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La pandémie de la COVID‑19 a eu des effets considérables sur le quotidien des organisations, et l’industrie de l’événementiel n’est pas en reste. Alors que la majorité des rencontres professionnelles, habituellement planifiées en face à face et réunissant des milliers de participants des centres de conventions gigantesques, sont déplacées en ligne. Dès lors, quelles leçons tirer pour l’avenir ? C’est de cette question que traite l’ouvrage Reinventing Live: The Always-On Future of Events (2021) de Denzil Rankine et Marco Giberti. Au fil du texte, les auteurs entendent répondre à un double objectif : expliquer en quoi les technologies numériques constituent l’avenir d’une industrie de l’événementiel encore peu tournée sur ce versant et fournir un ensemble d’outils et de stratégies aux organisateurs d’événements pour qu’ils puissent s’adapter et intégrer une logique d’innovation par la technologie dans leur fonctionnement et leurs modèles d’affaires. Le prisme utilisé pour répondre à la problématique n’est pas celui de chercheurs, mais celui de professionnels qui abordent le sujet dans une démarche réflexive et prospective. Cela explique d’ailleurs qu’aucune méthodologie précise ne soit annoncée : le contenu est davantage fondé sur l’expérience acquise par la pratique et le terrain, sur des entretiens avec des pairs (simplement évoqués) et des études de cas. Précisons par ailleurs que seule une partie du secteur de l’événementiel est couverte, celle des événements professionnels (conventions, foires, expositions), tandis que les événements de divertissement (festivals, performances, etc.) sont évoqués à la marge. C’est donc à partir de leur position en tant qu’organisateurs d’événements que les auteurs proposent un raisonnement sur l’avenir de l’industrie et sur l’impératif d’innover par l’intégration de technologies numériques dans les différents processus d’organisation.

Structuré en dix chapitres, l’ouvrage peut être décomposé en trois parties développant chacune une idée phare. La première contient les chapitres 2, 3 et 4, et caractérise l’industrie de l’événementiel avant la crise sanitaire et la conséquence majeure que cette dernière a entrainée, l’impossibilité des rencontres en face à face. Le constat posé est celui d’une industrie fragmentée peu innovante et où l’impact des technologies numériques sur la transformation du secteur est relativement faible. Pour autant, le marché était en croissance, les investissements très nombreux et quelques parties de la chaine de valeur (billetterie, marketing, promotion) intégraient des technologies pour déployer leur service. Alors, pourquoi cette industrie n’a-t-elle pas suivi la même direction que d’autres, comme l’hôtellerie ou le transport, avant elle ? L’aversion au risque et à l’innovation, le statut incontournable de certains événements ayant tendance à figer les comportements, ou des expérimentations peu concluantes d’entreprises pionnières, auraient donné raison au développement numérique de l’industrie de l’événementiel avant la crise.

La seconde partie (chapitres 5, 6 et 7) prend à bras le corps ce que la crise a eu comme effets sur l’activité événementielle, à savoir d’intensifier la nécessité d’intégrer des technologies numériques. C’est dans ces trois chapitres que s’articule la proposition principale des auteurs, le modèle OOO pour online – offline – online, et que l’argument de la transformation durable de l’industrie vers les formats hybrides est annoncé. Pour les auteurs, l’organisation d’événements uniquement en physique a été transformée en profondeur : ils doivent être transformés, mais demeurent un ingrédient essentiel dans la vie des acteurs économiques. L’intuition que les événements participent à la formation et au maintien de relations sociales a été documentée par la littérature (Maskell et al., 2006; Wilks, 2011), et trouve ici un écho dans l’expérience quotidienne des auteurs. Pour autant, les formats exclusivement en ligne ne sont pas efficaces. Rankine et Giberti plaident donc pour un modèle hybride où les rencontres en face à face, jugées essentielles pour nouer des relations, sont améliorées. Des extensions numériques sont imaginées et favoriseraient l’engagement et les relations interpersonnelles tout au long de l’année, en amont, pendant, et après l’événement, suivant le canevas online – offline – online. Ce faisant, les organisateurs extraient l’événement de son contexte spatio‑temporel unique et le diluent tout au long de l’année. À leurs yeux, les technologies numériques permettent d’augmenter l’engagement des participants, de créer une communauté, et d’offrir une proposition de valeur mieux adaptée à leurs attentes. Par ailleurs, différents enjeux sont mis en lumière et discutés : le changement générationnel dans le profil des participants (les « digital natives » aux pratiques de consommation différentes de la génération X), l’abaissement des barrières à l’entrée sur le marché du fait de la numérisation, la soutenabilité environnementale, etc.

Pour mettre en œuvre cette vision, les chapitres 8 et 9 offrent plusieurs outils, comme l’approche centrée sur les clients et l’intégration plus prononcée des organisateurs d’événements dans les secteurs où ils opèrent. Ces deux chapitres soulignent l’intérêt de ces opérations qui, s’ils sont bien maniés, deviendront des facteurs de succès importants pour les organisateurs. De plus, l’anticipation des tendances de fond et des facteurs d’évolution de l’industrie, telles que les plateformes numériques en ligne, la mise en données généralisée ou l’utilisation de technologies immersives, est un atout pour tout organisateur d’événement. Par exemple, cela signifie qu’en amont de l’événement, la promotion serait mieux ciblée et adaptée, que pendant l’événement l’expérience des participants serait enrichie, et qu’après l’événement l’engagement des membres de la communauté serait maintenu.

Enfin, les chapitres 1 et 10, respectivement l’introduction et la conclusion, donnent un aperçu général de la problématique et des pistes de solutions apportées par les auteurs. Sous la forme de textes séparés pour l’introduction et d’un dialogue pour la conclusion, ces deux chapitres mettent en relief de manière synthétique les bouleversements provoqués par la pandémie sur le secteur de l’événementiel, et présagent de l’avènement du format hybride.

En définitive, l’ambition des auteurs est donc moins de contribuer à l’analyse scientifique des transformations induites par le numérique sur l’industrie événementielle que de fournir une boîte à outils pour la transformation numérique des organisateurs d’événements et de proposer des pistes de réflexion sur l’avenir de l’industrie. De ce fait, deux critiques peuvent être soulevées. D’abord, la dimension descriptive du texte et fondée sur l’opinion des auteurs prend le dessus, au détriment d’une approche analytique qui aurait pu être enrichie. Cette approche est néanmoins assumée par les auteurs : ils n’apportent pas de réponse définitive à tous les enjeux d’organisation d’événements soulevés et intensifiés par la crise de la COVID-19, si ce n’est qu’il leur semble impératif de s’adapter et d’expérimenter de nouveaux modèles. De ce point de vue, l’ouvrage est résolument tourné vers un impératif à l’innovation et, pour parvenir à résoudre ces problématiques, les organisateurs doivent en passer par des outils numériques. C’est là que nous pointons une deuxième critique, celle d’un solutionnisme technologique (Morozov, 2014) s’immisçant à tous les niveaux de l’organisation d’un événement. La technophilie assumée des auteurs rejoint leur double constat d’un manque d’innovation dans l’événementiel et d’une transformation d’autres secteurs par l’intégration du numérique et l’ouvrage de se conclure sur une proposition : la technologie va assurément permettre la transformation pour le mieux de l’industrie de l’événementiel. Pour autant, cette approche doit, nous semble-t-il, être interrogée. Quid de l’émergence de nouveaux formats d’événements (plus petits, plus conviviaux) ou de l’empreinte écologique laissée par l’utilisation de tous ces outils ? Ces aspects ne sont pas réellement interrogés alors qu’ils constituent des pistes de réflexion centrales pour l’avenir de cette industrie.

Au‑delà de ces critiques, nous pouvons relever la qualité de l’expression et une organisation en chapitres quasi indépendants qui facilite la lecture. Notons également la présence de nombreuses études de cas mises en contexte avec les différents points développés par les auteurs, et dans lesquelles les stratégies d’organisations sont expliquées et les principaux enseignements à tirer sont déchiffrés. Les outils proposés sont mis en lumière utilement et, bien que la proposition des auteurs ne nous convainque pas totalement, l’argumentation va dans la direction définie par les auteurs. Enfin, le lecteur bénéficie du point de vue de praticiens, d’expériences de terrain, qui rendent la lecture de cet ouvrage appréciable.