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Introduction

La population immigrante au Canada augmente constamment (Statistique Canada, 2016). Ainsi, en 2016, la population du Québec comptait 13,7 % d’immigrants (Statistique Canada, 2017a) dont 73,2 % résidaient dans la région métropolitaine de Montréal (Gouvernement du Québec, 2019). La population de Montréal, quant à elle, était composée d’environ 23,4 % d’immigrants en 2017 (Statistique Canada, 2017b). Si au début du 20e siècle cette immigration provenait principalement des pays d’Europe, elle s’est grandement diversifiée depuis la fin du 20e siècle, que ce soit par les parcours migratoires, les capitaux culturels et sociaux, la connaissance des langues parlées, etc. Près de la moitié (48 %) de ces familles immigrantes vivent avec un enfant de moins de 18 ans et, de ces familles avec enfant, environ 5 % ont la responsabilité d’un enfant présentant des incapacités (Office des personnes handicapées du Québec [OPHQ], 2020).

Une population pour laquelle il est difficile de trouver des études est celle des enfants avec une déficience auditive provenant de familles immigrantes. Des recherches ont montré que le pourcentage de ces enfants est plus élevé que dans les familles non immigrantes (Rhoades, Price et Barris Perigoe, 2004). La guerre, la malnutrition, l’absence de soins médicaux sont quelques-uns des motifs expliquant cette différence. Certaines études ont porté sur ces familles. Ainsi, Borgstein et Raglan (1999) notent que certaines mères immigrantes ne semblent pas s’inquiéter du degré de surdité de leur enfant. D’autres études allant dans le même sens observent également que des parents immigrants ont des attentes peu élevées (Wathum-Ocama et Rose, 2002; Wiefferink, Vermeij et Uilenburg, 2010 et 2012). De plus, la difficulté à parler la langue du pays d’accueil et la complexité des démarches à effectuer pour obtenir des services compliquent la collaboration avec les professionnels qui travaillent auprès de ces familles (Amundsen, Wie, Myhrum et Bunne 2017; Wathum-Ocama et Rose, 2002; Wiefferink, Vermeij et Uilenburg, 2010 et 2012). Enfin, la méconnaissance des différences culturelles de la part des professionnels en réadaptation amplifie les problèmes de communication (King, Desmarais, Lindsay, Piérart et Tétreault, 2014; Swanwick, Elmore et Salter, 2021). Pourtant, ces derniers considèrent la collaboration avec les familles comme primordiale pour le développement de l’enfant avec une déficience auditive (Taleb, 2015; Yoshinaga-Itano, 2014). Ils se questionnent d’ailleurs sur la façon d’intervenir le plus adéquatement auprès des familles immigrantes (Amundsen et al., 2017; Bedoin, 2008). 

Cette recherche vise à contribuer à l'avancement des connaissances sur la collaboration entre les professionnels en réadaptation et les familles immigrantes ayant un enfant avec une déficience auditive et de fournir des pistes de réflexion sur ce sujet. Les résultats présentés dans cet article portent sur le point de vue des professionnels. La contribution de ces derniers avait comme but de permettre de répondre à la question suivante : comment voyez-vous la collaboration avec les familles des enfants immigrants que vous desservez ? 

Plusieurs objectifs étaient visés par cette recherche : 1) identifier les points de vue des professionnels en matière de collaboration avec les familles immigrantes des enfants qu’ils desservent, 2) documenter les difficultés rencontrées lors des interventions et 3) cerner les noeuds de tensions qui émergent de la collaboration entre les professionnels en réadaptation et les familles immigrantes avec un enfant ayant une déficience auditive.

Méthodologie

Pour répondre aux objectifs de cette recherche exploratoire, nous avons choisi une méthodologie qualitative. D’une part, cette démarche se veut représentative de la réalité des répondants, c’est-à-dire que les sujets doivent se reconnaître dans les résultats, et d’autre part, elle doit être significative pour le milieu concerné afin que ce dernier puisse, à partir de son expertise, procéder à des applications pratiques (Denzin et Lincoln, 2011). De plus, elle doit tenir compte des interactions entre les individus et leur environnement (Gauthier, 2003). Par ailleurs, une recherche exploratoire qualitative ne demande pas un nombre élevé de participants, l’objectif étant plutôt de mieux cerner un phénomène et non de l’évaluer (Paillé et Mucchielli, 2016).

Deux outils de cueillette des données ont été utilisés. Le premier a consisté en un questionnaire de renseignements sociodémographiques permettant de recueillir des informations sur les personnes participantes : âge, genre, formation d’origine, nombre d’années d’expérience en réadaptation, nombre d’années d’expérience auprès de la clientèle présentant une déficience auditive. Le second outil a été l’entrevue individuelle, avec des professionnels oeuvrant dans le programme Déficience auditive 0-12 ans. Les questions ouvertes ont été orientées vers des thèmes précis tels que la connaissance des parents par rapport à la déficience auditive de leur enfant et des difficultés qui s’ensuivent pour leur enfant, la collaboration avec les parents de ces enfants, etc.

Participants

Une fois le certificat d’éthique obtenu, les professionnels du programme multidisciplinaire de déficience auditive d'un Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la région de Montréal ont été sollicités pour participer à une recherche du Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation du Montréal métropolitain (CRIR) sur leur collaboration avec les familles immigrantes. Neuf professionnels provenant de cinq spécialités ont participé à une entrevue individuelle : deux audiologistes (A), trois orthophonistes (O), un ergothérapeute (E), un psychologue (Psy) et deux psychoéducateurs (Ped). Leur expérience dans le centre de réadaptation variait entre 3 et 35 ans dans le programme Déficience auditive 0-12 ans.

Déroulement de l’entrevue

Les entrevues ont duré approximativement 90 minutes et ont eu lieu à l’heure et à l’endroit qui convenaient au professionnel. Elles débutaient par un mot de bienvenue puis la lecture du formulaire de consentement. Ce dernier devait être signé pour que l’entrevue soit effectuée. Ensuite, l’entrevue commençait par le questionnaire de renseignements sociodémographiques, afin de dresser le portrait des professionnels et d'amorcer l’entrevue. À la fin de celle-ci, une synthèse des propos était effectuée pour permettre aux participants d'ajouter, si nécessaire, des informations supplémentaires. 

Traitement et analyse des données

Les entrevues ont été transcrites et une analyse des données a été effectuée à partir des verbatim. L’analyse de contenu a été privilégiée, car du fait de sa nature qualitative, elle permet de décrire, de clarifier, de comprendre ou d’interpréter une réalité (Denzin et Lincoln, 2010). L’analyse de contenu par thématisation continue de Paillé et Mucchielli (2012) a semblé la méthode la plus appropriée car elle fait intervenir des procédés de réduction des données en permettant un va-et-vient à la fois longitudinal (au sein d’un même entretien) et transversal (entre les entretiens). Elle fournit ainsi une analyse riche du corpus.

Les données ont été codées à l’aide d’une grille construite à partir des thèmes utilisés pour l’entrevue. Cette grille a évolué au sens où de nouvelles catégories ont été formées au cours de l'analyse des entretiens. Les données ont été codées de trois manières. La première a consisté à coder à partir des questions (par exemple « Selon vous, comment les familles perçoivent-elles la déficience auditive de leur enfant ? » ou « Comment se passe la collaboration avec les familles immigrantes qui ont un enfant avec déficience auditive ? »). Pour coder de la deuxième manière, des thèmes prédéterminés découlant de la recension des écrits (collaboration avec les familles immigrantes, perception de la déficience auditive chez les familles immigrantes, différences culturelles, etc.) ont été utilisés. La troisième manière a reposé sur les thèmes émergeant des propos des participants (pratiques parentales, famille élargie, etc.). 

Résultats

L’analyse de données a permis de cibler le point de vue des professionnels (quoique ces derniers se présentent comme intervenants dans cette étude) quant à leur collaboration avec les familles immigrantes. Certains obstacles auxquels ils se heurtent ont également pu être répertoriés. 

Collaboration avec les familles immigrantes

Tous les professionnels mentionnent qu’ils agissent de prime abord de la même façon, quelle que soit l’origine de la famille. 

Au départ, pour nous, ça ne change rien dans notre approche.

A1

Pour eux, ce n’est pas le fait que la famille soit immigrante qui rend la collaboration plus difficile, mais plutôt certaines caractéristiques familiales (représentation du rôle des parents, rôle de la famille élargie, place des filles et des garçons, discipline familiale). Parallèlement, plusieurs intervenants remarquent que les parents immigrants vivent de nombreux défis (niveau de connaissance de la langue de la société d’accueil, apprentissage de systèmes de santé et culturels différents, etc.) que les familles québécoises n’ont pas à vivre. Ces défis demandent donc aux intervenants d’apporter des adaptations spécifiques pour les familles immigrantes.

Des fois, avec les familles immigrantes, il y a l’aspect de la culture qui rentre en ligne de compte. Avec les familles québécoises, la culture reste similaire donc on n’a pas toutes ces adaptations-là à faire.

A2

À la lecture de ces propos, on comprend que les professionnels sont d’accord pour apporter des adaptations. Cependant, il semble que l’ampleur devienne telle que cela peut avoir des conséquences importantes sur la collaboration avec les familles immigrantes. D’ailleurs, tous les intervenants à l’exception d’un abordent le thème sous l’angle des obstacles dès le début de l’entrevue. Ces obstacles ont été regroupés en trois thèmes : perception de la déficience auditive, caractéristiques familiales et caractéristiques culturelles.

Perception de la déficience auditive

D’après les professionnels, les parents immigrants ont plus de difficultés que les parents québécois qu’ils rencontrent à prendre conscience du diagnostic. Celui-ci leur semble souvent irréel et le fait de ne pas pouvoir « voir » la déficience auditive est un obstacle avoué à la prise de conscience du handicap de l’enfant. À cela s’ajoute que, dans le cas de la déficience auditive, l’enfant n’est pas complètement sourd et a donc une certaine audition, rendant la compréhension de cette déficience plus difficile. Selon tous les participants, la dimension culturelle jouerait un rôle important dans l'acceptation du diagnostic :

C’est ça le défi c’est qu’on a à suivre ces parents-là dans leur processus, dans leur compréhension de tout ça. Avec les enjeux culturels, des fois, on a à défaire des mythes ou des croyances qui sont pas tout à fait justes.

A2

Cela se traduit notamment dans les causes amenées par les parents immigrants pour expliquer la déficience auditive de leur enfant. Pour les professionnels, celle-ci s’explique médicalement alors que, pour des parents immigrants, cela peut être la résultante d’une mauvaise action de l’un des parents ou encore relever de la religion.

On le sait qu’il peut y avoir des croyances religieuses autour de ça et de toutes sortes. Je l’ai souvent entendu par des familles [immigrantes], mettons où ils croyaient à des actions vaudou dans la famille élargie… Je ne veux pas traiter de ça.

Ped 1

Ces croyances auront un impact sur les actions que les parents entreprendront auprès de leur enfant. Par exemple, selon l’ensemble des intervenants, certains parents s’appuient sur leurs croyances religieuses plutôt que sur l’écoute des professionnels. 

La mère partait en retraite fermée pour prier et elle voulait amener la petite et on a compris à un moment donné qu’elle allait prier pour qu’elle entende. Elle avait espoir de guérison.

A1

Or, lorsque le diagnostic est posé, c'est le moment pour les professionnels de proposer des solutions aux parents, que ce soit par le biais de thérapies ou par l'appareillage de l'enfant. Les parents immigrants ayant des difficultés à accepter le diagnostic ou ceux qui s’expliquent la déficience auditive différemment des professionnels ne sont pas disponibles pour entendre ces recommandations. 

On est un peu pris à travailler avec le parent qui aurait besoin de cheminer de façon personnelle dans l’acceptation du diagnostic et ce n’est pas toujours facile quand tu es un professionnel et que tu veux que l’enfant puisse porter ses appareils.

A2

Devant cette difficulté, certains participants se questionnent sur la pertinence de contacter la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour forcer les parents à suivre la thérapie. Toutefois, ils préfèrent développer un lien de confiance avec les familles immigrantes afin qu’elles puissent entrer dans la thérapie de façon volontaire. 

Évolution de la compréhension de la déficience auditive par des parents immigrants 

Les professionnels mentionnent que malgré les résistances, la compréhension des parents immigrants par rapport à la déficience auditive de leur enfant évolue. En effet, dès le début de la thérapie, les professionnels expliquent aux parents immigrants que les impacts de la déficience auditive de leur enfant peuvent être atténués, notamment par des thérapies langagières ou un appareillage. Pour que leur message soit entendu, ils ajustent leurs interventions en prenant notamment plus de temps pour les explications. Selon les six professionnels intervenant directement sur la déficience auditive (ergothérapeute, orthophonistes et audiologistes), l’un des moyens utilisés est de diviser un objectif en « micro-objectifs » pour que le parent immigrant s’adapte aux façons de faire des intervenants. 

Les micro-objectifs, je préfère ça au lieu de mettre un objectif ici et qu’on n’y arrive jamais. Ça se voit beaucoup avec les familles immigrantes. C’est mieux parce qu’on est capable, un moment donné, d’atteindre l’objectif ultime. Ça, c’est l’adaptation que je fais pour contourner des obstacles.

E

L’objectif des professionnels derrière ces ajustements est d’amener les parents à valider les solutions considérées comme étant les plus efficaces par eux. Cela soulève des difficultés parfois importantes, notamment lorsqu’il est question d’appareiller l’enfant atteint de déficience auditive. À ce moment, les convictions des professionnels et les inquiétudes des parents immigrants s’opposent. Les premiers tentent alors d’amener les seconds à adopter l’appareillage suggéré. Leur objectif est de convaincre les parents que l’appareillage est la bonne solution. 

J’arrive à mes fins et mes fins sont que l’enfant soit appareillé. Qu’il va bien et pas nécessairement que les parents aient la même idée que moi. Mais je veux qu’ils comprennent la surdité et je mets beaucoup de temps à faire du counseling.

A1

Le fait que les parents accomplissent le cheminement attendu par les professionnels est perçu par ces derniers comme une manifestation des modifications des perceptions des parents immigrants, qui se distancient alors de leur culture, laquelle est associée par le professionnel au pays d’origine.

Ça me frappe à quel point souvent les parents vont prendre une distance par rapport aux perceptions dans leur pays d’origine.

Psy

Si ce travail fait par les professionnels est parfois bien accepté, il arrive, dans certains cas, que la pression ressentie par le parent immigrant mène à des réactions négatives : certains ont parfois choisi d’interrompre le suivi en réadaptation, entraînant ainsi une interruption des services pour l’enfant atteint de déficience auditive.

On s’en était parlé un peu, mais on a quand même mis un peu de pression sur ça [la déficience auditive]. Là, la maman, je pense qu’elle a préféré quitter et ne pas avoir de services au lieu de retourner et de se reconcentrer sur l’audition qui est vraiment le point difficile pour elle. L’acceptation de la surdité n’est pas encore là.

A2

Caractéristiques familiales

Les professionnels ont relevé plusieurs obstacles portant sur les caractéristiques familiales et qui les interpellent autant dans leurs pratiques que dans leurs valeurs et leurs croyances. Cela touche notamment les pratiques éducatives, la différence entre les genres et l’impact de la famille élargie. 

Pratiques parentales

Tous les participants s’expriment sur les pratiques éducatives des parents immigrants. S’ils notent que certaines sont similaires à celles des parents québécois, ils constatent que d’autres sont très divergentes. Ainsi, les deux tiers des intervenants s’expriment sur la discipline. Ils remarquent notamment que certaines familles n’ont pas les mêmes critères disciplinaires qu’eux.

J’en ai beaucoup, des familles où il n’y a pas de cadre, pas de structure. Les enfants font ce qu’ils veulent quand ils veulent. Donc, c’est un problème parce que je ne travaille pas sur l’éducation des enfants, mais ça a un impact sur ce que je demande en fait.

E

Selon eux, l’enfant agit à sa guise. Or, les interventions thérapeutiques étant très structurées, les participants constatent que l’enfant a des difficultés à fonctionner dans un tel cadre et cela débouche souvent en crise qu’ils doivent alors gérer. Selon six des neuf professionnels, ce manque de discipline parentale va à l’encontre de leurs propres valeurs. 

Je n’en ai jamais rencontré des Québécois qui attendaient que l’enfant s’épuise avant d’aller le coucher. Les parents immigrants vont plutôt nous dire : « Il fait des crises, aidez-moi pour diminuer la crise ». [Ils sont] plus tolérants sur certaines choses. Mais ça touche à nos valeurs aussi. Moi j’ai été élevé et j’ai élevé mes enfants que quand c’était l’heure d’aller dormir, il fallait y aller. […]  Là, ça ne va pas, Madame. Vous comprenez que ça ne va pas, pour moi, ce n’est pas la bonne façon.

Ped 1

L’expérience personnelle de ce participant l’amène à reconsidérer son rôle professionnel, celui de psychoéducateur, à expliquer au parent que cette différence dans les pratiques éducatives nuit au développement de l’enfant.

A contrario, d’autres participants notent que des parents immigrants sont très exigeants envers leur enfant. Ces derniers exigent que celui-ci réussisse aussi bien que les autres enfants de la famille, sans tenir compte de sa déficience auditive. Dans le même sens, les professionnels mentionnent que certains parents ont des pratiques éducatives coercitives qui, au Québec, devraient être signalées auprès de la DPJ. 

On en a parlé plusieurs fois avec la TS [travailleuse sociale]. J’ai eu des familles et grand-maman frappait. Elle les frappait et elle le disait ouvertement. La TS expliquait qu’ici, c’est mal vu. Ici, « si vous frappez les enfants, vous allez avoir des problèmes » et d’expliquer à la grand-maman que ce n’est pas permis.

O2

Or ils ne souhaitent pas nécessairement se tourner vers la DPJ car ils perdraient alors le lien de confiance qu’ils essaient d’établir avec les parents. Par conséquent, les professionnels se sentent démunis devant l’absence de changements de pratiques éducatives.  

Je me suis senti parfois démuni. Essayer d’influencer le parent et de dire que ça fait pas mal de choses (pour le jeune) et le parent dit « qu’il [le jeune] adore ça, qu’il a un très bon comportement. Il aime ça ». Je me dis alors qu’est-ce que je peux dire d’autre ?

Psy

Dans un autre ordre d’idées, les participants à la recherche mentionnent le manque de stimulation parentale auprès de l’enfant avec une déficience auditive. Ainsi, ils remarquent que certains parents immigrants ne parlent pas à leur enfant parce que celui-ci a de la difficulté à entendre.  

Il était très peu stimulé, il pouvait être dans le lit à 7h le soir et passer la soirée à écouter la TV jusqu’à 9h, mais il n’y avait jamais d’échanges.

A1

Ou encore, selon six intervenants, les parents immigrants effectuent toutes les tâches de l’enfant au lieu de lui laisser faire des essais et des erreurs.

L’enfant, il veut telle chose, alors « ok tiens ». Il veut quelque chose à manger, « tiens ». Ils ne vont pas le pousser pour qu’il soit autonome, pour qu’il soit capable de demander, pour qu’il soit capable d’ouvrir son pot de yaourt, ils vont tout lui faire.

E

À ces obstacles s’ajoute un dernier élément relevant des pratiques éducatives des familles immigrantes : la différence de celles-ci selon le genre de l’enfant. 

La vision des garçons, des fois on le voyait, la petite fille est super gentille et à l’écoute, c’est la grande soeur, elle écoute maman, elle fait tout à la maison, mais le petit garçon a le droit de tout faire. Là, on s’aperçoit que ce n’est pas parce qu’il est sourd parce que la fille l’est aussi. Il y a des différences d’éducation entre les garçons et les filles. Ça va influencer les études et l’avenir de l’enfant.

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Il ressort des propos des participants que ces pratiques familiales les heurtent. D’une part, les pratiques éducatives heurtent leurs valeurs personnelles et, d’autre part, ils sont tiraillés dans leurs valeurs professionnelles entre le désir de créer un lien avec la famille immigrante et l’obligation de veiller au bien-être de leur jeune client.

Influence du genre des acteurs

Tous les professionnels se sont exprimés sur la différence entre les genres, c’est-à-dire qu’ils constatent des attitudes et des pratiques différentes de la part des parents selon le genre. Trois types de différence entre les genres ont été observés : genre de l’enfant, genre du parent et genre de l’intervenant. 

Précédemment, il a été mentionné que des parents ont des pratiques éducatives différentes selon le genre de l’enfant. Cela se reflète également sur les choix thérapeutiques des parents. Ainsi, les participants remarquent que certaines familles immigrantes choisissent d’appareiller ou non l’enfant avec une déficience auditive selon son genre. 

Chez les garçons, ils ne font pas porter les appareils auditifs pour pas que ça ne paraisse.

Ped 2

Les parents ne voulaient pas appareiller leur fille parce que c’était une fille. La problématique était que dans leur culture, ça dévalorisait leur fille et qu’ensuite elle pourrait moins facilement trouver un mari. […] Ce n’était pas que personne n’allait porter des appareils dans la famille, le grand frère oui, mais c’était clairement identifié que c’était parce que c’était une fille. Donc là, éthiquement parlant, je trouve ça difficile à gérer.

E

On comprend de ces propos que le choix selon le genre ne cible pas un genre précis, mais correspond plutôt au fait que pour le parent immigrant, son enfant ne doit pas être différent des autres enfants de sa communauté. Or, l’appareil auditif est un indicateur de cette différence. Ce choix, que les professionnels sont obligés de respecter, cause des tiraillements chez ces derniers. Ils se trouvent devant le dilemme suivant : respecter le choix du parent ou favoriser le développement de l’enfant. 

Par ailleurs, des participants ont relevé que pour certaines familles, l’opinion de la mère est peu sollicitée, voire peu respectée par le père. 

Papa me répondait et j’ai voulu aller chercher Maman et ça, ce n’était pas permis. Là, ça a été fermé. Comme si : « Moi je te dis ça, elle va dire la même chose. » Pour moi, ça a été une fermeture.

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Ce propos montre que le professionnel est choqué que le père décide ce que la mère doit faire ou non. Au contraire, un autre mentionne :

Combien de personnes ici jugent le fait que les femmes [soient] soumises au mari et tout ça. Moi je leur dis : c’est leur style. Ça se peut qu’ils changent, tant mieux. Moi, je ne dis pas que je suis en accord avec ça, mais c’est comme ça qu’ils ont décidé de vivre, on les respecte comme ça. Sans trop les juger.

Ped 1

Il apparaît que les professionnels peuvent avoir des visions différentes du comportement des parents selon la différence entre les genres. Certains l’acceptent, d’autres non. Cette différence entre les genres se répercute sur la collaboration entre professionnels et parents immigrants. En effet, quelques participants ont mentionné avoir des difficultés à offrir leur service à cause de leur genre :

On sentait et j’étais avec une autre collègue, on était deux intervenantes, deux femmes et c’était difficile de créer un lien de confiance avec lui [le père] et à un moment donné il a même souhaité que le suivi de réadaptation arrête. C’était assez pour lui. Sa fille n’en avait pas besoin et c’était terminé.

A2

Ces difficultés peuvent conduire à deux situations : soit le parent se retire complètement du programme, soit avec le temps, il finit par accepter de recevoir le service de la part de professionnelles. 

Famille élargie 

Tous les participants s’accordent sur l’importance du soutien de la famille élargie, qu’il s’agisse des grands-parents ou des oncles et tantes. Or ils constatent que certaines familles élargies ont un impact plus négatif, rendant les interventions moins adéquates, notamment lorsqu’elles doutent de leurs actions.  

C’était la tante d’un petit client qui est venue puis elle nous a carrément dit qu’elle pensait qu’il entendait et puis qu’il parlait, sauf qu’il avait une surdité profonde. La famille a influencé, beaucoup, l’acceptation de la surdité, mais pas en bien. Plutôt dans le sens inverse. Nous, on essayait de travailler avec la maman pour qu’elle accepte la surdité et là on sentait que, ben, finalement, la famille [élargie] n’allait pas être aidante à ce niveau-là, bien au contraire.

E

D’autres familles élargies considèrent que l’appareil auditif n’est pas naturel. 

Les parents nous ont dit que ça [l’appareil auditif], pour les grands-parents, c’était quelque chose d’intrusif. Ils contestaient. […] Les parents devaient donc justifier leur choix.

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Cette pression de la famille élargie, de même que les jugements qui en découlent, conduisent certains parents immigrants à douter de ce que les professionnels leur expliquent, d’autres encore cachent les difficultés de leur enfant à la famille élargie : 

Elle recevait ses parents à elle. Ils allaient passer tout l’été et là, il n’était pas question que moi j’aille à la maison. Ce n’est pas le handicap, il est connu. Il voulait cacher le service ou le fait qu’il y a quelqu’un qui l’aidait à quelque chose. J’ai trouvé ça un peu moche. Ça m’a dérangé, ça.

Ped 1

Ces propos suggèrent que la compréhension par les professionnels de ce qu’est la famille et des rôles de chacun est différente de celle de certaines familles immigrantes. En effet, pour certaines familles immigrantes, la famille élargie a un rôle aussi important que la famille dite nucléaire.

Caractéristiques culturelles

Outre les caractéristiques familiales, des participants ont mentionné quelques facteurs nuisant à leur collaboration avec la famille immigrante. Ils ont associé ces derniers à un aspect plus culturel que familial. Deux sont particulièrement ressortis : relation au temps et tenue vestimentaire.  

Plus de la moitié des participants aux entrevues s’exprime sur les retards ou les reports de rencontres par les familles immigrantes, sans compter toutes les fois où elles ne se présentent pas aux rendez-vous. Cela sans les avertir. 

C’est à 13h, donc il faut venir à 13h. J’ai une famille, quand c’était la maman, pour le rendez-vous à 10h, et bien elle arrivait à 12h30. J’allais la voir pour lui dire que le rendez-vous était à 10h. Je ne pouvais pas la voir parce que j’avais d’autres clients. C’était : « Ah bon ! D’accord… Je vais rentrer à la maison ». Même pas « Excusez-moi ». Je pense qu’il y a un gros aspect culturel dans la perception du temps. Mais avec les familles d’une communauté X, c’est arrivé plusieurs fois.

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Ces retards peuvent être interprétés par les professionnels comme un manque de respect, mais aussi comme un manque d’engagement du parent immigrant envers son enfant, comme si la déficience auditive n’était pas importante pour celui-ci. Enfin, ce retard a un impact sur l’horaire du professionnel. En effet, ce dernier doit reprogrammer une autre rencontre avec le parent, ce qui peut occasionner des retards dans les suivis auditifs de l’enfant.

Le second facteur culturel porte sur la tenue vestimentaire. En effet, des familles immigrantes semblent choquées par la tenue vestimentaire de certaines professionnelles. Or si des participantes disent effectuer certaines adaptations, elles considèrent toutefois qu’elles doivent garder leur autonomie vestimentaire. 

Des fois, on peut réagir et dire : c’est à eux de s’adapter à nous. Mais c’est juste de dire : regarde, ils vont voir vite que notre tenue vestimentaire n’est pas la même et que ce n’est pas grave. Nous on travaille penchées, on fait attention, mais ce n’est pas la fin du monde d’être un peu découvert. Moi je travaille parfois sans manche. C’est sûr, je travaille avec un papa, et bien il s’habitue à moi, mais il faut que moi je sois consciente que c’est beaucoup pour eux des fois.

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Discussion

Plusieurs constats ressortent de l’analyse des données. Les résultats montrent que, dans l’ensemble, les professionnels, malgré les difficultés mentionnées, considèrent que la collaboration avec les familles immigrantes est bonne. Certes, ils doivent plus adapter leurs interventions et prendre plus de temps pour les familles immigrantes que pour les familles québécoises, mais pour eux cela fait partie de leur travail. D’autres études obtiennent des résultats similaires (Bedoin, 2008; Lindsay, King, Klassen, Esses et Stachel, 2014; Swanwick, Elmore et Salter, 2021). Même si cela prend plus de temps parce qu’ils doivent répéter ou encore rassurer plus souvent, ils réussissent généralement à intervenir. 

Les obstacles qu’ils relèvent nuisent néanmoins à cette collaboration. Ceux-ci sont similaires à ceux identifiés dans d’autres recherches, notamment les pratiques éducatives différentes (Beauregard et Borri-Anadon, 2019; Wathum-Ocama et Rose, 2002), l’acceptation difficile de la déficience auditive (Wiefferink, Vermeij et Uilenburg, 2010 et 2012) ou encore l’impact de la famille élargie (Bergeron, 2014). Toutefois, un constat ressort à la lecture des propos des participants : la confrontation entre les valeurs professionnelles et personnelles de ces derniers et les valeurs de la famille immigrante. Deux noeuds de tensions découlent de cette confrontation: la vision des rôles de chacun et les négociations identitaires.  

Vision par les professionnels de leur rôle et du rôle des parents

La vision que les participants ont de leur rôle professionnel s’appuie sur des règles précises. Au Québec, le personnel paramédical est régi par des ordres professionnels selon le chapitre C-26 du Code des professions (Gouvernement du Québec, 2021). Chaque profession (ergothérapie, physiothérapie, orthophonie, audiologie, psychologie, psychoéducation, etc.) a son ordre et ses membres doivent se soumettre au code éthique et déontologique qui est prescrit. Celui-ci dicte les actions et pratiques à poser en se basant sur des données dites probantes. Le rôle des professionnels leur est donc dicté par un cadre législatif strict. À cela s’ajoute le cadre institutionnel, qui détermine le format des thérapies (durée et fréquence des rencontres, par exemple). Un manquement à l’un de ces cadres peut conduire à des conséquences négatives : par exemple, chaque fois qu’un parent est en retard, cela retarde l’accès au service pour un client en attente.

La vision que les participants ont du rôle des parents découle en premier lieu de ce qui est prescrit dans leurs cadres. Par exemple, il est recommandé d’impliquer les parents à différents moments de la thérapie : il peut s’agir de participer à une prise de décision (comme le port des appareils auditifs) ou bien de poursuivre à la maison ce qui est montré durant la thérapie au centre de réadaptation. En second lieu, leur vision du rôle parental provient souvent de leur propre expérience en tant qu’enfant ou en tant que parent, donc de leur culture première (Beauregard, 2006; Bedoin, 2008; Beauregard et Borri-Anadon, 2019). Or, au Québec, à l’exception de la négligence et de la maltraitance, nulle part il n’est indiqué de quelle façon les parents ont à jouer leur rôle. Par conséquent, chacun a sa propre vision du rôle parental. Dans les lois portant sur la famille ou la protection de l’enfance et la jeunesse, il est simplement reconnu que les parents sont les premiers éducateurs et répondants de leur enfant. Pour ce faire, ils doivent notamment veiller à son bien-être physique, mental et moral, s’intéresser à tout ce qui le concerne et participer aux rencontres officielles.

On peut penser que la vision que les professionnels auront du rôle des parents, consciemment ou non, qu’ils soient québécois ou non, correspond à ce qui est attendu au Québec. Or, comme d’autres études l’ont montré, les familles immigrantes, du fait de leur vécu, n’ont pas nécessairement cette vision de leur rôle parental (Beauregard et Borri-Anadon, 2019; Bergeron et Beauregard, 2018). La représentation de leur rôle repose sur la culture qu’ils ont reçue au sein de leur environnement prémigratoire. Cette « culture première » (Dumont, 2005, 2012) est construite à partir des interactions de l’individu, elle est donc initialement familiale, mais elle est ensuite enrichie par les expériences individuelles (Durand, Ria et Flavier, 2002; Michaud et Beauregard, 2019). La « culture seconde » (Dumont, 2005, 2012), quant à elle, est le résultat d’un construit élaboré dans un cadre institutionnel (école, ordre professionnel, par exemple), elle permet d’organiser le monde selon des codes et des symboles partagés et reconnus par la société et ses institutions (Fornara, 2006; Michaud et Beauregard, 2019). Il ressort du discours des participants que certaines pratiques parentales vont à l’encontre de leur vision de ce que devrait être une « bonne » pratique parentale. Ici, les coutumes et les habitudes propres à chaque culture première se rencontrent (Dumont, 2005). Chez les profesionnels, cela se manifeste notamment par une remise en question de leur expertise par les familles immigrantes et chez les parents immigrants, par une remise en question de leur rôle parental par les professionnels. Ces situations conduisent à un second noeud de tension important, car elles amènent les professionnels à se questionner sur les liens qu’ils font entre leurs cultures première et seconde et la façon dont celles-ci teintent leurs pratiques professionnelles. 

Les négociations des identités culturelles des professionnels

Les différences culturelles entre les professionnels et les familles immigrantes reposent sur deux dimensions qui concordent avec ces notions de « culture première » et de « culture seconde » proposées par Dumont (2012). Le décalage des cultures premières génère une remise en question des valeurs personnelles, mais lorsque ce décalage implique la culture seconde, construite on l’a vu lors de la fréquentation des institutions (école, formation et pratique professionnelle), les résultats indiquent que ce sont les valeurs professionnelles qui sont ébranlées. En effet, c’est la culture seconde qui permet d’avoir accès aux codes et aux normes de la société, qui servent de base aux attentes des professionnels quant au rôle des parents dans la thérapie. Or, dans le cas des familles immigrantes, ce rôle parental a été construit au sein d’une culture différente (Bhayana et Bhayana, 2018).

Contraints par les prescriptions de leur ordre, les professionnels abordent la thérapie à la façon d’un rituel (Dumont, 2012). Il leur faut cependant procéder à des ajustements (explications plus longues, micro-objectifs, etc.) afin de donner la possibilité aux familles immigrantes de s’approprier les non-dits de ces rituels. Les risques d’incompréhension entre les professionnels et ces familles sont donc élevés et c’est en faisant preuve de sensibilité culturelle que les professionnels peuvent développer une collaboration positive avec les familles immigrantes (Bhayana et Bhayana, 2018; Harry, 2008; Kalyanpur et Harry, 2012). Il est important de noter que les professionnels ne réagissent pas tous de la même façon face à ce qu’ils considèrent comme un « échec » des familles immigrantes vis-à-vis de ces rituels. En fonction de leur champ d'expertise, ils ont des objectifs différents et négocient donc dans des buts différents. L’implication des professionnels dans la construction d’une collaboration positive avec les familles immigrantes est ainsi vécue de façon individuelle par les membres de l’équipe thérapeutique. Pour l’audiologiste, par exemple, c’est l’urgence d’appareiller qui guide la négociation, alors que pour le psychoéducateur, c’est le développement d’une relation de confiance qui est priorisée.

Le professionnel est donc amené à s’interroger pour tenter de résoudre le noeud de tensions causé par la distance entre les cultures. Cependant, il semble rester dans la perspective professionnelle dictée par son ordre et ne pas faire de lien entre ses cultures première et seconde personnelles et la tension identitaire à laquelle il est confronté. Afin de développer une collaboration positive avec les familles immigrantes et de mettre en place les interventions thérapeutiques prescrites, le professionnel cherche à préserver cette identité professionnelle construite à partir de ses cultures seconde et première. Par conséquent, il est porté à pousser les familles immigrantes à adopter son point de vue sur la thérapie. Beauregard et Borri-Anadon (2019) ont obtenu des résultats similaires dans une recherche sur les intervenants en milieu scolaire : ces attentes des professionnels touchent aussi les pratiques éducatives (structure plus rigide pour éviter les crises ou répartition équitable des tâches entre garçons et filles).

Les professionnels s’engagent donc dans des négociations avec les familles immigrantes. Celles-ci portent sur leur rôle dans la thérapie, mais également sur les pratiques parentales. Cela peut donner lieu à des conflits, les professionnels se sentant alors tiraillés entre leur devoir professionnel et leur souci de construire une collaboration positive avec les familles immigrantes. C’est le cas, par exemple, lorsqu’ils sont confrontés à une discipline excessive et se questionnent sur la pertinence de faire appel à la DPJ.

Les professionnels ne se questionnent pas nécessairement sur leur responsabilité en tant que professionnels sur cette résistance. Ils ne se demandent pas toujours quel rôle la famille immigrante attend d’eux, ni quel rôle elle voudrait avoir. Leur adaptation consiste plutôt à prendre plus de temps, réexpliquer, détailler davantage, diviser la tâche, mais jamais ils ne modifient leurs interventions en fonction des valeurs de la famille immigrante, ils cherchent plutôt à amener les parents immigrants à penser comme eux (Beauregard et Borri-Anadon, 2019). Ce désir de préserver leurs identités personnelle et professionnelle, s’il s'explique par la volonté de poser les actes thérapeutiques prescrits par leurs ordres professionnels, peut devenir un obstacle à la collaboration entre professionnels et familles immigrantes. Cet obstacle vient du fait que les professionnels ne tiennent pas compte des éléments identitaires non négociables des familles immigrantes, éléments qui, de plus, n’ont pas été documentés. Par ailleurs, ce noeud de tensions identitaires disparaît lorsque les parents immigrants adoptent leur point de vue, ce qui appuie l’idée que les professionnels s’attendent à ce que les parents immigrants abandonnent leurs façons de faire traditionnelles au profit des leurs.

Conclusion

Cette recherche qualitative menée auprès de professionnels d’un centre de réadaptation en région urbaine est exploratoire et ne prétend pas être généralisable. Elle soulève cependant plusieurs questions quant au niveau de sensibilité culturelle des professionnels, notamment en ce qui a trait à leur perception du rôle parental et à l’apport de leurs cultures première et seconde personnelles sur leurs pratiques professionnelles. Bien que cela n’ait pas été l’objectif de cette recherche, les différences entre les parents immigrants et québécois  n’ont pas été explorées et certains commentaires des professionnels sont associés aux parents immigrants sans qu’il soit possible de vérifier dans quelle mesure les parents québécois vivent la même chose. Il serait intéressant d’approfondir ces questions dans d’autres études. 

Une approche marquée de sensibilité culturelle et tenant compte de la perception culturelle du handicap des familles immigrantes est à privilégier (Bhayana et Bhayana, 2018; Harry, 2008) et permettrait le développement de collaborations positives entre les professionnels et les familles immigrantes. Une formation interculturelle tenant compte des objectifs des différents corps professionnels sur le sujet permettrait aux intervenants de mettre en oeuvre ce principe de sensibilité culturelle. Une médiation interculturelle comme celle proposée par Beauregard et Borri-Anadon (2019) permettrait de favoriser une réciprocité culturelle dans le cadre des interventions entre les professionnels et les familles immigrantes. 

Une nouvelle recherche sur la collaboration entre les professionnels en réadaptation en déficience auditive et les familles immigrantes s’appuyant sur un cadre interculturel permettrait de fournir un nouvel éclairage sur ces collaborations et pourrait contribuer à en expliciter les dynamiques. Le modèle des incidents critiques de Cohen-Emerique (2015), qui recense différentes zones de sensibilité interculturelle entre professionnels et familles immigrantes, apporterait un éclairage complémentaire à celui de cette recherche. 

Par ailleurs, seul le point de vue des professionnels a été abordé dans cet article. Un second volet, portant sur les perceptions des parents immigrants, permettra de découvrir leur vision de la collaboration avec les professionnels et, s’il y a lieu, de comparer les noeuds de tensions que les familles immigrantes identifient dans leur vécu de la relation thérapeutique avec les professionnels en réadaptation auditive.