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Introduction

Le 30 octobre 2019, l’Assemblée nationale du Québec adoptait une motion reconnaissant la situation particulière de l’Outaouais :

Que l’Assemblée nationale reconnaisse l’Outaouais comme une région administrative avec des particularités importantes ;

Qu’elle souligne que ces particularités amènent des défis importants, compte tenu, notamment, de sa situation frontalière avec Ottawa ;

Qu’elle reconnaisse que la région de l’Outaouais a accumulé un retard important ces dernières années quant au financement public en santé, en éducation et en culture ;

Qu’elle rappelle que cette situation a eu son lot de conséquences sur le développement économique de la région et sur sa capacité à se doter d’institutions propres dans plusieurs champs de compétences du Québec ;

Qu’enfin, elle souligne l’importance de soutenir la région de l’Outaouais en considérant notamment ces particularités importantes 

Assemblée nationale du Québec, 2019 : 1314

Dans cette prise de position, l’Assemblée nationale insiste sur les « particularités importantes de la région de l’Outaouais », particularités dont on présume qu’elles constituent autant de facteurs explicatifs du déficit en matière de financement public et en infrastructures en tout genre. Dans les pages qui suivent, nous proposons d’expliquer la raison d’être de cette situation particulière, en adoptant une lecture territoriale de la situation régionale (figure 1). Nous montrerons que la région de l’Outaouais n’est ni une région périphérique au sens traditionnel du terme (Dugas, 1983 ; Polèse et Shearmur, 2002), ni tout à fait une région métropolitaine stricto sensu (Manzagol, 2009). C’est donc un caractère hybride qui caractérise sa position géographique, à la fois éloignée des grands centres provinciaux du Québec et riveraine de la capitale fédérale, Ottawa. Dit autrement, les « particularités importantes » de la région découlent de son caractère hybride.

Plusieurs travaux ont déjà montré la nature exceptionnelle de la région métropolitaine d’Ottawa-Gatineau qui, bien que répondant aux définitions convenues de la métropolisation, se situe à cheval sur une frontière interprovinciale, dont les effets institutionnels importants ont déjà été cernés (Mévellec et al., 2018). Elle est ainsi marquée par un contexte institutionnel aux effets puissants (Roy-Baillargeon et Gauthier, 2012 ; Gilbert et al., 2014). D’autres travaux ont plutôt porté sur la région de l’Outaouais dans une logique de région ressource. C’est notamment le cas des analyses réunies dans Chiasson et Leclerc (2013) sur « l’Outaouais forestier », c’est-à-dire les trois municipalités régionales de comté (MRC) où la forêt continue d’occuper une place centrale dans l’économie.

La motion de l’Assemblée nationale nous invite à dépasser ces travaux, orientés soit sur la portion urbaine/métropolitaine de l’Outaouais, soit sur sa composante plutôt rurale. Elle constitue également une occasion de participer à la discussion sur la nécessaire réactualisation du modèle centre-périphérie qui a longtemps servi de base plus ou moins explicite aux recherches et politiques en développement régional. En réponse à l’appel à contributions lancé par le Centre de recherche en développement territorial (CRDT) sur le thème Périphéries du XXIe siècle, nous allons montrer que les revendications régionales de l’Outaouais nécessitent de revoir et de concilier les notions de centre, de périphérie et de métropole pour saisir la complexité des dynamiques régionales. Sur le plan méthodologique, nous avons analysé deux corpus documentaires. Le premier est composé d’une série de portraits territoriaux des MRC de la région, réalisés en 2020 par l’Observatoire du développement de l’Outaouais (ODO), lesquels s’appuient notamment sur des données provenant de l’Institut de la statistique du Québec (Ladouceur, 2018 ; ISQ, 2019 a et b). Le second est constitué des documents ayant ponctué l’histoire des revendications régionales depuis les années 1970[1]. L’analyse fait apparaître les acteurs, les diagnostics, les solutions et les argumentaires mis de l’avant au fil des demandes pour un statut régional particulier.

Dans les lignes qui suivent, nous allons d’abord revenir sur la manière dont les auteurs des études du territoire ont réfléchi aux dynamiques centre-périphérie. Les caractérisations des territoires proposées tant dans la littérature que dans les politiques publiques nous amèneront ensuite à analyser la situation hybride de l’Outaouais, qui est à la fois une région dite intermédiaire et une région sous influence métropolitaine. Ce double statut permet de clarifier les clivages internes et d’expliquer les difficultés pour les acteurs régionaux de parler d’une seule voix. Finalement, nous montrerons que les revendications de l’Outaouais ont doublement évolué depuis les années 1970, en embrassant une logique plus régionale qu’urbaine et plus territoriale que sectorielle, clairement illustrée par les revendications du Front régional Outaouais (FRO) (Ville de Gatineau et al., 2019).

FIGURE 1

Région administrative de l’Outaouais

Région administrative de l’Outaouais

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Régions périphériques, régions intermédiaires et régions métropolitaines

Dans cette première section, nous proposons de revenir sur le modèle centre-périphérie présent dans la littérature (Polèse et Shearmur, 2002 ; Joanis et al., 2004) comme dans les politiques publiques portant sur le phénomène régional. Cette grille de lecture doit toutefois aussi tenir compte des phénomènes liés à la métropolisation (Gaschet et Lacour, 2002 ; Lévy, 2003 ; Bassand, 2007 ; Manzagol, 2009).

Études régionales et le modèle centre-périphérie

L’analyse des territoires a longtemps privilégié une lecture concentrique où les territoires sont qualifiés à partir de leur position par rapport à un centre (économique, géographique, culturel ou politique). Le modèle de développement centre-périphérie puise ses origines dans les travaux destinés à mieux faire comprendre les conséquences de la révolution industrielle, ainsi que les processus d’industrialisation et d’urbanisation :

The core/periphery model is an abstract theory devised and refined by scholars that explains how the world economic system evolved into abstract spatial units. […] In the most simplistic terms, industrialization takes place in a few favored areas known as cores. As this industrial core expands, so does their need for materials, energy, and foodstuffs, so they form colonies (peripheries) that serve as a source of raw materials and a market for surplus manufactured goods. In this way, the world is divided into two interrelated functional units: industrial cores and resource peripheries. In theory, the core controls the direction and rate of development of its periphery

Bone, 2008 :15

Pionnier des sciences régionales et des théories de la planification, John Friedmann élabore, au milieu des années 1960, un modèle de développement centre-périphérie (Friedmann et Miller, 1965). En appliquant ce modèle au contexte canadien, Bone (2008) distingue une région centrale (Ontario et Québec) et trois catégories de régions périphériques : région en transition ascendante (Colombie-Britannique et Ouest canadien) ; région en transition descendante (Atlantique) ; région de ressources (Territoires du Nord). C’est donc une vision dynamique des trajectoires des régions que cette typologie propose.

De nos jours, ce modèle centre-périphérie fait toutefois largement référence à une dualité entre les territoires qui sont au centre et qui « gagnent » et ceux qui sont en périphérie et qui « perdent » (Benko et Lipietz, 1992 ; Côté et al., 1995 ; Lévy, 2003). Selon cette lecture plutôt statique, les centres et les périphéries possèdent des caractéristiques propres qui dépassent les aspects géographiques et économiques et incluent des dimensions culturelles et politiques (tableau 1). Or, dans son modèle initial, Friedmann envisageait la possibilité que certains territoires obéissent à une logique différente lorsque la ville et la périphérie rurale ne s’opposent pas, mais développent une communauté d’intérêts partagés (Bourdeau-Lepage et al., 2011 : 208). La vision dichotomique généralement retenue correspond en réalité à une certaine bifurcation du modèle.

TABLEAU 1

Principales caractéristiques des centres et des périphéries

Principales caractéristiques des centres et des périphéries
Source : Bone, 2008 : 17 | Conception : Gauthier, Chiasson et Mévellec, 2020

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Le modèle centre-périphérie a largement dépassé le domaine de la recherche géographique et spatiale (Polèse et al., 2015) en alimentant de nombreuses politiques publiques de développement régional, au Québec comme ailleurs (Dumont, 2017).

Politiques de développement régional au Québec

L’histoire de l’action gouvernementale québécoise en direction des régions et territoires est connue (Bérubé et Savard, 2017 ; Proulx, 2019 ; Proulx et Prémont, 2019). Après la Seconde Guerre mondiale, l’État providence s’accompagne de politiques et programmes qui visent à développer l’économie des régions et à améliorer le bien-être de la population dans les régions à faible croissance (Jean, 1998). Durant les Trente Glorieuses, les politiques régionales s’inscrivent dans le paradigme keynésien et sont fondées sur le postulat que le problème régional est causé par une répartition inégale de la croissance économique dans l’espace national (Polèse et Shearmur, 2003). Autrement dit, le marché crée des centres et des périphéries dans l’espace économique national. Il revient alors à l’État, par l’entremise de politiques ciblant les périphéries et leur développement, de corriger ces inégalités. La science régionale, de sa fondation dans les années 1950 jusqu’aux années 1980, entretient une grande proximité avec les politiques de développement régional (Polèse, 1999) en postulant l’existence de régions périphériques qui n’arrivent pas à se développer par leurs propres moyens et nécessitent des interventions externes.

TABLEAU 2

Regroupement des régions administratives du Québec en grandes zones

Regroupement des régions administratives du Québec en grandes zones
Source : Dupuis et al., 2020a : 3 | Conception Gauthier, Chiasson et Mévellec, 2020

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Pour appuyer ses politiques de développement régional, le gouvernement du Québec a initialement créé 10 régions administratives, en 1970. Aujourd’hui au nombre de 17, ces régions permettent à l’État de territorialiser un certain nombre de ses politiques tout en assurant une présence déconcentrée de plusieurs de ses ministères dans l’ensemble du territoire. À l’instar de ce qu’ont fait Dupuis et al. (2020a), il est possible de regrouper ces régions administratives en trois principales catégories selon leurs caractéristiques géographiques, démographiques et économiques : les régions métropolitaines, les régions intermédiaires et les régions périphériques (tableau 2).

Même si l’Outaouais est ici classé dans la catégorie des régions intermédiaires, nous montrerons que, lorsqu’on observe ses caractéristiques et dynamiques internes, cette région partage aussi certains traits distinctifs avec les régions périphériques et métropolitaines.

Logiques centre-périphérie en contexte métropolitain

Le modèle centre-périphérie ne doit pas masquer d’autres processus infrarégionaux déjà bien documentés, dont celui de la métropolisation (Gaschet et Lacour, 2002 ; Lévy, 2003 ; Bassand, 2007 ; Manzagol, 2009). Ce dernier implique deux phénomènes connexes, à savoir la construction d’une armature métropolitaine mondiale et la transformation des espaces urbains en lien avec une suburbanisation aux effets tant spatiaux qu’économiques et sociaux (Bassand, 2007). Au sujet de la métropolisation, retenons ici les dynamiques, toujours en cours, d’étalement, de fragmentation et de recomposition qu’elle entraîne dans son sillage. L’offre de transport, ainsi que la généralisation des nouvelles technologies de l’information et des communications favorisent l’émergence de zones urbaines de plus en plus vastes territorialement.

Toutefois, comme le rappelle Ascher (2003), cette urbanisation n’est pas uniforme, mais marquée par des densités variables selon les zones, des ruptures et un certain mitage de ces espaces métropolitains. Loin d’obéir aux traditionnelles forces radioconcentriques, la métropolisation entraîne ainsi l’apparition de nouvelles morphologies urbaines et rurales. On s’éloigne donc de plus en plus d’une vison monocentrique urbaine alors que les lignes de partage entre le « centre » et la « périphérie » deviennent plus difficiles à tracer. Dit autrement, dans le contexte de la métropolisation, on doit revoir la notion de centralité, afin de s’éloigner d’une définition se rapportant à l’espace géographique (un centre physique) pour se rapprocher de l’idée d’un « espace de flux » (Gaschet et Lacour, 2002 : 53). La métropolisation invite donc à une lecture moins polarisée (ou binaire) des territoires, pour mettre au contraire l’accent sur les interdépendances entre les sites de l’archipel urbain (Veltz, 2014) et les dynamiques rurbaines (Bassand, 2007).

Bien que la grille de lecture axée sur les espaces métropolitains et celle centrée sur les régions périphériques se soient largement ignorées au cours des dernières décennies, elles s’avèrent complémentaires pour saisir les dynamiques des territoires contemporains. Les phénomènes de construction réticulaire d’espaces métropolitains peuvent cohabiter et interagir avec les tendances habituellement associées aux régions périphériques, dans la littérature. Du moins, nous soutenons ici qu’un regard croisant les deux grilles est nécessaire pour bien saisir les dynamiques de développement atypique de la région de l’Outaouais. Dans les prochaines sections, nous éclairons le cas de l’Outaouais à partir d’un tel regard croisé.

L’Outaouais : une région intermédiaire sous influence métropolitaine

La région de l’Outaouais cumule plusieurs spécificités qui rendent difficile sa classification. Sa position frontalière avec la province de l’Ontario et, surtout, son insertion dans la région de la capitale nationale (RCN) du Canada (la région métropolitaine d’Ottawa-Gatineau) la distinguent nettement des autres régions québécoises (Mévellec et al., 2018). Nous présentons ici sa double nature : intermédiaire à l’échelle du Québec, et métropolitaine en lien avec la présence d’Ottawa.

Une région a priori intermédiaire

L’histoire de la région de l’Outaouais est fortement liée à sa vocation forestière. Pendant plus d’un siècle, l’industrie du bois a servi de lien entre les parties centrales (urbaines), où se trouvaient les principales usines de transformation, et les parties périphériques, où se concentrait la récolte. Cependant, à compter des années 1970, le secteur manufacturier forestier s’est essoufflé. Ce ralentissement a coïncidé avec la volonté du gouvernement fédéral d’assurer une plus grande présence des édifices fédéraux du côté québécois de la rivière des Outaouais (Andrew, 1994). Les activités liées à la fonction publique fédérale ont ainsi pris la place du secteur forestier comme moteur de l’emploi pour les parties urbaines de la région, favorisant la tertiarisation de l’économie régionale (Beaucage, 1994). Cette conversion économique, du secteur manufacturier vers celui des services, incite aujourd’hui encore à s’interroger sur les liens qui unissent les milieux urbains centraux et les périphéries de la région.

L’économie régionale, qui cherche à classer les régions du Québec selon certaines variables socioéconomiques (Polèse et Shearmur, 2002 ; Dupuis et al., 2020a), est utile ici. Pour certains de ces classements, l’Outaouais fait partie des « régions intermédiaires » à mi-chemin entre, d’une part, les régions métropolitaines (ou centrales) comme Montréal et, d’autre part, les régions périphériques (ou régions-ressources) que sont l’Abitibi-Témiscamingue ou la Côte-Nord (Dupuis et al., 2020a). Certains utilisent le terme « régions des capitales » suggérant que les activités économiques découlant de la fonction publique sont déterminantes pour l’économie régionale de l’Outaouais (Dupuis et al., 2020b). Les données présentées pour l’ensemble de la région confirment cette interprétation d’une région avec une économie plutôt dynamique, mais différente de celles des « régions urbaines » (Montréal, Laval, Laurentides, Montérégie), parce que rythmée par le secteur public plutôt que par le secteur privé.

Cette lecture de l’Outaouais comme région intermédiaire est pourtant remise en question dans d’autres travaux. Certains chercheurs ont souligné que les statistiques régionales avaient tendance à camoufler un important fossé entre les territoires centraux et périphériques de la région, notamment en matière « d’attractivité » (Chiasson, 2005). Ainsi, d’importantes différences se dégagent entre, d’un côté, la Ville de Gatineau (noyau urbain) et la MRC des Collines-de-l’Outaouais (périurbain) très attractives du fait d’une économie tertiaire (fonction publique) et, de l’autre côté, les trois MRC (Vallée-de-la-Gatineau, Pontiac et Papineau) qui peinent à attirer des populations et des activités économiques en raison de leur dépendance continue à l’égard d’une économie primaire (forestière) en restructuration. Ce constat est étayé dans un ouvrage au titre évocateur : L’Outaouais une région qui gagne et qui perd. Enjeux démographiques et économiques. Les auteurs y mettent de l’avant les disparités intrarégionales (Doucet et al., 2007) en documentant les trajectoires contrastées entre les MRC rurales et périphériques (Pontiac, Vallée-de-la-Gatineau, Papineau) et le noyau urbain (Gatineau) et périurbain (MRC des Collines-de-l’Outaouais). Ainsi, un regard à l’échelle des MRC permet de faire apparaître les écarts entre le centre et la périphérie, occultés par les analyses à l’échelle régionale. Il ne s’agit pas tant de signaler des liens où le centre commande le développement de la périphérie, que de mettre de l’avant un découplage (Gaschet et Lacour, 2002) entre les trajectoires des territoires centraux et ceux de la périphérie.

Cette dernière lecture s’avère assez juste, même si on y a tendance à négliger ce que nous qualifierons d’influence métropolitaine pour cette région. Dans les prochaines sections, nous proposons justement un portrait des territoires de la région tenant compte des influences exercées par le contexte métropolitain.

Gatineau et MRC des Collines-de-l’Outaouais : sous influence métropolitain directe

La Ville de Gatineau est située le long de la rivière des Outaouais, en face d’Ottawa. Comme la MRC des Collines-de-l’Outaouais, elle fait partie de la RCN du Canada. Gatineau accueille également l’essentiel des bureaux du gouvernement fédéral situés du côté québécois de la RCN. Depuis les années 1970, la présence fédérale à Gatineau, tout comme à Ottawa, joue un rôle-clé dans l’économie locale et favorise l’insertion de la ville dans une région métropolitaine transfrontalière. Cette insertion se traduit par un dynamisme économique et démographique qui ne se dément pas.

D’un point de vue démographique, Gatineau réunit 283 678 habitants, soit 72,3 % de la population totale de la région. Le taux d’accroissement annuel moyen pour la période 2016-2018 est de 7,8 pour 1 000. Il est partiellement alimenté par l’accroissement naturel, mais surtout par des soldes migratoires positifs, autant à l’échelle régionale qu’internationale. Gatineau accueille ainsi 97 % de tous les immigrants admis entre 2007 et 2016 qui se sont installés en Outaouais (soit 11 596 personnes). Attirée par la fonction publique fédérale, la population de Gatineau est plutôt jeune (âge moyen de 39,8 ans) et fortement scolarisée (33 % de la population détient un diplôme universitaire).

Cette démographie va de pair avec une économie dynamique où les activités de la fonction publique fédérale jouent un rôle important. L’économie de Gatineau est clairement tertiaire, employant plus de 89 % des travailleurs. À elle seule, la fonction publique fédérale fournit 24 % des emplois, alors que les activités manufacturières et agroforestières ne représentent plus aujourd’hui que 4 % des emplois. Ce profil économique s’est généralement traduit par des taux de chômage assez bas et des revenus assez élevés, même s’il existe des différences importantes de revenus selon les secteurs de la ville de Gatineau.

La dynamique métropolitaine se manifeste également par la migration pendulaire des travailleurs. En 2016, plus de 35 % (ou 45 130) des travailleurs de Gatineau font du navettage transfrontalier vers Ottawa. Dans l’autre sens, plus de 18 % de ceux qui travaillent à Gatineau proviennent de l’Ontario.

Les tendances observées à Gatineau se retrouvent également sur le territoire de la MRC des Collines-de-l’Outaouais, où certains indicateurs sont encore plus marquants. Ainsi, du point de vue démographique, le taux d’accroissement annuel moyen (2016-2018) y est de 11,1 pour 1 000, soit le plus élevé de la région. À l’instar de celle de Gatineau, la population de cette MRC est plutôt jeune (en moyenne 39,9 ans) et 30 % de ses habitants sont fortement scolarisés.

Au plan économique, les indicateurs témoignent également de la position favorable de la MRC des Collines-de-l’Outaouais. Les revenus des salariés y sont très élevés. Le revenu d’emploi moyen en 2018 est de 65 553 $, plaçant cette MRC parmi celles qui présentent les revenus les plus élevés. L’indice de vitalité économique (IVE) de 14,3 est le cinquième plus élevé parmi les MRC de l’ensemble du Québec.

Il faut toutefois souligner que les revenus d’emploi très élevés et la vitalité économique n’émanent pas du dynamisme du marché du travail local. En 2016, 75 % des travailleurs exercent un emploi à l’extérieur de leur MRC, principalement à Gatineau (44,4 %) et dans le reste de la RCN (30,4 %). La trajectoire socioéconomique de la MRC des Collines-de-l’Outaouais est manifestement très liée à la dynamique métropolitaine et aux espaces centraux que sont Ottawa et Gatineau. En outre, la vitalité économique de cette MRC n’est pas uniformément répartie sur le territoire. Si certaines municipalités proches de Gatineau ont un IVE entre 10 et 15 (Chelsea, L’Ange-Gardien) et même au-dessus de 15 (Cantley et Val-des-Monts), celle de Notre-Dame-de-la-Salette, plus éloignée de Gatineau, a un IVE de -7,25, ce qui la place clairement parmi les municipalités dévitalisées de la région.

Ainsi, si l’influence métropolitaine est manifeste dans le cas des localités de la MRC des Collines-de-l’Outaouais situées près du coeur métropolitain, cette influence devient moins évidente lorsqu’on s’éloigne de Gatineau. Dans la partie la plus excentrée de la municipalité de La Pêche, et à plus forte raison à Notre-Dame-de-la-Salette, la population se fait plus vieillissante, la croissance de la population diminue ou stagne et les revenus de travail sont moins élevés qu’aux endroits situés plus près d’Ottawa-Gatineau.

MRC à la périphérie sous influence métropolitaine diffuse

Les trois autres MRC de la région – Papineau, La Vallée-de-la-Gatineau et Pontiac – partagent une économie où l’exploitation des ressources naturelles continue d’être importante. Leur dépendance à l’égard d’une économie de ressources, principalement forestière, mine leur attractivité démographique et économique.

La MRC Papineau est la seule qui a maintenu un taux d’accroissement annuel positif pour la période 2016-2018, alors que La Vallée-de-la-Gatineau et Pontiac ont subi une certaine décroissance de leur population. La population de ces MRC est vieillissante. La moyenne d’âge est de 47 ans approximativement, soit 8 ans de plus qu’à Gatineau et dans la MRC des Collines-de-l’Outaouais. Finalement, le taux de scolarisation est également moindre : moins de 15 % des résidents détiennent un diplôme universitaire, ce qui correspond à moins de la moitié de la moyenne régionale, qui est de 30 %. À l’opposé, le quart des gens (25 %) de ces trois MRC n’ont pas de diplôme du secondaire.

Ces MRC partagent également les mêmes tendances économiques qui les éloignent de celles observées à Gatineau ou dans Les Collines-de-l’Outaouais. Les données présentées dans le tableau 3 confirment l’important fossé entre la réalité économique de ces territoires et celle des territoires urbains et périurbains.

TABLEAU 3

Tendances économiques des trois MRC périphériques

Tendances économiques des trois MRC périphériques
Source : ODO, 2020 | Conception : Gauthier, Chiasson et Mévellec, 2020

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On peut tout de même constater que la situation de la MRC Papineau est plus favorable que celles de Pontiac et de La Vallée-de-la-Gatineau. Le taux de chômage y est significativement plus bas (8 %) et l’IVE (-4,44) y est moins préoccupant que ceux des deux autres MRC.

Ces différences deviennent plus visibles lorsqu’on s’intéresse à l’échelle municipale. Sept municipalités (Lochaber, Lochaber-Partie-Ouest, Mayo, Plaisance, Ripon et Saint-Sixte) ont des IVE positifs. À titre comparatif, aucune des 18 municipalités du Pontiac n’a un IVE positif et seulement 2 petites municipalités du nord de La Vallée-de-la-Gatineau ont des IVE au-dessus de la barre du 0. Dans le cas de la MRC de Papineau, ces données semblent en partie découler du fait que les municipalités qui la composent se situent à proximité du coeur métropolitain d’Ottawa-Gatineau. Deux de ces municipalités (Mayo et Lochaber-Partie-Ouest), qui sont limitrophes de Gatineau, ont un IVE au-dessus de dix. Cet indice très positif s’explique en partie par l’apport de populations qui résident dans ces localités du fait d’un cadre de vie attrayant, tout en travaillant à Gatineau. Ces municipalités forment ainsi des lieux de débordement de la métropole en périphérie, c’est-à-dire des lieux où l’influence métropolitaine est visible, si l’on porte attention aux différences entre les localités de la MRC.

L’influence métropolitaine en Outaouais se manifeste aussi, bien que de manière moins visible, dans d’autres lieux des MRC périphériques. La Vallée-de-la-Gatineau, Pontiac, et Papineau accueillent beaucoup de villégiature et de résidences secondaires de personnes provenant de Gatineau ou d’Ottawa. L’incidence de cette population temporaire ou intermittente est occultée dans les portraits statistiques habituels, qui comptabilisent plutôt les résidences principales. En outre, à notre connaissance, il n’existe pas non plus d’études sur la contribution, négative ou positive, de ces populations au développement local des MRC périphériques. Quoi qu’il en soit, on peut penser que leur présence n’est pas sans incidence sur la trajectoire de développement de ces territoires, qui constituent des enclaves et des lieux d’influence métropolitaine.

Un portrait en détail de l’Outaouais montre ainsi la complexité qui caractérise le territoire, dans ses dynamiques internes. Cette position à la fois périphérique et intermédiaire n’est pas que statistique. Elle se retrouve également au coeur des revendications politiques portées depuis les années 1970 par différentes coalitions d’acteurs régionaux.

L’Outaouais, à la recherche d’un statut particulier

La reconnaissance, en 2019, de la situation particulière de l’Outaouais par l’Assemblée nationale doit être vue comme l’aboutissement d’une série de revendications portées par de nombreux acteurs régionaux. L’analyse de ces mouvements permet de constater deux tendances parallèles. Premièrement, les revendications ont d’abord été portées par les élites urbaines afin que l’ancienne ville de Hull puisse tirer profit des externalités de la présence du gouvernement fédéral à Ottawa. À ce volet urbain se sont toutefois ajoutées des revendications plus régionales grâce à l’institution de la Communauté régionale de l’Outaouais (CRO) puis de l’échelon régional (Conseil régional de développement de l’Outaouais [CRDO]). Deuxièmement, les revendications régionales ont d’abord été faites dans une logique sectorielle, notamment en éducation et en santé, avant d’être insérées dans une démarche beaucoup plus territoriale, que le FRO a portée à Québec.

Des revendications métropolitaines puis régionales

L’élément le plus marquant des 50 dernières années pour la région de l’Outaouais est certainement la décision du premier ministre Pierre Elliott Trudeau lorsqu’il engage, en 1969, le gouvernement fédéral à assurer sa présence du côté québécois de la rivière des Outaouais (Andrew, 1994). Cette décision est guidée par trois principaux objectifs, le premier étant d’assurer le rôle symbolique de la capitale (unité nationale, dualité linguistique sur les deux rives), le second étant la volonté de diminuer les inégalités sociales et économiques entre les deux rives et le troisième visant le renforcement d’un noyau urbain dynamique pour la région. La cible annoncée est de localiser 25 % des emplois fédéraux du côté québécois de la rivière. Cette politique fédérale a eu un impact important sur le visage de Hull, où elle a entraîné l’expropriation d’un quartier populaire afin de pouvoir faire construire les tours qui allaient abriter les fonctionnaires relocalisés (idem).

Malgré ces effets collatéraux, le poids de la fonction publique fédérale dans l’emploi régional n’a cessé d’augmenter, structurant l’économie régionale dans son ensemble. Cette nouvelle dépendance économique, cette fois-ci à l’endroit de l’employeur fédéral, ne satisfait toutefois pas tout le monde. C’est pourquoi on repère, depuis les années 1970, des propositions de diversification de l’économie pour développer d’autres créneaux économiques, ainsi que d’autres parties du territoire régional. C’est notamment le mandat de la Société d’aménagement de l’Outaouais (SAO) (créée le 1er janvier 1970), qui est « de développer la région en mettant sur pied des programmes d’équipement et de promotion dans les domaines industriel, commercial, touristique et récréatif » (Andrew, 1994 : 484 ; CRO, 1976). Dans un rapport de 1977, la SAO dénonce explicitement le déficit des interventions gouvernementales provinciales et fédérales en Outaouais. Elle fait le quadruple constat suivant : l’Outaouais se situe dans une dépendance économique excessive à l’égard de l’emploi fédéral ; l’arrière-pays n’a jamais reçu le statut de région ressource lui permettant d’assurer son développement agricole et forestier ; le soutien gouvernemental est absent dans le secteur manufacturier et industriel, et aucun plan autoroutier n’est prévu ; les externalités économiques de la présence de la fonction publique se retrouvent principalement du côté ontarien (SAO, 1977).

En 1983, dans le cadre de la consultation organisée par la Commission d’étude sur l’Outaouais, le CRDO soumet un mémoire intitulé Le choix de l’Outaouais (CRDO, 1983). On peut y lire des éléments de constats similaires (dépendance à l’égard de l’emploi fédéral et de l’Est ontarien en général, faiblesse des autres secteurs économiques et perte de vitalité des zones rurales), mais qui mènent ici à une certaine exaspération face à des réponses du gouvernement québécois jugées insuffisantes :

[I]l existe et cela depuis plusieurs décennies, un véritable consensus au sein des organismes de l’Outaouais et de sa population en général. Ce consensus émanant de la situation géopolitique de la région, force les leaders de l’Outaouais à revenir constamment avec le même leitmotiv : « région particulière », « statut spécial », « région frontalière », « onzième province », etc.

Idem : 51

Dans son rapport final, la Commission d’étude sur la région de l’Outaouais (1984) recommande d’ailleurs au gouvernement du Québec de concéder une plus grande prise en compte des réalités des particularités géopolitiques de la région, en procédant à une régionalisation des compétences ministérielles (recommandation 5, Idem : 249) ainsi qu’en demandant une recherche de solution pour le rapatriement des soins hospitaliers largement dispensés en Ontario (recommandation 6, Idem : 250).

Ces demandes sont réactivées au début des années 1990, dans le contexte référendaire. Dans l’optique de l’accession du Québec à la souveraineté, la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec (commission Bélanger-Campeau) recommande une attention spécifique à la région de l’Outaouais, pour laquelle les conséquences en matière d’emploi et d’activité économique risquaient d’être importantes. En effet, à cette époque, 25 000 Québécois de l’Outaouais étaient à l’emploi de la fonction publique fédérale et 24 000 travaillaient en Ontario. Cela a donné lieu à la création, par le gouvernement du Québec le 17 juillet 1991, du Comité Outaouais, présidé par le maire de Hull, Marcel Beaudry (Beaudry, 1992). Dans une logique de remplacement, les voies proposées par ce comité impliquaient des emplois dans les secteurs publics québécois, afin de conserver la main-d’oeuvre et l’expertise qualifiées sur la rive québécoise. D’autres pistes d’intervention sont également déterminées, dont une diversification de l’économie misant sur quatre secteurs : la forêt et les ressources naturelles, la haute technologie, le tourisme et le commerce, ainsi que les services (Idem : 273).

Parallèlement, l’échelon régional se structure, en Outaouais. Conséquemment à l’expérimentation de structures de planification à l’échelle québécoise (par l’Office de planification et de développement du Québec) dans les années 1960, d’autres instances sont créées au cours de la décennie suivante afin de soutenir le développement économique régional, notamment le CRDO (1971), devenu la Conférence régionale des élus (2003), avant d’être finalement aboli par le gouvernement, en 2015. D’autres organismes à vocation régionale voient également le jour, dont la Société de diversification des activités économiques mise en place en 1992. Selon Robitaille (2006), ces institutions ont activement participé au développement local et régional, en matière de processus et de résultats économiques. En effet, leur présence a favorisé l’émergence d’une vision régionale du développement impliquant une diversité d’acteurs (publics, privés, communautaires et citoyens), ainsi qu’un renforcement économique de l’Outaouais dans son ensemble, face à Ottawa. La création du FRO en 2015 marque une nouvelle étape dans cette institutionnalisation régionale.

Des revendications sectorielles puis territoriales

Le FRO regroupe des acteurs politiques et des groupes issus de la société civile[2]. Le mandat qu’il s’est donné est de documenter et de régler ce qui est décrit comme une situation de « retard de développement et de services » dans trois secteurs particuliers : la santé et les services sociaux, l’éducation postsecondaire et le développement économique (Ville de Gatineau et al., 2019 : 2). Il importe ici de rappeler que les deux premiers thèmes ont déjà fait l’objet de mobilisations antérieures. En effet, l’Outaouais dispose déjà d’un statut particulier en matière de santé et services sociaux depuis 2007, statut qui a été accordé principalement pour faire face à une pénurie criante de professionnels de la santé (médecins et infirmières). La revendication pour un traitement particulier en santé a également permis, en partenariat avec l’Université McGill, le développement d’une école de médecine pour la région, finalement opérationnelle à la rentrée 2020. De plus, en 2015, le gouvernement Couillard a annoncé un financement particulier pour s’attaquer au déficit de programmes en éducation postsecondaire (collégial et universitaire) offerts en région. Ce déficit est bien connu des acteurs régionaux et a fait l’objet de revendications soutenues depuis les années 1990, notamment de la part de l’Alliance pour la cause de l’enseignement supérieur en Outaouais. La ministre libérale Hélène David avait ainsi parlé d’un financement qui « jette les bases de ce que pourrait être un statut particulier » pour les études postsecondaires en Outaouais.

Malgré son caractère prometteur, peu de mesures concrètes ont donné suite à ce statut particulier, de sorte que la revendication régionale reste bien présente. Les enjeux sont toujours, selon le FRO, cruciaux pour la région. En 2015, à la suite d’une étude réalisée par l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) (Schepper, 2018), le FRO dépose un diagnostic ainsi que des recommandations d’action auprès du gouvernement. Ce document laissé pour lettre morte par le gouvernement libéral de l’époque, le FRO décide de le présenter à nouveau au lendemain de l’élection de la Coalition Avenir Québec, en 2018. L’arrivée de la CAQ au pouvoir constitue une fenêtre d’opportunité pour les acteurs régionaux puisque, de façon exceptionnelle, les électeurs ont brisé le monopole du Parti libéral du Québec (PLQ) pourtant bien ancré dans la région, en élisant trois députés de la CAQ (sur cinq). Les revendications et les pistes de solutions évoquées ne s’écartent toutefois pas complètement des sentiers battus. Trois axes d’interventions structurent le document : 1) le développement économique – diversification de l’économie et diminution de la dépendance à l’égard de la fonction publique fédérale ; 2) la santé et les services sociaux – réduction de la dépendance à l’égard des services offerts en Ontario et réduction du sous-financement par rapport à des régions comparables au Québec ; 3) l’éducation postsecondaire – accroissement de l’offre de programmes en enseignement supérieur et réduction de l’exode des étudiants et de la main-d’oeuvre vers Ottawa. Le caractère innovant du Front régional réside plutôt dans le fait qu’il ne fait pas que demander des budgets supplémentaires ; il revendique l’obtention d’un statut particulier pour l’Outaouais. Ce statut permettrait de pallier les retards mis en lumière et de « transformer la relation entre le gouvernement et l’Outaouais » (p. 3) en garantissant une reconnaissance du caractère distinct de la région, et ce, de façon globale et non seulement ponctuelle et sectorielle.

Parallèlement à ces revendications politiques auprès du gouvernement et de l’Assemblée nationale, les mobilisations régionales en Outaouais peuvent s’adosser à la mise en place d’un nouveau programme du ministère des Affaires municipales, le Fonds d’appui au rayonnement des régions (FARR). Ce dernier s’inscrit dans la stratégie d’occupation et de vitalité des territoires du gouvernement et suppose que chaque région détermine ses priorités régionales. Un comité directeur qui regroupe les préfets, ainsi que le ministre responsable de la région, collecte et priorise les enjeux définis par les acteurs régionaux.

Dans ce cadre, l’Outaouais en a déterminé cinq en mars 2019 : 1) rattraper le retard historique de la région en santé et services sociaux, en éducation et en matière de développement économique ; 2) favoriser un développement fort et durable des communautés, fondé sur la solidarité et sur un arrimage robuste des milieux ruraux et urbains ; 3) construire une identité régionale forte ; 4) favoriser la résilience face aux changements climatiques en assurant un développement durable ; 5) développer l’économie et améliorer la position concurrentielle par rapport à la situation frontalière par l’innovation et la diversification. Les projets soumis pour obtenir un financement de la part du FARR doivent avoir une portée régionale ou supralocale. Ils sont ensuite examinés et sélectionnés par la table des préfets. Cet instrument de politique publique correspond à une certaine inflexion de la manière de faire de l’État québécois, en misant davantage sur des projets territoriaux issus de la conciliation des acteurs régionaux et, donc, résultant de leur capacité à édicter des objectifs communs (Pasquier, 2012). À ce titre, l’attribution d’un financement du FARR à l’Observatoire du développement de l’Outaouais pour « [m]esurer l’efficacité des actions mises en place pour rattraper le retard historique de l’Outaouais » (2020-2023) témoigne de l’importance, encore aujourd’hui réaffirmée, de cet enjeu parmi les priorités régionales. Le projet consiste à proposer et à mettre en oeuvre, de façon concertée avec les instances régionales, une démarche d’évaluation pour suivre les progrès et mesurer l’efficacité des mesures mises en place visant à améliorer les services en santé, services sociaux, éducation post-secondaire et développement économique.

On assiste ainsi, en Outaouais, à une lente émergence d’une force régionale, réunissant peu à peu des acteurs de différents secteurs de l’économie et du social, mais aussi de différentes portions du territoire, qui s’allient pour revendiquer une prise en compte plus territoriale des enjeux.

Conclusion

Notre objectif initial, dans ce texte, était d’expliquer la raison d’être du statut particulier revendiqué par les acteurs régionaux de l’Outaouais, statut qui pourrait permettre à la région d’obtenir une reconnaissance politique, institutionnelle et juridique spécifique. Nous avons montré que cette revendication est en partie une réponse au caractère hybride de la région, mais elle témoigne aussi d’une mobilisation régionale qui se transforme peu à peu. Si cette mobilisation prend assise sur plus de 40 ans de revendications et d’efforts de concertation aux résultats limités, sa pérennité tiendra en partie au succès du pari régional et territorial qui est le sien.

Nous avons aussi montré que les notions de centre et de périphérie dans une acception binaire ne permettent pas de saisir la complexité des dynamiques régionales, dans un territoire comme l’Outaouais. Les caractéristiques internes de ce territoire et sa position riveraine de la capitale fédérale en font au contraire une région hybride, doublement façonnée par son excentricité géographique et sa dualité urbaine rurale.

Ceci nous amène à illustrer, avec le cas de l’Outaouais, le caractère réducteur et simplificateur du modèle centre-périphérie (Lévy, 2003 ; Dumont, 2017). Deux limites sont particulièrement mises en évidence dans cette région. Premièrement, le modèle centre-périphérie est fondé sur l’idée qu’on puisse repérer des espaces isolables, éventuellement regroupés en agrégats (Lévy, 2003). Notre examen de l’Outaouais montre que cette question des échelles d’observation est cruciale et stratégique. En effet, l’analyse a montré que le centre urbain est lui-même formé de la ville de Gatineau et de la MRC des Collines-de-l’Outaouais, ainsi que d’une périphérie composée de trois autres MRC. Toutefois, lorsque nous nous attardons à l’échelle municipale, un autre portrait se dessine, laissant apparaître certains territoires qui n’obéissent pas à une logique radiale, comme le voudrait le modèle centre-périphérie. Au contraire, la présence de municipalités de type « enclave » où déborde la métropole illustre plutôt des dynamiques réticulaires. En ce sens, la notion de métropolisation, en insistant sur les flux, mais aussi sur l’étalement et le mitage des territoires, apparaît plus à même d’expliquer des dynamiques complexes qui structurent un territoire.

Deuxièmement, le modèle centre-périphérie repose sur une conception spatiale, géométrique du monde (Lévy, 2003 ; Dumont,  2017). L’exemple de la mobilisation régionale de l’Outaouais qui se structure à l’échelon régional témoigne du dépassement d’une opposition binaire d’un centre urbain dominant dont dépendrait la périphérie. En effet, les instances régionales et le plus récent FRO illustrent plutôt une solidarité territoriale que des rapports de domination ou encore des espaces qui s’ignorent. En dépassant les clivages territoriaux et en revendiquant la reconnaissance de l’Outaouais comme une région spécifique, le FRO affirme un destin commun, par-delà les spécificités municipales et les secteurs de politiques publiques (développement économique, santé, éducation). Les revendications à la fois moins urbaines et moins sectorielles montrent que la région se construit politiquement comme un tout, au-delà d’un clivage entre un centre dominant et une périphérie dominée. Les logiques spatiales, si elles sont effectivement présentes, doivent aussi être comprises en lien avec d’autres dynamiques sociales et politiques qui prennent la forme de réseaux plutôt que de rayons.