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L’ouvrage de Sophie Marcotte Chénard aborde de front la complexe et importante question du statut de l’histoire pour et dans la philosophie politique. La confrontation qui y est articulée entre la pensée de Raymond Aron et celle de Leo Strauss est censée éclairer la position de chacun des philosophes sur cette question ainsi que permettre de penser ce problème à nouveau. Comme le titre de mes remarques l’indique, je m’attarderai surtout à la lecture que Marcotte Chénard propose du traitement du problème de l’historicisme chez Strauss. En premier lieu, je situerai la thèse de l’ouvrage sur cette question dans une sorte de typologie des herméneutiques qui prévalent dans les études sur la pensée de Strauss. J’examinerai ensuite ce qui ressort de la méthode comparative employée par l’auteure pour traiter la position straussienne sur l’historicisme. Je me tournerai finalement vers la thèse de Marcotte Chénard concernant la réponse de Strauss à l’historicisme et formulerai trois objections à cette interprétation.

1. Strauss et l’historicisme : petite typologie

Comme l’auteure le souligne au début de son ouvrage, les interprétations de Strauss demeurent encore à ce jour — sauf quelques rares exceptions dont Devant l’histoire en crise fait partie[1] — assez polarisées : il y a d’un côté diverses interprétations straussiennes de Strauss, et de l’autre, différentes interprétations anti-straussiennes du penseur. La question de l’historicisme ne fait pas exception. Que Strauss soit antihistoriciste est incontesté puisqu’incontestable. La question est plutôt de savoir si Strauss a raison d’adopter une position antihistoriciste et si celle-ci est convaincante. La majorité écrasante des interprétations straussiennes affirment que Strauss 1) critique à juste titre l’historicisme et 2) répond de façon satisfaisante à l’historicisme. Les interprétations anti-straussiennes affirment généralement que Strauss 1) rejette l’historicisme à tort et 2) ne répond à la thèse historiciste que de façon partielle ou insatisfaisante. Évidemment, cet état de choses n’épuise pas l’éventail des réponses philosophiques possibles à cette question. On peut tout à fait penser que Strauss a de bons motifs de critiquer l’historicisme sans toutefois parvenir à le réfuter[2].

On doit noter dès à présent que la thèse de Marcotte Chénard ne se laisse pas aisément situer dans cette typologie initiale, et qu’il faut admettre la possibilité de réponses moins tranchées aux deux questions qui la structurent. D’abord, l’auteure concède que Strauss a de bonnes raisons de critiquer l’historicisme, mais elle semble penser du même coup qu’il y a du vrai dans la thèse historiciste. Il ne s’agit donc pas de présenter la critique de l’historicisme chez Strauss comme injustifiée, mais plutôt de critiquer chez elle, depuis la perspective d’Aron, un manque d’attention à la possible fécondité philosophique d’une certaine forme d’historicisme. Sur la deuxième question, à savoir celle de la validité de la critique que Strauss propose de l’historicisme, la position de l’auteure m’apparaît également ambiguë. Marcotte Chénard semble en effet osciller entre deux idées dans son ouvrage. D’une part, elle soutient que l’alternative de Strauss à la conscience historique est un retour à la philosophie platonicienne prise en son sens zététique (p. 306), et donc à un retour aux problèmes philosophiques fondamentaux plutôt qu’un retour à des solutions anciennes à ces problèmes, et donc un retour à la vie philosophique plutôt qu’à des thèses philosophiques. D’autre part, elle se fait très critique quant à la possibilité, mais surtout quant aux conséquences, d’un tel « retour aux Grecs » ou antimodernisme.

Le fait que la posture de l’auteure ne se laisse pas aisément situer dans la typologie que j’ai brièvement esquissée m’apparaît une chose louable. Il s’agit, il me semble, d’un signe que son ouvrage s’inscrit bel et bien dans ce qu’elle appelle ci-haut le « mouvement de “déstraussianisation” des études sur Strauss », mouvement qui désigne ceux qui cherchent à étudier la pensée de Strauss en évitant les écueils dogmatiques de l’apologétique inconditionnelle et de l’attaque péremptoire. Devant l’histoire en crise est en effet un livre qu’on ne saurait accuser de dogmatisme : les analyses y sont toujours très nuancées, tant dans leur volet critique que dans leurs dimensions plus affirmatives, si bien que certains pourraient même lui reprocher un excès de nuances qui émousse par moments le tranchant potentiel des positions de l’auteure. À tout prendre, cependant, la raison philosophique devrait préférer ce second excès au premier, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une question aussi polarisante et polarisée que celle du statut de la pensée de Leo Strauss. Je tiens donc à saluer cet effort de la part de Marcotte Chénard et à inscrire à mon tour mes remarques dans cet esprit critique et non dogmatique qui caractérise son travail.

Toutefois, l’ambivalence de l’auteure sur la réponse à la question de savoir s’il est justifié de critiquer l’historicisme n’est pas uniquement une question de nuances. Il s’agit d’abord et avant tout, il me semble, d’un désaccord sur la nature du problème, à savoir sur la nature de l’historicisme. Qu’entendons-nous donc par « historicisme » chez Strauss ? Comment la pensée de Raymond Aron peut-elle nous éclairer sur cette question ?

2. L’historicisme selon Aron et selon Strauss

Au début de son ouvrage, Marcotte Chénard montre brillamment à quel point la notion d’historicisme (Historismus) est contestée et controversée. La Begriffsgeschichte qu’elle en propose est admirablement instructive et intéressera tous ceux qui étudient la question de l’historicisme et plus généralement la philosophie de l’histoire. Je souligne uniquement un élément essentiel pour le traitement de la question que je veux poser ici, soit le fait qu’il y a au moins deux grandes familles d’historicismes : une famille au sein de laquelle Aron a fait ses armes et à laquelle il est plutôt sympathique, et une famille dont Strauss et Aron se font tous les deux très critiques. La première de ces deux familles est issue de l’école historique allemande (Droysen, Ranke, etc.) et culmine dans les tentatives néokantiennes d’articuler le problème de l’histoire chez Dilthey et Rickert, et ultimement chez Max Weber. L’ouvrage montre bien que cet historicisme, bien que très sensible aux déterminations historiques du penseur et de la pensée, n’est pas un historicisme absolu, ou, pour reprendre les termes de Strauss, un historicisme « radical ». Cet historicisme radical, celui qui conduit au relativisme historique absolu et qui empêche en principe le jugement moral et politique, est celui auquel Strauss et Aron s’opposent. Le fait qu’Aron reconaisse un historicisme non relativiste ou non absolu est crucial, il me semble, pour comprendre ce qu’il en est de la position de Strauss. Selon Aron, Strauss affirme trop rapidement et à tort l’existence d’une ligne droite entre Weber et l’historicisme radical. Aron a probablement raison à propos de la lecture straussienne de Weber. Mais il importe de voir que c’est précisément cette continuité que Strauss croit discerner entre l’historicisme néokantien et l’historicisme radical qui le rend insensible, à la différence d’Aron, à quelque chose comme un historicisme modéré — position aronienne vers laquelle l’auteure me semble ultimement pencher dans son livre. Pour le dire simplement, l’historicisme modéré ne représente pour Strauss qu’un pas dans la direction de l’historicisme radical. Puisque c’est cette différence qui explique pourquoi, selon les mots de Marcotte Chénard, Aron pense « dans l’histoire » et Strauss « contre l’histoire », il faut s’y attarder un instant. Quelle est la nature de l’argument de Strauss contre un historicisme modéré ? Pourquoi penser que l’historicisme modéré conduira nécessairement à l’historicisme radical ? L’exemple d’Aron ne prouve-t-il pas le contraire ?

La position de Strauss, il me semble, consiste à dire que la dissolution, par le truchement de l’historicisme modéré de type néokantien, de la possibilité de formuler un critère anhistorique qui saurait guider le jugement, rend en principe possible le basculement vers un historicisme radical qui rend impossible le jugement pratique. Autrement dit, l’exemple d’Aron est, pour employer la terminologie aristotélicienne, accidentel : rien ne garantit chez Aron les principes du jugement pratique contre leur corruption ou même leur dissolution. En effet, le néokantisme d’Aron ne se laisse pas aisément reconduire à la philosophie morale kantienne dans la mesure où il n’est pas orienté par le caractère absolument impératif de la loi morale[3]. Ceux qui voient dans la position aronienne une réactivation du jugement pratique de type aristotélicien pourraient répondre que la phronêsis ne délibère pas au sujet des fins (EN III 3 1112b11), et que ces fins — lesquelles convergent ultimement vers une fin unique, à savoir le bonheur compris comme une vie excellente conforme à la raison (EN I 7 1098a) — ne sont pas en tant que telles relatives à la situation et à l’agent. Toutefois, selon Marcotte Chénard, bien qu’il y ait des inspirations kantiennes et aristotéliciennes chez Aron, le « référent dernier » de sa philosophie pratique n’est nul autre que Thucydide (p. 289-290). Cette thèse originale et soutenue de façon convaincante par l’auteure me semble avoir des effets encore plus délétères sur la vulnérabilité de la position aronienne sur l’historicisme à la critique de Strauss. Car si Aron est bel et bien thucydidien dans son approche de la question du jugement pratique, les inquiétudes de Strauss quant à la possibilité de critères transhistoriques et non relatifs s’intensifient. Si donc Aron maintient une position historiciste modérée qui conserve la possibilité d’un jugement pratique sain, ce n’est in fine qu’en vertu du caractère modéré de ses propres dispositions intellectuelles et morales et non en vertu de principes philosophiques qui assurent la nécessité d’une telle modération. La question du critère soulevée par Strauss le conduit à la conclusion suivante : il est tout à fait juste que l’historicisme modéré et l’historicisme radical diffèrent, mais il n’y a plus, au sein d’un historicisme modéré, de remparts qui préviendraient sa transformation — lente ou rapide — en historicisme radical[4]. La question n’est pas pragmatique ou pratique, elle est principielle ou théorique.

Il convient toutefois de préciser ce que signifie l’historicisme radical pour Strauss. Dans Droit naturel et histoire, il est clair que le terme d’« historiciste radical » ne désigne nul autre que Martin Heidegger[5]. Ici, il n’est pas clair que le terme d’Historismus convienne encore, puisque Heidegger n’adhère pas à l’Historismus. Pour Strauss, Heidegger est pourtant bel et bien historiciste. L’enjeu est la temporalité (Zeitlichkeit) et par suite l’historicité (Geschichtlichkeit) de la pensée humaine, mais peut-être plus encore l’historicité de l’être lui-même, à savoir la thèse selon laquelle « être » signifie « être temporel, être dans l’histoire[6] ». Strauss oppose cette thèse à celle qui soutient qu’« être » signifie « être toujours[7] ». (Notons toutefois que Strauss ne fait pas explicitement sienne cette proposition ontologique fondamentale[8]). Il m’apparaît important de souligner ici que l’historicisme de type heideggérien représente pour Strauss bien plus qu’une menace au jugement moral et politique ; il s’agit bien plus fondamentalement d’une remise en question de la possibilité même de la philosophie. Cette dernière inquiétude de Strauss semble d’ailleurs confirmée par Heidegger qui annoncera la fin de la philosophie et proclamera le début espéré de la pensée (Denken), pensée qui doit davantage au dire poétique (Dichten) qu’à la rationalité, que celle-ci soit classique ou moderne[9].

Selon Strauss, donc, le problème de l’historicisme est ultimement le problème de l’historicisme radical, c’est-à-dire celui que pose la thèse heideggérienne de l’historicité de la pensée et de l’être. Ce problème a des conséquences pratiques indéniables pour Strauss, mais il est d’abord et avant tout un problème ontologique ou métaphysique.

3. La réponse de Strauss à l’historicisme

Quelle est donc la réponse de Strauss à l’historicisme, et est-ce une réponse satisfaisante ? Il semble y avoir un certain consensus voulant que Strauss réponde à l’historicisme par une forme de réactivation de la philosophie ancienne. Quant à la nature de ce « retour aux Grecs », les interprétations sont multiples. Parmi les adversaires de Strauss, d’aucuns avancent que Strauss souhaite retourner au droit naturel classique, à une politique de type aristotélicienne[10], ou encore au régime idéal de la République de Platon[11]. En bref, il s’agit pour eux de réactiver une forme ou une autre de dogmatique ancienne contre une fausse aporie moderne. Toutefois, la plupart de ceux qui estiment que la réponse de Strauss à l’historicisme est justifiée et concluante soutiennent que son retour à la philosophie classique doit être entendu sur un mode non dogmatique[12]. Certains pensent que la seule prémisse ancienne acceptée dogmatiquement par Strauss est le principe de raison suffisante, soit la doctrine selon laquelle ex nihilo nihil fit[13]. D’autres pensent que Strauss est un platonicien zététique, à savoir un platonicien de la recherche de l’interrogation plutôt qu’un platonicien dogmatique et affirmatif[14]. Le platonisme zététique de Strauss en est un qui comprend les Idées ou Formes platoniciennes comme des problèmes fondamentaux qui demeurent immuables et invariables pourvu que la pensée humaine existe (“coeval with human thought”)[15]. Ce sont les problèmes et les questions philosophiques qui sont les invariants, et non les réponses philosophiques à ces problèmes et questions. L’interrogation philosophique sur le Tout prend alors le sens d’une approche de la constellation des Idées, approche au sein de laquelle il est a priori admis que le Tout de l’être, articulé en une multiplicité des Idées comme parties de ce Tout, demeure, en fonction du cercle herméneutique du tout et de ses parties, fondamentalement mystérieux[16].

Bien que Marcotte Chénard ne s’aventure pas dans les détails de cette constitution méréologique du tout de l’Être au sein du platonisme de Strauss, elle semble à quelques reprises adopter cette lecture — à savoir celle d’une posture zététique — comme la réponse de Strauss à l’historicisme : « L’art du doute, pour Strauss, est antithétique à l’historicisme » (p. 318). Du même coup, toutefois, elle soulève des doutes et inquiétudes quant à la réponse de Strauss à l’historicisme. Qu’on me permette de citer un passage qui m’apparaît essentiel à cet égard et de poser deux questions :

Strauss, il est vrai, cherche une vérité intemporelle, un principe organisateur des sociétés, un idéal de justice qui ne serait pas variable. Mais encore faut-il trouver le « bon » critère. Que faire du philosophe qui prétend avoir trouvé la réponse dans une version de la loi naturelle qui, lorsqu’elle se trouve appliquée à la communauté politique, justifie les pires atrocités ? En d’autres termes, le danger d’un dogmatisme politique peut être en partie éliminé ou du mois mitigé si l’on se fait un peu historiciste en un sens précis, c’est-à-dire pluraliste. Considérer que ce que l’on tient pour vrai n’est peut-être pas vrai « pour toujours » et de « tout temps » introduit un doute raisonnable sur nos propres positions

p. 318

Il me semble qu’un philosophe qui prétendrait avoir trouvé le « bon critère » dans une version de la loi naturelle aurait mal compris la distinction que Strauss cherche à opérer entre la loi naturelle et le droit naturel[17]. La première question peut donc être posée ainsi : si Strauss est un « platonicien zététique » pour qui la question est permanente, mais la réponse ne l’est pas, pourquoi avoir peur, du point de vue du jugement politique, de décisions dogmatiques dangereuses ?

La seconde question est plus complexe et concerne la validité philosophique de la réponse zététique de Strauss à l’historicisme. S’il y a des Idées invariables, à savoir des problèmes fondamentaux invariables et donc transhistoriques, il y aurait peut-être un véritable défi à la thèse heideggérienne de l’historicité. Or cette notion de problèmes fondamentaux immuables me semble être le résultat d’une abstraction assez radicale. On extrait le problème d’un questionnement concret et l’hypostasie comme invariant. On affirme implicitement par là que le questionnement concret et donc l’articulation concrète d’un problème fondamental par un penseur X ou Y est indifférent à la compréhension du problème. Or dès lors qu’on affirme que l’articulation du problème donne une certaine tonalité ou teneur au problème, on admet que les problèmes fondamentaux changent eux aussi au gré de l’histoire du questionnement philosophique. À ma connaissance, Strauss ne répond nulle part à cette objection potentielle. Cela m’apparaît d’autant plus criant qu’une version de cette objection fut formulée par Gadamer dans Vérité et Méthode, dans une polémique contre la Problemgeschichte de Nicolai Hartmann[18]. Hartmann, en effet, concevait l’histoire de la philosophie comme une représentation de la philosophia perennis où se joue le jeu de la question et de la réponse. Selon Hartmann, les philosophes ont changé et changent, à travers les âges, les façons dont sont posées les questions (Fragestellungen), mais ne peuvent changer les problèmes philosophiques eux-mêmes[19]. Selon Gadamer, cette vision des problèmes immuables est illusoire : les problèmes ne sont plus tout à fait les mêmes dès lors qu’on les pose différemment[20].

Mais ce n’est pas tout. Comme je l’ai indiqué, Strauss interprète l’idée comme problème fondamental. Le terme d’« idée » est tout sauf anodin dans son oeuvre. Il l’emploie très parcimonieusement et soigneusement, si bien que nous sommes autorisés à penser qu’il a toujours, pour ainsi dire, la même idée de l’« idée ». Dans Droit naturel et histoire, texte dans lequel il « retourne » au « droit naturel classique » en réponse à « l’historiciste radical » (c’est-à-dire à Heidegger), le troisième chapitre est intitulé « l’origine de l’idée du droit naturel[21] ». Le droit naturel n’est pas une réponse, un dogme ou une doctrine. Il s’agit d’une idée, d’une question ou d’un problème philosophique. Or, ce problème, nous indique Strauss, a une origine. Il est, pour ainsi dire, né ; il a émergé : « The discovery of nature or of the fundamental distinction between nature and convention is the necessary condition for the emergence of the idea of natural right[22]. » Cela semble indiquer que Strauss admet malgré lui que les Idées sont passibles de changement. Car il n’y a pas changement plus radical que le passage du non-être à l’être ou vice-versa. Qui plus est, l’idée du droit naturel a émergé de circonstances historiques particulières, à savoir la découverte de la nature (phusis) par opposition ou par contraste avec la convention ou la loi (nomos). Strauss a écrit à quelques reprises que la découverte de la notion de nature n’était pas possible dans la tradition hébraïque[23]. Cela semble signifier que des circonstances historiques particulières ont rendu possible l’émergence d’un problème philosophique, c’est-à-dire d’une Idée. Et de cela, il découle que les Idées ne sont pas des problèmes invariables et qu’ils dépendent au moins en partie d’articulations interrogatives particulières et historiquement situées. D’un point de vue platonicien, si cela est vrai, on voit mal pourquoi, après être passées du non-être à l’être, ces Idées devraient demeurer invariablement identiques à elles-mêmes par-delà les lieux et époques (cf. e.g. Rep. VIII 546a2).

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Marcotte Chénard me semble soutenir dans son ouvrage que Strauss répond bel et bien à l’historicisme par sa philosophie zététique, mais que cette réponse a un coût politique potentiel trop élevé. J’ai tâché d’exposer quelques doutes quant à la validité de ce double verdict, et de suggérer que le « retour aux Grecs » de Strauss est problématique d’un point de vue théorique plutôt que d’un point de vue pratique. Ces quelques doutes, cependant, n’ôtent rien aux mérites indéniables de Devant l’histoire en crise. Et les questions que son auteure nous permet de nous poser témoignent de la valeur thérapeutique de son ouvrage, à tout le moins au sens platonicien : τῆς ψυχῆς ἐπιμελεῖσθαι (Apol. 30b1-2, cf. Alc. I 127e9 et Leg. 650b7-8).