Corps de l’article

1. Introduction et problématique: un dispositif d’accompagnement au travail personnel inscrit dans une dynamique partenariale

La notion de dispositif en éducation recouvre des réalités variées mais permet de distinguer des formes de collaboration entre partenaires de professions et d’institutions distinctes (Barrère, 2013; Kapko et Netter, 2013). À la différence d’un réseau (Garnier, 2008), un dispositif agence, avec une certaine pérennité, différents moyens techniques, matériels mais aussi conceptuels afin de produire certains effets (Becquemin et Montandon, 2014).

Le dispositif pédagogique dont il est question dans cet article est couramment désigné «dispositif ATP», le sigle ATP signifiant «accompagnement au travail personnel». Cette notion d’«accompagnement au travail personnel», comme nous le verrons, fait l’objet de diverses appropriations par les actrices et acteurs concernés, certains (en particulier les parents) ayant tendance à la réduire à de l’aide à la réalisation des devoirs scolaires, d’autres (en particulier les intervenants) y projetant l’enseignement d’une méthodologie et/ou de savoir-faire permettant plus largement aux élèves d’acquérir davantage d’autonomie dans la prise en charge de leur scolarité.

Ces interprétations variées sont à situer dans le cadre du système d’actrices et acteurs impliqués dans le dispositif, dont il est possible de donner un aperçu en retraçant sa genèse et ses évolutions. Le dispositif ATP a été construit dans un partenariat local entre l’Éducation nationale (un collège), une municipalité (avec une structure destinée aux adolescentes et adolescents) et une association de quartier. Il est déployé depuis 2019 dans un quartier, labellisé Cité éducative depuis 2020. Les Cités éducatives visent une «grande alliance» d’acteurs socio-éducatifs pluriels afin «d’intensifier les prises en charge éducatives des enfants à partir de 3 ans et des jeunes jusqu’à 25 ans, avant, pendant, autour et après le cadre scolaire[1]», au sein de territoires prioritaires de la politique de la ville. Cette politique peut être considérée comme mettant en oeuvre une «gouvernance territoriale de l’innovation» dans le domaine de l’éducation (Pin, 2020), en cherchant à réguler la négociation et la co-construction des rôles de la pluralité d’actrices et acteurs par la combinaison de logiques de régulations sociales «par le bas» et des logiques de régulation étatiques «par le haut».

Dès le lancement de la Cité éducative, le dispositif étudié a été intégré au programme d’actions et a rejoint ses finalités éducatives. Une professionnelle municipale ayant pris une part active à la rédaction de ce programme explique être partie de l’existant: le dispositif ATP, faisant travailler ensemble trois structures du territoire, semblait parfaitement répondre aux attendus des Cités éducatives renvoyant à la «mobilisation (des) acteurs de la communauté éducative – État, collectivités locales, parents, associations, intervenants du périscolaire, travailleurs sociaux, écoles et collèges… – autour de l’école pour améliorer les conditions d’éducation dans les quartiers défavorisés[2]». Le dispositif est alors placé sur le devant de la scène (notamment lors d’un séminaire national des Cités éducatives). Elle parle d’un dispositif «vitrine» ou d’un dispositif «exemplaire» des objectifs de la «Cité éducative», plus spécifiquement sur «l’idéal de travailler ensemble». Une part de l’enveloppe budgétaire Cité éducative y est alors consacrée. Ce financement a été mobilisé pour commander une «recherche-action[3]».

Le dispositif ATP bénéficie également du soutien du PRE (programme de réussite éducative), un autre dispositif municipal, par la participation d’une de ses «référentes famille» chargée des relations avec les parents dont les enfants sont inscrits à l’ATP et d’une médiatrice famille qui travaille avec elle. À ce titre, elle participe au «comité de suivi» du dispositif qui réunit aussi les responsables d’une association du quartier (pratiquant déjà l’accompagnement scolaire) et d’une structure municipale (offrant des activités pour les adolescentes et adolescents), une représentante de la mairie, la personne chargée de la coordination des ateliers ATP au collège (une conseillère principale d’éducation, puis un enseignant depuis 2021). Ce comité de suivi se réunit mensuellement pour suivre l’évolution du dispositif et en premier lieu pour répartir les élèves dans les différentes structures qui assurent l’accompagnement au travail personnel. Si, en 2019, le dispositif accueillait une cinquantaine d’élèves, c’est presque le triple qui participe au dispositif trois ans plus tard.

Concrètement, ces trois structures (le collège, l’association de quartier et le service municipal consacré aux adolescents) interviennent donc en tant qu’opératrices dans la mise en oeuvre du dispositif. Il s’agit d’un trait distinctif du dispositif ATP par rapport au dispositif national Devoirs faits impulsé depuis 2017 par le ministère de l’Éducation nationale. Alors que l’accompagnement proposé dans le cadre de Devoirs faits se déroule uniquement au sein des collèges, l’ATP propose aux élèves scolarisés dans le collège une inscription à des temps d’accompagnement dans l’une des trois structures partenaires. De ce point de vue, le dispositif ATP est bien porteur d’une innovation en matière de partenariat éducatif territorial. Par ailleurs, comme nous allons le voir par la suite, la gouvernance du dispositif ATP confère une attention particulière à l’autonomie des élèves, pensée comme nécessaire à leur réussite éducative, ce qui n’est pas systématiquement le cas dans la mise en oeuvre locale de Devoirs faits.

Notre démarche consiste à étudier le dispositif ATP «à partir d’une perspective compréhensive, [permettant de rendre compte] des effets à la fois contraignants et habilitants de l’action publique», en considérant qu’un dispositif de ce type contribue «à façonner les cadres matériels et symboliques des existences individuelles (attribution ou privation de ressources, définition de statuts, etc.)» mais «que leurs conséquences naissent aussi des appropriations multiples qu’en font les individus (réinterprétation, recours, usage détourné, etc.)» (Revillard, 2018, p. 471). Les «cadres matériels et symboliques» renvoient dans notre cas d’étude à la régulation de l’accès des élèves au dispositif ATP: pourquoi l’élève est-elle ou est-il orienté vers l’une ou l’autre des trois structures? sur la base de quels critères? avec quelles conséquences en ce qui a trait aux modalités de prise en charge et au type d’accompagnement réalisé? Quant aux «appropriations», elles renvoient en premier lieu, dans le cadre de notre questionnement, aux réinterprétations du dispositif par les intervenantes et intervenants ainsi que par les parents et les élèves au regard des enjeux de l’autonomie. Plus largement, cette appropriation différenciée coïncide aussi au type de recours et aux usages détournés qu’en font les parents et les élèves au regard de leurs préoccupations liées à leur expérience quotidienne.

Après une présentation du cadre théorique concernant les notions d’autonomie et de réussite éducative, la méthodologie sera décrite. Nous verrons alors comment la notion d’autonomie est comprise par les différentes parties engagées dans le dispositif pédagogique étudié: intervenantes et intervenants, élèves et parents, afin de mettre au jour les similitudes et les divergences entre catégories d’actrices et d’acteurs et au sein d’une même catégorie.

2. Cadre théorique: les enjeux de l’autonomie en matière de réussite éducative et scolaire

Si l’autonomie de l’élève fait aujourd’hui figure de mot d’ordre dans les politiques éducatives (Patry, 2018), cela tient au fait qu’elle est considérée comme une condition de la réussite, éducative et scolaire. La notion de «réussite éducative» a des contours imprécis (Bourgeois, 2010). Elle est fortement reliée historiquement aux politiques publiques et à l’émergence au début des années 2000 de dispositifs appelés PRE (programme de réussite éducative) ou DRE (dispositif de réussite éducative). Elle inclut les enjeux de l’autonomie pour la réussite scolaire, mais va au-delà en prenant en considération le bien-être, l’estime et la confiance en soi des élèves, ou encore leur socialisation et leur capacité à s’insérer dans un collectif. Progressivement, elle a remplacé l’idée de réussite scolaire (Glasman, 2007), invitant ainsi la communauté éducative à se joindre à l’école pour «faire réussir» les élèves plus largement appréhendés comme enfants, la responsabilité n’étant plus du simple ressort de l’école mais plus largement partagée et à co-construire collectivement, notamment dans le cadre des relations école-familles.

La littérature souligne de nombreux malentendus et dissonances non seulement entre école et familles quant à la nature des pratiques requises pour les apprentissages (Kapko, 2012; Rayou, 2015) mais également entre école et secteur socioéducatif sur les modalités pratiques de l’autonomie. L’autonomie des élèves, qui est postulée, visée et présupposée par l’institution scolaire (Bernstein, 1997; Rayou, 2020) est loin d’être garantie en situation ordinaire, en particulier en milieu d’éducation prioritaire. Des autrices et auteurs remarquent également des différences sociales dans la manière de construire cette autonomie (Lahire, 2007; Durler, 2015), différences porteuses d’inégalités d’apprentissage (Bautier et Rayou, 2013; Périer, 2014).

En sciences de l’éducation et de la formation, et en sociologie de l’éducation, les recherches sur l’autonomie se sont focalisées sur l’espace scolaire et sur les enseignantes et enseignants (Durler, 2015; Joigneaux, 2014; Lahire, 2007). Ces travaux s’intéressent notamment à la rhétorique concernant cette notion, particulièrement dans les textes officiels de l’Éducation nationale. Ils montrent les difficultés que rencontrent les enseignants pour la travailler, ainsi que la pluralité de leurs appropriations de la notion. En outre, les élèves de l’enseignement secondaire, dont on mesure le degré d’autonomie, font l’objet d’observations mais sont très peu questionnés sur leurs propres conceptions de celle-ci (Barrère, 1997; Bélanger et Farmer, 2012; Gasparini et al., 2009) et sur les éventuelles dissonances avec les autres pans de leur expérience. La continuité éducative autour de cette notion, entre la classe et les autres espaces éducatifs, est peu renseignée. Ainsi, la définition de l’autonomie, sa perception et sa mise en oeuvre concrète par les professionnels travaillant avec les adolescents (accompagnement à la scolarité, animation, travail social...) ont été peu étudiées en dehors du cadre scolaire. Les travaux qui s’intéressent au point de vue des parents portent généralement sur les malentendus entre l’école et les familles populaires (Dubet, 2003; Giuliani et Payet, 2014; Glasman, 1992; Périer, 2005; Thin, 1998) mais la question de l’autonomie n’y est pas centrale.

L’étude d’un dispositif portant sur l’«accompagnement au travail personnel» des élèves offre à l’inverse un terrain propice pour étudier les représentations variées de l’autonomie et des pratiques favorables à son développement qu’ont l’ensemble des actrices et acteurs impliqués dans la réussite éducative des élèves (responsables de la gouvernance du dispositif, intervenants auprès des élèves, élèves, parents...). L’enjeu d’une telle étude centrée sur les représentations des acteurs est de mieux identifier les éventuels dissensus et malentendus mais aussi les éventuelles convergences de points de vue qui conditionnent la co-construction de responsabilités éducatives visant à être bénéfiques aux élèves et à leur «réussite».

Une caractéristique de notre recherche est d’avoir enquêté sur ces deux axes de questionnement (cadres matériels et symboliques, appropriations) dans une démarche associant les actrices et acteurs impliqués.

3. Méthodologie: une démarche de recherche associant les actrices et acteurs

La démarche méthodologique adoptée nous a permis, par sa durée et sa proximité avec les actrices et acteurs impliqués dans le dispostif, de mieux saisir leurs points de vue. La commande initiale passée par la mairie portait explicitement sur une «recherche-action». Cette dénomination qui a, dans le contexte français, une histoire singulière (Monceau, 2015) ne permet cependant pas de caractériser précisément la démarche adoptée. La dénomination «recherche-action» est en effet aujourd’hui adoptée pour qualifier des démarches donnant aux participants des places très variables. De plus, de nombreuses autres appellations sont apparues depuis les années 1990 telles que recherche participative, recherche collaborative, recherche intervention, recherche partenariale… (Bourassa, 2015). Pour désigner la démarche effectivement mise en oeuvre ici, nous préférons donc utiliser la dénomination plus factuelle de «recherche avec» (Monceau et Soulière, 2017) mettant ainsi l’accent sur le fait qu’elle est menée avec les actrices et acteurs concernés selon des modalités qui seront décrites plus précisément. Il s’agissait pour nous de recueillir des données nous permettant de saisir le sens que les intervenants, élèves et parents donnent à la notion d’autonomie et d’accéder à la complexité évolutive de leurs représentations. La collaboration d’un groupe d’élèves a ainsi été décisive pour approcher le point de vue des élèves et reconnaître leur expertise (Boulin et Claude, 2017).

En 2019, le comité de pilotage du dispositif (réunissant élus municipaux, principal du collège et responsables des deux structures partenaires) souhaitait le faire évaluer et, si besoin, le faire évoluer. Il s’agissait de vérifier qu’il répondait bien aux attentes des parents et aux besoins des élèves, mais également de déterminer ce qui était alors qualifié de «bonnes pratiques» afin de pouvoir les mutualiser ensuite. Enfin, il était attendu de la recherche qu’elle permette de dégager des améliorations possibles en produisant une analyse de l’efficacité du dispositif. La mairie s’est alors tournée vers notre laboratoire qui a répondu favorablement en proposant de mener la recherche sur deux années. Le laboratoire était connu de la mairie et de d’autres actrices et acteurs pour avoir déjà mené d’autres travaux dans un cadre conventionnel similaire (Valentim et Monceau, 2013; Monceau, 2018). Lors des discussions avec le commanditaire et les partenaires impliqués dans le dispositif, la notion d’efficacité a été précisée. Il ne s’agissait pas de mesurer l’effet de l’ATP sur les performances des élèves, en particulier parce que les pratiques pédagogiques des intervenantes et intervenants apparaissaient très hétérogènes.

Les objectifs initiaux ont été en partie retardés ou modifiés en fonction de différents éléments contextuels: la pandémie de la COVID-19 ainsi que les changements de direction au collège et ceux des responsables de l’ATP (au collège et dans la structure municipale) ont perturbé le calendrier initialement prévu. Un avenant de prolongation d’une année a alors été signé.

La recherche, qui s’est finalement déroulée sur trois années, a été lancée par un séminaire réunissant au collège les intervenantes et intervenants des trois structures et l’ensemble de l’équipe enseignante du collège afin de créer une réflexion commune autour de la question de départ: «Pourquoi je donne des devoirs et qu’est-ce que j’attends des devoirs?»

Une dizaine d’observations de séances ATP et de réunions d’instances de la Cité éducative ainsi que seize entretiens avec des responsables, intervenantes et intervenants des trois structures et de la mairie ont ensuite été menés. Cette phase a permis à l’équipe de recherche de découvrir la réalité du dispositif et de nouer, avec les personnes concernées, les contacts nécessaires à la poursuite du travail. Du fait des imprévus liés à la pandémie, les chercheuses et chercheurs ont assuré une participation régulière au «comité de suivi» du dispositif. Celle-ci n’était pas initialement prévue mais a permis d’observer finement la réalité du travail partenarial et ses modalités de régulation.

Une chercheuse et un chercheur ont animé une séquence d’échange de pratiques réunissant une vingtaine d’intervenants des trois structures pour croiser leurs regards sur l’autonomie des élèves dans leur travail scolaire. Il est apparu à cette occasion que les participants n’avaient jusqu’alors jamais participé ensemble à une réflexion de nature pédagogique.

Dans le courant de la dernière année de la recherche, trois entretiens collectifs avec neuf élèves de classe de troisième fréquentant le dispositif (chaque temps d’entretien étant mené selon des modalités différentes telles que la mise en place de débats ou la réalisation de dessins afin de favoriser la parole des jeunes) ont pu être organisés. Ces temps de travail avec les élèves ont permis l’établissement d’un questionnaire en ligne. Ce questionnaire se composait de 19 questions (18 fermées et 1 ouverte). Il a été co-construit par l’équipe de recherche et le responsable du dispositif au collège, en reprenant les éléments de réflexion que les élèves avaient apportés durant les entretiens collectifs concernant leur compréhension du dispositif ATP et de ses objectifs, leurs attentes et leurs choix lors de l’inscription, leur évaluation de ses effets et leurs suggestions sur son évolution (99 répondants sur 148 élèves inscrits dans le dispositif). Trente «micro-entretiens» entre pairs ont parallèlement été réalisés par les élèves de ce groupe auprès d’autres élèves du collège sur ces mêmes thématiques.

Enfin, une rencontre avec quatre parents ayant des parcours, des situations et des expériences variées a pu avoir lieu.

Pour clore la recherche, plusieurs séquences de restitution/discussion ont pu être mises en place avec le comité de suivi concernant spécifiquement les réponses des élèves au questionnaire puis, concernant l’ensemble de la recherche, avec les enseignants et les autres intervenants du collège, en présence du principal, de représentants du programme de réussite éducative (PRE), de la mairie et de l’association de quartier. Une rencontre de restitution a également eu lieu quelques mois plus tard avec l’adjointe au maire chargée des affaires scolaires et plusieurs responsables de services municipaux.

Les entretiens individuels et collectifs ainsi que les temps de restitution/discussion ont été enregistrés et transcrits. Les éléments saillants ont été retravaillés de manière itérative avec les différentes parties au fil de la recherche. Des idées, observations ou suggestions formulées à l’occasion d’un temps d’observation ou d’une rencontre ont ainsi pu être introduites et mises en discussion lors de rencontres ultérieures. Les analyses se sont donc construites entre les chercheuses et chercheurs mais aussi avec les autres parties engagées à mesure qu’avançait la recherche (Soulière et al., 2020). Les réunions régulières du comité de suivi du dispositif ATP ont aussi permis un suivi des avancées de la recherche.

4. Résultats: usages et appropriations de la notion d’autonomie par les actrices et acteurs du dispositif ATP

4.1 Concernant les cadres matériels et symboliques du dispositif ATP

Lors de la création du dispositif, trois «profils» avaient été élaborés par le comité de suivi pour orienter la répartition des élèves entre les trois structures partenaires. Ces profils valent d’être analysés comme des cadres symboliques du dispositif ATP: ils correspondaient à des types d’autonomie perçus/évalués par les enseignantes et enseignants. Il était ainsi prévu que les collégiennes et collégiens dits «relativement autonomes» soient orientés vers l’association de quartier, que ceux «ayant besoin d’un accompagnement dans la compréhension des attendus et des consignes» soient orientés vers le collège et, enfin, que ceux ayant «besoin d’un accompagnement spécifique» dans «un autre environnement que le collège» soient pris en charge dans la structure municipale dédiée aux adolescentes et adolescents.

Il convient de souligner que les critères servant à l’identification de ces profils sont restés imprécis. Par exemple, que faut-il entendre derrière le critère «relativement autonomes»? De plus, les indicateurs mentionnés pour différencier les élèves n’étaient pas du même ordre pour chaque structure: si le critère de l’autonomie était utilisé pour la structure associative et sous-entendu au collège à travers le «besoin d’un accompagnement dans la compréhension des attendus», il était absent pour la structure municipale. Pour cette dernière, le profil se centrait sur le besoin d’un «environnement» différent, faisant référence à «un cadre propice» à la réalisation du travail personnel.

Par ailleurs, il est progressivement apparu au cours de la mise en oeuvre du dispositif que les «profils», tels que définis initialement, n’étaient pas strictement respectés pour procéder à la répartition des élèves entre les structures. Ils constituaient plutôt des repères relativement consensuels adoptés entre actrices et acteurs de la gouvernance qui permettaient aussi de justifier auprès des parents la variété des structures impliquées et la répartition des élèves.

À ce titre, les observations réalisées en réunions de comité de suivi ont permis de saisir le caractère formellement négocié du processus d’inscription au dispositif et le poids des contraintes matérielles s’exerçant dans la répartition des élèves. Ceci tient au fait que l’inscription au dispositif s’effectuait sur la base d’un formulaire rempli par les parents dans lequel ils exprimaient un voeu d’inscription de leur enfant dans l’une des trois structures. L’affectation effective était cependant fortement conditionnée par une contrainte matérielle majeure: l’incapacité du collège à absorber la totalité des demandes le concernant. Le cadre matériel du dispositif ATP s’exerce en premier lieu à travers cette contrainte, qui prend elle-même sa source dans l’attractivité du dispositif et en particulier dans le choix préférentiel des parents pour le collège.

Or, ce choix préférentiel des parents pour le collège n’est pas motivé par l’adéquation perçue entre leur enfant et le profil d’élève ayant «besoin d’un accompagnement dans la compréhension des attendus» en principe orienté vers cette structure. Les motifs évoqués par les parents et rapportés en comité de suivi, mais aussi exprimés directement lors de l’entretien collectif réalisé avec certains d’entre eux, étaient souvent bien moins pédagogiques et bien plus pratiques voire triviaux: il s’agissait de bénéficier de l’intervention d’enseignantes et d’enseignants spécialistes de leurs disciplines, d’éviter que leur enfant ne sorte du collège pour rejoindre une autre structure proposant l’ATP (notamment en hiver quand il fait nuit tôt) ou bien de ne pas avoir à s’acquitter d’une inscription payante lorsque l’enfant était orienté vers le service municipal pour adolescents.

Du statut de règle de gouvernance ou de variable organisationnelle, la typologie des profils d’élèves en matière d’autonomie se présentait ainsi autant comme un problème à gérer que comme une solution. Lors d’un comité de suivi, le responsable de l’association de quartier s’est ainsi exprimé: «Je comprends la réaction des parents qui forcément préfèrent que les élèves soient mis au collège. Mais tout dépend ensuite s’il y a une explication.» Or, selon l’une des représentantes de la mairie:

Il y a beaucoup de choses que les parents n’ont pas compris, sur le dispositif, sur son intérêt. Ils disent souvent qu’ils en ont besoin parce qu’ils n’ont pas le temps chez eux [d’aider leur enfant à faire ses devoirs]. Mais leur incompréhension concerne aussi le pourquoi de différentes structures, pourquoi certains élèves sont orientés vers certaines structures. Ils ne comprennent pas pourquoi parfois ils ne sont pas envoyés au collège mais à l’association de quartier.

Ces propos témoignent du fait que la dimension pédagogique des enjeux de l’autonomie de l’élève n’apparaissait pas au centre des préoccupations des parents... mais qu’elle était aussi difficile à mettre pleinement en oeuvre par les responsables de la gouvernance du dispositif qui se trouvaient souvent en situation de bricoler une répartition des élèves leur permettant de sauver autant que possible la logique initiale du dispositif. Ces constats ont été retournés aux participants lors des séances de restitution. Comme on le verra dans la suite de l’article, le comité de suivi s’est aussi emparé de cette réflexion pour faire évoluer les modalités de répartition entre les structures.

4.2 Concernant l’appropriation du dispositif ATP par les intervenantes et intervenants: un gradient entre autonomie instrumentale et projective

Au fil des observations des ateliers puis des entretiens avec les responsables et intervenants des trois structures, il est rapidement apparu que les pratiques pédagogiques n’étaient pas uniformes dans les séances, même au sein du collège. Nous avons cherché à comprendre cette hétérogénéité en interrogeant les intervenants des différentes structures sur leurs perceptions de l’autonomie et sur la manière dont ils tentaient de la mettre en oeuvre.

Un lien entre réussite et autonomie apparaît dans les discours comme un «allant de soi». Ainsi, lors d’un entretien, la responsable du service municipal pour les adolescents définit la «réussite» en creux et explique qu’amener les élèves à réussir constitue une «preuve» de sérieux du service. Dans sa définition, la réussite éducative est très corrélée à l’autonomie et donc à la réussite scolaire:

On est là pour donner les outils, la méthodologie pour permettre à votre enfant de réussir sa scolarité. C’est facile de faire son devoir, il peut donner la bonne réponse [mais] ne pas comprendre et, le jour du contrôle, être incapable d’expliquer… de donner une bonne réponse tout simplement.

Pour elle, la réussite passe par l’accompagnement méthodologique, l’outillage des élèves pour qu’elles et ils puissent un jour réussir seuls sans accompagnatrice ou accompagnateur:

Le jour où il y a pas d’accompagnateur, il y a pas d’accompagnement à la scolarité, ils sont en mesure de réussir eux-mêmes, d’avoir compris la leçon et de réussir… d’être autonomes dans leur travail tout simplement…

À partir des échanges avec les intervenantes et intervenants des trois structures, un «gradient de l’autonomie» se dessine entre deux pôles: d’une part des compétences instrumentales et opératoires dans l’instantané (avoir son matériel, savoir retrouver les devoirs à faire, oser poser des questions…), d’autre part des compétences plus élaborées dans une dimension projective (savoir s’organiser sur la semaine, comprendre le sens du travail donné, apprendre à apprendre…). Ce gradient est apparu avec une certaine évidence lors d’une séance d’échange des pratiques à laquelle participaient la vingtaine d’intervenants des trois structures en décembre 2020.

Le niveau minimum d’autonomie serait «basique, instrumentale»: savoir noter ses devoirs et apporter le matériel nécessaire pour leur réalisation. Un professeur de mathématiques indique:

Je fais partie du dispositif depuis le début. Pour moi, un élève autonome, c’est, premièrement, un élève qui va savoir chercher… Il connaît les supports qui sont bénéfiques et les supports sur lesquels chercher, quels devoirs il aura à faire, c’est-à-dire, par exemple, le cahier de texte ou autre. Il va se mettre de lui-même au travail. Ça, c’est un des premiers signes, on va dire, qui me permettent de dire qu’un élève est autonome.

Ce premier niveau «basique» ne semble cependant pas atteint par tous les élèves. Ainsi selon Nabil, responsable de la structure associative, une bonne partie des collégiennes et collégiens accueillis dans les structures ne sont pas du tout autonomes:

Déjà, pour moi, [...] venir déjà avec son matériel, savoir les devoirs à faire… déjà, parce qu’on a beaucoup de gamins qui viennent… je sais pas, ils ont de la géométrie: «j’ai pas mon équerre, j’ai pas mon compas…» Les devoirs: «attends, je vais demander à mon camarade qu’est-ce que j’ai à faire. J’ai pas noté.» Déjà, ça part sur ça. [...] J’ai beaucoup de gamins qui viennent qui me disent: «Nabil, j’ai pas compris mon devoir.» Je dis «Ok. Qu’est-ce que tu dois faire?», – «Je sais pas.», – «Déjà, lis la consigne en premier.»

Le deuxième niveau permettrait à l’élève d’organiser lui-même sa séance de travail en se donnant, par exemple, des objectifs pour la séance (réalisation d’exercices, apprentissage de la leçon). Le second coordinateur du dispositif pour le collège, enseignant, précise:

Je dirais que c’est la capacité à prendre des initiatives une fois qu’il sait le travail qu’il a à faire dans les tâches qu’il a à accomplir. Est-ce que c’est un élève qui est dans l’application bête et méchante de la tâche? Ou bien est-ce qu’il met du sens derrière? Et prendre de l’initiative… enfin… pour résoudre un problème… Est-ce que, pour résoudre ce problème, il va plutôt aller regarder sa leçon?

Cette capacité d’auto-organisation de certains élèves se retrouve dans le discours d’un enseignant d’histoire-géographie, intervenant dans le dispositif ATP:

L’élève autonome, en fait, il… c’est toujours la même chose, même en classe entière, c’est-à-dire qu’il demande rien, il a sorti son cahier, il a regardé son agenda. Quand il a fini, il sort un livre. Voilà. Et, finalement, l’échange a été très bref, comme en classe entière où, finalement, il a géré son travail.

Un troisième niveau renverrait à la capacité (ou non) d’un élève à distinguer ce qu’il sait faire de ce qu’il ne sait pas faire. Une intervenante professeure d’anglais le résume ainsi:

Moi, je vois beaucoup d’élèves qui ne comprennent pas ce qu’on attend d’eux. Ils comprennent pas ce qu’ils doivent faire. Et, quand ils révisent un contrôle, ils ont pas compris ce qu’il fallait faire au contrôle. Et il y a beaucoup d’élèves qui ont tendance à dire «Je sais», et qui, en fait, ne se rendent même pas compte qu’ils ne savent pas. Pour moi, un élève autonome, c’est déjà un élève qui sait ce qu’il sait faire et qui sait ce qu’il ne sait pas faire.

Un quatrième niveau correspondrait à une ou un élève capable de prendre des initiatives pour aller chercher les informations là où elles se trouvent, mais aussi pour demander de l’aide s’il en ressent le besoin. Le second coordinateur du dispositif au collège explique que:

Souvent, on dit: «l’autonomie, c’est être capable de travailler tout seul…» En fait, c’est plus être capable d’aller chercher l’information où elle se trouve, pas que dans le fait de savoir quand est-ce qu’il y a des devoirs à faire et pour quand, mais aussi dans la résolution d’une tâche et de ne pas s’arrêter à «Je sais pas». Pour moi, c’est pas faire preuve d’autonomie de s’arrêter à «Je sais pas et je [ne] peux pas aller plus loin». C’est la capacité à trouver des solutions pour avancer.

Ce quatrième niveau serait donc d’être capable d’anticiper le travail scolaire personnel à réaliser sur un temps long et demander de l’aide pour remédier à des difficultés, même anciennes. Un conseiller principal d’éducation, intervenant dans l’ATP, donne ainsi l’exemple d’une élève qui, ayant terminé ses devoirs, reprend un exercice qu’elle n’avait pas réussi: «Elle reprend, elle fait la démarche de dire “Ok, je reprends l’exo que j’ai pas réussi en cours” [...] elle est entrée dans une démarche d’autonomie, pas purement scolaire.»

Cependant, tous s’accordent sur le fait que l’autonomie n’est pas forcément appréciable sur le moment: elle dépend de l’âge de l’élève et de ce qui est attendu d’elle ou de lui.

Ce «gradient d’autonomie» peut se retrouver dans le discours d’une même personne, indépendamment de sa profession et de sa structure d’appartenance. Ainsi, la responsable de la structure municipale pour les adolescents, qui n’intervient pas elle-même directement auprès des élèves mais qui proposait aux intervenantes et intervenants des outils méthodologiques pour les séances d’ATP, définit l’autonomie en lien avec l’organisation opératoire du travail («j’avais des jeunes des fois qui venaient avec aucun stylo, avec aucune feuille»), son anticipation («arrivés en 3e, je vois plus [+] les jeunes qui vont anticiper leur travail de la semaine prochaine, alors qu’il y en a qui vont attendre la veille pour le lendemain»), mais également des compétences méthodologiques plus globales et transférables dans d’autres contextes («l’essentiel, c’est surtout de comprendre la méthode pour leur donner justement cette autonomie qui va leur servir pour les années supérieures»).

Les intervenantes et intervenants ne sont pas unanimes sur le statut du recours à l’aide extérieure (notamment celle de l’adulte en ATP) dans l’évaluation du degré d’autonomie des élèves. Alors que certains insistent sur le fait que l’élève autonome n’a pas besoin de l’adulte (un enseignant dit: «Ils sont censés faire tout seuls l’exercice sans aide»), d’autres considèrent que l’élève autonome est celle ou celui qui sait solliciter l’adulte lorsqu’elle ou il en a besoin. Selon la première coordinatrice du dispositif pour le collège, «un élève qui sait dire “j’ai besoin d’aide pour ceci” ou “j’ai besoin d’aide pour cela”, c’est déjà une preuve énorme d’autonomie». Cette même diversité d’appréciation se retrouve dans les perceptions des élèves.

Remarquons enfin que lors des entretiens individuels, les discours de certaines intervenantes ou certains intervenants manifestent l’idée qu’il y a à «stimuler» voire à «forcer» l’autonomie des élèves afin qu’elles ou ils se «débrouillent» seuls. Il y a là un paradoxe pédagogique qui serait à approfondir.

4.3 Concernant l’appropriation du dispositif par les élèves: des perceptions variées et plus nuancées qu’attendu

Les nuances exprimées par les élèves portent fréquemment sur la manière dont est considéré le recours à l’aide pouvant être apportée par l’intervenante ou l’intervenant. Cette nuance influe sur leur perception de l’ATP comme rendant ou non autonome. Ainsi, une élève remarque que «dans autonomie il y a auto» et que, selon elle, cela signifie «savoir se débrouiller seul». Selon cette élève, «le dispositif ATP ne rend pas autonome» car «il y a un professeur derrière les élèves et un professeur qui aide». Une camarade, participant au même entretien collectif, ne remet pas en cause cette définition de l’autonomie mais indique que les professeurs ne sont pas toujours «derrière les élèves» et que ceux-ci font bien des choses seuls durant le temps de l’ATP.

Cette question du recours à l’aide se pose également durant un autre entretien collectif d’élèves. Pour une élève, l’autonomie est soutenue par la capacité à demander de l’aide:

Quand on va à l’ATP on demande de nous aider, ils vont nous aider mais après on va faire tout seul et ça va faire qu’on va être autonome on va faire tout tout seul [...] sans l’aide de personne.

Or, selon un autre de ses camarades, pour être autonome il ne faut pas avoir recours à de l’aide en amont: «C’est savoir faire les choses tout seul; à l’ATP tu vas demander de l’aide, du coup t’es pas autonome.» Cet élève nuance cependant son propos lorsque l’enquêtrice reformule son idée: «Est-ce qu’être autonome c’est savoir demander de l’aide quand on en a besoin?», il répond: «Mais aussi des fois autonome c’est savoir le demander quand faut vraiment le demander.» Ces échanges avec les élèves montrent une certaine ambivalence des conceptions juvéniles de l’autonomie, plus précisément en ce qui concerne le recours à l’adulte ou non pour être autonome. Ces conceptions ont été approfondies par la passation d’un questionnaire.

Le questionnaire diffusé auprès de tous les élèves inscrits dans le dispositif les interrogeait notamment sur leur conception de la notion d’autonomie avec la question «Qu’est-ce que l’autonomie à l’ATP?». Ils pouvaient choisir une ou plusieurs des quatre propositions suivantes, formulées en prenant appui sur le discours des élèves qui ont participé aux entretiens collectifs: «Savoir quels devoirs je dois faire» (choisie par 54 élèves sur 99 répondants), «Faire mes devoirs seuls, sans aide» (choisie par 29), «Savoir demander de l’aide quand c’est nécessaire» (choisie par 69), «Avoir des méthodes pour m’organiser» (choisie par 49). Le questionnaire autorisant la formulation de réponses libres, quelques autres propositions complémentaires ont été formulées par des répondantes et répondants: «Être sûr de faire mes devoirs», «Savoir démarrer seul et ne pas attendre», «Savoir me débrouiller seul et faire mes devoirs».

Les réponses à cette question sur leurs conceptions de l’autonomie montrent la place importante de la capacité à demander de l’aide mais aussi des compétences de planification dans la perception des élèves fréquentant l’ATP. Contrairement à ce que nous aurions pu penser après nos échanges avec les intervenants, les élèves ont une perception assez nuancée de l’autonomie. Si on ne retrouve pas chez les élèves toutes les variations du «gradient d’autonomie» repéré chez les intervenantes et intervenants, leurs conceptions ne sont pas pour autant radicalement différentes. Elles semblent se situer entre celles des intervenants et celles de leurs parents. Faire seul peut être rapproché des idées d’«anticipation», de «planification» et de «projection dans le travail» associées à l’autonomie par les professionnelles et professionnels des différentes structures.

La majorité des élèves attendent que des intervenantes et intervenants compétents, spécialistes d’une discipline, soient disponibles en ATP pour les accompagner dans la réalisation de leurs devoirs: «J’préfère avoir des profs qui s’y connaissent bien dans les matières.» Pour les participants à l’enquête, le groupe de pairs constitue également un potentiel soutien, sous certaines conditions relatives à l’instauration d’une «bonne ambiance de travail». Le dispositif ATP est ainsi décrit par de nombreux élèves comme un espace de travail collaboratif entre pairs. Cela apparaît d’ailleurs aussi très clairement dans les dessins des ateliers qu’elles et ils ont réalisés et décrits lors de séances d’entretiens collectifs. Il est intéressant de souligner que les camarades ne sont pas spontanément évoqués par les adultes comme facilitateurs de l’autonomie.

Si l’objectif premier de l’ATP selon les élèves est d’y faire leurs devoirs: «l’ATP c’est de l’aide aux devoirs»; «l’ATP c’est pour les devoirs», le choix du dispositif ATP pour les réaliser n’est pas anodin. Plusieurs stratégies d’apprentissage se dessinent dans leurs discours (Wolfs, 2007), en particulier la recherche d’un cadre favorable.

Le travail collaboratif entre pairs est, de fait, favorisé par le dispositif. Ainsi, pour plusieurs élèves, être à l’ATP avec des élèves d’autres classes permet de s’entraider si elles ou ils ont les mêmes devoirs. La possibilité de parler et de plaisanter avec ses pairs et avec les intervenantes et intervenants est aussi appréciée par les élèves. Cette «bonne ambiance», avec le souci que l’espace ne soit pas trop bruyant pour autant, constitue un environnement propice au travail: «J’arrive pas à travailler quand y’a pas de bruit, j’travaille quand y’a un tout petit peu de bruit ben ça me concentre en fait.» Un autre élève confirme mais précise: «Moi aussi mais ça dépend de quel bruit […] par exemple le bruit d’une série (télévisée) ben j’peux pas travailler avec parce que je voudrais regarder.»

En outre, 80 % des élèves ayant répondu au questionnaire sont favorables à la présence d’une évaluation de la participation à l’ATP dans le bulletin scolaire, nouveauté suggérée par une intervenante lors du premier séminaire et mise en oeuvre par la direction du collège dans la dernière année de la recherche. Selon eux, cela valorise l’élève lors du conseil de classe, surtout si elle ou il a des évaluations négatives par ailleurs.

Pour autant, si 80 % des élèves considèrent que l’ATP répond à leur demande, 35 % estiment qu’il n’a pas amélioré leurs notes. Lors des entretiens collectifs, ces nuances apparaissent aussi et les élèves expliquent que «l’ATP c’est pas tous les jours donc il faut aussi réviser chez soi». De fait, 30 % des répondants déclarent ne participer à l’ATP qu’une fois par semaine et 54 % trois fois par semaine. Le temps des ateliers est d’ailleurs jugé trop court (mais aussi trop tard dans la journée), surtout au collège où il ne dure qu’une heure.

Enfin, les élèves définissent l’autonomie comme la capacité de faire des choix. Ainsi, l’inscription au dispositif est déjà, pour certaines et certains élèves, la marque d’une autonomie (quand ils sont acteurs de ce choix et du choix de la structure). Pour d’autres, il semble que ce soit au contraire la marque d’un manque d’autonomie (lorsqu’ils disent subir le choix de leurs parents ou des enseignants). Cependant, les réponses au questionnaire font aussi apparaître la part active prise par les élèves dans ce choix, ceci en négociation avec leurs parents.

4.4 Concernant les parents: faire ses devoirs et les faire dans un lieu adapté

Une rencontre a pu se tenir avec quatre parents à la fin de la recherche, alors que nous disposions déjà de nombreuses données relatives au dispositif dans son ensemble et aux positionnements des intervenantes et intervenants et des élèves. C’est sur la base de ces connaissances que l’entretien collectif a été mené.

Comme l’ont remarqué différents travaux, le confinement dû à la pandémie de la COVID-19 a produit un «effet de loupe» sur les enjeux ordinaires relatifs à l’autonomie des élèves et a généré des phénomènes de désorganisation-réorganisation (Béduchaud et Leszak, 2020; Bonnéry et Douat 2020; Delès et al., 2021; Pelhate et al., 2022) concernant les relations école-familles et les compétences des élèves à travailler de manière autonome (loin du guidage ordinaire de leurs enseignants). Sur notre terrain, l’augmentation rapide du nombre d’élèves «volontaires» pour l’ATP semble résulter à la fois de la demande parentale et d’une crainte des parents que leurs enfants aient accumulé un retard scolaire durant les périodes d’arrêt des cours en présentiel.

Notre participation aux comités de suivi a permis d’observer une hausse significative des inscriptions au dispositif ATP. S’il concernait une cinquantaine d’élèves au début de notre recherche en 2019, c’est presque le triple qui participe au dispositif trois ans plus tard. Si on prend en compte le fait que ce sont les parents qui, à partir d’un formulaire d’inscription, donnent leur accord, souvent sur impulsion des professeurs principaux lors de la première rencontre parents-professeurs en début d’année (en particulier lors de la remise du bulletin du premier trimestre), on peut voir dans cette évolution la marque d’un rapprochement entre les familles et le collège. Du moins, cela peut exprimer une confiance dans l’efficacité du dispositif même si les finalités d’autonomie ne sont pas toujours perceptibles dans le discours des parents.

Les parents évoquent les enjeux, pour eux, de l’ATP et les conséquences de l’augmentation du nombre d’inscrits. Une mère fait ainsi part de son expérience de l’ATP durant cinq ans en comparant les situations de ses trois enfants:

En tout cas, moi, ce que je remarque, c’est que, tout au début de l’ATP, c’était très très positif parce qu’il y avait un investissement des professeurs, il y avait… C’était des petits groupes et, tout à coup, [...] il y a un nombre important d’élèves; le suivi, c’est… voilà… c’est «Tu fais tes devoirs tout seul si tu as envie»… [...] les deux grands, ils étaient très autonomes, ils faisaient leurs devoirs. Ils revenaient, les devoirs, ils étaient faits. Mais Evan, non. Evan, il fallait reprendre avec lui ce qui était pas fait. Et donc j’ai eu la réflexion dernièrement qu’il avait pas toujours ses affaires. Voilà.

Alors qu’ils sont interrogés plus précisément sur leur compréhension de l’ATP, les parents peinent eux aussi à définir leur compréhension de l’autonomie. Pour l’une des mères présentes lors de la rencontre collective, l’autonomie est comme un horizon lointain que l’enfant finit par atteindre un peu mystérieusement:

Moi, en fait, je comprends pas à quoi ça sert véritablement (l’ATP). Est-ce que c’est de l’accompagnement de scolarité? Est-ce que c’est de l’aide aux devoirs? Est-ce que c’est…? Là, j’ai… enfin… Travailler un peu plus l’autonomie? [...] De la sixième à la troisième, ils sont toujours pas autonomes; de la seconde à la terminale, un peu plus autonomes, mais pas… c’est pas une révolution… Et donc c’est bien après, en fait. Et donc je me pose la question. Je me dis, oui, cette autonomie, elle va arriver tôt ou tard. Et c’est peut-être tous ces gens-là qu’ils rencontrent… enfin… à l’aide aux devoirs… enfin… à l’ATP, tout ça… tous ces gens-là qu’ils rencontrent, les enseignants qui les poussent et qui les ramènent vers cette autonomie-là.

Cette mère ajoute qu’elle doute que, pour les parents, l’inscription à l’ATP soit motivée par le développement de l’autonomie.

Pour les parents participant à la rencontre, il s’agit tout d’abord que les enfants fassent effectivement leurs devoirs, sans que la question de l’aide ou même de la supervision par les parents ne se pose. Ils s’avouent en effet incompétents et soulignent les conséquences néfastes pour l’ambiance familiale du poids des devoirs à faire. L’un des pères présents considère même que «l’école doit rester à la porte de l’appartement». L’ATP apparaît donc comme une solution souhaitable, d’autant plus que le dispositif se déroule dans des lieux sécurisés et sécurisants, encadré par un personnel jugé qualifié. Ces parents sont particulièrement soucieux de la scolarité de leurs enfants et de leur réussite scolaire comme le montrent aussi d’autres recherches menées en milieux dit populaires (Périer, 2005). Tous les parents rencontrés lors de l’entretien collectif investissent d’ailleurs dans des cours particuliers donnés par des étudiantes ou étudiants en plus de l’ATP et certains inscrivent également leurs enfants à des dispositifs d’accompagnement des élèves en réussite:

Un père: [...] mais moi, je compte pas sur ça, en fait, pour que ça… pour qu’elle réussisse. Je poursuis toujours avec quelqu’un qui vient lui donner des cours.
Enquêtrice: Ah, vous doublez l’accompagnement… D’accord.
Une mère: Moi aussi, je double.

Pour les parents, plus que l’acquisition de l’autonomie elle-même, c’est la réussite au collège et dans la suite de la scolarité qui importe. Pour autant, le lien entre autonomie et réussite scolaire n’est ni explicité ni contesté par eux.

Enfin, les parents expriment une préoccupation que l’on retrouve aussi dans certains discours d’élèves, la nécessité d’un cadre sécurisant et sécurisé. C’est ainsi par exemple que les horaires tardifs sont questionnés. En hiver, lorsque la nuit tombe tôt, revenir seule ou seul des séances d’ATP peut être inquiétant. Ce dernier point n’est d’ailleurs pas sans rapport aux risques associés à la prise d’autonomie.

5. Discussion et conclusion

Les apports d’une «recherche avec» les actrices et acteurs concernés pour prendre en compte leurs expériences singulières et co-construire les objectifs d’un dispositif éducatif

La «recherche avec» présentée dans cet article visait à produire de nouvelles connaissances relatives à l’enjeu de l’autonomie des élèves, tel que cet enjeu se manifeste dans le cadre d’un dispositif d’accompagnement au travail personnel déployé dans une logique de partenariat éducatif territorial. Plus directement, l’objectif était de mieux définir et comprendre les dissensus ou malentendus entre l’école et les familles, souvent pointés dans la littérature de manière générique, mais plus rarement étudiés en ce qui concerne spécifiquement la prise en charge des devoirs et plus rarement encore en ancrant l’analyse sur la mise en oeuvre et les usages d’un dispositif déployé dans et autour d’un établissement scolaire. Nous reprenons ici les principaux résultats de la recherche au regard de la littérature disponible.

Un premier ensemble de résultats concerne moins le thème de l’autonomie en tant que tel que celui des relations école-familles et plus largement des dynamiques partenariales à l’oeuvre dans le déploiement d’un dispositif dit de «réussite éducative». Menée durant trois années dans un contexte difficile (pandémie et succession de quatre principaux au collège), la recherche fait apparaître la robustesse et la vitalité du dispositif. Cette vitalité se manifeste tout d’abord par l’augmentation des effectifs d’élèves qui en bénéficient. Cette croissance est particulièrement sensible au collège où il devient de plus en plus difficile de recruter des intervenantes et intervenants.

Il serait toutefois précipité d’associer ce succès d’audience à un succès d’estime au sens où il s’accompagnerait d’une convergence de vues de la pluralité des acteurs impliqués autour des mêmes objectifs. L’enquête conduit à l’inverse à observer des attentes variées à l’égard du dispositif. Comme on l’a vu, les parents et les élèves se retrouvent sur le fait qu’il est souhaitable que les devoirs soient faits en dehors du domicile. Ceci pour préserver une certaine paix sociale intra-familiale (Glasman, 1992), se retrouver entre pairs, mais aussi parce que les professionnelles et professionnels sont considérés comme les plus à même d’accompagner les élèves dans leurs travaux scolaires (Périer, 2005) et dans l’acquisition de leur métier d’élève (Boulin et Netter, 2023). À l’inverse, les acteurs en charge de la gouvernance du dispositif projettent davantage des objectifs sur le plan du développement de l’autonomie.

Mais l’enquête permet aussi de ne pas en rester à un constat aussi schématique sur les divergences de vues entre école et familles: le matériau collecté et les analyses permettent de documenter d’une part les modalités pratiques au travers desquelles se concrétise un souci partagé, localement, pour la réussite éducative des élèves-enfants, et d’autre part les investissements cognitifs variés dont peut faire l’objet une notion telle que l’autonomie des élèves, et ce au sein même des catégories d’acteurs habituellement utilisés à des fins d’analyse («enseignants», «parents», «élèves»…).

Concernant les modalités effectives de mise en oeuvre, il apparaît que si l’apprentissage de l’autonomie dans le travail scolaire avait été présenté initialement aux chercheuses et chercheurs comme la clef de voûte du dispositif, ce rôle central valait davantage au plan organisationnel par la définition de profils permettant la répartition des élèves entre les structures que comme objectif pédagogique faisant consensus entre les intervenantes et intervenants.

Au sein du comité de suivi, qui réunit les responsables de structures et des personnels municipaux, c’est bien à propos des «profils» permettant la répartition des élèves dans les trois structures que la réflexion sur l’autonomie a été initialement menée, mais les observations réalisées permettent de relativiser l’application de ce cadrage symbolique ayant formellement fonction de réguler l’accès au dispositif. En effet, de fortes contraintes matérielles s’exercent sur l’application de ce cadre. C’est en premier lieu le cas concernant la forte demande des parents que leurs enfants bénéficient du dispositif au collège plutôt qu’auprès des autres structures, et ce au-delà des capacités d’accueil affichées par le collège. Il se trouve en effet que les intervenantes et intervenants du collège sont attentifs à limiter autant que possible le nombre d’élèves par groupe pris en charge de manière à garantir des conditions de travail favorables pour eux et pour les élèves. En d’autres termes, le cadrage symbolique du dispositif ne se surimpose pas à son cadrage matériel, celui-ci n’existant pas non plus de manière objective et/ou clairement définie collectivement, mais avant tout dans une négociation autour de la viabilité du dispositif.

L’opérabilité limitée du profilage des élèves en matière d’autonomie pour réguler l’accès au dispositif a fait l’objet d’un constat partagé par les actrices et acteurs de sa gouvernance. À la fin de la dernière année de la recherche, sous l’effet du questionnement des chercheuses et chercheurs, les «profils» d’élèves ont ainsi été remplacés dans le livret d’accueil du dispositif par une description de ce que chaque structure offre de spécifique aux élèves. Plus largement, toutefois, deux ensembles de questions mériteraient selon nous d’être approfondis.

D’une part, la mise en place d’un dispositif partenarial tel qu’ATP ne gagnerait-elle pas à ce que ses capacités d’accueil et plus largement ses contraintes matérielles fassent l’objet d’une délibération collective de manière à pouvoir les expliciter davantage auprès des publics concernés? Il se pourrait bien que les parents et élèves puissent y adhérer. Notre enquête a en effet permis de relever que les parents souhaitent également que les effectifs d’élèves ne soient pas trop importants afin que chacun puisse avoir accès à des intervenants ayant les compétences nécessaires.

D’autre part, à quoi tiennent l’attractivité et le crédit dont jouit le collège aux yeux des parents et des élèves? Sont-ils spécifiques à notre territoire d’enquête ou sont-ils généralisables à d’autres territoires? Ces questions vaudraient d’être approfondies en tenant compte de la diversité des motifs recueillis au cours de notre recherche, qu’ils soient d’ordre pédagogique (compétences pédagogiques et disciplinaires reconnues des enseignantes et enseignants, ambiance propice au travail) ou d’ordre pratique (limitation des déplacements des enfants-élèves en dehors du collège).

Concernant les investissements cognitifs de la notion d’autonomie, se dessine une variété d’appropriations par les actrices et acteurs du dispositif. L’analyse des conceptions de l’autonomie des intervenants révèle ainsi un «gradient d’autonomie» oscillant entre deux pôles: une autonomie «instrumentale» opératoire dans l’instantané et une autonomie «projective» reposant sur une capacité d’anticipation de l’élève. Si la dimension «projective» de l’autonomie, qui pourrait peut être aussi qualifiée de «méta-cognitive», se retrouve en partie dans certains discours juvéniles, elle semble très loin des conceptions parentales, mais elle n’est pas non plus partagée par tous les intervenantes et intervenants, même lorsqu’il s’agit d’enseignantes et enseignants. Ainsi, les conceptions de l’autonomie et des pratiques pédagogiques pour la favoriser diffèrent surtout à l’intérieur de chaque catégorie voire chez un même intervenant en fonction des caractéristiques réelles ou supposées des élèves avec qui il ou elle est amenée à travailler (Joigneaux, 2014; Rayou, 2020) et de ses propres attendus. Cependant, faute d’espaces appropriés, ces disparités ne font pas l’objet de réflexions collectives qui permettraient de les élaborer. Lors de la recherche, la mise en place d’un temps d’échange de pratiques a cependant permis d’expérimenter ce travail entre intervenantes et intervenants des différentes structures. C’est lors de cette rencontre que le «gradient d’autonomie» a été identifié mais c’est aussi le constat que les intervenants des trois structures n’avaient jamais eu l’occasion de se réunir pour un échange pédagogique qui est apparu. Les échanges entre les professionnels éducatifs se centraient comme bien souvent (Garnier, 2003; Netter, 2019) sur des questions organisationnelles au détriment d’une réflexion commune sur les contenus pédagogiques.

Cependant, un lien est établi, par les différentes parties, entre autonomie et réussite scolaire. Lien qui, comme d’autres recherches l’ont déjà montré (Lahire, 2007; Périer, 2014), semble évident aux actrices et acteurs. Les élèves ayant répondu au questionnaire estiment, en grande majorité, que le dispositif leur a permis d’augmenter leurs notes mais est-ce parce que l’apprentissage de l’autonomie est travaillé dans les séances ou plus simplement parce qu’ils peuvent y faire leurs devoirs scolaires en étant accompagnés par des personnes qualifiées? Cet intérêt pour les effets du dispositif sur les notes obtenues est aussi une préoccupation parentale. Les parents disent aussi que la limitation des effectifs dans les groupes et la qualité des intervenants sont les facteurs les plus importants pour favoriser la réussite des élèves.

Lors des entretiens collectifs avec les élèves, certaines et certains explicitent aussi l’intérêt qu’une évaluation de leur investissement dans l’ATP figure dans le bulletin scolaire, cherchant ainsi une valorisation scolaire à court terme. Quelques élèves soulignent cependant que cette évaluation a aussi un intérêt pour favoriser la suite de leur cursus en améliorant leur dossier scolaire. Cette requête met au jour à la fois une capacité d’anticipation des élèves et un usage détourné du dispositif. Pour leur part, les intervenantes et intervenants abordent peu, lors des entretiens individuels, la question de l’appréciation dans le bulletin ou la relativisent. Cependant, celles et ceux de l’association de quartier et de la structure municipale ont ici un point de vue plus proche des élèves que les intervenants du collège qui sont, pour la plupart, enseignantes et enseignants.

Au final, ce qui fait véritablement consensus entre toutes les parties est donc le fait que le dispositif doit permettre aux élèves d’y faire leurs devoirs dans les meilleures conditions. La nécessité d’une réflexion pédagogique commune sur les moyens de favoriser l’autonomie des élèves dans leur travail scolaire, si elle n’est explicitement rejetée par aucune partie, n’est finalement la préoccupation centrale que d’une partie des intervenantes et intervenants