Corps de l’article

Introduction

Les jeunes trans et de la diversité de genre (TDG), contrairement aux jeunes cisgenres, ne s’identifient pas au genre ou sexe qui leur a été attribué à la naissance. Les études sur les besoins et enjeux de ces jeunes (White Hughto et al., 2015 ; Owen-Smith et al., 2018 ; Katz-Wise et al., 2018) montrent que ce groupe est plus à risque de suicide, de violence par les pairs, d’échec scolaire, de dépression, d’anxiété et de troubles alimentaires. Dans une étude nationale (Taylor et al., 2020), la plupart des jeunes TDG déclarent une santé mentale mauvaise (45 %) ou passable (40 %). Toutefois, de nombreuses études ont permis de constater que le soutien parental est considéré comme un facteur crucial pour le bien-être des enfants et adolescent.e.s[1] TDG (Travers et al., 2012 ; Simons et al., 2013 ; Davey et al., 2014 ; Olson et al., 2016 ; Wilson et al., 2016 ; Katz-Wise et al., 2018 ; Aparicio-García et al., 2018 ; Taliaferro et al., 2018 ; Pullen Sansfaçon et al., 2020), qui réduit les risques précédemment décrits. Par exemple, les taux de dépression sont les mêmes pour les jeunes ayant fait leur transition sociale avec l’appui de leurs parents que pour les jeunes cisgenres (Olson et al., 2016). Cela dit, un soutien parental fort ne serait disponible que pour une fraction de jeunes (Travers et al., 2012). Le soutien fort consiste en des gestes concrets qui soutiennent l’affirmation du genre (Pullen Sansfaçon et al., 2020), par exemple des parents qui s’informent activement sur l’accès aux transitions de genre à leur jeune et/ou l’encouragent.

Toutefois, les familles qui souhaitent soutenir leurs enfants TDG se heurtent à des défis de taille. Par exemple, le moment du dévoilement peut être accompagné d’une variété d’émotions intenses (voir Abreu et al., 2019). Les réactions peuvent aller de l’incrédulité (doute sur l’identité trans de l’enfant) à la surprise, à l’ouverture (Pullen Sansfaçon et al., 2019). Les familles peuvent ressentir de la compréhension sur la situation de leurs enfants et de la fierté qui facilite le processus de soutien (Ibid.). Toutefois, certain.e.s peuvent ressentir un sentiment de perte, voire de deuil (Coolhart et al., 2018).

Le processus d’acceptation est souvent difficile, et peut être lent (Pullen Sansfaçon, 2015). Certain.e.s parents peuvent ressentir de la dissonance et de l’anxiété vis-à-vis de la non-binarité de genre et par conséquent, sentir une urgence à ce que leur enfant complète sa transition afin qu’iel[2] s’inscrive dans la binarité des genres, soit le genre masculin ou le genre féminin. La non-binarité représente pour elleux un entre-deux qui les rend mal à l’aise (Alegría, 2018). Les familles ressentent souvent une combinaison d’émotions qui fluctue dans le temps (Pullen Sansfaçon et al., 2019), et qui peut teinter de façon variable le type de soutien offert aux jeunes TDG. Elles ont donc besoin d’être soutenues dans ce processus d’acceptation ainsi que dans l’accompagnement de leurs enfants au cours de leurs transitions.

Le processus d’accompagnement d’un.e jeune peut aussi amener son lot de difficultés. L’étude d’Hidalgo et Chen (2019) sur des parents cisgenres qui ont des enfants prépubères TDG semble indiquer qu’iels pourraient être sujet.te.s à un stress minoritaire. Ce stress serait causé par les contextes sociaux stigmatisants entourant les identités de genre non cisgenres et affecterait leur bien-être psychosocial. Nous y reviendrons. Ces parents ont de la difficulté à savoir quand et comment divulguer l’identité de genre de leur enfant, iels peuvent percevoir et expérimenter du rejet, notamment au sein de la famille élargie (Ibid.). Il est donc important de développer de la résilience tant au niveau individuel que familial, car les parents doivent apprendre à faire leur propre dévoilement en tant que parents d’enfants TDG (Malpas et al., 2018). Par ailleurs, une recherche récente montre que 64,3 % des familles de jeunes TDG ayant accès à des soins d’affirmation du genre expérimentent au moins une source de stress externe, telle que avoir à faire de la défense de droit dans les écoles, ou encore recevoir des conseils non sollicités de la part des autres parents ou ami.e.s (Bauer et al., 2021). Le doute et l’incertitude sur la « bonne » décision à prendre, alors qu’iels songent à obtenir des soins pour leur enfant, peuvent être vécus comme anxiogènes (Pullen Sansfaçon, 2015). Toutefois, les parents sont vite rassuré.e.s lorsque des effets positifs sur le bien-être général de leur enfant sont perçus (Alegría, 2018). D’autre part, la possibilité de partager entre parents de jeunes TDG semble bénéfique. En effet, ces échanges leur permettent d’acquérir une perspective plus complexe sur la diversité de genre et sur les besoins de leurs enfants, et de se sentir mieux outillé.e.s pour gérer l’incertitude inhérente au processus de transition (Caldarera et al., 2021).

La recherche de services aptes à répondre aux besoins spécifiques des jeunes TDG est un autre défi rencontré par leurs familles (Pullen Sansfaçon, 2015). Celles qui accèdent à des soins médicaux généraux sont préoccupées par le manque de ressources, de sécurité et d’acceptation (Lawlis et al., 2017). En effet, si « accéder aux ressources non spécialisées, sans vivre de difficultés particulières ou de situations de discrimination, est une première étape, trouver des services qui répondent spécifiquement aux besoins des jeunes et de leur famille en est une deuxième » (Pullen Sansfaçon, 2015, p. 99). De fait, les services de santé qui offrent du soutien pour les enfants TDG et leurs familles sont rares, on dénote un manque de formation chez le personnel soignant dans les services publics (Abreu et al., 2019). Ainsi, les jeunes TDG et leurs familles font face à de nombreuses barrières dans leur accès aux soins d’affirmation de genre (Gridley et al., 2016 ; Clark et al., 2018 ; Puckett et al., 2018). Pourtant, l’accès à ces ressources est essentiel, tant pour trouver de l’information sur le sujet que pour tisser des liens avec des pair.e.s, ou pour rencontrer des professionnel.le.s. Il s’agit là d’importants leviers pour aider les parents à cheminer vers l’acceptation et à mieux accompagner leurs enfants TDG et ainsi favoriser le bien-être de ces dernier.ère.s (Pullen Sansfaçon et al., 2019).

Les adultes TDG vivant en milieu rural et petite ville rapportent un manque d’accès à des services de soins spécialisés (Knutson et al., 2016 ; Shute, 2018). Ces études soulignent l’importance de développer des services en santé trans en région, où il manque grandement de professionnel.le.s formé.e.s sur ces questions. Malgré le manque de connaissances, certain.e.s décrivent un personnel de soins en zone rurale respectueux et ayant une volonté d’apprendre. D’autres, malheureusement, rapportent des situations de discrimination, de refus de soins et de transphobie. La stigmatisation, la discrimination vécue et/ou anticipée entraînent une méfiance et parfois de l’évitement à l’égard des services de santé en région, délaissés pour des services dans les grands centres (Knutson et al., 2016). Des études révèlent pourtant des besoins spécifiques de santé pour les adultes TDG vivant en milieu rural et dans les petites villes. Iels auraient en effet, en comparaison des adultes TDG urbain.e.s, un score d’anxiété sociale plus important (Kaplan et al., 2019) et davantage de comportements à risque pour leur santé (Warren et al., 2016). Selon une autre étude (Horvath et al., 2014), en milieu rural les hommes trans ont davantage de problèmes de santé mentale et les femmes trans rapportent plus de comportements sexuels à risque. Une des rares études sur les jeunes TDG ruraux constate une moins bonne santé mentale que dans la population générale (O’Bryan et al., 2020). Cela dit, nous disposons de très peu d’informations sur les vécus des jeunes TDG en région, et à notre connaissance, il n’existe pas de recherche spécifique sur l’expérience de leurs parents. En nous basant sur les études concernant des adultes TDG, nous pouvons envisager des besoins spécifiques qui mériteraient d’être documentés.

Nous souhaitons donc par cette recherche exploratoire, réalisée dans un contexte franco-canadien, apporter une première documentation sur le sujet afin de développer des connaissances sur leur vécu. Ainsi, l’objectif de la recherche et de cet article est de rendre compte de leurs expériences, à travers des témoignages de parents d’enfants TDG, ainsi que des défis et points plus positifs qu’iels ont identifiés comme étant liés au fait d’être en région. De plus, sur la base d’une analyse thématique et des cadres théoriques, il s’agissait de proposer des recommandations adaptées à leurs besoins qui amélioreront leurs vécus.

Cadre théorique

Cet article s’inscrit dans un double ancrage théorique, soit celui de la théorie du stress minoritaire (Meyer, 2003) et celui de la métronormativité (Halberstam, 2005). Cet ancrage théorique permet de conceptualiser les expériences des parents d’enfants TDG vivant en contexte rural.

La théorie du stress minoritaire (Meyer, 2003) postule que la stigmatisation sociale envers les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queer, intersexes et bispirituelles (LGBTQI2S+) cause un stress chronique lié à leur statut de « minorités sexuelles et/ou de genre ». Ce modèle est souvent utilisé pour comprendre l’impact de la stigmatisation sur la santé et le bien-être des LGBTQI2S+ (Scandurra et al., 2019). Meyer (2003) décrit deux types de processus de stress : les « processus distaux », liés à des facteurs externes et indépendants de l’individu tels que les violences physiques ou verbales, la discrimination vécue, le rejet, etc. ; et les « processus proximaux », directement liés à des facteurs internes et donc dépendants de la perception de l’individu. À titre d’exemples, la transphobie intériorisée, l’appréhension et la vigilance. Les stratégies d’adaptation des adultes TDG face à ce stress (Scandurra et al., 2019) sont aussi de nature externe (lien avec la communauté) et interne (sentiment de fierté). Les groupes de pairs semblent jouer un rôle important dans l’acceptation et l’affirmation de soi. A contrario, le rejet familial et la stigmatisation très tôt durant l’enfance de la non-conformité dans le genre sont source de mal-être et perpétuent une vision négative de soi. Ce cadre théorique est particulièrement pertinent pour notre projet puisque, comme nous l’avons vu plus tôt, les parents d’enfants TDG pourraient aussi vivre une forme de stress minoritaire (Hidalgo et Chen, 2019).

Le manque de connaissances scientifiques sur les parents d’enfants TDG et les jeunes TDG vivant en région peut trouver une explication dans le concept de métronormativité (Halberstam, 2005). Nadeau (2019) explique que depuis le processus d’urbanisation et d’exode rural, la plupart des études portant sur les personnes gaies et lesbiennes sont conduites en milieu urbain. Leurs expériences sont devenues le point de référence et par conséquent, la norme (Marple, 2007). Ainsi, le vécu des personnes queer habitant en milieu rural est invisible et dévalorisé alors que celui des personnes queer habitant dans les grandes villes est exalté. La métronormativité permet également d’expliquer pourquoi les récits trans dépeignent la région comme un milieu hostile, alors que la ville est représentée comme l’inévitable lieu de fuite, un espace de tolérance et de liberté dans lequel la personne peut être ouvertement trans (Nadeau, 2019). Cet impensé d’une transition en région risque de créer, selon Nadeau (2019), un surinvestissement du fantasme de la ville et une impossibilité d’explorer son identité dans son milieu de vie. L’auteur.e (2019) souligne l’importance d’un contre-discours permettant de sortir d’une vision réductrice tant de la ville que de la région. Cette réflexion nous apparaît d’autant plus pertinente qu’elle est ancrée dans un contexte québécois où la ville de Montréal est présentée comme un espace d’accueil et comme le chef de file des droits des LGBTQI2S+ (Glenn, 2017). Selon ce cadre théorique, la notion de région renvoie davantage à un espace symbolique construit dans l’imaginaire collectif en dehors de la région de Montréal ou en opposition à elle.

Méthodologie

Les données présentées dans cet article s’insèrent dans un projet de plus grande envergure mené au Canada. Il comporte plusieurs petits projets pilotes de recherche-action visant à mieux comprendre les parents d’enfants TDG et à soutenir l’activisme parental en portant une attention spécifique aux groupes moins bien représentés dans la recherche sur le sujet. Pour le Québec, le projet vise à mieux comprendre l’expérience spécifique des parents qui vivent en région et hors des grands centres urbains. Pour ce faire, le projet comporte deux volets qui sont interreliés : un groupe de recherche-action auprès de parents vivant dans les régions Bas-Saint-Laurent, Gaspésie et Îles-de-la-Madeleine, ayant été mené par une étudiante de maîtrise (voir Pullen Sansfaçon et al., 2021), et des entrevues en profondeur avec des parents d’enfants TDG habitant en région, peu importe leur provenance, au Québec. Cet article présente les données récoltées lors des entrevues.

Les rencontres ont été menées au printemps et à l’été 2020, elles ont duré entre 71 et 151 minutes. Les parents ont été recrutés à l’aide d’une affiche diffusée sur les réseaux sociaux de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles, ainsi que sur des groupes Facebook de parents. Pour participer, les personnes intéressées devaient directement contacter une assistante de recherche pour organiser une entrevue en ligne. Les critères d’inclusion étaient d’être parent d’un.e enfant trans et de la diversité de genre et d’habiter hors d’un grand centre urbain. Une liste des régions administratives visées par l’étude était énoncée dans l’affiche[3]. Pour participer à l’étude, les personnes intéressées devaient contacter l’auxiliaire de recherche et l’informer de l’endroit où iels habitaient. Nous avons décidé d’inclure deux habitant.e.s de la région de la Capitale-Nationale puisque ces personnes considéraient que, résidant loin du centre-ville de Québec, elles y avaient difficilement accès. Les parents qui habitaient dans la région de Montréal étaient exclus de l’étude. Il n’y a pas eu de compensation monétaire pour leur participation. Iels ont signé un formulaire de consentement, en format électronique, avant de participer à l’entrevue. Les thèmes abordés durant l’entrevue avec les participant.e.s sont les suivants : leurs caractéristiques personnelles et milieux de vie, leurs vécus face à la transition de leur enfant, les interactions avec la communauté, les défis et points positifs perçus, l’influence du fait de vivre en région ainsi que leur engagement dans la défense des droits de leurs enfants. Les entrevues ont été transcrites, puis codées en faisant appel à l’analyse thématique réflexive (Braun et Clarke, 2019) à l’aide du logiciel MAXQDA. Ce processus d’analyse a suivi plusieurs étapes : une première lecture intégrale des retranscriptions ; une deuxième lecture avec création d’un premier codage ; une création de thèmes et discussion en rencontre d’équipe ; sélection de thèmes pertinents en lien avec la question de recherche ; sélection finale de thèmes et sous-thèmes en fonction de leur fréquence et de l’importance mentionnée par les participant.e.s de l’étude pendant l’entrevue.

Échantillon

L’échantillon est composé de neuf parents, dont deux personnes formant un couple mais ayant été interviewées individuellement. La moyenne d’âge des participant.e.s était de 45,5 ans (min = 41, max = 53) au moment des entrevues. Huit parents sur neuf sont des personnes assignées femmes à la naissance, dont trois ont rapporté une non-conformité ou une fluidité dans le genre. Un seul des participant.e.s est un homme cisgenre. L’ensemble des parents avaient la citoyenneté canadienne et une personne avait une double nationalité. À l’exception d’une personne née hors Canada, tout le monde était né en région. Deux participant.e.s ont déclaré avoir des origines autochtones. Sept parents avaient un emploi, deux parents n’avaient pas d’emploi au moment de l’entrevue. Le niveau d’études était le suivant : universitaire (4, dont 1 doctorat et 1 maîtrise), collégial (2), cégep (1), secondaire (2). Quatre des participant.e.s étaient marié.e.s, trois étaient séparé.e.s, deux vivaient en couple.

Les participant.e.s provenaient de différentes régions du Québec : Estrie (2), Centre-du-Québec (2), Lanaudière (1), Capitale-Nationale (2), Saguenay–Lac-Saint-Jean (1) et Bas-Saint-Laurent (1). La plupart ont grandi en région, une participante a toujours vécu dans sa région. Certain.e.s ont quitté la région momentanément pour poursuivre leurs études et y sont revenu.e.s. Cela faisait en moyenne 15,6 ans que les parents habitaient dans leur région (entre 5 et 41 ans). Sept parents ont des jeunes transmasculins (dont des jumeaux), une participante a un.e jeune non binaire (assigné.e fille à la naissance) et une participante a une jeune transféminine. Leurs enfants avaient en moyenne 15,5 ans au moment de l’entrevue (min = 14, max = 19). Toustes les parents qui ont participé à l’étude disent être des parents soutenant.e.s et impliqué.e.s dans la transition de leur enfant.

Résultats

Spécificités de la parentalité en région

L’analyse thématique des données nous a permis de dégager trois grands thèmes quant à l’expérience distinctive d’un.e parent vivant en région, et indirectement celle de son enfant TDG : la proximité communautaire/distance géographique, la méconnaissance des enjeux et l’invisibilisation de la diversité de genre, et le manque d’accès aux ressources spécialisées et adaptées.

Proximité communautaire, distance géographique

Le « vivre en région » a été décrit par les participant.e.s comme étant empreint d’une certaine proximité communautaire. En effet, ce contexte de vie fait que « tout le monde se connaît » et cela est même perçu comme un facteur de protection par certain.e.s :

Les gens sont fantastiques, pour de vrai. Y a une espèce de respect du fait de la proximité avec les gens qui est tout le temps là. Tu ne peux pas juger ton voisin parce que dans trois minutes tu vas croiser sa cousine, son beau-père, tu vas croiser sa soeur, fait que tout le monde est tout le temps précautionneux dans sa manière d’aborder les autres. Puis ça fait du bien.

Axelle, parent d’un enfant transmasculin

Le fait de vivre dans une plus petite communauté permet donc, d’une certaine manière, de se sentir plus en sécurité puisque tout le monde se connaît. De plus, cela semble propice au développement d’une forme de réserve. En effet, certain.e.s parents ont expliqué que dans les petites communautés, les gens font davantage attention à ce qu’iels disent en raison de la proximité sociale. Autrement dit, même si certains aspects de la vie des membres de la communauté peuvent être perçus comme étant tabous ou hors des normes conventionnelles, les autres membres ne le mentionneront pas. Pour certain.e.s parents, cette réserve contribuerait même à protéger leurs jeunes en limitant la confrontation et les questions intrusives sur leur genre :

Puis en même temps, y a toute cette question-là de l’anonymat. T’sais y a des jeunes qui viennent ici, y veulent pas se faire poser des questions sur qui y sont, ce qu’y font, avec qui y couchent, de quoi y a l’air... Ça ne regarde personne. C’est l’avantage ici. Quelqu’un qui aurait fait sa transition, qui ne veut pas se faire poser de questions, qui s’en vient ici, y s’en fera pas poser. Le monde va parler, ça n’empêche pas le monde de parler puis d’avoir des suppositions, puis de faire comme : « Ouais j’pense que Dave y’est peut-être gay. » T’sais, on en entend tout le temps. Mais y a personne qui va aller confronter l’individu pour dire : « Cou’ donc, toi, t’es-tu gay ? »

Axelle, parent d’un enfant transmasculin

Cependant, la proximité des communautés et le fait d’y connaître « tout le monde » forcent, en quelque sorte, le dévoilement. Il s’agit là d’une autre particularité du « vivre en région ». Comme l’explique une participante, certaines familles sentent en quelque sorte une obligation de s’expliquer lors de changements plus visibles, notamment lors de la transition sociale et médicale. En effet, comme tout le monde se connaît, la communauté tend à remarquer davantage le changement.

Ben au début, [mon enfant], y trouvait ça difficile, c’est pas comme l’orientation sexuelle, là : aujourd’hui, tu vas à l’épicerie avec [morinom[4] de l’enfant], le lendemain tu vas à l’épicerie avec [prénom choisi de l’enfant] là. Ce n’est pas pareil là !

Claudelle, parent d’un jeune transmasculin

De plus, plusieurs parents ont rapporté avoir décidé, en concertation avec leur enfant, de faire un dévoilement public, largement diffusé. Voici ce que Camille raconte à ce propos :

Peut-être une particularité dans le coming out d’Ellis qui a un lien avec le fait d’être en région, est qu’il a fait un coming out médiatique. Puis ça, c’est sûr que ça ne serait pas arrivé si on n’avait pas été en région, parce que quand on a commencé par faire l’annonce aux gens proches, […], y préférait que ça soit ouvert, qu’on brise le tabou tout ça pour pas avoir à recommencer 28 fois, parce qu’en région, tout le monde se connaît. […]. Fait qu’il ne voulait pas avoir à se justifier puis à s’expliquer. Fait qu’on l’annonce à tout le monde d’un coup. Puis ensuite, on a fait un message sur Facebook et dans nos réseaux.

Camille, parent d’un enfant transmasculin

Camille et une autre participante ont fait un dévoilement « médiatique » dans le sens où toutes deux ont eu recours à des hebdos régionaux et ont participé à des reportages régionaux. Ces démarches ont été faites non seulement afin de faire connaître l’identité de genre de l’enfant auprès de leur communauté, mais également pour donner de la visibilité à la diversité de genre et à son existence en région.

Cela dit, si la proximité communautaire est importante en région, la distance géographique et les grands espaces le sont aussi, car ils permettent de créer une « bulle » familiale et d’éviter les interactions sociales extérieures lorsque cela est nécessaire. Cela a été décrit comme un avantage, surtout dans les débuts de la transition qui se sont parfois avérés difficiles pour certain.e.s jeunes. En effet, quelques parents ont rapporté que, dans les premiers mois, leurs jeunes étaient réticent.e.s à aller au village. Pour ces dernier.ère.s, le calme et la quiétude offerts par la distance géographique s’avèrent un avantage important du fait d’habiter en région.

Ça l’influence au sens où il n’est pas nécessairement confronté sur chaque trottoir à quelqu’un. On est très éloigné, on n’est pas dans le centre d’un village, on est vraiment en région de notre village. Ce qui permet justement d’être… je n’aime pas ça dire de garder cela secret, mais de garder pour lui comment il se sent, comment il le vit. Il n’est pas obligé de l’expliquer à tous les coins de rue. Il n’y a pas d’adultes qui le connaissent, son cercle c’est vraiment des amis de son âge, donc dans la région proche, ici, à part nos voisins, il n’a pas à se justifier. Cet anonymat-là je pense qu’il est le bienvenu.

Yanis, parent d’un enfant transmasculin

Ainsi, en contraste avec le sentiment de proximité éprouvé dans les petites communautés, certain.e.s parents ont décrit le fait de vivre en région comme une possibilité de conserver une certaine « vie privée ». À ce sujet, Sonia, qui habite dans un immeuble, explique que, bien qu’elle se doute que ses voisin.ne.s sont au courant de sa situation familiale, elle ne les en a pas avisé.e.s car les personnes qui n’ont pas d’importance à ses yeux n’ont pas à être informées de sa vie privée :

Et les autres qu’on ne connaît pas, on s’en câlisse[5] ! Excuse-moi du mot mais c’est ça !

Sonia, parent d’un.e enfant non binaire

Finalement, si les parents ont beaucoup discuté des avantages de vivre en région, peu les ont abordés en relation avec elleux-mêmes et se sont plutôt concentré.e.s sur les avantages que cela représentait pour leurs jeunes.

Manque de connaissances sur l’existence de la diversité de genre

De manière générale, l’ensemble des parents perçoivent leurs contacts avec leur communauté comme généralement positifs et ouverts vis-à-vis de leur enfant trans et de la diversité de genre. Néanmoins, l’invisibilité de la diversité de genre et plus largement des communautés LGBTQI2S+ en région et le manque de connaissances concernant les enjeux spécifiques vécus par ces communautés peuvent causer certaines difficultés, allant de l’évitement à la maladresse :

Mais les gens en général, si y a un malaise ils nous le disent pas.

Claudelle, parent d’un jeune transmasculin

Je pense vraiment que c’est en région parce que c’est moins fréquent. Parce que à Montréal ça a l’air plus fluide, tu ne poses pas la question si c’est un gars ou une fille, t’sais, c’est comme il y a toute sorte de monde à Montréal. Tandis qu’à [nom de la région], t’es un gars ou une fille, c’est typique des gens de campagne d’être moins ouverts à la diversité.

Louise, parent d’une enfant transféminine

Bien que la plupart dépeignent une bonne acceptation de la part du voisinage et de leur entourage, certain.e.s ont malheureusement vécu des expériences négatives au sein de leur communauté. Parfois, certaines croyances religieuses peuvent aussi compliquer les interactions et l’acception d’un.e jeune :

Justement ma voisine d’en face, elle a réalisé que mon enfant changeait, que les cheveux poussaient. Puis elle s’est approchée de moi puis elle m’a dit qu’elle était baptiste évangéliste puis elle m’a dit que c’était un pêché, que Dieu nous punissait.

Louise, parent d’une enfant transféminine

Les préjugés et l’intolérance donnent parfois lieu à des échanges pénibles, que ce soit en face-à-face ou sur les réseaux sociaux, comme l’explique une participante qui a vu sa fille trans se faire interdire de parler à une amie car ses parents craignaient que celle-ci ne soit « contaminée ».

Cela dit, plusieurs parents sont actif.ve.s et tentent d’éduquer leur entourage. C’est le cas d’Axelle qui essaie de donner une plus grande visibilité à la diversité de genre, à travers le port d’un macaron :

Tout le temps. Moi je me promène, je me balade avec mon macaron du [nom de l’organisme LGBT], c’est écrit : « Vive les personnes trans » dessus. Puis j’ai souvent des regards interrogateurs, surtout des hommes plus que des femmes. Puis là souvent je les regarde puis je suis comme : « Vous vous demandez si je suis trans hein ? », puis les gars y font comme : « Non non là pas vraiment ! » (Rire) Puis y s’en vont.

Axelle, parent d’un enfant transmasculin

Ce manque de connaissances est aussi visible dans les diverses institutions qui interagissent avec les familles, notamment les écoles au sujet desquelles les parents affirment qu’il y a encore beaucoup de travail à faire.

C’est sûr qu’en région, des fois l’ouverture d’esprit est pas là. Il a fallu qu’on se batte un peu avec l’école pour faire les changements de noms, pour leur expliquer que ça prenait des salles de bain non genrées, accessibles, et pas juste une dans l’école. Être capable de donner de la formation aux professeurs, au personnel enseignant, c’est pour ça donc que c’est un combat de tous les jours, moi puis [prénom de sa partenaire] on s’en occupe à bras-le-corps et qu’on essaie de faire respecter au maximum de ce qu’on est capable.

Yannis, parent d’un enfant transmasculin

Cela dit, si les préjugés semblent plus probables en région, d’autres parents soulignent que les grandes villes ne garantissent pas non plus l’ouverture d’esprit. C’est notamment le cas d’une participante ayant un parcours d’immigration qui offre une réflexion intéressante sur cet aspect en lien avec son vécu personnel et sa communauté culturelle d’attache :

Y a des secteurs, c’est sûr que t’as plus de regards hein ? Puis, on ne va pas se le cacher la communauté immigrante stigmatise plus les enfants transgenres ou homosexuels, donc j’suis vraiment contente de pas être collée trop avec, j’ai jamais collé à cette communauté mettons, [nom de la communauté d’origine], parce que justement, moi-même je le vivais pas bien, ça me faisait pas sentir bien.

Beatriz, parent d’un enfant transmasculin

Quant à l’accès aux services sociaux ou de santé en région, plusieurs parents ont dû elleux-mêmes renseigner les professionnel.le.s qui n’avaient pas les connaissances requises.

Pour la psychologue, c’était le premier, pour le médecin, pour son médecin de famille, c’était le premier, pour le pédiatre, c’était le premier, pour l’école, c’est le premier, dans le sport, c’est le premier, t’sais, c’est toujours le premier.

Anne, parent d’un jeune transmasculin

Les parents se retrouvent donc souvent, si ce n’est systématiquement, à faire les « premiers pas ». En effet, que ce soit à l’école, à la pharmacie, au CLSC de leur région, les mots « jamais vu », « connais pas », « jamais rencontré avant » sont fréquents. Bien que certain.e.s parents rapportent que leurs enfants se sont fait des ami.e.s LGBTQI2S+, d’autres s’inquiètent de l’isolement de leurs enfants :

J’ai l’impression qu’ici, en région, il est seul, à l’école. Les spécialistes ne connaissent pas… Lui dit que ça ne le dérange pas, mais moi je ne suis pas si certaine que c’est vrai que ça ne le dérange pas là.

Anne, parent d’un jeune transmasculin

Ainsi, le manque de visibilité, mais aussi de connaissances, teinte fortement l’expérience des parents en région. D’une part, ces manques de connaissances et de visibilité amènent les parents à devoir s’auto-éduquer sur ces questions ainsi qu’éduquer leur environnement. La plupart des parents ont déclaré avoir eu assez peu de savoirs sur les enjeux d’identité de genre au début du dévoilement. Certain.e.s ont réalisé des recherches et un travail de déconstruction de leurs propres a priori sur ces questions, ce qui leur a donné par la suite plus d’assurance pour informer leur communauté. D’autre part, le manque de savoir et de compétences des professionnel.le.s a contraint la plupart des parents à se rendre en dehors de leur région pour recevoir des services adaptés.

Manque de services pour les jeunes et pour les parents

Toustes les parents ont rapporté au moins un frein quant à l’accès aux services pour leur enfant en région. Le manque de ressources spécialisées pour leurs enfants ainsi que de soutien pour elleux-mêmes semblent faire partie de la réalité de la plupart des parents. En effet, le principal défi rencontré par les parents et leurs enfants TDG vivant en région est l’absence ou la rareté des services et des organismes adaptés à leurs besoins. Ce manque de services est intimement lié à l’insuffisante connaissance et visibilité que nous avons expliquée précédemment. Par exemple, plusieurs parents racontent qu’au moment du dévoilement de leur enfant, iels se sont tourné.e.s vers les services en région pour tenter de trouver de l’accompagnement, mais que l’absence de connaissances du personnel avec qui iels ont été en contact les a mené.e.s à chercher ailleurs :

Au début, la façon dont ça s’est passé c’est qu’on a commencé par utiliser les services de la région. Mais là on s’est assez vite rendu compte qu’on rencontrait... des portes fermées. Pas par manque de volonté, mais par manque d’expertise. Fait que la première fois, par exemple, qu’on s’en est rendu compte, c’est la psychologue qui le suivait déjà pour une autre raison, puis quand l’enjeu de l’identité de genre est devenu très fort, elle nous a dit : « Bon, moi, je ne suis pas spécialisée là-dedans, donc je ne peux pas poursuivre, trouvez une ressource spécialisée ». Sauf que quand on lui a demandé qui, où se tourner, elle n’avait pas de ressources à nous proposer.

Camille, parent d’un enfant transmasculin

La centralisation des services spécialisés à Montréal contraint également les parents à quitter leur région pour obtenir des services. Cela implique des déplacements, et selon la distance à parcourir cela peut devenir une contrainte :

[…] au Centre Meraki c’est merveilleux parce que tous les spécialistes sont sous le même toit, fait que comme je viens d’ailleurs, je peux rencontrer tous les spécialistes l’un après l’autre pour faire une seule visite, parce que on s’entend que je perds quand même une journée de travail, mon enfant manque une journée d’école, je fais deux heures de route le matin, deux heures [de route au retour], c’est très demandant.

Louise, parent d’une enfant transféminine

Le manque d’accessibilité aux services oblige donc les parents à faire preuve d’une grande flexibilité pour répondre aux besoins de leurs enfants. Certain.e.s ont trouvé une partie de leurs services en région ou proche de leur habitation et une autre partie dans un grand centre (Montréal, plus rarement Sherbrooke). D’autres ont tout centralisé à Montréal pour ainsi tout faire en une sortie. Mais même en allant chercher des services dans les grandes villes, les délais d’attente demeurent très longs. En effet, bien que les parents soient adressés à des organismes ou des professionnels à Montréal, les places ne sont pas pour autant disponibles, alors certain.e.s ont trouvé des services dans de plus petites villes. Avoir de la famille dans les grandes villes permet d’y avoir un pied-à-terre, ce qui évite trop de déplacement en une journée et permet de rentabiliser les trajets. Mais les coûts demeurent élevés de manière générale, même si certain.e.s disent avoir reçu une allocation par leur CIUSS afin de rembourser une partie de ces frais de déplacement. Accéder aux services loin de la maison requiert tout de même beaucoup d’adaptation et les parents qui ont un horaire de travail flexible rapportent plus de facilité pour la gestion logistique. Certain.e.s parents ont trouvé des services en périphérie de la ville, ce qui permet d’éviter le trafic et de diminuer le temps de trajet.

Plusieurs parents ont eu le sentiment de devoir « se battre » pour avoir accès aux services. Cela leur demandait beaucoup d’énergie et parfois cela a renforcé un sentiment de solitude. C’est le cas de Sonia qui au moment du dévoilement de son enfant était sous le choc et qui a tenté de chercher de l’aide et du soutien émotionnel auprès de son CIUSS. Sauf qu’une fois sur place, les soignant.e.s ne savaient pas quoi lui dire, car iels n’avaient jamais rencontré cette situation auparavant :

Je me sentais tellement toute seule, là !

Sonia, parent d’un.e enfant non binaire

La logistique et l’organisation associés au déplacement vers une grande ville pour obtenir des services rendent aussi moins accessible la participation aux activités de défense des droits, de socialisation entre pairs, pour les parents et enfants vivant en région.

Une autre barrière souvent nommée est le manque d’expertise sur le sujet, voire une méconnaissance totale en ce domaine. Cela a parfois même contribué à des attitudes décrites comme paternalistes, des préjugés, des refus de donner des bloqueurs d’hormones et du mégenrage (le fait de ne pas utiliser les bons pronoms et/ou accords pour parler d’une personne) de la part des professionnel.le.s de la santé. Décrivant son interaction avec le pharmacien, Axelle relate son expérience et les conseils non sollicités qu’elle a reçus :

[…] il nous faisait comme des petits conseils un peu paternalistes là : « Avez-vous pris le temps d’y penser ? Ne pensez-vous pas qu’y a une autre avenue ? Ah, vous savez, dans l’orientation sexuelle… » Y savait même pas de quoi qu’y parlait, il me parle d’orientation sexuelle. Attends un petit peu, on est dans le champ là.

Axelle, parent d’un enfant transmasculin

Dans notre échantillon, seulement deux parents ont pu obtenir l’ensemble de leurs services en région. Dans les deux cas, les organismes se sont adaptés, mais les parents s’interrogent tout de même sur certains aspects, notamment la qualité de leur expérience. Une personne s’est dite chanceuse, car malgré leur manque d’expertise, les professionnel.le.s avec qui elle a eu affaire ont pu être supervisé.e.s. par d’autres personnes spécialisées auprès des jeunes TDG. Dans certains cas, les professionnel.le.s sont allés chercher de la formation etcertain.e.s ont ouvert exceptionnellement leurs services aux enfants alors qu’iels ne travaillaient qu’avec une population TDG adulte. La deuxième participante a, quant à elle, davantage exprimé de regrets et d’insatisfaction :

On rencontre toujours des gens qui ne connaissent pas le sujet. Donc je n’ai pas l’impression d’avoir un service A1. Je n’ai pas l’impression que mon enfant est entre de bonnes mains souvent. Je me dis, si y’était à Montréal, les gens le comprendraient et le dirigeraient d’une meilleure façon. Là, on a de l’ouverture, les gens veulent l’aider, mais y savent plus ou moins comment s’y prendre. Y’est trop tard pour recommencer, on ne peut pas recommencer à zéro, mais si j’avais eu des meilleures informations au bon moment, j’aurais probablement tout de suite communiqué avec Montréal, parce que le déplacement en aurait valu le coup.

Anne, parent d’un jeune transmasculin

Les services en ligne, tels que ceux offerts par des organismes comme Jeunes identités créatives (anciennement Enfants transgenres Canada) et son groupe Facebook, ont permis de trouver les ressources lorsque les parents n’avaient aucune référence. Ces groupes d’entraide permettent de trouver de l’information, des conseils et de sortir de l’isolement. Le réseautage, que ce soit en ligne ou lors de rencontres entre parents, semble les aider grandement dans la compréhension des enjeux de la diversité de genre, particulièrement pour celleux qui ont plus de difficulté à accepter ou à soutenir leurs enfants. Toutefois, certain.e.s parents n’ont pas reçu de soutien adapté lorsque ces groupes étaient offerts en région et qu’ils étaient animés par des parents et non par des intervenant.e.s. Par exemple, la crainte que leur sentiment de deuil ne soit pas validé a été pour certain.e.s un frein à leur participation à ces groupes. Parfois, c’est l’absence de participation des parents qui a bloqué la création de ce type de groupe en région.

En ce qui a trait à l’école, toustes les parents ont trouvé un certain niveau de soutien, quoique celui-ci puisse varier d’un établissement à l’autre. La moitié des participant.e.s ont rapporté avoir eu un grand soutien de leur direction d’école, comme c’est le cas pour Anne :

Le directeur est super ouvert, y fait ses devoirs, y m’a encore appelée la semaine passée, même si les écoles sont fermées présentement, y travaille fort sur le dossier pour tout mettre en place, parce qu’encore là, pour lui c’était nouveau. On est allé s’asseoir dans son bureau avec [nom de l’enfant] pour lui en faire l’annonce, puis l’ouverture immense, la compréhension aussi, c’est juste qu’il ne savait pas trop quoi faire.

Anne, parent d’un jeune transmasculin

Les écoles semblaient s’ajuster et proposer différents types d’accommodements, parfois jusqu’à débloquer des fonds pour aider financièrement les démarches de l’enfant. La réalité dans les établissements scolaires et la capacité de l’école à soutenir l’enfant semblent encore dépendre du niveau de connaissances sur la diversité de genre et les enjeux vécus par ces jeunes. Malgré les efforts d’adaptation des écoles, certaines écoles étaient moins prêtes ou ouvertes et l’aspect « nouveau », « première fois » revenait souvent dans les récits des parents. Certain.e.s parents continuent de sentir de la résistance de la part de la direction et du personnel enseignant quant à l’inclusion de leur jeune :

Y a eu un accrochage avec sa prof d’éducation physique qui s’est permis de lui dire qu’elle ne voulait pas le voir dans la salle de bain des garçons tant que sa transition n’était pas finie.

Axelle, parent d’un enfant transmasculin

Des adultes significatif.ve.s, tels que des enseignant.e.s, des psychologues, des infirmier.ère.s, semblent avoir joué un rôle important dans l’accompagnement des jeunes vers des ressources internes ou externes. En particulier, les psychologues scolaires ont parfois aidé au dévoilement de l’identité trans auprès des parents. Plusieurs ont réalisé des tournées dans les classes afin de faire de la sensibilisation, en présence ou non du/de la jeune selon sa volonté. D’autres professionnel.le.s qui étaient déjà bien informé.e.s sur ces questions ont également pu offrir un premier soutien dans les démarches des jeunes :

T’sais je vous parle là puis, je m’en rends compte de la chance que j’ai eue, parce que c’est l’infirmière de l’école primaire de mes garçons qui a comme un petit « flag », parce que ça s’est nommé quand les enfants ont eu leur fameux petit cours là de la puberté à venir. T’sais quand ils sont en 6e année, qu’y mettent les garçons puis les filles là les changements de votre corps, là, qui s’en viennent et voilà comment ça va se passer… À la fin de ces épisodes-là, les élèves étaient invités à poser des questions soit à main levée ou soit de les écrire s’ils étaient trop gênés. Et c’est comme ça qu’un de mes garçons a vraiment nommé là en disant « moi je suis malheureux, on dirait que ça serait vraiment plus simple si j’étais un garçon, puis comment ça se fait… », avec un p’tit bonhomme triste. Puis moi c’est l’infirmière qui m’avait donné un p’tit « flag », puis elle a rencontré mon garçon, elle a m’a donné des ressources.

Dominique, parent de deux jumeaux transmasculins

Finalement, certain.e.s professionnel.le.s qui ne connaissaient pas le sujet se sont renseigné.e.s pour trouver les ressources et orienter l’enfant et sa famille pour la suite, alors que d’autres ont mis fin au suivi sans offrir aucune ressource.

Discussion et recommandations

Contrairement aux récits métronormatifs qui dépeignent les milieux ruraux comme des lieux hostiles pour une transition de genre, les parents d’enfants TDG habitant en région au Québec rapportent globalement une expérience positive. Dans notre échantillon, la proximité semble jouer un rôle protecteur pour ces parents et leurs enfants TDG. Le milieu rural possède une structure différente de celle de la ville, les relations avec la communauté sont plus étroites et les individus dépendent les un.e.s des autres (Marple, 2007). Si le dévoilement peut représenter un haut risque dans ce type de milieu (Ibid.), dans le cas de notre étude celui-ci est plutôt perçu par les parents comme un avantage. Toutefois, le sujet demeure encore peu connu, peu visible et pour plusieurs des parents, au moment du dévoilement de leur enfant, c’est l’inconnu. Comme le soulignent Pullen Sansfaçon et ses collaborateur.trice.s (2019), les familles se sentent dépassées par les événements, mais cela n’empêche pas l’acceptation de leur enfant. Dans ce contexte, malgré le manque de représentation des LGBTQI2S+ en région, les liens traditionnels déjà présents entre les individus peuvent favoriser l’acceptation de la part de la communauté (Nadeau, 2019). Le moment du dévoilement pour les parents d’enfants TDG a été rapporté comme source de stress, surtout qu’il doit être effectué à grande échelle. Les « processus distaux » de la théorie du stress minoritaire semblent donc avoir un effet sur l’expérience du parent vivant en région. Le stress semble, chez les parents qui le vivent, surtout causé par l’environnement qui n’est pas toujours prêt à accueillir les questions liées à la transition de leur enfant. Particulièrement lorsqu’il s’agit des environnements virtuels comme les médias sociaux, où les facteurs protecteurs ne fonctionnent plus. De plus, l’absence d’un contre-discours positif pourrait être source de stigmatisation anticipée et freiner les parents qui souhaitent dévoiler ou partager leur expérience avec leur communauté. Toutefois, cela semble être davantage un enjeu en début de parcours, et leur milieu de vie ne semble pas être une source de stress de manière générale. Cela dit, comme dans d’autres études (Knutson et al., 2016 ; Shute, 2018), certain.e.s parents ont décrit des situations de discrimination et de refus de soins d’affirmation de genre dans des lieux de santé.

L’accessibilité aux informations et aux services pour les enfants TDG et leurs familles est un défi majeur à surmonter en région, iels trouvent peu de réponses à leurs besoins. Les parents doivent donc dépenser beaucoup d’énergie et de temps pour trouver des ressources, ce qui peut ajouter une source de stress supplémentaire à leur situation. Certain.e.s participant.e.s ont été frustré.e.s par ces obstacles et ont ressenti de la solitude, ce qui fait écho à la littérature existante (Abreu et al., 2019). La centralisation des services sociaux et de santé pour les enfants TDG à Montréal oblige les parents à sortir de leur région pour y avoir accès. L’éloignement géographique est donc une contrainte importante. Le peu de professionnel.le.s formé.e.s en région et la saturation des services en ville rallongent les délais d’attente. Il y a un grand besoin de diffuser l’information et d’offrir une formation dans les services de santé régionaux pour équilibrer l’offre et la demande et assurer la qualité du service reçu. Les parents parlent explicitement du manque de formation des professionnel.le.s qui peut non seulement limiter l’accompagnement, mais aussi créer des situations de discrimination. De plus, la méconnaissance et le malaise parfois ressenti dans les communautés rurales envers ces questions peut éventuellement contribuer aux difficultés des parents : iels ne savent pas à qui se confier et peuvent se sentir isolé.e.s, d’autant plus que l’accès à des professionnel.le.s formé.e.s est très limité. Bien que Montréal apparaisse comme la ville qui offre l’accès à la communauté et aux services pour les TDG, les parents ont une vision nuancée de ces avantages plutôt qu’un discours idéalisant.

Comme le soulignent Caldarera et ses collaborateur.trice.s (2021), les parents attribuent une forte utilité aux groupes de soutien, qui leur permettent de partager leur expérience et des informations pertinentes entre pair.e.s. Dans notre étude, nous avons vu que les ressources en ligne, telles que Jeunes identités créatives, permettent de trouver de l’information et du réseautage. Pour beaucoup de parents, l’accès à ce type de ressource et/ou à des groupes de parents a été un levier important pour comprendre la situation de leur enfant et leur propre vécu. Cette communauté en ligne permet de briser l’isolement et de rejoindre des parents de jeunes TDG vivant en région. Ces ressources restent toutefois peu connues des services sociaux et de santé, leur diffusion devrait être favorisée. Bien que les services en ligne soient une solution de rechange intéressante pour répondre au défi de la distance physique, il reste néanmoins important d’offrir des points de services en région. Certain.e.s parents ont pris l’initiative d’organiser des rencontres informelles et nous pensons qu’il est pertinent d’encourager les parents vivant en région à se regrouper entre elleux. D’autre part, certaines initiatives régionales ont été tentées afin de mettre sur pied des groupes de soutien, mais elles se sont heurtées à un faible taux de participation ou à une absence de participation. Il serait pertinent de creuser les réticences et les freins qui découragent la participation à ce genre d’activités des parents de jeunes TDG habitant en région. Dans notre étude, certain.e.s parents ressentaient davantage le besoin de discuter de leur vécu (particulièrement de leur deuil et de leurs réticences) en rencontre individuelle avec un.e professionnel.le plutôt qu’en groupe. La peur d’être jugé ou invalidé sur ces aspects semblait être un frein important à la participation à ces séances de groupe. Il serait donc pertinent de proposer différents types de rencontres en fonction des besoins des parents.

À l’école, des professionnel.le.s, ainsi que des adultes significatif.ve.s, ont permis à certain.e.s enfants de s’ouvrir et ont pu compenser temporairement l’absence de services et d’informations en région. Bien que les établissements scolaires en région se soient montrés généralement ouverts à intégrer des mesures plus inclusives, ils devraient toutefois faire preuve de plus de proactivité et offrir des milieux qui sont d’emblée inclusifs plutôt que de s’adapter à la demande ou au cas par cas. Cela peut être fait en adoptant une politique d’inclusion et en offrant de l’information, peu importe que des jeunes fréquentant leurs milieux effectuent ou non une transition (Riggs et Bartholomaeus, 2018). Actuellement, cette tâche est assurée par les parents des jeunes TDG. Comme Riggs et Bartholomaeus (2018) l’ont souligné, revisiter les politiques d’inclusion dans les écoles et les autres établissements publics devrait être perçu comme un gain pour toustes et non pas comme une adaptation à une demande venant d’une minorité. En effet, éduquer sur l’inclusion et la diversité peut permettre aux jeunes de devenir des allié.e.s dans la société et aider les familles à mieux accompagner leurs enfants TDG.

Les groupes de pairs et les organismes communautaires ont un rôle important à jouer en tant que soutien social. En effet, une étroite connexion avec sa communauté est un facteur de protection pour les personnes TDG. Il y a un besoin fort de donner de la visibilité aux organismes LGBTQI2S+, de créer des espaces sécuritaires en région, que ce soit dans les lieux de soins, les organismes jeunesse ou à l’école. Cela faciliterait leur accessibilité, surtout pour les familles plus éloignées des grands centres urbains, et permettrait éventuellement de normaliser les questions relatives au genre et à l’orientation sexuelle.

Limites

Le petit échantillon limite la portée de nos résultats. De plus, la majorité de nos participant.e.s sont des personnes assignées femmes à la naissance, ce qui est le cas pour la plupart des recherches sur les parents d’enfants TDG (Ishii, 2018 ; Pullen Sansfaçon, 2015), reflétant la faible participation des personnes assignées hommes à la naissance à ces recherches (Dunn et al., 2004 ; Slauson-Blevins et Johnson, 2010). Par ailleurs, nos résultats ont été obtenus à partir du point de vue de parents soutenant.e.s, qui ont, pour la plupart, reçu du soutien de leur entourage. Les parents d’enfants TDG non ou moins soutenant.e.s vivant en région n’ont donc pas été rejoint.e.s par cette recherche. Une recherche ultérieure gagnerait à diversifier l’échantillon. De plus, il serait important de préciser davantage la notion de « région » comme étant soit rurale (ville de moins de 10 000 habitants) ou hors métropole.

Conclusion

Cette première recherche permet d’avancer que les parents d’enfants TDG vivant en région rencontrent des difficultés d’accessibilité plutôt que des difficultés d’acceptabilité. Si la théorie du stress minoritaire est utile pour comprendre le vécu des parents, c’est surtout l’environnement, donc les processus proximaux marqués par le manque de ressources, qui semblent poser problème. Notre recherche a également permis de constater que la vision métronormative demeure à l’oeuvre dans la construction des discours autour des expériences des personnes LBGTQI2S+, et par extension autour de celle des parents d’enfants TGD, et qu’en réalité, ces personnes vivent des défis différents de ceux dont on pouvait faire l’hypothèse en se fondant sur la littérature. Ainsi, la recherche bénéficierait de sortir de cette vision métronormative et d’intégrer différentes expériences géographiques lorsqu’il est question de mieux comprendre les vécus comme ceux des parents d’enfants TDG.