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Cet ouvrage est le fruit d’un projet de recherche intitulé « Les Risques émergents de la mobilité durable – RED » conduit entre 2015 et 2020 sous l’égide et avec la participation financière de l’Agence nationale de la recherche. Les contributions ont été rassemblées sous la direction d’Hélène Régnier et Thierry Brénac. L’ouvrage est structuré en trois parties.

La première partie est composée de quatre chapitres qui établissent et mettent en évidence les cadrages dominants, les paradigmes, les référentiels et tout ce qui freine l’inscription de la mobilité durable dans les programmes politiques, dans la gestion publique territoriale, pour être plus en adéquation avec les enjeux de transition et de règlement des problèmes, des besoins des usagers. Le premier chapitre montre à quel point la mobilité est d’abord et généralement perçue comme une question économique. Le second chapitre étudie la place et le traitement des enjeux liés à la mobilité durable dans les campagnes électorales, essentiellement à partir des exemples de Caen et de Strasbourg. Le troisième porte sur l’objet concret « pedibus » pour repérer les registres de discours qui viennent légitimer ces dispositifs consensuels de ramassage scolaire pédestre où les enfants sont accompagnés par des bénévoles pour se rendre à l›école. L’auteur alimente les registres activés par les promoteurs des pedibus et met en évidence en quoi ce dispositif s’inscrit dans une logique de développement durable. Enfin, le dernier article de cette partie propose une analyse rétrospective du projet de piétonnisation parisien, dit Berge de Seine rive droite. Il s’agit de repérer les arguments utilisés pour justifier ce projet et leur évolution dans le temps, en s’appuyant notamment sur l’étude d’impact.

La deuxième partie de l’ouvrage est composée de quatre chapitres qui portent sur le développement des aménagements en faveur de la mobilité durable, vu au prisme de leurs effets sur le niveau de sécurité du système de circulation et sur la sécurité des usagers. Dans le premier chapitre, il est question de la distribution spatiale des accidents de la circulation à partir des agglomérations de Strasbourg et Caen, en France, en considérant ces accidents comme la manifestation de conflits d’usage dans l’espace public. On y propose de cartographier ces incidents à différentes périodes. Dans le chapitre suivant, les auteurs se saisissent de cet enjeu en s’interrogeant sur l’incidence des aménagements en faveur des transports collectifs, sur la sécurité des déplacements. La mise en place de politiques de lutte contre l’automobile dans le centre des villes est l’objet du troisième chapitre, qui porte un regard sur les deux-roues à moteur pour faire le point sur la place que représente ce mode dans la nouvelle dynamique des mobilités. De façon complémentaire et pour terminer, le dernier chapitre vient documenter les mécanismes spécifiques des accidents des deux-roues motorisés en milieu urbain, avec la connaissance rétrospective d’un certain nombre d’accidents et des risques inhérents à cette pratique.

La troisième partie comporte également quatre contributions, cette fois sur les transformations qu’induisent les aménagements de la mobilité durable dans les espaces urbains et les représentations et pratiques de ces espaces par les usagers, de même que sur leur ergonomie. Le premier chapitre s’ouvre sur l’étude rétrospective du projet de semi-piétonnisation du vieux port de Marseille. Il permet de lever l’ambiguïté autour de la notion de  « semi » en mettant en évidence les choix stratégiques faits et l’observation de la mise en oeuvre de la stratégie, au plan tactique, dans la concrétisation de l’espace marseillais resserré et élargi. La deuxième contribution questionne et confronte les représentations des conducteurs et des piétons sur différents types d’environnements de voirie de centre-ville. Puis les auteurs du troisième chapitre se penchent sur les aménagements des espaces publics à l’insertion des réseaux de tramway. Le propos met en évidence la façon dont s’est traduite la réintroduction du tramway en France, lors d’aménagements en site propre, justifiés par l’argument de la garantie des temps de parcours des transports publics. Les auteurs s’interrogent sur cette fonctionnalisation et sur la spécialisation croissante des espaces de circulation ; ils se demandent si ce choix ne fait pas courir le risque d’une réduction excessive des possibilités d’usage de l’espace viaire. Enfin, le dernier chapitre propose un cadre conceptuel opératoire pour l’ergonomie spatiale et analyse l’incidence des aménagements en faveur de la mobilité durable sur l’accessibilité aux ressources nécessaires à la vie quotidienne des habitants. Et cela, notamment à partir de l’exemple de l’Eurométropole Strasbourg.

En conclusion, les changements climatiques, dont l’origine anthropique fait aujourd’hui consensus, placent les sociétés dans une situation d’urgence environnementale. Dans ce contexte, inscrire les politiques locales de mobilité dans une perspective de développement durable est évidemment légitime. Les articles rassemblés dans cet ouvrage démontrent toutefois que ces politiques ne doivent pas échapper à un examen critique de leurs tenants et aboutissants, sous peine de conséquences non souhaitées et de la mise en évidence d’un certain nombre de risques : risques de l’inefficacité et du dévoiement, risque de n’être qu’une coloration du discours politique ou d’un habillage d’une action publique dont les motifs réels sont ailleurs.

Devant ce constat, différentes perspectives semblent se dégager de l’examen de la lecture. Pour un certain nombre de chercheurs, la possibilité d’inscrire les politiques locales d’urbanisme et de mobilité dans un cadre de développement durable ne semble pas remise en cause, des voies d’amélioration étant envisageables. Un préalable consisterait à appréhender la mobilité durable comme une question prioritairement politique, en évitant de la réduire au statut d’instrument au service des objectifs d’attractivité et de compétitivité. En outre, on pourrait attendre une plus grande efficacité des stratégies de report de l’automobile vers d’autres modes de transport, ainsi qu’une meilleure cohérence de l’action publique en matière d’offre de transports publics urbains et régionaux, de gestion de l’accès automobile à la ville et de planification conjointe de l’urbanisme et des transports.

Mais d’autres auteurs considèrent que les potentialités de report de l’automobile vers d’autres modes de déplacement sont limitées et que la planification de l’urbanisme n’est pas en mesure de répondre aux enjeux environnementaux. La planification de l’usage des sols n’apparaît donc ni comme un instrument suffisamment puissant au regard des forces qui portent l’étalement urbain pour contribuer à la réduction de la demande de circulation, ni comme un instrument adapté pour contrer le développement des trafics interurbains quotidiens, qui constituent une forme nouvelle et subtile d’étalement fonctionnel.