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L’objectif de cet article est de décrire et d’analyser les conditions de travail des demandeurs d’asile et d’autres travailleurs à statut migratoire précaire avant et pendant la pandémie de COVID-19, avec une attention particulière aux effets de cette crise dans leur vie quotidienne. Le centre d’intérêt de cette analyse est l’ensemble des travailleurs migrants et immigrants appelés essentiels (les aides-soignants, certains employés d’entrepôts et d’usines alimentaires, les préposés au nettoyage, etc.). Parallèlement, l’article traite de leur contribution sociale, basée sur leurs capacités individuelles de résilience à la pandémie. Ce sujet inclut la dénonciation et l’intervention de la part de quelques organisations communautaires de défense des droits des migrantes et immigrantes. Les principales questions abordées sont : 1) comment les conditions de travail et de vie des demandeurs d’asile et autres travailleurs à statut précaire ont empiré pendant la pandémie ? 2) Comment comprendre leur résilience individuelle et les interventions des organisations communautaires comme des contributions sociales ? 3) Compte tenu la valeur de ces contributions sociales, quelles mesures d’urgence prises par l’État méritent d’être préservées et développées ?

L’article pose comme point de départ théorique la question de la pertinence de remettre en question le rôle de l’État canadien et des politiques migratoires par rapport aux demandeurs d’asile et aux autres immigrants avec un statut précaire. Plusieurs politiques ont pour effet de rendre ces populations très vulnérables socialement. L’une des dimensions de cette vulnérabilité est leur intégration au marché de travail dans une position défavorable. Au Québec et dans le reste du Canada, ces groupes se retrouvent majoritairement dans des emplois précaires avec de bas salaires et dans des contextes où le racisme systémique est encore assez prévalent pour générer de la discrimination au sein de la main-d’oeuvre. Les dernières études de la pandémie montrent qu’au Québec et dans le reste du Canada, les populations immigrantes et migrantes sont parmi les plus frappées par les effets négatifs. La littérature montre de manière générale que les facteurs ethniques et migratoires sont déterminants dans la manière dont la pandémie est vécue par ces groupes au niveau de leurs conditions de travail, de leur santé et sécurité au travail, de leur situation socio sanitaire et de leur vie privée.

En mettant l’accent sur ces éléments structurels en contexte montréalais, cet article offre une description des conditions de travail avant la pandémie dans les groupes de demandeurs d’asile et utilise ce groupe comme référence sur la situation des autres populations à statut précaire. Il repose sur les résultats d’une enquête effectuée auprès de 324 demandeurs d’asile arrivés en 2018 et en 2019. Parmi eux, 155 travaillaient durant l’enquête. Ce portrait révèle des conditions de travail en général précaires. Pendant la pandémie, quelques organisations communautaires et de défense des droits des immigrants ont réagi avec interventions et dénonciations publiques, même des organisations membres de l’État provincial (Direction régionale de santé publique de Montréal et Institut SHERPA) à Montréal ont réagi d’un point de vue technique. Les auteurs ont participé à ces processus. L’information résultant de cette participation a permis d’établir le cadre des perceptions des acteurs de terrain sur la dégradation des conditions de travail et de vie des demandeurs d’asile et d’autres immigrants à statut précaire. Cet article utilise l’information qualitative des entretiens faits avant et pendant la pandémie auprès des demandeurs d’asile. L’analyse fournit des exemples de situations vécues pendant la pandémie. L’anxiété due au retard des processus migratoires, l’incertitude de l’avenir dans le pays ainsi que le stress financier et dans les relations familiales sont des exemples des apports négatifs de la pandémie à leur vie. La résilience dans le quotidien et dans les lieux de travail fait partie d’une résistance qui valorise encore plus leur rôle comme travailleurs essentiels.

La discussion et les conclusions de cet article soulignent la nécessité d’intégrer cette résilience comme faisant partie de la valeur sociale de ces travailleurs essentiels. Cette résilience fait aussi partie intégrale de l’analyse que les organisations communautaires de défense des immigrants font pour promouvoir l’amélioration de l’attention gouvernementale à la situation sociosanitaire et migratoire des travailleurs au statut précaire. En même temps, certaines mesures appliquées au niveau des gouvernements provincial, fédéral et municipal (comme les mesures de remplacement du revenu comme la Prestation canadienne d'urgence et la Prestation canadienne pour la relance économique, ou le dépistage pour la COVID-19 quel que soit le statut migratoire des personnes) ont besoin d’être évaluées comme des éléments potentiels d’innovation sociale, parce que leur application a eu besoin de la collaboration et de l’implication directe des organismes du secteur communautaire. Cette intervention dans l'état d'urgence s’explique en grande partie par l’incapacité encore manifeste de l’État à atteindre les travailleurs précaires et racisés, et du manque de compréhension des situations difficiles qu’ils vivent.