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Introduction[2]

Dans notre contribution, nous souhaitons expliquer pourquoi, dans le cadre des discussions actuelles sur l’avenir de l’éducation et de la formation des enseignants, il convient d’aborder explicitement la notion d’« école » en tant que forme pédagogique. Mais aussi pourquoi, d’un point de vue pédagogique, nous devrions plaider pour « rescolariser » l’école, ces derniers se transformant de plus en plus en des « environnements d’apprentissage personnalisés » qui semblent plutôt domestiquer ou neutraliser l’école. Afin d’étayer ce plaidoyer, nous proposerons quelques éléments de ce que nous appelons une perspective pédagogique interne sur l’école et sur l’apprentissage scolaire. Nous le ferons en 5 étapes : en faisant la (1) distinction entre une perspective interne et les diverses perspectives externes; en (2) esquissant les hypothèses de base, les opérations et les expériences liées à l’école en tant que forme pédagogique; en (3) soulignant la composition technique, pédagogique et pratique de l’école; en (4) indiquant très brièvement comment l’école a été et est domestiquée; et enfin, en (5) suggérant quelques défis à relever pour créer l’école d’aujourd’hui tout en faisant le pont avec l’enjeu de la formation des enseignants et de la recherche pédagogique.

1. Une perspective pédagogique interne

Commençons par l’image que nous nous faisons normalement de l’école, soit une institution située entre la famille et la société. Si l’on considère la famille comme le premier milieu d’enseignement, l’école apparaît alors comme le milieu secondaire et additionnel servant à compenser ce que la famille ne peut pas offrir. D’un point de vue sociétal, l’école correspond au milieu où les jeunes apprennent à devenir des membres actifs de la société, soit comme travailleur ou citoyens. Dans les deux cas, l’objectif de l’enseignement scolaire est défini d’un point de vue externe, et l’école apparaît ainsi comme fonctionnelle ou instrumentale visant l’atteinte de cet objectif externe. Une telle perspective est également commune aux approches sociologiques, économiques, culturelles et psychologiques de l’école, et implique aussi des concepts d’apprentissage particuliers.

Selon l’approche sociologique typique, l’enseignement scolaire est perçu comme une « socialisation organisée et professionnalisée ». Elle existe soit pour reproduire l’ordre social par l’entremise de diverses fonctions (qualification, sélection et attribution, intégration et légitimation, par exemple [Peschar et Wesselingh, 1995]), soit comme un instrument politique servant à bâtir une nouvelle société (projetée) (par exemple, Apple, 1979). Or, dans les deux cas, la finalité de l’éducation est définie par une force externe. Outre cette perspective sociologique, soulignons la perspective culturelle selon laquelle l’école constitue une communauté culturelle. Dans ce point de vue, les jeunes doivent faire partie d’une communauté culturelle habitée par ses propres valeurs, habitudes, coutumes, pratiques sociales et culturelles, et modes de vie. Par conséquent, l’enseignement scolaire doit être perçu comme une initiation au sein d’une communauté culturelle à partir de laquelle sont définis le rôle et le sens de l’éducation (Lancy, 2008). Une variante de cette perspective culturelle voudrait que l’éducation serve à proposer ou à préconcevoir une image de l’être humain « cultivé ». En outre, nous distinguons aujourd’hui une perspective économique très partagée selon laquelle l’enseignement scolaire est un investissement dans le capital humain, offrant à la fois des avantages individuels et sociaux (Schultz, 1971; Becker, 1976). L’école correspond au temps et à l’espace dans lesquels les parents ou la société investissent afin de produire des compétences et des connaissances génératrices de rendement économique. L’enseignement scolaire est défini extrinsèquement en regard de sa contribution envers le marché du travail, la carrière individuelle, la hausse des revenus ou la croissance économique. Enfin, et sans prétendre que ce ne sont là que les seules perspectives possibles,[3] nous pointons vers l’approche psychologique où l’éducation est perçue et même évaluée selon le contexte de processus de développement et de croissance (cognitifs, moraux, sociaux, etc.) (Kohlberg et Mayer, 1972). Il s’agit également d’une perspective externe dans la mesure où ce qui se produit dans l’enseignement scolaire et ce qui devrait s’y produire découlent de processus, de lois du développement ou de stades issus de la recherche en psychologie du développement, en psychologie de l’apprentissage ou en neuropsychologie. Bien entendu, la psychologie peut jouer un rôle dans l’éducation, mais elle offre un point de vue externe à partir duquel l’enseignement scolaire semble purement (dys)fonctionnel ou instrumental (ou préjudiciable) pour des processus décrits indépendamment de l’enseignement scolaire.

Toutes ces approches ne considèrent pas seulement la finalité de l’enseignement scolaire d’un angle externe (société, culture, économie, développement), mais elles introduisent aussi en quelque sorte leurs propres idées sur l’apprentissage, soit : la socialisation, l’initiation, l’investissement, la production, la croissance, le développement et l’identisation. Toutes ces notions sont devenues courantes dans notre discours sur l’éducation et nous ne voulons remettre en question ni ces concepts ni les approches qui leur sont liées. Toutefois, nous voulons tenter d’approfondir ce que nous appelons une approche pédagogique interne, approche selon laquelle nous supposons que l’enseignement scolaire présente un aspect typique qui ne peut être compris ni à partir des enjeux de la famille ni à partir des fonctions sociétales. Nous sous-entendons qu’il ne s’agit pas que d’un exercice théorique, mais aussi d’un exercice pratique (aussi politique et social) très pertinent. En effet, cet exercice nous aidera à expliquer pourquoi l’école est un enjeu public crucial et à formuler une sorte de critère permettant d’abord de vérifier si un rassemblement de corps peut réellement être qualifié de « scolastique », puis de réfléchir à la façon de bâtir l’école d’aujourd’hui en réponse aux défis sociétaux actuels et à la soi-disant nécessité de changement.

2. Hypothèses, opérations et expériences de l’enseignement scolaire

Tentons de préciser ce qui fait d’une école une « école » selon un point de vue pédagogique. Une telle perspective traite des suppositions et des opérations réelles menées par cette assemblée et cet assemblage de corps, de temps, d’ espace et de matières artificiellement composé[4] (c’est-à-dire technologiquement et pédagogiquement créé), milieu où les jeunes sont regroupés ou mis en compagnie d’une chose du monde (ou du monde) de façon très précise. En ce sens, l’école est une invention, une chose artificielle, tout comme la démocratie. En effet, la démocratie n’est pas l’état naturel de la politique (soit la question du vivre ensemble) qui émergerait si l’on supprimait tous les jeux de pouvoir artificiels. Il en va de même pour l’école. L’apprentissage scolaire n’a en effet rien à voir avec le genre d’apprentissage naturel ou informel qui est souvent (implicitement ou explicitement) chéri par ceux qui s’opposent aux formes d’apprentissage dites « scolastique ». Tenter d’explorer la teneur de cet événement / cette invention pédagogique et essayer de se la réapproprier ne revient pas à idéaliser le passé, à romancer l’école, ou pire, à revenir en arrière pour la restaurer[5], loin de là. Nous croyons encore utile d’essayer de prendre en main notre avenir et celui des prochaines générations de cette manière particulière que nous appelons « école ». Bien que, tout comme pour la démocratie, l’école demeure un enjeu à débattre, puisque ces deux sujets ont tous deux soulevé, bien sûr, des questions et discussions importantes sur leur « essence », leur « désirabilité » et leur « efficacité » depuis leur invention. Et tout comme la démocratie n’est pas la méthode la plus efficace et efficiente pour gérer nos problèmes sociaux, les écoles ne sont pas non plus les moyens les plus efficaces et efficients pour apprendre. Au contraire, elles compliquent les choses, mais nous sommes d’avis qu’elles le font pour de très bonnes raisons. Explorons quelques hypothèses (ou points de départ) et opérations de l’école comme forme pédagogique[6].

L’école en tant que forme pédagogique fait référence à un temps et à un espace organisés en partant de l’hypothèse que les êtres humains n’ont pas de destination (naturelle, sociale, culturelle, etc.) (en allemand « Bestimmung »), et qu’ils devraient donc pouvoir trouver leur propre destin et définir leur propre vie. Nous voulons réserver la notion d’« école » à cette hypothèse certes simple, mais de grande portée. Selon nous, la déscolarisation renvoie à l’hypothèse inverse, soit que la société (science, religion, culture) impose un destin aux jeunes en les poussant à développer leurs prétendus talents naturels, en projetant une image prédéfinie de la personne éduquée ou cultivée, ou encore en sous-entendant un processus (psychologique, physique, moral) de développement. Cette hypothèse de départ sur l’enseignement scolaire exprime une compréhension pédagogique de la liberté, et du même coup de l’égalité. Il ne s’agit ni d’une liberté politique (envers le pouvoir ou l’autorité), juridique (en termes de droits) ou économique (au sens, par exemple, de la liberté de choix). La compréhension pédagogique de la liberté signifie simplement que les êtres humains n’ont pas de destin « préétabli » (naturel, social[7], culturel), et qu’ils peuvent donc se former et donner une direction à leur vie. L’égalité pédagogique n’est pas synonyme d’égalité sociale, qui signifie être égal ou rendre égal quelque chose sur les plans sociaux, culturels, économiques, nationaux, etc. Ce terme diffère aussi de l’égalité juridique, où tout le monde est égal et traité de manière impartiale aux yeux de la loi. L’égalité pédagogique n’est pas non plus synonyme d’égalité des chances ou des résultats (par exemple, en compensant les inégalités, en nivelant les chances de réussite pour tous ou en aidant tout le monde à franchir la même ligne d’arrivée). L’égalité pédagogique possède un double sens : supposer que tous les élèves ont la capacité d’apprendre, d’étudier et de s’exercer, et supposer que chaque élève a accès aux mêmes sujets et matières afin de pouvoir renouveler le monde. L’école est donc la matérialisation de ces deux hypothèses pédagogiques (de liberté et d’égalité). En d’autres mots, l’école en tant que forme pédagogique n’est pas orientée et domestiquée par une utopie politique ou par un idéal normatif de ce que devrait être une personne, non. L’école est en soi la concrétisation d’une croyance utopique : tout le monde peut tout apprendre (Verburgh et coll., 2016). Autrement dit : ni ce que vous pouvez apprendre ni ce que vous avez à apprendre ne sont « naturellement » (pré)définis. Il n’existe aucun lien « naturel » ou « prédéfini » entre un corps d’un côté, et de l’autre des capacités et des positions sociales (Rancière, 1988). Cette croyance n’est pas, à notre avis, une sorte d’objectif ou de but (projeté dans l’avenir), mais un point de départ. Bien entendu, il existe d’autres points de départ possibles à l’égard de l’apprentissage. Par exemple, certains élèves devraient a priori être exclus de certaines matières, ou encore la capacité naturelle devrait être un critère décisif pour décider quand et quoi apprendre. En d’autres termes, plutôt que de réfléchir à la forme que prendrait une école ou un système éducatif utopique (comme on le fait souvent en pensant à l’avenir de l’éducation), nous suggérons de regarder l’école elle-même. Que réalise-t-elle par l’entremise de sa forme pédagogique? Comment matérialise-t-elle l’utopie voulant que tout le monde puisse tout apprendre ou que les humains n’aient pas de destination naturelle? En ce sens, les écoles ne sont pas des instruments permettant d’offrir une meilleure égalité (sociale) future, mais en se basant sur les hypothèses émises sur l’égalité et la liberté, les écoles perturbent (déjà) les inégalités sociales et familiales. Cette réalité suppose que l’existence même de l’école met toujours en jeu l’ordre social actuel (soit les liens réels entre certains corps et certaines capacités, activités et positions, de même que les inégalités implicites).

L’école matérialise sa croyance utopique en offrant à tous (en principe) la scholê ou du « temps libre », c’est-à-dire du temps non productif, du temps de lenteur, et du temps pour étudier et s’exercer. L’école est littéralement un lieu de scholê, soit un lieu de spatialisation et de matérialisation du « temps libre » et donc de la séparation de deux usages du temps. Ce que l’école fait (si elle fonctionne comme une école) est d’établir un temps et un espace qui sont en un sens détachés et séparés de la société (polis) et de la maison (oikos). Cependant, le temps libre n’est pas un lieu de vide, mais plutôt un état où les choses (les mots et les pratiques) sont déconnectées de leur usage normal (dans la famille et dans la société). Le temps libre réfère donc à un état dans le cadre duquel une chose du monde peut servir à une utilisation commune. Le mot « libre » possède donc à la fois un sens négatif et positif : être libre du temps et de l’espace productifs (la logique du gain ou du rendement économique ou social est suspendue), mais aussi libre d’étudier et de bouger pour se former et se mettre en forme. Ceci correspond au double sens de ce que nous pourrions appeler la « formation » : se donner une forme ou se former à l’aide du contenu présenté, et précisément à travers cette formation, se mettre aussi en (bonne) forme. Les termes « préparation » et « exercice » sont liés à cette interprétation; voilà pourquoi nous voyons souvent une analogie avec les athlètes (Foucault, 2001; Sloterdijk, 2013). La formation consiste à se mettre en bonne forme (physique, cognitive, affective, émotionnelle), à se préparer. Se préparer signifie deux choses : être concerné par quelque chose ou impliqué dans quelque chose (actes de parole, actes corporels, enjeux, etc.), mais aussi être capable de conserver une certaine distance afin de pouvoir faire bon usage de ces actes dans des situations et des circonstances données. La combinaison de ces deux termes pourrait aussi se définir comme suit : être capable de se rattacher à quelque chose comme la nature, le monde numérique, la technologie ou le langage (ou comme nous le verrons, « s’instruire » au sens large). Cela suppose que la formation possède toujours une dimension sociétale ou mieux encore, une dimension « matérielle ou mondiale ». Il s’agit toujours d’une chose liée à la société ou au monde qui constitue nos vies. Mais l’école est l’endroit où les élèves ont la possibilité de se rattacher (c’est-à-dire s’impliquer vis-à-vis une chose tout en gardant une distance avec celle-ci) à une chose qui influence ou définit leur vie. Ainsi, la forme scolaire (si elle fonctionne comme une école, c’est-à-dire qu’elle fait d’une personne un élève ou un écolier) amène à la fois une personne à pouvoir agir sur une chose externe et à y être exposée. La forme scolaire permet donc de présenter et d’exposer le monde. L’école habilite et expose les personnes. Cet aspect a des incidences à la fois sur la famille et sur la société.

En premier lieu, l’école permet de sortir les enfants de la « famille » et de tout ce qu’elle implique, soit ses valeurs, sa chaleur et ses inégalités. L’école offre l’expérience d’être élève, et non fils ou fille. L’école, si elle fonctionne comme telle, matérialise la suspension de la « famille », soit la possibilité pour les fils et les filles de laisser derrière eux leur passé et leur milieu familial pour devenir des élèves comme tous les autres. Le vécu et le milieu, bien sûr, ne disparaissent pas, mais lorsque les élèves entrent dans l’école (lorsqu’elle fonctionne comme une forme scolaire), ils se retrouvent dans un espace suspendu. Autrement dit : les enfants qui deviennent élèves reçoivent la marque (collective et démocratique) qui les rend tous égaux et libres : « Moi, j’ai le temps de faire de l’exercice et d’étudier comme tout le monde. » Il ne s’agit pas de romancer ou d’idéaliser l’enseignement scolaire, mais d’en faire une pragmatique : vous quittez la famille et n’êtes plus un fils ou une fille, mais vous n’êtes pas non plus immédiatement introduit dans la société comme travailleur ou citoyen. En tant qu’élève, vous pouvez vous former, mais comme nous l’avons dit plus tôt, cette liberté en est une pédagogique, et la meilleure description de cette liberté est peut-être l’expérience même d’« être habilité » et de dire « je suis capable ». Si l’école fonctionne comme une école et si elle est « bien faite », les jeunes se trouvent alors dans une situation où ils sont capables. Ceci n’est pas seulement une expérience remplie de possibilités, mais également une expérience où il est possible de commencer avec quelque chose, toujours en relation avec quelque chose.

En deuxième lieu, on peut dire d’une part que l’école suspend aussi la société, puisque l’élève n’est ni travailleur ni citoyen, et d’autre part que pour une société qui organise l’école, et donc, qui ne prédéfinit pas l’avenir des jeunes, l’école exige un certain type de responsabilité. La question n’est donc pas de savoir ce que l’école signifierait pour la société, mais plutôt ce que la société pourrait signifier pour l’école (Bachelard, 1943/1967). C’est la société qui doit décider du contenu et des objectifs de la formation. Par conséquent, la société se trouve forcée, par l’existence de l’école, de débattre sur le programme et les types de littéracie qu’elle veut permettre. Par littéracie, nous entendons la littéracie linguistique, mais aussi technologique, scientifique ou numérique. Être formé signifie d’avoir une relation et une distance suffisante avec la langue, la technologie ou le monde numérique pour y faire face de manière indépendante, du moins dans une certaine mesure. Être formé ne signifie pas seulement être constitué par ce qui nous influence, mais aussi être capable de se mettre en rapport avec ces influences. Par exemple, la littéracie numérique pourrait signifier pouvoir non seulement utiliser Google et être influencé par ce que Google nous fait faire automatiquement, mais aussi savoir ce que l’algorithme de recherche fait pour nous. Ainsi, il est possible d’entretenir une certaine distance avec le numérique. La littéracie en ce sens ne réfère pas à un idéal élitiste, mais à un droit de se mettre en « bonne forme ». L’école n’impose pas à la société de définir l’image de la personne éduquée ou de faire réaliser par les jeunes les rêves inachevés des plus âgés. La question des objectifs fondamentaux de l’école est la question de savoir le type de littéracie que croyons important. De son côté, la question du contenu ramène aux grammaires qui structurent notre vie sociale. Ainsi, la responsabilité sociale imposée par l’école implique toujours de décrire le « nous » et le « notre » en rapport avec la nouvelle génération.

Dans ce contexte, soulignons aussi la manière dont la question de « diversité et d’identité sociale et culturelle » s’inscrit dans une perspective pédagogique interne reliée à l’école et à comment faire l’école. Généralement, le point de départ semble être l’affirmation de la diversité culturelle et des différences liées à l’identité. La question est alors, semble-t-il, de savoir comment l’école peut reconnaître cette diversité et ces différences tout en jouant un rôle dans la lutte pour (la reconnaissance de) l’identité ou des identités. Nous ne remettons pas en question la réalité ni l’importance des différences culturelles et des identités qui s’y rattachent. Or, nous doutons qu’il s’agisse de catégories pertinentes en matière d’affaires scolaires. Nous considérons que l’une des opérations les plus importantes de l’école est précisément de considérer tout le monde comme « élève », c’est-à-dire de suspendre, et non de détruire, les liens de la famille et de l’État ou de toute communauté « fermée » ou définie. Il ne s’agit pas d’une sorte d’imaginaire scolaire, mais d’une intervention concrète. Cette opération scolaire est, pourrait-on dire, la marque visible de notre reconnaissance selon laquelle « nos » enfants ne nous appartiennent pas. Ainsi, l’école est une performativité plurielle et corporelle, un regroupement très concret de corps qui[8] affirment : « Nous ne sommes pas une famille et nous n’en deviendrons pas une. Nous sommes des “singuliers” (au pluriel). » Ces corps rassemblés « disent » sans émettre un mot : « Nous ne sommes pas utilisables; nous exigeons attention et respect. » Cela signifie que l’initiation ou la socialisation (formes préférées d’apprentissage pour les unions et les réunions familiales) sont en fait interrompues et compliquées, non facilitées, par l’éducation scolaire (c’est-à-dire quand nous emmenons les enfants à l’école).

Lorsque nous commençons à voir la famille et la société (ou l’État) selon la perspective de l’école, et non l’inverse, les revendications d’identité et de différence (naturelle, culturelle, sociale, etc.) deviennent problématiques. Bien entendu, ces revendications sont réelles, et c’est précisément pourquoi des efforts pédagogiques sont nécessaires pour les suspendre, les mettre entre parenthèses et les interrompre. La pluralité de l’école n’est pas un état naturel. C’est le résultat de s’adresser à tous comme à « quiconque » (et pas comme à un représentant ou à un descendant) sans reconnaître les « caractéristiques », « talents », « besoins » ou « identité » de chaque personne. Cette pluralité ou « multitude pédagogique » consiste à refuser tout lien naturel ou prédéfini entre les corps et leurs caractéristiques « propres » ou les capacités qui leur sont attribuées. Cela traduit exactement la pragmatique de l’école : celle-ci offre l’expérience d’être sans destination et la possibilité de trouver sa propre voie. À l’école, nous sommes Julie, Maximaliano, Walter, Inés, Jorge, Clara ou Martha. On ne nous appelle pas par notre nom de famille, mais par notre prénom, ce qui marque en quelque sorte un mouvement non généalogique. En fait, c’est du moins le cas en Belgique, car être appelé par son nom de famille à l’école revient souvent à réinstaller exactement une sorte de revendication généalogique, à rattacher quelqu’un à sa famille et à sortir l’élève de la classe ou de l’école. Bien sûr, il existe des différences entre les élèves, que ce soit les vêtements, la religion, le sexe, l’origine ou la culture. Mais dans la classe, en se concentrant sur les choses présentées, ces différences sont temporairement, et jusqu’à un certain point, suspendues.

3. L’école : une composition technologique et pédagogique

Dans la section précédente, nous avons abordé certaines des opérations de l’école sous forme pédagogique. Résumons-les brièvement : (1) considérer tout le monde comme un « élève »; (2) suspendre ou mettre temporairement hors d’effet l’ordre habituel et l’utilisation des choses; (3) créer du « temps libre », c’est-à-dire matérialiser ou spatialiser du temps pour l’étude et l’exercice; (4) rendre une chose (connaissances, pratiques) publique et de la mettre sur la table, à portée de main (ce que l’on pourrait aussi appeler une profanation) sous une forme grammatisée, en d’autres mots transformer quelque chose du monde en « matière scolaire » et matière publique; et (5) rendre une personne « attentive » ou former son attention en s’appuyant sur un double « amour », à la fois pour le monde et la nouvelle génération (Arendt, 2006/1958), et sur des pratiques disciplinaires[9] qui rendent possibles l’attention et le renouveau. On peut aussi formuler l’importance de l’attention différemment : l’école ne fait pas seulement connaître les choses, mais expose aussi les élèves à ces choses et leur donne « autorité » ou « présence ». Elle nous met en compagnie de ces choses au sens fort. L’école réfère ainsi à un regroupement de personnes et de choses disposées de façon à (pouvoir) traiter, à faire attention et à prendre soin d’une chose — d’être mis en leur compagnie — dans laquelle cette attention implique structurellement une exposition. La forme de suspension, de profanation et d’attention est ce qui fait du temps scolaire un temps « public ». Dans ce temps, les mots ne font pas partie (plus maintenant et pas encore) d’une langue partagée; les choses ne sont pas (plus maintenant et pas encore) une propriété et doivent être utilisées selon des lignes directrices déjà familières; les actions et les mouvements ne sont pas (plus maintenant et pas encore) des habitudes d’une culture; et la réflexion n’est pas (plus maintenant et pas encore) un système de pensée. Les choses sont présentées et transformées en des choses communes dont on peut faire usage librement. Ce qui a été suspendu, ce sont leur « économie », les raisons et les objectifs qui les définissent lorsqu’elles sont utilisées durant un temps social, normal ou de travail. L’éducation est un ensemble de pratiques qui vise à garder les choses du monde hors des cercles de la consommation et des affaires liées à l’usage et à la valeur d’échange. Les choses (y compris la langue) sont donc déconnectées des usages établis ou sacrés par l’ancienne génération de la société, mais les étudiants ne se les sont pas encore appropriées à titre de représentants de la nouvelle génération. C’est devant les choses communes accessibles que la jeune génération se voit offrir la possibilité de faire l’expérience d’elle-même en tant que nouvelle génération. En d’autres mots, de vivre le possible, l’impossible et le commencement avec une chose utilisable par tous.

Soulignons une fois de plus que l’école en tant que forme pédagogique n’est pas une idée ou un idéal, car il n’existe aucune garantie de sa réalité et elle ne se réduit pas qu’à une simple idée. En fait, l’école est une forme de rassemblement qui est à faire et qui peut « se produire ». L’éducation, ou la pédagogie si elle est prise dans son sens le plus large, pourrait alors être vue comme l’art et la technologie qui rendent l’école possible, c’est-à-dire qui spatialisent et matérialisent le temps libre. Nous n’aborderons pas cette discussion en détail dans cette contribution, mais nous tenons à souligner qu’une pédagogie scolaire qui vise à établir le déroulement du « temps libre » comprend des architectures et des formes particulières de discipline, soit des technologies intellectuelles et matérielles de l’esprit et du corps, de même que des gestes pédagogiques précis. Elle comprend également des rassemblements et certaines figures pédagogiques (personas caractérisés par un ethos précis, c’est-à-dire une attitude ou une position telle qu’incarnée par l’enseignant, notamment)[10]. Soulignons deux aspects.

Tout d’abord, la temporisation et la possibilité de se positionner par rapport au monde et de se mettre en forme (qu’il s’agisse de s’impliquer envers une chose ou de se rattacher à celle-ci tout en conservant une distance) sont liées à ce que l’on pourrait appeler des processus (techniques) de (dia)grammatisation. Ces termes ne renvoient pas seulement à la grammaire du langage, mais aussi à l’extériorisation de ce qui reste habituellement confiné dans certaines pratiques et activités (les principes, les règles, les définitions, les gestes de base, les mathématiques, les sports, la communication, etc.). La matière scolaire est donc la version grammatisée (et hyperfonctionnalisée) des actions, des activités et des pratiques régulières ou du monde de la vie (en allemand « Lebenswelt »). Cette rupture avec le « naturel » et le « monde de la vie » est essentielle pour rendre l’étude et l’exercice possibles. Vous ne retrouverez jamais « naturellement » la langue sous forme de lettres de l’alphabet ou dans une boîte aux lettres. De même, ne verrez jamais dans la nature des oiseaux rassemblés comme sur des planches encyclopédiques, et certainement pas réunis afin d’être comparés. Sans cette « grammatisation » de la « nature » et du « naturel » (technologie, biologie, langage), nous privons les enfants de pouvoir se lier au monde et à ce qui les définit. Par conséquent, il existe réellement une différence entre « apprendre par la pratique » et « l’apprentissage scolaire ». Cette grammatisation est toujours liée à certains types de visualisations ou textualisations. Elle implique des « inscriptions », comme l’alphabet, les nombres, les formules, les schémas ou les diagrammes. Ces inscriptions ne doivent pas être vues comme des représentations d’un monde extérieur (suivant la logique de la fiction/simulation et de la réalité), mais comme des présentations à travers lesquelles le monde devient une chose dont nous discutons, une chose à laquelle nous nous rattachons et une chose que nous étudions. C’est probablement ce qui fait la force pédagogique de ces inscriptions : le double exercice de rendre attentif et de révéler le monde.

En deuxième temps, nous devons mentionner la figure de l’enseignant, non pas perçue comme une catégorie sociologique, un profil psychologique ou encore un rôle professionnel, mais comme un ethos ou une façon de tisser un lien caractérisé par un soin et un amour particuliers. Cet amour pédagogique consiste en un double amour, comme l’indique Hannah Arendt, à la fois envers le monde (« la matière ») et envers la nouvelle génération (Arendt, 2006/1958). Et bien que l’on « tombe » amoureux, nous pensons que cet amour implique aussi toujours une préparation très banale afin de permettre d’accueillir cet « événement », devenir et rester attentif à celui-ci, et prendre aussi le temps d’étudier et de s’exercer. Il s’agit d’un défi qui nécessite une certaine discipline, une suspension des jugements rapides et un soutien immédiat. Nous devons également faire attention à distinguer l’amour pédagogique de l’amour « maternel », « paternaliste » ou « parental » (Freire, 2005). L’amour pédagogique permet de présenter quelque chose d’intéressant (lui donner de l’autorité) sans l’imposer. En plus d’exiger un travail sur le langage, cela s’articule aussi dans la voix de l’enseignant (qui aide à rendre concrète une chose du monde).

4. Domestiquer l’école

À une autre occasion, nous avons analysé en détail les différentes façons dont l’école et l’enseignant sont domestiqués (Masschelein et Simons, 2013). Ici, nous voulons formuler cet aspect de domestication de manière plus globale et très brève en faisant le lien avec, d’une part, la différence entre ce que nous appelons l’école moderne et, d’autre part, l’école telle qu’elle semble être aujourd’hui. (Pour une analyse plus détaillée, voir Simons et Masschelein, 2008 et 2017).

Il existe une façon de contrôler et de neutraliser l’école en tant que forme pédagogique que nous pourrions appeler l’école « moderne » totalement institutionnalisée. Ce type de contrôle, largement étudié dans la théorie et l’histoire de l’éducation, indique que l’école moderne serait une institution organisée en vue de l’atteinte d’un idéal prédéfini (politique, social, personnel, religieux). Il s’agirait d’une institution où l’on est, pour ainsi dire, retiré de la famille puis introduit immédiatement dans une nouvelle famille (p. ex., nationale, culturelle ou religieuse). Une école qui vise à façonner un individu normalisé par un enseignant qui incarne la norme et par des pratiques disciplinaires du corps et de l’esprit qui, comme certains l’ont affirmé, préparent les gens à travailler à l’usine et préparent les citoyens et les habitants à participer à l’État moderne et bureaucratique (Foucault, 1975).

Aujourd’hui, outre (ou peut-être conformément à) la façon dont la politique identitaire menace l’école (soit en liant les élèves à leur passé, à leur milieu familial et à leur identité au lieu de suspendre temporairement ces aspects), la tentative de déscolarisation de l’école la plus notable vise à transformer cet établissement en un « environnement d’apprentissage personnalisé » qui offre des ressources perçues comme un investissement et un moyen efficace et efficient de produire des résultats d’apprentissage (voir aussi Simons et Masschelein 2021) . Ces « environnements » (qui ne sont plus des « institutions ») sont « centrés sur l’apprenant » et conçus pour tenir compte de son « unicité » et de ses besoins d’apprentissage. Ils offrent des trajectoires d’enseignement idéalement personnalisées qui incluent un suivi constant, des éléments motivateurs, ainsi que de la rétroaction et un profil personnalisés (largement rendus possibles grâce au numérique). Ces éléments rendent les apprenants employables (et non normalisés) de par leurs compétences, et permettent de capitaliser le potentiel d’apprentissage humain (créatif). Ces environnements d’apprentissage n’ont pas besoin d’enseignants qui incarnent des normes, mais plutôt des concepteurs et des guides désincarnés. Un tel milieu est de plus en plus organisé comme un appareil de rétroaction (idéalement automatisé et utilisant des analyses de l’apprentissage) (Simons, 2014). On pourrait peut-être affirmer que ces environnements d’apprentissage (comme les nouveaux ateliers collaboratifs, ateliers créatifs et laboratoires éducatifs) ne préparent plus les jeunes à l’usine ou à l’État modernes, mais plutôt que la différence entre l’usine et l’école en tant qu’environnements d’apprentissage s’efface depuis que les nouvelles usines deviennent créatives et immatérielles (Flusser, 1999/1993) et exploitent la force de la formation.

Il nous est impossible d’approfondir ce diagnostic ici, mais nous pouvons indiquer comment de tels environnements d’apprentissage personnalisés, probablement impensables sans le numérique, impliquent clairement une neutralisation ou une domestication des opérations de l’école en tant que forme pédagogique. Tout le temps disponible devient donc du temps dédié à l’apprentissage. Il s’agit d’un temps d’investissement et de production (produire des résultats, un rendement ou des gains) où la séparation entre « temps libre » et « temps productif » est abolie. L’éducation devient également centrée sur l’apprenant et non sur le monde. Elle n’offre plus de « grammaire », mais des situations de la vie courante, compromettant ainsi la possibilité pour les apprenants de se distancer et d’entrer en relation avec le monde (plutôt que d’être simplement employé ou de fonctionner dans le monde).

Réinventer l’école : les enjeux à relever

Nous terminons en abordant la formation des enseignants et la recherche pédagogique, qui, selon notre compréhension, jouent un rôle crucial dans la manière de « faire l’école ». Comme nous l’avons mentionné, l’école est une invention historique, ce qui signifie qu’elle peut disparaître (à l’instar de la démocratie). Or, cela signifie aussi qu’il est possible de se la réapproprier. En anglais, « reclaim » (revendiquer) signifie non seulement « récupérer », « reprendre », « se réapproprier », mais aussi « cultiver à nouveau » et, selon notre compréhension, « réinventer ». Voilà précisément ce que nous considérons comme notre défi et notre responsabilité actuels. La recherche pédagogique pourrait tenter de trouver d’autres façons d’aborder pédagogiquement l’école (et nous avons essayé de contribuer à cet effort), d’élaborer une théorie qui exprime du souci et de l’inquiétude pour l’école (et pas seulement pour l’enseignement et l’apprentissage) ou encore de traiter les enjeux non pas en abandonnant l’école, mais en la réinventant et en essayant de la remettre au coeur de nos établissements d’enseignement, de la rescolariser.

Réinventer l’école revient à trouver des moyens concrets dans le monde d’aujourd’hui pour offrir du « temps libre » et rassembler les jeunes autour d’une « chose » commune. Cette réinvention pourrait être guidée par le critère que nous avons tenté d’esquisser et doit certainement réagir à ce que nous avons appelé de manière assez imprécise « le numérique ». On pourrait établir un parallèle avec l’alphabet. L’alphabet a permis une profanation et une grammatisation (c’est-à-dire une extériorisation et une matérialisation) de la parole, ce qui a rendu son étude possible et qui, par conséquent, nous a permis de prendre une certaine distance afin de s’y rattacher. Il a donné à la parole une forme publique précise (soit l’écriture) de laquelle a découlé la création de tout un monde, mais aussi la possibilité de se rattacher à ce monde. Très brièvement et provisoirement, nous pourrions maintenant affirmer que l’environnement numérique (Internet) semble aussi permettre une profanation et une grammatisation encore plus radicales et englobantes (non seulement de notre parole, mais aussi de notre vision et de notre écoute) que celle offerte par l’alphabet (Stiegler, 2013). Cependant, la façon dont l’alphabet rendait possible une certaine émancipation a aussi mené à toutes sortes de pratiques scolaires comme la répétition, la copie, la rédaction d’essais et la lecture à voix haute. Ces pratiques créaient la possibilité d’une utilisation attentive et collective du langage en y donnant un sens, ou en en faisant une archive ou une mémoire. En d’autres termes, elles permettaient de mettre le langage sur la table, pas seulement de l’utiliser, de le créer ou de le transmettre. Dans le cas présent, il s’agit encore une fois d’élaborer des pratiques permettant de faire l’école en fonction du monde numérique, et d’expérimenter avec ces pratiques. Dans la mesure où le numérique est un monde programmé tournant à coup d’algorithmes, et dans la mesure où l’écran et le regard remplacent le livre et la lecture, les pratiques scolaires doivent tenir compte de ces transformations. La question est donc de savoir comment une certaine émancipation est possible dans un monde programmé et visuel, ou encore qu’est-ce qui permettrait aujourd’hui un degré ou une sorte de déprogrammation et de dévisualisation. Il ne s’agit que d’une hypothèse, mais peut-être que de nouvelles formes scolaires de textualisation et de littéracie seraient pertinentes.

Abordons brièvement la formation des enseignants. Il est essentiel de souligner que nous concevons l’enseignant comme un professeur d’école. Cette vision implique qu’une personne ne fait pas qu’enseigner, mais qu’elle fait aussi l’école. À notre avis, ceci complique l’acte d’enseigner pour de très bonnes raisons, lesquelles ont trait à l’égalité pédagogique et à la liberté. Par conséquent, l’enjeu lié à la formation des enseignants devrait être abordé en fonction de qui se passe aujourd’hui avec l’enseignement scolaire (et que nous avons brièvement présenté comme la transformation de l’école en un environnement d’apprentissage personnalisé). En effet, et c’est très important, il semble qu’en raison de toutes sortes de changements sociaux (comme l’immigration) et technologiques (comme les TIC), les conditions dans lesquelles nous faisons l’école évoluent rapidement et affectent les établissements d’enseignement et leurs occupants de différentes manières. Dans ce contexte, la possibilité d’articuler toutes les compétences pédagogiques concrètes qui serviraient d’« acquis d’apprentissage » dans la formation (ou plutôt l’entraînement) des enseignants nous apparaît illusoire. En réalité, nous ne savons pas ce qu’il advient de l’enseignement scolaire dans l’état actuel des choses. Cette éducation reste, en partie, à être étudiée et réinventée. Ainsi, il semble qu’une « formation des enseignants » dirigée par des compétences prédéfinies devienne aujourd’hui une chose très difficile (ou spéculative) à mettre en place. Nous suggérons donc que la formation des enseignants soit reconstruite comme une sorte d’« études de l’école » où les étudiants observent avec leurs enseignants ce qui se passe réellement dans l’enseignement scolaire pour tenter de développer des réponses (ou une réponse-habileté) par l’entremise d’études collectives et publiques. Les études de l’école telles que présentées ne sont pas encore une discipline ni un corpus de connaissances établi, mais plutôt un domaine qui doit être composé collectivement par les étudiants, les enseignants et les autres parties concernées ou touchées. Ces acteurs doivent créer et constituer ensemble leur « matériel d’étude » et inventer ce que l’on pourrait appeler un « tout sensoriel » qui contiendrait différentes pratiques et techniques permettant de « sentir ou de percevoir » l’état des choses. De telles études nécessiteraient aussi d’utiliser et d’élaborer une panoplie de méthodologies (publiques) qui aideraient à créer ledit matériel d’étude, qui offriraient une voix aux personnes concernées et qui permettraient d’étudier « la transformation de la formation scolaire » de façon à favoriser une réponse-habileté. Mais pour cela, la société doit vouloir offrir du temps et de l’espace pour que les enseignants deviennent des « professeurs d’école »; car nous savons que leur formation, dans une optique d’efficacité ou de contrôle, tend à se réduire à une sorte d’apprentissage pratique ou à un processus de formation axé sur les résultats, lesquels visent plutôt à neutraliser l’école. Ainsi, la question publique cruciale à laquelle nous devons répondre est la suivante : « La société veut-elle encore des écoles? ».