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Partie 1

Les activités du Conseil de l’Europe relatives à la classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps

Gabriella Battani-Dragoni,
Administratrice, Conseil de l’Europe

L'harmonisation des méthodes d'identification et de classification des incapacités est un objectif que le Conseil de l'Europe s'est fixé depuis 1975, année où il a créé un Comité d'experts chargé d'élaborer une résolution sur l'identification des invalides (Résolution AP (76) 3).

Ces travaux ont été poursuivis en 1979 par la création d'un Comité d'experts pour les systèmes d'information sur les personnes infirmes, invalides et handicapées, au sein duquel furent élaborés le rapport de synthèse ainsi que la Résolution AP (81) 8 sur les systèmes d'information concernant les personnes atteintes d'une déficience, d'une incapacité ou ayant un handicap. C'est au cours de l'élaboration de ces documents que le Professeur P.H.N. Wood (de l'Université de Manchester, faisant office d'expert consultant de l'OMS) eut l'occasion de présenter le document WHO/ICD 9/Rév. CONF./75.15, contenant une proposition de Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH). Le Comité d'experts ayant jugé la CIDIH très utile, les concepts et définitions fondamentaux contenus dans le document de l'OMS furent inclus dans le rapport de synthèse sur les systèmes d'information (1981) susmentionnés.

L'année 1984, au cours de laquelle fut approuvé le programme type de politique de réadaptation de la Résolution AP (84) 3 (une politique cohérente de réadaptation des personnes handicapées), offrit l'occasion de consacrer, au niveau européen, les définitions de « déficience », « incapacités » et « handicap » de la CIDIH. En effet, ces définitions figurent dans le chapitre des Principes généraux, de la Résolution AP (84) 3, et constituent, sur le plan conceptuel, l'un des fondements de la politique cohérente de réadaptation. De même, la Résolution AP (84) 3 met l'accent sur la nécessité de disposer, dans les états qui découleraient, sur le plan européen, de la disponibilité de données comparables.

Par ailleurs, grâce à l'invitation du CQCIDIH, le Conseil de l'Europe a participé en juin 1987 à la Réunion internationale sur la CIDIH, qui s'est tenue au Québec et qui a eu le grand mérite de relancer le débat et la coopération internationale sur la CIDIH et son application.

À la suite de cette réunion et compte tenu de l'intérêt qu'a présenté la CIDIH pour les travaux du Conseil de l'Europe en matière de réadaptation, ainsi que du profit que les pays européens pourraient retirer de la collecte et de l'échange de données comparables, un Comité d'experts pour l'étude de l'application de la CIDIH a été créé en 1987 au Conseil de l'Europe. Ce Comité d'experts, dont le mandat est de trois ans, a fixé son programme de travail au cours de sa première session, tenue à Strasbourg du 17 au 19 mai 1988.

Ce programme de travail a pu être établi après le recensement, au sein du Conseil de l'Europe, aussi bien des expériences de l'application de la CIDIH en Europe que des actions de promotion ou de diffusion de la CIDIH effectuées par certaines instances internationales, notamment l'OMS.

Les constats suivants découlent de ce qui précède :

  1. La CIDIH n'est ni connue, ni diffusée, ni traduite, ni appliquée de la même façon dans les pays européens. Certains pays, comme la France, la République Fédérale d'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne appliquent déjà la CIDIH; d'autres ont manifesté l'intention de l'appliquer.

  2. Les pays ayant expérimenté la CIDIH lui ont donné un champ d'application assez vaste, couvrant plusieurs aspects spécifiques de la réadaptation.

Cette approche de spécificité a toutefois révélé le fait que la CIDIH est un instrument trop long pour des applications particulières et qu'il importe de mettre au point des outils basés sur la CIDIH, destinés à une application spécifique, plutôt que de se concentrer sur la nécessité d'élaborer une version abrégée de la classification.

Sur la base de ces constats, le Comité d'experts a établi, d'une part, une série de propositions visant à mieux faire connaître la CIDIH dans les États membres et a identifié, d'autre part, les domaines principaux d'application spécifique de la CIDIH, qui seront examinés en vue d'établir des outils dérivés de la CIDIH, à des fins pratiques:

  • Recours à la CIDIH pour les activités de réadaptation.

  • Recours à la CIDIH pour des enquêtes et la saisie de données statistiques.

  • Recours à la CIDIH pour la santé mentale.

  • Recours à la CIDIH pour l'évaluation des capacités professionnelles.

  • Recours à la CIDIH pour l'évaluation des aides techniques.

  • Définition de la notion de handicap et classification des handicaps.

Ce dernier domaine fait déjà l'objet d'une coopération internationale, grâce aux initiatives du CQCIDIH; son étude au sein du Conseil de l'Europe a été planifiée de façon à pouvoir attendre les résultats des travaux menés par le CQCIDIH. À cet effet, une délégation canadienne assistera probablement, en qualité d'observateur, aux prochaines réunions du Comité d'experts.

La prochaine session du Comité d'experts se tiendra à Strasbourg du 6 au 9 décembre 1988.

Partie 2

Proposition d’une révision du 3e niveau de la CIDIH : Le handicap

Patrick Fougeyrollas
Ginette St-Michel
Maurice Blouin

Collaborateurs

Hélène Bergeron, Mario Bolduc, René Cloutier, Martine Gagnon, Nicole Girard, Johanne Pageau, Andrée Paulet, Gyslaine Samson-Saulnier, Louyse Toulouse

1. Introduction

Du 28 mai au 2 juin 1987, s'est tenue à Québec une rencontre constituant une première internationale. Elle regroupait 25 experts européens et nord-américains de 13 pays qui représentaient entre autres 6 organisations internationales : l'OMS, l'ONU, Réhabilitation internationale, Disabled people international, le Conseil de l'Europe et la Communauté économique européenne. À ces experts se sont joints une dizaine de représentants d'organismes québécois et canadiens, tels que l'Office des personnes handicapées du Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, le Secrétariat à la condition des personnes handicapées du Canada, Statistique-Canada, la Régie de l'assurance-automobile du Québec, la Commission de la santé et de la sécurité au travail et la Régie des rentes du Québec.

Coordonnée par le CQCIDIH, cette rencontre a permis aux spécialistes de présenter leurs opinions, expériences et perspectives d'avenir sur une nouvelle manière de comprendre et de classer les conséquences des maladies et traumatismes; un document proposé à la communauté internationale pour expérimentation et validation par l'OMS en 1980 : la classification des déficiences, incapacités et handicaps. Cette oeuvre colossale et d'une grande qualité novatrice est le fruit du travail, de la persévérance et de l'expertise du Dr Philip Wood depuis le milieu des années 70, suite à une demande de l’OMS.

La table ronde du 1er juin a été l'occasion d'échanges très féconds et a permis de faire le point sur l'utilité et les diverses dimensions de l'application de la CIDIH. C'est lors de cette journée que la question de la révision du 3e niveau de la classification: « le handicap » a été identifiée comme une des priorités d'un plan d'action visant l'amélioration et la validation de la CIDIH. Celle-ci ayant été par ailleurs reconnue par tous comme un outil essentiel et fécond.

L'OPHQ s'est alors engagé à assurer le suivi du processus de révision du 3e niveau en collaboration étroite avec le CQCIDIH. L'expertise québécoise s'est en effet spécialement développée sur ce plan, en particulier dans le cadre des travaux d'élaboration de la politique québécoise de prévention des déficiences, des incapacités et d'intégration sociale des personnes handicapées :

À part...égale. L'OPHQ a demandé à l'ensemble des participants intéressés de lui faire parvenir leurs positions sur cette question au cours de l'été 1987.

Il a par la suite confié le mandat au CQCIDIH et ce rapport est le résultat de la première phase du projet. Il comprend une proposition complète faisant la synthèse de la recherche menée par le CQCIDIH.

Dans cette première phase, le CQCIDIH a procédé à une recension des documents reçus suite à la commande de l'OPHQ, des documents disponibles au CQCIDIH et d'une recherche bibliographique sur le sujet.1

Nous présenterons ici :

  • La problématique telle qu'elle ressort de la documentation;

  • les caractéristiques d'une classification internationale;

  • les caractéristiques du niveau du handicap;

  • une proposition de redéfinition du concept de handicap;

  • deux nouvelles nomenclatures permettant de définir ce niveau;

  • l'impact d'une telle proposition sur le 2e niveau : l'incapacité et sa nomenclature;

  • une conclusion précisant la portée de cette proposition et les collaborations nécessaires pour atteindre l'objectif final d'une révision de la CIDIH aboutissant à son adoption officielle par l'OMS.

Cette proposition de travail est soumise à l'ensemble des experts et organismes concernés. Nous espérons susciter l'intérêt de tous.

Nous pensons avoir réalisé ce mandat international dans la plus grande honnêteté « scientifique », mais nous sommes conscients que cette modeste contribution à la continuité des travaux du Dr Wood et de tous ceux qui y ont souscrit avec enthousiasme est le fruit d'une réflexion collective et en ce sens, est l'aboutissement des efforts de toutes les personnes impliquées dans cette démarche.

C'est dans cette perspective que nous faisons cette proposition et que nous lançons cette consultation internationale, sans laquelle notre démarche ne pourra pas atteindre l'envergure qu'elle nécessite pour son adoption par l'OMS.

2. Problématique

2.1. Nécessité de mieux segmenter le niveau du handicap

Nous prenons pour acquis que le lecteur possède une bonne connaissance de la CIDIH, autant de sa longue introduction conceptuelle que de ses nomenclatures. Il n'est pas dans notre intention de faire une critique serrée du préambule. Dans son ensemble notre proposition demeure, à quelques points près, très cohérente avec celui-ci.

Notre objectif est plutôt de présenter synthétiquement les positions et commentaires des experts sur la cohérence de la segmentation actuelle entre l'incapacité et le handicap, ainsi que sur la rigueur des nomenclatures qui en découlent, selon le travail du Dr Wood.

Mentionnons tout de suite que nous avons opté pour l'utilisation du concept de « handicap » plutôt que celui de « désavantage » tel qu'introduit dans la traduction française de l'INSERM. Cette question ayant déjà fait l'objet de débats, nous ne désirons pas les relancer ici. Nous voulons simplement mentionner qu'un problème majeur est issu du choix du titre de la traduction française faisant des handicaps la somme des déficiences, incapacités et désavantages. Ce changement a provoqué, malgré les intentions contraires qui l'ont motivé, un surcroît de confusion terminologique autour du concept de handicap. L'OPHQ avait d'ailleurs pris position en 1985, lors de la réunion de Voorburg organisée par l’OMS, pour se dissocier de cette modification par rapport à la version originale anglaise2. Nous partons donc le plus objectivement possible collé à la version anglaise. Nous considérons que nous avons affaire à une classification des conséquences des maladies : déficiences, incapacités et handicaps.

Ceci dit, laissons d'entrée de jeu la parole à l'auteur de la CIDIH qui déclarait en 1987 à Québec :

« Laissez-moi conclure avec quelques spéculations. Il est remarquable que le handicap est l'aspect le plus négligé de la CIDIH. Il ne fait pas de doute qu'en termes personnels et expérimentaux, cela est la première préoccupation des personnes vivant avec des limitations et que les décideurs doivent y accorder la plus grande importance puisque le champ des interventions possibles s'en trouve très élargi. La dépendance n'est pas difficile à évaluer, mais elle peut être considérée comme le reflet d'un aspect non reconnu des relations humaines. La dépendance est pertinente lorsque quelqu'un veut documenter l'étendue de l'incapacité dans la vie des autres. Cependant, cela est moins évident lorsqu'il s'agit de déterminer de façon plus globale l'expérience individuelle.

Les chercheurs ont peut-être eu peur de s'embarquer dans une nouvelle dimension. Les bureaucrates ont peut-être aussi craint la nouveauté, surtout qu'il s'agit de faire face à des problèmes émotifs. Encore une fois, les décideurs ont peut-être souhaité éviter un sujet lourd de controverse, tel que l'équité par exemple. Leur confusion vient peut-être du fait que ce qui était considéré comme un problème de santé touchait plusieurs autres secteurs. Peu importe ce qui est à l'origine de cette négligence, qu'un problème aussi crucial ait été évité est une triste démonstration des forces et des valeurs qui conditionnent nos sociétés »3.

La CIDIH a en effet illustré et alimenté un débat historique au sein du mouvement international d'autonomie des personnes handicapées. Ceci a amené ce dernier à prendre la position suivante, énoncée par le président de Disabled people international, le Canadien Henry Enns :

« Au congrès de la fondation de DPI à Singapour en 1981, on a décidé après bien des discussions que DPI allait fournir ses propres définitions. On y rendrait parfaitement claires que les restrictions dans la participation des personnes handicapées à la société, étaient causées par des barrières créées socialement (et non leurs propres déficiences). DPI rejeta ainsi les définitions de l'OMS telles qu'elles existent présentement »4.

« Alors que l'incapacité a été trop longtemps vue comme le problème de l'individu et non comme la relation entre un individu et son environnement, on doit distinguer entre :

  1. Incapacité comme étant une limitation fonctionnelle de l'individu causée par une déficience physique, mentale ou sensorielle, et,

  2. Handicap comme étant la perte ou la limitation des chances de participer à parts égales avec les autres, à la vie normale de la communauté à cause de barrières physiques ou sociales ».

Dans cette même perspective qui a inspiré le principe d’égalité des chances, le secrétaire de la Décennie des personnes handicapées à l’ONU, Mamadou Barry soulignait :

« Que l’individu était handicapé lorsqu’il ou elle n’avait pas les chances généralement disponibles dans la communauté pour vivre sa vie. Le handicap apparaissait alors comme le désavantage social émergeant d’une incapacité. On mettait l’emphase sur les obstacles érigés par la société qui gênaient la participation des personnes ayant des incapacités. On ne voyait plus le handicap comme un désavantage pour un individu résultant d’une déficience ou d’une incapacité, mais comme la limitation venant du fait qu’un individu rencontrait des barrières physiques, sociales et culturelles empêchant l’accès aux différents systèmes de la société ».5

C'est dans ce même mouvement de prise de conscience du rôle des facteurs sociaux dans le processus de production de handicaps que s'est située la réflexion au Québec, tel que le rappelle le Président de l'OPHQ, Paul Mercure :

« Je voudrais signaler aussi cette distinction claire entre les déficiences, les incapacités et les handicaps: je pense que la réflexion nous a amenés à définir le handicap d'une façon plus précise et plus distincte des incapacités que dans le document de base, et nous avons opté pour une définition du « handicap » qui allait carrément du côté des barrières sociales et qui n'était pas directement reliée à l'individu, mais reliée à l'organisation de l'environnement (...)

Autrement dit, s'il était possible, en même temps que l'on travaille à atténuer les déficiences et les incapacités, d'améliorer l'environnement physique et aussi de modifier les mentalités, nous pourrions arriver dans bien des cas, non seulement à atténuer le handicap, mais à le faire disparaître complètement, même si quelqu'un conserve des déficiences et des incapacités »6.

Le président de la Commission médicale de Réhabilitation internationale, le Dr David Symington, va dans le même sens :

« Le handicap, secteur qui nous semble le plus négligé et qui mériterait qu'on s'y attarde plus, nous donne la possibilité d'utiliser comme mesure, le taux d'institutionnalisation dans un pays, le taux d'aide financière dont a besoin sa population, le taux d'intégration des enfants dans le réseau scolaire; nous avons aussi besoin d'apprendre à déterminer et mesurer la qualité de la vie »7.

Plusieurs experts ont précisé leur pensée en situant clairement une difficulté dans la segmentation entre l'incapacité et le handicap. C'est ce qu'explique concrètement le professeur tchèque, Jan Pfeiffer :

« Je voudrais vous faire part de ce qui constitue notre problème de base et qui se situe dans le domaine entre l'incapacité et le handicap. Nous avons des patients avec diverses incapacités et nous évaluons les difficultés de ces patients en relation avec la société, la communauté. Qu'est-ce que le handicap ? Parce que le handicap est la projection d'une incapacité sur le plan social ou communautaire.

Le premier niveau d'intervention se situe au moment où le fonctionnement est limité suite à une maladie ou à un accident et qu'il est impossible de retrouver le même niveau de qualité de vie; voilà où débute le handicap. C'est ce qui fait la différence entre la qualité de vie antérieure et les handicaps sociaux, économiques et autres. Voici comment nous percevons la situation. Les déficiences organiques d'un individu amènent une incapacité et il y a la réadaptation orientée sur l'individu, c'est une réadaptation médicale. Il y a une orientation de la communauté, de la société, c'est un problème de handicap. Il s'agit de réadaptation sociale, professionnelle, scolaire, etc. Voici notre proposition pour en arriver éventuellement à faire évoluer un peu le concept de handicap. C'est le principal problème que la société peut résoudre »8.

Le sociologue Wiersma, spécialiste de l'application de la CIDIH dans le domaine de la santé mentale aux Pays-Bas, souligne également ce problème de segmentation :

« Nous examinons donc cette classification et deux concepts retiennent particulièrement notre attention: déficience du psychisme et incapacité sociale, ou incapacité relationnelle. Nous mettons de côté le concept de handicap pour diverses raisons que je mentionne rapidement puisque la distinction entre l'incapacité sociale, l'incapacité relationnelle et le handicap n'est pas aisée. Ils semblent couvrir le même territoire et il n'est pas facile de faire un choix.

Certaines valeurs interviennent aussi dans cette question d'incapacité ou d'handicap. On dit que les incapacités devraient être évaluées objectivement, contrairement aux handicaps mais ça ne semble pas être le cas si nous examinons la section des incapacités de relation. Ce n'est pas plus clair dans la section des handicaps. Elle mesure les circonstances du désavantage que vit une personne handicapée, ou encore elle se concentre sur les capacités individuelles »8.

Un autre expert des Pays-Bas, le statisticien Vansonspeek, présente aussi sa position sur ce point :

« À mon avis, il s'agit d'un processus qui commence avec les déficiences, se poursuit avec les incapacités et lorsque vous les mettez ensemble dans le cadre d'activités plus complexes, vous vous dirigez vers les handicaps. J'ai eu beaucoup de difficultés à déterminer quels pouvaient être les problèmes qu'il pouvait y avoir à remplir un rôle social, ou le rôle social lui-même; qu'est-ce qui est incapacité? Qu'est-ce qui est handicap? Et je suis désorienté par le fait qu'une partie d'un rôle social peut être considérée comme une incapacité alors que le rôle social dans son ensemble peut se retrouver dans la classification des handicaps »9.

Le professeur Hamonet de France présente sur cette question une position très claire :

« Également, il faut redéfinir les incapacités et enfin, je dirais que par rapport à la classification elle-même, un certain nombre de points nous apparaissent. Premièrement, il n'y a pas une mise en évidence des aspects positifs. Plutôt que de parler d'incapacité, pourquoi ne pas parler de capacité fonctionnelle. Deuxièmement, le classement est souvent discutable. Certaines incapacités se retrouvant classées au niveau des déficiences, et inversement certains handicaps ou désavantages se trouvant classés au niveau des incapacités.

Je prends l'exemple de tout ce qui concerne des situations de vie quotidienne, qui à notre sens devraient être au niveau des handicaps. Cette rubrique « handicap » devrait être la plus riche, or actuellement, il semble qu'elle est la plus pauvre. Elle n'a que quelques pages, et je crois que c'est là-dessus qu'il faudrait porter nos efforts »10.

Dans le cadre de la consultation menée par l'OPHQ, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a procédé à un sondage auprès d'une dizaine de personnes connaissant bien ou utilisant la CIDIH. Le rapport explique que les commentaires sur la nomenclature du handicap :

« ... se recoupent et abondent dans le même sens. Par exemple, plusieurs répondants soulignent le fait que les trois premières catégories (orientation, indépendance physique et mobilité) correspondent beaucoup plus à l'incapacité d'un individu qu'au handicap. De même, plusieurs sont d'avis que l'indépendance économique ne devrait pas être considérée comme une catégorie en soi, on la considère, soit comme une conséquence, soit corn me un moyen. Plusieurs ont suggéré d'ajouter une catégorie qui tiendrait compte de la dimension communication. Certains sont d'avis qu'il faudrait une révision en profondeur de la nomenclature qui est trop axée sur l'individu. Quelques-uns suggèrent de considérer d'autres types de rôles que ceux associés à la survie, comme par exemple les rôles professionnels (travail, éducation), sociaux, parentaux et autres »11.

Il est intéressant de citer les définitions proposées par les participants à cette consultation, car elles indiquent certaines constantes axées sur l'interrelation entre les caractéristiques de la personne et celles de ses rôles sociaux et de son environnement :

« Le handicap correspond au degré de limitation dans l'accomplissement d'un rôle considéré comme normal que subit une personne, dû à une déficience ou à une incapacité.

Le handicap est une manifestation sociale des incapacités ou des déficiences qui atteignent un individu.

Le handicap est une interrelation entre les incapacités de l'individu et les réalités de son milieu et de la société.

Le handicap est une interaction négative entre une personne ayant une déficience et/ou incapacité et des situations de la vie courante qui limitent l'exercice de ses droits.

Le handicap, c'est l'impact social de la déficience ou de l'incapacité. Dû à sa(es) déficience(s) ou incapacité(s), l'individu est limité dans l'accomplissement de rôles jugés comme normaux et valorisés dans la société.

Dans le domaine de la santé, un handicap pour une personne résulte d'une déficience ou d'une incapacité et limite ou interdit l'accomplissement de rôles sociaux attendus par ses pairs.

Le handicap est l'incapacité du milieu environnant, des proches, de la société à s'adapter aux caractéristiques et aux besoins des personnes présentant une déficience et des incapacités.

Le handicap c'est l'interaction (due à une situation différente, en l’occurrence des déficiences et des incapacités) existant entre un individu et son environnement »12

Mais redonnons la parole aux experts internationaux afin d'examiner leurs propositions concrètes de redéfinition du concept et de sa nomenclature.

Commençons par la statisticienne de l'ONU, Mary Chamie qui a coordonné la constitution d'une imposante base de données internationale sur les conséquences des maladies en utilisant la CIDIH :

« Le quatrième, connu sous le nom de handicap, mais que nous préférons intituler les caractéristiques sociales, démographiques et environnementales. Nous nous sentons très à l'aise avec cela et je crois que cela permettra aux médecins, économistes, sociologues et démographes de se rejoindre et de faire un tout de la CIDIH, ce qui reste encore à faire.

Si nous permettons au handicap d'être plus qu'une extension d'un terme médical et que nous le définissons comme étant une diminution des chances ou l'interaction entre l'individu vivant avec une déficience ou une incapacité et son environnement, alors les personnes handicapées pourront être comparées à n'importe quel groupe de population, qu'il s'agisse du niveau d'instruction, du niveau d'activités économiques, du salaire, de la profession »13.

Le professeur Pierre Minaire est reconnu internationalement pour sa conception situationnelle du handicap qu'il a développé dès le début des années 80 et applique concrètement, par exemple, dans son étude sur la population d'une petite localité de France.

« Simple difficulté d'acuité visuelle, problème pour se déplacer, difficulté de préhension etc., variables d'un individu à l'autre et chez le même individu. Il est important que l'intervention sociale tienne compte de ces différences de fonction qui font qu'une population est constituée de personnes plus ou moins aptes, plus ou moins gênées, plus ou moins handicapées, sans rupture ni ségrégation.

Une telle approche ne serait dangereuse que si elle occultait l'histoire de la personne au profit de l'observation de la situation gênante ou handicapante. En revanche, elle a le mérite de permettre un langage et une analyse communs des problèmes d'environnement et d'adaptation: communs au monde médical, aux concepteurs, aux décideurs, aux réalisateurs et surtout aux intéressés eux-mêmes. Face à une marche gênante de 20 cm de haut, le véritable problème est de savoir combien de personnes sont concernées et en face, quelles sont les contraintes techniques et financières de la suppression de la marche. Que les personnes gênées le soient du fait d'une arthrose du genou, d'une sclérose en plaques ou d'une phobie des marches n'est pas, à ce niveau, le problème fondamental du technicien ou de l'administrateur »14.

« Contrairement à l'approche purement médicale qui tendrait à faire considérer le handicap comme une constante, il faut d'abord admettre qu'il s'agit d'une variable. Le handicap est le résultat de la confrontation entre l'incapacité fonctionnelle présentée par un individu et les situations rencontrées dans la vie quotidienne :

  • Situations globales : école, domicile, métier, hygiène, conduite automobile etc.,

  • Ou microsituations simples : franchir une marche, manoeuvrer une poignée, etc.

Cette définition « situationnelle », sociale du handicap, s'inscrit bien dans le schéma proposé à titre expérimental par l'Organisation mondiale de la santé : un état pathologique peut, à l'issue du traitement, laisser une déficience (ou une anomalie ou des séquelles). Cette déficience entraîne un déficit fonctionnel mesurable au moins à l'échelon individuel, c'est-à-dire une incapacité que diverses mesures réadaptatives (médicales, sociales, scolaires, professionnelles) chercheront à réduire ».

Dans la même école de pensée, les travaux des docteurs Claude Hamonet et Anne-Marie Begue-Simon, qui font sans doute les propositions les plus développées concernant le 2e et le 3e niveau :

« Nous entendons par handicap la situation de handicap, c'est à dire la « difficulté » ou l'impossibilité pour le sujet de faire face aux exigences d'une situation donnée du fait de limitation fonctionnelle ».

Cette définition implique de mieux préciser les situations considérées.

Avec Pierre Minaire, nous considérons d'une part, des « macro-situations » : vie quotidienne, travail, vie familiale, loisirs, vie scolaire et d'autre part, des « micro-situations », telles que couper sa viande, se raser, taper à la machine...

Pour connaître le handicap, il faut donc connaître :

  • Les exigences de la situation;

  • les aptitudes fonctionnelles de la personne.

« Le handicap est lié à la situation dans laquelle se trouve la personne, on est donc handicapé pour telle ou telle activité »15.

Ils proposent une nouvelle nomenclature des handicaps :

« Les diverses situations de vie sont à classer en deux groupes :

  1. Celles qui sont indispensables à la survie de l'individu et sont identiques dans leurs modalités pour les individus d'un même groupe culturel, ce sont les actes essentiels de la vie quotidienne.

  2. Celles qui se diversifient selon les types d'activités de l'individu :

    • Vie familiale et affective;

    • vie de loisirs;

    • vie scolaire et de formation;

    • vie professionnelle et d'activités sociales incluant les conséquences économiques. »16

Finalement, deux autres auteurs ont fait des propositions détaillées très pertinentes à notre projet. Il s'agit des docteurs Wiersma et Pfeiffer. D. Wiersma insiste sur le développement d'une nomenclature des rôles sociaux :

« Nous distinguons huit rôles distincts dont il faut tenir compte pour décrire le fonctionnement de l'individu dans la communauté ou la société :

  • Le rôle de soin personnel (cf les codes -1- 10.2, 10.3, 13)

  • Le rôle au foyer (cf code -1- 17.0)

  • Le rôle familial (pas de code de référence)

  • Le rôle de partenaire (cf code -1-17.1 et 17.2)

  • Le rôle parental (cf code -1- 17.3)

  • Le rôle de citoyen (cf code -1-18.5, 19.0 et 19.4)

  • Le rôle social (cf code -1- 19.1 et 19.3)

  • Le rôle professionnel (cf code -1-18.0, 18.4 et 18.8).»17

Ensuite, tout en conservant les grandes catégories de P. Wood, D. Wiersma tente d'y faire correspondre des déficiences et des incapacités d'ordre aussi bien fonctionnel que social.

« Nous voudrions expliquer la nature de la section « handicap » proposée. La liste des six handicaps spécifiques et du handicap non mentionné pourrait demeurer telle qu'elle est. Ce que l'on pourrait expliciter davantage, c'est leur référence à des éléments particuliers des déficiences et des incapacités que l'on devrait circonscrire pour déterminer un handicap.

Nous proposons les références ou critères suivants :

Handicap d'orientation : e.g. déficiences de la conscience et de l'état de veille (20), déficiences de l'acuité auditive (40-45), déficiences de l'acuité visuelle (50-55), incapacités concernant la conscience (10-11), incapacités concernant la communication orale, l'écoute et la vision (20-27).

Handicap d'indépendance physique : e.g. déficiences mécaniques et motrices des membres (71-74), incapacités concernant les soins corporels (30-39).

Handicap de mobilité : e.g. déficiences mécaniques et motrices des membres (71-74), incapacités concernant la locomotion (40-49), incapacité concernant la résistance physique (71).

Handicap d'occupation : e.g. déficiences de l'intelligence (10-14), incapacité concernant les occupations (18).

Handicap d'intégration sociale : e.g. déficience du comportement (29), incapacités concernant les rôles familiaux (17), autres incapacités concernant le comportement (19).

Handicap d'indépendance économique : aucune référence à la section des déficiences ou des in capacités n'est possible. De nouvelles informations sur le revenu, la pension, les bénéfices ou les autres ressources financières sont nécessaires » (... ).

... Les six dimensions du handicap appartenant aux rôles de sur vie, incorporent plusieurs déficiences et incapacités déjà mentionnées dans les sections précédentes. Aucune autre information n'est nécessaire pour déterminer les handicaps de l'individu, sauf pour le handicap d'indépendance économique. Ainsi, on peut conclure que les six dimensions (chacune d'elles posée en termes de capacités individuelles) sont en effet, des indicateurs qui amassent l'information venant de différents secteurs de fonctionne ment du corps et de l'individu. D'un point de vue psychiatrique, la section « handicap » ne nous fournit pas d'information sur les barrières et les difficultés qui pourraient être rencontrées dans la communauté. Toutefois, dans la CIDIH, le désavantage qui limite ou prévient l'accomplissement des rôles sociaux se situe au niveau de l'individu.

Une classification des circonstances pouvant placer les individus ayant des déficiences ou des incapacités en situation de désavantage, n'est pas disponible actuellement et est très difficile à construire ».

Un important défaut de cette proposition, par ailleurs très intéressante, réside dans son manque de clarification de la segmentation conceptuelle entre l'utilisation des capacités du corps et la mise en relation avec des variables socialement déterminées. Cette proposition nous a inspirés par son insistance sur la considération d'une nomenclature des rôles sociaux. Wiersma explique aussi clairement le besoin d'une classification des « circonstances » causant un désavantage.

Finalement, le docteur Pfeiffer lui aussi propose une nouvelle nomenclature, accompagnée d'une précision de l'échelle de sévérité.

« Selon la CIDIH, l'attribution d'un handicap est différente de celle des deux catégories précédentes, les déficiences et les incapacités. La dimension du handicap est appelée « rôle de survie ». En contraste avec la classification des déficiences et des incapacités dans laquelle l'individu ne sera identifié que par les catégories qui s'appliquent à lui; dans la classification des handicaps, il est souhaitable qu'un individu soit identifié sous chacune des dimensions. Ceci montrera un profil ou un statut de désavantage. Il y a différentes dépendances et réductions dans la vie des individus handicapés que la société ou la communauté peut résoudre et qui manquent dans le code du handicap. Il y a des niveaux de réhabilitation sociale, occupationnelle et pédagogique qui peuvent aider substantiellement et diminuer le handicap. »18

En synthèse, ce tour d'horizon des positions des experts illustre clairement la nécessité d'une clarification de la segmentation conceptuelle entre les incapacités et les handicaps.

On note aussi l'importance d'une définition rigoureuse des nomenclatures correspondant à chaque niveau conceptuel, ainsi qu'un besoin de développer de façon beaucoup plus détaillée le niveau du handicap.

Cette préoccupation que nous appuyons s'explique facilement du fait du potentiel d'application de la classification du 3e niveau sur le plan des interventions individuelles et collectives qui favorisent l'intégration sociale ou l'égalité des chances des personnes ayant des déficiences et des incapacités. Comme le souligne à plusieurs reprises Derek Duckworth dans son excellent ouvrage « The Classification and Measurement of Disablement »19, le principe fondamental d'une classification est qu'elle soit adaptée aux objectifs des utilisateurs.

Dans cette perspective, on peut facilement comprendre que l'urgence de la révision du 3e niveau réside dans la préoccupation internationale de compléter les interventions médicales (maladies et déficiences) et d'adaptation réadaptation (incapacités) qui motivaient principalement les utilisateurs du domaine de la santé, par un instrument utile à la compréhension d'un phénomène de société: les politiques d'intégration sociale des personnes ayant des incapacités et l'élimination maximale des facteurs faisant obstacle à cette intégration sociale. Ceci explique l'importance de proposer un instrument à usage multisectoriel, non plus centré sur le contexte de la santé, mais bien sûr la description d'une interaction entre des personnes présentant des différences d'apparence, de fonctionnement ou de comportement, conséquentes de maladies et traumatismes par rapport à une vie sociale, habituellement partagée par leurs semblables n'ayant pas ces caractéristiques.

En cela, l'insistance du mouvement de défense des droits des personnes handicapées pour identifier une lacune majeure du 3e niveau du handicap, est indicatrice de l'orientation que doit prendre notre proposition et constituer son enjeu: Comment distinguer ce qui appartient directement à la personne, c'est-à-dire ce qui relève des conséquences organiques et fonctionnelles de sa maladie ou de son traumatisme, de ce qui relève des conséquences sociales, c’est-à-dire des contraintes que ces caractéristiques individuelles vont entraîner sur les activités et rôles sociaux valorisés par la société d'appartenance et conditionnés par l'environnement, le contexte écologique et social?

2.2. À la recherche d’une catégorisation de l’écosocial

L'analyse documentaire réalisée par notre groupe de travail, fait ressortir que plusieurs experts font clairement référence à l'importance d'une mise en relation de la classification des conséquences des maladies avec les facteurs environnementaux, comprenant autant les dimensions socioculturelles que celles de l'environnement physique. Toutefois, les spécialistes appartenant principalement au domaine de la santé ne nous apportent pas de solutions précises sur ces points. Les experts en statistiques vont un peu plus loin dans leurs propositions du fait d'un essai de comparaison des « statuts socio-économiques » des personnes handicapées par rapport à d'autres groupes de population. Mais nous n'avons pas trouvé dans les positions énoncées par les experts, les éléments nécessaires à la proposition d'une classification des variables du contexte social et écologique qui permettront, non seulement de décrire les obstacles, de mesurer le degré de sévérité des conséquences sociales, mais aussi d'orienter la planification de politiques multisectorielles visant la diminution de leur importance.

Plusieurs experts ont contribué à préciser les catégories d'activités quotidiennes, d'activités sociales ou encore de rôles sociaux dans lesquels une personne peut se trouver en situation de désavantage ou de dépendance suite à ses déficiences et incapacités. Ceci nous oriente pour faire de ces dimensions les éléments fondamentaux d'une classification des perturbations vécues par la personne en fonction des attentes normatives de son groupe d'appartenance socioculturel.

De plus, ce qui est très important pour le travail de révision de la CIDIH actuelle, c'est que l'on constate un chevauchement entre certaines incapacités et handicaps. Ceci nous suggère de procéder avec rigueur et de faire passer du 2e niveau des incapacités au 3e niveau des handicaps, tout ce qui est variable socialement dans la réalisation des activités quotidiennes, comme l'utilisation du téléphone ou l'habillage par exemple.

Par contre, aucun expert ne nous a fourni une manière de classer les obstacles environnementaux produisant le handicap dans la réalisation d'activités quotidiennes et rôles sociaux pour les personnes ayant des déficiences et incapacités. Nous avons alors formulé l'hypothèse qu'il devait exister, en dehors du domaine de la santé dans la littérature sociale, des modèles d'organisation conceptuelle qui nous permettent de proposer une quatrième dimension, indispensable aux besoins des utilisateurs du 3e niveau : celle du contexte, une nomenclature des éléments de l’écosocial. En effet, cette dimension n'étant pas spécifique aux conséquences des maladies et traumatismes, elle peut théoriquement s'appliquer pour la contextualisation de tout autre phénomène humain.

Sans prétendre qu'elle soit complète, notre recherche bibliographique et la lecture des principaux théoriciens du social nous ont amenés à constater qu'il n'existe pas à notre connaissance, de grille exhaustive permettant de décrire l'environnement social et écologique. Chaque auteur important des sciences de l'homme (principalement en sociologie et anthropologie) a abordé un ou plusieurs aspects de ce cadre général en fournissant, tantôt une méthode, une technique ou une idée pour l'expliquer ou le décrire. Mais nous n'avons pas trouvé ce dont nous avions besoin, c'est-à-dire une segmentation stricte de l'ensemble du contexte social et écologique d'une société humaine. L'auteur qui s'en approche le plus est Marcel Mauss, un anthropologue français qui fournit dans son « Manuel d'ethnographie »20, une méthode et une nomenclature des diverses facettes d'une organisation sociale. Sa grille nous a inspirés comme modèle, mais ne pouvait nous servir directement.

Nous nous sommes largement référés dans notre démarche aux réflexions et travaux qui ont entouré et suivi l'élaboration de la politique québécoise « À part...égale ». En effet, l'étude des diverses thématiques de cette politique d'ensemble avait amené une tentative de description exhaustive, systématique et précise des multiples dimensions des obstacles rencontrés par les personnes fonctionnellement limitées dans leur intégration sociale. Certains travaux de précision des éléments du plan de services individuel de la personne handicapée, relatifs à la définition des besoins, des secteurs d'intervention et des moyens utilisés pour répondre aux déficiences, incapacités et handicaps, nous ont aussi été utiles.

2.3. Caractéristiques d’une classification

Notre travail d'analyse documentaire nous a également amenés à constater que certaines critiques des utilisateurs de la CIDIH étaient dues, soit à certains défauts de rigueur dans la construction de la CIDIH comme classification scientifique internationale, soit à des attentes non fondées des utilisateurs envers la CIDIH. Ces questions ont fait l'objet de nombreuses clarifications du Dr P. Wood lui-même (tableau des différentes utilisations, Wood)21 et il est également passionnant de lire l'ouvrage de Derek Duckworth pour quiconque veut approfondir cette question.22

Retenons aux fins de notre travail quelques idées directrices. De façon générale, toute taxonomie doit être utile et répondre à la nécessité des différents experts et utilisateurs, de comprendre une réalité définie et de se comprendre par l'utilisation des mêmes termes pour désigner cette réalité qui les préoccupent.

Les utilisateurs doivent pouvoir utiliser la classification comme un cadre d'analyse général, mais ils ne doivent pas s'attendre à y trouver les éléments de détail et des particularités propres à chacun de leurs champs spécifiques d'expertise. Une classification générale ne remplace pas les instruments propres à une discipline spécifique par exemple. Une classification scientifique internationale n'a pas à décrire toutes les particularités d'un domaine dans le moindre détail, mais doit fournir les catégories générales permettant de tout classer de façon exhaustive.

Une classification doit procéder par étapes, allant du plus général au plus spécifique. C'est l'objectif poursuivi par l'utilisateur qui déterminera la pertinence de classer ses informations selon des catégories détaillées ou des regroupements globaux.

Dans chaque niveau de catégories, on doit atteindre l'exhaustivité et l'exclusion mutuelle.

Dans le cas des classifications des déficiences, incapacités et handicaps, telles que présentées dans le manuel de l’OMS, on a affaire à trois niveaux de conséquences théoriquement indépendants, exclusifs et exhaustifs dans leurs catégories générales et ce, à chaque niveau.

Il faut aussi préciser comme l'a fait Dr Wood, que les conceptions qui sous-tendent la proposition de ce type de classification ne sont pas quelque chose de donné, prêt à l'usage, sans réflexion approfondie sur notre conception même du processus de production du handicap. Ainsi, la proposition qui est faite ici ne vient pas contredire celle du Dr Wood, mais s'inscrit dans une perspective d'amélioration d'un cadre conceptuel explicatif, issue de certaines conceptions « historiques » en évolution, des conséquences des maladies et traumatismes. Il demeurera donc des débats d'écoles, mais ils peuvent être minimisés par une clarification conceptuelle et une rigueur de construction des catégories à chaque niveau.

Il faut aussi dire qu'une classification n'est pas un outil de recherche, bien que les classifications puissent être utilisées comme moyens de classer les données de cueillette d'information sur chacun des niveaux de réalité et donc servir dans la méthodologie d'une recherche.

Ce n'est pas non plus un système d'évaluation ni un outil d'évaluation. Les classifications peuvent servir à réaliser des portraits de situation compatibles par l'harmonisation des terminologies et par la comparabilité des situations décrites. Elles peuvent servir à la construction d'outils d'enquête, elles peuvent permettre l'évaluation mais elles ne sont pas des instruments ni des techniques d'évaluation.

De plus, on ne trouve pas dans une classification, d'information sur les moyens à utiliser pour obtenir des données ni sur le choix, la pertinence ou l'utilisation des résultats classés.

Les classifications des conséquences des maladies doivent être utilisables quelles que soient les différences sociales et écologiques, du fait de leur envergure internationale. Le degré de précision des nomenclatures des handicaps et des obstacles doit donc s'ajuster à ce phénomène de relativisme socioculturel. Chaque pays ou utilisateur de ces classifications dans un contexte écosocial déterminé, devra développer ses propres instruments pour cueillir les informations spécifiques en fonction de ses particularités environnementales et habitudes socioculturelles. Ceci relève de l'instrumentation de cueillette des informations, alors que la classification internationale constitue une manière harmonisée de classer les résultats des systèmes d'information, propres à chaque pays ou organisation, selon ses objectifs et champs d'application.

3. Le processus interactif de production des handicaps

Afin de réaliser notre objectif de révision du 3e niveau, notre groupe de travail propose le modèle suivant :

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Les handicaps correspondent à des situations de vie précises. Ils se définissent comme le résultat d'un processus interactif entre deux séries de caractéristiques :

  • Les caractéristiques des déficiences et des incapacités de la personne découlant de maladies ou de traumatismes.

  • Les caractéristiques de l'environnement créant des obstacles sociaux ou écologiques dans une situation donnée.

Certains experts ont souligné leurs réticences à utiliser une terminologie négative comme « incapacité » par exemple. Afin de clarifier cette question, notre proposition fait les distinctions suivantes. Nous devrions disposer :

D'une classification des organes pour pouvoir identifier ceux qui sont significatifs dans notre problématique, c'est-à-dire ceux qui présentent des déficiences.

  1. D'une classification des fonctions du corps, des capacités et comportements afin de pouvoir déterminer celles et ceux qui sont limités ou perturbés, créant ainsi des degrés d'incapacité.

  2. D'une classification des facteurs environnementaux afin de pouvoir identifier ceux qui font obstacle à la réalisation d'habitudes de vie d'une personne.

  3. D'une classification des habitudes de vie, c'est-à-dire des activités de vie quotidienne et rôles sociaux, habituellement rencontrés dans le fonctionnement des êtres humains en société quel que soit l'âge, le sexe, la culture. Elle permet d'identifier ces activités et rôles sociaux qui deviennent des handicaps pour la personne et qui sont significatifs pour la société à laquelle celle-ci appartient.

  4. Ces précisions fondamentales étant posées, nous pouvons maintenant préciser notre segmentation conceptuelle et décrire les caractéristiques des nomenclatures. Nous sommes parfaitement conscients qu'il est impossible d'arriver spontanément à des classifications parfaites, mais le respect des lignes directrices que nous venons de préciser et leur rappel constant nous amènent, nous en sommes convaincus, sur la voie d'une révision, extrêmement utile, des classifications des conséquences des maladies et traumatismes.

4. La révision du concept de handicap et de sa nomenclature

4.1. Caractéristiques

La recension des écrits a amené notre groupe de travail à clarifier les caractéristiques du concept de handicap. Celui-ci doit être défini comme :

  • Un résultat;

  • une interaction de deux dimensions causales: individuelle et environnementale;

  • une conséquence spécifique de la déficience et de l'incapacité;

  • une limitation, perturbation ou différence dans l'accomplissement d'activités sociales;

  • une situation spécifique.

Sa nomenclature doit correspondre à :

  • Un ensemble exhaustif des activités quotidiennes et des rôles sociaux;

  • un ensemble d'habitudes de vie propre à chaque personne en situation dans sa société spécifique.

4.2. Explication

  1. Le handicap est le résultat d'un processus interactif entre des caractéristiques individuelles, conséquentes de la maladie ou du traumatisme: la déficience ou l'incapacité mises en relation avec des facteurs sociaux et écologiques.

  2. Le handicap est créé par une situation de vie exigeant une utilisation physique ou mentale du corps dans un contexte déterminé.

  3. Le handicap est spécifique aux conséquences des déficiences et incapacités pour l'accomplissement d'activités normales, ou plutôt, d'habitudes de vie socialement déterminées. Ceci exclut les conséquences liées à d'autres facteurs biologiques non considérés comme des déficiences, tels l'âge, le sexe, la race, les morphologies spécifiques aux groupes humains ou à l'individu lui-même (caractéristiques biologiques non pathologiques).

  4. Le handicap est généralement caractérisé par une limitation dans la capacité d'accomplir une habitude de vie. Toutefois, il ne peut être entièrement défini par la notion de désavantage. En effet, la manière de réaliser l'habitude de vie peut s'avérer avantageuse ou être considérée comme une alternative équivalente selon le contexte social et écologique. Il est donc préférable de le décrire objectivement comme une perturbation dans l'accomplissement d'habitudes de vie.

  5. Une nomenclature correspondant au niveau du handicap doit comprendre l'ensemble des activités quotidiennes et domestiques, besoins de base, fonctions sociales ou rôles sociaux qu'un être « social » veut réaliser ou qu'une société humaine peut attendre de ses membres quels que soient leur âge et leur sexe. Elle doit être universelle.

  6. Le handicap ne peut, de par sa caractéristique interactive, se définir simplement comme le résultat linéaire d'un profil de caractéristiques, issues des nomenclatures des déficiences et incapacités. Il nécessite la définition d'une autre dimension: soit celle d'une classification des facteurs environnementaux; celle-ci doit permettre d'identifier les obstacles interagissant avec la déficience ou l'incapacité pour provoquer une perturbation dans la réalisation de l'habitude de vie et constituant ainsi le handicap.

  7. Le handicap et sa nomenclature, incluant toutes les variables situationnelles, impliquent une révision du concept d'incapacité et de sa nomenclature tels que le Dr Wood les a proposés. Il faut en éliminer toute référence à des variables sociales et environnementales qui subjectivisent et contextualisent les normes standards d'utilisation du corps.

5. Le concept du handicap

5.1. Définition

Le handicap est une perturbation pour une personne dans la réalisation d’habitudes de vie compte tenu de l’âge, du sexe, de l’identité socio-culturelle, résultant d’une part, de déficiences ou d’incapacités et d’autre part, d’obstacles découlant de facteurs environnementaux.

5.2. Explications

Cette définition fait appel à deux nouvelles notions : celle d’habitudes de vie et celle de facteurs environnementaux.

1 - Les habitudes de vie

Les habitudes de vie sont celles qui assurent la survie et l'épanouissement d'une personne dans sa société tout au long de son existence. Ce sont les activités quotidiennes et domestiques ainsi que les rôles sociaux valorisés par le contexte socio-culturel pour une personne selon son âge, son sexe et son identité sociale et personnelle.

La notion d'habitudes de vie a été choisie pour son sens très large. Elle évite le recours à la notion de normalité et est compatible au respect du relativisme socioculturel. Les habitudes de vie diffèrent selon les appartenances de la personne, son identité et les diverses sociétés.

2 - Facteurs environnementaux

Ce sont l'ensemble des dimensions sociales, culturelles, écologiques qui déterminent l'organisation et le contexte d'une société.

Les facteurs environnementaux qui entrent en interrelation avec les déficiences et incapacités pour perturber l'accomplissement des habitudes de vie de la personne, sont des obstacles. La perspective la plus courante dans nos sociétés consiste à identifier ces obstacles à des désavantages. Il faut toutefois éviter une interprétation restrictive de la notion d'obstacle et préciser qu'il peut aussi dans certaines situations, constituer une sorte de facilitateur ou d'avantage. Toutefois, nous sommes conscients que la notion d'obstacles est bien comprise et constitue l'essentiel des préoccupations d'élimination des facteurs limitant la réalisation d'habitudes de vie. De toute façon, les obstacles ou facilitateurs doivent pouvoir se classer dans une nomenclature unique de facteurs et pénètre de situer n'importe quelle variable socioculturelle ou écologique entraînant une différence dans l'accomplissement d'une habitude de vie d'une personne ayant des déficiences ou incapacités.

Nous présentons donc maintenant les deux nouvelles nomenclatures constituant notre proposition de révision du 3e niveau.

6. Proposition d’une nomenclature des habitudes de vie

6.1. Nomenclature

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7. Proposition d'une nomenclature des facteurs environnementaux

8. Impact sur le 2e niveau des incapacités

8.1. Exemples d'incapacités relevant du niveau du handicap

Le fait d'avoir inclus les activités de vie domestique et de vie quotidienne, socialement déterminées dans le niveau du handicap, demande une importante révision de la classification actuelle. En voici plusieurs exemples selon les codes du manuel de l'OMS.

(18.2) Incapacité concernant les routines de travail. Ceci nécessite une définition situationnelle de ce que sont les routines habituelles de travail dans un contexte social déterminé.

(18.4) Autre incapacité concernant l'exécution d'un travail. Ceci nécessite une définition de tâches caractérisant un travail et n'a pas de spécificité sans référence à un agencement d'autres incapacités préalables.

(32.0) Difficulté de l'excrétion associée à une difficulté de déplacement dans la maison. Ceci nécessite une mise en relation entre une incapacité ou un profil d'incapacités et les caractéristiques de l'environnement de la maison. C'est typiquement un exemple de handicap. Il en est de même avec (32.1). Difficulté de déplacement hors du logement, et (32.2). Autres difficultés à utiliser les équipements sanitaires ou encore (33.1). Difficulté à prendre une douche.

L'ensemble des incapacités à mettre ses vêtements (35) et autres incapacités concernant l'habillage (36) relèvent du handicap. De même avec les incapacités concernant les transports (47), les moyens de subsistance, les tâches domestiques, etc.

8.2. Caractéristiques du nouveau concept

  • L'incapacité est caractérisée par une perturbation, par excès ou par défaut, dans l'accomplissement des activités physiques et mentales standards du corps humain et des comportements de l'être humain.

  • L'incapacité est l'objectivisation d'une déficience ou d'un profil de déficiences et reflète les perturbations ou limitations fonctionnelles physiques et mentales de la personne elle-même.

  • L'incapacité doit être reproductible selon des normes d'utilisation du corps sain préalablement définies.

  • L'incapacité doit être caractérisée par sa neutralité, son objectivité définie par un contexte d'évaluation contrôlée et son universalité.

  • L'incapacité se distingue du handicap par son caractère in vitro par opposition à une mise en relation in vivo faisant varier les contextes sociaux et environnementaux.

  • La nomenclature correspondant au 2e niveau de l'incapacité comprend toutes les fonctions du corps, physiques et mentales à l'exclusion des activités socialement définies, comme les activités quotidiennes et domestiques par exemple, ou faisant référence à des habitudes de vie ou encore à l'utilisation d'objets du quotidien. Tous ces éléments se reclassant aux niveaux des handicaps et des obstacles.

8.3. Proposition d'une nouvelle définition de l'incapacité

L'INCAPACITÉ CORRESPOND À TOUTE RÉDUCTION, RÉSULTANT DE LA DÉFICIENCE, DES ACTIVITÉS PHYSIQUES ET MENTALES CONSIDÉRÉES COMME NORMALES POUR UN ÊTRE HUMAIN (SELON SES CARACTÉRISTIQUES BIOLOGIQUES).

Le concept d'incapacité fait donc référence à l'utilisation que fait un individu de son corps, c'est-à-dire comment il bouge, il voit, il entend, il parle, il sent, il raisonne, il se comporte, il mange etc.

Cette liste ne se veut pas exhaustive, mais vise à démontrer la nécessité d'une révision du niveau des incapacités comme conséquence directe de notre proposition. En effet, ceci explique clairement les très nombreux commentaires des utilisateurs en ce sens. Par contre, cela constitue également une bonne hypothèse d'explication du peu d'intérêt à avoir développé le niveau des handicaps, surtout chez les utilisateurs cliniques qui ont trouvé dans le 2e niveau suffisamment d'éléments pour décrire les « incapacités sociales » de leurs clients.

9. Proposition d’une nomenclature des fonctions du corps

10. Conclusion

Notre mandat consiste à faire la proposition d'une révision du 3e niveau de la classification des conséquences, des maladies et traumatismes. C'est le point fondamental de cette consultation. Aussi, nous souhaitons recevoir le maximum de commentaires sur le nouveau modèle conceptuel proposé et spécifiquement sur la classification des habitudes de vie et la classification des facteurs environnementaux. Les nomenclatures sont générales et nécessiteront un travail de précision des sous-catégories. Nous continuons à y travailler, mais nous ne pourrons compléter cette tâche qu'une fois reçus les avis sur les catégories larges qui sont proposées, et un travail de validation de leur pertinence réalisée. C'est le point essentiel.

Mais il est important également de considérer l'impact de la nouvelle segmentation conceptuelle. Cet impact touche autant le niveau des incapacités que le niveau des déficiences. C'est un domaine mieux cerné par de nombreux experts et applicateurs de la CIDIH. Notre recherche documentaire l'a largement confirmé. C'est pourquoi, notre groupe s’est également arrêté à examiner le 2e niveau et a travaillé à une suggestion d'une nouvelle nomenclature centrée sur les fonctions du corps. Bien qu’enrichie de cliniciens de la réadaptation, notre équipe ne prétend pas posséder l'expertise complète pour finaliser et valider une telle proposition. C'est ce que nous suggérons au meilleur de notre connaissance et en sollicitant l'implication des experts dans chaque domaine.

Un avantage immédiat de compléter notre proposition centrale par la suggestion d'une nomenclature pour le 2e niveau des incapacités, est de rendre notre proposition opérationnelle pour l'expérimentation concrète. En effet, il n'est pas possible d'utiliser le 2e niveau actuel, une fois que l'on dispose des deux nomenclatures permettant de situer la situation contextuelle spécifique des conséquences des déficiences et incapacités. Avec notre suggestion, nous pourrons recevoir des résultats d'application concrète et les commentaires critiques de l'utilisateur.

L'étape complémentaire, nous en sommes bien conscients, est de procéder à la révision du niveau des déficiences reliées aux organes. Plusieurs y ont travaillé et travaillent actuellement dans ce champ. Nous lançons donc un appel aux centres de collaboration des Pays-Bas et de la France pour qu'un travail de concertation permette de compléter ce niveau, afin de disposer d'une classification complète permettant une comparaison valable avec l'actuelle CIDIH. Nous souhaitons recevoir des informations sur les possibilités de réaliser ce travail de façon rapide, mais avec toute la rigueur qu'implique aussi cette démarche.

Le lien CIM/CID est également à clarifier et nécessiterait une clarification pour déposer une proposition complète à l’OMS.

C'est avec beaucoup d'enthousiasme que notre équipe a réalisé cette première phase de son mandat et il ne pourra se poursuivre que grâce à la précision et la clarté de vos commentaires, accompagnés de l'argumentation qui les motive.