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Cet ouvrage d’un grand intérêt établit une longue synthèse des 50 dernières années de politique territoriale au Québec, à travers 14 chapitres d’auteurs différents, regroupés en 3 parties : le chemin parcouru (partie 1), perspectives (partie 2), outils (partie 3). Précède une introduction qui pose avec justesse les grands débats ayant cours au Québec ces dernières décennies, autant sur les défis d’organisation administrative émanant de l’État fédéral, que ceux affrontés à différents niveaux locaux de décision, en mettant en mouvement l’ensemble des acteurs institutionnels et économiques, des corps intermédiaires et des communautés habitantes. Les thèmes mis en avant dans cette introduction et dans l’ensemble de l’ouvrage résonnent avec les questions soulevées dans d’autres contextes territoriaux, notamment dans les pays européens, ce qui en souligne aussi l’actualité et l’intérêt scientifique du moment.

Ces thèmes peuvent être synthétisés, de manière transversale, en 10 grands domaines : les interrogations sur l’efficacité des pôles de croissance et leurs liens avec l’arrière-pays ; les relations à construire entre des « territoires-laboratoires » favorisant les actions de développement endogènes et le « mécano » des modalités de décentralisation administrative que le Québec a déployées en continu depuis une quarantaine d’années ; les hésitations dans le pilotage de la démocratisation des formes de gouvernement et de gouvernance entre le niveau étatique et les structures de proximité ; la question de la pertinence des différents découpages territoriaux ; la place des grandes filières de ressources mondialisées dans ces processus ; le devenir des territoires ruraux périphériques et les risques d’aggravation de leur marginalisation ; l’avenir des modes de coordination verticaux et horizontaux ; l’apport et les limites de la mise en oeuvre des projets locaux de développement ; la construction pas à pas de politiques publiques de l’innovation, dans des domaines classiques comme la mobilité ou en matière de diffusion des savoirs de la part d’établissements supérieurs et de recherche ; l’émergence progressive de dispositifs de concertation entre les acteurs politiques et les acteurs de la société civile.

Le premier chapitre, à caractère historique, déploie une démarche critique sur la question des périmètres administratifs, en montrant le risque de leur capacité d’instrumentalisation pour répondre aux défis entremêlés des dynamiques institutionnelles, fonctionnelles et identitaires. Le deuxième chapitre analyse de manière convaincante le long processus du « cheminement vers le local » des politiques territoriales au Québec, après une critique documentée de la théorie des pôles de croissance, d’un côté, et des stratégies étonnamment concordantes concernant le développement local, entre entreprenariat et équité, de l’autre. Le troisième chapitre présente une lecture de l’organisation de la planification territoriale au Québec, en insistant sur la nécessité de s’appuyer, aujourd’hui, sur les capacités d’apprentissage collectif et d’engagement en faveur de l’innovation sociale, et pour s’assurer que les acteurs locaux du développement s’investissent en faveur de l’inclusion sociale tout en s’ouvrant aux partenariats avec des réseaux non locaux. Le quatrième chapitre décortique les tensions nées du bilan des fusions municipales et des expériences supramunicipales, et établit ainsi un tableau critique de l’action des municipalités régionales de comté face aux efforts non aboutis d’organisation territoriale régionale de plus grande ampleur.

Le cinquième chapitre, qui inaugure la deuxième partie, observe les dynamiques territoriales du Québec « face à ses territoires émergents et déclinants », en insistant sur les défis fonciers qu’elles recouvrent, les difficultés de contenir l’étalement résidentiel, l’utilité [à discuter] dans cette optique d’instaurer des péages urbains. Dans le chapitre suivant, l’auteur insiste sur « le message (…) sans cesse martelé », d’associer aménagement et transports pour conditionner la réussite des politiques de développement territorial. Pour lui, ce message est, d’une part, trop souvent ignoré et doit, d’autre part, être renforcé par une attention plus grande à porter au nécessaire équilibre entre des modes de mobilité plus variés, en concevant de véritables chaînes de transport au sein des schémas d’aménagement. L’auteur plaide pour un pilotage de ce secteur stratégique par le ministère des Transports et de la Mobilité durable, option dont on peut discuter de l’efficacité.

Le chapitre VII établit une comparaison sur cinq décennies des politiques territoriales menées au Québec et au Brésil, pour souligner la remise en cause, dans les deux cas, des modèles « descendants » de la mise en oeuvre de ces politiques, au profit de processus de concertation avec la société civile, plus accentués au Brésil où ont été inventés les budgets participatifs, et plus orientés vers les processus de développement local au Québec, empreints de processus d’autonomisation (empowerment) au profit de territoires locaux décrits comme des creusets d’initiatives, valorisant l’image du « maire-entrepreneur ». Le huitième chapitre porte sur l’action d’un grand acteur économique et financier de dimension nationale – Investissement Québec – dans son rôle d’appui aux dynamiques locales à travers les résultats concrets qu’ont pu obtenir ses 17 centres régionaux, accompagnant ainsi l’approfondissement de la décentralisation. Le chapitre IX analyse une situation territoriale périphérique, celle du Saguenay–Lac-Saint-Jean, où les disparités de toute nature vis-à-vis des grands centres urbains se sont maintenues, voire accentuées, au-delà des mesures d’austérité de la dernière décennie. Ce chapitre permet à l’auteur de pointer les « impuissances » de la politique territoriale du Québec face à l’exode des jeunes de ces espaces, face au vieillissement continu de la population, au manque d’emplois, à la disparition d’un certain nombre de services et surtout au « manque de moyens pour mettre en valeur les ressources des communautés ».

Les quatre derniers chapitres qui charpentent la troisième partie insistent sur les tentatives de réponses des autorités nationales et locales aux défis présentés précédemment. Dans le chapitre X, on montre l’intérêt progressif des décideurs locaux à revivifier une agriculture de proximité, tout en regrettant que cela ne se traduise pas par une gouvernance partagée entre les milieux institutionnels et agricoles. Le chapitre suivant souligne l’importance de l’implantation de centres de services pour dynamiser le profil des petites villes au Québec et ainsi renforcer leur rôle de polarisation sur leur arrière-pays. Le chapitre XII dissèque la difficulté de s’appuyer sur les « multiplicateurs économiques » pour transformer la structure économique des « régions-ressources » du Québec. Le chapitre XIII décrit de manière complète l’importance de structures comme les centres collégiaux de transfert de technologie pour diffuser les savoirs et instaurer des modalités de médiation des savoirs scientifiques avec la population et les décideurs locaux, ainsi que les contributions de ces centres à une « culture de l’innovation en continu ». C’est de ce soutien à des formes d’innovation qu’il est question dans le dernier chapitre, et aussi du nécessaire appui des instances universitaires en la matière, au profit de la constitution souhaitée de « communautés apprenantes ». Une typologie inédite des formes d’engagement universitaire est discutée dans ce passage et constitue un apport indéniable de cet ouvrage.

Au total, cette synthèse nuancée, critique et constructive, dévoilant parfois une prise de position personnelle des auteurs, toujours argumentée, est à recommander, car elle enrichit une thématique dont les contours ne cessent de stimuler la communauté scientifique et bien au-delà.