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Les auteures de l’ouvrage, Françoise Montambeault, Laurence Bherer et Geneviève Cloutier, sont toutes trois professeures au Québec : à L’Université de Montréal pour les deux premières et à l’Université Laval pour la troisième. Elles ont, en rapport avec le sujet, une production scientifique assez riche. L’illustration du livre est d’Emanuelle Dufour, doctorante en éducation artistique. Le fait d’imager l’espace a permis de représenter la réalité des dynamiques au Carré Casgrain (un ancien terrain vague de Montréal). Plus généralement, la qualité de la couverture, la typographie et la mise en page sont satisfaisantes. L’ouvrage s’adresse à un large public, un peu plus centré sur des lecteurs québécois, mais pourrait bien intéresser des publics à l’échelle internationale. De sa lecture, nous retiendrons l’originalité d’une écriture collective, d’abord par les trois auteures, ensuite à travers de nombreuses relectures, dont celles des membres du collectif du Carré Casgrain, qui fait l’objet du livre.

Les auteures réfléchissent aux raisons qui poussent des habitants à s’investir dans des projets de verdissement et aux nouvelles formes d’engagement politique que cela suscite. Le récit tourne autour de l’occupation par un collectif de résidants, entre 2017 et 2019, d’un terrain vague situé au coin de la rue Bellechasse et de l’avenue Casgrain, dans l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal. L’objectif était de faire un jardin en permaculture et un espace de rencontre de ce petit lopin. Le Carré a constitué un lieu de partage de savoir-faire horticoles, de confection d’accessoires en matériel recyclé, d’organisation d’activités socioculturelles et de gestion des relations entre voisins. Un fonctionnement horizontal, centré sur l’autonomie et la collaboration, a été expérimenté par les membres du collectif et, petit à petit, une véritable communauté a vu le jour. Les membres sont même devenus sollicités, notamment par l’arrondissement, comme représentants dans des affaires de développement local. En retour, l’arrondissement s’est saisi du dossier en décrétant, pour ce terrain, l’imposition d’une réserve à des fins de parc. En même temps, la perspective d’un achat est restée incertaine, au regard des moyens financiers limités de l’arrondissement.

Le sujet traité dans cet ouvrage revêt de l’importance à divers points de vue : économique, sociopolitique, urbain scientifique et culturel. Dans le contexte économique de la ville d’aujourd’hui et un peu partout à travers le monde, les investissements fonciers constituent d’excellents placements financiers. Sauf que l’évolution dans la valeur des actifs fonciers selon la loi du marché peut générer des déprises, des friches, des « délaissés » et des « dents creuses » qui évoluent en véritables entraves pour la durabilité et la cohérence des quartiers.

Ensuite, nous nous trouvons dans le contexte sociopolitique et urbain particulier de Montréal, en manque d’espaces publics et de jardins dans un rayon de service satisfaisant. De tels espaces répondraient à des besoins de socialisation et de rafraîchissement urbain durant la période estivale, relativement chaude. Le contexte montréalais est également caractérisé par l’action collective et la citoyenneté active, que les pouvoirs publics encouragent et accompagnent à travers de nombreux programmes participatifs citoyens. C’est d’ailleurs là une tendance internationale qui se confirme. Les populations locales boudent de plus en plus les organismes conventionnels en favorisant l’autogestion et l’urbanisme tactique pour provoquer le changement et l’amélioration des communautés urbaines, ainsi que de meilleurs droits à la ville. Désormais plus sensibles aux questions écologiques, particulièrement aux changements climatiques et aux îlots de chaleur qui en résultent en milieu urbain, elles agissent, notamment, à travers la production d’aliments de proximité par l’agriculture urbaine.

Enfin, plusieurs universités, laboratoires et centres de recherche s’impliquent pour l’émergence d’un développement communautaire, durable, inclusif et solidaire, dans une recherche-action pour le développement. L’intérêt pour la « boîte à livres » (je donne un livre−j’en prends un) installée au Carré Casgrain et les trajectoires professionnelles et scientifiques de certains animateurs du collectif témoignent de cette quête d’un agir collectif par un meilleur et plus large accès à la culture en général, et à la culture scientifique en particulier.

L’ouvrage s’appuie sur une recherche sérieuse, encadrée par des méthodes issues de disciplines scientifiques, notamment l’ethnographie et la science politique. Il dégage pour le lecteur un sentiment d’objectivité. Néanmoins, nous regrettons l’absence de rappels et références (dans le texte ou la bibliographie) en rapport avec la citoyenneté active et l’appropriation citoyenne dans l’histoire récente du Québec. De nombreux chercheurs ont publié sur ces thèmes ; nous pouvons citer, entre autres, Lamoureux (2000), Sénécal et al. (2008), Duchemin, (2012), Triollet et Bernier (2016). L’histoire contemporaine du Québec est également jalonnée d’événements en rapport avec le développement de l’action collective. Fin XIXe et début XXe siècles, les premières sociétés mutuelles d’assistance et de secours, ayant évolué plus tard en coopératives, apparaissent dans de nombreux secteurs : pêche, exploitation forestière, agriculture, mais aussi accès au logement et aux services urbains.

L’engagement social et politique qui anime le collectif citoyen au Carré Casgrain n’est donc pas exotique ; il puise ses sources dans l’histoire d’une population québécoise bien attachée à l’agir collectif.