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The Future of Live Music est un ouvrage collectif dirigé par Ewa Mazierska, Les Gillon et Tony Rigg, tou.te.s trois enseignant.e.s à l’Université du Lancashire Central à Preston (Royaume-Uni). Publié en 2020 chez Bloomsbury éditions, il est composé de cinq parties thématiques (les approches, la technologie, les artistes, les espaces et les évaluations) elles-mêmes divisées en 13 chapitres. Si la majorité des 16 contributeur.ice.s de cet ouvrage sont affilié.e.s aux disciplines « classiques » traitant des musiques populaires (sociologie, histoire, media studies), d’autres sont aussi des artistes et/ou des professionnel.le.s de l’industrie musicale. L’introduction – rédigée par Mazierska, Gillon et Rigg – commence par un court retour sur l’histoire de la musique, rappelant notamment qu’elle était exclusivement live jusqu’au développement de la reproduction du son, avant d’aborder ses spécificités et de (re)poser la question de son caractère rival ou symbiotique avec la musique enregistrée. Vient ensuite une description générale de la structure de The Future of Live Music et des chapitres qui le composent.

Disons-le tout de suite : il est difficile d’appréhender un tel ouvrage en faisant abstraction totale de la pandémie de COVID-19 qui s’est abattue sur la planète à peine trois mois avant sa parution – c’est-à-dire bien après sa conception. En effet, les confinements successifs aux différentes vagues du virus ont mené à la plus grande crise contemporaine du spectacle vivant. Si concerts et festivals redémarrent lentement mais surement – au moins de façon saisonnière –, il apparait peu probable que la filière ne retrouve son niveau d’activité pré-crise avant quelques années, tandis que certains processus semblent s’être intensifiés, de la dématérialisation des transactions et des consommations à la concentration du secteur. De fait, le futur proche de la musique live pourrait être légèrement différent de ce qu’on prédisait avant la survenue d’une pandémie qui n’aura épargné aucune zone du globe. Mais justement, qu’elles étaient les intuitions d’un ouvrage au titre aussi prometteur que The Future of Live Music ?

La première partie, consacrée aux « approches », est composée de deux chapitres : le premier consiste en une revue des théories et des méthodes d’analyse de la musique, quand le deuxième, que l’on pourrait qualifier de programmatique, liste les défis auxquels seront confrontés les différents acteurs de la musique live (pouvoirs publics, publics, artistes). La deuxième partie, qui se concentre sur la technologie, comporte trois chapitres dont deux ont une résonnance particulière depuis que nous avons connu l’expérience des confinements liés à la COVID-19. En effet, le chapitre quatre revient sur la jeune histoire de la « networked performance », qui désigne le fait de jouer de la musique à distance et en réseau pour créer un morceau, dont le groupe ClipBandits a été précurseur en 2006 sur YouTube, quand le cinquième aborde les potentiels du livestream, notamment pour les artistes non-professionnels. La troisième partie, consacrée aux interprètes, donne, à l’occasion du chapitre six, exemple de ce que les biotechnologies peuvent faire à la musique live à travers l’exemple de CellF, projet rendu possible par la collaboration d’artistes, d’ingénieurs et de chercheurs en neurosciences. Celui-ci se présente sous la forme d’un « synthétiseur neuronal » décrit d’intelligence in vitro (en opposition à l’intelligence artificielle – car composé de cellules de la peau de l’artiste Guy Ben Ary, lui permettant de ne faire qu’un avec l’instrument lors d’une performance scénique. Le chapitre suivant revient sur les différentes étapes du développement des performances holographiques depuis celle de Tupac Shakur au Coachella Festival en 2012 et s’intéresse à ce que l’intelligence artificielle pourrait apporter au concept : des performances originales réalisées par les hologrammes d’artistes défunts. Composée de trois chapitres, la partie quatre traite, certes, des espaces mais apparait pour le moins hétérogène : la première contribution porte sur l’effet des festivals sur les villes où ils ont lieux, la deuxième d’un pub situé dans la petite ville de Sowerby Bridge (Yorkshire de l'Ouest) et géré en coopérative tandis que la troisième compare les festivals polonais pendant et après le socialisme. La cinquième et dernière partie (« évaluations ») est composée de trois chapitres dont le premier porte sur l’histoire et l’actualité des raves, notamment dans leur lien avec le développement des nouvelles technologies (smartphone, réseaux sociaux, livestream). Le chapitre 12, basé sur une série d’entretiens en focus group réalisé à la suite d’un concert d’Artic Monkeys lors du Rockware Festival 2018 à Athènes, s’attache à éclaircir les liens entre représentations scéniques et technologies pour les publics. Enfin, le dernier chapitre de l’ouvrage, qui offre un aperçu de l’ampleur du « phénomène K-pop » à travers l’historique des performances publiques du groupe CNBLUE, évoque la finesse de la frontière entre musique live et musique enregistrée étant données l’utilisation intensive de dispositifs technologiques.

Du livestream aux hologrammes en passant par les biotechnologies, The Future of Live Music aborde donc des sujets aussi divers qu’actuels, mais sans pourtant nous donner de pistes concrètes sur le futur de la musique live comme l’on pourrait s’y attendre. Si la plupart des auteur.ice.s font l’effort de rattacher leur contribution à ce qui semblait être l’objectif affiché de l’ouvrage dans leurs conclusions respectives cela est fait de façon plutôt laborieuse. Même dans l’introduction générale, le futur n’est abordé qu’à la fin (p.14), à travers une étonnante référence à Jacques Attali, reconnu, lui, pour son gout de la prospective :

« We predict that live music will remain strong and develop, but at the cost of extensive labour of musicians and other music professionals, perhaps resulting in a diminished social status of musicians, returning them to the times before the advent of capitalism, when they had to adopt one of two principal roles: that of vagabond or domestic  (Attali, 2014: 14-18)

Était-ce, de toute façon, souhaitable ? Est-ce, finalement, la fonction des sciences sociales ? Rien n’est moins sûr, mais peut-être aurions-nous pu en attendre plus d’un ouvrage au titre tel que The future of live music. Certain.e.s auteur.ice.s ont le mérite d’évoquer les défis auxquels seront confrontés les acteurs de la filière musicale, quand d’autres évoquent le potentiel de certaines technologies pour un futur proche, mais aucune « vision » claire ne se dégage à l’enchainement des chapitres. Malgré les références au capitalisme et à la condition des artistes en introduction, le cœur de l’ouvrage ne laisse que peu de place aux transformations socio-économiques de ce secteur des industries culturelles. Si la première partie, consacrée aux approches, laisse présager du meilleur, les chapitres suivants s’enchainent laborieusement, et ce au sein de parties très larges et non problématisées. Un certain nombre de chapitres font des détours historiques certes intéressants parfois trop longs pour un ouvrage dont l’objectif affiché est de s’intéresser à l’avenir. Resserrer les thématiques autour des transformations du capitalisme et/ou du numérique aurait peut-être permis de donner une autre dynamique à des contributions qui n’essayent même pas de donner l’illusion de discuter entre elles.

C’est en cela que réside le principal écueil de l’ouvrage : son hétérogénéité et son manque de cohérence, comme en témoigne d’ailleurs l’absence de conclusion générale (!). Né d’un appel à communication de la branche britanno-irlandaise de l’International Association for the Study of Popular Music (IASPM) organisé autour de dix thèmes (que l’on retrouve en partie dans les chapitres), l’ouvrage dirigé par Ewa Mazierska, Les Gillon et Tony Rigg ressemble ainsi plus aux actes écrits de la conférence qu’ils ont organisé en juin 2018 qu’à un recueil de référence sur les défis de la musique live, comme son titre semble l’indiquer. The Future of Live Music ne présente pas ainsi pas d’intérêt particulier en tant qu’ouvrage : il est à appréhender comme un ensemble de textes sur la musique live dans les sociétés post-industrielles.