que la coupure établie, dès 1959, entre la culture et les champs éducatifs que sont l’éducation scolaire, l’éducation populaire et l’enseignement supérieur. Les méthodologies de projets mises en oeuvre avec les étudiants (où ceux-ci sont définis à la fois comme cible de l’offre culturelle et comme acteurs de la vie culturelle des campus) et avec les personnels des universités ne sont pas les seuls facteurs explicatifs. Il faut y ajouter deux faits : d’abord, étudiants et personnels forment une population dotée d’un réel potentiel culturel et créatif ; ensuite, l’évolution historique des politiques d’enseignement supérieur et de la gouvernance des universités forme un terrain favorable à la concrétisation d’une notion souvent assez théorique, voire fantasmée : la démocratie culturelle. 

Les universités seraient-elles de ce fait à l’avant-poste des nouveaux enjeux des politiques culturelles et de leur mise en oeuvre ? Trois caractéristiques permettent de poser l’hypothèse d’un modèle spécifique : une faible institutionnalisation liée à l’autonomie des établissements, combinée à un fort militantisme ; une population-cible d’étudiants organisée politiquement et structurée sur le plan associatif ; une tradition d’équilibre entre offre et participation, démocratisation et démocratie culturelles. Toutefois, certains signes permettent d’avancer l’idée que l’engagement étudiant délaisserait progressivement la culture pour incliner vers d’autres types d’engagement (solidarité, humanitaire, développement durable) ; et que l’investissement dans la culture perdrait de sa dimension politique pour les jeunes générations. D’autres évolutions récentes constatées dans les politiques de l’enseignement supérieur modifient la place et le rôle des élus et des services en charge de la culture.

En m’appuyant sur l’évolution des textes fondateurs des politiques culturelles universitaires, sur une enquête récente menée en ligne en 2021-2022 par le réseau professionnel national Art+Université+Culture (A+U+C)[3] ainsi que sur des entretiens menés auprès d’acteurs historiques du développement des politiques culturelles à l’université et d’anciens élus étudiants, j’aborderai quatre questions. Tout d’abord, à quelles conditions peut-on parler de politiques culturelles universitaires ? Ensuite, au-delà de la grande diversité des situations locales, quels sont les principes, communs et spécifiques, de ces politiques au sein de politiques culturelles plus générales ? Quel rôle ont joué et jouent aujourd’hui les organisations étudiantes ? Enfin, quel pourrait être l’apport des expériences menées au sein des campus aux réflexions actuelles sur les mutations des politiques culturelles ?

Des politiques culturelles à l’université ?

La notion de politique culturelle

La notion de politique culturelle s’est banalisée, et de ce fait elle est souvent mal définie ou mal étayée. Elle serait, selon V. Dubois (1999, p. 7), d’une part le « reflet de problèmes objectifs dont les pouvoirs publics se saisissent », et serait liée, d’autre part, à un « travail de classement et de mise en forme » que produit et qui produit en retour l’action publique autour de certains « objets sociaux », dont certains sont alors classés – ou non – comme culturels, et autour de certaines « pratiques d’interventions ». Ces pratiques consistent à donner corps et sens à un « ensemble hétéroclite d’actes, de discours, de dépenses, de pratiques administratives ». Toujours selon Dubois, la politique culturelle consiste à intégrer et à formaliser un agencement spécifique de différentes formes de soutien et d’organisation publique de la vie culturelle (1999, p. 8). Selon ses analyses, la culture ne serait pas encore un secteur clairement délimité de l’action publique : pas de hiérarchisation des priorités, peu de vérification des impacts et résultats, grande hétérogénéité des domaines. Il constate pourtant une perception et une acceptation générale de l’idée de politique culturelle, en tant qu’organisation du lien entre les pouvoirs publics et la culture et au-delà de désaccords profonds sur sa définition et ses objectifs (1999, p. 8).

La popularisation de cette notion

Cette acceptation est un des héritages de l’action du ministère de la Culture, en particulier sous l’influence des grands accords interministériels nationaux instaurés par Jack Lang au cours des années 1980, puis développés et reconduits dans de nombreux domaines de l’action publique, par exemple : agriculture (1984), justice (1986), famille et affaires sociales (1989), jeunesse et sports (1989), défense (1994), santé (1999). L’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur sont parmi les premiers domaines ministériels à en faire l’objet, avec le protocole d’accord signé le 25 avril 1983 entre les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale (alors en charge de l’enseignement supérieur). Avec les conventions de développement culturel, héritées des chartes culturelles créées par Jacques Duhamel au début des années 1970 et développées à partir des années 1981, le ministère de la Culture se dote d’instruments pour prolonger la dynamique interministérielle du Fonds d’intervention culturelle (1971-1986) au niveau de l’État et celle des chartes au niveau des collectivités territoriales. Comme plusieurs auteurs l’ont déjà fait remarquer (Poirrier et Rizzardo, 2009 ; Poirrier et Rioux, 2000 ; Dubois, 1998), ces accords permettent aussi de diffuser une conception de la politique culturelle ajustée, voire subordonnée, à celle du ministère de la Culture, d’assurer des expertises convergentes et de rassembler des fonds publics de diverses natures, afin d’aboutir à ce qu’il est convenu d’appeler, en France, les « financements croisés », c’est-à-dire un système complexe, mais efficace, de co-financement des acteurs culturels reconnus par les pouvoirs publics.

Les paradigmes historiques des politiques culturelles

Si le bilan de la politique de Jack Lang en termes de popularisation de la culture a fait l’objet de nombreuses critiques, celui-ci a réussi à populariser la notion de politique culturelle publique, et suscité une acceptation qui perdure encore aujourd’hui. L’évolution historique des paradigmes qui structurent et sous-tendent l’action publique en témoigne. Par « paradigme », je désigne ici ce qui donne une cohérence à une action publique au-delà de ses composants hétérogènes, et ce qui, dans le cas des politiques culturelles, définit un consensus social autour de la culture à une époque donnée. Les paradigmes historiques sont suffisamment nombreux et développés pour permettre de compléter les thèses précitées de Dubois (1999) et affirmer que la culture fait bien l’objet d’une politique culturelle structurée. Citons-les rapidement. L’action culturelle, passée des années 1930 aux années 1950 d’une formule militante, théorisée par la sociologie des loisirs, à une formule banalisée (l’action des Maisons de la culture). Le développement culturel des années 1970, qui met la culture au service du développement général de l’individu et de la société. L’éducation populaire et ses différentes reformulations historiques, qui ambitionne de changer les rapports de pouvoir entre les masses et les élites par un changement de modalités de transmission et de définition de la culture. La « diffusion sociale de la culture » (Moulinier, 2012, p. 13), qui caractérise les années 1980-1990, et s’appuie sur la médiatisation et l’expansion de l’offre culturelle. La médiation culturelle, apparue au cours des années 1990, qui vise une mise en relation entre les sphères de la culture et du social. Ces paradigmes historiques sont encore mobilisés aujourd’hui, mais sont concurrencés par des paradigmes récents ou émergents : la diversité culturelle, dont l’objectif est la constatation et la préservation de l’originalité et de la pluralité des expressions culturelles ; la participation, qui repose sur l’association des individus et groupes sociaux à la vie artistique et culturelle ; les droits culturels, qui présentent le droit à la culture comme un droit humain, et préconisent de s’appuyer sur les libertés et capacités des individus.

Démocratisation vs démocratie culturelles

Les deux paradigmes précités qui apportent la plus grande rupture avec les modèles traditionnels de politique culturelle sont la diversité culturelle et les droits culturels : ils reposent sur d’autres bases que les paradigmes précédents, qui ne remettaient pas en question la définition spécialisée et savante de la culture. Présenter les modèles précédents comme diffusionnistes et ces modèles émergents comme praxéologiques, c’est-à-dire fondés sur la prise en considération des pratiques effectives, serait cependant une simplification abusive. Il en serait de même pour l’opposition, qui est encore aujourd’hui structurante dans la pensée des acteurs et dans la littérature (Zask, 2016 ; Renson et Romainville, 2014 ; Lafortune, 2013 ; Schnapper, 1994), entre démocratisation et démocratie culturelles. Par démocratisation culturelle, on fait généralement référence à un modèle présenté comme vertical et descendant, où prédomine la question de l’« accès à » ; par démocratie culturelle, on désigne l’inverse, c’est-à-dire un modèle présenté comme horizontal, fondé sur le soutien à l’ensemble des pratiques et sur la dé-hiérarchisation des cultures. Le premier modèle est associé à l’action des institutions culturelles, le second aux initiatives locales et aux milieux associatifs et militants. Cependant, si les applications concrètes de la démocratisation sont bien identifiées et référencées, celles de la démocratie sont encore de l’ordre d’un idéal, pour deux raisons. D’abord, des choix de politique culturelle qui ont privilégié le modèle de la démocratisation, sans reconnaître les cultures de communautés ni le rôle des milieux associatifs : peu de modèle concrets de démocratie ont pu émerger dans ce contexte. Ensuite, un certain flou sur la notion de démocratie : s’agit-il de reconnaître des acteurs jusque-là marginalisés, d’élargir les bénéficiaires des soutiens publics ou de renverser la perspective et de rechercher une nouvelle donne politique ? Les débats houleux qui ont eu lieu en France autour des droits culturels (Nectart, 2016 ; L’Observatoire, 2017) ont montré l’étendue des options possibles, mais aussi des incompréhensions sur la pertinence ou non d’une coexistence des deux modèles et sur les modalités et conséquences concrètes d’un choix prioritaire en faveur des droits culturels.

Trois systèmes de « fins » de l’action culturelle

Pour terminer cette revue des notions qui structurent la pensée sur les politiques culturelles et peuvent éclairer l’analyse de l’action culturelle universitaire, il me semble nécessaire de présenter deux propositions analytiques de Jean-Claude Passeron (1991). Après avoir mis en perspective critique une des croyances principales de l’action culturelle : « la conversion des masses à la culture légitime ne serait plus qu’une question de didactique » (1991, p. 306), Passeron renvoie dos à dos l’idéologie du créateur[4], celle du médiateur[5] et celle du militant[6], permettant ainsi de sortir du biais de valorisation, explicite ou implicite, de la démocratie contre la démocratisation. Il propose également de considérer qu’il y aurait trois systèmes de fins (i.e. finalités) possibles pour l’action culturelle (1991, p. 293-297) : la conversion des individus à l’admiration des oeuvres consacrées ; le développement de l’expression autonome des cultures populaires, avec deux voies différentes, partagées entre réhabilitation des cultures non légitimes et contre-légitimité culturelle ; la redéfinition révolutionnaire de l’art et de la culture. Ces systèmes s’appuient sur trois stratégies différentes : prosélytisme, réhabilitation ou subversion par le renouvellement formel de la création (1991, p. 293-297). Contrairement aux paradigmes historiques, ces systèmes de fins, tout en étant situés dans des époques données, ne sont pas spécifiques à certains types de politiques culturelles (monarchique, démocratique, libérale, autoritaire, selon la typologie de Pascal Ory, 1996, p. 7-11), ou à certaines périodes historiques, et reviennent, sous des appellations différentes, de manière cyclique dans les débats publics sur les manières de résoudre les difficultés du lien entre arts, culture et publics. Ainsi, les créations partagées ou communautaires, l’« esthétique relationnelle » (Bourriaud, 1998) relèvent de la redéfinition révolutionnaire de l’art ; la médiation, l’éducation artistique et culturelle (EAC) relèvent du prosélytisme diffusionniste ; quant aux droits culturels, ils s’apparentent à une remise en question des hiérarchies et des légitimités. Toutefois, dans l’esprit des analyses de Passeron, qui se tient à la même distance analytique critique par rapport à tous ces modèles, il convient de ne pas essentialiser ces catégories en les corrélant trop étroitement à certains objets concrets : par exemple, si certaines formes d’éducation artistique relèvent du prosélytisme, d’autres sont conçues comme un développement de l’individu par la pratique artistique et culturelle. De même, certaines créations partagées ne font que symboliser l’idée de démocratie culturelle, sans la mettre en oeuvre, c’est-à-dire sans réellement viser l’autonomie et la reconnaissance des cultures des individus (Bordeaux, Liot, 2012, p. 7-12).

Les principes, communs et spécifiques, de ces politiques au sein de politiques culturelles plus générales

La référence que je viens de faire à Passeron appelle une autre référence, celle de l’ouvrage Les héritiers, co-écrit avec Pierre Bourdieu (Bourdieu et Passeron, 1964), qui décrit un des deux fondements de la pensée sur la culture à l’université : l’université comme lieu de renforcement du capital culturel des « héritiers » et, par conséquent, comme renforcement des inégalités sociales. Il va de pair avec la représentation de l’université comme institution productrice de savoirs formant, pour la société, le soubassement de la culture de référence, c’est-à-dire une culture savante et bourgeoise.

Le concept de capital culturel est ancré dans une société où l’enseignement supérieur était réservé à une population favorisée, mais est loin d’être dépassé, comme le montrent les statistiques de réussite à l’université : selon les résultats de la session 2020, 29 % des étudiants obtiennent leur licence (générale et professionnelle) en 3 ans, un peu plus de 42 % en trois ou quatre ans, avec un taux d’échec massif pour les étudiants issus des filières professionnelles et technologiques[7]. Certes, l’enseignement supérieur accueille une jeunesse plus favorisée que la population de référence, mais celle-ci est présente surtout dans les classes préparatoires aux grandes écoles, les écoles supérieures de commerce et d’ingénierie ainsi que les filières de santé, et peu présente dans d’autres cursus universitaires, selon les données 2020 de l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) (2022, p. 7)[8]. De plus, 40 % des étudiants sont salariés, hors jobs d’été, toujours selon l’OVE (2022, p. 20), dont 51 % considèrent que cela leur est indispensable pour vivre. Lorsque cette activité rémunérée est liée aux études (8 % des répondants), donc cohérente avec leur projet de formation, c’est principalement au sein des filières de santé qu’elle s’exerce. Enfin, concernant les activités ou équipements culturels, 15 % des étudiants déclarent en profiter, mais ce sont les étudiants des écoles de la culture et ceux des grands établissements qui le déclarent le plus souvent (respectivement 33 % et 40 % d’entre eux) (OVE, 2022, p. 14).

L’université se présente donc comme un lieu de déploiement des inégalités sociales, économiques et culturelles, malgré la massification de sa population étudiante[9] et les efforts structurels et financiers consentis, notamment depuis les années 2000[10], pour augmenter les taux de réussite aux diplômes[11] se heurtent à des obstacles récurrents, dont des obstacles socioculturels. Comme le note Jean-Marc Lauret, « le fossé s’est creusé entre la culture universitaire [des « héritiers »] et la culture des étudiants » (Lauret, 1997, p. 27). Il qualifie d’« étrangeté » (p. 27) la distance par rapport à la culture savante qui s’observe à partir des années 1990, non seulement dans la population étudiante générale, mais aussi parmi ceux qu’il qualifie de « nouveaux héritiers » (p. 27) du fait de leurs origines familiales et de leur statut socioéconomique aisé. Cette observation rejoint celles que feront plus tard les sociologues qui s’intéresseront aux pratiques culturelles des adolescents et des jeunes adultes, démontrant l’importance d’une culture de pairs, alimentée en grande partie par les médias et les industries culturelles, qui se diffuse et s’impose dans la jeunesse, sans que les transmissions familiales soient pour autant supprimées (Octobre et al., 2011).

Les fondements de l’action culturelle universitaire

Les fondements historiques de l’action culturelle universitaire ne sont pas entièrement définis par ces constats, qui étaient moins alarmants au début des années 1980 qu’aujourd’hui où la précarité étudiante, aggravée par l’impact de la crise Covid sur l’emploi étudiant, est devenue un sujet de premier plan au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Néanmoins, ces constats, comme cela sera précisé plus bas à propos du rapport Domenach de 1982, sont déjà présents et la culture est citée comme un facteur de socialisation et de réussite. Les fondements de l’action culturelle universitaire sont aussi à mettre au compte d’une dynamique culturelle plus générale impulsée au début des années 1980 dans divers champs sociaux. Ils sont enfin en lien avec des objectifs plus spécifiques d’éducation artistique et culturelle. Mais ce sont surtout les premiers objectifs, comme nous allons le voir, qui contribuent à la spécificité de l’action culturelle universitaire.

Depuis la loi Faure de 1968, qui fait disparaître les anciennes facultés et définit les fondements des universités modernes, celles-ci sont définies comme des « établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel ». Cependant, le qualificatif « culturel » n’y est pas véritablement précisé, ce qui conduit à dire que, dans ce texte, l’allusion à la culture est assez vague et désigne le rôle culturel global de l’université en tant qu’institution de production et de transmission de savoirs de haut niveau. Cette loi définit trois principes fondamentaux, dont le second est déterminant pour le sujet de cet article : autonomie, participation et pluridisciplinarité.

La loi Savary (1984)[12] précise que le service public de l’enseignement supérieur a, entre autres, pour but « l’élévation du niveau scientifique culturel et professionnel de la nation » et évoque « l’accès aux formes les plus élevées de la culture et la recherche ». Dans l’article 4, cette loi cite « la diffusion de la culture et l’information scientifique et technique » comme une des quatre missions de l’enseignement supérieur. L’article 7 évoque le « soutien à la création individuelle et collective dans le domaine des arts, des lettres, des sciences et des techniques », établissant un parallèle, au moins partiel, avec les missions des institutions culturelles (Lauret, 1997, p. 5). L’article 31 instaure un conseil des études et de la vie universitaire, composé à parts égales de représentants des personnels et des étudiants, dont une des missions consiste à « favoriser les activités culturelles, sportives, sociales ou associatives offertes aux étudiants ». Enfin l’article 55 encourage « la liaison avec l’environnement économique, social et culturel ». Cette loi pose donc les bases d’une politique de l’offre et du partenariat entre les établissements et les structures culturelles de leurs territoires.

La loi Savary avait été précédée par un rapport alarmant et alarmiste sur l’état de la culture à l’université : ce rapport, commandé en 1983 à Claude Domenach par Dominique Wallon, alors directeur du Développement culturel au ministère de la Culture, est remis officiellement en 1984 (Domenach, 1984). Domenach avait précédemment remis un autre rapport en 1982 à Alain Savary (Domenach, 1982), ministre de l’Éducation, sur les conditions de vie et le contexte de travail des étudiants, incluant la culture comme facteur d’intégration, et par conséquent de réussite. Il y préconisait de se rapprocher de « la politique décentralisée de développement culturel menée par le ministère de la Culture » et d’inscrire dans les conventions locales de développement culturel les universités, les CROUS et les associations étudiantes « sur la base de programmes élaborés par eux-mêmes [les établissements] et surtout par les étudiants » (Domenach, 1982, p. 52). Dans son rapport de 1984, Domenach dressait un sombre constat de la situation dans les campus, résumé par l’expression « désert culturel ». Comme le rappelle Claude Patriat, ancien élu universitaire et fondateur du réseau A+U+C, dans son ouvrage sur la politique culturelle menée à Dijon (Patriat, 1993, p. 55), ce rapport « stigmatisait l’incapacité des institutions universitaires à mobiliser leur public comme leur refus d’implication dans toute forme de culture active », tout en soulignant des exemples positifs à suivre, notamment dans les universités de Bourgogne, Rennes 2 et Toulouse Le Mirail. Il fut suivi, rappelle Patriat, d’un colloque à Dijon en 1994, réunissant responsables ministériels, représentants des universités, structures culturelles et artistes, puis d’un colloque à Villeneuve d’Ascq en 1990 d’où sont issus le Manifeste de Villeneuve d’Ascq en faveur de la culture à l’université et la fondation du réseau Art+Université+Culture, soutenu dès sa création par les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture. Tels ont été les points de départ d’une politique nationale, au-delà des exemples locaux mis en avant par Domenach.

Action culturelle universités et EAC : avancées, oublis et impensés

Dans l’intervalle, entre 1982 et 1984, l’action culturelle universitaire est incluse dans le protocole d’accord du 25 avril 1983 entre les ministères de la Culture et de l’Éducation. Elle bénéficie donc d’un nouvel élan, plus général, en faveur de la démocratisation et des pratiques artistiques en milieu scolaire, que l’on nomme aujourd’hui l’EAC. Ce texte interministériel préconise de « [favoriser] une meilleure prise en compte, dans le projet culturel, des préoccupations propres à la petite enfance et à l’âge scolaire et universitaire » (1983, préambule). Sur les passerelles de formation entre les universités et ce qu’il est convenu d’appeler, en France, l’enseignement supérieur culture, qui relève du ministère de la Culture (cf. note 1) le protocole précise :

Des conventions seront passées entre les universités et les conservatoires ou les écoles d’art qui développeront des actions de formation complémentaires éventuellement avec d’autres organismes culturels débouchant sur la mise en place de passerelles à double organismes culturels débouchant sur la mise en place de passerelles à double sens pour les étudiants soit des universités, soit des établissements spécialisés relevant du ministère délégué de la Culture, permettant notamment l’accès aux concours de recrutement de personnel enseignant

1983, article 3

La loi de 1988 sur les enseignements artistiques est tout aussi décevante pour l’EAC en milieu scolaire que pour les universités : vidée de sa substance par des désaccords constants entre les ministères signataires, elle mentionne essentiellement l’existence de l’enseignement supérieur culture. Puis, jusqu’en 2005, tous les protocoles d’accords nationaux mentionneront les universités comme partie prenante des politiques d’EAC.

Le protocole d’accord interministériel de 1993 relatif à l’éducation artistique[13] commence par cette phrase : « De la maternelle à l’université, l’éducation artistique constitue une composante essentielle de la formation générale. » Il recommande le développement de filières spécialisées dans les arts et la culture, et la nécessité de « doter tous les établissements (à filières artistiques ou non) d’une politique culturelle active, diversifiée et continue, à permettre au plus grand nombre d’étudiants de bénéficier d’une sensibilisation aux arts et à la culture et à contribuer à la formation générale des maîtres en particulier de l’enseignement primaire ».

La circulaire no 98-153 du 22 juillet 1998 relative à l’éducation artistique et culturelle de la maternelle à l’université consacre un article complet à l’université, en rappelant que « bon nombre d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur se sont déjà dotés de services culturels. Ces pratiques artistiques et culturelles sont cependant trop rarement liées aux enseignements eux-mêmes. » Elle annonce des moyens à attribuer « aux établissements qui définiront des politiques culturelles déterminées, impliquant l’ensemble de la communauté universitaire, en coopération avec les villes et les structures artistiques et culturelles locales, faisant des étudiants les acteurs réels de ces initiatives ». La création d’options artistiques transversales, pour tous les étudiants, est encouragée.

En 2000, Jack Lang, alors ministre de l’Éducation nationale, lance avec Catherine Tasca, ministre de la Culture, un plan particulièrement ambitieux en faveur des arts et de la culture à l’école : le plan de cinq ans, doté de moyens nouveaux et importants. Dans le dossier de presse[14], il n’évoque que rapidement les universités : « Le deuxième volet du Plan, sur l’éducation artistique et culturelle à l’université, sera présenté avant Pâques. » (2000, p. 5). Néanmoins, le document publié par le CNDP en 2001[15] mentionne « une exigence de continuité entre l’école et l’université » (2011, p. 7), des formations universitaires dans le domaine du chant choral et de la formation des musiciens intervenants (2001, p. 9), des cycles universitaires préparatoires à l’entrée dans les écoles supérieures d’art (2011, p. 10). Le second volet du Plan est publié le 14 janvier 2002 sous la forme d’un Protocole de coopération interministérielle relatif aux enseignements artistiques et à la mission culturelle des établissements d’enseignement supérieur, signé par les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture[16]. Il prévoit quatre axes : formation et recherche dans les arts, le patrimoine, la culture ; améliorer l’insertion professionnelle des étudiants ; structurer la formation de formateurs ; contribuer au rayonnement culturel, du local à l’international. Comme ces axes ne sont assortis d’aucun moyen supplémentaire ni de véritable stratégie de suivi au sein des ministères, ce protocole a très peu d’impact.

En revanche, la circulaire interministérielle du 3 janvier 2005[17] dessine un tableau plus complet et précis pour l’action culturelle universitaire : elle évoque le soutien aux pratiques artistiques et culturelles des étudiants, les interventions d’artistes et de professionnels dans les enseignements, la création d’équipements culturels universitaires ainsi que les projets de recherche et de création associant enseignants-chercheurs et artistes ou professionnels de la culture. Ces axes correspondent aux principales actions mises en oeuvre aujourd’hui dans les établissements, auxquelles il faut ajouter le patrimoine artistique et scientifique ainsi que la relation science-société. Cette dernière est curieusement peu mentionnée dans l’ensemble de ces textes, alors que la diffusion de la culture scientifique est une des missions fondamentales des universités, inscrite dans leurs statuts, et pour laquelle celles-ci disposent de facilités évidentes. Deux raisons peuvent être évoquées : d’une part, une compétence assez faible du ministère de la Culture dans la culture scientifique, en dehors de la tutelle administrative de la Cité des sciences ; d’autre part, une organisation historique de la politique nationale de culture scientifique qui privilégie des structures extra-universitaires : musées de sciences, centres de sciences, associations d’animation scientifique, etc.

Malgré ces avancées, l’expression généraliste « de la maternelle à l’université » se vide peu à peu de sa substance en ce qui concerne l’enseignement supérieur. À partir de 2005, on assiste à la disparition de la mention des universités dans les grands textes structurants de l’EAC. Si la feuille de route de l’Unesco, dite « de Lisbonne », mentionne en 2006 l’enseignement supérieur, c’est de manière très ponctuelle : « Permettre l’accès des artistes et des enseignants à une formation professionnelle pour renforcer la qualité de l’éducation artistique dispensée et créer des départements d’éducation artistique dans les universités qui n’en disposent pas » (2006, p. 10). La seconde mention des universités dans ce texte est relative à leur rôle potentiel dans la recherche sur l’EAC (2006, p. 14). Cette faible présence se confirme dans l’Agenda de Séoul (2010), second texte de référence de l’Unesco pour l’EAC, avec une mention unique et peu précise : « Utiliser l’éducation artistique comme méthode d’enseignement en introduisant les dimensions artistique et culturelle dans les autres disciplines universitaires » (2010, p. 4).

Avec la circulaire interministérielle no 2008-059 du 29 avril 2008 « Mise en oeuvre du Plan de développement de l’éducation artistique et culturelle », la disparition des universités dans les stratégies nationales de l’EAC est consommée, sauf lorsqu’il s’agit de mentionner la formation supérieure des musiciens intervenants ou la formation des futurs enseignants des premier et second degrés.

Il est assez curieux de constater que, au cours des périodes de réelle intégration de l’action culturelle universitaire dans les grands textes de référence de l’EAC, celle-ci est, de fait, très peu mentionnée et revendiquée par les principaux intéressés, par exemple le réseau national A+U+C, qui n’y fait que très faiblement mention, de même que le ministère de l’Enseignement supérieur dès lors que celui-ci se distingue et se détache du ministère de l’Éducation nationale. Quatre raisons peuvent être invoquées : une hiérarchie implicite des institutions éducatives, entraînant le souhait de ne pas voir mélanger enseignement primaire, secondaire et supérieur en revendiquant un portage commun sous le label « EAC » ; une organisation fondamentalement différente de l’enseignement supérieur, où les universités sont de plus en plus autonomes, contrairement aux établissements scolaires, et où la notion de programme national d’enseignement ne s’applique pas de la même façon que dans la formation scolaire, voire pas du tout ; les effets institutionnels produits par l’intégration – ou non – de l’enseignement supérieur dans le ministère de l’Éducation nationale ; enfin, une conception de l’action culturelle universitaire qui s’appuie faiblement sur la formation, contrairement à l’éducation artistique et culturelle, qui en France est une politique très intégrée dans l’Éducation.

Avec la création du Pass culture par le gouvernement en 2019, étendu à tout le territoire national en 2021, les étudiants ne sont pas non plus définis comme une cible, bien au contraire : le plafond d’accès fixé à l’âge de 18 ans exclut, de fait, la majorité de la population étudiante d’un usage qui aurait pu être soutenu et encouragé par les services culturels des universités. Cela aussi bien pour la part économique du Pass (accès à une offre culturelle gratuite) que pour sa part pédagogique plus récente (part collective du Pass, permettant depuis 2021 de financer des projets d’EAC collectifs au sein des établissements). Aussi, si les services culturels d’universités ont été sollicités en 2022 par le ministère de la Culture pour adhérer au Pass culture, c’est en tant que structures d’offre culturelle pour le jeune public, et non pour leur public étudiant.

On peut donc conclure, de cette revue des grandes étapes de l’EAC, que l’université n’y est présente que faiblement, conjoncturellement, et que l’action culturelle s’est développée à part, en parallèle et, de ce fait, selon des logiques propres. Mais également sans profiter des moyens, parfois considérables, consacrés à l’EAC comme ce fut le cas en 2000 avec le Plan Lang-Tasca, ou au Pass culture à partir de 2019.

Le développement spécifique de la culture à l’université

Comme nous venons de le voir, après un temps fort au début des années 1980, aucun texte réglementaire ne vient véritablement relancer, jusqu’à une période récente, la culture à l’université. Il faut attendre 2009 pour que la ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse confie à Emmanuel Ethis, alors président de l’université d’Avignon, une mission sur les liens entre culture et université, qui aboutira d’abord à un rapport, De la culture à l’université – 128 Propositions, remis en 2010. Notons que la commission réunie dans le cadre de cette mission n’associait pas les organisations représentatives étudiantes, même si la participation d’un étudiant y est mentionnée.

Toujours sous l’impulsion d’Emmanuel Ethis, avec le soutien de la ministre de la Culture Aurélie Filipetti, les ministères de la Culture et de l’Enseignement supérieur signent le 12 juillet 2013 la convention-cadre nationale « Université Lieu de culture[18] » qui est à ce jour le texte officiel le plus abouti sur le sujet[19]. Il dresse un spectre assez complet de pratiques et de dispositifs, incluant les pratiques culturelles et artistiques des étudiants et plus largement de la communauté universitaire, le rôle et la présence des artistes à l’université, l’enrichissement et la préservation du patrimoine artistique et scientifique, la qualité architecturale du bâti universitaire ainsi que la culture scientifique.

Cette convention-cadre s’adresse aux décideurs, mais aussi à un milieu professionnel qui s’est largement structuré dans les établissements. En 2018, un décret autorise et encourage la création de services communs universitaires distincts pour le sport, la culture et la culture scientifique[20]. Ce décret, dont les retombées concrètes n’ont pas encore été évaluées, avait pour but de reconnaître les compétences de spécialité professionnelle revendiquées par les services culturels d’université, très diversement positionnés selon les établissements : service à part entière ou bien équipe au sein d’un service plus vaste, souvent dédié à la vie étudiante ou à la formation.

La situation est en effet très hétérogène, mais s’est néanmoins structurée dans les établissements. Une enquête – en cours de publication – menée par A+U+C en 2021-2022 sur la structuration de la culture et de la relation science-société dans les établissements d’enseignement supérieur en 2019 et 2020[21] permet de valider la présence de ces deux dimensions pour les 55 établissements répondants (dont 47 universités et 2 ComUE[22]). Pour les positionnements des vice-président-e-s dans les équipes politiques des établissements, ils sont, en majorité, rattachés directement à la présidence (34 sur 46). Ils déclarent 44 dénominations différentes pour les vice-présidences, et seulement 2 dénominations semblables. Les services culturels sont, quant à eux, assez diversement organisés, transversaux ou non entre culture et culture scientifique, mais seuls 6 établissements répondants sur 55 (en général des écoles d’ingénieurs) déclarent ne pas disposer d’un service dédié. Pour ne prendre que le domaine de la culture artistique, les effectifs médians sont de 3 personnels dans les petites universités[23], 5 personnels dans les universités de taille moyenne, 7,5 personnels dans les grandes universités. On constate une prime à la transversalité lorsque les services regroupent culture artistique et culture scientifique : les effectifs passent alors, respectivement, de 7 à 10,5, puis 11,5 personnels. Il faut noter que les effectifs les plus conséquents sont souvent liés à la gestion d’un équipement culturel, cas fréquent mais qui n’est pas généralisé dans tous les établissements. Ces chiffres ne prennent pas en compte les personnels des bibliothèques universitaires ni les personnels assurant des enseignements artistiques ou culturels, si bien qu’il est impossible de comparer ces effectifs avec ceux des collectivités territoriales. Pour les budgets de fonctionnement, on constate la même prime à la transversalité, avec un écart de budget de fonctionnement médian de 100 000 € à 195 000 € pour les petites universités, de 263 000 € à 241 000 € pour les universités de taille moyenne, et de 338 000 € à 602 000 € pour les grandes universités. Notons simplement que les effectifs et les budgets peuvent être liés, non seulement à la taille de l’établissement, mais également à la gestion – ou non – d’un équipement culturel.

Si les tutelles s’accordent pour considérer que les résultats de cette enquête font état de situations plutôt stables et bien intégrées, les élu-e-s et les responsables de services font régulièrement état de difficultés récurrentes pour faire reconnaître et soutenir leur action. Pourtant, la crise Covid, où les équipements ont été fermés et les étudiants majoritairement absents des campus, n’a pas eu d’impact notable sur les effectifs et les budgets. En revanche, la création de la CVEC[24] en 2018 dans le cadre de la loi Orientation et réussite des étudiants a considérablement augmenté les budgets des services en charge de la vie étudiante et ont eu des impacts, positifs et négatifs selon les établissements, sur les budgets culturels. Le détail de ces impacts n’est pas encore connu, car il doit être évalué dans le courant de l’année 2023, mais les échanges au sein du réseau A+U+C font état de changements importants dans certains établissements et d’inquiétudes sur les budgets culturels dont certains responsables craignent qu’ils soient diminués en compensation de l’apport de la CVEC. Au-delà des pures incidences financières, c’est la structure des actions qui pourrait être affectée, car la CVEC ne permet pas de financer la présence de l’art et de la culture dans les formations, sauf dans le cas d’options transversales ouvertes à tous les étudiants. Cette taxe pourrait donc avoir pour conséquence de favoriser les associations et les projets développés dans le temps libre, si les établissements décidaient de diminuer leur dotation aux services culturels, au détriment d’objectifs ancrés dans la pédagogie comme c’est le cas dans l’EAC. Ce nouveau budget, avec ses règles de fonctionnement impliquant fortement les représentants des étudiants, pose également à nouveaux frais des questions liées à l’exercice du pouvoir culturel au sein des universités, qui vont maintenant être examinées.

Le rôle des étudiants dans la définition des politiques culturelles universitaires

Le rôle des élus étudiants

L’étudiant, public et acteur de la culture, est une formule couramment employée dès les prémisses de l’action culturelle universitaire. Au-delà de cette formule, qui concerne potentiellement tous les étudiants, les étudiants ont-ils une stratégie explicite dans le domaine culturel au sein de leurs organisations, associatives et syndicales ? Pour le savoir, j’ai passé sept entretiens. Deux entretiens avec des acteurs présents dès les premiers fondements de l’action culturelle universitaire (un ancien élu cofondateur du réseau A+U+C en 1990 et une directrice de service ayant été associée de près à cette fondation puis au pilotage du réseau), afin de bénéficier d’une vision historique. Trois avec d’anciens élus étudiants (ayant exercé leurs fonctions au cours des années 2010-2020), l’un ayant fait des études linguistiques, les deux autres des études de santé. Ils étaient respectivement affiliés à l’UNEF[25], à la FAGE[26] et le troisième a été élu sur une liste indépendante. Enfin deux entretiens avec des étudiants en responsabilité de deux fédérations en sciences humaines et sociales au sein de la FAGE au cours de l’année 2023. Il faut préciser ici qu’il a été difficile de retrouver la trace d’anciens élus étudiants et d’obtenir des rendez-vous, et qu’un huitième entretien, sollicité auprès d’une étudiante en charge de la culture sur le plan national dans une organisation étudiante, n’a pas pu aboutir.

Le nombre d’entretiens menés avec des étudiants ayant eu ou ayant actuellement des responsabilités nationales peut donc être considéré comme exploratoire et les conclusions seront provisoires. Pour les deux acteurs historiques (élu et directrice de service), en revanche, ils ont été suffisamment longtemps en responsabilité sur le plan national pour être considérés comme représentatifs de points de vue structurants pour le réseau national. Aux acteurs historiques, j’ai demandé quel a été et comment a évolué le rôle des élus étudiants dans la création des politiques culturelles universitaires ; aux anciens et aux actuels élus étudiants, j’ai demandé si la culture était ou est un sujet abordé dans leur organisation étudiante, et si oui de quelle façon.

Les deux membres historiques du réseau A+U+C rencontrés pour cet article ne mentionnent qu’un rôle tardif et assez secondaire des étudiants :

Lors de la création d’A+U+C, on n’avait pas prévu d’étudiants. Les syndicats [étudiants] ne s’y intéressaient pas, ils étaient contre l’idée d’une contribution obligatoire pour financer la culture, et la culture n’était organisée que dans les réseaux associatifs étudiants s’affichant comme apolitiques

ancien vice-président d’université

Parfois, c’est l’institution qui n’associe pas les étudiants :

La conférence des présidents d’universités avait eu une très bonne initiative en 2014 en réunissant tous les réseaux professionnels de l’enseignement supérieur : DGS[27], services culturels, sport, santé, vie étudiante. Mais les réseaux associatifs étudiants n’avaient pas été invités

directrice

Ils évoquent aussi des positions différenciées selon les syndicats et les réseaux associatifs étudiants :

Dans la première commission culturelle de l’université, j’ai invité des étudiants, mais je tenais à ce qu’ils soient engagés dans la vie associative. On avait des associations étudiantes déjà très vivantes dans les années 1970

ancien vice-président d’université

Je travaillais bien avec les étudiants, mais quelques élus étudiants estimaient que l’argent [de la culture] devait être consacré à l’étudiant, pas pour financer des artistes. Pour moi, les besoins d’une association amateur ne sont pas les mêmes que ceux d’une structure culturelle [au sein de l’université]. Pourtant la commission culturelle finançait les associations étudiantes, jusqu’à 30 000 francs pour [la troupe de] théâtre universitaire, mais c’était 400 000 francs pour notre lieu culturel

ancien vice-président d’université

Avec les syndicats étudiants on a eu des échanges dans la période 1990-2000 avec l’UNEF sur l’action culturelle universitaire. Ce n’était pas leur cheval de bataille principal, mais on avait des préoccupations communes sur l’importance de la culture pour et avec les étudiants. À l’époque, ce n’était pas centré sur la question du portage de la culture par les services de vie étudiante. Avec la FAGE, il y a eu des réunions quand ils ont commencé à s’y intéresser, j’ai ressenti dans ces discussions qu’ils revendiquaient de porter la culture. C’était une position différente de celle d’Animafac[28], qui organisait des rencontres nationales annuelles, où A+U+C a été invité sur des sujets spécifiques

directrice

Vers 1994-1995, à l’époque des premiers contrats quadriennaux d’établissements, des représentants d’organisations étudiantes ont été invités à participer à A+U+C : Animafac, Campus France, mais c’étaient sous la forme de discussions, il n’y avait pas de places définies dans le conseil d’administration. [...] Il y avait aussi la fédération des cinéclubs, mais qui a disparu depuis[29]

directrice

Au-delà des organisations étudiantes est également évoquée une rivalité (ici historique, mais encore vivace aujourd’hui) entre services pour le portage de la culture dans l’université :

L’écart constant, c’était que selon Bayrou[30] la culture devait être dans la vie étudiante ; je n’étais pas du tout d’accord. Pour le ministère de l’Éducation nationale, la culture, c’était une manière de donner du grain à moudre aux étudiants, sans que ça coûte cher à l’université

ancien vice-président d’université

Les anciens élus et actuels élus étudiants interrogés, qui témoignent d’une époque plus récente (ils étaient élus dans la décennie 2010-2020, ou sont élus depuis un ou deux ans en 2023), font plutôt part d’une faible présence de la thématique « culture[31] » au sein de leurs organisations au niveau national, alors que les étudiants élus dans les établissements y sont souvent investis par le biais plus général du soutien à la vie associative.

Au niveau national, la culture n’était pas une priorité. Ou alors par le prisme « favoriser l’accès à la culture », pas vraiment pour favoriser des pratiques, mettre en place des événements. Une fois, on a quand même fait un festival national des arts étudiants à Strasbourg. Mais je ne suis même pas sûr qu’on connaissait A+U+C. Au niveau territorial, c’était plus facile de s’intéresser à la culture dans les établissements ? C’est peut-être parce que [mon syndicat] privilégiait la vie associative, l’accompagnement des projets des associations ; On était presque dogmatiques à ce sujet : il fallait que l’étudiant, l’association, soient au centre, qu’on aide les initiatives

ancien-ne élu-e étudiant-e

J’ai été impliqué dans des associations étudiantes en santé, qui n’abordaient pas ces thématiques. Après les deux années de préparation des concours d’entrée, j’ai vu des étudiants qui s’ouvraient à la culture, au sport, au bénévolat. Mais c’était plus pour le lien social que pour découvrir de nouvelles pratiques. [...] C’est comme élu étudiant que j’ai vraiment découvert la culture à l’université, d’abord dans mes contacts avec des associations culturelles étudiantes, ensuite j’ai réalisé l’étendue de l’offre culturelle de l’institution

ancien-ne élu-e étudiant-e

À l’UNEF, on n’avait pas de groupe culture, alors qu’on en avait sur d’autres thématiques comme l’engagement, la vie associative, LGBT

ancien-ne élu-e étudiant-e

À la CEVPU[32], on travaille sur la vie étudiante, la transition écologique, accompagnement social, les étudiants internationaux... la culture n’est pas un sujet prioritaire

ancien-ne élu-e étudiant-e

À l’UNEF, on était beaucoup plus sur les bourses, la règlementation des études, pas sur la culture. Mais localement, dans l’espace de vie étudiante, on a été amenés à s’intéresser à la culture via les associations étudiantes. Et au national, on parlait d’émancipation, de qualité, il ne s’agissait pas de faire du simple divertissement. L’autre mot, c’était l’ouverture, il fallait que ça ouvre sur le monde, que ça ouvre aux cultures, il ne fallait pas que ce soit porté seulement par les formations, il fallait ouvrir au-delà des formations, sortir des structurations propres à l’université. L’association ne devait pas être un outil de la formation, elle devait porter des projets qui se déroulaient ailleurs. Globalement, il y avait l’idée que la culture et l’ouverture au monde participent à un projet de société

ancien-ne élu-e étudiant-e

Les élus étudiants et les associations connaissent mieux les services de la vie étudiante que les services culture, parfois il y a de la concurrence entre les acteurs étudiants et le service culture, mais il y a des différences importantes dans les établissements, tout dépend comment le service culture travaille avec les étudiants

ancien-ne élu-e étudiant-e

Certains temps consacrés à la culture dans les organisations étudiantes sont cependant cités, de même qu’une organisation propre à la FAGE :

Dans la CEVPU, on a déjà fait des focus culturels dans des AG nationales, par exemple à La Rochelle et à Grenoble

ancien-ne élu-e étudiant-e

À la FAGE, la culture n’est pas dans les thématiques majoritaires depuis 2020, à cause de la crise Covid qui a amené des sujets urgents en actions sociale, santé... On n’a pas de bureau ou de groupe dédié à la culture dans la FAGE, mais il y a une commission des affaires culturelles, qui est généralement animée par le référent innovation sociale du bureau, qui se réunit tous les deux-trois mois. On a certaines fédérations qui portent elles-mêmes des projets, des concerts, la nuit au musée...

élu-e étudiant-e

C’est la coordination du soutien à la vie associative étudiante qui prime sur un intérêt plus spécialisé pour la culture ou d’autres thématiques. Mais les syndicats ne sont pas complètement unanimes sur le primat accordé au développement de la culture dans la vie associative, et leur position a pu évoluer au fil du temps. En revanche, les deux syndicats convergent sur l’idée que c’est aux universités de financer, sur leurs fonds propres, l’intégration de la culture et de l’art dans les enseignements, pour les non-spécialistes comme pour les étudiants des filières spécialisées. On voit donc se dessiner deux options possibles, l’une (majoritaire) privilégiant la culture dans le cadre associatif et le temps de loisir, l’autre réclamant en parallèle des services culturels structurés pour les étudiants. Dans les deux cas, le modèle des associations étudiantes « faux nez » de l’administration, dans lesquelles sont impliqués des responsables pédagogiques, voire présidées par ces responsables, est rejeté. C’est un sujet souvent rappelé localement dans les commissions dédiées au sein des établissements

Les syndicats étudiants, sur le plan national, revendiquaient de piloter eux-mêmes, et seuls, les FSDIE[33] dans les établissements. L’idée, c’était que les étudiants en soient bien les acteurs

ancien-ne élu-e étudiant-e

L’UNEF et l’Alternative craignent que le soutien trop appuyé à la vie associative laisse de côté certains étudiants [qui n’y participent pas], tout en étant volontaristes sur le soutien aux initiatives et à l’implication des étudiants. [...] L’UNEF a longtemps défendu en priorité la vie associative, mais a évolué, maintenant elle défend aussi le renforcement du service public, les services aux étudiants, l’institution doit jouer son rôle

ancien-ne élu-e étudiant-e

La FAGE porte l’idée que les services à l’étudiant, dont la culture, et la vie universitaire doivent être portés par les étudiants. L’UNEF et la FAGE convergent sur l’idée que les associations permanentes, comme les Radios Campus, doivent être présidées par des étudiants.

ancien-ne élu-e étudiant-e

Je suis favorable à ce que la culture soit présente dans les enseignements [non spécialisés] mais c’est aux universités de le financer

ancien-ne élu-e étudiant-e

La création de la CVEC a suscité de nouvelles tentatives d’organisation, par exemple avec la création de « parlements étudiants » qui ne remplacent pas les commissions de vie étudiante coordonnées par les établissements sous la responsabilité politique des vice-présidents de la vie étudiante[34], mais peuvent jouer un rôle sur la façon de travailler sur ces budgets :

Il y a trois parlements étudiants, ces sont trois modèles différents, à Gustave Eiffel, à Cergy et en Lorraine. C’est consultatif, car les membres ne sont pas élus, mais c’est animé par le vice-président étudiant. Le problème, c’est que ça ne doit pas devenir une zone parallèle, sans pouvoir, et qui diminuerait la présence des élus étudiants dans les instances [de l’université]

directrice

Les universités sont-elles à l’avant-poste des nouveaux enjeux des politiques culturelles ?

Trois modèles de l’action culturelle universitaire

Examinons tout d’abord les paradigmes historiques de la culture à l’université et leur évolution. En marge, comme nous l’avons vu précédemment, du développement de l’EAC en milieu scolaire, et avec toutes les singularités locales qui contribuent à forger un ensemble hétérogène de pratiques, l’enseignement supérieur a développé ses propres paradigmes. Le premier d’entre eux concerne la relation entre l’université et son environnement territorial. Dans certains cas, là où les territoires étaient peu équipés en institutions culturelles au début des années 1980, les universités ont été des foyers de programmation culturelle et ont créé des lieux accueillant la création contemporaine. C’est par exemple le cas de l’université de Bourgogne, dont le lieu culturel, l’Atheneum, fête ses 40 ans en 2023, ou celui des Théâtres universitaires de Nantes, Metz, Besançon et des festivals universitaires comme celui de Nancy (créé en 1963) et de l’Université d’Artois (créé en 1996) (Germay et Poirrier, 2013).

Dans d’autres cas, où les territoires sont historiquement bien dotés de structures culturelles de bon niveau, les universités jouent prioritairement la carte du partenariat, comme ce fut le cas à Grenoble avec la programmation Un tramway nommé culture, créée en 1989, le campus de Grenoble n’étant doté d’une salle de spectacle qu’en 2002 et d’un véritable théâtre qu’en 2017. Ou celui des universités de Strasbourg et de Mulhouse, qui ont mis en place dès le début des années 1980 un dispositif de Carte culture donnant accès, à des tarifs préférentiels, à plus de 80 structures culturelles de la région Alsace. Foyers de création ou passerelle vers les structures culturelles du territoire, tels sont les deux grands types historiques qui bien entendu ne se trouvent pas à l’état pur dans les établissements, où l’on combine généralement ces deux dimensions, mais qui permettent de dessiner des tendances fortes.

Le premier type peut être qualifié de « modèle éclairé », où l’université, lieu de création – notamment moderne et contemporaine – organise une offre susceptible de compenser une politique publique faible ou déséquilibrée dans le territoire. C’est parfois reconnu par un label du ministère de la Culture, qui a été attribué à quatre théâtres universitaires.

Le second type est celui du « modèle opportuniste », qui profite des opportunités d’un territoire dynamique sur le plan culturel par la construction d’un partenariat. Ces deux types peuvent évoluer dans le temps en fonction de l’évolution de la politique culturelle territoriale. L’ancien vice-président d’université en témoigne dans ces termes :

À cette époque [années 1970-1980], la ville était très conservatrice sur le plan culturel. On a donc été un foyer de culture contemporaine de qualité, un foyer d’intérêt pour l’art contemporain. Le maire de l’époque nous laissait faire. Mais après 1989, il a eu une nouvelle adjointe qui a développé culturellement la ville, et qui nous soutenait aussi. On s’est donc repositionnés et j’ai développé l’action culturelle en lien avec les formations universitaires, musicologie, histoire de l’art, en invitant des créateurs en résidences pour monter, par exemple, un spectacle avec des étudiants en formation.

Ajoutons un troisième type : le « modèle démocratique », fondé sur les potentialités culturelles d’une population de jeunes adultes en formation et d’enseignants-chercheurs. Dans ce cas, l’université se pense comme un lieu d’animation socioculturelle au service de l’expression de ses usagers et personnels.

Dans les trois types, les université agissent comme des organisations territorialisées et autonomes qui partagent un certain nombre de caractéristiques avec les politiques des collectivités territoriales (notamment celles des villes et des métropoles) : une population identifiée (usagers représentés par des instances élues, dans une aire géographique donnée), un ensemble de missions de service public incarnées par des dispositifs, des équipements, des services dédiés (action sociale, urbanisme, logement, formation, lecture publique, culture, etc.), et une concurrence budgétaire de fait entre ces missions. Mais avec une mission de service public directrice spécifique : la recherche, la formation et plus récemment la vie étudiante, dont les élus revendiquent qu’elle devienne la troisième grande mission de l’enseignement supérieur[35].

Démocratisation et démocratie culturelles à l’université

Les politiques culturelles universitaires ont donc une manière particulière de gérer des tensions inévitables, constitutives de la plupart des politiques culturelles, entre d’une part le financement et la valorisation de la production artistique et du patrimoine (démocratisation) et d’autre part le soutien aux initiatives et aux pratiques des membres de leurs communautés (démocratie). En principe, notamment parce que ces questions sont fréquemment partagées lors de réunions nationales de réseaux professionnels, chaque établissement tente d’équilibrer sa stratégie entre offre et soutien aux initiatives, mais dans les faits, ces missions sont mises en oeuvre dans des proportions différentes et dans un style différent d’un établissement à un autre. Dans certains établissements, comme Paris Nanterre, les services culturels organisent des festivals de création étudiante à l’échelle nationale. Dans d’autres établissements, comme l’Université de Technologie Belfort Montbéliard, ce sont des étudiants qui organisent chaque année le Festival international de musique universitaire, dans le cadre de leurs études et avec un fort appui de la ville de Belfort.

Plus encore, si la stratégie d’offre culturelle relève plutôt d’une attitude volontariste des élus et des services en charge de la culture, la stratégie de soutien aux initiatives étudiantes se définit toujours en lien avec les élus étudiants et les associations étudiantes, voire sous leur pression. Les représentants des étudiants participent aux commissions d’attributions d’aides[36] et il arrive même qu’ils développent dans certains établissements une stratégie culturelle (festivals, stages de pratique, tremplins de création) parallèle à celle du service culturel de l’université. Avec l’augmentation récente des moyens pour le soutien aux initiatives, cette tendance pourrait se renforcer. La stratégie de démocratie culturelle n’est donc pas toujours un choix fait spontanément par l’établissement, mais peut être la résultante d’un rapport de force induit par le rôle de plus en plus important joué par les élus étudiants dans les politiques d’établissement qui les concernent. Le fait que le budget conséquent de la CVEC est géré dans les services en charge de la vie étudiante et suivi de près par les représentants des étudiants a renforcé ce pouvoir étudiant, y compris dans le domaine culturel, ce dont les services culturels sont aujourd’hui très conscients.

Conclusion

La culture à l’université, plus que dans d’autres organisations, se développe dans un système où de nombreuses instances associent les étudiants aux décisions, à la co-conception et au co-portage des projets. Les services culturels ont affaire à une population-cible étudiante bien organisée politiquement, même si la représentativité des syndicats et des associations étudiantes est très faible, fondée sur moins de 2 % de participation du corps électoral. Ils travaillent dans des institutions qui ont une tradition de soutien aux initiatives étudiantes (dont de nombreux projets culturels), sur fonds spécifiques et avec un pouvoir étudiant réel. Cette tradition est renforcée par la création récente de la CVEC et l’augmentation des budgets pour la vie étudiante.

Si les universités sont des lieux qui développent des politiques culturelles originales, faisant une part importante à des stratégies de démocratie culturelle, elles le font donc peut-être par conviction , mais aussi pour prendre en compte un rapport de force qui donne aux étudiants un rôle important dans la définition des stratégies du ministère et des établissements. Comme nous l’avons vu plus haut, leur action dans le domaine culturel peut être définie à travers trois modèles principaux : modèle éclairé, modèle opportuniste et modèle démocratique. Regroupées dans un réseau national présent depuis plus de trente ans, A+U+C, elles ont une culture professionnelle partagée autour de leurs objectifs à la fois généralistes (proches de ceux des collectivités territoriales, par exemple) et spécifiques, mais que le rôle de pilotage des élus, enseignants-chercheurs et étudiants, peut faire infléchir en raison d’un renouvellement fréquent des personnes occupant ces fonctions. Les schémas directeurs de la vie étudiante, qui sont pluriannuels, offrent un cadre qui permet de stabiliser des accords institutionnels, mais l’enquête d’A+U+C sur la structuration de la culture dans les établissements d’enseignement supérieur montre que très peu d’universités ont élaboré des documents pluriannuels du même type pour la culture et la culture scientifique, ce qui peut être un facteur de fragilité à moyen terme. Les services culturels des universités occupent donc une place, certes stabilisée, comme nous l’avons vu, mais restant fragile, face aux difficultés budgétaires récurrentes des établissements. Ils doivent de ce fait développer des stratégies mêlant objectifs culturels et objectifs situés dans un autre champ, par exemple le bien-être étudiant, la qualité de la vie au travail pour les personnels, la vie de campus, etc.

Ces facteurs expliquent que les universités présentent un modèle original d’équilibre entre offre et participation, démocratisation et démocratie, vie culturelle et vie socioculturelle. La méthode participative est très souvent évoquée dans les réunions de réseau, les journées nationales, les comptes rendus d’expérience : « ça ne marche que si les étudiants sont impliqués, acteurs ». Une autre originalité, c’est le partage de l’outil de travail dans la plupart des lieux culturels universitaires, qui accueillent aussi bien des artistes contemporains que des projets portés par les étudiants, et parfois des créations partagées entre ces artistes et des étudiants. Même si dans la pratique, ce point est souvent un sujet de tension entre les services culturels et les étudiants, c’est une réalité dont il n’y a pas d’équivalent dans les structures culturelles conventionnelles. Les universités témoignent aussi de leur souci de procurer un environnement bienveillant, avec des enjeux de réussite ou de perfection plus faibles que dans les milieux professionnels de la culture, en se centrant sur l’accompagnement. Serait-ce une politique des droits culturels qui ne dit pas son nom ? La question peut être posée et on peut faire l’hypothèse que les campus sont des terrains d’étude intéressants pour la recherche du fait de la spécificité de leurs stratégies de développement parallèle à celui des politiques culturelles.

Il reste une question, que nous laisserons ouverte : les organisations étudiantes, nous l’avons vu, sont faiblement impliquées au niveau national sur les sujets culturels, et les sujets sociétaux, l’humanitaire, les urgences (sociales, climatiques, environnementales) prenant le pas. L’engagement étudiant, indispensable pour assurer une dimension de démocratie culturelle, va-t-il continuer à se déporter vers ces sujets ? Si oui, la culture à l’université pourrait-elle perdre une partie de sa dimension politique, ou plutôt de l’originalité de sa politique culturelle ?