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Introduction

Avec une mondialisation accrue, la mobilité des personnes, des capitaux et des biens s’est développée, renforçant la mise en relation, parfois même en concurrence, des territoires. Quelle que soit l’échelle géographique considérée (régions, départements, agglomérations, etc.), les acteurs des territoires doivent définir leur stratégie de développement dans ce contexte où l’installation des personnes et des moyens de production est toujours possible, mais n’est jamais acquise. L’attractivité devient un enjeu majeur des territoires périphériques, considérés ici comme éloignés des métropoles, ainsi que de la métropolisation et de ses dynamiques attractives (populations, activités).

Or, les outils dont on dispose aujourd’hui pour mesurer cette attractivité et en comprendre les dynamiques sont imparfaits, en particulier pour les dimensions qualitatives en lien avec les images, perceptions, représentations et la notion de qualité de vie. Ces aspects jouent un rôle important dans l’attractivité des territoires à l’écart des stratégies d’installation des grands acteurs économiques, ou des populations les plus qualifiées. Certains de ces territoires n’en connaissent pas moins, depuis quelques années, un renouveau démographique. Il est donc indispensable de combler cette lacune : « Il semble que les défis que doivent relever les acteurs publics – dégradation de l’emploi, développement durable […] – nécessitent un renouvellement des actions publiques locales et un enrichissement de l’observation locale qui ne peuvent plus se contenter de reposer sur une approche minimaliste et étroite de l’attractivité » (Le Roy et Ottaviani, 2011).

Dans le cadre d’un programme de recherche-action (AttractInnov, Programme de recherche partenariale Pour et Sur le développement régional, PSDR4, 2014-2020[1]), nous avons choisi de travailler plus spécifiquement sur l’approche qualitative et subjective de l’attractivité, en nous appuyant essentiellement sur des enquêtes menées auprès des habitants, à l’échelle de la région Auvergne dans sa totalité, et des entretiens auprès des acteurs socioéconomiques et politiques de plusieurs territoires auvergnats. Ces derniers ont été choisis pour répondre à une typologie territoriale permettant de comparer les ressorts d’attractivité différenciés de territoires plus ou moins urbanisés ou ruraux et de plus ou moins forte densité (figures 1 et 2). De même, leur diversité démographique et socioéconomique, ainsi que leur localisation géographique ont permis d’avoir une approche comparative entre, d’une part, des territoires métropolisés (le pôle métropolitain Clermont-Vichy) ou considérés comme dynamiques au regard des indicateurs statistiques classiques (démographie, emploi, installation d’entreprises, dynamique résidentielle, etc.) et, d’autre part, des territoires qu’on peut qualifier de périphériques par leur éloignement géographique de la métropole clermontoise (le Sud cantalien, région d’Aurillac), leur moindre dynamisme économique, voire des dynamiques de décroissance plus ou moins accentuées (régions de Montluçon, de Saint-Eloy-les-Mines) ou enfin un caractère rural affirmé et revendiqué (Parc naturel régional Livradois-Forez). Ces critères de définition des territoires périphériques peuvent bien sûr se cumuler. Ainsi, la région de Montluçon peut-elle être qualifiée de périphérique, tant par son éloignement géographique de la métropole clermontoise que par sa décroissance démographique et ses difficultés économiques. En plus de l’objectif de définition fine de l’attractivité d’un territoire, la diversité des situations socioéconomiques et géographiques des territoires d’enquête nous a permis d’observer les différents ressorts de l’attractivité selon le degré de « périphérisation » des territoires étudiés.

À partir de là, notre objectif final était de faire preuve d’innovation dans l’approche de l’attractivité en portant notre attention sur sa dimension qualitative à travers l’étude des perceptions et représentations, en élaborant des outils de mesure (indicateurs, tableaux de bord) qualitatifs susceptibles d’aboutir à une plus grande lisibilité des leviers d’attractivité mobilisables par les acteurs territoriaux.

Après avoir défini la notion même d’attractivité et de ses corolaires qualitatifs, nous aborderons les méthodes mises en place pour étudier ces dimensions qualitatives et les enjeux posés en termes de politiques publiques pour les territoires « périphériques », et nous finirons sur l’importance d’une démarche d’objectivation du qualitatif dans les ressorts de l’attractivité et des outils mobilisables.

Attractivité : une notion polysémique

Attractivité : une notion, plusieurs approches

La notion d’attractivité n’est pas centrale, chez les géographes français (Chaze, 2017a). Les principaux dictionnaires n’en donnent pas de définition et leurs auteurs lui préfèrent la notion d’attraction (Moriconi-Ebrard, 2003 ; Bavoux et Chapelon, 2014), dont elle est souvent présentée comme un attribut. Par exemple, dans l’encyclopédie en ligne Hypergéo, Pumain (2017) définit l’attractivité comme « une mesure de la force d’attraction d’un lieu, en général d’après la somme des flux attirés par ce lieu ». L’attractivité apparaît donc ici comme un moyen de quantifier des flux générés par un territoire.

Cependant, des auteurs ont récemment replacé l’attractivité au coeur de leurs études sur les territoires. C’est le cas de Mulkay (2006) qui définit l’attractivité d’un territoire comme sa capacité de conserver ou d’attirer des activités nouvelles et des emplois. Pour Olszak (2010), l’attractivité est un concept pertinent pour mesurer la capacité d’un territoire d’attirer l’implantation de nouveaux établissements, les capitaux ou la main-d’oeuvre hautement qualifiée. Ces deux auteurs définissent l’attractivité d’un territoire comme une capacité d’attraction, un potentiel réel ou à développer. L’attractivité est abordée ici sous l’angle de l’objet attiré (population ou capital), et non sous celui des caractéristiques attractives du territoire. Cette approche reflète la vision démographique et économique que ces auteurs ont de la notion d’attractivité, mais elle laisse de côté les aspects qualitatifs liés aux facteurs d’attractivité des territoires.

De même, l’étude de l’attractivité a longtemps privilégié les études à une échelle macroéconomique (internationale) et selon une approche restrictive (Crozet et al., 2004). Elle est alors définie vis-à-vis des entreprises comme « leur capacité à fournir, grâce à leurs ressources, des conditions d’implantation plus intéressantes que celles des territoires concurrents pour les projets mobiles » (Hatem, 2004a). Il y a alors confusion avec les facteurs de localisation et seuls les critères économiques de l’attractivité sont étudiés, appuyés sur des indicateurs quantifiables mais assez limités, comme l’investissement direct à l’étranger (IDE) ou le taux d’emplois, par exemple.

Une telle approche de l’attractivité s’est traduite le plus souvent par des choix de politiques publiques, à différentes échelles territoriales (du national au local), privilégiant des mesures, fiscales notamment, destinées à favoriser l’implantation d’entreprises. Le référentiel d’analyse de l’attractivité, somme toute restrictif, explique en grande partie le mimétisme des politiques publiques menées à des fins d’attractivité territoriale. Toutefois, déjà en 1991, Krugman montrait que les territoires n’étaient pas homogènes et qu’appréhender l’attractivité ne se réduisait pas à une analyse des différentiels de coût d’installation pour les entreprises entre territoires.

De même, il existe plusieurs types d’attractivité et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) distingue, dans son rapport annuel World Investment Report, une attractivité effective ou potentielle et subjective / objective. À titre d’exemple, la présence d’un certain nombre d’infrastructures renvoie à des critères effectifs ou potentiels, alors que ceux liés à des éléments de qualité de vie renvoient plutôt à une approche subjective. « L’attractivité est donc un concept multidimensionnel qui peut être appréhendé sous différents angles de vue et donc à l’aide de différentes disciplines » (Le Roy et Ottaviani, 2011 : 6). Ce sont les ressources « construites et territorialisées, qui font qu’un territoire est, ou n’est pas attractif, alors même qu’elles sont reléguées au second plan quand il s’agit de quantifier le phénomène d’attractivité » (Ibid.).

Certains auteurs (par exemple, Musson, 2010) insistent sur la vision trop exclusivement économique et court-termiste de la question de l’attractivité, regrettant que ses dimensions géographiques, historiques, environnementales et sociales ne soient que peu abordées. Ils insistent dès lors sur la nécessité d’appréhender cette notion d’attractivité en lien avec le développement durable et le bien-être. Friboulet (2010) proposait d’intégrer à l’étude de l’attractivité les effets négatifs de la polarisation des activités en termes sociaux, environnementaux et de qualité de vie, entre autres. Quoi qu’il en soit, comme le constatent Angeon et Rieutort (2007), la notion d’attractivité est bien souvent approchée à partir de celle d’attraction ; elle se réduit alors à une mesure des flux de populations, de touristes ou d’emplois.

Attraction et attrait : les deux dimensions de l’attractivité

Alexandre et al. (2010 : 9) donnent une clé pour sortir de cette impasse en distinguant l’attraction, c’est-à-dire la « capacité à drainer des flux et à fixer durablement des populations et des ressources », et l’attrait, à savoir la « capacité à se rendre désirable, quelle qu’en soit la raison » (Ibid.). Ici, l’attraction réfère toujours à l’objet attiré (population et ressources, selon les auteurs), mais l’attrait décrit, lui, les caractéristiques attractives du territoire. La notion d’attrait d’un territoire (ou pour un territoire, si l’on adopte un point de vue extérieur) amène alors à explorer les aspects qualitatifs de l’attractivité territoriale, notamment à travers la notion de qualité d’un lieu.

Angeon et Rieutort avaient déjà précisé la réflexion en distinguant trois notions complémentaires. Tout d’abord l’attraction, qu’ils définissent comme :

La force qui tend à rapprocher les corps. Du point de vue spatial, cette notion exprime ou qualifie des rapports de lieux (rapports d’influence ou hiérarchiques, quelles que soient les formes qu’ils revêtent : concentration, diffusion à partir d’un centre et gravitation autour d’un centre)

2007 : 238

Ensuite, l’attirance, définie comme :

Ce qui est susceptible de retenir l’attention, ce qui séduit, ce qui a des chances de fixer. Sa traduction spatiale explicite à la fois ce qui est à l’origine de l’attraction (exercée par des pôles urbains ou ruraux : i.e. modèles des lieux centraux de Christaller) et le résultat de cette même attraction (renforcement des pôles, constitution de réseaux, organisation de l’espace en aires urbaines)

Ibid.

On peut assimiler la notion d’attirance à celle d’attrait. Et enfin, l’attractivité qui, selon les auteurs, découle du pouvoir d’attraction et est définie comme « la capacité à drainer et à attirer des hommes et des activités, des capitaux et des compétences, sur un territoire » (Angeon et Rieutort, 2007 : 238). Nous ajouterons que l’attractivité découle aussi de l’attirance ou de l’attrait d’un lieu. En d’autres termes, en mettant en relation les deux notions d’attraction et d’attrait, l’attractivité d’un territoire peut simplement être définie comme « la capacité d’attraction d’un territoire en raison de l’attrait (ou attirance) qu’il dégage » (Chaze, 2017a : 2). Cette définition simple présente l’avantage de mêler l’approche quantitative par l’objet attiré que représente la notion d’attraction, et l’approche qualitative par les caractéristiques du territoire que représentent les notions d’attrait ou d’attirance (tableau 1).

De même, les sciences de gestion et le marketing territorial se sont largement saisis de cette notion d’attractivité et ont largement participé au renouvellement de son approche, en particulier dans ses dimensions immatérielles, en lien avec les questions d’image, de réputation territoriale, de perception, voire d’identité. Dans la revue Marketing Territorial, la quasi-totalité des articles s’intéressent à l’attractivité dans toutes ses dimensions et utilisent, pour la définir, un vocabulaire qui va bien au-delà de la simple attraction. Ainsi, à l’échelle même de l’Auvergne, deux thèses en sciences de gestion ont-elles été rédigées sur le rôle de l’image dans l’attractivité de la région (Martin 2017 ; Zumbo-Lebrument 2017). Cet aspect associé à l’identité dans l’attractivité territoriale, en particulier pour les territoires « périphériques », a été analysé par Alaux et al. (2016). Ceux-ci montrent comment le marketing territorial est vu comme un moyen d’atteindre certains objectifs d’attractivité en améliorant l’image et la notoriété de ces territoires. De son côté, Desmoulins (2020) s’est attachée à montrer le rôle de la réputation des territoires dans les stratégies d’attractivité définies par les gestionnaires territoriaux. Enfin, Houiller-Guilbert a montré, dans un article récent, comment « la part non mesurable de l’attractivité » (2019 : 154) est de plus en plus prise en compte dans les objectifs stratégiques des collectivités territoriales.

Attrait du territoire par la qualité du lieu

Si l’étude de l’attractivité à partir des objets attirés constitue l’aspect le plus abordé par les auteurs, la question de l’attrait du territoire a aussi donné lieu à quelques analyses. La plus originale est sûrement celle de Richard Florida (2002) pour qui l’attrait d’un lieu, pour les entreprises, serait défini par les personnes qui y résident. À partir de son analyse de la classe créative, Florida considère que les membres de cette classe choisiraient de vivre dans des lieux rassemblant des caractéristiques de tolérance, permettant un grand accès aux loisirs ainsi qu’aux activités culturelles. Ils opteraient donc pour un lieu de résidence en se basant sur les modes de vie plutôt que sur l’emploi. En conséquence, les entreprises choisiraient de s’établir là où les individus créatifs décideraient de vivre.

Bien sûr, les auteurs de plusieurs travaux ont insisté sur la difficulté de définir une classe créative, ainsi que sur le manque de données permettant d’établir une relation causale entre sa présence en un lieu et la santé démographique et économique de celui-ci (Hansen et Niedomyls, 2009 ; Storper et Scott, 2009 ; Cabedoche, 2019). Il apparaît notamment que les flux des « créatifs » vont dans le même sens que ceux des « non-créatifs » (Pons, 2016) ou que, comme le montrent Eckert et al. (2012), « en moyenne pour les villes européennes étudiées, plus de la moitié de ces créatifs sont nés dans la ville d’établissement ». Ces écrits abolissent donc l’originalité de la classe créative en matière de migration. Toutefois, si cette notion a été largement débattue et a soulevé de nombreuses controverses, le mérite de Florida est d’avoir relié capital économique, capital social, capital écologique et capital humain, et montré comment cette mise en relation permet d’élargir le spectre de ce qui constitue une ressource territoriale. Bien que formalisé à partir de l’étude de grandes villes, ce constat peut tout aussi bien être utilisé pour étudier l’attractivité des territoires périphériques.

TABLEAU 1

Attraction et attrait : les deux définitions de l’attractivité

Attraction et attrait : les deux définitions de l’attractivité
Source : Chaze, 2017a | Conception : Chaze, Édouard et Mainet, 2020

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A contrario, de façon plus classique, les autres études ayant abordé l’attractivité sous l’angle du territoire ont traité des caractéristiques attirantes formant la qualité d’un lieu. Certains auteurs se sont penchés sur les mesures « douces », subjectives, liées à la concurrence économique – en particulier leur effet sur le développement économique – par exemple, la façon dont ils affectent les décisions de localisation d’entreprises (Zimmermann, 2005). De son côté, Foster (1977) a souligné l’importance des investissements dans l’infrastructure sociale pour les personnes. D’autres, comme Clark et al. (2002), ont mis en avant le rôle des équipements publics et du mode de vie pour attirer le personnel hautement qualifié, et Portney (2003) a lié la croissance économique au niveau de qualité de l’environnement qu’on y trouve.

Ainsi, le discours scientifique a-t-il progressivement évolué de la qualité de l’environnement économique à la qualité des lieux dans un sens beaucoup plus large. Ce changement a renouvelé l’attention pour les caractéristiques sociales d’un lieu : relations sociospatiales locales, interactions entre acteurs, atmosphères, conflits, valeurs, etc. Le territoire n’est alors plus considéré comme une surface passive, mais comme une ressource active du système économique (Coffey et Bailly, 1996) qu’on peut résumer par le concept de capital socioterritorial (Fontan et Klein, 2004). Toutefois, ces travaux sur la qualité d’un lieu restent orientés vers le monde économique. Or, la notion de qualité d’un lieu peut tout aussi bien être appliquée à l’attractivité des résidents, à travers la notion de qualité de vie.

Ce thème de la qualité de la vie a été saisi assez récemment par les géographes, même s’il était déjà présent dans le débat public, et surtout dans les politiques urbaines, dès les années 1960 avec la remise en cause des effets d’une urbanisation trop rapide. Cet intérêt des géographes s’explique en grande partie par l’affirmation de la géographie sociale et la prise en compte accrue, à une échelle spatiale de plus en plus fine − voire à l’échelle de l’individu − des comportements en lien avec les perceptions, l’espace vécu et les représentations. Le débat sur la définition même de la qualité de vie reste ouvert. Les auteurs étatsuniens, qui ont précédé les chercheurs français dans ce domaine, ont souvent insisté sur la difficulté de l’exercice, notamment pour séparer ce qui résulte du bien-être individuel de ce qui est plutôt lié à la qualité de vie d’un point de vue collectif (Andrews et Whitey, 1974 ; Campbell et al., 1976 ; Atkinson, 1980 et 1982). Quoi qu’il en soit, des travaux ont démontré que la qualité de vie pouvait être un élément important dans le processus décisionnel de localisation, tant pour les personnes que pour les entreprises.

Du côté de la recherche française, le consensus disciplinaire n’existe pas non plus, tant sur la définition que sur les méthodes d’analyse et les instruments de mesure. À titre d’illustration de ce débat scientifique, on peut retenir ici le positionnement de trois auteurs francophones qui ont tout particulièrement travaillé sur cette notion de qualité de vie.

Pour Tobelem-Zanin (1995), le concept de qualité de vie se définit à la jonction d’une approche subjective, celle du bien-être, et d’une approche objective, celle des conditions matérielles de vie. Cependant, l’auteur concentre son analyse plus particulièrement sur l’analyse objective des conditions de vie, donc sur le choix de critères objectifs capables de mettre en évidence les disparités spatiales des conditions de vie, centrées principalement sur les caractéristiques du milieu urbain et de l’environnement, ainsi que sur des éléments économiques et des critères sociodémographiques. Il s’agit alors, pour l’auteure, de hiérarchiser les conditions d’existence des urbains français et de mettre en évidence les disparités interurbaines de la qualité de vie. De son côté, Racine (1987) privilégie l’approche subjective en travaillant sur la définition de la qualité de vie à travers la perception et le vécu des habitants. Pour lui, la qualité de vie est d’abord une question de perception des conditions de vie, et non pas de conditions matérielles. Il privilégie donc l’approche par les enquêtes qualitatives auprès des habitants. Bailly privilégie également cette approche subjective en consacrant son travail à l’étude des phénomènes de cognition, de perception et de représentation. Il rapproche, tout en les différenciant, la qualité de vie et le bien-être. Le bien-être est « le résultat d’une relation subjective entre une personne et les valeurs auxquelles elle aspire, valeurs morales, culturelles, politiques, économiques » (Bailly, 1981 : 9).

Plus largement, la notion de qualité de vie dénote, chez ses utilisateurs, l’aspiration à s’écarter d’une évaluation du développement par les niveaux de revenu ou de consommation, en se rapprochant au contraire des notions de durabilité sociale et environnementale (Boulanger, 2004), ainsi que de bien-être (Bourdeau-Lepage et al., 2015). Concrètement, on le constate dans la littérature à travers quatre thèmes : l’intérêt pour le subjectif face à l’objectif, l’attrait pour le social au détriment de l’économique, la question de la nature et l’importance de la mobilité.

Ceci étant, pour certains auteurs comme Harvey (1989) et Crozet et al. (2004), la qualité de vie (the good life, dans leurs mots) reste une notion socialement construite dont les caractéristiques hégémoniques sont dictées par les couches les plus aisées de la société. Ainsi peut-on poser l’hypothèse que les discours sur la qualité de vie font l’objet de représentations hégémoniques. Toutes les conceptions de la qualité de vie n’ont, en effet, pas le même potentiel de circulation dans la sphère publique. Les personnes les plus aisées ont tendance à donner plus d’importance à la nature que les chômeurs (Rogerson, 1999). Ce qui semble certain, selon Wahl et al. (2004), c’est que plus le niveau d’éducation est élevé, meilleure est la perception de la qualité de vie. Celle-ci est également corrélée à la vie en couple (qualité de vie plus élevée chez les personnes vivant en couple que chez les personnes seules) et au chômage (qualité de vie plus élevée chez les personnes ayant un emploi). En outre, les personnes qui signalent des maladies à long terme ou des problèmes de santé ont des résultats significativement inférieurs sur la qualité de vie.

Méthodes d’analyse des dimensions qualitatives de l’attractivité dans un territoire périphérique : le cas de l’Auvergne

Deux protocoles méthodologiques et la région Auvergne avec ses territoires comme terrain de recherche

Deux approches méthodologiques ont été développées dans notre recherche. La première est d’ordre quantitatif, fondée sur l’administration d’un questionnaire directif (questions fermées), administré en ligne avec le fichier Médiapost, auprès d’un échantillon de 20 000 personnes résidant en Auvergne. 2 184 personnes y ont répondu (figure 1). Ce fichier était organisé en cinq grands thèmes : le sentiment d’appartenance à l’Auvergne, la perception de l’image de l’Auvergne, la perception de l’attractivité de l’Auvergne, la perception de la fusion entre les régions Auvergne et Rhône-Alpes (par suite de la fusion administrative effectuée en janvier 2016), et la perception que les nouveaux habitants ont de l’Auvergne. Il s’agissait de comprendre comment les habitants de la région perçoivent l’Auvergne, tant sur le plan de l’attrait, c’est-à-dire de l’image que renvoie la région, que sur celui de l’attraction, à savoir le point de vue des nouveaux habitants (leur motif d’installation dans la région) et, bien sûr, sous l’angle de l’attractivité, combinant les notions d’attrait et d’attraction.

La seconde approche est qualitative et s’appuie sur 42 entretiens réalisés auprès d’un panel diversifié d’acteurs (figure 2 et tableau 2)[2], dans les territoires internes à l’Auvergne choisis au début de la recherche. Notre objectif, dans cette démarche, était de connaître la vision des décideurs sur leur territoire et le concept d’attractivité, par une analyse approfondie de leurs discours. Nous leur avons donc demandé quelle était leur définition de l’attractivité d’un territoire, comment ils percevaient cette l’attractivité (atouts et handicaps) sur leur territoire (local, régional) et comment ils envisageaient l’action visant à renforcer l’attractivité de leur territoire (actions à mener et acteurs pour les mener). Par l’analyse fine des discours (analyse textuelle), nous avons pu dégager les mots-clés définissant l’attractivité selon les « dires d’acteurs ». Cette démarche participative nous a permis de recueillir les opinions et les représentations des acteurs concernant les qualités de leur territoire (attractivité, bien-être, gouvernance).

FIGURE 1

Répartition géographique des répondants au questionnaire directif

Répartition géographique des répondants au questionnaire directif

*: les Communautés de communes (CC) sont l’une des quatre formes de regroupement intercommunal (aussi appelé EPCI), avec les Communautés d’agglomérations (CA), les Communautés urbaines (CU) et les Métropoles.

Source : Enquêtes, 2016 et Entretiens 2017-2018 ; PSDR4 AttractInnov | Conception : Chaze, Édouard et Mainet, 2020

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FIGURE 2

Localisation des terrains d’étude pour les entretiens d’acteurs

Localisation des terrains d’étude pour les entretiens d’acteurs
Source : PSDR4 AttractInnov | Conception : Chaze, Édouard et Mainet, 2020

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Avec une augmentation de sa population de 2,2 % entre 2006 et 2016 (Recensement de la population de l’Institut national des statistiques et études économiques [INSEE]), l’Auvergne ne se présente pas comme la région la plus dynamique du pays, sur le plan démographique. Ce constat nous amène à nous interroger sur son attractivité. L’ex-région Auvergne reste bien souvent un territoire français méconnu ou mal connu, conservant une image plutôt archaïque avec une population vieillissante, une ruralité marquée et la perception d’un faible dynamisme économique. Le déficit d’image est criant et semble assez largement partagé par le grand public français, comme l’avait montré une enquête de l’Institut de sondage IPSOS, en 2012.

Toutefois, depuis quelques années, l’Auvergne est devenue attractive et les enquêtes menées par l’INSEE montrent que ce regain est lié à l’emploi, mais aussi à la qualité de vie (INSEE, 2011). La région attire majoritairement des familles ainsi que bon nombre de personnes actives. Enfin, depuis 2016 et la mise en place du nouveau découpage régional, qui s’est traduit par la création d’une grande région administrative Auvergne-Rhône-Alpes, la question du positionnement de l’Auvergne en termes d’attractivité par rapport à son voisin Rhône alpin se pose avec acuité. Le Rhône alpin constitue l’un des ensembles territoriaux les plus dynamiques du territoire national, démographiquement et économiquement (urbanisation, industrie, tourisme, etc.). La carte de la qualité de vie semble être, sans conteste, un atout pour l’Auvergne et demeure, pour l’instant, celle privilégiée par les acteurs territoriaux auvergnats face au dynamisme urbain et économique du partenaire Rhône alpin.

TABLEAU 2

Répartition des types d’acteurs interrogés

Répartition des types d’acteurs interrogés
Source : PSDR4 AttracInnov | Conception : Chaze, Édouard et Mainet, 2020

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Qualité de vie : principal atout attractif pour les habitants de l’Auvergne

Les réponses issues de l’enquête directive ont montré que les Auvergnats ont, dans l’ensemble, une vision positive de l’image de leur région. Celle-ci s’articule autour d’un atout essentiel qui est sa qualité de vie (80 % des répondants citent la qualité de vie comme le premier facteur d’attractivité de l’Auvergne) et de quelques handicaps relatifs à son accessibilité et à sa faible intégration aux dynamiques économiques métropolitaines. Cela démontre l’intérêt de la prise en compte de la dimension qualité de vie dans la mise en place d’une politique d’attractivité. En effet, ce sont bien les éléments les plus subjectifs, résultant de l’attrait, qui se présentent comme les facteurs d’attractivité les plus souvent cités.

Ce constat général peut être nuancé. Géographiquement, d’abord, puisque le Parc naturel régional des Volcans d’Auvergne, Clermont-Ferrand et le département du Puy-de-Dôme bénéficient des images les plus positives (attrait). En effet, 78 %, 62 % et 57 % des personnes interrogées citent respectivement ces territoires dans les trois qui contribuent le plus à l’image positive de l’Auvergne, et donc à son attractivité. Si la diversité des images que renvoient les territoires confirme l’importance du dynamisme économique dans leur attrait, elle ajoute aussi le rôle du patrimoine paysager et architectural, lié à l’environnement naturel comme aux héritages historiques. Les politiques publiques doivent donc s’en saisir, en particulier dans les territoires périphériques, situés à l’écart des grandes dynamiques économiques liées à la métropolisation et à la mondialisation, notamment.

Ensuite, la typologie des territoires − dont la distinction entre territoires urbains et territoires ruraux − semble également jouer un rôle dans l’intensité de l’attrait. Ainsi, la qualité de vie est-elle plus souvent citée par les habitants des territoires ruraux (52 %) et périurbains (48 %) que par ceux des territoires plus urbains (40 %), et ce, même si Clermont-Ferrand est celui qui contribue le plus à l’image positive de l’Auvergne pour les plus jeunes et, logiquement donc, pour les étudiants.

Enfin, des nuances apparaissent également entre les différentes catégories socioprofessionnelles. C’est bien chez les plus élevées (cadres, professions intermédiaires, chefs d’entreprises) et chez les étudiants que l’appréciation sur l’attractivité de l’Auvergne est la meilleure[3], alors qu’elle semble plus modérée dans les catégories moins favorisées (employés, ouvriers, demandeurs d’emploi)[4]. La catégorie socioprofessionnelle et le niveau d’éducation constituent donc clairement un facteur explicatif de la perception de l’attractivité régionale. On rejoint ici les analyses de Harvey (1989), Rogerson (1999), Crozet et al (2004) et Wahl et al. (2004), mentionnées précédemment.

L’attrait qui résulte de l’image de l’Auvergne se traduit aussi dans l’arrivée de nouvelles populations. Si les arrivants s’installent en Auvergne avant tout pour des raisons ou contraintes liées à la profession ou aux études (52 % des répondants[5]), dès que le choix personnel est mis en avant, la recherche d’une meilleure qualité de vie est avancée, en lien avec l’image positive que renvoie la région. De même, pour le choix du lieu précis de résidence, donc à l’échelle communale (voire infra-communale), les critères de qualité de vie sont aussi nettement privilégiés. C’est également le cas pour justifier une installation dans une commune rurale (pour 28 % des personnes interrogées, la recherche d’une qualité de vie est le premier argument d’installation, contre 8 % seulement pour une installation en ville), alors que la présence de l’emploi redevient le premier motif d’installation, en milieu périurbain : 32 % des personnes interrogées citent des raisons professionnelles, la qualité de vie n’étant plus mentionnée que par 20 % d’entre elles. Ainsi, les nouveaux habitants d’une commune commencent-ils par faire la sélection d’un territoire assez large, situé à une distance considérée comme acceptable par le ménage en termes de coûts (horaires et financiers) par rapport au(x) lieu(s) de travail, selon une logique d’attraction assez captive. Ils affinent ensuite leur choix résidentiel, davantage dans une logique d’attrait du territoire, donc de prise en compte de la qualité de vie qu’il offre à partir des caractéristiques des logements disponibles (prix, taille, etc.) et des aménités recherchées (cadre de vie, gamme de commerces et services). On retrouve, pour l’essentiel, les résultats des travaux sur les modes d’habiter des habitants du périurbain (Dodier et Cailly, 2007).

Le choix final du lieu de résidence résulte en fait d’une combinaison fine de plusieurs paramètres tenant compte des caractéristiques individuelles, familiales et territoriales, et combinant les deux principales dimensions de l’attractivité : l’attraction, qui justifie la mobilité résidentielle par la présence d’un emploi raisonnablement accessible en termes de distance, et l’attrait par la qualité de vie recherchée, où l’enjeu se situe à une échelle plus fine et souvent intraterritoriale, voire à l’échelle d’un bassin d’emploi, par exemple. Il apparaît donc clairement que la dimension privilégiée de l’attractivité répond en grande partie à un jeu d’échelles. Ainsi, l’attraction et l’attrait peuvent-ils justifier des orientations stratégiques différentes, mais complémentaires. Ce constat corrobore également les études ayant déjà mis l’accent sur la nécessaire coopération entre les territoires, en s’appuyant sur leurs complémentarités en termes de ressources et d’attractivité (Torre et Traversac, 2011), dès lors que la réflexion porte sur les politiques publiques de développement régional.

Analyse des approches qualitatives de l’attractivité dans les entretiens semi-directifs

Pour traiter les entretiens, nous avons d’abord effectué un travail de synthèse. En effet, pour faire ressortir les éléments d’attrait territorial mentionnés par les acteurs locaux, nous avons analysé chacun des entretiens, à partir de quoi nous avons réalisé un inventaire des mots-clés (tableau 3). Les mots-clés sont répertoriés et triés en fonction de deux catégories : les atouts et les handicaps exprimés. Il ne s’agit pas de compter le nombre d’occurrences d’un mot-clé à l’intérieur d’un même entretien, mais de compter le nombre de ses occurrences parmi tous les acteurs. Par exemple, le mot-clé « nature » ne sera comptabilisé qu’une fois s’il apparaît dans un entretien, même s’il apparaît plusieurs fois dans ce même entretien. Comme il y a 42 entretiens, le nombre maximum d’occurrences théoriques d’un mot-clé est donc de 42 si le mot est cité dans chacun des entretiens.

Cet inventaire a permis par la suite d’étudier les thématiques employées dans les discours des acteurs et d’en faire une typologie en fonction de différents environnements : l’environnement naturel et paysager, l’environnement social, l’environnement matériel, l’environnement professionnel, l’environnement financier, l’environnement de l’événementiel et l’environnement de l’imaginaire. Cette typologie permet d’évaluer la place que tient chacun des environnements au sein des discours des acteurs et ainsi d’observer plus aisément des distinctions selon des territoires ou des types d’acteurs (tableau 4).

Des nuages de mots ont aussi été réalisés à l’aide du logiciel WordArt (figure 3). Ils ont l’avantage de proposer une bonne lisibilité de la hiérarchie des faiblesses et atouts énoncés par les acteurs. La taille des mots varie en fonction de leur occurrence : plus le mot est cité, plus il prend de la place dans le nuage.

Analyse croisée des données qualitatives des entretiens avec des données quantitatives issues des portraits de territoire de l’INSEE

En calculant un taux de correspondance entre, d’une part, les forces et faiblesses évoquées par les acteurs à travers les mots-clés qu’ils citent pour définir l’attractivité de leur territoire et, d’autre part, celles qu’on peut établir à la lecture des données statistiques contenues dans les portraits de territoire réalisés par l’INSEE, on s’aperçoit qu’il y a une certaine logique de classement en fonction de la typologie des territoires étudiés. À la lecture de la figure 4, on voit clairement que le taux de correspondance pour les atouts diminue selon une logique de gradient urbain-rural. Ainsi, la métropole de Clermont-Ferrand affiche-t-elle le taux de correspondance le plus élevé, alors que les territoires plus ruraux de Thiers et Saint-Eloy-les-Mines enregistrent les taux les moins élevés. Le phénomène s’inverse pour les faiblesses. Ce sont cette fois les territoires les plus urbains qui affichent les taux de correspondance les moins élevés (Clermont-Ferrand, seulement 5 %) et les territoires les plus ruraux qui ont globalement les taux les plus élevés (Saint-Eloy-les-Mines, 60 %). En résumé, les acteurs des territoires urbains évoquent des atouts qui correspondent aux portraits et des faiblesses qui ne correspondent pas, tandis que les acteurs des territoires ruraux évoquent des atouts qui ne correspondent pas aux portraits et des faiblesses qui correspondent.

TABLEAU 3

Inventaire des mots-clés utilisés lors des entretiens semi-directifs

Inventaire des mots-clés utilisés lors des entretiens semi-directifs
Source : PSDR4 AttractInnov | Conception : Chaze, Édouard et Mainet, 2020

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TABLEAU 4

Taux de représentation* (en %) des types d’environnement dans les discours selon les atouts évoqués et en fonction des types d’acteurs

Taux de représentation* (en %) des types d’environnement dans les discours selon les atouts évoqués et en fonction des types d’acteurs

*: Les cases en vert correspondent aux pourcentages les plus élevés de chaque environnement croisé avec les types d’acteurs concernés.

Source : PSDR4 AttractInnov | Conception : Chaze, Édouard et Mainet, 2020

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FIGURE 3

Nuage de mots : synthèse des entretiens sur les atouts (en vert) et faiblesses (en rouge) de l’Auvergne

Nuage de mots : synthèse des entretiens sur les atouts (en vert) et faiblesses (en rouge) de l’Auvergne
Source : wordart.com ; entretiens PSDR4 AttractInnov | Conception : Lacassagne, 2019

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FIGURE 4

Perception du territoire en lien avec sa typologie

Perception du territoire en lien avec sa typologie
Source : PSDR4 AttractInnov | Conception : Lacassagne, 2019

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Dans la mesure où les données des portraits de territoire sont exclusivement d’ordre quantitatif, cela signifie donc que la part des mots-clés qui ne correspond pas aux portraits relève pour l’essentiel du domaine qualitatif. Si on reprend l’hypothèse de corrélation entre le type de territoire et les mots-clés exprimés par les acteurs locaux, cela montre qu’une grande partie des atouts des territoires urbains seraient plus aisément objectivables que leurs faiblesses et que les atouts des territoires ruraux le seraient moins.

En ce qui concerne les territoires intermédiaires, donc périphériques à l’urbain comme au rural (zone jaune sur la figure 4), le taux de correspondance est identique pour les atouts et les faiblesses. Les territoires les plus proches de cette zone sont des villes moyennes, comme Aurillac et Montluçon, ainsi que des territoires périurbains, comme celui d’Yssingeaux par rapport à Saint-Étienne.

Comment peut-on expliquer ces résultats ? Pour les territoires les plus urbains, comme Clermont-Ferrand, si la correspondance est forte, cela signifie que, pour les acteurs, les atouts de leur territoire sont avant tout liés aux nombreux services, commerces et autres équipements que possède en général ce type de territoire, en plus de la présence d’entreprises et d’emplois, qui sont tous des éléments quantifiables. Les faiblesses évoquées sont, au contraire, de l’ordre qualitatif et plutôt liées à des éléments immatériels, par exemple, la qualité du paysage urbain ou les problèmes d’entente politique, qui sont des éléments difficilement quantifiables.

Pour les territoires les plus ruraux, comme Saint-Eloy-Les-Mines ou Thiers, les atouts cités relèvent essentiellement du domaine qualitatif et reposent sur la qualité du cadre de vie, la qualité de vie en général et l’idée d’un territoire à taille humaine. Au contraire, leurs faiblesses concernent le domaine quantitatif, les éléments évoqués étant la faiblesse des équipements, des services et des commerces, ainsi que des problèmes socioéconomiques liés à la pauvreté, au chômage et au vieillissement, entre autres.

Enfin, les territoires intermédiaires, périurbains, comme celui d’Yssingeaux, ont la particularité de présenter les atouts quantitatifs des territoires urbains en termes d’équipements et d’emploi, de même que les atouts qualitatifs d’un cadre naturel de proximité, caractéristiques des territoires ruraux. Il y a donc présence d’un double-jeu attractif qui se ressent à travers cette équivalence entre éléments quantitatifs et qualitatifs exprimés par les acteurs locaux.

Quant aux villes moyennes, comme Montluçon ou Aurillac, elles montrent le même schéma que les territoires périurbains : elles représentent un territoire de transition entre milieu urbain et milieu rural. En effet, une population plus réduite, une extension du bâti plus limitée et une moindre concentration de l’emploi et des services sont autant de facteurs qui participent à la construction d’un imaginaire moins totalement urbain que celui des grandes métropoles. Les acteurs expriment ainsi l’idée d’une ville à taille humaine où il y aurait à la fois la qualité de vie et le cadre naturel d’un territoire rural, et la présence de services et d’équipements d’un territoire urbain. Toutefois, le fait qu’Aurillac soit perçue comme un territoire isolé des autres grandes villes et des principaux flux d’échanges se traduit, à l’analyse des entretiens, par une image plutôt rurale que renvoie ce territoire, même si certains acteurs jugent cette image exagérée dans la mesure où Aurillac est le pôle économique central du département du Cantal. L’isolement et le positionnement géographique périphérique influeraient donc de manière assez importante sur la perception d’un territoire, dès lors associé à un milieu rural, un « trou paumé » si l’on reprend crûment les propos d’un des acteurs interrogés.

Il semble bien y avoir une véritable corrélation entre le type de territoire et le contenu des « dires d’acteurs ». Plus un territoire est rural ou donne l’impression de l’être, plus les atouts mentionnés sont d’ordre qualitatif et inversement pour les territoires urbains. Clairement donc les territoires ruraux et périphériques doivent valoriser des ressources peu lisibles. Il y a donc bien un besoin d’objectivation de l’attractivité qualitative de ces territoires.

Construction d’outils pour les décideurs : indicateurs et tableaux de bord

Place réduite des facteurs qualitatifs dans les indicateurs actuels

Plusieurs indicateurs synthétiques, relatifs à une approche qualitative de l’attractivité territoriale, ont été élaborés par de nombreux chercheurs ou organismes. Cependant, l’attractivité est souvent abordée à travers des notions particulières, comme l’attractivité résidentielle, étudiée par Alexandre et al. (2010), ou encore l’attractivité métropolitaine, analysée pour l’agglomération du Grand Montréal (Olszak, 2010), sans compter la myriade d’indicateurs de développement durable (Braconnier et al., 2011). En outre, la plupart de ces indicateurs ne prennent finalement en compte que des données quantitatives. Néanmoins, quelques-uns tiennent compte d’aspects plus qualitatifs. C’est le cas de l’indice IBEST (indicateurs de bien-être soutenable territorialisé) mis en place par les économistes du CREG[6], à Grenoble (Le Roy et Ottaviani, 2015), ou de l’IBER (indice de bien-être des régions françaises) établi par Braconnier et al. (2011). Ces deux indicateurs s’appuient sur la notion de bien-être, qui peut être rapprochée de celle de qualité de vie. Par contre, les deux n’emploient pas les mêmes critères d’évaluation. L’IBER ne prend en compte que des facteurs quantitatifs, tandis que l’IBEST tient compte aussi de la perception des individus.

L’indice IBEST recense 28 critères regroupés en 8 catégories[7] correspondant chacune à un indice intermédiaire. Parmi les critères, on trouve bien sûr des critères quantitatifs tels que l’indice moyen de qualité de l’air ou le taux d’artificialisation des sols (environnement naturel), mais surtout des informations tirées d’enquêtes sur les pratiques des individus (le tri des déchets, par exemple) ou la perception de leurs conditions de vie (satisfaction à l’égard de ses conditions de travail, degré de confiance dans les institutions, etc.). De fait, une partie des indicateurs utilisés pour construire l’IBEST peuvent être réutilisés dans l’élaboration d’un indicateur portant sur l’attractivité territoriale en fonction de la qualité de vie.

À côté des indicateurs synthétiques, Chevrier et al. (2013) ont constitué un tableau de bord pour évaluer l’attractivité des centres-bourgs de Bretagne. Les critères utilisés sont regroupés en quatre dimensions (ergonomique, médiatique, sociologique et économique) comprenant elles-mêmes plusieurs rubriques. Les indicateurs utilisés sont à la fois objectifs (heures d’ouverture des commerces et services, coût du foncier, etc.) et subjectifs (image renvoyée par le lieu et ambiances sonores, par exemple). Toutefois, en dehors de ces deux exemples, les indicateurs actuels comprennent essentiellement, pour des raisons méthodologiques (lourdeur des enquêtes à réaliser), des données quantitatives issues de fichiers statistiques.

Indicateurs simples, indices composites, tableaux de bord : une analyse des méthodes d’application

Il existe différentes formes d’indicateurs. Musson (2010) distingue ainsi les indicateurs simples, les indicateurs composites et les tableaux de bord. De même, il convient de faire une distinction entre des indicateurs évaluant l’attractivité a priori ou aposteriori. Les indicateurs a posteriori mesurent l’attractivité à travers les résultats engendrés par elle. Il peut s’agir, par exemple, du solde migratoire, ou bien des flux d’investissements directs à l’étranger (IDE) entrants. Les indicateurs a priori, bien plus nombreux, mesurent l’attractivité à travers les éléments constitutifs du territoire qui pourraient exercer un pouvoir attractif et décisif dans le choix d’implantation d’un ménage ou d’une entreprise. Cette dualité a priori / a posteriori rejoint, au final, les notions d’attrait et d’attraction en distinguant, en matière d’attractivité, ce qui relève des caractéristiques du territoire de ce qui relève de l’objet attiré.

Concernant d’abord les indicateurs simples, il s’agit d’un indicateur unique correspondant à celui qui est considéré comme le plus représentatif du concept que l’on mesure. Pour l’attractivité, l’indice de performance de la CNUCED en est un bon exemple. Il ne mesure que les flux d’IDE en considérant qu’il s’agit là de la variable la plus à même de mesurer l’attractivité d’un territoire, à une échelle internationale. Ce type d’indicateur présente l’avantage d’être très facilement lisible, compréhensible et comparable, mais il induit des limites importantes. La principale est que ce type d’indicateur va réduire un concept à une seule variable en ne prenant pas en compte toutes ses dimensions. Pour mesurer un concept aussi multidimensionnel que l’attractivité, un indicateur simple ne convient pas, car il ne permet pas de couvrir entièrement la diversité de ses dimensions.

Les indices composites ou indices synthétiques sont, quant à eux, le résultat de multiples indicateurs imbriqués ne formant alors plus qu’un seul indicateur. Les données des différentes variables sont synthétisées de façon à ce qu’on n’obtienne qu’un seul chiffre final. Pour l’attractivité, on peut citer comme exemple l’indice de compétitivité mondiale de l’International Institute for Management Development (IMD) de Lausanne qui est construit autour de quatre thèmes (infrastructures, performance économique, efficacité des affaires et efficacité du gouvernement). Ce type d’indicateur a l’avantage de pouvoir prendre en compte toutes les dimensions d’un même concept tout en offrant un résultat très lisible, par son unicité. Cependant, le résultat final étant présenté sous forme d’une note globale, il ne permet pas d’analyser les niveaux d’écart entre chaque variable. En d’autres termes, ce type d’indicateur ne permet pas de visualiser en détail les forces et faiblesses du territoire.

Enfin, les tableaux de bord consistent en un ensemble d’indicateurs eux-mêmes compilés dans un tableau. À l’intérieur de ce tableau, les indicateurs peuvent être classés selon différents thèmes, ou non. Pour l’attractivité, il existe, par exemple, le Benchmarking Enterprise Policy, de la Commission européenne, basé sur 41 indicateurs regroupés dans 9 thèmes différents. Ce type d’indicateur procure l’avantage d’aborder un maximum d’aspects de l’attractivité tout en n’émettant pas de jugement de valeur ou de hiérarchie entre les différentes variables. « Méthodologiquement parlant, c’est la formule la moins critiquable, car elle présente les différents aspects de l’attractivité sans leur attribuer de poids respectifs, et ne les fusionne pas de manière à obtenir un seul indice » (Musson, 2010 : 196). Le tableau de bord possède toutefois ses propres limites. À l’inverse des indices composites, il souffre d’une lisibilité qui se complexifie à mesure qu’augmente le nombre de variables le constituant.

En résumé, premièrement il est important d’utiliser à la fois des indicateurs évaluant l’attractivité a priori et des indicateurs l’évaluant a posteriori, afin de prendre en compte toutes les dimensions de l’attractivité territoriale. Dans un second temps, plusieurs travaux ayant mené à la construction d’indicateurs d’attractivité ont apporté des éléments de réponse quant au choix du type d’indicateur (Musson, 2010 ; Rieutort, 2014). Pour remédier aux inconvénients propres à chaque type d’indicateur, une approche complémentaire a été utilisée. Selon Musson (2010), la méthodologie optimale consisterait ainsi en un tableau de bord complété par un indice composite.

Organisation des indicateurs autour de sept types d’environnement de l’attractivité

L’attractivité étant un concept qui regroupe plusieurs dimensions thématiques, nous avons organisé le tableau de bord en reprenant les différents sous-thèmes issus de la typologie des facteurs d’attrait territorial définis à la suite de l’analyse des entretiens. Nous avons ainsi distingué sept types d’environnement. L’environnement foncier et immobilier concerne les facteurs d’attrait liés aux caractéristiques du logement. L’environnement professionnel implique les caractéristiques du territoire en termes d’emploi (créations ou opportunités), de dynamisme économique et de conditions de travail. L’environnement matériel a trait aux infrastructures, équipements, commerces et services présents sur le territoire. L’environnement social a rapport au profil de la population locale, au niveau de sécurité du territoire, ainsi qu’à l’ambiance générale du lieu de résidence. L’environnement naturel et paysager regroupe de multiples facteurs liés à l’environnement du territoire tels que les paysages, la pollution, le climat ou encore la présence de risques naturels ou technologiques. L’environnement de l’imaginaire constitue aussi un des piliers de l’attractivité territoriale. Il prend en compte uniquement des données qualitatives autour des questions d’identité, d’image et de rayonnement territorial. Enfin, l’environnement de l’événementiel est également une dimension constitutive de l’attractivité territoriale, dans la mesure où les événements concourent à la construction de l’image de marque d’un territoire et à son rayonnement. Tous ces facteurs d’attractivité participent aux choix d’implantation des acteurs cibles (population, entreprises). Concernant les indicateurs retenus, nous avons voulu aborder toutes les dimensions de l’attractivité territoriale. Le but est de ne laisser de côté aucun volet constitutif de l’attractivité, afin d’avoir l’appréhension la plus conforme possible au concept global d’attractivité.

Ces tableaux de bord permettent ainsi la mesure de chacun des sept types d’environnement indépendamment des autres. Chaque tableau de bord possède en effet son propre indice composite permettant d’obtenir un résultat de 0 à 1, où 1 représente le meilleur niveau d’attractivité territoriale. Une fois les sept tableaux imbriqués, nous pouvons faire la moyenne de ces sept indices composites afin d’obtenir un autre résultat de 0 à 1 correspondant à notre indice composite final et abordant ainsi tous les volets de l’attractivité.

En résumé et comme la figure 5 le synthétise, le tableau de bord est donc construit sur la base de multiples indicateurs répartis dans différents sous-thèmes (exemple pour l’environnement matériel : culture, sport, transport). Chacun des sous-thèmes est associé à un résultat de 0 à 1 correspondant à la moyenne des scores des indicateurs qui le composent. Ensuite, chaque environnement est associé à un résultat de 0 à 1 correspondant à la moyenne des scores des sous-thèmes qui le composent. Finalement, on obtient un résultat final de 0 à 1 correspondant à la moyenne des scores des environnements. Cette méthode de hiérarchie thématique a pour intérêt de limiter l’influence de certains indicateurs par rapport à d’autres qui pourraient alors biaiser le résultat final en favorisant certains types de territoire plutôt que d’autres. Ici, chaque environnement influe de la même façon sur le résultat final.

Néanmoins, si ce format de tableau de bord associé à un indice composite permet bel et bien d’évaluer le niveau d’attractivité d’un territoire, il ne permet cependant pas de déterminer les atouts et les faiblesses du territoire de façon efficace. Or, c’est essentiel pour un territoire qu’on connaisse ses atouts et faiblesses avant d’élaborer des stratégies d’attractivité territoriale, notamment. Pour pallier ce problème de lisibilité, une représentation graphique accompagnant le tableau de bord peut convenir.

En prenant comme exemple le graphique en toile d’araignée utilisé par Ricbourg et Fernandez (2018) dans leurs travaux sur l’attractivité et en l’adaptant à notre tableau de bord, on peut représenter les caractéristiques attractives d’un territoire en fonction des résultats des indices composites de chaque environnement. Comme le montre la figure 6, on peut voir d’un seul coup d’oeil les points forts et points faibles du territoire en termes d’attractivité à travers le polygone bleu construit à partir des indices composites de chaque environnement.

FIGURE 5

Méthodologie hiérarchique du tableau de bord

Méthodologie hiérarchique du tableau de bord
Source : PSDR4 AttractInnov | Conception : Lacassagne, 2019

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FIGURE 6

Exemple de représentation des forces et des faiblesses attractives d’un territoire

Exemple de représentation des forces et des faiblesses attractives d’un territoire
Source : PSDR4 AttractInnov | Conception : Lacassagne, 2019

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Conclusion

L’analyse de l’attractivité des territoires a longtemps privilégié une approche par l’objet attiré (différents types de population, différents types d’activités). Les politiques qui en découlaient présentaient donc une dimension économique et démographique forte, et semblaient négliger les questions liées à la qualité de vie et aux représentations sociales des territoires. Or, on l’a vu, ce sont des aspects essentiels pour l’attractivité des territoires, notamment périphériques, souvent insuffisamment pris en compte par les décideurs ou, en tout cas, de manière ambiguë, voire contradictoire et difficilement objectivable en raison de l’absence d’indicateurs de mesure. Il est pourtant indispensable de mieux différencier, dans la définition des stratégies d’attractivité et dans les ressources territoriales à valoriser, ce qui résulte de l’attrait de ce qui résulte de l’attraction. Une approche plus qualitative de l’attractivité, privilégiant donc la dimension de l’attrait, doit permettre aux territoires périphériques de s’inscrire dans des stratégies de différenciation des ressources valorisées par rapport aux territoires plus centraux (métropoles), et même entre eux.