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Introduction

Après avoir pensé Construire l’éthique de l’enseignant au quotidien (Pachod, 2013), nous souhaitons questionner l’accompagnement et la stimulation de l’élève dans sa propre construction éthique au quotidien. Cette entreprise nous semble rendre compte d’une réalité simple de réciprocité d’existence convenue entre l’enseignant et l’élève. Cette réciprocité concerne-t-elle l’éthique? Si la recherche documentaire confirme largement l’éthique de l’enseignant, elle ne mentionne pas de titres, ni d’ouvrages, ni d’articles spécifiques sur l’éthique de l’élève. Celle-ci serait-elle absente des préoccupations des sciences de l’éducation et de la formation, de la formation initiale et continue des enseignants, de l’exercice quotidien en classe et à l’école? Supposée, elle demande à être explicitée. Pratiquée, elle gagne à être précisée. Notre recherche, en sa deuxième partie, se propose de l’approcher en référence à Paul Ricoeur.

Afin de bien saisir l’originalité de l’éthique, nous la contrasterons avec deux autres termes voisins de sens, riches de nuances, souvent confondus : la morale et la déontologie. Si les trois appellations partagent une question initiale et quotidienne, « Que dois-je faire? », elles varient sur le sens à donner à l’auxiliaire devoir : la morale ou ce qu’il faut faire, la déontologie ou ce qu’il est recommandé de faire, l’éthique ou ce qu’il est possible de faire. Toutes ces nuances feront l’objet de la première partie cette recherche.

L’éthique de l’élève se construit au quotidien grâce à la mise en oeuvre des conditions favorables à la création d’un espace-temps sécurisé que sont l’école et la classe. Y contribuent également diverses postures éducatives marquées par une intention sur autrui générant un certain nombre d’actions référées à des principes éthiques. Ces perspectives seront présentées en troisième et dernière partie, invitant, en conclusion, à des approfondissements sur la responsabilité, sur le questionnement et sur la classe pour construire la vie bonne de l’élève.

1. Deux contrastes essentiels pour mieux situer l’éthique

En continuité et en approfondissement de nos publications sur la morale professionnelle de l’enseignant et sur l’éthique enseignante, nous contrastons trois termes voisins de sens, souvent confondus : la morale, l’éthique et la déontologie. Les nuances de définition s’appuient sur l’auxiliaire devoir. Ces nuances françaises du devoir faire, nous les retrouvons accentuées en langue allemande par trois verbes. Müssen signifie une obligation impérative, une norme à respecter sans possibilité de s’y soustraire sous peine de sanction relevant du droit ; l’impératif catégorique de Kant relève de cette approche. Sollen exprime une recommandation forte, voire très forte, de type social, inscrite dans les us et coutumes, les convenances, l’ethos d’une société ou d’un groupe de référence ou d’appartenance. Enfin, können s’entend comme le verbe de l’optatif, ce mode de grec ancien pour formuler le souhait, la possibilité, le choix. En référence au français et à l’allemand, « que dois-je faire? » peut s’énoncer ainsi en ce qu’il faut faire, ce qu’il est convenu et recommandé de faire, et ce qu’il est possible de faire. Ces trois formulations construisent ensemble l’agir éthique et responsable de l’enseignant en 3D (Pachod, 2007a) et à présent de l’élève. La morale précise l’agir dans des obligations et des énoncés normatifs. La déontologie codifie l’agir dans des habitudes et des routines, des recommandations et des convenances professionnelles et partagées par un groupe. L’éthique développe l’agir en intentions, en choix, en hésitations, en risques consentis, en questionnements, à la recherche de la vie bonne.

1.1. La morale

En écho au verbe müssen, la morale se définit comme un ensemble de règles, de commandements, d’interdictions, de devoirs qui proposent une distinction entre le bien et le mal, qui permettent de qualifier et de juger les actions humaines (Prairat, 2012, 2021). La norme est le concept central de la morale. Michel Métayer précise que « pour être efficaces et bien guider l’action, les normes morales doivent souvent être codifiées en règles précises et détaillées. Elles prennent alors la forme de législations, de réglementations ou de codes de procédures » (2008, 6). Ces normes se déclinent en principes « qui sont des normes morales très générales » et en règles qui « sont des normes spécifiques qui viennent préciser la manière dont un principe doit s’appliquer dans une situation donnée » (2008, 7). En caractérisant et en énonçant un ensemble d’obligations, de règles et d’interdictions, la morale risque une rigidité, « une obéissance messianique, un endoctrinement » (Desaulniers et Jutras, 2006, 32), un non-changement que Dominique Depenne précise de façon schématique : « Ce que la morale n’admet pas, c’est le différent et le différend. (…) Introduire de la différence, c’est re-questionner le bien-fondé du modèle dominant. C’est remettre en question l’unité de la pensée dominante » (2013, 24).

Nous nous interrogeons : y a-t-il une morale de l’élève, à l’instar de la morale de l’enseignant qui a fait l’objet d’un chapitre du Code Soleil sur une soixantaine d’années (Pachod, 2007b), de publications récentes? La recherche documentaire infructueuse ne signifie pas l’absence de la morale de l’élève, mais sa présence implicite énoncée dans des documents législatifs et ministériels. Divers droits individuels et collectifs des élèves, leurs obligations d’assiduité, de respect portant sur les règles de fonctionnement, l’ensemble des membres de la communauté éducative, les bâtiments, les locaux, les matériels sont énoncés dans des lois d’orientation, des décrets et des circulaires.

1.2. La déontologie

Néologisme du philosophe et jurisconsulte Jeremy Bentham (1748-1832), la déontologie est la science ou le discours (logos) des devoirs (dei, deon) concrets à accomplir dans des situations singulières, notamment professionnelles. « Forme particulière de régulation sociale propre à une profession ou à un métier » (Desaulniers et Jutras, 2006, 37), la déontologie désigne « l’ensemble des règles et des devoirs qui régissent la conduite de ceux qui exercent une profession » (Métayer, 2008, 6). Elle donne « des points de repères pour décider, s’orienter et agir dans des contextes de travail brouillés et difficiles » (Prairat, 2014, 30). Demeurant « provisoires et évolutives selon les rapports de force qui prévalent dans un secteur » (Lavigne et Lestienne, 2000, 40), ces règles se nourrissent d’études de cas pratiques et mobilisées par la recherche de prestations continues d’excellence et de visibilité. Éprouvées et approuvées par des professionnels qui ont confirmé les actions jugées acceptables, souhaitées, convenables et permises, et qui ont écarté les pratiques ambiguës, illégitimes et inacceptables, ces règles, normes et valeurs formalisées définissent « les "bonnes" et les "mauvaises" conduites » (Depenne, 2013, 31). La connaissance et le partage de ces règles et de ces pratiques circonscrites et référées contribuent à définir et à constituer un groupe professionnel identifié.

Nous nous interrogeons : y a-t-il un code de déontologie de l’élève? Si l’on s’en tient au strict intitulé, la réponse est négative; si l’on examine son contenu, la réponse positive se présente sous trois appellations : les règles de vie, le métier d’élève et les modèles d’élèves.

Tout établissement scolaire dispose d’un règlement intérieur qui, selon le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, présente les règles et les principes de vie dans l’école, les droits et les devoirs des membres de la communauté éducative, les règles de civilité et de comportement, les sanctions scolaires. Les règles de vie de l’élève en classe sont souvent reprécisées, voire co-élaborées en groupe-classe et avec l’enseignant, notamment lors d’incidents ou de conflits. L’élève dispose ainsi de repères qui cadrent et encadrent son exercice au sein de l’école et en classe.

« Peut-on parler aussi simplement d’un métier d’élève? N’est-ce pas une métaphore trompeuse ou un abus de langage? », s’interroge Philippe Perrenoud (2010, 11). Il s’agit, précise-t-il, d’un drôle de métier puisqu’il

n’est pas librement choisi, moins qu’un autre ; [qu’il] dépend fortement d’un tiers ; (…) qu’il s’exerce en permanence sous le regard et le contrôle de tiers (…), se trouve constamment au principe d’une évaluation des qualités et des défauts de la personne, de son intelligence, de sa culture, de son caractère

2010, 14

De fait, les élèves exercent une vie professionnelle dans la mesure où ils travaillent dans une organisation formelle qui définit et codifie les rôles, les qualifications, les droits et les devoirs de chacun, qui attend une production en réponse à une commande précise. Pour ce faire, ils mettent en oeuvre des routines quotidiennes et des gestes professionnels explicites ou implicites qui, selon Dominique Bucheton, constituent

des manières d’agir inscrites dans une culture professionnelle scolaire, héritée d’une très longue tradition, transmise par la profession, mais aussi par l’expérience d’élève de chacun. Un double héritage qui conforte la stabilité de grands genres ou "formes scolaires", de routines non interrogées qui ont la vie dure : le modèle transmissif de la leçon (…), la dictée, le "passe au tableau", l’appel oral par le maître, l’interro surprise, le devoir sur table sans documents

2019, 21

Ainsi, devenir et demeurer élève se déploie en deux didactiques. La didactique traditionnelle vise à inscrire l’exercice de l’élève dans des activités commandées ou imposées, en respectant les règles convenues et les contrôles consentis pour réaliser un travail prescrit par l’institution. Une didactique nouvelle, en particulier celle de l’Éducation nouvelle,

emporte [les élèves] dans un tourbillon de projets et de possibilités, sans commune mesure avec l’organisation du travail dans une classe ordinaire. On leur demande d’être actifs, inventifs, d’amener des idées, de prendre des initiatives, d’assumer des responsabilités, d’être à la fois autonomes et capables de travailler en groupe…

Perrenoud, 2010, 111

En réalité, la classe se construit avec ces deux didactiques.

La déontologie de l’élève se précise dès lors dans les modèles d’élèves que l’école et l’enseignant préconisent et mettent en oeuvre souvent de façon convenue et non questionnée. Quel est le bon élève : « l’élève muet, obéissant et déférent » (Develay, 1996, 67), bien élevé, poli, attentif, silencieux, immobile, levant le doigt pour poser des questions intelligentes et pertinentes, travaillant vite et bien, prenant des initiatives en réponse aux sollicitations du maître? Jean Houssaye s’interrogeait sur les bons et les mauvais élèves et enseignants (2001). La question d’ordre déontologique demeure : quel métier d’élève - de bon élève - vais-je exercer et faire exercer? Un élève conforme aux attentes explicites de l’institution et de ses acteurs, modelé, ajusté et adapté au milieu et aux exigences scolaires, qui, pour résister, développe une stratégie défensive ou minimaliste n’ayant « guère d’autres moyens que la ruse, le repli sur soi, le faux semblant » (Perrenoud, 2010, 15; 31)? Ou un élève autonome, libre, responsable dans ses propos, ses activités, ses interactions dans la vie scolaire, collective et relationnelle, selon le modèle finlandais (Robert, 2009)? La question est déontologique, mais aussi pédagogique et éducative (Chauvigné, 2022; Dupeyron, 2017) : la pédagogie dite traditionnelle présente des approches de l’élève fort différentes de celles de l’éducation nouvelle (Deny et Pigache, 2017).

2. Quelques considérations pour comprendre l’éthique

Notion polysémique, l’éthique demande à être clarifiée et ajustée dans notre recherche. Nos analyses se réfèrent à la définition de l’éthique de Paul Ricoeur : « la visée de la vie bonne avec et pour les autres dans des institutions justes » (1990, 202). Nous développons les trois premières composantes de cette formulation en les complétant ainsi : la visée de la vie bonne de l’élève avec et pour les autres, dans la classe et à l’école, tenues pour des institutions justes.

2.1. La visée

La première composante précise que l’éthique est une visée qui s’inscrit non pas dans une logique déontique qui est de l’ordre du falloir (De Greef, 1996, 373-377), mais dans une logique téléologique, du grec telos signifiant le but, la fin. « C’est par convention que je réserverai le terme d’éthique pour la visée d’une vie accomplie et celui de la morale pour l’articulation de cette visée dans des normes caractérisées à la fois par la prétention à l’universalité et par un effet de contrainte », précise Ricoeur (1990, 200). La visée indique une intention, un projet, une dynamique, un sens à construire : « Le sens se construit, il n’est pas donné d’avance ; il se construit à partir d’une culture, d’un ensemble de valeurs et de représentations ; il se construit en situation, dans une interaction et une relation » (Perrenoud, 2010, 17). L’éthique met ainsi le sujet - l’élève - « en situation de penser son futur à la lumière de son présent, et simultanément de s’intéresser à l’existant en ayant anticipé son devenir », écrit Michel Develay (1996, 107). L’éthique relève du projet qui, selon Jean-Pierre Boutinet (2010, 53-58), se comprend par le jeu de ses préfixes en cinq paronymes : pas de projet sans su-jet qui conçoit et met en oeuvre; pas de projet sans ob-jet à façonner, à reconfigurer, à atteindre; pas de projet sans re-jet de ce qu’on met à distance ou de côté; pas de projet sans tra-jet situé dans un espace-temps; pas de projet sans sur-jet qui établit des liens et relie des acteurs.

L’éthique privilégie l’approche aristotélicienne de la praxis et non celle de la poeisis (Imbert, 2000). Dans le faire, en poiesis, l’agent est en position de maitrise et d’expertise, d’action inscrite dans une procédure : « Le faire s’apprécie en termes d’efficacité et son déroulement peut donner lieu à un contrôle » (Leclercq, 2000, 243). L’imprévu doit être réduit à l’imprévisible « où ne doit arriver que ce qui est annoncé et tout ce qui est annoncé doit arriver » (Lyotard, 1988, 135). En praxis, l’agir est production de finalités, commencement de quelque chose de nouveau. « La surprise, écrit Imbert, est bien, en définitive, la marque distinctive de l’action. La surprise qui déconcerte l’éducateur, le confronte à l’imprévu, signe que, quels qu’aient pu être les plans et les prévisions, l’avènement d’un être nouveau relève du "miracle" de la praxis » (2000, 106). En éthique, l’imprévu constitue le temps et le lieu de l’étonnement, du questionnement, de la décision. Dans une classe et dans un cours, l’enseignant et l’élève évoluent entre ce qui était soigneusement programmé et ce qui se passe réellement : l’éthique se vit et se construit souvent dans cet écart inhérent à toute relation pédagogique et éducative ou grâce à cet écart.

En éthique, le sujet - l’élève - ne s’installe pas dans la répétition d’un déjà-là expérimenté et approuvé en pratiques et en protocoles standardisés. Il s’en sert pour améliorer la situation présente, souvent problématique, à la recherche d’une solution meilleure. L’éthique le fait entrer pleinement dans l’ici et le maintenant de la situation réelle et vécue, en visée d’un pas-encore : ainsi, il débanalise le quotidien (Depenne, 2013, 110), il risque une prise d’initiative et de responsabilité au service de l’invention qui améliore la condition humaine et de l’innovation qui aide au changement social (Liu, 2022, 18). Le sujet devient alors, en termes aristotéliciens, l’homme sage, « le phronimos, l’homme doué de ce sens éthique, de cette faculté de discernement, qui lui permet de choisir en toutes circonstances, la solution la plus juste, la plus appropriée à la situation présente » (Fontaine, 2002, 8). Le sage éviterait ainsi des problèmes que le technicien aurait pu et su résoudre.

En recherche de la bonne décision dans une situation donnée, souvent problématique, le sujet devient auteur de sa décision. L’éthique prend sa source dans le sujet : « Pas de sujet, pas d’éthique. Pas d’autres, pas d’éthique. Pas de sujet, pas d’autres, pas d’intervention, pas d’enseignement non plus. Telle est la morale de l’histoire » (Roy Bareau, 2009, 118). En éthique, le « je » - non le « on » - cherche, hésite, pense en praticien réfléchi et en praticien réflexif. Il « revient en pensée sur son travail, sur la situation qu’il a vécue ou qu’il prépare pour optimiser l’ensemble de ses actes. Il est alors, tout autant, "praticien réflexif" : il revient, toujours en pensée, sur lui-même en la situation créée. La réflexion, la réflexivité supportent le progrès » (Paquay, 1994, 20). Il s’interroge donc avant l’action, pendant l’action, après l’action et à propos de l’action. Ces questions maintiennent le sujet dans une position et dans une évolution de funambule qui « doit apprendre à maîtriser un constant déséquilibre entre, d’un côté, la défense des principes qu’il est chargé de faire respecter ou des convictions qui l’habitent et, de l’autre, une écoute attentive de l’étrangeté de certaines positions et une possibilité d’évoluer » (Drouin-Hans, 2009, 222-223). L’éthique invite le sujet à faire avec, et non contre, des exigences à la fois contradictoires et légitimes, des paradoxes indépassables qui constituent, selon Jean-Bernard Paturet (2007, 67-93) les « apories de la raison éducative » : domestiquer et affranchir, l’insociable sociabilité de l’homme, l’identité et l’ipséité, la personne et la catégorie, la rupture et la continuité, l’universel et le particulier.

En fait, l’éthique questionne là où la morale répond. Son domaine est le questionnement et la délibération sur ce qu’il est juste et bon de faire, l’interrogation sur le sens et la valeur des actions. « L’éthique, précise Eirick Prairat, [est] force d’interpellation, elle interroge ce qui est établi » (2013, 78). Il se réfère alors à Paul Ricoeur :

Je propose […] de distinguer entre éthique et morale, de réserver le terme "éthique" pour tout questionnement qui précède l’introduction de l’idée de loi morale et de désigner par "loi morale" tout ce qui, dans l’ordre du bien et du mal, se rapporte à des lois, des normes, des impératifs

1996, 42-45

En ce sens, l’éthique est puissance de renouvellement : « Elle empêche, poursuit Eirick Prairat, la clôture et le sommeil dogmatique de la morale en la réinterrogeant dans ses normes et ses règles. (…) La morale est un contenu ; l’éthique, une interrogation. (…) Subversive, elle déplace les lignes » (2013, 48-49).

2.2. La vie bonne

L’éthique est une visée de la vie bonne qui est « la nébuleuse d’idéaux et de rêves d’accomplissement au regard de laquelle une vie est tenue pour plus ou moins accomplie ou inaccomplie » (Ricoeur, 1990, 210). « Cette notion, précise Eirick Prairat, appartient à la tradition aristotélicienne (eu zein, "bien vivre") et peut être assimilée à l’idée de vie réussie, accomplie, heureuse. La vie bonne est une manière de donner sens à son existence » (2013, 45-46). Cette démarche éthique « originale et singulière est avant tout recherche d’une vie réussie » (Prairat, 2013, 45-46) qui relève de choix particuliers et personnels, inscrits dans des environnements propices à la liberté, favorables aux questionnements et aux choix. Mais quelle est la vie bonne souhaitée, voire exigée, par l’enseignant et par l’école pour l’élève? Quelle est la vie bonne souhaitée par l’élève lui-même? Poser ces questions en début d’année scolaire et de cours, c’est reconnaître à l’éthique cette occasion de coconstruire des espaces/temps d’expression et d’élaboration de valeurs et de projets visant l’émergence de sujets libres, autonomes et responsables. Les réponses ne s’imposent pas, elles se discutent, se partagent et s’édifient par le dialogue, le débat, la disputatio.

L’éthique se présente ainsi comme « l’art de l’orientation de la conduite humaine entre déontologie et éthique » (Gohier et Jeffrey, 2005, 52), à la recherche du bonheur, du bien et du mieux-vivre. S’orienter, c’est « choisir son orient en n’étant pas assuré de ne pas désirer l’occident, le noroît ou le suroît. S’orienter, c’est choisir de manière parfois définitive en n'étant pas certain de son choix » (Develay, 1996, 26). Choisir, c’est prendre le temps de renoncer à des possibles pour retenir la meilleure solution ici et maintenant, pour construire la responsabilité entendue comme la capacité à rendre compte de ses actes et à préserver un avenir heureux pour soi et pour autrui. Pour Christophe Marsollier l’éthique est

cet espace de réflexion, de présence à soi et à l’élève, où la recherche de ce qui est bon pour lui, le conduit à opter pour une démarche spécifique qu’il n’aurait peut-être pas spontanément choisie, mais que l’expérience et l’analyse des enjeux le conduisent à retenir comme étant, dans l’instant, la meilleure qu’il puisse offrir à l’élève

2012, 16

Pour construire la vie bonne, l’éthique nécessite de prendre, selon Serge Boimare un « temps de suspension nécessaire à la recherche, à la réflexion » (2004, 109; 154) que les enfants en échec évitent ou fuient. Dans une logique actuelle du temps vécu dans l’urgence continue, le sujet risque de perdre sa capacité à hiérarchiser les questions et les solutions, à garder le lien social, n’ayant plus le temps disponible pour écouter, dialoguer, débattre sereinement et patiemment (Pachod, 2017). L’éthique se présente alors comme résistance à l’aliénation et à l’accélération du temps (Rosa, 2014); elle invite au ralentissement afin de comprendre les réalités et de faire des choix, de référer l’action à des finalités. L’éthique aide l’homme à demeurer auteur et acteur du temps et de l’histoire d’une vie bonne, pour lui et pour autrui. Elle installe le sujet, l’enseignant, l’élève, dans un retard, une patience et un sursis nécessaires pour bien agir et non pas pour réagir dans l’immédiateté, par caprice, par empressement. Entrer en éthique, en classe et en cours, c’est accepter, d’une part, de suspendre la pression des programmes et de ralentir la course à la performance et, d’autre part, de pratiquer des activités de rupture et de repos, des temps de questions et de débats, de repos, de bâtons de parole, de gratuité et d’humour. L’éthique approfondit et ouvre régulièrement et patiemment des espaces cognitifs, relationnels, culturels que la morale aurait certainement fermés et que la déontologie aurait vraisemblablement cadrés et encadrés.

2.3. Avec et pour les autres

Enfin, l’éthique est une visée de la vie bonne avec et pour les autres. Cette composante, « nous [la] désignons du beau nom de sollicitude », qui, toujours selon Paul Ricoeur « ajoute la dimension de la valeur qui fait que chaque personne est irremplaçable dans notre estime et notre affection. (…) Deviennent ainsi fondamentalement équivalent l’estime de l’autre comme soi-même et de l’estime de soi-même comme un autre » (1990, 211). La sollicitude revêt selon Marie-Andrée Ricard « tantôt la figure du souci, de la préoccupation pour autrui, tantôt celle de la solidarité, de la fraternité, de l’humanité, tantôt, enfin, la forme de comportements qui résultent de ces dispositions bienveillantes tels l’attention, le soin, l’accompagnement et la protection » (2017, 1). Elle est la manifestation d’une inquiétude et d’une préoccupation pour autrui. Prenant en charge la vulnérabilité d’autrui, elle est le souci de l’autre et pour l’autre : « Il faut redire avec Heidegger que le souci définit fondamentalement l’être au monde que nous sommes. (…) Exister, être au monde, c’est être dans le souci. Le souci se traduit par le fait que nous ne coïncidons jamais tout à fait avec nous-mêmes contrairement aux choses » (Trouvé, 2015, 3). Porter le souci de ses élèves, c’est les prendre en considération dans leur présence, c’est les reconnaitre comme sujets à part entière. Jean-Marie Labelle précise que « l’élève, c’est un être humain, semblable à tous les autres et pourtant irréductible à un dénominateur commun. (…) L’élève, c’est une personne qui a un nom, un visage, une histoire. Ce n’est pas un entonnoir à programmes, un disque dur à remplir de données. (…) Il est unique » (2017, 43). L’enseignant, éducateur et pédagogue, prend soin (educare en latin) des élèves et les conduit (pais, paidos et agein) sur les chemins de l’école.

La situation de relation avec et pour les autres développe chez l’enseignant, selon Eirick Prairat, « une éthique de la présence qui noue trois grandes vertus : la justice, la bienveillance et le tact » (2021, 14-26). Trois lignes de sens la structurent :

La présence, c’est d’abord un art d’être présent, à soi, aux autres, être en résonance avec la classe, le groupe avec lequel on travaille. La présence, c’est aussi un art d’être au présent, être là, ici et maintenant, dans l’immédiate actualité de ce qui se déploie. C’est être disponible, pourrions-nous dire. La présence, c’est enfin un art du présent au sens du cadeau, de ce que l’on donne, du don, de ses connaissances, de son savoir-faire, de son expérience… La présence est une manière d’être. Mieux, c’est une manière d’habiter la classe, d’où les exigences de bienveillance et de tact »

2021, 16

Le tact peut se définir comme « la faculté rapide de jugement et de décision, (…) cette forme de sensibilité immédiate aux choses et aux êtres [qui] permet de juger le moment favorable pour intervenir, ce que les Grecs désignaient sous le nom de kairos » (Gauthier, 2019, 123). Il se situe entre l’excès et le défaut, entre le trop et le trop peu : « le moment favorable, l’intensité nécessaire, le geste approprié, la parole adéquate, l’agir raisonnable, la proximité ou la distance suffisante, la fermeté ou la souplesse adaptée » (Gauthier, 2019,123). Le tact est ainsi le « sens de l’adresse. (…) Il est le sens de l’à-propos : sens de ce qui doit être dit et comment cela doit être dit, mais aussi au sens de ce qui doit être tu. C’est la vertu du comment : comment on dit et comment on fait les choses » (Prairat, 2021, 17).

La seconde vertu, la justice, est à envisager de deux manières. La première considère les élèves en tant que sujets de droit à respecter, la deuxième comme des sujets apprenants, très différents les uns des autres en termes de capacités, de compétences, de motivations et de réussites.

Le maître juste sait aussi faire vivre la dialectique de l’égalité et de l’inégalité : égalité dans les attentes et les visées, car tous les élèves sont conviés à réussir, et inégalité dans les moyens mis en oeuvre, le soutien, les appuis, les étayages, dans l’accompagnement au nom des difficultés d’apprentissage, certes contingentes, mais bien réelles

Prairat, 2021, 16

La troisième vertu est la bienveillance. Selon Camille Roelens, elle articule trois dimensions :

Bien veiller, bien veiller sur, bien veiller à. La dimension bien veiller conjugue un état d’esprit et une exigence de l’esprit. Elle mêle présence et attention dans une ouverture aux besoins et aux désirs des autres. (…) La dimension bien veiller sur décrit en fait deux caractéristiques complémentaires des rapports interindividuels : (…) prendre soin de l’autre (…), avoir soin de la relation que l’on a avec l’autre, autrement dit d’agir avec tact. (…) La troisième dimension, bien veiller à désigne un souci de participer à mettre à disposition des moyens très divers de comprendre notre environnement

2021, 75

Ces trois vertus définissent la présence comme une proximité éthique que Dominique Depenne approche en référence à la philosophie d’Emmanuel Levinas :

La proximité éthique ne peut se penser qu’en rapport avec l’altérité. La proximité n’est pas un état ou un repos mais plutôt une inquiétude, celle qui advient de l’idée de n’être jamais assez proche d’Autrui humainement. Ce qui fonde l’idée de proximité éthique tient dans l’exigence de ce jamais assez proche qu’elle exprime dans chaque face-à-face humain, dans chaque rencontre interhumaine

2017, 98

3. Construire la vie bonne de l’élève au quotidien : conditions et postures

Pour construire la vie bonne de l’élève au quotidien, il convient de circonscrire et de mettre en oeuvre des conditions et des postures. Par conditions, nous entendons les composantes, les structures, les dispositifs et les espaces-temps qui construisent l’école et la classe en espaces-temps hors menace, en prenant appui sur trois situations favorables (Perrenoud, 1999, 26-31). Les situations non menaçantes dans l’école et hors de l’école permettent d’apprendre et d’enseigner à l’abri des menaces et des pressions idéologiques et physiques. Les situations mobilisatrices, porteuses de sens, impliquent les élèves dans leurs apprentissages en osant faire ce qu’ils ne savent pas encore faire, en se trompant, en cherchant, en questionnant. Les situations sur mesure prennent en compte les élèves dans leur singularité, dans leur progression, dans leurs attentes et dans leurs besoins. Nous faisons nôtre la triple approche de la posture éducative présentée par Guy Le Bouëdec et ses collègues. La posture désigne d’abord une intention éducative sur autrui, un projet sur lui. Cette intention se traduit par un certain nombre d’actions génériques ou de comportements cohérents et précis. Elle fait appel « à un principe éthique, sorte d’horizon d’idéalité qui sert de référence, de régulateur et de grille de questionnement dans la mise en oeuvre de l’intention éducative » (2016, 34-35; 49-50). Pour que l’éthique de l’élève advienne, deux points de vue, celui de l’élève et celui de l’enseignant pédagogue et éducateur, sont invités à se rejoindre dans une pédagogie de contrat.

Pour construire la classe comme un espace-temps favorable à l’éthique de l’élève, l’enseignant est invité, selon Philippe Perrenoud (1997, 8-10), à « faire son deuil de représentations et de pratiques fort commodes ». Huit deuils sont à entreprendre. Faire son deuil du fatalisme de l’échec, c’est accepter que tout n’est pas joué d’avance, que « l’échec scolaire n’est pas une fatalité ». Faire son deuil du rejet sur un bouc émissaire, c’est ne pas faire porter le chapeau à d’autres, c’est différencier tout de suite. Faire le deuil du plaisir de se faire plaisir, c’est pratiquer la rigueur dans la planification, dans la détermination des objectifs et dans l’emploi du temps. Faire son deuil de sa liberté dans la relation pédagogique, « c’est accepter de se confronter plus souvent, plus intensivement, plus méthodiquement aux élèves les moins gratifiants ». Faire son deuil des routines reposantes, c’est « inventer constamment des solutions originales pour les élèves qui résistent aux démarches standards ». Faire son deuil des certitudes didactiques, c’est porter son effort « sur ce qui importe le plus pour chaque élève ». Faire son deuil du splendide isolement, c’est renoncer à « sa folie personnelle » pour garder sa porte ouverte aux élèves, aux collègues et aux parents. Faire son deuil du pouvoir magistral, c’est accepter de changer de rôle et devenir « organisateur, personne-ressource, maître de soutien, (…), négociateur de contrats, inspirateur d’envies et de projets ».

Agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques : tel est l’intitulé de la compétence 6 du référentiel de compétences de l’enseignant de 2013 (MENESR, 2013; Pachod). Quatre champs d’action y sont détaillés, les trois premiers relevant de l’éthique. Le premier est relatif aux élèves : il est demandé de leur accorder l’attention, l’accompagnement et la valorisation appropriés, l’égalité, le bien-être, la sécurité et la sureté. Le deuxième champ énumère les quatre « éducations à » qui situent la responsabilité de l’élève aujourd’hui et demain : la santé, la citoyenneté, le développement durable, l’éducation artistique et culturelle. Le troisième champ couvre les domaines et les formes de prévention et de sécurité assurant le bien-être, la sécurité et la sureté des élèves.

L’enseignant, toujours selon le référentiel de 2013, est « pédagogue et éducateur au service de la réussite de tous les élèves ». Son identité première l’invite ainsi à pratiquer diverses postures pédagogiques et éducatives. Le pédagogue accompagne l’élève pour tenir conseil, c’est-à-dire « accompagner une personne dans la délibération préparant une conduite à tenir dans une situation-problème » (Lhottelier, 2001, 33). Il pratique aussi le dialogue qui favorise la discussion, la délibération, le débat en diverses situations. Il favorise, suscite et encourage un « rapport au savoir "questionnant" à la fois inquiet, curieux et critique, un rapport au savoir qui incite l’élève à découvrir le monde » (Maulini, 2002, 93). L’éducateur, quant à lui, opère un triple passage : de l’infans, le non-parlant, à un élève qui exprime sa pensée personnelle et singulière, de la dépendance ontologique à une autonomie personnelle, de l’indistinction à l’ipséité (Pachod, 2013, 83-88). La démarche de la pédagogie de contrat permet de

rendre l’élève autonome, libre dans le cadre de contraintes bien identifiées, (…), de l’aider à vivre des relations sociales, de lui apprendre à raisonner, à s’exprimer, à négocier, à prendre confiance en lui et dans ses interlocuteurs, à élaborer un projet et à le réaliser, à être différent et complémentaire des autres

Prezsmycki, 1994, 6

3.1. Du côté de l’élève

Mettre l’élève au centre des préoccupations de l’enseignant, c’est reconnaître les droits imprescriptibles de l’apprenant, c’est rendre le métier d’élève plus vivable, puisqu’il est autonome dans ses initiatives et responsable dans ses actes. Philippe Perrenoud (1995, 123-135) énumère dix droits imprescriptibles de l’élève. Le droit de ne pas être constamment attentif, c’est reconnaître le droit de « décrocher, d’aller faire un tour, de piquer un fou rire, de changer d’air ». Le droit à son for intérieur, à l’intimité, est une condition de l’apprentissage qui « ne prétendra pas accéder aux coulisses, aux émotions et aux pensées des apprenants ». Le droit de n’apprendre que ce qui a du sens, c’est « expliquer aux élèves pourquoi ils apprennent, quel est le sens des savoirs et des tâches que l’on propose ou qu’on leur impose ». Le droit de ne pas obéir six à huit heures par jour, c’est négocier certaines décisions, ménager des espaces de liberté et de convivialité. Le droit de bouger, c’est ne pas assimiler l’attention à l’immobilité, ne pas oublier que l’élève est aussi un corps. Le droit de ne pas tenir toutes ses promesses, c’est reconnaître qu’à l’école, il ne faut pas tout faire bien pour être un bon élève, en réponse aux attentes souvent exorbitantes des adultes. Le droit de ne pas aimer l’école et de le dire, c’est accepter d’entendre et de discuter des goûts et des dégoûts, des remises en question, des contestations. Le droit de choisir avec qui l’on veut travailler, c’est donner davantage de liberté aux élèves pour coopérer afin de se connaître et de s’apprécier. Le droit de ne pas coopérer à son propre procès, c’est ne pas être jugé sur ses doutes et sur ses erreurs, c’est questionner l’évaluation et l’évaluateur. Le droit d’exister comme personne, c’est reconnaître l’élève dans ses différences, dans son originalité, dans son histoire et dans sa personnalité.

Instituer l’élève-sujet, c’est résister, selon Philippe Meirieu, à toute forme de normalisation et d’assujettissement (2008, 95-101). Retenons trois affirmations parmi les dix présentées. Un élève-sujet est capable de vivre dans le monde sans occuper le centre du monde. Au sein d’une classe, il s’enrichit de représentations et de convictions autres que les siennes, il naît à la relation et à la coopération, aux responsabilités partagées. Un élève-sujet est capable de transformer son désir de savoir en désir d’apprendre. « Il ne cherche pas l’efficacité immédiate à tout prix, mais s’efforce de comprendre les phénomènes qu’il rencontre (…) En découvrant ce qui fait échec à son désir de réussite immédiate, il est amené à analyser ses erreurs et à se donner des cadres interprétatifs nouveaux ». Un élève-sujet est capable de se décentrer et d’entendre les points de vue des autres, à l’extérieur de lui et en lui. C’est interroger et réexaminer ses propres productions pour les améliorer et les amender; c’est prendre une nécessaire distance critique avec ses propres travaux.

Devenir un élève-acteur de la vie bonne, la sienne et celle des autres, c’est croire en son autonomie sous trois formes :

agir par soi-même (…) implique d’agencer des moyens, mettre en oeuvre des savoirs et des savoir-faire, tenir compte des contraintes (…); choisir par soi-même, c’est pouvoir faire des choix de vie, conduire sa vie selon certaines priorités relatives à ce qui nous semble bon ou désirable (…); penser par soi-même, c’est diriger ses pensées

Foray, 2016, 21-22; 132

C’est croire également en sa responsabilité, qui

désigne la capacité à assumer les choix que l’on a pris, à en répondre (…); [qui] s’exerce par des comportements altruistes, sous forme d’une éthique du don, de care; [qui] correspond à la préservation de la planète, dans sa capacité à nous offrir, sur le temps, des conditions de vie agréables et permettant à chacun une vie décente

Connac, 2017, 111

Conclusion

Contribuer à « forger le sens critique et à adopter un comportement éthique » des élèves (BO, 2019) est une préoccupation mentionnée dans divers textes et domaines : en Enseignement moral et civique (EMC), dans le socle commun de compétences et de culture, dans certaines disciplines telles que les sciences de la vie et de la Terre (SVT) Une question demeure : qu’entendre par « comportement éthique de l’élève »? En conclusion de nos réflexions et en vue de recherches futures, nous retenons trois réponses à travailler.

Tout d’abord, l’éthique reconnait et construit une triple responsabilité (Connac, 2017, 110) « Individuelle, [elle] désigne la capacité à assumer les choix que l’on a pris, à en répondre ». La responsabilité humaine « s’exerce par des comportements altruistes, sous forme de l’éthique du don, de care. (…) C’est agir de telle sorte que nos comportements participent à la satisfaction des besoins et au bien-être d’autrui ». La responsabilité environnementale « correspond à la préservation de la planète, dans sa capacité à nous offrir, sur le temps, des conditions de vie agréables et permettant à chacun une vie décente. La vie bonne est une vie responsable. »

Ensuite, l’éthique forge l’esprit critique puisqu’elle favorise, suscite et encourage le questionnement (Maulini, 2005, 18). Questionner à propos de, c’est favoriser la critique; questionner à partir de, c’est cultiver la curiosité. L’être-là de Heidegger est un être questionnant qui comprend « la question comme incertitude, comme limite, comme limitation. Le questionnement, c’est la conscience de la finitude, le savoir du non-savoir, la négativité radicale. C’est lui qui nous ouvre au monde et nous ouvre le monde » (Maulini, 2005, 114). La vie bonne questionne et entretient le questionnement.

Enfin, devenir citoyen libre, c’est pratiquer le dialogue et « le courage de la nuance » dans le brouhaha des évidences (Birnbaum, 2021, 17; 24) qui invite à « poser le "devoir d’hésiter" comme impératif catégorique » dans un monde dans lequel « Nous étouffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison », écrivait Albert Camus (2002, 639). Apprendre, c’est se confronter à la réalité et aux autres, donc modifier ses idées, « "bémoliser" ses points de vue, évoquer différents possibles ou envisager d’autres approches que la sienne » (Giordan, 1998, 120).

Ces trois réponses approchent la vie bonne de l’élève comme une visée continue et partagée d’ouverture, d’étonnement et de questionnement dans les enseignements, en classe et à l’école, avec et pour les autres, élèves, enseignants et éducateurs.