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Introduction

La pair-aidance en santé mentale est définie comme « l’aide et le soutien que les personnes ayant vécu une maladie mentale peuvent se donner les unes aux autres » (Mental Health Foundation, 2021 ; Shalaby et Agyapong, 2020) ou comme le fait qu’une personne souffrant ou ayant souffert de troubles mentaux soutienne le processus de rétablissement d’autres personnes présentant des troubles similaires dans le cadre d’une relation de mentorat structurée (Davidson et coll., 2010, 2012 ; Villani et Kovess-Masféty, 2018). Fondée sur les principes clés de respect, de responsabilité partagée et d’un accord sur ce qui est utile entre les personnes partageant des expériences vécues (Shalaby et Agyapong, 2020), cette approche s’intéresse plutôt aux forces de la personne et à sa capacité à fonctionner qu’à sa maladie. Il s’agit d’un accompagnement dans l’optique d’atteindre une meilleure qualité de vie et de bien-être, nourrissant l’espoir en offrant un modèle de rétablissement possible (Villani et Kovess-Masféty, 2018). L’Encadré no 1 présente le contexte historique du développement de la pair-aidance et pair-aidance famille en santé mentale, les différents modèles de pair-aidance, et le contexte actuel dans lequel la pair-aidance se déploie plus spécifiquement au Québec.

Malgré les politiques et les efforts du gouvernement québécois, la pair-aidance en santé mentale est peu établie, notamment dans les PIPEP. Actuellement, plus d’une trentaine de PIPEP existent au Québec et, malgré que la première version du Cadre de référence pour les PIPEP du Québec (Delorme et coll., 2017) recommandait que des PA fassent partie des équipes de base des PIPEP, ils n’étaient présents que dans 4 des 28 programmes ayant participé, en 2020, à un sondage sur le degré d’implantation des composantes essentielles des PIPEP (Bertulies-Esposito et coll., 2021).

La littérature au sujet de l’implantation de la pair-aidance au sein des PIPEP est rare (Castelein et coll., 2015 ; Gumley et coll., 2020 ; Levasseur et coll., 2019 ; Nguyen et coll., 2021). Mieux connaître les différents rôles des PA et PAF, les retombées de ces interventions pour les patients, les membres de l’entourage et les équipes traitantes ainsi que les défis et les facilitateurs dans le processus d’implantation de la pair-aidance au sein de PIPEP permettrait aux équipes d’enrichir leur pratique d’une autre perspective, de réduire à la fois la stigmatisation entourant les troubles mentaux et ainsi réduire les réticences des jeunes à aller vers les soins qui seraient mieux adaptés à leurs besoins. Dans ce contexte, l’objectif de cet article est de documenter, à partir des connaissances scientifiques, de l’expérience clinique et du savoir expérientiel des auteurs, les retombées positives de la pair-aidance ainsi que des solutions possibles aux différents défis observés dans le processus d’implantation de la pair-aidance dans les PIPEP.

Méthode 

Cet article corédigé avec des PA et PAF présente une description et discussion de l’expérience de l’implantation de la pair-aidance et pair-aidance famille au sein des PIPEP au Québec, mise en perspective par une recension des écrits de la littérature scientifique et de la littérature grise, publiée en français ou en anglais dans les 20 dernières années. La synthèse narrative de la littérature traite des différents enjeux entourant l’intégration des PA et PAF dans les PIPEP : leurs rôles, les retombées de ces interventions pour les patients, les membres de leur entourage et les équipes traitantes ainsi que les défis et les facilitateurs dans le processus d’implantation de la pair-aidance dans ces programmes.

Stratégie de recherche pour la synthèse narrative des écrits

À l’aide des bases de données informatisées PubMed, Medline, PsycInfo, CINAHL et Google Scholar, une stratégie de recherche a été déployée avec un bibliothécaire du Centre hospitalier de l’Université de Montréal en employant les mots-clés : « pair aidant (peer support), premier épisode psychotique (first episode psychosis), santé mentale (mental health), proches pairs aidants (family peer support), patient-partenaire (patient partner), programme d’intervention précoce (early intervention services), rétablissement (recovery) ». La stratégie de recherche employée est détaillée dans le matériel supplémentaire 1.

Critères d’inclusion et d’exclusion pour la synthèse des écrits

Les articles retenus rapportent d’abord des études empiriques primaires (utilisant des méthodes quantitatives, qualitatives ou mixtes) ou de la littérature grise traitant de la pair-aidance en intervention précoce pour la psychose, publiés en français ou en anglais au cours de 20 dernières années. Vu le peu de littérature disponible sur la pair-aidance en premier épisode psychotique (PEP), le contexte de la recherche bibliographique a été élargi aux troubles psychotiques et à la santé mentale en général afin de pouvoir répondre aux objectifs de recherche sur les enjeux d’implantation de la pair-aidance. Les études qui ont évalué le soutien fournit par des non pairs (p. ex. professionnels de la santé) et les études sur la pair-aidance non liés à la santé mentale ont été exclues. Afin d’englober la diversité des initiatives en pair-aidance, aucun critère spécifique de sélection pour les définitions, descriptions et modèles de pair-aidance n’a été utilisé.

Sélection des études et analyses de données pour la synthèse des écrits

Le tri des articles a été effectué par l’auteur principal (PPOP), d’abord à partir des titres et des résumés en utilisant les critères d’éligibilité décrits, puis à la lecture du texte intégral des articles retenus (voir diagramme PRISMA matériel supplémentaire 2). Les données extraites des articles scientifiques et des publications de la littérature grise retenues (p. ex. devis d’étude, contexte de soins, population, objectifs de l’étude) ont été compilées par PPOP dans des tableaux séparés, selon les 3 contextes de pratique de la pair-aidance : en PIPEP, en troubles psychotiques en général puis en santé mentale en général. En cas de doute, une révision des interprétations a été effectuée par consensus avec un chercheur senior.

Rédaction du manuscrit et illustration des données en collaboration avec des pairs aidants et pairs aidants famille

Les auteurs se sont inspirés des critères SANRA (Scale for Assessment of Narrative Review Articles) lors de la rédaction (Baethge et coll., 2019), tout en intégrant des exemples pratiques afin de faciliter l’interprétation en lien avec les « réalités terrain ». L’auteur principal (PPOP) a rédigé un premier jet du manuscrit sous la supervision de AAB et les auteurs PA et PAF ont rédigé des vignettes pour illustrer leurs expériences vécues et entendues. Tous les coauteurs expérimentés en intervention précoce pour la psychose (incluant cliniciens, chercheurs, PA, PAF) ont relu et collaboré à l’analyse critique de l’article, qui fut ajusté en conséquence. La perspective d’autres patients-partenaires a été sollicitée et intégrée au texte (voir la note de remerciements).

Résultats

Cette approche a permis de recenser 36 articles scientifiques et 14 autres publications dans la littérature grise. Vingt articles scientifiques et 10 publications dans la littérature grise portaient sur la pair-aidance en contexte de santé mentale en général ; 8 articles scientifiques et 2 publications dans la littérature grise portaient sur la pair-aidance en contexte de troubles psychotiques et 8 articles scientifiques et 2 publications dans la littérature grise portaient sur la pair-aidance dans les PIPEP.

Tableau 1

Articles scientifiques retenus sur la pair-aidance

Articles scientifiques retenus sur la pair-aidance

Tableau 1 (suite)

Articles scientifiques retenus sur la pair-aidance

Tableau 1 (suite)

Articles scientifiques retenus sur la pair-aidance

Tableau 1 (suite)

Articles scientifiques retenus sur la pair-aidance

Tableau 1 (suite)

Articles scientifiques retenus sur la pair-aidance

Tableau 1 (suite)

Articles scientifiques retenus sur la pair-aidance

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Tableau 2

Publications de la littérature grise, de littérature non révisée par les pairs, de publications descriptives ou non conventionnelles retenues en lien avec la pair-aidance dans les programmes pour premiers épisodes psychotiques, pour les troubles psychotiques ou les programmes de santé mentale en général, particulièrement en francophonie ou au Canada ou ailleurs si pertinent

Publications de la littérature grise, de littérature non révisée par les pairs, de publications descriptives ou non conventionnelles retenues en lien avec la pair-aidance dans les programmes pour premiers épisodes psychotiques, pour les troubles psychotiques ou les programmes de santé mentale en général, particulièrement en francophonie ou au Canada ou ailleurs si pertinent

Tableau 2 (suite)

Publications de la littérature grise, de littérature non révisée par les pairs, de publications descriptives ou non conventionnelles retenues en lien avec la pair-aidance dans les programmes pour premiers épisodes psychotiques, pour les troubles psychotiques ou les programmes de santé mentale en général, particulièrement en francophonie ou au Canada ou ailleurs si pertinent

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1. Les rôles de pairs aidants

1.1 Les rôles de pairs aidants auprès de jeunes PEP

Les PA peuvent contribuer aux interventions cliniques auprès de jeunes présentant un PEP (JPEP) dans différents contextes : en suivi externe, pendant une hospitalisation ou durant le processus de transfert vers d’autres services de santé ou vers des organismes communautaires pendant et après le PIPEP (Monson, 2015 ; Nguyen et coll., 2021 ; Thomas et coll., 2021).

En suivi externe, les PA peuvent soutenir l’engagement actif du jeune dans son rétablissement. Se basant sur leur propre expérience, ils peuvent appuyer le JPEP en l’aidant à se fixer des objectifs personnels de mise en action (p. ex. reprendre des activités vocationnelles) (Wallot, 2019), en essayant avec lui des stratégies de gestion du stress, en soutenant sa participation aux groupes thérapeutiques. Ils constituent aussi des acteurs clés dans le processus d’adhésion au traitement pharmacologique ou d’arrêt de consommation (Cabassa et coll., 2017 ; Monson, 2015 ; Nguyen et coll., 2021). Ils visent à réduire l’isolement social et émotionnel fréquent chez le JPEP (Nguyen et coll., 2021) par la validation de cette expérience ou par l’accompagnement vers les activités sportives, récréatives et artistiques en adoptant une approche normalisante (Wallot, 2019). Ils peuvent finalement accompagner les jeunes dans les rencontres cliniques ou encore les aider à se préparer pour identifier et formuler ce qu’ils souhaitent communiquer à leur intervenant ou médecin (effets secondaires, craintes, préférences, attentes, etc.) (Nguyen et coll., 2021 ; Thomas et coll., 2021).

Leur présence est aussi bénéfique durant le séjour hospitalier qui peut souvent être vécu de façon traumatique, conduire à l’autostigmatisation, à l’auto-isolement, à la perte de confiance et d’espoir et potentiellement mener à un refus de services (Dias, 2019 ; Galloway et Pistrang, 2019 ; Wood et Brown Padilla, 2019). Naviguer à travers le système de soins peut être étourdissant pour un jeune qui n’a jamais eu d’expérience avec la maladie (Nguyen et coll., 2021). Les PA deviennent alors des guides crédibles qui ont déjà traversé et survécu à cette tempête d’émotions (Monson, 2015 ; St-Onge, 2017 ; Vigneault, 2017). À l’unité de soins ou lors de sorties à l’extérieur, ils offrent une écoute active au JPEP, l’encouragent avec empathie à persévérer « un pas à la fois », en lui partageant leur savoir expérientiel, tout en cultivant un rapport égalitaire avec lui, afin qu’il se sente moins seul et mieux compris dans ce moment de crise et de grand désarroi (Monson, 2015 ; Vigneault, 2017). Ils offrent aussi des accompagnements dans des étapes difficiles pour le jeune. La préparation de la sortie de l’hôpital après un long séjour en est un bon exemple. Dans bien des cas, la réadaptation à la vie courante et à toutes les stimulations qui y sont associées est un défi de taille : le fait d’être accompagné par un PA lors des premières sorties, dans le but de s’exposer, par exemple, à prendre le métro, permettra au jeune de ne pas se sentir seul dans cette étape. De même, le PA peut aller avec lui accomplir différents types de démarches soutenant sa réintégration dans son milieu de vie : retour à l’école, recherche d’emploi, visite d’organismes communautaires, etc. (Kidd et coll., 2021 ; Nguyen et coll., 2021 ; Vigneault, 2017).

L’implication du PA demeure précieuse aussi durant le processus de transfert vers d’autres services pendant et après le PIPEP (Nguyen et coll., 2021), les périodes de transition représentant des périodes à risque de désengagement et de bris de continuité de soins pour les JPEP (Myers et coll., 2017 ; Stowkowy et coll., 2012).

Les PA peuvent offrir, tout au long du suivi, leurs interventions individuelles et de groupe tant en présentiel que par visioconférence ou par le biais d’autres outils technologiques comme des applications mobiles (Alvarez-Jimenez et coll., 2013 ; Peck et coll., 2020). La combinaison pair-aidance et technologie vise à promouvoir l’autonomie, le rétablissement, le soutien entre pairs (Gumley et coll., 2020) et à augmenter le sentiment de connexion sociale (Alvarez-Jimenez et coll., 2013).

La vignette de l’Encadré nº 2 corédigée à partir des expériences cliniques vécues par les auteurs PA illustre certains exemples de leurs rôles auprès des JPEP.

1.2 Les rôles de pairs aidants au sein des PIPEP

Sur le plan clinico-administratif, le PA apporte un point de vue précieux lors des réunions d’équipe. Il peut sonder l’opinion des JPEP et porter leur voix dans les comités de gestion et concevoir des projets avec eux, visant l’amélioration de la qualité des services et des installations dans une perspective youth friendly (Vigneault, 2017 ; White et coll., 2017). Il est en mesure, grâce à son expérience in vivo du processus de soins, de promouvoir auprès des gestionnaires et des cliniciens, des pratiques exemptes de stigmatisation et de participer en coconstruction à des projets de recherche afin que les sujets et méthodes choisis soient adaptés aux besoins des usagers (Vigneault, 2017). Il peut donc agir comme un « pont » entre les gestionnaires, cliniciens, chercheurs et les usagers, permettant une meilleure compréhension des différents points de vue et éliminant la hiérarchie « nous et eux » qui existe parfois dans les services (White et coll., 2017).

1.3 Les rôles des pairs aidants famille et les retombées pour les membres de l’entourage des JPEP

La nécessité d’intervenir auprès des membres de l’entourage des JPEP s’appuie sur de nombreux écrits qui ont documenté le fardeau, le sentiment d’impuissance, de culpabilité et d’isolement qui les affligent et semblent les « paralyser » et par conséquent diminuer leur capacité de prendre soin de leur(s) proche(s) (Briand et coll., 2016 ; Day et coll., 2017 ; Levasseur et coll., 2019 ; Rajai et coll., 2021). Le modèle d’intervention PAF est basé sur le soutien mutuel entre pairs et permet d’offrir une écoute active aux membres de l’entourage, des stratégies pour mieux accompagner leur proche en rétablissement, ainsi qu’un lien vers les ressources appropriées dans la communauté (Briand et coll., 2016).

Il existe peu de littérature sur les rôles et les retombées de la pair-aidance famille au sein des PIPEP (Chovil et Glacken, 2008 ; Day et coll., 2017 ; Levasseur et coll., 2019 ; Sin et coll., 2012). À Montréal (Canada), l’idée d’un projet de pair-aidance famille a émergé en 2012 dans un PIPEP entre les proches de JPEP et depuis, des sessions de groupe de soutien visant le partage de leurs expériences et des difficultés auxquels ils font face, ont lieu (chaque semaine ou tous les 15 jours) (Levasseur et coll., 2019).

La vignette de l’Encadré nº 3 a été rédigée par les coauteurs PAF à partir de leurs expériences vécues et illustre certains exemples de leurs rôles dans le cadre des PIPEP.

2. Les retombées de la pair-aidance et pair-aidance famille en santé mentale

La pair-aidance a des retombées positives tant pour les usagers que les équipes multidisciplinaires (Galloway et Pistrang, 2019 ; Wood et Brown Padilla, 2019), permettant la réduction de l’utilisation des services d’urgence, du nombre de réadmissions et leur durée, particulièrement lorsqu’offerte autour de l’hospitalisation (Lawn et coll., 2008 ; Shalaby et Agyapong, 2020 ; Villani et Kovess-Masféty, 2018) et donc une diminution des coûts pour le système de santé (Lawn et coll., 2008). Aux États-Unis, des sessions de groupes virtuels orientées vers le rétablissement et dirigés par les PA a permis d’améliorer l’accès aux soins pour les JPEP, notamment pendant la pandémie de COVID-19 (Murphy et coll., 2022). Au Québec, durant cette période de 2 ans, 204 sessions de groupe en visioconférence animées par un PA ont permis de donner accès à de l’activité physique supervisée et adaptée, simultanément à plus de 150 JPEP de 13 PIPEP différents à travers le Québec (Romain et coll., 2022). La pair-aidance a des retombées positives pour les usagers sur l’amélioration de l’estime de soi, la qualité de vie, le bien-être émotionnel, psychologique et social (Castelein et coll., 2015 ; Scanlan et coll., 2017), l’amélioration des symptômes (Villani et Kovess-Masféty, 2018) et possiblement la réduction de la consommation de substances (Shalaby et Agyapong, 2020 ; Villani et Kovess-Masféty, 2018). De plus, les interventions de pair-aidance virtuelles durant la pandémie COVID-19 auraient permis de réduire l’anxiété, la dépression et la solitude (Suresh et coll., 2021). Finalement, les résultats d’une méta-analyse suggèrent que les interventions de groupe animées par les PA peuvent entraîner des améliorations légères, mais significatives, de l’autonomie et du sentiment d’efficacité personnelle par rapport au traitement habituel (Burke et coll., 2019). Ainsi, la pair-aidance contribue à déstigmatiser les problèmes de santé mentale et à nourrir l’optimisme des usagers et des membres de leur entourage, facilitant ainsi le processus de rétablissement (Castelein et coll., 2015 ; Dias, 2019 ; Monson, 2015 ; Vigneault, 2017).

Une méta-analyse comprenant 5 études sur des groupes de soutien par des PAF n’a pas démontré d’impacts significatifs sur le fonctionnement familial et le fardeau des proches de jeunes atteints de troubles psychotiques (Wang et coll., 2022). Toutefois, une étude menée à Montréal (Canada) a montré divers bénéfices parmi les proches de JPEP qui ont pris part à des sessions de groupes animées par les PAF, notamment l’obtention de soutien émotionnel entre les pairs, le partage de connaissances expérientielles sur le traitement et le rétablissement d’un trouble psychotique, le fait de regagner la confiance, l’espoir, ainsi que de développer des stratégies d’adaptation fondées sur une meilleure connaissance de la maladie et de son traitement (Levasseur et coll., 2019). De même, en Australie, des améliorations significatives chez les proches de JPEP dans la compréhension de la psychose, du rétablissement et des stratégies de prévention des rechutes ont été observées suite à un groupe de soutien mutuel formé par les proches de JPEP, animé par un travailleur social et un ergothérapeute. Les proches de JPEP ont ressenti une réduction du sentiment d’isolement et ont apprécié pouvoir exprimer leurs sentiments et être entendus par des personnes qui comprennent les défis auxquels ils font face (Day et coll., 2017).

3. Défis à l’implantation

Certains obstacles peuvent être rencontrés dans le parcours d’implantation de la pair-aidance au sein des services de santé mentale (Hopkins et coll., 2021 ; Monson, 2015). Il est fréquent que le rôle des PA ne soit pas bien compris ni reconnu comme étant « professionnel », ce qui peut contribuer à nourrir des attitudes négatives chez les collègues et mener à une forme d’exclusion (Hopkins et coll., 2021 ; Jones et coll., 2019). La difficulté à valoriser le savoir expérientiel des PA dans les équipes cliniques en santé mentale est ainsi l’un des obstacles les plus souvent mentionnés (Jones et coll., 2019 ; Shalaby et Agyapong, 2020 ; Villani et Kovess-Masféty, 2018 ; Walker et Bryant, 2013).

D’autres défis identifiés sont la planification et la mise en place des services, la définition de la responsabilité professionnelle, le besoin de créer un statut dans l’institution afin de confirmer leur légitimité, de définir leur place dans la structure administrative et de clarifier de qui ils relèvent (Hopkins et coll., 2021 ; White et coll., 2017). Le flou entourant la définition des limites et des responsabilités professionnelles peut générer du stress pour les PA en santé mentale et contribuer à nourrir des inquiétudes quant à l’intégrité professionnelle et aux enjeux de confidentialité (Jones et coll., 2019 ; Monson, 2015 ; Repper et Watson, 2012).

Les PA soulèvent l’importance de travailler dans un cadre clair afin de limiter la confusion entre leur rôle d’usager et leur rôle de professionnel soignant offrant des services au sein d’une équipe (Davidson et coll., 2006 ; Monson, 2015). La confusion peut être plus importante si le PA a déjà été suivi comme patient dans la même clinique ou si le PA est d’un âge similaire aux jeunes suivis, quoique ceci est vu comme un atout pour permettre l’identification des jeunes aux PA (Davidson et coll., 2006 ; Delorme et coll., 2017 ; Monson, 2015 ; Murphy et coll., 2022). Ils soulèvent aussi le déséquilibre de pouvoir (centré sur une approche médicale des soins) et le manque de ressources humaines et financières, comme étant des freins au plein accomplissement de leur rôle (Cleary et coll., 2018).

Contrairement à d’autres pays, notamment au Royaume-Uni (National Collaborating Centre for Mental Health [UK], 2014), aux États-Unis (Jones, 2015) ou en Australie (Monson, 2015), le Québec ne s’est toujours pas doté de guide pour l’intégration de PA dans les PIPEP et dans les équipes de santé mentale (Gélinas, 2006). Toutefois, la 2e version du Cadre de référence pour les PIPEP (Seery, 2022) recommande l’accès aux services de pair-aidance (soit comme membre de l’équipe, soit comme consultant) au même titre que diverses autres interventions psychosociales, ce qui devrait favoriser l’embauche de PA au sein des PIPEP. Malgré une volonté gouvernementale de faire évoluer l’implantation de cette intervention au sein du système de santé mentale (Delorme et coll., 2015 ; Delorme et Breton, 2005), différents défis administratifs existent au Québec, notamment la difficulté pour les établissements de créer des postes d’éducateurs PA au sein de leur registre de postes, ainsi que la difficulté de choisir parmi les différents modèles de pair-aidance (Cloutier et Maugiron, 2016 ; Lagueux, 2010). Puisqu’il n’existe pas encore de structure de postes et d’échelle salariale spécifique dans le système de santé, la rémunération des PA demeure un défi. Finalement, la notion de pair-aidance dans les établissements de santé du Québec étant nouvelle, il n’y a que peu de personnes expérimentées qui pourraient assumer le rôle de mentor de nouvelles recrues (Perreault et coll., 2015).

4. Facilitateurs pendant l’implantation

Pour qu’elle soit développée avec succès, la pair-aidance doit être considérée comme une intervention à part entière dans le PIPEP (Delorme et coll., 2017). Les services doivent valoriser le rôle et le savoir expérientiel des PA (Hopkins et coll., 2021 ; Monson, 2015 ; Villani et Kovess-Masféty, 2018 ; White et coll., 2017), ainsi que soutenir la mise en place d’espaces de dialogue dans lesquels toutes les personnes impliquées (PA, autres professionnels, gestionnaires, comité d’éthique, etc.) peuvent poser leurs questions et nommer leurs inquiétudes, dans une philosophie de coconstruction (Briand et coll., 2016). Il est également nécessaire d’offrir un soutien de type mentorat entre les PA afin de les aider à faire face à des situations stressantes pouvant affecter leur état mental (Briand et coll., 2016) et prévoir la possibilité de se retirer de situations difficiles pour eux (p. ex. jeune présentant une histoire difficile trop proche de la leur, venant les ébranler particulièrement) (Monson, 2015 ; Wallot, 2019), de réévaluer leurs tâches et charges de travail régulièrement, notamment lorsqu’ils se sentent submergés, pour ainsi limiter les risques de rechutes (Kemp et Henderson, 2012 ; Monson, 2015 ; Repper et Watson, 2012). Le mentorat par les pairs et la cosupervision avec un autre professionnel (idéalement un clinicien senior comprenant le rôle du PA et le valorisant) offrent des opportunités de discuter des rôles des PA, du fonctionnement d’équipe, de l’interface entre la pair-aidance et les autres interventions offertes, des besoins de formation, des stratégies pour surmonter les difficultés rencontrées, en plus de discuter des cas cliniques plus complexes (Jones et coll., 2019 ; Monson, 2015).

Afin de faciliter l’implantation de la pair-aidance au sein des PIPEP, en plus d’offrir un programme de formation de base aux personnes intéressées, il faut également sensibiliser et former les milieux d’accueil, tant les directions et les gestionnaires des milieux de travail, que les praticiens accueillant les PA, les instances syndicales et les milieux de recherche (Cloutier et Maugiron, 2016 ; Hopkins et coll., 2021). Il importe de clarifier le cadre d’intervention, incluant la notion de confidentialité, les différences et complémentarités des rôles avec les autres professionnels ainsi que les responsabilités professionnelles afin d’éviter les tensions au sein de l’équipe (Jones, 2015 ; Monson, 2015).

Au plan organisationnel, certains facilitateurs devraient être considérés : par exemple, clarifier si le patient lui-même peut faire une demande directement au PA ou s’il doit en faire la demande via son équipe traitante. Un formulaire de référence structuré peut être proposé à cet effet (Hopkins et coll., 2021 ; Monson, 2015 ; Villani et Kovess-Masféty, 2018). Une documentation des objectifs, de la durée de l’intervention et de la forme qu’elle prendra pourra permettre aux cliniques de mieux comprendre les besoins de jeunes, de prioriser et planifier les interventions des PA dans un travail de coconstruction (Chinman et coll., 2016, 2017).

Finalement, la documentation des enjeux, des stratégies d’action et des effets de l’intervention facilite la démarche d’amélioration continue dans le processus d’intégration des PA au sein des services de santé mentale (Briand et coll., 2016 ; Chinman et coll., 2016 ; Ojeda et coll., 2021). Les Encadrés nº 4 et nº 5 ont été corédigés avec les coauteurs PA après des échanges réflexifs auprès des équipes des PIPEP. Appuyés par la littérature, ils mettent de l’avant des éléments à prendre en considération dans l’organisation du travail des PA (Encadré nº 4) et dans leur processus d’embauche (Encadré nº 5).

Discussion

Cet article rédigé à partir d’échanges réflexifs entre les chercheurs, cliniciens, PA et PAF, s’appuyant sur la littérature disponible, visait à présenter les différents enjeux entourant l’intégration des PA et PAF dans les PIPEP. Quoique la littérature soit plutôt limitée sur le sujet, il en ressort que la pair-aidance est pertinente dans les PIPEP, pour les patients et leurs proches qui se sentent parfois mieux écoutés, compris et guidés par les PA et PAF. Par ailleurs, ces derniers pourraient aider à prendre en compte des besoins encore souvent ignorés des jeunes ou leurs familles dans leur entièreté. Par exemple, la participation des familles dans les soins des JPEP se concentre souvent autour d’un parent ou d’un aidant naturel principal alors que d’autres proches sont souvent ignorés ou mis à l’écart, en particulier la fratrie (Sin et coll., 2012). La famille oublie souvent leurs besoins de parentage, étant absorbée par la crise de l’enfant malade. Les besoins de la fratrie sont bien différents des parents. Ils visent autant que possible à maintenir leur propre vie et leurs études malgré le tumulte familial causé par le fait d’avoir un frère ou une soeur atteints d’un trouble mental. Ils se voient privés d’une personne très importante dans leur vie (leur frère ou soeur, souvent un confident) et ils ont rapporté ne pas obtenir le soutien et les informations nécessaires pour mieux comprendre et gérer les émotions générées par la situation (Sin et coll., 2012). Les études sur ce sujet sont très limitées. Cet aspect du vécu des familles et le rôle que les PAF pourraient y jouer, demeurent à explorer et à développer.

Un autre aspect souvent ignoré dans la littérature est l’importance d’intégration de PA provenant des milieux issus de la communauté noire, des minorités ethniques, de différentes orientations sexuelles et avec un vécu de pauvreté, de marginalisation sociale, de traumatisme et de discrimination (Cyr et coll., 2016), alors que cette population est surreprésentée dans la clientèle des PIPEP. Ce type de représentativité permet d’avoir un regard plus global et une meilleure compréhension des enjeux d’engagement dans les soins de la population desservie, le PA pouvant mieux soutenir et donner espoir en étant un modèle de rétablissement plus accessible.

L’accès à la pair-aidance dans les régions rurales/éloignées est également un enjeu peu discuté dans la littérature. L’accès aux services de santé mentale y est souvent limité et les transports en commun inexistants. Pour surmonter ces barrières géographiques, certains groupes de PA utilisent les technologies de téléconsultation pour offrir leurs services à distance (Cyr et coll., 2016).

Au Québec, la pair-aidance devient de plus en plus reconnue depuis l’élaboration des plans d’action en santé mentale (Delorme et coll., 2015 ; Delorme et Breton, 2005 ; ministère de la Santé et des Services sociaux, 2022) et l’adoption de normes telles que le Cadre de référence pour les PIPEP (Delorme et coll., 2017 ; Seery, 2022). Toutefois, contrairement à d’autres domaines de la santé où des programmes de pair-aidance sont bien établis, (p. ex. programme de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) (Mercier et coll., 1996) et des programmes en vue de réduire les risques de consommation de substances (Greissler et coll., 2014 ; Komaroff et Perreault, 2014 ; Liebling et coll., 2021), il n’existe pas de guide actuellement au Québec ou ailleurs dans la francophonie pour l’intégration de PA au sein des PIPEP, ce qui peut être un obstacle puisque les guides servent de modèles de fidélité aux sciences de l’implantation (Damschroder, 2020 ; Repper et coll., 2013). De plus, les études au sujet de la pair-aidance en santé mentale, mais surtout dans les PIPEP, comportent plusieurs limites méthodologiques (p. ex. très petits échantillons, pas de groupe contrôle), ce qui reflète le pauvre développement de ces programmes au Québec et en francophonie et limite leur déploiement surtout en pair-aidance famille (Levasseur et coll., 2019 ; St-Onge, 2017 ; Wallot, 2019).

À partir du succès des modèles américain et britannique à intégrer les PA en santé mentale (Gélinas, 2006), ainsi que l’expérience d’intégration de PA dans autres domaines en santé au Québec et ailleurs (Cloutier et Maugiron, 2016 ; Greissler et coll., 2014 ; Komaroff et Perreault, 2014 ; Mercier et coll., 1996) des principes clés peuvent inspirer pour mieux consolider la pair-aidance au sein des PIPEP au Québec et en francophonie. D’abord, l’implantation du modèle exige du temps pour recruter et former de futurs PA (Repper et coll., 2013). De nouvelles formules hybrides utilisant les technologies pourraient rendre plus accessible la formation de base pour les pairs-aidants et intégrer les aspects plus spécifiques à l’intervention auprès des JPEP. Par ailleurs, les nouveaux pairs aidants ont besoin d’un certain temps de formation terrain et de familiarisation avec l’intervention ainsi que de mentorat, avant d’être en mesure, au départ, d’intervenir auprès de leurs pairs (Gélinas, 2006 ; Mercier et coll., 1996 ; Repper et Watson, 2012). La deuxième condition de réussite est la clarification du modèle de pair-aidance et des rôles pour tous les membres des équipes cliniques, pour que l’inclusion se fasse réellement. Sans ces définitions claires, dans le contexte de pénurie de ressources humaines dans le système de santé, les PA prennent le risque de se voir attribuer divers rôles pour dégager les autres cliniciens de tâches n’ayant rien à voir avec leur expertise ou encore de devenir de la main-d’oeuvre « bon marché » et se voir attribuer des tâches qui dépendent normalement de professionnels de la santé formés à ces responsabilités. La supervision des PA (par qui, fréquence), ainsi que le soutien à la gestion du stress vécu par ceux-ci doit aussi être établis dès leur entrée dans les services (Repper et Watson, 2012 ; Triece et coll., 2022). Finalement, la conception et l’implantation de la pair-aidance dans les PIPEP devraient adopter une approche participative impliquant l’ensemble des parties prenantes (gestionnaires, PA et cliniciens) dans toutes les étapes du processus d’implantation (Gélinas, 2006 ; Triece et coll., 2022) incluant l’évaluation de la qualité des services de pair-aidance.

Dans ce contexte, il reste beaucoup à faire pour que les PIPEP à travers le monde, notamment au Québec et en francophonie, intègrent systématiquement cette intervention dans leurs pratiques quotidiennes (Chinman et coll., 2017 ; Cloutier et Maugiron, 2016 ; Lagueux, 2010). Des recherches futures devraient se pencher sur la professionnalisation de la pair-aidance et ses retombées à long terme, les innovations requises pour adapter l’intégration des PA à différents contextes culturels et socioéconomiques, ainsi que l’implantation de la pratique fondée sur des guides et mesures de fidélité (Puschner et coll., 2019 ; Pyle et coll., 2018 ; Triece et coll., 2022).

Forces et limites

À notre connaissance, il s’agit de la première coécriture d’un texte sur la pair-aidance avec des patients partenaires ayant une expérience de pair-aidance en PIPEP, appuyé sur une synthèse de littérature qui décrit les principaux rôles, retombées, défis et facilitateurs de l’implantation de la pair-aidance dans les PIPEP. La corédaction de cet article illustre la philosophie de collaboration qui sous-tend le travail de pair-aidance et intègre la vision des principaux intéressés. Néanmoins, le peu de recherches publiées sur la pair-aidance dans le contexte des PIPEP est certainement une limite majeure de cet article, qui repose sur des études dont la portée et la méthodologie sont souvent limitées, incluant des publications de la littérature grise, généralement non révisée par les pairs. Par ailleurs, les nombreuses définitions de la pair-aidance, les différents domaines de la santé mentale ou les populations à qui s’adressent les services (santé mentale générale, troubles psychotiques de tous âges, JPEP), les différents types de méthodologies utilisées, les petits échantillons, les différentes juridictions (qui ont des contextes politiques et sociaux différents), ainsi que les différentes étapes d’implantation de la pair-aidance au sein des PIPEP à travers le monde (p. ex. certains pays ayant des normes et guides alors qu’ailleurs la pair-aidance est issue d’initiatives locales) limitent la comparaison entre les études et la généralisation des résultats.

Conclusion

La pair-aidance constitue une approche intéressante à intégrer aux soins des JPEP ayant démontré des retombées positives sur différentes dimensions du rétablissement des usagers ainsi que pour le soutien de leurs proches. Au cours des dernières années, la Commission de la santé mentale du Canada et le MSSS au Québec ont mis de l’avant la valeur ajoutée de la pair-aidance afin de minimiser le fardeau économique et social que constitue le trouble mental. Toutefois l’implantation de cette intervention novatrice fait face à différents défis. Il est important que les personnes en position de leadership valorisent le rôle des PA et leur savoir expérientiel, en élaborant des stratégies pour la conception, l’implantation et l’évaluation de la qualité des services, ainsi que la sensibilisation du public et la réduction de la stigmatisation du trouble mental. Finalement, plus de recherches sont nécessaires afin d’explorer les divers aspects autour de la pair-aidance et de mieux intégrer celle-ci au sein des PIPEP.