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Introduction

De l’évaluation « de » l’apprentissage à l’évaluation « pour » l’apprentissage : et si la planification flexible était une solution ?

La mise en oeuvre dans les classes d’une évaluation qui soutient l’apprentissage des élèves demeure un défi ardu pour les systèmes scolaires et les enseignants[1] (Laveault & Allal, 2016). Pourtant, l’évaluation formative est reconnue comme un puissant levier pour favoriser les apprentissages des élèves depuis plusieurs décennies (Allal & Mottier Lopez, 2005 ; Black & Wiliam, 2009 ; Hattie, 2017). De manière plus contemporaine, on parle aujourd’hui d’assessment for learning (Black & Wiliam, 2009  ; Wiliam, 2011), d’« évaluation pour les apprentissages » (De Ketele, 2012) ou d’« évaluation-soutien d’apprentissage » (Laveault & Allal, 2016). Cette évolution du concept d’évaluation des apprentissages apporte une dynamisation des pratiques, en soulignant, notamment, l’importance d’une évaluation en continu, l’engagement actif de l’élève dans le processus évaluatif et le dépassement des oppositions traditionnelles entre évaluation formative et sommative. Ce changement de paradigme (De Ketele, 2012) est entre autres lié au développement des théories de l’apprentissage (Allal, 2019 ; Black & Wiliam, 2018), mais aussi aux changements des systèmes éducatifs, notamment avec l’apparition de l’approche par compétences (Morrissette & Legendre, 2011).

Afin d’opérationnaliser cette perspective d’assessment for learning, l’Assessment Reform Group a formulé dix principes pour guider les enseignants. L’un d’entre eux postule que « l’évaluation devrait faire partie d’une planification efficace de l’enseignement et de l’apprentissage » (Broadfoot et al., 2002, traduction libre, p. 2). La planification doit permettre à l’enseignant d’identifier et de faire comprendre aux élèves les cibles et les critères de réussite, de prévoir le recueil de l’information et d’organiser des occasions de feedbacks, tout en restant flexible, c’est-à-dire adaptable selon la progression des apprentissages. Enfin, selon ce principe, l’enseignant devrait également planifier le rôle et l’implication des élèves dans le processus.

Par cet article, nous tentons de contribuer à la réflexion autour de la mise en oeuvre effective d’une « évaluation pour apprendre » (De Ketele, 2012) dans les classes, en prenant l’angle spécifique de la planification flexible des démarches d’évaluation comme proposé initialement par l’Assessment Reform Group (Broadfoot et al., 2002). Les objectifs de l’article consistent à mener une réflexion théorique afin 1) d’expliciter ce qu’est une planification flexible des démarches d’évaluation, et 2) de discuter de ses apports dans la mise en oeuvre d’une évaluation-soutien d’apprentissage par les enseignants. Pour ce faire, l’apport de notre contribution est de faire dialoguer des concepts-clés, liés à la fois à la planification des processus d’enseignement-apprentissage et à l’évaluation des apprentissages.

La réflexion théorique menée dans cet article est nécessaire car le lien entre planification et évaluation des apprentissages ne semble pas ou peu effectif dans les pratiques des enseignants. En effet, bien que les apports généraux de la planification soient connus (Dessus, 2002 ; Tochon, 1989 ; Wanlin, 2016) et que les démarches de « planification à rebours » permettent d’orienter la planification sur l’évaluation des apprentissages (Hattie, 2017 ; Wiggins & McTighe, 2005), la synthèse de la littérature de Wanlin (2009) démontre que les éléments liés à l’évaluation des apprentissages des élèves ne sont, très souvent, pas pris en compte dans les planifications des enseignants. Pour eux, parler de la planification de l’évaluation se limite très souvent à fixer la date du test final (Sallin, 2020). Le manque de planification des apprentissages renforce le fait que leur évaluation reste souvent, dans la pratique des enseignants, uniquement un « après-coup » (Yerly et al., 2019), un test sommatif à visée de certification mis en oeuvre dans l’urgence des calendriers scolaires. Dans ce cas, l’évaluation des apprentissages s’apparente plutôt à un acte administratif et s’éloigne ainsi des visées de l’évaluation pour apprendre (Fagnant & Goffin, 2017).

L’article présente tout d’abord les connaissances concernant les apports de la planification sur les deux objets en jeu dans la réflexion théorique : la planification de l’enseignement-apprentissage et l’évaluation des apprentissages. Le concept de planification flexible est ensuite explicité. Enfin, les différents éléments sont réinvestis pour discuter des apports d’une planification dite flexible dans la mise en oeuvre d’une évaluation-soutien d’apprentissage dans les classes.

Les apports de la planification pour l’enseignement et pour l’apprentissage

Les compétences de planification de l’enseignant sont reconnues comme un facteur déterminant pour un enseignement de qualité et un apprentissage en profondeur (Hattie, 2017 ; Tochon, 2013). La planification est une pratique complexe à laquelle les enseignants consacrent beaucoup d’énergie dans les phases pré-, inter- et post-actives de leur enseignement (Dessus, 2002 ; Wanlin, 2009). Elle comprend la réflexion, la prise de décisions, l’opérationnalisation et le jugement des choix opérés (Clark & Yinger, 1987). Différentes synthèses de travaux empiriques (Dessus, 2002 ; Hattie, 2009 ; Wanlin, 2009) démontrent, aussi bien au primaire qu’au secondaire, que les enseignants efficaces sont ceux qui savent planifier leur enseignement et l’apprentissage des élèves. Par exemple, les études expérimentales de Zahorik (1970) ou de Byra et Coulon (1994) (échantillon d’enseignants qui planifient une leçon vs qui ne la planifient pas) montrent que les enseignants qui planifient sont « plus centrés sur les élèves et produisent des leçons de meilleure qualité » (Dessus, 2002, p. 23). En outre, ces travaux soulèvent le manque de réussite d’une planification trop rigide, qui ne s’adapte pas aux réactions des élèves durant le processus d’apprentissage.

Les principales données de recherche sur la planification sont fournies par le champ de l’étude de la pensée des enseignants. Elles sont recueillies par différentes méthodes (journal de bord, questionnaire, entretiens d’explicitation, etc.). Selon la synthèse de Wanlin (2009), qui reprend les principaux travaux de recherche francophones et anglophones de 1970 à 2009, les enseignants planifient leur enseignement sur des temporalités différentes et sur différents plans qui peuvent se superposer ou se succéder. Il existe différentes granularités de planification, au niveau temporel (année scolaire, semaine, journée, etc.) et/ou au niveau des contenus (chapitre, séquence, séance, etc.). Les pratiques de planification sont très variables tant du point de vue des méthodes mises en oeuvre par les enseignants que de leur intensité. Les profils de planificateurs et leurs besoins sont très variables et dépendent de nombreux facteurs (Lê Van & Berger, 2018 ; Wanlin, 2009). Parmi ceux-ci figurent des éléments contextuels (p. ex., structure du programme et des manuels scolaires, fonctionnement de la grille horaire ou du calendrier scolaire, culture de l’établissement) et des éléments individuels (p. ex., formation initiale, expériences, conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage, degré de sentiment d’efficacité personnelle).

Dans les différentes synthèses (Dessus, 2002 ; Wanlin, 2009, 2016), l’expérience professionnelle est citée comme l’un des facteurs créant le plus de différences dans les pratiques de planification. Selon Tochon (1993), les enseignants novices ressentent le besoin de planifier plus précisément de manière rigide alors que les enseignants « experts » sont généralement insatisfaits par des plans rigides, les jugeant inadéquats. Ils sont capables de planifier de manière plus « souple et mobile » (Tochon, 2013), c’est-à-dire de s’adapter aux circonstances de la classe et de mieux improviser. Grâce à des routines positives stabilisées, connaissant bien les éléments essentiels, l’enseignant expert peut adapter ses pratiques pour soutenir davantage les apprentissages des élèves et varier/adapter son enseignement (Tochon, 1993). Il est à souligner que l’expertise ne se compte pas en années d’expérience mais bien en fonction de la maîtrise d’une compétence. Les enseignants qui sont des « experts adaptatifs » (Bransford et al., 2007 ; Hattie, 2017) sont ceux qui sont capables de voir l’apprentissage du point de vue des élèves, de les situer par rapport aux cibles d’apprentissage et de flexibiliser leurs stratégies et leurs plans initiaux. Cette flexibilité est possible grâce à une connaissance préalable des attentes et à la maîtrise de différentes stratégies d’enseignement.

Selon le profil et les besoins des enseignants, la planification peut suivre différentes fonctions, simultanément ou non (Charlier, 1989 ; Tochon, 1993 ; Wanlin, 2009). Selon Wanlin (2016), reprenant différentes synthèses de ces travaux scientifiques (Dessus, 2002 ; Tochon, 1993 ; Wanlin, 2009), les enseignants disent planifier pour trois fonctions, qui ne sont pas hiérarchisées, soit :

  1. Pour des raisons personnelles et psychologiques : la planification permet de diminuer l’anxiété de l’enseignant, d’avoir un meilleur contrôle de l’imprévu, de renforcer la maîtrise personnelle des savoirs enseignés et de développer des routines positives qui aident à se rassurer mais également à gagner en efficacité. D’ailleurs, ces routines permettent d’offrir un environnement d’apprentissage rassurant pour les élèves (Charlier, 1989) ;

  2. Pour assurer une meilleure cohérence pédagogique : la planification permet de définir et d’organiser plus précisément les buts visés, les activités d’apprentissage et leur cohérence ;

  3. Pour des questions administratives et organisationnelles : la planification permet de séquencer les différentes compétences ou les divers objectifs (voire contenus) sur des périodes et de s’assurer de couvrir l’ensemble du programme scolaire.

Notons également que les différents courants pédagogiques influencent les manières de planifier l’enseignement et l’importance donnée aux différents éléments à planifier (Altet, 2000). De manière très générale, le behaviorisme a mis l’accent sur une planification rigoureuse, axée sur une logique étapiste : l’enseignant se tient au dispositif élaboré afin d’atteindre des objectifs opérationnels très précis. Il en fait l’analyse une fois la séquence terminée et peut alors revoir son design pour la prochaine fois. Le cognitivisme et le constructivisme donnent, quant à eux, davantage d’importance aux interactions avec et entre les élèves, au contexte, aux spécificités disciplinaires et surtout aux processus d’apprentissage. La planification est alors plus dynamique, moins étapiste et davantage circulaire. D’ailleurs, Altet (2000) préfère parler de préparation que de planification. L’enseignant prépare des situations d’enseignement-apprentissage qui vont permettre l’interaction avec et entre les élèves. Ainsi, la planification se fait tout au long de la séquence, le projet initial étant régulé tout au long du processus.

Aujourd’hui, notamment avec l’approche par compétences, les programmes d’études sont beaucoup plus vastes et donnent davantage de marge de manoeuvre à l’enseignant afin de prévoir les chemins vers l’apprentissage. C’est à lui que revient la tâche de passer du curriculum formel ou curriculum réel, à faire la dernière « transposition didactique » (Brousseau, 1998). De ce fait, même dans une approche par compétences, il est important que le projet d’apprentissage planifié soit très clair. Pourtant, différents travaux observent que les enseignants planifient davantage les contenus de leurs cours et leurs stratégies d’enseignement et moins les stratégies pour apprendre et les obstacles que vont rencontrer les élèves (Altet, 2000). Bref, les enseignants planifient davantage l’enseignement que l’apprentissage.

Les apports de la planification pour l’évaluation des apprentissages

Comme nous l’avons déjà mentionné, la synthèse de Wanlin (2009) montre que les enseignants planifient l’enseignement et l’apprentissage à des degrés variables et par des méthodes diverses. En revanche, les éléments liés à l’évaluation des apprentissages ne font, très souvent, pas partie de leurs planifications. Selon cette synthèse, les enseignants considèrent les objectifs et l’évaluation des apprentissages comme des éléments formels et consacrent davantage de temps à planifier des éléments plus pratiques, telles que les activités ou les tâches des élèves. Ce constat a été corroboré récemment par la recherche de Sallin (2020) dans l’enseignement secondaire en Suisse. Cette recherche qualitative (entretiens et analyse de documents de planifications auprès de dix enseignants responsables chacun de deux à trois disciplines scolaires) démontre que, pour eux, planifier l’évaluation des apprentissages se limite surtout à fixer une date pour un test sommatif à visée de certification.

Pourtant, des travaux de recherche, notamment dans le champ de l’évaluation des apprentissages (Mottier Lopez & Laveault, 2008), démontrent depuis les années 1970, l’importance de définir les objectifs d’apprentissage et de les communiquer clairement aux élèves afin de favoriser leurs apprentissages. Tourneur (1989) recense une vingtaine d’études expérimentales qui démontrent les effets positifs de la communication des objectifs aux élèves. Plus récemment, les travaux de synthèse de Hattie (2009) ont montré un effet positif très important des intentions (goal) sur l’apprentissage des élèves (d = 0,56 ; 34e rang ; 11 méta-analyses). Un « apprentissage ciblé » (Hattie, 2017) comprend les intentions (objectifs ou compétences visés, selon les programmes) mais également les critères d’évaluation. La même synthèse montre que la planification et la communication des intentions favorisent également un autre facteur parmi les plus puissants pour améliorer l’apprentissage des élèves : la clarté de l’enseignant (teacher clarity) (d = 0,75 ; 8e rang ; 1 méta-analyse).

S’appuyant sur les résultats de ses synthèses, Hattie (2012 ; 2017) propose aux enseignants la stratégie de « conception à rebours » (backward design) conceptualisée par Wiggins et McTighe (2005) afin de toucher les deux aspects précités, soit l’apprentissage ciblé et la clarté. Pour Hattie (2017), c’est « l’une des meilleures façons de maximiser l’apprentissage » (p. 152). La conception à rebours (nommée également planification à rebours) souligne l’importance d’une démarche de planification en trois étapes successives (Tomlinson & McTighe, 2010, p. 26) :

  1. Déterminer les résultats escomptés. Commencer par identifier clairement les cibles à atteindre (compétences et/ou objectifs) dans les programmes et fixer des priorités pour viser un apprentissage durable ;

  2. Déterminer des preuves valables. Identifier plus précisément à quoi ressemble la réussite (p. ex., des situations prototypiques, les critères de réussite) et prévoir des démarches d’évaluation à mettre en oeuvre en cours d’apprentissage qui correspondent aux résultats escomptés ;

  3. Prévoir les expériences d’apprentissage et la pédagogie à privilégier. Prévoir les moyens principaux pour l’atteinte des résultats escomptés : les prérequis, les principales activités, les différentes stratégies d’enseignement.

La conception à rebours place l’évaluation au coeur de la planification. Elle va plus loin que la simple identification des objectifs d’apprentissage et demande aux enseignants, lors de la planification, de « réfléchir comme des évaluateurs » (Tomlinson & McTighe, 2010, p. 26). Le but de la conception à rebours n’est pas de planifier un enseignement qui vise la réussite des élèves à un test final (teaching to the test) (Popham, 2001), mais bien de planifier la manière d’atteindre des critères de réussite. Selon Tomlinson et McTighe (2010), elle permet aux enseignants d’éviter certains écueils : éviter de planifier essentiellement des activités, certes intéressantes, mais parfois éloignées des buts d’apprentissage (surtout au primaire) ; éviter de planifier la réalisation de l’ensemble des contenus issus des manuels scolaires et non l’atteinte des objectifs et/ou des compétences visées (surtout au secondaire). Ainsi, la conception à rebours permet de tendre vers un « alignement curriculaire » (Anderson, 2002 ; Pasquini, 2019) tout au long de la séquence, c’est-à-dire d’assurer une cohérence entre les attentes du programme, les activités réalisées en classe et les différentes démarches d’évaluation.

Approche par compétences, apprentissage en profondeur : enjeux actuels pour les pratiques de planification et d’évaluation des apprentissages

Depuis les années 2000, la plupart des pays francophones ont opté pour une réforme des curriculums (Jonnaert & Defise, 2009). Ces modifications ont amené différents systèmes d’éducation à opter pour une perspective (socio)constructiviste de l’apprentissage en intégrant l’approche par compétences (Legendre, 2004). Selon Morissette et Legendre (2011), cette approche « aborde les apprentissages dans la durée et les rend indissociables des démarches de pensées devant elles aussi faire l’objet d’enseignement-apprentissage » (p. 125). Cette perspective demande ainsi que les stratégies d’évaluation des apprentissages soient intégrées aux démarches d’enseignement-apprentissage (Legendre et Morissette, 2014). L’enseignant a alors la mission de planifier des situations d’apprentissage et d’évaluation afin de rendre l’élève capable de développer des « ressources », puis de les mobiliser dans des situations de « compétence » (Gérard, 2013 ; Roegiers, 2010). Notons également qu’une compétence n’est jamais réellement atteinte et que les façons dont les élèves mobilisent leurs ressources sont multiples. Selon Von Glasersfeld (2004), tout apprentissage se réalise par le biais de l’expérimentation en situation. Ainsi, c’est en étant en activité que l’élève mobilise ses ressources pour résoudre une situation de façon viable. Néanmoins, ce qui est viable pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Deux élèves différents pourraient mobiliser des ressources différentes et arriver au même résultat. Ainsi, l’enseignant doit d’autant plus prendre en compte, dès la planification de son enseignement, les différents besoins des élèves pour apprendre, liés, par exemple, aux rythmes et aux niveaux d’apprentissage ou au sens donné à l’apprentissage scolaire (Bergeron, 2018).

L’approche par compétences n’est pas effective dans toutes les juridictions scolaires, certains curriculums ou programmes étant formulés sous forme d’objectifs d’apprentissage. Pourtant, une visée est largement partagée dans les différents systèmes éducatifs : le but de l’école n’est pas uniquement de développer des stratégies de mémorisation, mais plutôt de développer des apprentissages qui seront transférables dans les défis divers du futur. Un courant fort émerge des réflexions de certains chercheurs qui parlent d’« apprentissage en profondeur » (Tochon, 2013) ou de deep learning (Fullan et al., 2018). Afin de contribuer à cette visée, l’évaluation des apprentissages ne peut sanctionner les connaissances mémorisées par l’élève. Elle doit plutôt permettre de l’accompagner dans ses stratégies de développement de compétences et/ou d’apprentissages complexes, afin qu’il puisse devenir autonome face à une variété de défis. Selon les programmes scolaires, pour la plupart visant des apprentissages complexes (stipulés sous formes de compétences ou d’objectifs, selon les juridictions), l’enseignant doit conceptualiser et planifier le processus évaluatif qui va permettre le recueil et l’usage de différents types de données afin de prendre des décisions, aussi bien pour soutenir les apprentissages que pour en faire des bilans (Laveault & Allal, 2016). En outre, l’évaluation constitue un apprentissage en soi (assessment as learning) (Earl, 2013), une compétence à apprendre et pour apprendre. Pour Mottier Lopez et Girardet (2022), le concept d’« évaluation pour apprendre durablement » considère qu’au-delà de l’acquisition des savoirs disciplinaires, les pratiques d’évaluation visent également le développement de compétences transversales qui sont utiles et transférables tout au long de la vie.

Mettre en oeuvre une évaluation-soutien d’apprentissage

Des enquêtes empiriques (questionnaires et/ou entretiens), portant sur les conceptions des enseignants face à l’évaluation des apprentissages dans divers contextes francophones, montrent que les enseignants du primaire et du secondaire acceptent largement la visée de régulation de l’évaluation et l’importance d’une évaluation critériée, et qu’ils rejettent majoritairement les visées de sanction et/ou celle de sélection qui vise à comparer les élèves entre eux (évaluation normative) (Fagnant & Goffin, 2017 ; Issaieva et al., 2015 ; Luisoni & Monnard, 2015 ; Monney & Fontaine, 2016). Cependant, certaines études montrent que les pratiques des enseignants, en particulier au secondaire, s’arrêtent souvent à une conception classique et plutôt restreinte de l’évaluation, dans une perspective behavioriste (Fagnant & Goffin, 2017 ; Issaieva & Crahay, 2010). Pour de nombreux enseignants, l’évaluation formative reste souvent synonyme de test formel qui prépare à la réussite d’un test sommatif à visée de certification en fin de séquence, ou s’incarne dans des commentaires portant sur les résultats d’un tel test. Ce dernier vient sanctionner froidement les acquisitions en fin de séquence sans prendre en compte le parcours et la progression de l’élève. Dans ce cas, c’est surtout, voire uniquement, la visée de certification qui prime. Pour Fagnant et Goffin (2017), ces diverses études montrent que l’évaluation des apprentissages reste éloignée du paradigme de l’évaluation pour apprendre (De Ketele, 2012) : l’évaluation est peu intégrée aux situations d’apprentissage et les élèves sont peu impliqués dans le processus évaluatif. Les obstacles qui freinent ou empêchent les enseignants de mettre en place une évaluation soutenant les apprentissages peuvent être attribuables aux fonctions sociales de l’école et à ses structures (p. ex., visée de sélection, densité des programmes, effectifs importants d’élèves), mais aussi aux croyances et aux compétences des enseignants (Issaieva et al., 2015).

Le concept d’évaluation formative – hérité de la pédagogie de maîtrise, notamment de Bloom et al. (1971) – a été tout d’abord élargi dans les années 1990 à 2010 (Allal & Mottier Lopez, 2005). On parle aujourd’hui d’assessment for learning (Black & Wiliam, 2009 ; Wiliam, 2011), traduit en français par « évaluation pour apprendre » (De Ketele, 2012) ou « évaluation-soutien d’apprentissage » (Laveault & Allal, 2016). Ce concept est aujourd’hui central dans les politiques de nombreux États ou juridictions en Amérique, en Europe ou en Océanie (Laveault et Allal, 2016). Allal et Laveault (2009) définissent l’évaluation-soutien d’apprentissage comme suit :

L’Évaluation-soutien d’apprentissage fait partie des pratiques quotidiennes des élèves et des enseignants qui, individuellement et en interaction, recherchent, réfléchissent sur et réagissent à l’information provenant ’échanges, démonstrations et observations afin de favoriser les apprentissages en cours

p. 102

D’après Laveault et Allal (2016), le concept d’évaluation-soutien d’apprentissage amène une nouvelle conceptualisation de l’évaluation sous toutes ses formes (formative et sommative) et fonctions (régulative et certificative). Selon notre lecture de ces autrices ou auteures, cela rend le processus évaluatif plus dynamique et interactif par :

  • l’intégration de l’évaluation en continu dans les activités d’apprentissage ;

  • l’implication des élèves dans le processus d’évaluation ;

  • la prise en compte de la dimension cognitive de l’apprentissage, mais également des dimensions affectives et sociales ;

  • l’usage de différents outils et démarches aussi bien formels qu’informels ;

  • l’articulation des différentes situations d’évaluation (formatives et sommatives) pour favoriser l’apprentissage, mais aussi pour le certifier.

Selon Allal (2019), l’évaluation-soutien d’apprentissage est plus proche des théories contemporaines de l’apprentissage et de l’enseignement, étant basée sur le principe de régulation, proche des théories sociocognitives. D’après Allal (2007) ou Laveault (2007), pour être réussi, le processus de régulation nécessite 1) des cibles claires, 2) un contrôle de la progression des élèves, 3) un feedback et 4) des interventions. Les cibles identifiées (p. ex., une compétence ou un objectif détaillé par des critères) permettent de pratiquer une évaluation « critériée » (Allal, 2008). L’évaluation-soutien d’apprentissage nécessite des outils variés, plus ou moins explicites et une intensité d’implication différente des acteurs selon les besoins et les situations didactiques et selon les étapes du processus d’apprentissage. L’évaluation des apprentissages est l’affaire de l’enseignant mais aussi des apprenants eux-mêmes et entre eux. Elle privilégie l’engagement actif de l’élève dans le processus (assessement as learning) (Earl, 2013) et vise l’autorégulation de l’apprenant (Cosnefroy, 2011 ; Panadero et al., 2018), dans une action conjointe avec l’enseignant (corégulation) (Allal, 2019). Enfin, l’évaluation-soutien d’apprentissage fait tomber les barrières traditionnelles entre évaluation formative et sommative et institutionnalise l’idée de leurs possibles synergies (Black & Wiliam, 2009, 2018 ; Harlen, 2005). En effet, dans ce concept, toute situation évaluative (test formalisé, portfolio, observation en classe, etc.) peut être une occasion d’avoir un impact positif sur l’apprentissage de l’apprenant, si elle est mise en place pour soutenir l’apprentissage (Allal et Laveault, 2009 ; Laveault et Allal, 2016). Selon ces autrices ou auteures, même une évaluation dite sommative, à visée de certification (p. ex., un bilan noté en fin de séquence) peut avoir un impact positif sur l’apprentissage, à certaines conditions. Conjointement, certaines prises d’informations formatives durant la séquence peuvent contribuer à ce bilan sommatif. Toutefois, ces synergies ne sont pas automatiques. Selon Harlen (2005), elles sont rendues possibles par la planification des différentes démarches d’évaluation par l’enseignant, certes avec leurs intentions propres mais dans un processus commun, et par l’établissement de critères qui sont le moyen de guider ce processus. Pour Laveault et Allal (2016), au-delà de la simple intention de soutenir les apprentissages (comme prérequis), les synergies entre formatif et sommatif doivent être concrétisées dans le design du processus évaluatif par l’enseignant qui détermine les fonctions et les modalités des diverses situations évaluatives et qui permet de mettre en relation les différentes données recueillies.

La planification flexible des démarches d’évaluation des apprentissages

Comme mentionné dans la première section, la planification fait partie des dix principes édictés par l’Assessment Reform Group (Broadfoot et al., 2002) pour guider les enseignants vers une évaluation pour apprendre. À l’image de la conception à rebours (Wiggins & McTighe, 2005), la planification doit permettre à l’enseignant de bien établir les cibles et les critères de réussite, de prévoir le recueil de l’information et d’organiser des occasions de feedbacks. Néanmoins, la planification doit rester flexible, c’est-à-dire adaptable selon la progression des apprentissages des élèves. Aussi, selon ce principe, l’enseignant devrait également planifier le rôle et l’implication des élèves dans le processus. Ainsi, une planification flexible permet à l’enseignant de préparer un projet initial clair mais laisse également une place importante à la réaction à la progression des apprentissages, aux événements en classe et à l’interaction avec les élèves. Elle évite les effets néfastes d’une planification trop rigide. À ce titre, elle rassemble les différents critères de qualité d’une planification proposés par Maulini (2004) : elle est à la fois hiérarchisée, dynamique et interactive.

  • Hiérarchisée. À l’image du concept de conception à rebours (Wiggins & McTighe, 2005), une planification flexible oriente l’enseignant, dans la phase pré-active, dans la construction d’un projet clair. Elle permet d’en établir les priorités qui seront les grandes balises du projet (objectifs/compétences et critères de réussite ; traces de l’apprentissage ; activités significatives), puis de trouver les différents chemins pour y parvenir (étapes nécessaires, situations et activités incontournables, différentes stratégies, obstacles nécessaires ou secondaires, voire inutiles, pour certains élèves). L’enseignant sait où il doit emmener ses élèves sans toutefois préparer l’intégralité de la séquence dans les détails au risque d’une trop grande rigidité. Une telle qualité de planification signifie que l’enseignant identifie clairement les grandes lignes, les balises qui vont orienter son action et l’action des élèves à moyen-long terme.

  • Dynamique. Une planification flexible est également dynamique. L'enseignant se prépare à adapter son plan initial, durant la phase interactive, selon les événements de la classe, par exemple, en prenant davantage de temps ou en accélérant, selon ses observations. Des retours ou des sauts en avant sont rendus possibles et favorisés en fonction des observations de l’enseignant. Des espaces d’improvisation (Tochon, 2013), c’est-à-dire des moments plus ouverts où les activités ne sont pas a priori déterminées en détail, sont prévus et sont rendus possibles grâce à des éléments bien hiérarchisés.

  • Interactive. Une planification flexible n’est pas fermée à la seule réflexion de l’enseignant. Dans sa planification, ce dernier prévoit de laisser un rôle important aux élèves, des éléments qui permettent la prise en compte de leurs réactions et de leurs besoins pour apprendre (Bergeron, 2018). Des moments sont prévus dans la planification de la séquence afin d’impliquer les élèves dans certains choix, de modifier le projet initial ou d’ouvrir des alternatives dans l’interaction. L’enseignant s’intéresse particulièrement aux besoins cognitifs identifiés, aux intérêts ressentis et à la progression des élèves. Il prévoit des moments et des outils pour les recenser et laisser les élèves s’exprimer. Il anticipe également ces réactions en préparant différents chemins vers l’atteinte des cibles.

Ces caractéristiques s’articulent notamment avec les apports de Wiliam (2011), pour qui préciser et communiquer les intentions d’apprentissage et les critères de réussite est la première des cinq stratégies-clés afin de mettre en place une évaluation pour apprendre. À cela, s’ajoute l’importance du feedback régulier et l’implication des élèves dans le processus évaluatif, qui sont rendus possibles et efficaces grâce à des cibles claires. Rappelons ici le potentiel important du feedback sur l’apprentissage des élèves selon la synthèse de Hattie (2009) (d = 0,73 ; 10e rang ; 23 méta-analyses). Toutefois, tout feedback n’est pas efficace. Selon la littérature (Calone & Lafontaine, 2018 ; Hattie, 2009 ; Hattie & Timperley, 2007), un feedback efficace doit remplir certaines conditions : répondre à trois questions essentielles (Où dois-je me rendre ? Où suis-je actuellement ? Comment faire pour m’approcher de ce qui est attendu ?) ; être axé sur l’apprentissage et non sur la personne ; se référer à des critères explicites ; être communiqué au plus tôt et de manière régulière. Aussi, le feedback doit être compris et perçu comme utile par celui qui le reçoit afin de l’amener à passer à l’action (Carless & Boud, 2018).

Pour un effet plus marqué, Black et Wiliam (2009) relèvent que le soutien aux apprentissages des élèves passe par une pratique fréquente de l’évaluation formative dans l’action, également spontanée et informelle. En accompagnant des enseignants de mathématiques et de sciences naturelles à utiliser l’évaluation formative dans l’action, ces auteurs ont pu démontrer une augmentation des résultats des élèves d’environ 80 %, évalué à l’aide de tests standardisés. Encore une fois, pour atteindre de tels résultats, Black et Wiliam (2009) soulignent que les cibles doivent être claires pour l’enseignant et comprises par les élèves, mais également que les élèves doivent être formés et impliqués dans le processus.

Une planification flexible permet donc d’établir un scénario d’« enseignement-apprentissage-évaluation » (Gérard, 2013) clair, mais laisse une place importante à la réaction aux événements en classe. Elle demande à l’enseignant de savoir mener une analyse et/ou d’avoir une connaissance approfondie des savoirs en jeu, de connaître et/ou d’anticiper les processus d’apprentissage des élèves et de savoir appliquer/créer une variété de méthodes d’enseignement. Une planification flexible des démarches d’évaluation vise la mise en oeuvre d’une évaluation qui soutient les apprentissages (Laveault & Allal, 2016) et donc, in fine, vise un apprentissage des élèves en profondeur (Fullan et al., 2018 ; Tochon, 2013).

Les possibles apports d’une planification flexible dans la mise en oeuvre d’une évaluation-soutien d’apprentissage

Cette section propose une articulation théorique entre les concepts définis dans la section précédente et aborde la question suivante : En quoi une planification flexible peut-elle favoriser la mise en oeuvre d’une évaluation-soutien d’apprentissage ? Pour y répondre, nous discutons des apports de la planification flexible quant à trois éléments-clés du concept d’évaluation-soutien d’apprentissage, selon Laveault et Allal (2016) : planifier de façon flexible 1) pour mieux intégrer l’évaluation en continu dans la séquence ; 2) pour mieux articuler les situations formatives et sommatives et 3) pour impliquer davantage l’élève dans son apprentissage.

Planifier de façon flexible pour mieux intégrer l’évaluation en continu dans la séquence

Une évaluation en continu vise la régulation de l’apprentissage tout au long de la séquence d’enseignement-apprentissage, c’est-à-dire une régulation « interactive » (Allal, 2019). D’après Allal (2007) et Laveault (2007), le processus de régulation nécessite 1) des cibles d’apprentissage claires, 2) un contrôle de la progression des élèves par rapport à ces cibles, 3) des feedbacks et 4) des actions de l’enseignant et/ou de l’élève (régulation ; autorégulation ; corégulation) pour orienter et différencier l’apprentissage vers ces cibles. Par son caractère hiérarchisé, à l’image de la conception à rebours (Wiggins & McTighe, 2005), la planification flexible amène l’enseignant (ou les enseignants en équipe) à identifier de manière précise les cibles d’apprentissage et les critères de réussite avant de commencer la séquence d’enseignement-apprentissage. L’enseignant pourra s’y référer tout au long du processus d’apprentissage afin de récolter des traces variées et d’apporter des feedbacks réguliers (Black & Wiliam, 2009) et plus efficaces, car fortement liés avec les cibles définies (Calone & Lafontaine, 2018 ; Hattie, 2009 ; Hattie & Timperley, 2007).

Lors de l’élaboration de sa planification, dans la phase pré-active, l’enseignant prévoit des moments de collecte de l’information et de feedback par le biais d’informations orales ou écrites, et ce, de manière formelle ou informelle. Si l’évaluation se fait en continu, elle ne doit pas pour autant être toujours formelle et avec une importance égale, l’enseignant risquant de perdre son énergie et son efficacité. Des cibles claires favorisent des actions d’évaluation informelles et spontanées, situées dans l’action et régulières, plus efficaces que des tests formalisés ponctuels (Black & Wiliam, 2009). L’évaluation fait ainsi partie des pratiques quotidiennes de la classe. Mais la planification flexible permet également de cerner les différents moments dans la séquence qui sont les plus significatifs et qui nécessitent une certaine formalisation. La planification peut anticiper ces différentes situations par rapport aux différentes étapes didactiques d’une séquence (découverte, construction, entraînement, transfert). Par exemple, une rétroaction en fin de séquence est certes importante et peut être efficace si elle permet de faire un bilan de l’apprentissage, mais elle sera d’autant plus utile lorsqu’elle est amenée plus tôt, lors de l’apprentissage (Brookhart, 2010 ; Hattie, 2009).

Des prises de données régulières quant à des cibles claires permettent l’analyse et la prise de décisions de l’enseignant dans l’interaction avec les élèves, en continu durant la séquence. Il s’agit du caractère dynamique de la planification flexible. Cette récolte permet à l’enseignant de modifier les choix initiaux et/ou de s’assurer de leur bonne conduite. Par exemple, il est possible, pour une activité ciblée, que les élèves rencontrent des difficultés non anticipées. L’enseignant pourra modifier cette activité tout en gardant à l’esprit qu’elle doit viser la même cible. Pour conserver un bon « alignement curriculaire » (Anderson, 2002 ; Pasquini, 2019), ce sont donc les stratégies d’enseignement, les approches, les supports qui seront régulés tout en permettant de poursuivre l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation vers les mêmes buts. Pour renforcer ce caractère dynamique, une planification flexible reste ouverte : l’enseignant y prévoit suffisamment d’espaces pour pouvoir modifier son plan initial. Tout n’est pas prévu, seuls les éléments incontournables (cibles, phases de la séquence, activités principales) sont identifiés et organisés.

Enfin, la planification flexible des démarches d’évaluation favorise un « dialogue interactif » (Black & Wiliam, 2018) avec les élèves tout au long d’une séquence. Ce dialogue, mené de manière informelle ou formelle, permet de mener une régulation interactive en continu. L’élève, ayant compris vers quelles cibles il doit se rendre dès le départ de la séquence, est mis en condition de pouvoir observer sa progression vers les cibles d’apprentissage tout au long du processus d’apprentissage.

Planifier de façon flexible pour mieux articuler les situations formatives et sommatives

L’idée des possibles synergies entre évaluation formative et sommative est défendue par de nombreux chercheurs, surtout anglo-saxons (Black & Wiliam, 2018 ; Harlen, 2005). La conceptualisation de l’évaluation-soutien d’apprentissage souligne l’intérêt de ces synergies pour favoriser les apprentissages des élèves. Selon Laveault et Allal (2016), ces synergies peuvent se faire de trois manières, toutes avec l’intention de soutenir les apprentissages : 1) les données récoltées durant l’apprentissage (évaluation formative) peuvent contribuer à ajuster l’évaluation sommative, 2) l’évaluation sommative peut être une occasion d’apprendre, si son design permet un véritable feedback et des actions de régulation et 3) le processus peut être balisé en étapes formatives et en étapes sommatives pour une même production travaillée durant la séquence. Pour les rendre possibles et effectives, l’enseignant doit planifier ces différentes synergies et donner une importance cruciale à l’élaboration de critères (Harlen, 2005). Il pourra ensuite réguler sa planification durant l’action afin d’atteindre les cibles visées (objectifs ou compétences ; critères). Dans sa planification de séquence, l’enseignant peut identifier les principales situations évaluatives nécessaires (formatives et sommatives), leurs intentions propres (réguler et/ou certifier) et les possibles articulations des données récoltées dans ce processus. Il balise alors le processus d’enseignement-apprentissage-évaluation vers l’atteinte des cibles. Il prévoit, par exemple, la ou les situations ou productions finales et peut identifier les différentes étapes du processus nécessaires à leur réalisation. Il peut également identifier les temps d’apprentissage et d’évaluation (formatives et sommatives) qui portent sur des « ressources » et celles qui portent sur des « compétences » (Gérard, 2013). Il ne s’agit donc pas de préparer différents tests microsommatifs pour en faire une moyenne, mais bien de déterminer et de hiérarchiser les moments qui nécessitent de combiner des informations détaillées ou de faire un portrait plus large. Il s’agit d’articuler des informations « à petits grains ou à gros grains » (Harlen, 2005 ; Laveault & Allal, 2016). Toutefois, ces étapes ne sont pas figées. En effet, par son aspect dynamique, la planification flexible permet, durant la phase interactive, de réguler le processus planifié en amont, par exemple, supprimer, ajouter ou modifier une situation ou tâche d’évaluation. Encore une fois, cette flexibilité est rendue possible par un projet clair dès le départ qui favorisera l’« alignement curriculaire » (Anderson, 2002 ; Pasquini, 2019) de la séquence d’enseignement-apprentissage-évaluation et qui permettra une prise de décision orientée vers les éléments essentiels.

Planifier les synergies entre les différentes situations évaluatives vers l’atteinte de cibles claires permet de prévoir la triangulation de données significatives afin de construire un « jugement professionnel » (Lafortune et Allal, 2007) tout au long de la séquence. Grâce à la planification des principales situations d'évaluation, l’enseignant peut construire un jugement approfondi, tout au long du processus et non dans l’urgence, à la fin, sur un temps T (Yerly et al., 2019). Cette triangulation permet de favoriser ainsi la validité et la pertinence du jugement évaluatif, d’autant plus complexe dans une approche par compétences (De Ketele & Gérard, 2005). Pour ce faire, il est en effet nécessaire de récolter des traces (ou des preuves) d’apprentissage tout au long du processus. Ceci ne peut pas se créer sur le moment, mais demande une véritable planification. En effet, en identifiant précisément les cibles et les situations évaluatives clés, comme mentionné plus haut, l’enseignant est en mesure de s’assurer de collecter un ensemble de traces suffisant pour étayer son jugement professionnel. La planification pourra ensuite être régulée tout au long de la séquence, tout en restant proche des cibles établies. Une planification hiérarchisée amène l’enseignant à faire le lien entre l’activité et l’apprentissage ciblé, à concrétiser ses observations, et à créer des outils (p. ex., grilles d’observation, tests, portfolio, etc.) permettant d’observer et de conserver des traces en continu. La planification de l’enseignant est ainsi dynamique. Il prévoit des moments privilégiés dans la séquence pour différencier les activités, dans leur nombre ou dans leur forme, selon les besoins des élèves (Bergeron, 2018 ; Tomlinson & McTighe, 2010) et selon la nécessité de traces pour étayer son jugement évaluatif.

Planifier de façon flexible pour impliquer davantage l’élève dans ses apprentissages

Une planification flexible, par son caractère interactif, prévoit des moments qui visent à impliquer les élèves dans l’analyse du déroulement de leur apprentissage et dans les décisions à prendre. L’enseignant y prévoit de leur donner un véritable rôle d’acteurs et non de simples contributeurs. Nous l’avons vu, à certaines conditions, l’évaluation des apprentissages en elle-même peut être considérée comme un apprentissage (assessment as learning) (Earl, 2013). Sous leurs différentes formes (formative et sommative), les situations d’évaluation visent à développer les compétences d’autorégulation des élèves (Andrade & Brookhart, 2020). Pour ce faire, une planification initiale bien hiérarchisée permet plus aisément à l’enseignant de communiquer les cibles d’apprentissage (objectifs/compétences ; critères), afin que les élèves puissent les comprendre, se les approprier, puis les utiliser comme outil au service de leurs apprentissages. Cette clarté du projet d’apprentissage visé devrait ainsi favoriser les chances de réussite des élèves (Hattie, 2017 ; Mottier Lopez & Laveault, 2008). « Les élèves peuvent atteindre n’importe quelle cible, pourvu qu’ils la voient et qu’elle ne bouge pas. [Traduction libre de Rick Stiggins] » (Davies, 2008, p. 21).

Dans sa planification, l’enseignant peut prévoir des moments où il va expliciter aux élèves quels sont les cibles à atteindre et les critères et préparer des situations pour qu’ils les utilisent et se les approprient. Il peut également prévoir d’expliciter les démarches mais aussi ses intentions évaluatives. L’étude par questionnaire de Yerly et Berger (2022) montre que, dans la formation universitaire, les perceptions que se font les étudiants des intentions du professeur pour un examen peuvent influencer positivement leurs pratiques d’apprentissage autorégulés. Dans sa planification, l’enseignant peut prévoir des moments ou des étapes propices à l’autoévaluation, à l’évaluation par les pairs ou à la coévaluation dont l’efficacité sera augmentée grâce à une meilleure connaissance des cibles d’apprentissage. Le dialogue interactif se passe également entre les élèves. Le but ultime consiste à ce que les élèves deviennent de meilleurs apprenants, capables de se donner du feedback entre pairs (Mottier Lopez & Girardet, 2022) et à eux-mêmes, en ayant compris les critères de réussite (Wyatt-Smith & Adie, 2021). Dans sa planification, l’enseignant peut également prévoir des moments et des actions pour impliquer les élèves dans le choix (différencié) des modalités des différentes situations évaluatives.

Aussi, dans un contexte où les programmes visent le développement de compétences et/ou un apprentissage en profondeur plutôt que la mémorisation de connaissances, la précision des cibles évolue selon l’activité de l’élève. Ce dernier doit pouvoir participer aux modifications apportées, et même contribuer à la « référencialisation » de l’objet d’apprentissage (Mottier Lopez & Dechamboux, 2019). En suivant ces chercheurs, l’activité de l’élève peut être planifiée par l’enseignant pour le rendre acteur dans l’établissement ou dans la modification du référentiel d’évaluation. Dans sa planification, l’enseignant peut prévoir d’impliquer les élèves dans la spécification des attentes, voire dans leur remise en question et dans la définition de nouveaux critères. Tout comme l’enseignant, l’élève se construit un référent de ce qu’il doit apprendre et comprendre. Il interprète les attentes. Ainsi, pour saisir ce sens, l’enseignant se doit d’avoir un dialogue interactif avec l’élève et l’impliquer davantage dans le processus évaluatif. Une planification flexible, par son caractère interactif, prévoit des moments qui impliquent les élèves dans l’analyse et dans les décisions. Elle leur donne un véritable rôle d’acteur et non de simple subordonné dans le but de développer leurs apprentissages en profondeur (Earl, 2013).

Le tableau 1 synthétise les éléments abordés dans l’article dont l’enseignant peut tenir compte dans la planification flexible des démarches d’évaluation des apprentissages. Il peut considérer ces pistes, non exhaustives, dans les phases pré-active, inter-active et post-active de la planification en parallèle avec des choix didactiques et pédagogiques. Elles sont catégorisées selon les critères proposés par Maulini (2004).

Tableau 1

Éléments que l’enseignant peut considérer dans la planification flexible des démarches d’évaluation des apprentissages

Éléments que l’enseignant peut considérer dans la planification flexible des démarches d’évaluation des apprentissages

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Conclusion

L’objectif principal de l’article était de discuter théoriquement des apports de la planification dans la mise en oeuvre effective d’une évaluation qui soutient les élèves dans leurs apprentissages, une évaluation pour apprendre. Notre contribution aura été de mettre en lien les différentes connaissances scientifiques qui portent sur la planification du processus d’enseignement-apprentissage et celles sur l’évaluation des apprentissages. L’article a mobilisé des résultats de synthèse de recherches empiriques qui démontrent les effets positifs des pratiques de planification de l’enseignement-apprentissage sur les apprentissages des élèves, mais aussi les effets positifs des pratiques d’évaluation qui soutiennent l’apprentissage. Il s’est également appuyé sur des sources plus conceptuelles ou théoriques portant sur la planification et sur l’évaluation des apprentissages.

Les connaissances scientifiques actuelles plaident, entre autres mesures, pour une planification flexible afin de favoriser une évaluation pour apprendre qui vise in fine un apprentissage en profondeur chez les élèves. Dans l’article, la notion de planification flexible a été analysée et caractérisée comme une planification approfondie et structurée (planification hiérarchisée), mais qui laisse aussi une place importante aux ajustements dans l’interaction (planification dynamique) et qui implique les élèves (planification interactive). L’article a ensuite articulé les différents éléments théoriques et empiriques afin d’examiner le potentiel d’une telle planification comme levier pour la mise en oeuvre d’une évaluation pour apprendre dans les classes. Elle peut permettre aux enseignants de dépasser les intentions, souvent acceptées mais peu réalisées, dans le projet d’évaluer pour soutenir les apprentissages des élèves. Cet article théorique a permis de synthétiser les apports d’une planification flexible pour mieux intégrer l’évaluation en continu dans la séquence, pour mieux articuler les situations formatives et sommatives et pour impliquer davantage l’élève dans son apprentissage.

Toutefois, bien que les apports de la planification pour l’enseignement et pour l’apprentissage soient fortement étayés par la littérature, ils sont moins éprouvés sur le terrain en ce qui concerne l’évaluation des apprentissages, d’autant plus pour une planification flexible. Aussi, le développement de telles pratiques risque de se confronter à d’importants obstacles (complexité du métier, identité et croyances des enseignants, densité des programmes, etc.). Comme mentionné, une pratique flexible est plutôt le fait d’enseignants experts. C’est une compétence qui rend compte d’une posture professionnelle dépassant la simple application d’une méthode. Elle repose également sur des croyances et sur des capacités qui vont bien au-delà de l’évaluation des apprentissages et qui s’appuient sur un projet plus large de flexibilisation de l’enseignement dont la visée est de prendre en compte la diversité des élèves, dès la planification, afin de développer le potentiel de tous (Bergeron, 2018). Une telle planification nécessite donc des connaissances théoriques et expérientielles importantes chez les enseignants (contenus des programmes, fonctionnement des élèves, stratégies didactiques, etc.) acquises en formation (initiale et continue) et en exercice sur le terrain. Elle nécessite également des ressources et des conditions contextuelles favorables (travail en équipe, soutien hiérarchique, etc.) pour soutenir les enseignants dans le développement de cette compétence professionnelle. Des travaux de recherche empiriques sont donc nécessaires pour mieux comprendre les conditions nécessaires à une planification flexible permettant la mise en oeuvre de pratiques d’évaluation-soutien d’apprentissage.