Corps de l’article

1. Introduction

En France, la formation du personnel enseignant a connu de nombreuses réformes qui ont affecté les objets d’enseignement et les structures de formation: des écoles normales (1833-1989), on est passé aux instituts universitaires de formation des maîtres – IUFM (1991-2013), puis aux écoles supérieures du professorat et de l’éducation – ESPE (2014-2019) et, depuis la rentrée 2019, aux instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE). Outre la mastérisation mise en place à la rentrée 2010, l’une des avancées des trois dernières réformes réside dans la place accordée à la recherche dans la formation du personnel enseignant avec la production d’un mémoire pour valider le master. Dans les ESPE et après celles-ci dans les INSPE, la formation vise à «favoriser la capacité des futurs enseignants à s’approprier des résultats produits par des travaux de recherche et à développer une attitude réflexive» (Horoks et al., 2018, par. 4). Dans ce processus, on peut s’interroger sur le rôle joué par le mémoire ainsi que les compétences qu’il permettrait de développer.

C’est à cette interrogation que nous tentons de répondre en examinant les aspects privilégiés par les enseignantes et enseignants dans l’évaluation des mémoires de master 2 MEEF[1], mention 1er degré[2]. Concrètement, nous nous intéressons aux avis formulés sur les mémoires lors des jurys de soutenance, tenus en 2018-2019 à l’ESPE d’Aquitaine, en mettant au jour les types d’appréciations que font les enseignants membres des jurys et, à travers eux, les compétences qui seraient attendues des candidates et candidats. Dans cet article, nous retraçons d’abord l’évolution de la formation du personnel enseignant et présentons ensuite la situation délicate des étudiantes et étudiants en master MEEF qui, dans la production de leur mémoire, composent avec des logiques qui ne sont pas toujours convergentes. Puis, sous forme d’analyse a priori, nous indiquons quelques aspects qui peuvent être évalués dans un mémoire avant de passer à l’analyse des retours faits par les enseignants membres des jurys. Heuristique et qualitative, notre étude entend ainsi aider à la fois la communauté étudiante, à mieux se représenter ce qui peut être attendu d’elle, et les enseignants qui les forment à mieux les accompagner.

2. De l’école normale à l’INSPE

Fondée en 1833, à la suite de la loi Guizot du 28 juin (Condette, 2007), l’école normale a participé à la formation de futurs enseignants et enseignantes du primaire, dont le niveau de qualification à la sortie a connu une constante élévation au cours des cinquante dernières années. En effet, entre 1969 et 1979, le personnel enseignant était recruté avec un diplôme d’enseignement secondaire, puis avec deux ans d’enseignement postsecondaire (bac + 2) entre 1979 et 1989. Le niveau passera à bac + 3 avec la mise en place des IUFM en 1989 et à bac + 5 en 2010 à la suite de la mastérisation. Avec les IUFM, à partir de 1991, les étudiantes et étudiants doivent produire un mémoire professionnel dont l’introduction repose sur «l’idée qu’écrire sur son expérience personnelle a une valeur formatrice» et qu’un «mémoire peut être un moyen privilégié de recul réflexif sur les stages en milieu scolaire» (Crinon et Guigue, 2002, p. 201). La loi Fillon du 23 avril 2005 intègre les IUFM dans les universités, d’abord comme écoles internes, puis, en 2008, en tant que composantes à part entière. Cette loi a engagé un long processus d’universitarisation de la formation des enseignants qui va s’accompagner par la modularité des enseignements, l’ouverture à l’international et la place accordée à la recherche. Avec les ESPE, le mémoire professionnel devient, en 2015, un «mémoire de recherche universitaire à visée professionnelle», dont l’enjeu est de «permettre à l’étudiant d’interroger et de faire évoluer sa pratique à la lumière des résultats de la recherche» (Moussi, 2019, p. 51). La loi pour une école de la confiance du 28 juillet 2019, qui remplace les ESPE par les INSPE, renforce le caractère universitaire de la formation des enseignants et l’alternance durant les deux années de master. Cette loi réaffirme la place de la recherche en affectant 15 % du volume horaire de la maquette à la «pratique réflexive et recherche».

Si l’on associe facilement le mémoire professionnel aux IUFM et de recherche à visée professionnelle aux ESPE et aux INSPE, il reste difficile de différencier ces deux écrits. Dans les deux cas, «il s’agit de mobiliser des outils théoriques pour construire un cadre d’analyse approprié à ses objectifs et de la sorte, pouvoir entreprendre la saisie du problème préalablement posé» (Cislaru et al., 2011, p. 185). Il s’agirait aussi de développer des compétences réflexives et analytiques permettant d’appréhender les pratiques ainsi que les savoirs et les enjeux qui les sous-tendent. Selon Wentzel (2010) et Moussi (2019), le mémoire de recherche serait «plus scientifique» et, partant, à même de produire des connaissances nouvelles, alors que le mémoire professionnel serait plus ancré dans la pratique. Cependant, il reste à préciser ce que l’on entend par «plus scientifique» et à déterminer, dans le mémoire, le «statut que doit avoir le terrain professionnel» (Rinck, 2011, p. 85). Parlant du mémoire professionnel, Cros (1998) note que l’absence de définition claire dans les textes officiels peut conduire à un écrit au format et au contenu variables en fonction des acteurs. L’absence de cadrage du genre mémoire peut ainsi se traduire par une pluralité d’attentes et d’exigences de la part des enseignantes et enseignants formateurs, susceptibles de varier en fonction des conceptions que les uns et les autres ont de la recherche, voire de la formation du futur personnel enseignant.

Le bref aperçu historique qui précède montre que, pendant plus d’un siècle et demi, la formation du personnel enseignant n’était pas universitaire et que les personnes formatrices n’étaient pas enseignantes chercheuses, ce qui fait que, même si les étudiantes et étudiants produisaient, dans leur cursus, des écrits réflexifs, ceux-ci n’étaient pas des travaux de recherche. L’introduction du mémoire constitue donc un changement majeur. Cependant, étant donné que ces différentes réformes ont été ou sont mises en oeuvre par une grande partie d’équipes qui sont déjà en place et qui ne sont pas nécessairement formées pour diriger les travaux de recherche, on mesure la lourde charge qui leur est confiée lorsqu’elles doivent accompagner les étudiantes et étudiants dans la réalisation de leurs mémoires de master. Cette tâche est d’autant plus complexe que les directives ministérielles désignent et modifient les intitulés des écrits à produire sans en définir précisément les contours.

3. Le rédacteur d’un mémoire en master MEEF entre deux univers culturels

Le mémoire de master fait partie des «écrits dits de recherche ou d’initiation à la recherche» (Rinck, 2011, p. 79) qui contribuent tant à la formation à et par la recherche qu’à la validation du parcours universitaire de la personne étudiante. Réaliser un mémoire dans un contexte de formation place celle-ci dans deux univers culturels qui obéissent à des orientations pouvant être antagonistes: d’un côté, «celle de la formation où l’enjeu principal est de manifester que l’on a acquis les savoirs et les savoir-faire pour obtenir tel ou tel diplôme» et, de l’autre, «celle de la recherche où l’enjeu principal consiste plutôt à produire des connaissances» (Reuter, 2004, p. 10). D’après Jaubert et Lhoste (2019), la situation des productrices et producteurs de mémoires est davantage inconfortable dans les masters MEEF où des logiques de professionnalisation peuvent entrer en conflit avec des exigences scientifiques. Les étudiantes et étudiants de ces masters «sont confrontés à de multiples discours hétérogènes (instructions officielles, discours de l’employeur, de l’institution de formation, des collègues sur le terrain) qu’il leur faut hiérarchiser, articuler, éventuellement mettre en cohérence» (p. 144). Or, intégrer d’autres voix dans ses écrits est un exercice complexe qui peut conduire «à des positions extrêmes qui vont de l’absence de toute forme d’intégration d’un discours externe à l’assemblage d’un patchwork sans prise en charge du sujet écrivant» (Deschepper et Thyrion, 2008, p. 71).

En analysant des mémoires de master MEEF produits en didactiques du français et des sciences, Niwese et Schneeberger (2019) ont mis en évidence les tensions générées par cette double inscription dans la recherche et dans la formation, et montré que, face à celles-ci, les étudiantes et étudiants accordent la priorité à la formation. Ainsi, «le protocole de recherche se pose avant tout comme un dispositif d’enseignement, ce qui fait que l’étudiant a tendance à réfléchir en termes [de son] efficacité» dans la «construction des apprentissages» (p. 133). Ces tensions sont également perceptibles au niveau du discours avec l’éclatement énonciatif du rédacteur du mémoire qui se positionne en tant qu’individu (avec, par exemple, le recours au «je») pour parler de son expérience en tant que praticien et tente, à d’autres endroits, d’adopter une énonciation neutre en s’exprimant comme représentant de la communauté scientifique (avec, par exemple, l’usage du «nous»).

4. Quels aspects évaluer?

Alors que les étudiantes et étudiants en master MEEF ne sont ni chercheurs ni praticiens confirmés, on leur demande «de mettre en perspective les savoirs de l’action et les savoirs disciplinaires» pour «faire évoluer les pratiques professionnelles» (Rinck, 2011, p. 86) et d’en rendre compte dans un écrit insuffisamment défini. Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur les éléments qui permettent d’évaluer et, partant, de valider ou d’invalider le produit remis par l’étudiant. Sur quels critères peut-on se baser pour rendre un avis sur cet écrit? Quels aspects évalue‑t‑on? Au regard des travaux antérieurs, nous présentons ci-dessous, en guise d’analyse a priori, les aspects sur lesquels pourraient porter les appréciations des membres des jurys. Il s’agit de l’objet et des questions de recherche, du cadre conceptuel et de la gestion de la polyphonie discursive[3], du cadre méthodologique, de l’analyse et de la présentation des résultats, des enjeux praxéologiques ainsi que des aspects linguistique et textuel.

4.1 De l’objet et des questions de recherche

Tout travail de recherche répond à une problématique, appelée aussi «question de recherche», que l’on peut définir comme «le sujet que le chercheur veut éclaircir» (Deslauriers, 1991, p. 23). La question de recherche, qui peut être assortie d’hypothèses[4], «ne vise pas nécessairement à résoudre un problème. Il peut s’agir d’une nouvelle connaissance à acquérir, d’une théorie à vérifier, ou d’un nouveau domaine à explorer» (p. 23). En plus de «poser des jalons» et de «fixer des objectifs de la recherche», la problématique «confère l’identité même du travail de recherche entrepris» (Cislaru et al., 2011, p. 43). Ces derniers auteurs distinguent quatre types de problématiques: polémique, d’élargissement, de confirmation et d’affinement. Avec la problématique polémique, la personne chercheuse pose des questions qui entrent en rupture par rapport à ce qui se fait déjà et «propose de façon explicite un point de vue différent de celui de ses prédécesseurs» (p. 45). La problématique d’élargissement permet «de déplacer les frontières d’un champ ou d’un objet de recherche» qui étaient abordés «sous un angle plus restreint» (p. 46). La problématique de confirmation consiste à appliquer à un objet ou un corpus «une théorie ou une méthode déjà attestées» (p. 46). Quant à la problématique d’affinement, elle vise à compléter «la description d’un objet, d’une théorie ou d’un corpus d’analyse» (p. 46). À noter que les relations entre ces dernières catégories peuvent être complexes et que les frontières entre elles sont loin d’être étanches.

Lorsqu’ils se sont intéressés aux types de questions de recherche présentes dans les mémoires produits en master MEEF en didactiques des sciences, des mathématiques et du français, Niwese et al. (2015) se sont rendu compte que les étudiantes et étudiants recouraient quasi exclusivement aux problématiques de confirmation et que leurs recherches se présentaient comme des applications pures et simples des théories, des outils et des modèles existants. Or, «si l’enjeu du discours scientifique» revient à proposer sur l’objet étudié «quelque chose de nouveau (si peu que ce soit)» (Deschepper et Thyrion, 2008, p. 66), on pourrait se demander si les problématiques de confirmation permettent de produire des savoirs nouveaux. Un tel questionnement soulève également le problème de ce qu’est une bonne question de recherche. Doit-elle, comme le préconise Deslauriers (1991), «ouvrir sur l’inconnu» en laissant ouvertes le plus «de portes possible» (p. 24)? Étant donné que la question de recherche sous-tend et oriente le travail de recherche, on peut supposer a priori qu’une partie des appréciations du mémoire s’y réfèrent. La formulation d’une question de recherche requiert idéalement la connaissance des travaux faits sur l’objet traité, ce qui permet de justifier l’intérêt du nouveau travail entrepris. Passer en revue ce qui a été déjà réalisé conduit à un autre point central que l’on pourrait évaluer dans un mémoire: celui du cadre conceptuel.

4.2 Du cadre conceptuel: conceptualisation et gestion de la polyphonie

Nous employons à dessein l’expression «cadre conceptuel» pour désigner ce qui est aussi appelé «cadre théorique» ou «revue de la littérature» et que d’aucuns considèrent comme «la pierre angulaire de l’organisation systématique d’une recherche» (Ouellet, 1982, p. 95). Nous préférons l’expression «cadre conceptuel» pour, d’une part, ne pas limiter la partie théorique à l’établissement de l’état de l’art et à la seule situation de la recherche par rapport à ce que les autres ont fait. Nous voulons insister, d’autre part, sur le fait que c’est dans cette partie que sont principalement convoquées et discutées les notions clés qui balisent l’activité de recherche. Ainsi, plus qu’une simple inscription dans «la trace que d’autres ont battue» (Deslauriers, 1991, p. 31), les notions théoriques interviennent aussi bien dans la contextualisation de la recherche que dans la mise en place des protocoles de recherche, dans l’analyse des données et dans la présentation des résultats.

Comme le font Lafont-Terranova et Niwese (2016), puis Niwese et Schneeberger (2019), l’évaluation du cadre conceptuel peut amener à s’intéresser aux notions et aux concepts en déterminant s’ils sont présents et bien compris, s’ils sont mis en réseau, s’ils sont envisagés dans leur historicité, s’ils jouent un rôle dans le traitement de l’objet étudié et s’ils sont en adéquation avec la question de recherche. Niwese et Schneeberger (2019) relèvent que, pour nombre d’étudiantes et étudiants, la fonction du cadre conceptuel n’est pas claire, ce qui fait que celui-ci peut s’apparenter à un étalage de notions présentées «sans hiérarchie» ni «mise en réseau», «sans anticipation sur leur usage» et «dans une logique plutôt cumulative que démonstrative» (p. 132-133). Pour ces étudiants, la présentation des notions et concepts constitue une fin en soi et «les savoirs sont juxtaposés et, une fois exposés, oubliés au moment de rendre compte des données empiriques» (Delarue-Breton et Crinon, 2015, p. 87). Cantonner le cadre théorique à l’état de l’art conduit à une conception cloisonnée de l’écrit de recherche qui serait constitué de parties autonomes, indépendantes les unes des autres.

Le problème de mobilisation, de compréhension et d’exploitation des notions et concepts peut être étendu à la question des sources, car leur statut et leur qualité influent fortement sur le niveau de maîtrise des notions: «[L]e recours à des sources secondaires (notamment de semi-vulgarisation) peut conduire à une maitrise flottante de notions et concepts et à un usage de ceux-ci bien éloigné de leur sens» (Niwese et Schneeberger, 2019, p. 132). Qui dit sources dit aussi positionnement de la personne qui rédige l’écrit de recherche par rapport aux différents travaux qu’elle convoque dans son propre discours. Or, ce positionnement représente une vraie difficulté pour les chercheurs novices: «[U]tiliser les sources de manière fidèle et les intégrer dans un développement qui rende compte des choix intellectuels et argumentatifs effectués implique des opérations discursives complexes» (Deschepper et Thyrion, 2008, p. 71). La question des sources soulève, au niveau formel, celle de leur présentation avec des codes et des normes spécifiques, l’enjeu étant de permettre à la personne lectrice de retrouver les éléments cités.

Selon Lafont-Terranova et Niwese (2015), il est plus simple d’enseigner les aspects formels que le positionnement vis-à-vis des références citées. Par rapport à celles-ci, De Nuchèze (1998) définit deux types de posture: de réfutation qui engage dans une polyphonie concessive ou démarcative, ou de confirmation qui conduit à une polyphonie consensuelle ou confirmative. Dans les mémoires de master MEEF, «le recours aux sources extérieures (par citation directe, reformulation ou allusion) s’inscrit massivement dans “une polyphonie confirmative”» (Niwese et Schneeberger, 2019, p. 133). Dans cette polyphonie, qui sert parfois d’argument d’autorité, «les travaux auxquels il est fait référence, du simple fait qu’ils sont mentionnés, sont confirmés par le scripteur autant qu’ils sont censés le confirmer» (De Nuchèze, 1998, p. 38).

4.3 Du cadre méthodologique, de l’analyse et des résultats

Si l’objet et la problématique peuvent renvoyer au quoi et au pourquoi d’une recherche, le cadre méthodologique répondrait à son comment. Tout comme la question de recherche et le cadre conceptuel, celui-ci est constitutif de tout travail de recherche et fait partie des points qui pourraient faire l’objet d’évaluation.

Par rapport au cadre méthodologique, les questionnements peuvent porter sur les méthodologies (quantitatives, qualitatives ou mixtes), sur les techniques déployées (revue documentaire, observation directe, entretiens, questionnaires, etc.) pour collecter les données, sur le corpus (types, constitution, représentativité, cohérence) et sur les procédés d’analyse avec l’identification des observables. Les choix méthodologiques doivent être justifiés et pertinents, la pertinence étant jugée au regard des objectifs assignés à la recherche. Il reste aussi intéressant de voir si les notions interviennent dans la partie méthodologique, ce qui revient à interroger le lien qui existerait entre les cadres conceptuel et méthodologique.

Tout travail de recherche passe également par une phase d’analyse, dont les écrits de recherche peuvent rendre compte. Qu’elle soit inductive ou déductive, qu’elle procède par tri à plat ou croisé des données, l’analyse cherche à répondre à la question posée et reste idéalement irriguée par les notions et concepts. Dans le cadre de l’évaluation d’un mémoire, on pourra se demander si le cadre conceptuel est exploité dans l’analyse, si celle-ci est en adéquation avec la question de recherche et si les notions convoquées sont pertinentes. Dans les mémoires de master MEEF, Niwese et Schneeberger (2019) ont repéré quatre situations qui illustrent la manière dont les étudiantes et étudiants réussissent ou peinent à mobiliser les savoirs théoriques dans l’analyse des données. Dans la première, «les notions sont explicitement convoquées»; dans la deuxième, «on voit fonctionner un outillage théorique qui n’est pas explicitement nommé» et dans la troisième, «l’analyse des données ou la discussion des résultats semblent relever de l’intuition». Enfin, on observe, dans certains mémoires, «un surgissement de nouvelles notions non présentées antérieurement» (p. 133). Pour les résultats, on peut se demander s’ils répondent à la question posée et s’ils sont rapportés dans leur contexte de validité.

4.4 Des enjeux épistémologiques et praxéologiques

Au regard des instructions officielles, le mémoire du master MEEF doit porter sur des situations scolaires et participer au développement professionnel de l’étudiant (Wentzel, 2010; Moussi, 2019). On peut ainsi dire que les recherches conduites dans les ESPE sont principalement pragmatiques dans ce sens qu’elles visent à «trouver des solutions fonctionnelles aux problèmes de la pratique pédagogique» (Van der Maren, 1996, p. 65), problèmes qui peuvent se référer à des objets diversifiés comme l’institution scolaire et ses acteurs, les moyens et les ressources, l’enseignement et l’apprentissage, l’interaction entre les différents acteurs ou les dispositifs. Selon Moussi (2019), dans les recherches menées dans les ESPE, la population étudiante s’inscrit dans une quête de la «bonne pratique» et de la bonne recette qui fonctionne, «une logique de succès, bien loin de la logique de recherche» (p. 57). Cette quête incessante de la bonne recette expliquerait, du moins en partie, pourquoi les problématiques formulées par les étudiantes et étudiants en MEEF sont majoritairement de nature confirmatoire. Le lien étroit que les textes officiels établissent entre les questions épistémologiques et praxéologiques amène à penser qu’une partie des avis sur les mémoires peut concerner l’interaction entre la théorie et la pratique.

4.5 Des aspects linguistiques et textuels

Même si l’on peut s’attendre à ce que les aspects épistémologiques, méthodologiques et praxéologiques soient dominants dans l’évaluation d’un mémoire à visée professionnelle, on ne doit pas perdre de vue qu’un mémoire est un texte et que, de ce fait, sa production requiert des compétences linguistiques, textuelles, voire typographiques: des compétences linguistiques en lien avec le choix et l’usage du lexique (spécialisé ou non), l’orthographe lexicale ou grammaticale, la qualité et la précision de la syntaxe, etc.; des compétences textuelles renvoyant à la cohésion, à la cohérence et à la progression de l’information; des compétences typographiques se rapportant à l’emploi des éléments non verbaux comme la ponctuation et au déploiement «dans l’aire scripturale» (Dabène, 1991, p. 16), avec la gestion de la police du texte, des interlignes, des découpages en paragraphes, en sections, en chapitres, en parties, etc. Il reste donc intéressant de voir si ces différents phénomènes sont pris en compte lors de l’évaluation des mémoires.

5. Analyse et présentation des résultats

Le corpus analysé est constitué de 100 fiches de notation produites pendant les soutenances de l’année universitaire 2018-2019[5] par des enseignantes et enseignants membres des jurys issus de cinq disciplines ou regroupements disciplinaires: 20 fiches en didactique du français (FR), 19 en didactique des mathématiques (MAT), 17 en didactique des sciences (SC), 14 en didactique de l’EPS (éducation physique et sportive) et 30 en sciences humaines et sociales[6] et sciences de l’éducation (SHS/SE). Nous avons fait le choix de diversifier les domaines des savoirs pour tenir compte de la pluralité de l’offre de formation et éviter d’avoir des éléments qui seraient propres à une discipline donnée. Outre les notes attribuées aux personnes candidates, les fiches de notation contiennent des appréciations sur le mémoire et sur la soutenance[7].

Les mémoires, dont les appréciations sont étudiées dans cet article, ont été réalisés par des étudiantes et étudiants de master MEEF se destinant à être professeurs des écoles. Ces mémoires ont été élaborés dans le cadre des dispositifs d’acculturation à la recherche, déployés sur les deux années de master. Précisément, après avoir suivi des cours magistraux portant sur des questions de méthodologie générale, les étudiants s’inscrivent dans des séminaires de recherche. À la fin du master 1, ils rendent un TER (travail d’étude et de recherche) au(x) responsable(s) du séminaire suivi et, au terme du master 2, un mémoire réalisé sous la direction d’une personne enseignante chercheuse ou assimilée[8] et qui fait l’objet d’une soutenance devant un jury composé d’au moins deux personnes enseignantes, dont la directrice ou le directeur du mémoire.

Pour étudier notre corpus, nous avons procédé par une analyse qualitative (Bardin, 1977). Nous avons d’abord dégagé les thèmes, que nous appelons catégories, présents dans le corpus et comptabilisé leur occurrence. Le recensement des occurrences a été suivi d’une analyse de contenu pour déterminer ce qui est dit pour chaque thème. Pour chaque fiche d’évaluation, une catégorie n’était recensée qu’une seule fois. L’analyse thématique a permis de repérer des points récurrents dans les appréciations des membres des jurys, que nous avons regroupés en sept catégories: (i) le format, la structure et la maîtrise de la langue; (ii) la méthodologie; (iii) le cadre théorique et l’usage des sources; (iv) les objets et les questions de recherche; (v) l’analyse et les résultats; (vi) le lien avec la profession; (vii) l’engagement personnel de l’étudiante ou de l’étudiant dans le processus de production du mémoire. Vu le faible taux d’occurrences pour cette dernière catégorie, nous ne la retenons pas dans la suite de l’analyse. La figure 1 présente, dans un ordre décroissant et sans distinction des disciplines, la répartition des occurrences recensées.

Si chaque catégorie avait été mentionnée dans chaque fiche de notation par les membres des jurys, nous aurions recensé 700 occurrences. Or, seules 206 ont été repérées dans l’ensemble du corpus, ce qui représente 29,4 % des occurrences possibles. Ces résultats montrent que rares sont les mémoires dont les fiches de notation reprennent l’ensemble des aspects pouvant être évalués.

Figure 1

Distribution des occurrences par catégorie

Distribution des occurrences par catégorie

-> Voir la liste des figures

5.1 Avis sur le format, la structure et la maîtrise de la langue

Dans le corpus étudié, les avis portant sur le format, la structure et la maîtrise de la langue sont recensés dans 42 des 100 fiches. Une partie de ces appréciations renvoie à des compétences scripturales impliquant les savoirs et les savoir-faire linguistiques, textuels et typographiques. Pour cette catégorie, certains avis sont formulés de façon générale comme dans les exemples suivants:

  1. Rédaction claire (FR-1)

  2. Mémoire bien présenté et bien rédigé (SC-54, 55, 58, 60, 66, 68, 69)

  3. Un bon travail bien organisé et documenté (FR-4)

  4. Bonne structuration de l’écrit (FR-8)

  5. Document bien construit (MAT-37)

  6. Un travail très bien écrit et structuré (SHS/SE-72)

  7. Un sujet très complexe et très bien travaillé malgré des imperfections quant à la rédaction (MAT-34)

D’autres appréciations ciblent des éléments plus précis comme dans les trois exemples 8 à 10, qui relèvent les défaillances orthographiques et syntaxiques:

  1. Une relecture attentive aurait permis d’éliminer les scories orthographiques (FR-16)

  2. Le mémoire souffre d’un certain nombre d’insuffisances formelles et de structure: Bibliographie; Phrases incompréhensibles (MAT-30)

  3. Une rédaction qui doit être reprise pour corriger les nombreuses coquilles (SHS/SE-100)

D’autres, enfin, se réfèrent aux compétences génériques et sociopragmatiques. Est ainsi valorisé le fait que le mémoire réponde aux attentes que l’on peut imaginer génériques (par exemple, le découpage en parties constitutives d’un écrit de recherche) ou correspondre aux consignes institutionnelles comme le respect du nombre de pages (exemple 14):

  1. Le mémoire ne correspond pas aux attendus d’un travail de recherche (EPS-40)

  2. Travail sérieux. Répond pleinement aux attentes (EPS-50)

  3. Le document répond tout à fait à la commande et aux attendus. Il comporte des parties structurées (SHS/SE-72)

  4. L’organisation est abrupte. Les attendus en matière de longueur ne sont pas respectés. Le mémoire est trop court. La rédaction est correcte (FR-14)

5.2 Avis sur la méthodologie

Avec 40 mentions, la méthodologie est la deuxième catégorie qui rassemble le plus de retours. Outre les considérations trop larges, les appréciations en lien avec la méthodologie se rapportent principalement aux données et aux modalités d’expérimentation. Pour les données, les évaluatrices et évaluateurs valorisent ou pénalisent leur quantité, suffisante ou insuffisante (exemple 15), leur exploitation, rigoureuse ou défaillante (exemple 16) ou leur mise en relation avec les éléments du cadre théorique (exemples 16 et 17):

  1. Lectures théoriques pertinentes mais données en nombre insuffisant (FR-5).

  2. Le titre et le cadre théorique ne sont pas cohérents avec le recueil de données empiriques. Le traitement manque de rigueur (EPS-40).

  3. Les données ne sont pas référées au cadre théorique (FR-14).

L’expérimentation est en général présentée en termes évaluatifs. Elle est dite professionnelle, intéressante, cohérente, etc. Dans certaines occurrences, elle est mise en relation avec les outils ou les dispositifs mis en oeuvre. Quelques appréciations valorisent l’engagement personnel des candidates et candidats, ce qui rappelle les préconisations ministérielles en lien avec le mémoire professionnel où l’investissement dans le travail mené faisait partie des points à évaluer (Cros, 1998). Des observations d’ordre général signalent la présence d’une méthodologie et la qualifient, mais sans nécessairement indiquer ce qui est évalué:

  1. Méthodologie solide (SC-68).

  2. Le travail est bien écrit et la méthodologie clairement exposée (SHS/SE-91).

5.3 Avis sur le cadre théorique et sur les sources

Sur 100 fiches, 37 contiennent une remarque relative au cadre théorique et à l’usage des sources. La catégorie «Cadre théorique et sources» englobe des observations renvoyant aux références ou aux notions et concepts. Les avis en lien avec les références mettent en avant leur qualité (exemples 20 et 22), leur nombre (exemple 21) ou leurs fonctions (exemple 23):

  1. Un travail de qualité avec des références solides et une partie méthodologique très intéressante (SC-65).

  2. La partie théorique s’appuie sur des références intéressantes et nombreuses (MAT-28).

  3. Des lectures théoriques de qualité bien exploitées dans la réflexion (FR-15).

  4. Certaines affirmations dans la partie théorique devraient être mieux étayées par des références (MAT-27).

Dans l’exemple 23, les membres du jury évoquent l’un des rôles des références théoriques: celui d’éviter que les thèses soutenues par le scripteur ou la scriptrice transforment le mémoire en un écrit d’expression subjective. En effet, l’absence de références fait que «les positions défendues» se situent du côté «de l’opinion, de la subjectivité, voire d’affirmations gratuites, même quand elles ne sont pas dépourvues de fondement» (Lafont-Terranova et Niwese, 2012, par. 3). Outre la qualité des sources, la fin de l’exemple 22, «dans la réflexion», met en relief leur exploitation efficiente qui se traduit par une mise à distance et une attitude réflexive. Les observations ayant trait aux notions et concepts pointent, quant à elles, la capacité, pour les candidates et candidats, de se les approprier (exemple 24), de les mettre en réseau (exemple 25) et de les appréhender dans leur dimension historique (exemple 26):

  1. Un travail très sérieux fondé sur une analyse conceptuelle de qualité et une expérimentation très professionnelle (SHS/SE-97).

  2. La convocation des concepts (éléments théoriques) est riche et pertinemment articulée (FR-3)

  3. La partie théorique aurait gagné à une mise en relief historique plus poussée (SHS/SE-83).

Comme c’est le cas pour d’autres catégories, certaines remarques en lien avec le cadre théorique et avec les références sont écrites de façon large et moins précise:

  1. Un travail solide sur le plan théorique et un sujet original (FR-2).

  2. Réflexion théorique approfondie (FR-16).

Dans ces deux exemples, il est difficile de se représenter avec exactitude ce qui est évalué. Pour plus de clarté, il conviendrait de caractériser la réalité traduite par la solidité et par la profondeur du cadre théorique. Les appréciations imprécises, qui traversent l’ensemble des aspects étudiés, sont le plus souvent formulées de façon lapidaire en mobilisant des qualificatifs évaluatifs et affectifs tels que clair, pertinent, original, solide, riche, bon, abouti, maîtrisé, intéressant, sérieux, rigoureux, beau, honnête, soutenu, robuste, complet, fort, remarquable, conséquent, professionnel, exemplaire. Ces formulations conduisent, par endroits, à des associations qui peuvent être déroutantes comme dans les exemples 29 et 30 où l’adjectif «beau» qualifie la question de recherche, les hypothèses et le corpus:

  1. Une belle question de recherche. De belles hypothèses (FR‑20).

  2. Un beau corpus (FR-9).

5.4 Avis sur l’objet et la question de recherche

Les retours sur l’objet et la question de recherche apparaissent dans 32 fiches. Dans ces retours, tant l’objet que la question de recherche sont évalués par le biais de qualificatifs (original, intéressant, pertinent, ambitieux, etc.) sans que la personne lectrice ait d’éléments lui permettant de se représenter le bien-fondé de ces remarques. On pourrait dire que des formulations telles que «problématique intéressante» ou «sujet pertinent» semblent constituer des «prêt-à-évaluer» partagés par les évaluatrices et les évaluateurs dans la mesure où elles sont fréquentes et se présentent comme des formules toutes faites.

5.5. Avis sur l’analyse et les résultats

Les 28 appréciations sur l’analyse et les résultats correspondent le plus souvent à des jugements qui ne sont pas nécessairement explicités. L’analyse est, entre autres, considérée comme intéressante, robuste, conséquente, honnête, sérieuse, accessible ou, à l’opposé, comme problématique ou manquant de rigueur. Quant aux appréciations portant sur les résultats, elles sont peu nombreuses et pointent, à une exception près, des manques. Les résultats sont dits décevants, à approfondir, à détailler, à discuter, voire comme ne pouvant pas être exploités dans le cadre scolaire.

5.6. Avis sur le lien à la profession

Le lien entre le mémoire et la profession est la dernière catégorie que nous avons prise en compte. Cet aspect est mentionné dans 22 fiches. Les appréciations qui s’y rapportent peuvent être regroupées autour de la productrice ou du producteur du mémoire, de l’objet de recherche et du transfert des résultats. Pour la personne productrice du mémoire, il est, entre autres, mis en évidence que celui-ci lui a permis de cheminer vers plus de professionnalité, d’acquérir plus de maturité et de réflexivité, et d’améliorer ses gestes professionnels:

  1. Bon retour sur sa pratique (MAT-38).

  2. Une vraie réflexion professionnelle (MAT-39).

  3. Le regard sur la pratique de classe fait preuve de maturité (MAT-31).

  4. Un travail très professionnel et sérieux qui montre des qualités de réflexivité (SHS/SE-91).

Le retour réflexif sur la pratique peut passer par le choix judicieux des méthodes et des outils. Dans ce sens, dans MAT-28, il est reproché à la personne évaluée d’avoir utilisé un matériel qui n’est pas adapté au niveau de la classe: (35) «Le matériel expérimenté se prête davantage à une utilisation au cycle 2 comme on a pu s’en rendre compte dans l’analyse de la séquence». L’objet de recherche est considéré selon sa pertinence professionnelle (SHS/SE-77 et 91). Quant au transfert des résultats, les membres des jurys louent, d’un côté, l’utilité professionnelle du travail présenté (SHS/SÉ-71) et déplorent, de l’autre, la difficulté ou l’impossibilité de son exploitation à l’école: (36) «Mémoire qui rapporte une étude bien construite, mais dont les résultats sont peu exploitables dans le contexte scolaire» (SHS/SE-71).

6. Discussions et conclusion

Pour l’ensemble du corpus étudié, les retours des membres des jurys portent sur moins d’un tiers des aspects que nous avons déterminés dans l’analyse a priori, ce qui montre qu’il reste un large potentiel évaluable non pris en compte. En effet, sur les 100 mémoires dont les fiches ont été examinées, 42 sont évalués sur le format, la structure et la maîtrise de la langue, 40 sur la méthodologie, 37 sur les aspects épistémologiques et dialogiques, 32 sur l’objet et la question de recherche, 28 sur l’analyse et les résultats et 22 sur les aspects praxéologiques. Comme on le voit, autant les membres des jurys investissent relativement les aspects relevant du format et de la maîtrise de la langue ainsi que de la méthodologie, autant ils évoquent peu l’analyse et les résultats ainsi que le transfert de ceux-ci. On trouve également peu d’éléments renvoyant à la productrice ou au producteur du mémoire. L’absence du sujet scripteur est matérialisée par une énonciation qui procède par débrayage actanciel (Greimas et Courtés, 1979) avec le recours à la passivation et à la nominalisation des énoncés dans l’écriture des appréciations: (37) «Rédaction claire, lecteur bien guidée, sujet cerné, protocole adapté, corpus utilisé de manière pertinente» (FR-1); (38) «Document bien construit» (MAT-37); (39) «Mémoire solide et bonne présentation» (SC-60). Le choix de cette énonciation «désincarnée» pose la question du destinataire et de la fonction de ces évaluations. En effet, si la fiche de notation peut être consultée par l’étudiante ou l’étudiant «au même titre que ses copies d’examens» (cf. annexe 1), on peut se demander si celle-ci peut lui permettre de voir ce qu’il a réussi ou ce qui lui a fait défaut.

L’analyse thématique a permis de déterminer ce qui est dit de chacune des catégories prises en compte. Les appréciations sur le cadre théorique se réfèrent aux sources ainsi qu’aux notions et concepts. Elles valorisent ou pénalisent, pour les sources, leur nombre et leur qualité ainsi que la capacité de l’étudiante ou de l’étudiant à les exploiter de façon efficiente. Pour les notions et concepts, sont valorisées leur appropriation, leur mise en relation ainsi que la prise en compte de leur historicité. Les avis sur le format, la structure et la maîtrise de la langue portent sur les composantes de la compétence scripturale, notamment sur les savoirs génériques, linguistiques, textuels et sociopragmatiques: la structure du mémoire, l’orthographe, la syntaxe et le respect des consignes. Sont évalués, pour la méthodologie, les données (leur quantité, leur exploitation et leur mise en dialogue avec la théorie) et l’expérimentation en lien avec les outils et les dispositifs choisis. Les appréciations sur l’objet, la question de recherche, l’analyse et les résultats sont en général formulées en recourant à des modalités d’énoncé évaluatives, voire affectives. Les résultats sont par ailleurs considérés du point de vue de leur transférabilité en contexte scolaire, aspect qui est aussi valorisé dans la catégorie «Lien entre le mémoire et la profession» en même temps que le développement professionnel de la personne étudiante.

Si, dans l’absolu, le mémoire MEEF reste un outil de formation à et par la recherche, plusieurs écueils creusent le fossé entre le prescrit et le réel. Nous avons vu qu’au niveau institutionnel les contours de cet écrit ne sont pas clairement définis et que cette absence de cadrage clair est de nature à désorienter les étudiantes et étudiants ainsi que les enseignants qui les encadrent. De plus, même si une clarification sur le format et sur le contenu du mémoire MEEF était donnée, elle ne ferait pas disparaître toutes les difficultés. L’une de ces difficultés concerne le profil des étudiants entrant en master MEEF, 1er degré. Ces derniers proviennent de plusieurs horizons disciplinaires et ne connaissent pas de continuité entre leur formation en licence et celle du master MEEF. Or, il leur est demandé de produire en moins de deux ans un mémoire sur des questions didactiques ou éducatives, tâche qui nécessiterait un temps suffisamment long d’acculturation aux nouveaux concepts et notions ainsi qu’aux méthodologies propres à l’enseignement. Le deuxième problème se rapporte à la nécessité dans cette formation professionnalisante de faire dialoguer la recherche et le terrain, d’analyser et de faire évoluer la pratique enseignante à la lumière des apports scientifiques. Or, ce voeu peut se heurter à la difficulté d’encadrement des mémoires soit par des personnes enseignantes qui ne sont pas chercheuses, soit par des personnes chercheuses peu ou pas familières avec les pratiques de classes.

Les résultats présentés dans cet article sont basés sur l’analyse des fiches conservées dans les archives de l’INSPE, anonymisées avant leur exploitation, ce qui ne permet pas de compléter les appréciations des membres des jurys par les retours des étudiantes et étudiants, et constitue sans doute une des limites de cette étude. C’est ainsi que nous envisageons de prolonger cette recherche en analysant les observations des jurys sur les soutenances orales et en nous entretenant avec les formatrices et formateurs qui encadrent les mémoires ainsi qu’avec les étudiants qui les produisent. Ces entretiens permettront, d’une part, d’apprécier plus finement les retours que les enseignants font aux étudiants et de comprendre, d’autre part, la manière dont les étudiants perçoivent le mémoire, sa fonction et son évaluation. Nous affinerons enfin notre analyse en essayant de voir si les aspects privilégiés par les formatrices et formateurs ont un quelconque lien avec leurs champs disciplinaires.

Pour harmoniser et favoriser la prise en compte de la totalité des aspects identifiés dans l’analyse a priori, aspects partiellement investis par les membres des jurys, on pourrait instaurer et institutionnaliser une grille d’évaluation portant, entre autres, sur les points suivants: clarté et qualité de l’objet et des questions de recherche, cadre théorique (mobilisation et usage des notions et concepts) et son lien avec les questions de recherche, intégration des sources (positionnement et présentation formelle), pertinence et cohérence de la démarche méthodologique pour répondre à la problématique, mobilisation des éléments théoriques dans l’analyse des données, prise en compte des enjeux praxéologiques, respect des normes d’écriture scientifique, qualité et justesse de l’expression écrite. Cette grille, dont les items pourraient être évalués au moyen d’une échelle ou de notes chiffrées, servirait également d’outil de formation tant pour les formatrices et formateurs encadrant les mémoires que pour les étudiantes et étudiants qui les produisent.