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Introduction

L’anxiété et la dépression figurent parmi les troubles mentaux les plus courants en milieu de travail et représentent une des premières causes d’invalidité chez les travailleurs (Dewa, 2017 ; Memish et coll., 2017 ; Theis et coll., 2018). Même lorsqu’ils se situent sous le seuil clinique (Goetzel et coll., 2018), les symptômes liés à ces troubles sont associés négativement au fonctionnement au travail, défini comme étant la capacité d’un individu à répondre aux demandes de son emploi en raison de son état de santé (Abma et coll., 2012). À titre d’exemple, les symptômes anxieux et dépressifs sont liés à davantage de difficulté à gérer son temps, à prendre des décisions et à résoudre des problèmes (Bertillson et coll., 2013 ; Lerner et coll., 2010). De plus, la fatigue et les problèmes de concentration, souvent présents chez les personnes vivant avec ces troubles, augmentent les risques d’erreurs et d’accidents au travail (Haslam, et coll., 2005). Face à ces constats, il s’avère nécessaire d’identifier différents moyens concrets afin de mieux soutenir les nombreux travailleurs touchés par les symptômes d’anxiété et de dépression. Le soutien social des collègues pourrait être un levier important à considérer en ce sens. Plusieurs études et grands modèles théoriques soulignent les effets bénéfiques du soutien social en milieu de travail (p. ex. Bakker et Demerouti, 2017 ; Karasek et Theorell, 1990). Par ailleurs, comme les frontières entre la vie personnelle et professionnelle ne sont pas imperméables, le soutien social des proches, à l’extérieur du milieu de travail, est aussi susceptible de contribuer positivement au bon fonctionnement des travailleurs (Ten Brummelhuis et Bakker, 2012). Néanmoins, nous connaissons peu les pratiques spécifiques, les comportements concrets des collègues et des proches pouvant favoriser le fonctionnement des travailleurs vivant avec des symptômes d’anxiété et de dépression. La présente étude vise à pallier cette lacune.

Démystifier le soutien social

Le soutien social est un métaconcept qui implique différentes opérationnalisations (Haber et coll., 2007) et qui peut varier en termes de forme, de fonction et de source (Jolly et coll., 2020). D’abord, du point de vue de la forme, il est possible de distinguer le soutien perçu, référant à une perception globale du soutien disponible autour de soi, du soutien réellement reçu conceptualisé en termes de comportements réels adoptés par une source de soutien (Butts et coll., 2013). Pour sa part, la fonction de soutien peut être conceptualisée en différentes catégories, telles que : a) le soutien émotionnel (ressources d’aide psychosociales, telles que l’écoute et la bienveillance) ; b) le soutien instrumental (ressources d’aide pratiques, comme offrir du matériel) ; c) le soutien informationnel (transmission d’information générale afin d’aider à résoudre un problème, comme informer d’une ressource disponible) (Wills et Shinar, 2000 ; Thoits, 2011). Il est aussi possible de retrouver d) le soutien de camaraderie, qui fait référence à du temps consacré avec les gens qui nous entourent par le biais d’activités culturelles, sociales ou récréatives (p. ex. prendre un repas avec un ami), ainsi que e) le soutien de validation, qui permet de fournir de l’information sur la normalité d’un comportement (Caron et Guay, 2005). Finalement, le soutien social et ses effets peuvent varier en fonction de la source de provenance : collègues de travail, gestionnaires, proches, etc. (Jolly et coll., 2020). En somme, bien que le soutien social soit nuancé, il peut être défini comme « la dispensation (ou l’échange) de ressources émotionnelles, instrumentales ou d’informations […] que le soutien soit effectivement donné ou qu’il soit disponible en cas de besoin » (Camirand et Dumitru, 2011).

Le soutien social des travailleurs

Plusieurs grands modèles théoriques soulignent le rôle bénéfique du soutien social pour les travailleurs. D’abord, le modèle demande-contrôle-soutien (Karasek et Theorell, 1990) indique que le soutien social au travail pourrait modérer l’impact négatif d’une tension élevée (c’est-à-dire une combinaison d’exigences élevées et de faible contrôle) sur la santé et le bien-être des travailleurs (Karasek et coll., 1990). Dans le même ordre d’idées, le modèle des demandes et des ressources au travail (JD-R ; Bakker et Demerouti, 2017), indique que les ressources du milieu de travail, dont le soutien social, pourraient atténuer le lien entre les demandes (p. ex. charge de travail) et l’épuisement professionnel. Pour sa part, la théorie de la conservation des ressources (COR ; Hobfoll, 2011) indique que le soutien social pourrait représenter une ressource importante pour les travailleurs, qui leur permettrait de faire plus facilement face aux défis ou aux situations difficiles qu’ils rencontrent (Gorgievski et Hobfoll, 2008). En se basant sur ce dernier modèle, le modèle des ressources maison-travail (Ten Brummelhuis et Bakker, 2012) spécifie que le soutien social de la part des proches, à l’extérieur du milieu de travail, pourrait aussi avoir des effets positifs sur le travailleur. Selon ce modèle, le soutien social des proches permettrait au travailleur de développer différentes ressources personnelles (p. ex. estime de soi), qui seraient ensuite associées à des conséquences positives au travail (p. ex. bien-être au travail, productivité). Ainsi, en accord avec les différentes théories concernant l’interface travail-vie personnelle, les expériences de soutien social vécues dans un rôle (vie personnelle) pourraient améliorer les expériences vécues dans l’autre rôle (travail) (Edwards et Rothbard, 2000 ; Greenhaus et Powell, 2006).

D’un point de vue empirique, plusieurs études ont testé les postulats des modèles présentés ci-dessus (voir la méta-analyse de Viswesvaran et coll., 1999). À titre d’exemple, les résultats de l’étude d’Ibrahim et ses collaborateurs (2021), menée auprès d’enseignants, indiquent que les participants qui recevaient un faible soutien social étaient plus susceptibles de signaler des niveaux élevés de dépression, d’anxiété et de stress. Cette étude appuie également l’effet modérateur du soutien social dans la relation entre les demandes au travail et les symptômes de dépression et d’anxiété. Cependant, la plupart des études répertoriées à ce jour examinent le soutien social de façon globale, sans définir clairement la source de soutien concernée (p. ex. collègues, superviseurs ou amis) (Jolly et coll., 2020). Il s’agit là d’une lacune importante puisque les effets du soutien social variaient selon la source considérée (Chiaburu et Harrison, 2008 ; Tews et coll., 2020). Le soutien social des proches et des collègues plus particulièrement serait important à isoler et à considérer, puisqu’il s’agit des personnes avec qui le travailleur interagirait le plus fréquemment, comparativement au superviseur immédiat (Ferris et Mitchell, 1987). Par ailleurs, alors que certaines études (voir la méta-analyse de Chiaburu et Harrison, 2008) ont documenté l’association entre le soutien des collègues et différentes conséquences positives au travail (p. ex. réduction de l’absentéisme, augmentation des efforts au travail), aucune étude à notre connaissance n’a identifié de façon précise les comportements concrets de soutien adoptés par les proches et les collègues. Ce manque de connaissances a pour effet de laisser ces derniers peu outillés lorsqu’ils désirent soutenir un travailleur vivant des symptômes de dépression ou d’anxiété. Afin de pallier cette lacune, la présente étude vise à identifier les pratiques de soutien concrètes des proches et des collègues qui sont perçues comme étant favorables au fonctionnement au travail des individus présentant des symptômes anxieux ou dépressifs.

Méthode

Cette étude de nature qualitative transversale fait partie d’un projet de recherche plus large portant sur l’autogestion et les caractéristiques de l’environnement de travail qui favorisent la santé psychologique et le fonctionnement des travailleurs présentant des symptômes dépressifs ou anxieux (Roberge et coll., 2022). La présente étude porte spécifiquement sur les pratiques de soutien des proches et des collègues ayant été explorées auprès des participants. La posture épistémologique retenue est celle du postpositivisme (Ponterotto, 2005) puisque l’étude vise à identifier des pratiques de soutien des proches et des collègues qui sont généralisables et pourront être classées selon les 5 grandes fonctions du soutien social identifiées ci-dessus. Par ailleurs, il est reconnu que la réalité objective et les différents phénomènes humains examinés ne seront saisis que de façon imparfaite (Lincoln et Guba, 2000).

Recrutement

Les participants ont été recrutés par le biais d’annonces diffusées sur les réseaux sociaux et dans les bulletins d’information de différents organismes spécialisés en santé mentale (p. ex. Relief, Mouvement santé mentale Québec, Canadien Mental Health Association). L’annonce a également été diffusée par les chercheurs aux membres de la banque de participants de leur laboratoire de recherche, ainsi que sur leurs pages Facebook et LinkedIn. Afin d’être éligibles pour l’étude, les participants devaient répondre aux critères d’inclusion suivants : 1) être âgé de 18 ans et plus ; 2) travailler un minimum de 21 heures par semaine, afin d’avoir une expérience de travail suffisante permettant de renseigner les différentes questions de l’entrevue ; 3) présenter des symptômes légers ou modérés d’anxiété ou de dépression depuis au moins 6 mois. Les participants ne devaient pas présenter des symptômes anxieux ou dépressifs sévères pouvant susciter un inconfort indésirable lors de l’entrevue. Ce critère a été validé à l’aide des versions françaises du General Anxiety Disorder-7 (GAD-7 ; Spitzer et coll., 2006) et du Patient Health Questionnaire-9 (PHQ-9 ; Kroenke et coll., 2001) lors d’une préentrevue téléphonique. Les participants obtenant un score associé à des symptômes sévères (GAD-7 > 15 et PHQ-9 > 20) étaient exclus de l’étude et référés à des ressources d’aide.

Procédure

Les participants éligibles ont été invités à une entrevue individuelle d’une durée de 60 à 90 minutes. Les entrevues se sont déroulées d’avril 2019 à novembre 2019 en présentiel (n = 16), à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ou en mode virtuel via la plateforme Zoom (n = 9). Avant de commencer l’entrevue, les participants étaient invités à lire et signer le formulaire de consentement libre et éclairé qui avait été approuvé par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’UQAM. Afin de diminuer les risques et les inconvénients pour les participants, ces derniers étaient informés qu’ils pouvaient refuser de répondre aux questions avec lesquelles ils n’étaient pas à l’aise ou se retirer de l’étude à tout moment, sans préjudice. De plus, les coordonnées de la chercheuse principale ainsi qu’une liste de ressources d’aide psychologique étaient remises aux participants à la fin de l’entrevue. La collecte de données a pris fin lorsqu’il y a eu saturation de sens, c’est-à-dire lorsque l’ajout de nouvelles informations ne permettait plus d’ajouter de nuances ou de nouvelles idées (pratiques de soutien) (April et Larouche, 2006).

Canevas d’entrevue

Un canevas d’entrevue semi-structuré a été élaboré à partir de la technique des incidents critiques (Flanagan, 1954). Il était alors demandé aux participants de décrire des situations spécifiques lors desquelles leurs propres comportements ou les caractéristiques de leur environnement leur avaient permis de préserver leur fonctionnement au travail malgré la présence de symptômes anxieux ou dépressifs. Des sous-questions étaient prévues afin d’assurer que les participants décrivent le contexte de la situation, les comportements adoptés et les résultats obtenus. Dans le cadre de la présente étude, seules les réponses en lien avec les pratiques de soutien social des collègues et des proches ont été considérées. Une question ouverte suivant la description des incidents critiques et permettant aux participants d’ajouter de nouveaux éléments de réponses au sujet du soutien social a également été considérée (p. ex. Si vous pensez aux personnes qui vous entourent [famille, amis, collègues], est-ce que certaines d’entre elles vous aident à mieux fonctionner au travail malgré la présence de symptômes anxieux ou dépressifs ? Comment ces personnes s’y prennent-elles ?). Afin de tester la longueur et la fluidité de l’entrevue, le canevas a préalablement été administré à un travailleur répondant aux critères d’inclusion identifiés précédemment (Kalio et coll., 2016). Cette procédure a permis de réaliser quelques corrections mineures (p. ex. ajout d’une question d’introduction visant à décrire le contexte de travail du participant).

Analyse

Les entrevues ont été enregistrées et retranscrites. L’analyse des données a été effectuée avec le logiciel NVivo et s’est basée sur la méthode de l’analyse thématique en 6 étapes de Braun et Clarke (2006) : 1) Familiarisation avec l’ensemble des données ; 2) Génération de codes initiaux afin d’organiser les données de manière systématique et significative ; 3) Identification des thèmes pertinents en regard de l’objectif de recherche ; 4) Révision des thèmes afin d’assurer qu’ils soient cohérents ; 5) Raffinement des thèmes finaux et des sous-thèmes en les nommant et en assurant une relation entre eux ; et 6) Rédaction des résultats. Une approche d’analyse mixte a été adoptée. Plus précisément, nous avons d’abord fait appel à un processus déductif en utilisant les 5 grandes fonctions du soutien social, décrites précédemment, afin de classer les différentes pratiques de soutien social. Puis, nous avons adopté un angle plus inductif pour identifier nos thèmes et sous-thèmes en les élaborant à partir des propos des participants de notre étude. Afin d’assurer une rigueur scientifique, tout au long du processus d’analyse, nous avons utilisé la méthode de triangularisation des chercheurs (codage entre pairs) (Barusch et coll., 2011). Plus spécifiquement, des rencontres entre chercheurs (JC, SM et F L-J) ont été organisées tout au long du processus de codage afin d’échanger sur les thèmes identifiés. Il est important de noter que l’analyse a été un processus itératif pendant lequel des ajustements constants ont été faits. Les thèmes ont été considérés définitifs lorsqu’un consensus a été obtenu pour chacun d’eux.

Participants

Au total, 25 participants âgés de 20 à 60 ans (M = 35 ans ; ET = 12,75 ans) et provenant de différents secteurs d’emploi (p. ex. éducation, administration, droit) ont participé aux entrevues. Parmi les répondants, 9 personnes s’identifiaient comme des hommes et 16 comme des femmes. Les participants travaillaient entre 25 et 90 heures par semaine (M = 35 heures ; ET 12,75 heures). En ce qui concerne les symptômes, 52 % avaient des symptômes d’anxiété, 36 % vivaient avec des symptômes de dépression, tandis que 12 % avaient des symptômes mixtes (anxiété et dépression).

Résultats

L’analyse thématique a permis de mettre en lumière plusieurs pratiques des collègues et des proches qui étaient perçues par les participants comme étant favorables à leur fonctionnement au travail. Ces pratiques, présentées au tableau 1, ont été regroupées selon les grandes fonctions du soutien social : la camaraderie, le soutien émotionnel, le soutien instrumental, le soutien informationnel et la validation.

Camaraderie

La camaraderie est la catégorie de soutien social qui a été la plus mentionnée par les participants. D’abord, l’importance que les collègues « prennent des pauses » avec les participants a été relatée par certains interviewés :

« De juste prendre une vraie pause ensemble [entre collègues], de parler de voyages et de la température et de je ne sais quoi. Ça fait une vraie pause mentale ».

Il a aussi été nommé que d’« organiser des activités entre collègues à l’intérieur » (p. ex. méditation sur l’heure du dîner) ou à l’« extérieur » (p. ex. souper au restaurant) « des lieux de travail » permettrait de tisser des liens solides et de se sentir bien dans son milieu de travail. De plus, les collègues qui incitent les participants à « rire au travail » les aideraient à se changer les idées et à se détendre.

Certains travailleurs ont aussi discuté de l’importance d’avoir des collègues qui « favorisent l’inclusion de tous ». En effet, les collègues qui impliquent les participants dans le travail d’équipe et dans les prises de décision leur permettraient de se sentir considérés et inclus dans leur groupe de travail. De plus, les collègues qui adoptent « une attitude de non-jugement » en démontrant de l’ouverture et une attitude compréhensive envers les difficultés de santé psychologique favoriseraient un environnement de travail psychologiquement sécuritaire (safe space) et permettraient aux travailleurs de se sentir acceptés. Par ailleurs, chez certains participants, les collègues étant en mesure de « doser le temps imparti pour les conversations informelles » permettraient de diminuer le stress au travail. En effet, pour ceux-ci, ces discussions informelles pourraient générer l’impression de prendre du retard dans leur travail, ce qui amènerait « une situation d’anxiété ». Parallèlement, d’autres participants ont mentionné apprécier que leurs collègues « respectent leurs limites concernant les relations amicales » en milieu de travail. Concrètement, certains travailleurs préféreraient ne pas entretenir des relations trop amicales avec les confrères de travail. Cela leur permettrait de protéger leur vie privée, tout en évitant qu’une faille dans la relation amicale vienne éventuellement nuire à leur fonctionnement au travail :

« Je ne pense pas que je serais capable d’être amie avec mes collègues de travail. Parce que j’ai déjà eu un emploi où j’étais amie avec mes collègues de travail et ça a tellement mal terminé ».

Tableau 1

Les pratiques de soutien social des collègues et des proches favorisant le fonctionnement au travail

Les pratiques de soutien social des collègues et des proches favorisant le fonctionnement au travail

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Au niveau des proches, des pratiques similaires ont été mises en lumière. Dans un premier temps, il a été rapporté que les proches « qui contactent les participants durant leurs heures de travail par le biais de la technologie ou des réseaux sociaux » leur permettraient de se changer les idées tout en favorisant une humeur positive :

« Mon conjoint est assez présent par texto lui aussi. Donc, s’il y a quelque chose, je lui en parle […] Des fois, il peut me faire rire, il peut m’envoyer un GIF sur Messenger pendant ma journée de travail, ça me fait rire. Ça met un petit baume dans ma journée ».

Par contre, tout comme dans le cas des collègues, le besoin que les proches « dosent leurs interactions » lors des heures de travail a été soulevé. Par exemple, une participante a indiqué que lorsqu’elle reçoit des appels trop fréquemment de son conjoint « ça énerve » et « ça dérange ». Dans un autre ordre d’idées, « les proches qui proposent des activités ludiques » à l’extérieur des heures de travail aideraient à faire la coupure avec le travail, ce qui serait bon pour le moral. Puis, le simple fait de savoir que leurs proches sont « disponibles pour passer du temps avec eux » amènerait les interrogés à être dans un meilleur mood et à sentir qu’ils ne sont pas seuls pour faire face aux défis rencontrés.

Soutien émotionnel

Quelques pratiques de soutien émotionnel ont été identifiées comme étant favorables au fonctionnement au travail des participants sondés. Tout d’abord, plusieurs participants ont rapporté l’importance que les collègues fassent preuve d’« écoute » lorsqu’ils ont besoin de ventiler :

« En fait, quelques jours avant que je parte en vacances, je sentais que la pression montait et que je n’allais pas faire tout ce que je voulais faire et tout ça. Et ce que j’ai fait c’est que j’ai utilisé ma collègue pour ventiler ».

Aussi, certains participants ont mentionné qu’il est aidant d’avoir des confrères de travail qui sont en mesure de « reconnaître les signes d’une difficulté de santé mentale », sans que ceux-ci aient besoin de le nommer explicitement. Cela permettrait aux participants de se sentir soutenus lors des journées difficiles, sans avoir besoin de demander de l’aide, ce qui a été rapporté comme étant énergivore :

« Si moindrement, j’ai un moment plus anxieux, ça peut être tannant de toujours demander : “Faudrait que j’aille dehors, blablabla, ou faudrait que j’aille dans le bureau.” Donc, que les collègues puissent être capables de le remarquer pis tout ça, c’est vraiment bien ».

Puis, les collègues qui « communiquent avec tact et bienveillance », en formulant leur message avec doigté, contribueraient à ce que les travailleurs se sentent bien dans leur milieu de travail. En corollaire, les collègues qui « donnent de la rétroaction positive » susciteraient un sentiment de confiance et de compétence et aideraient à surmonter les symptômes liés à la dépression ou l’anxiété :

« J’ai une collègue qui est qui m’a aidé dans de nombreuses circonstances. […] par ses encouragements, tout ce qu’elle pouvait me dire. Je pense que c’est une des principales sources de soutien autour de moi, qui a fait en sorte que j’ai réussi à surmonter des moments d’anxiété comme ça ».

Tout comme pour les collègues, le fait d’« écouter » est une pratique des proches particulièrement appréciée par les répondants. Par ailleurs, d’autres pratiques de soutien émotionnel propres aux proches ont aussi émergé des entrevues. D’abord, le fait que les proches s’assurent de « régler rapidement les conflits » diminuerait les débordements émotifs de la vie privée vers la vie professionnelle et éviterait que les participants soient déconcentrés par la situation conflictuelle durant leurs heures de travail : « si je me chicane avec mon conjoint pour x raisons, ça va avoir un impact, le lendemain [au travail] ». Aussi, chez quelques participants, il a été rapporté que les « petites attentions personnalisées » de la part des proches (p. ex. mettre les petits biscuits préférés de la personne dans son lunch) augmenteraient les émotions positives favorables au bon fonctionnement au travail. En parallèle, « les témoignages d’amour ou d’affection » des proches augmenteraient le niveau d’énergie et donneraient du sens à la vie des travailleurs :

« Des fois, je passe une mauvaise journée, mon moment préféré de ma journée c’est de retourner chercher [mes enfants] […]. Mes enfants me donnent beaucoup d’énergie et de récompenses ».

Soutien instrumental

Les participants ont également identifié des pratiques de soutien instrumental utilisées par leurs collègues et leurs proches qui contribuent positivement à leur fonctionnement au travail. En effet, chez plusieurs, l’« aide des collègues dans la réalisation des tâches liées au travail » permettrait de diminuer le stress et de se sentir moins seuls. L’« aide apportée par les proches dans la réalisation des tâches non liées au travail », telles que les tâches domestiques, a également été rapportée comme une source de soutien rassurante, permettant d’enlever un poids sur les épaules des participants :

« Ce qui pouvait être aidant, c’est dans les périodes plus dépressives, c’est même juste d’aider à aller faire l’épicerie ou faire quelques tâches de ménage ».

Soutien informationnel

Les collègues et les proches contribueraient également au fonctionnement des travailleurs rencontrés en utilisant différentes pratiques de soutien informationnel. Précisément, quelques participants rencontrés ont indiqué que les « collègues qui transmettent des attentes réalistes » en termes de délais et de type de tâches attendues diminueraient le stress ressenti. En contrepartie, l’extrait suivant illustre les effets négatifs que peuvent occasionner des attentes irréalistes de la part des collègues :

« Je sens beaucoup qu’il y a des pressions de mes collègues, si je vois qu’ils me demandent des choses que je ne suis pas à l’aise de faire ou qu’ils me donnent des délais vraiment trop serrés, je deviens une poule sans tête… Ça fait en sorte que tu stresses parce que tu te demandes juste : “Est-ce que je vais avoir le temps ?” »

Les participants ont également indiqué que « les collègues qui transmettent des attentes claires » face aux tâches et aux comportements attendus contribueraient au développement de relations positives au travail. Inversement, ne pas savoir « quoi et comment faire […] rend anxieux ».

Ensuite, les conseils ont aussi été identifiés comme des pratiques de soutien importantes, et ce, tant au niveau des collègues que des proches. Du côté des collègues, « les conseils par rapport à la réalisation des tâches » aideraient à surmonter des moments d’anxiété. Dans le même sens, les « conseils des collègues pour diminuer les symptômes anxieux ou dépressifs » permettraient aux travailleurs de diminuer leurs pensées négatives et de se sentir mieux. Dans la même veine, les collègues « ayant eux-mêmes vécu des difficultés de santé psychologique » et utilisant « l’autodévoilement » soutiendraient les autres travailleurs en leur transmettant des informations utiles afin de faciliter la gestion de leur propre santé psychologique. L’extrait suivant en témoigne :

« J’avais une collègue de travail [qui avait] vécu la même chose dans les années précédentes […] ça a été vraiment un bon support là-dedans. Elle a pu m’expliquer un peu ce qu’elle avait traversé, c’est quoi les étapes que j’allais vivre. Ça a vraiment été très enrichissant ».

Cette même pratique s’applique aux proches qui, quant à eux, vont contribuer à faire cheminer et à outiller les travailleurs afin de leur permettre de mieux passer à travers leurs journées de travail.

Validation

Finalement, quelques travailleurs ont aussi identifié des pratiques de soutien de validation favorables à leur fonctionnement au travail. D’abord, certains participants ont relaté se sentir soutenus par leurs collègues lorsqu’ils les « aident à normaliser et à dédramatiser les situations vécues au travail » en apportant un point de vue externe :

« Je vois ma liste de choses à faire et je ne vais pas y arriver. Et on dirait que de parler avec [ma collègue], ça m’a aidé à relativiser. Parce que des fois je suis capable de le faire seule dans ma tête, mais on dirait qu’il y a comme une certaine limite […] je pense qu’elle m’a aidée à me recadrer ».

Dans le même sens, certains travailleurs ont nommé que les proches qui utilisent cette même pratique permettraient de valider leur perception :

« J’en parlais beaucoup avec mon conjoint. J’en parlais avec mes amis : “OK est-ce que c’est moi qui suis trop sévère avec elle et qui la [collègue] trouve juste vraiment fatiguante ?” ».

Discussion

L’objectif de cette étude était d’identifier les pratiques de soutien des collègues et des proches qui sont perçues comme étant favorables au fonctionnement au travail des individus présentant des symptômes de dépression ou d’anxiété. La présente étude a permis de mettre en lumière 30 pratiques de soutien social qui ont été classifiées selon 5 fonctions : camaraderie, soutien émotionnel, soutien instrumental, soutien informationnel et validation. Par ailleurs, les pratiques liées à la camaraderie ont été les plus mentionnées par nos participants. De plus, alors que certaines pratiques semblent répondre à un besoin bien précis (p. ex. donner des conseils par rapport à la réalisation d’une tâche), d’autres semblent plutôt contribuer à la mise en place d’un contexte de travail favorable (p. ex. favoriser l’inclusion de ses collègues). Hobfoll (2002) indique d’ailleurs que les ressources, comme le soutien social, sont transitoires et se situent sur un pôle allant de volatile à structurel. Les ressources volatiles sont fugaces et, une fois utilisées, elles peuvent être que très peu réutilisées par les travailleurs. Inversement, les ressources structurelles sont des actifs plus durables qui peuvent être utilisés plusieurs fois et durer plus longtemps. Dans cette optique, il serait intéressant que des études futures utilisent des devis longitudinaux et examinent les effets dans le temps de différents types de pratiques de soutien social (volatiles versus structurelles).

Cette recherche a également innové en considérant à la fois le soutien social des collègues et celui des proches. En accord avec la théorie du débordement travail-famille (Edwards et Rothbard, 2000), les résultats indiquent que le soutien social reçu dans la vie personnelle, de la part des proches, a été perçu par les participants comme ayant des répercussions positives sur leur fonctionnement au travail. En contrepartie, l’importance de doser la quantité des moments de connexion afin d’éviter les distractions et le stress associé à l’impression de prendre du retard dans son travail a aussi émergé de notre étude. De plus, certains travailleurs ont indiqué préférer ne pas entretenir des relations trop amicales avec leurs confrères de travail par peur d’augmenter leurs symptômes de stress ou d’anxiété. La théorie des frontières (Ashforth et coll., 2000) vient d’ailleurs appuyer ce résultat en démontrant que la délimitation de la frontière entre le travail et la vie personnelle varie selon les préférences individuelles. Plus précisément, certains travailleurs préfèrent la segmentation des rôles qui est caractérisée par des frontières inflexibles où le rôle de travailleur n’interfère pas avec d’autres rôles (Ashforth et coll., 2000). Ainsi, un travailleur préférant la segmentation aura tendance à ne pas entretenir de relations trop amicales avec ses collègues de travail afin de bien séparer le rôle d’amis de celui de travailleur. Inversement, certaines personnes préfèrent avoir des rôles intégrés dans lesquels les frontières sont plus perméables. Dans ce cas-ci, l’identité du travailleur pourra plus facilement s’imbriquer dans d’autres rôles simultanément et l’individu sera plus à l’aise d’entretenir des relations amicales dans son milieu de travail.

La présente étude est nécessairement teintée par la culture dans laquelle elle s’est déroulée. En effet, Kim et ses collaborateurs (2008) indiquent que les différences interculturelles vont influencer les comportements de recherche de soutien. Précisément, les travailleurs issus de cultures plus collectivistes seront moins portés à demander du soutien par crainte d’imposer un fardeau à leur réseau social. Inversement, les cultures individualistes auront tendance à aller chercher davantage de soutien en s’appuyant sur la logique de la responsabilité individuelle et en se basant sur le fait que les gens qui les entourent ont le libre choix d’accepter ou de refuser les demandes de soutien. Ces résultats soulèvent ainsi l’intérêt pour de futures recherches afin de mieux comprendre s’il existe des différences dans les préférences de soutien social selon diverses cultures organisationnelles ou sociétales.

Dans un autre ordre d’idées, bien que nos résultats aient permis d’identifier des pratiques de soutien qui favorisent le fonctionnement des travailleurs qui vivent avec des symptômes de dépression ou d’anxiété, il est possible de se questionner sur l’impact de telles pratiques sur les personnes qui offrent du soutien. En ce sens, en s’appuyant sur la théorie COR, Gabriel et ses collaborateurs (2018) ont démontré qu’offrir de l’aide ou du soutien social peut être un comportement qui épuise les ressources de l’individu. Par ailleurs, les études sur le soutien social soulignent qu’il s’agirait potentiellement du manque de réciprocité dans la relation qui a des effets délétères tant pour l’aidé que l’aidant (p. ex. Buunk et Schaufeli, 1999). En regard de ces informations, il serait pertinent que de futures recherches s’intéressent à la fois à la perspective des personnes offrant et recevant le soutien.

Concernant les limites méthodologiques de notre étude, l’utilisation d’un échantillon de convenance a fait en sorte que certains types d’emploi (p. ex. emplois manuels ou manufacturiers) ont été moins représentés. De plus, l’échantillon était composé de travailleurs ayant des symptômes d’anxiété ou de dépression allant de légers à modérés, et travaillant au moins 21 heures par semaine. Ainsi, les pratiques présentées dans cette étude doivent être considérées comme étant identifiées par des travailleurs qui ont connu un certain succès vers l’atteinte d’un meilleur fonctionnement au travail.

Conclusion

Les travailleurs présentant des symptômes d’anxiété ou de dépression peuvent bénéficier de plusieurs pratiques de soutien social provenant autant de leurs proches que de leurs collègues de travail. Les collègues et les proches désirant offrir du soutien social sont invités à prendre connaissance des pratiques précises et facilement transposables dans le quotidien qui ont été identifiées dans la présente étude, tout en gardant en tête l’importance de tenir compte des préférences individuelles de chacun.