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Introduction

Les déficits budgétaires du gouvernement fédéral du Canada enregistrés durant la pandémie sont importants. Le plus important déficit annuel du gouvernement aurait pu permettre de financer une deuxième participation à la Seconde Guerre mondiale, deux programmes Apollo, cinq ans de production mondiale d’or ou, selon les dépenses engagées pour la construction du pont de la Confédération, un lien de Terre-Neuve à l’Irlande (Hopper, 2021). Les conséquences de la pandémie continueront d’exercer une pression sur les soldes budgétaires et les dettes des pays, voire d’entraîner une détérioration de la situation budgétaire des gouvernements (Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2020, p. 2). Comme l’a formulé – en anglais – l’ancien greffier du Conseil privé Michael Wernick, un problème à venir dans la fonction publique fédérale du Canada est que :

[Traduction]

La plupart des personnes occupant des postes de direction en 2022 n’auront aucune expérience de l’établissement ou de la mise en oeuvre de réductions –elles ont vécu un long cycle de croissance. Nous, les vétérans, sommes tous partis depuis longtemps. J’ai en mémoire six ou sept séries d’examens qui remontent au comité d’EricNeilsen que Mulroney a utilisées pour l’Examen des programmes, l’Examen stratégique et le Plan d’action pour la réduction du déficit (PARD). Les cadres intermédiaires vont avoir un choc.

Wernick, 2021, correspondence traduite par les auteurs

Les dépenses de personnel constituent la plus grande partie du budget public (Kim, 2019, p. 1125). Les pratiques de ressources humaines sont courantes en période de contraintes budgétaires (Pandey, 2010). Cependant, les gouvernements qui mettent en oeuvre des coupes budgétaires sont confrontés à un dilemme : les fonctionnaires sont à la fois agents et objets de réforme (Meyer-Sahling et al., 2016, p. 121). Esteve et ses collègues (2017) trouvent dans cette stratégie de restrictions une manière de saper le contrat social dans les organisations publiques, qui repose en partie sur la prévisibilité des prestations et des salaires. Les praticiens font écho à cette préoccupation, craignant des effets négatifs sur le moral du personnel (OCDE, 2012, p. 36).

D’ailleurs, ces effets présumés de la mise en oeuvre des coupes sur le bien-être des employés ont été avancés de manière répétée dans la littérature, bien que les preuves empiriques restent encore assez limitées (van der Voet et Van de Walle, 2015, p. 10). En effet, il y a consensus sur le fait que les restrictions devraient avoir des conséquences sur le moral des employés, la satisfaction au travail, la motivation au travail ainsi que le stress lié au travail et à l’intention de partir (Kiefer et al., 2015 ; Raudla et al., 2015 ; van der Voet et Van de Walle, 2015). Jick et Murray (1982) soutiennent qu’un « syndrome de crise » peut affecter les membres d’une organisation à la suite d’une période d’austérité, qui se traduit par une baisse de satisfaction au travail, une loyauté moindre envers l’organisation, des symptômes liés au stress et une diminution des efforts au travail.

Le défi qui oriente notre démarche est de comprendre la relation entre les restrictions budgétaires et de personnel et la satisfaction au travail des employés du gouvernement fédéral du Canada dans un contexte de coupes et de réductions sous l’ère du premier ministre Harper. L’ère Trudeau, toujours en cours, n’est pas propice à l’étude des coupes budgétaires et des réductions de personnel. Le contexte des coupes, entre autres celles de 2012, n’est que peu documenté de manière officielle. Un seul tableau du Rapport sur les plans et priorités de 2012-2013, non commenté, montre que le nombre d’employés équivalents temps plein au Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) du Canada devrait baisser de 7 % en deux ans. Les communiqués de presse du SCT de l’époque ne sont plus disponibles en ligne. Ceux du ministère des Finances n’en discutent pas en détail au printemps 2012. Les médias font cette année-là état de coupes opérées rapidement après l’adoption du budget fédéral, touchant certains ministères, mais pas d’autres. Le président de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) déclare que [traduction] « jamais dans l’histoire de l’AFPC n’avons-nous vu autant d’avis [de licenciement] délivrés aussi rapidement après la publication d’un budget fédéral » (cité dans Fitzpatrick, 2012). Les raisons derrière chaque poste aboli ou coupe budgétaire pour l’un ou l’autre ministère dépassent le cadre de la présente recherche ; paramétrer l’entièreté des déterminants de la satisfaction au travail aussi. D’où notre question principale : Est-ce que les coupes budgétaires et réductions de personnel des ministères touchés ont eu les répercussions pressenties dans la littérature sur la satisfaction au travail des fonctionnaires fédéraux au Canada ? Notre étude contribue à déterminer si les effets présumés des coupes ont été observés dans les ministères et organismes fédéraux visés par celles-ci, par rapport à ceux qui ont été épargnés.

1. Coupes et satisfaction : état des lieux

1.1 La satisfaction au travail

Dans le secteur public, les travailleurs satisfaits sont plus engagés envers leur organisation et sont plus productifs (Van Ryzin, 2014, p. 59). Ainsi, le degré de satisfaction au travail d’un individu a été lié aux antécédents de participation à la prise de décision, au soutien des collègues et des superviseurs, à la variété des tâches, au faible niveau de stress, au traitement équitable, au salaire, aux possibilités de promotion et à la sécurité de l’emploi (Travaglione et Marshall, 2000). À ce propos, Ellickson et Logsdon (2002, p. 344) définit la satisfaction au travail comme [traduction] « la mesure dans laquelle les employés aiment leur travail. Il s’agit d’une attitude basée sur la perception (négative ou positive) qu’ont les employés de leur emploi ou de leur environnement de travail ». Cette définition reflète clairement une mesure des perceptions relativement à l’appréciation que les employés ont de leur travail (McGrandle, 2019, p. 371).

Toutefois, la satisfaction au travail dans le secteur public peut aussi dépendre d’événements ou de crises plus vastes, d’envergure nationale ou internationale (Van Ryzin, 2014, p. 59), comme la crise financière de 2008. Ainsi, les mesures prises, à savoir des restrictions, pendant une telle période peuvent affecter le moral des employés du gouvernement. En effet, il y a consensus sur le fait que les coupes devraient avoir des conséquences sur le moral des employés, la satisfaction au travail, la motivation au travail ainsi que le stress lié au travail et à l’intention de partir (Kiefer et al., 2015 ; van der Voet et Van de Walle, 2015).

1.2 Coupes budgétaires et satisfaction au travail

La crise financière et économique de 2008 a donc influencé d’une manière plus radicale, mais sans doute moins stratégique, une réduction des dépenses des organismes publics observées au cours des décennies précédentes (van der Voet et Van de Walle, 2015, p. 6). Ainsi, la littérature sur la gestion des restrictions en administration publique distingue deux stratégies différentes de gestion des coupes budgétaires : les coupes proportionnelles et les coupes ciblées. Les coupes proportionnelles désignent des coupes d’un montant ou d’un équivalent pour l’ensemble des institutions, alors que les coupes ciblées supposent que certaines institutions et certains secteurs subissent des coupes plus importantes que d’autres (Raudla et al., 2015, p. 454). Les deux stratégies peuvent être appliquées sur le plan organisationnel (au sein des ministères ou des organismes, au niveau individuel) [Raudla et al., 2015, p. 455]. Schmidt et ses collègues (2017) notent que ces deux stratégies pourraient entraîner des changements dans les ministères et organismes (p. 1544). D’ailleurs, dans son travail précurseur sur la gestion dans le secteur public en période de récession, Levine (1979) a noté que les coupes budgétaires ont créé des défis organisationnels importants pour la fourniture de services et l’engagement des employés. Dans la même lancée, des recherches antérieures sur les changements organisationnels dans le secteur public ont montré qu’ils avaient des effets négatifs sur les employés, dans des études tant transversales (Mossholder et al., 2000) que longitudinales (Kiefer, 2005). Plus particulièrement, des effets négatifs sur les employés en matière de sécurité de l’emploi, de satisfaction professionnelle, de moral, de menace à la motivation et de frustration face à l’incapacité de fournir un service adéquat (Levine, 1979) avaient été constatés à la suite des coupes budgétaires dans le secteur public.

D’autres études en sont arrivées à ces constats, du fait des différentes stratégies de coupes budgétaires dans les périodes d’austérité qui se soldent par des tentatives de « faire plus » avec moins de ressources (Esteve et al., 2017) et engendrent des changements organisationnels, surtout des répercussions sur des employés à travers la baisse du niveau de satisfaction au travail. Esteve et al. (2017) affirment que la masse salariale du secteur public étant un objectif majeur lors des consolidations budgétaires, sa réduction dans la fonction publique a un effet négatif sur la satisfaction au travail (p. 550). Shim et ses collègues (2019, p. 224) ont trouvé, pour leur part, des associations statistiquement significatives entre la diminution des ressources organisationnelles (financières et humaines) et le comportement de citoyenneté organisationnelle, même si les résultats étaient mitigés. D’ailleurs, Levine (1979, p. 181) fait observer que les coupes proportionnelles ont tendance à pénaliser les organisations, les unités et les individus les plus efficaces.

1.3 Réduction du personnel et satisfaction au travail

Dans la littérature, plusieurs mesures sont évoquées pour réduire les frais de personnel, dont les gels d’embauche et la réduction des effectifs. Par réduction du personnel, nous entendons [traduction] « la réduction de la taille et des coûts d’une organisation […] en vue d’améliorer son efficacité, sa productivité » (Luthans et Sommer, cités dans Travaglione et Cross, 2006, p. 1). Pour Meyer-Sahling et al. (2016, p. 123), [traduction] « les gels d’embauche ont un effet indirect en ce sens qu’ils influent sur la charge de travail des employés. Si les postes vacants ne sont pas pourvus, les employés restants devront suppléer aux manques et donc faire un peu plus de travail ». De plus, au cours d’un gel de l’embauche, les organisations peuvent ne pas être en mesure d’embaucher les personnes possédant les compétences nécessaires, car l’attrition se manifeste différemment dans diverses spécialités et les démissions sont plus susceptibles de survenir chez les employés ayant les meilleures possibilités d’emploi ailleurs (Raudla et al., 2015, p. 462). Au vu des raisons ci-dessus, Demmke (2016) affirme que les gels d’embauche ont des effets négatifs sur la satisfaction au travail chez les employés.

Dans la gestion des mesures d’austérité comprenant les « réductions de personnel », les licenciements du personnel sont considérés comme une solution intéressante lorsque les responsables doivent réduire les coûts rapidement (Raudla et al., 2015, p. 462). Greenhalgh et McKersie (1980, p. 582) indiquent toutefois que la réduction d’effectifs a des effets secondaires qui coûtent cher : augmentation de l’insécurité de l’emploi, travail d’équipe perturbé, moral défaillant au travail et productivité plus faible, autant de conséquences susceptibles de produire un système plus onéreux à exploiter. D’autres auteurs soutiennent que les licenciements entraînent la perte des jeunes talents, étant donné que ceux-ci touchent d’abord les travailleurs les moins bien payés, les plus récemment arrivés et les plus jeunes (qui coûtent le moins cher à licencier) [Hood et Wright, 1981 ; Raudla et al., 2015, p. 462]. Pour Meyer-Sahling et ses collègues (2016), la réduction du personnel présente un potentiel de menace considérable et risque de saper le moral des employés, car ils pourraient craindre de perdre leur emploi à l’avenir. De plus, elle peut être associée à une charge de travail plus élevée, comparable à celle observée lors des gels d’embauche, parce que la même quantité de travail devra être effectuée par moins de personnes (p. 123). En somme, plusieurs auteurs (Demmke, 2016 ; Esteve et al., 2017 ; Meyer-Sahling et al., 2016 ; Raudla et al., 2015) ont rapporté que la gestion des mesures d’austérité par des réductions dans le secteur public aurait des effets négatifs sur la satisfaction au travail chez les employés.

En bref, les réductions de personnel (gels d’embauches et réduction des effectifs) et les coupes budgétaires (suppression des programmes et fusion des services) dans le secteur public ont des effets négatifs sur la satisfaction au travail, partant de la baisse de motivation chez les employés. Ainsi, nous allons nous concentrer sur le bien-être, les attitudes et les comportements des fonctionnaires dans le contexte des restrictions.

2. Cadre théorique

Dans la présente étude, nous retenons deux théories, soit la théorie de la gestion de restrictions et la théorie de l’échange social. Ces deux théories ont été mobilisées dans plusieurs travaux pour analyser les effets des coupes sur la satisfaction au travail des employés (par exemple, Dougherty et Klase, 2009 ; Esteve et al., 2017 ; Shim et al., 2020 ; van der Voet et Van de Walle, 2015).

La théorie de la gestion de restrictions développée par Levine en 1979 se concentrait initialement sur les types de coupes préconisées, plutôt que sur les effets de ces coupes sur les employés. Pour Levine, la gestion des restrictions signifie la gestion du changement organisationnel vers un niveau inférieur de consommation des ressources et d’activité organisationnelle (Levine, 1979, p. 180).

Cependant, certaines études préviennent que les différentes coupes peuvent entraîner des changements dans les ministères et organismes (Schmidt et al., 2017, p. 1544), voire dans les attitudes des employés. D’ailleurs, d’autres auteurs (par exemple, Raudla et al., 2015 ; Shim et al., 2019) ont montré la relation négative entre les types de coupes et le déclin organisationnel, voire la satisfaction au travail. Raudla et ses collègues (2015) sont de cet avis puisqu’ils estiment que les différents types de coupes engendrent des répercussions imprévues sur la performance organisationnelle, au-delà d’un certain seuil (p. 457). En effet, les coupes se soldant par la suppression des programmes ou les fusions de services, les employés peuvent avoir besoin d’une formation pour acquérir de nouvelles compétences et se familiariser avec leurs nouvelles tâches. Il se peut également que des personnes soient licenciées parce que leur service ou programme a été supprimé (Schmidt et al., 2017, p. 1544). Dans ce contexte, les employés peuvent subir une perte psychologique et une capacité réduite à se concentrer sur des performances discrétionnaires (Shim et al., 2020, p. 211) ; par conséquent, on peut s’attendre à ce que les réductions aient un effet négatif sur la satisfaction au travail des employés, d’où l’hypothèse suivante :

Hypothèse1 : Les coupes budgétaires dans un ministère ou un organisme contribuent à réduire la satisfaction au travail des fonctionnaires si les réductions sont effectuées dans la direction.

Quant à la théorie de l’échange social, les employés évaluent l’équité de leurs conditions de travail en [traduction] « comparant leur propre ratio d’intrants (effort et compétences) et de résultats (rémunération, reconnaissance) aux ratios d’intrants et de résultats d’autres “comparateurs” importants comme leurs collègues proches, les travailleurs d’autres entreprises ou leurs antécédents professionnels » (Esteve et al., 2017, p. 545). Ainsi, lorsque les employés comparent leur situation actuelle – salaire moins élevé et/ou heures de travail plus longues – avec leur propre passé en période d’austérité, leur notion d’équité est transgressée (Esteve et al., 2017, p. 545). Ces changements organisationnels ont été considérés comme une transgression des promesses faites par les organisations aux employés, ce qui provoque chez ces derniers un sentiment de non-respect, une remise en question de leur engagement ainsi qu’une baisse de motivation et de moral (Conway et al., 2014, p. 738). En période d’austérité, les restrictions constituent donc un manquement à l’obligation de rendre des comptes, au contrat psychologique (diminution ou suppression des avantages sociaux) et aux notions d’équité des employés (Esteve et al., 2017, p. 545), ce qui a pour conséquence une diminution de la satisfaction au travail des employés.

Hypothèse2 : Les réductions de personnel dans un ministère ou un organisme contribuent à diminuer le niveau de satisfaction au travail des fonctionnaires si les réductions sont effectuées dans la direction.

3. Méthodologie

3.1 Données

Les données utilisées pour les tests d’hypothèse sont tirées du Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux (SAFF). Ce sondage exhaustif, administré par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, mesure les opinions des fonctionnaires fédéraux concernant leur mobilisation, le leadership, les effectifs, le milieu de travail, le bien-être en milieu de travail et la rémunération. Les données accessibles au public sont agrégées par organisations, unités de travail au sein des ministères et groupes socioéconomiques.

De façon générale, plusieurs questions adressées aux fonctionnaires sont pratiquement identiques d’une année à l’autre, surtout celles sur la satisfaction au travail, le bien-être en milieu de travail, l’intention de quitter l’organisation et le rendement organisationnel (faire plus avec moins de ressources). Afin d’éviter le biais de source unique (Lee et Whitford, 2013, p. 697), nous avons recueilli dans le cadre de nos analyses des données provenant d’autres sources : celles sur les ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et celles du Plan de dépenses du gouvernement et budget principal des dépenses. Cela répond à la suggestion de Jakobsen et Jensen (2015, p. 16) d’unir des mesures perceptuelles de questionnaires à des données administratives. Afin de pouvoir joindre plus d’une source de données, il faut réaliser des analyses sur les ministères et organismes plutôt que sur les individus. L’unité d’analyse de notre recherche est le ministère ou l’organisme.

Le programme de relance économique ayant commencé en 2012 et s’étant poursuivi jusqu’à 2016, notre recherche s’intéresse à une période préévénement, c’est-à-dire 2011, et à une période postévénement (ou pendant), qui est 2014. Le choix des périodes correspond à la collecte des données du SAFF, dont notre variable dépendante est tirée. Ce même exercice a été effectué en 2014, pendant les coupes, et en 2017, après les coupes, pour une deuxième étape. Notre comparaison principale se situe donc entre 2011 et 2014.

Notre variable dépendante est la satisfaction au travail. Celle-ci est mesurée par un item : « Je tire de la satisfaction de mon travail. » (SCT, SAFF 2011, 2014, 2017). Cela rencontre l’assentiment des études antérieures, à savoir que la mesure de la satisfaction au travail à l’aide d’un seul item s’est révélée aussi fiable et valable que les mesures réalisées au moyen de plusieurs items (Esteve et al., 2017, p. 547). La question est évaluée sur une échelle de 1 à 5 (1 = Fortement en désaccord ; 5 = Fortement d’accord). Nous avons mesuré la satisfaction au travail à partir des scores moyens déjà disponibles dans les bases de données du SAFF pour 2011, 2014 et 2017, lesquels sont établis à l’échelle organisationnelle.

Les réductions de personnel constituent la première variable explicative de notre étude. Kim (2019, p. 1133) estime qu’une réduction générale de 10 % est significative. Par conséquent, un ministère ou un organisme qui a subi au moins 10 % de réduction de son personnel entre deux périodes a subi une réduction significative. Notre unité d’analyse étant les ministères ou organismes, tous ceux ayant subi une réduction d’au moins 10 % seront considérés comme « coupés » ou « non coupés ». Néanmoins, pour tester la fiabilité des résultats, nous évaluons aussi un seuil bien plus bas, soit celui de 5 %. Si des coupes de 10 % s’avèrent avoir peu ou pas d’effets sur la satisfaction au travail, des coupes moindres, de 5 %, n’auront pas plus d’effets. Les données pour cette variable ont été obtenues à partir des statistiques sur les ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Les réductions budgétaires ont été mesurées selon l’approche de Shim et de ses collègues (2019). Elles ont donc été mesurées par une comparaison de la diminution en pourcentage ( %) d’une année à l’autre et par ministère et organisme. Comme le font savoir ces chercheurs (p. 222), le taux de diminution est efficace pour interpréter les résultats du modèle empirique. Ainsi, nous avons utilisé les taux de diminution comme mesures des réductions budgétaires d’un ministère ou d’un organisme entre 2011, 2014 et 2017, en considérant une réduction générale d’au moins 10 % comme étant significative (Kim, 2019, p. 1133). Les données pour cette variable ont été obtenues à partir du plan de dépenses du gouvernement fédéral et du budget principal des dépenses (dépenses budgétaires par articles couvrant la période 2011-2017).

3.2 Variables de contrôle

Plusieurs variables de contrôle ont été mobilisées afin d’évaluer nos hypothèses. Il s’agit des variables démographiques telles que le genre (femme), le groupe d’âge (moins de 30 ans), l’expérience professionnelle (3 à 10 ans), le niveau d’éducation (diplômés d’études secondaires) et le statut d’emploi (temps partiel). Dans les études antérieures (par exemple, Rinfret et Ngo Manguelle, 2007), le genre tend à faire augmenter ou diminuer la satisfaction au travail. L’accent est mis sur le sexe féminin, car selon l’approche du genre, les femmes sont plus sensibles que les hommes à un événement stressant (Rinfret et Ngo Manguelle, 2007).

Quant à l’expérience professionnelle et au groupe d’âge, des chercheurs soutiennent que les licenciements entraînent la perte des jeunes talents, étant donné que ceux-ci touchent d’abord les travailleurs les moins bien payés, les plus récemment arrivés et les plus jeunes (Hood et Wright, 1981, p. 211 ; Raudla et al., 2015, p. 462). Ainsi, la proportion des jeunes de moins de 30 ans par ministère et organisme a été considérée dans l’analyse tenant compte de la littérature. Concernant l’expérience professionnelle, la proportion des jeunes ayant entre 3 et 10 ans d’expérience a aussi été utilisée, en tenant compte des données codifiées du SAFF.

Avec la mise en oeuvre des stratégies de réduction qui se fait généralement par les gestionnaires (van der Voet et Van de Walle, 2015), on peut s’attendre à une diminution ou à une augmentation de la satisfaction professionnelle en fonction des niveaux d’éducation (Rinfret et Ngo Manguelle, 2007, p. 9). En effet, les cadres détiennent plus d’informations, ce qui les rendrait moins inquiets ou angoissés face à l’avenir et plus en accord avec les mesures prises pour réduire le personnel (Armstrong-Stassen, 1998). À l’inverse, la relation négative entre le niveau d’éducation et la satisfaction au travail a été liée à des niveaux plus élevés de critique du travail par les employés, et donc à des niveaux plus faibles de satisfaction au travail (Glenn et Weaver, 1982). D’où le choix de la catégorie des diplômés d’études secondaires dans notre étude.

Dans la littérature, les mesures évoquées pour réduire les frais de personnel sont, entre autres, la réduction du temps de travail et des heures de service. En outre, en modifiant la nature des prestataires de service, les ministères et organismes font appel à des contreparties à temps partiel, tiers ou bénévoles pour réaliser des économies (Raudla et al., 2015, p. 464). D’où le choix de la catégorie du statut temps partiel dans notre étude.

Par ailleurs, plusieurs recherches (Ellickson et Logsdon, 2002 ; McGrandle, 2019) préviennent que :

[Traduction]

Les caractéristiques personnelles telles que le sexe, le niveau d’éducation et l’expérience professionnelle ont parfois des effets contradictoires sur la satisfaction au travail. Certaines études font état d’effets positifs, d’autres d’effets négatifs, et d’autres encore ne démontrent aucun effet statistiquement significatif de ces variables sur la satisfaction au travail.

McGrandle, 2019, p. 371

3.3 Modèle et stratégie d’estimation

Contrairement à d’autres recherches sur le lien entre coupes et satisfaction (van der Voet et Van de Walle, 2015), notre devis n’est pas transversal. L’étude s’appuie sur des méthodes des doubles différences afin d’estimer le changement préévénement (2011) et postévénement (ou pendant) [2014], pour une première étape, et celui de 2014 à 2017, pour une deuxième étape. En effet, la méthode des doubles différences permet d’évaluer les répercussions d’un événement, tel qu’un changement de politique, en comparant les périodes préévénement et postévénement tout en soustrayant à cette première différence la variation observée dans un groupe témoin n’ayant pas subi son effet. Ainsi, il est nécessaire de disposer d’un groupe témoin pour déterminer les tendances de la satisfaction au travail des employés (Hur et Perry, 2020, p. 649). Dans ce cas, le groupe témoin idéal pour cette étude serait un ou plusieurs ministères ou organismes non coupés qui devraient partager les mêmes caractéristiques que ceux fortement coupés pendant la période de la relance économique (groupe expérimental), comme ce fut mesuré par les données du SAFF sur les variables de la satisfaction au travail.

Charbonneau et ses collègues (2020) affirment que les données du SAFF peuvent être utilisées à titre d’enquêtes transversales non liées, par exemple par une régression en « différence dans les différences » (p. 425), où l’unité d’analyse serait le ministère ou l’organisme, ce qui conforte notre choix. D’autres études (par exemple, Hur et Perry, 2020) en ont également utilisé dans le contexte de changement organisationnel en période de restrictions.

Cependant, dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes appuyés sur des méthodes semblables aux modèles des doubles différences de Van Ryzin (2014).

Où SAT mesure la satisfaction au travail (SAT), R est une variable nominale indiquant la nature de la coupe du ministère ou de l’organisme, où 1 = coupé et 0 = non coupé ; B est une autre variable nominale indiquant la période, où 0 = avant la coupe (2011) et 1 = après la coupe (2011 et 2017) ; R × B est un terme d’interaction ; et C1 à Cj sont des variables de contrôle disponibles ajoutées au modèle. Dans le modèle, α représente la constante, et la pente β1 estime la différence de satisfaction au travail entre les fonctionnaires du ministère ou de l’organisme coupé et ceux du ministère ou de l’organisme non coupé au cours de la période précédant les mesures de restrictions et elle est censée être constante dans le temps. La pente β2 estime quant à elle la variation pré/post de la satisfaction au travail pour les fonctionnaires du ministère ou de l’organisme non coupé. Enfin, la pente de l’interaction β3 est le principal paramètre d’intérêt ; elle fournit une mesure de la différence des différences ou de la variation nette de la satisfaction au travail pour les fonctionnaires et provoquée par les mesures de coupes.

4. Résultats

Le tableau 1 montre peu de changements du niveau moyen de satisfaction au travail des fonctionnaires, par ministères ou organismes, au cours des trois périodes. De plus, le niveau de satisfaction reste relativement élevé, avec une moyenne de plus de quatre points sur une échelle de Likert à cinq points sur les trois périodes, soit un niveau d’accord de deux. Des analyses plus poussées nous permettront de tirer des conclusions sur la stabilité des attitudes des fonctionnaires malgré les différentes coupes opérées dans les ministères et organismes.

Tableau 1

Statistiques descriptives pour les ministères et organismes de 2011, 2014 et 2017

Statistiques descriptives pour les ministères et organismes de 2011, 2014 et 2017
Source : Auteurs

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Il est question ici de quantifier plus précisément l’effet net du changement dans la satisfaction au travail des fonctionnaires fédéraux par rapport à deux types de coupes. De plus, les analyses de régression permettent d’ajuster les résultats en fonction des caractéristiques sociodémographiques des fonctionnaires. Kim (2019, p. 1132) soutient que les variables démographiques peuvent fournir un riche pouvoir explicatif dans la recherche sur la gestion publique, et ce, même si elles ne sont pas modulables par les gestionnaires. Nous commençons avec des coupes de l’ordre de 10 %.

4.1 Analyse des coupes avec le seuil de 10 % de la période 2011-2014

Notre étude, qui s’inspire du devis de l’étude de Van Ryzin (2014), a aussi eu recours à un modèle de base de la double différence ainsi qu’à un modèle élargi avec l’ajout de variables de contrôle.

Tableau 2

Régression linéaire des effets des coupes budgétaires et de personnel au seuil de 10 % sur la satisfaction moyenne au travail des ministères et organismes par la méthode de double différence de la période 2011 et 2014

Régression linéaire des effets des coupes budgétaires et de personnel au seuil de 10 % sur la satisfaction moyenne au travail des ministères et organismes par la méthode de double différence de la période 2011 et 2014

Note : Coefficients de régression du modèle linéaire avec les erreurs standards entre parenthèses.

*p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001

Source : Auteurs

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L’effet estimé de la double différence est inclus par le coefficient du terme d’interaction (β3), qui est le principal coefficient d’intérêt. Ainsi, la pente de l’interaction β3, qui fournit une mesure de la différence des différences ou de la variation nette de la satisfaction au travail (SAT) pour les fonctionnaires, provoquées par les mesures de coupe budgétaire, se présente comme suit : (β3 = –0,44, p < 0,01) pour le modèle 1 et (β3 = –0,41, p < 0,01) pour le modèle 2. Les deux modèles présentent des effets négatifs et statistiquement significatifs, ce qui est conforme à l’hypothèse 1. Par ailleurs, les coefficients sont faibles comparativement à la moyenne, qui a un score de niveau de satisfaction de 4,01 et une échelle de Likert à cinq points. Au vu des résultats ci-dessus, le programme d’austérité à travers les coupes budgétaires dans les différents ministères et organismes a eu comme effet net une perte de 0,41 point du score du niveau de la satisfaction au travail des fonctionnaires fédéraux, par ministères et organismes, durant la période 2011-2014 (toutes choses égales par ailleurs). Malgré ce résultat mitigé, cela confirme notre hypothèse 1 (H1).

Cependant, les modèles 3 et 4, qui s’intéressent à la relation entre la réduction du personnel et la satisfaction au travail, présentent des effets négatifs, ce qui correspond à notre attente, mais les coefficients ne sont pas statistiquement significatifs. La réduction du personnel au cours de la période 2011-2014 n’a pas eu d’effet statistiquement significatif sur la satisfaction au travail des fonctionnaires. D’où le rejet de l’hypothèse 2 (H2).

Parmi les variables sociodémographiques, l’âge des fonctionnaires de moins de 30 ans et le statut d’emploi à temps partiel présentent des coefficients négatifs et statistiquement significatifs entre 2011 et 2014. Ainsi, un ministère ou un organisme comptant une forte proportion de fonctionnaires de moins de 30 ans présente un effet négatif et significatif sur chacun des deux modèles (2 et 4) [β4 = –2,10, p < 0,05 ; et β4 = –2,21, p < 0,05]. Cela indique que plus un ministère compte de jeunes employés, moins le taux de satisfaction au travail de ce ministère est élevé. Les autres variables de contrôle, à savoir le sexe, le niveau d’éducation et l’expérience professionnelle, ne présentent pas des coefficients significatifs pour la période 2011-2014.

4.2 Analyse des coupes avec le seuil de 10 % de la période 2014-2017

Afin de déterminer l’attitude des fonctionnaires à la suite du programme d’austérité qui s’est achevé en 2016, nous avons procédé aux mêmes analyses que celles présentées précédemment pour la période 2014-2017. Ici encore, les coefficients des traitements (les termes d’interaction β3) ont des effets positifs, mais statistiquement non significatifs. Ainsi, la fin de l’austérité n’a pas apporté de changements d’attitude significatifs en ce qui concerne le niveau de satisfaction du personnel au sein des ministères et organismes fédéraux.

Tableau 3

Régression linéaire des effets des coupes budgétaires et de personnel au seuil de 10 % sur la satisfaction moyenne au travail des ministères et organismes par la méthode de double différence de la période 2014 et 2017

Régression linéaire des effets des coupes budgétaires et de personnel au seuil de 10 % sur la satisfaction moyenne au travail des ministères et organismes par la méthode de double différence de la période 2014 et 2017

Note : Coefficients de régression du modèle linéaire avec les erreurs standards entre parenthèses.

*p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001

Source : Auteurs

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Cependant, aucune variable sociodémographique ne présente des coefficients significatifs pour la période 2014-2017 au seuil de 10 %.

4.3 Analyse des coupes avec le seuil de 5 % de la période 2011-2014 et 2014-2017

Il était possible que des coupes moindres, mais dans un plus grand nombre de ministères et d’organismes, puissent entraîner une différence significative de satisfaction au travail uniquement pour les ministères et organismes n’ayant pas essuyé de coupes d’au moins 5 %. Sur la base des mêmes analyses que celles effectuées précédemment, avec le seuil de 5 %, on observe que le coefficient du terme d’interaction (β3), qui est le principal coefficient d’intérêt, présente des coefficients négatifs pour la coupe budgétaire et des coefficients positifs pour la réduction du personnel, toujours avec des coefficients faibles. Cependant, les coefficients ne sont pas statistiquement significatifs (tableau 4). Ainsi, on peut en déduire qu’un seuil de 5 % de coupes des ressources organisationnelles n’est pas suffisant pour avoir des effets pervers sur la satisfaction au travail des fonctionnaires fédéraux durant la période 2011-2014.

Tableau 4

Régression linéaire des effets des coupes budgétaires et de personnel au seuil de 5 % sur la satisfaction moyenne au travail des ministères et organismes par la méthode de double différence de la période 2011 et 2014

Régression linéaire des effets des coupes budgétaires et de personnel au seuil de 5 % sur la satisfaction moyenne au travail des ministères et organismes par la méthode de double différence de la période 2011 et 2014

Note : Coefficients de régression du modèle linéaire avec les erreurs standards entre parenthèses.

*p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001

Source : Auteurs

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Ce même constat est observé au cours de la période 2014-2017. Le résultat du tableau 5 présente des coefficients non statistiquement significatifs et aussi faibles.

Tableau 5

Régression linéaire des effets des coupes budgétaires et de personnel au seuil de 5 % sur la satisfaction moyenne au travail des ministères et organismes par la méthode de double différence de la période 2014 et 2017

Régression linéaire des effets des coupes budgétaires et de personnel au seuil de 5 % sur la satisfaction moyenne au travail des ministères et organismes par la méthode de double différence de la période 2014 et 2017

Note : Coefficients de régression du modèle linéaire avec les erreurs standards entre parenthèses.

*p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001

Source : Auteurs

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En bref, les coupes budgétaires et de personnel de l’ordre de 5 % ne font pas baisser la satisfaction globale au travail des employés des ministères ou organismes visés, comparativement aux ministères ou organismes qui ne sont pas touchés par ces mêmes réductions. Cependant, toutes les variables sociodémographiques ne présentent pas des coefficients significatifs pour les périodes 2011-2014 et 2014-2017 au seuil de 5 %.

5. Discussion

Les résultats de notre étude confirment en partie l’effet négatif des coupes sur la satisfaction au travail des fonctionnaires du gouvernement du Canada pendant la période d’austérité allant de 2012 à 2016. En effet, seule l’hypothèse 1 est confirmée. Ainsi, l’effet des coupes budgétaires sur la satisfaction au travail est conforme à la théorie de la gestion de restrictions, c’est-à-dire que les différents types de coupes ont engendré des conséquences imprévues sur les attitudes au travail des employés fédéraux. Les résultats montrent une perte de 0,41 point du score du niveau de la satisfaction au travail des fonctionnaires fédéraux entre 2011 et 2014 à travers les restrictions budgétaires dans les différents ministères et organismes. Néanmoins, les coefficients sont de taille modeste, ce qui montre que malgré la significativité statistique, les fonctionnaires fédéraux présentent une faible perte en matière de niveau de satisfaction générale au travail. Cela peut être dû à des coupes dans les services offerts aux Canadiens, que les fonctionnaires supervisent. Cela peut aussi être vu dans la dégradation de leur qualité de vie au travail. En guise d’exemple, les budgets de formation tendent à constituer l’un des premiers postes à être réduits lorsqu’il s’agit de réaliser des économies (Demmke, 2016). Or, les fonctionnaires apprécient la possibilité de développer leurs aptitudes et leurs compétences pour mieux s’acquitter de leurs tâches (Meyer-Sahling et al., 2016, p. 132), d’où une diminution de la satisfaction au travail. Un réviseur a rappelé un fait d’importance pour la comparaison entre 2014 et 2017 : l’élection de Justin Trudeau et le changement du parti au pouvoir. Cela étant dit, la période la plus importante de cette étude, celle où les coupes ont eu lieu, n’a pas été l’objet d’une baisse marquée et généralisée de la satisfaction au travail, et ce, sans changement de gouvernement.

La deuxième hypothèse, à savoir que les réductions de personnel dans un ministère ou un organisme contribuent à diminuer le niveau de satisfaction au travail des fonctionnaires si les réductions sont effectuées dans la direction, a dû être rejetée. Ainsi, l’effet net sur la satisfaction au travail n’est pas conforme à la théorie de l’échange social dans le cadre de notre étude. Comme mentionné ci-dessus, lorsque les employés comparent leur situation actuelle avec leur propre passé en période d’austérité, leur notion d’équité est transgressée (Esteve et al., 2017, p. 545). Shim et ses collègues (2019, p. 222) pensent qu’il existe d’autres types de ressources organisationnelles que les fonctionnaires pourraient considérer comme plus importantes que les ressources financières ou humaines, telles que les ressources administratives, les ressources politiques ou les ressources liées à la réputation. D’ailleurs, comparativement à leurs pairs du secteur privé, les employés du secteur public ont tendance à accorder plus d’importance à la sécurité d’emploi, au climat de travail et à l’équilibre travail-vie personnelle (Meyer-Sahling et al., 2016, p. 143) plutôt qu’aux récompenses pécuniaires. Avant la présente pandémie, le budget fédéral du Canada n’avait pas fait l’objet de coupes depuis plusieurs années ; le gouvernement a eu le temps de mener à bien ce genre de processus de manière moins contraignante (Levasseur et Rounce, 2017, p. 457), ce qui pourrait amoindrir les effets pervers des différentes coupes observées. D’ailleurs, le salaire des employés n’a pas été affecté par les restrictions, et la grande partie des pertes d’emplois provient de départs à la retraite (retraites anticipées). On pourrait considérer tous les éléments ci-dessus comme ayant amoindri les effets pervers des réductions de personnel sur la satisfaction au travail des fonctionnaires.

Enfin, les effets mitigés des coupes et réductions sur la satisfaction au travail observés dans le cadre de notre étude s’expliquent par le fait que les ministères ou organismes qui ont procédé à ces coupes ont fait preuve de souplesse dans la mise en oeuvre de ces mesures (Macdonald, 2013, p. 2), tant pour les dépenses que pour les équivalents temps plein. Au-delà de cette souplesse, McGrandle (2019, p. 380) affirme que la satisfaction au travail de la plupart des fonctionnaires canadiens est restée assez élevée, même sous le premier ministre Stephen Harper. Malgré le changement de gouvernement au Canada en 2015, avec l’arrivée du Parti libéral, la satisfaction générale des employés fédéraux est restée élevée. D’où l’argument selon lequel « plus un emploi est en phase avec les attitudes, les valeurs et les préférences du titulaire du poste, plus la satisfaction au travail est susceptible d’être élevée » (McGrandle, 2019, p. 375), ce qui pourrait expliquer nos résultats.

Les coupes paramétriques ont longtemps été décriées (Raudla et al., 2015), même au Canada (Teram et Hines, 1988, p. 333). Ainsi, pour de prochains épisodes d’austérité, des coupes paramétriques de cinq pour cent du budget ou des effectifs pourraient être maintenues afin de minimiser les effets pervers sur la satisfaction au travail des fonctionnaires fédéraux.

Notre étude, comme toute autre étude, comporte des limites. L’une de celles-ci concerne l’écart entre l’unité d’analyse et l’unité d’observation. Notre étude s’est penchée sur les ministères ou organismes comme unité d’analyse ; pourtant, les théories se concentrent sur les comportements et attitudes des individus (par exemple, Esteve et al., 2017 ; Van Ryzin, 2014). Les limites des données du SAFF obligent les chercheurs à arrêter un choix : éviter le biais de sources communes avec des données agrégées jumelées à des données administratives, ou bien avoir recours à des données individuelles, mais qui ne peuvent être complétées par d’autres sources (Cooper et Turgeon, 2021). Il serait souhaitable de mener des études ayant pour unités d’observation des individus, afin de percevoir réellement les effets des mesures d’austérité.

La volatilité des questions et des organismes, et donc des données, a de façon générale été un obstacle sérieux à la réalisation de nos analyses. Le système britannique comporte ses avantages, mais cette flexibilité dans le nombre et le portefeuille des missions des organismes complique la vie des chercheurs. Le salaire s’est avéré avoir des effets significatifs sur la satisfaction au travail (Ellickson et Logsdon, 2002). Néanmoins, aucune question à ce sujet n’a été incluse dans le SAFF. Il ne nous est donc pas permis de l’inclure dans notre modèle.

Conclusion

Les coupes budgétaires peuvent se traduire par une baisse de services pour plusieurs Canadiens. Néanmoins, lorsque l’équilibre budgétaire redeviendra un objectif, les décideurs politiques auront à identifier des solutions (Kim, 2019, p. 1125). Notre étude visait à comprendre une des conséquences de la mise en oeuvre des réductions budgétaires et de personnel dans la fonction publique du Canada, en évaluant sa relation avec la satisfaction au travail des fonctionnaires fédéraux. L’analyse comparant les ministères et organismes visés par les coupes et ceux épargnés par celles-ci au cours de la période allant de 2012 à 2016 montre que les coupes budgétaires ont un effet négatif et statistiquement significatif sur la satisfaction au travail des fonctionnaires fédéraux. Par contre, l’effet est modeste. En revanche, les réductions de personnel n’ont pas d’effets statistiquement significatifs sur la satisfaction au travail. Ces résultats mitigés pourraient signifier que la baisse des ressources organisationnelles est peut-être trop éloignée des employés pour influencer leur attitude au travail (Shim et al., 2019, p. 222). Une explication possible de nos résultats, elle-même rarement testée empiriquement, est que les décideurs avaient en partie la bonne intuition lorsqu’ils ont procédé à ces coupes. Des restrictions budgétaires de 5 %, mais inférieures à 10 %, sans réduction de personnel, ont été la norme. Des coupes budgétaires se sont rarement ajoutées aux réductions de personnel. Par suite de coupes de style coupe de fromage, une légère baisse de satisfaction au travail a été observée, alors que la théorie prévoyait une perte de satisfaction plus prononcée.

En outre, les effets des coupes dépendent de l’ampleur des réductions et ne sont pas uniformes dans tous les domaines de la gestion de la fonction publique, ce qui donne au gouvernement une certaine latitude dans le choix des instruments (Meyer-Sahling et al., 2016, p. 133). Les employés du Secrétariat du Conseil du Trésor, du Bureau du Conseil privé et d’autres organismes centraux du fédéral peuvent en tenir compte pour le choix des instruments.