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1. Une réorganisation territoriale porteuse d’enjeux de repositionnement pour l’échelon municipal

Les sciences de l’information et de la communication ont mis en évidence le fait que les étapes de décentralisation ont pour conséquence une modification des stratégies de communication des collectivités territoriales (Bouquillion et Pailliart, 2003; Raoul, 2003). L’analyse que nous allons développer prend pour objet d’étude le repositionnement des politiques de communication municipales engendré, en France, par le renforcement politique et territorial des Métropoles. Les échelons métropolitains, issus de la loi du 16 décembre 2010, ont été successivement renforcés par la loi Maptam du 27 janvier 2014, dite de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, puis par la loi NOTRe, du 7 août 2015, portant sur la nouvelle organisation territoriale de la république. Ces deux évolutions de l’organisation territoriale française amènent les Métropoles à devenir les pivots majeurs du développement territorial au côté de l’échelon régional (Thomas, 2015). Imposées par l’État sur des territoires définis et constituées d’une hétérogénéité sociale, géographique et politique, les Métropoles sont désormais dotées des principales compétences politiques en lieu et place des communes. Ainsi, le territoire français compte 22 Métropoles au premier janvier 2021. Celles-ci sont chargées de mettre en œuvre l’ensemble des compétences politiques dévolues aux intercommunalités, auxquelles s’ajoutent des compétences structurantes pour le territoire, en lieu et place des communes et des départements. Toutefois, et bien que présentées par le législateur comme une opportunité d’alléger le « millefeuille territorial français » et de répondre aux enjeux économiques mondialisés, ces réformes sont également qualifiées de réformes « au milieu du gué » (Duranthon, 2017) par les observateurs de l’organisation territoriale. En effet, le développement des Métropoles françaises, fondé sur le principe de « big is beautiful » (Doré, 2018), selon lequel l’urbain deviendrait la seule voie de levier possible de développement face à des dynamiques mondiales reconfigurées (Torre et Bourdin, 2016, p. 14-16), s’accompagne d’incertitudes importantes quant aux évolutions institutionnelles à venir. Qu’il s’agisse de la remise en cause probable du principe de subsidiarité entre les collectivités locales (Le Hervert, 2013, p. 257), de la remise en cause de la répartition des compétences politiques entre les échelons territoriaux, ou de l’éventuelle élection des représentants métropolitains dans le cadre d’un suffrage universel direct indépendant du scrutin communal[1], les questionnements en cours vis-à-vis de l’organisation territoriale française maintiennent les collectivités locales dans une attente d’arbitrage de la part de l’État. Mises en œuvre dans le prolongement de plusieurs phases de modernisation de l’action publique française, telles que la révision générale des politiques publiques, en 2007, ou de modernisation des politiques publiques, en 2012, ces différentes réformes bousculent les pratiques de communication et de positionnement des organisations publiques (Gardère, Bessières, 2020, p. 9). Les tensions et incertitudes qui pèsent sur l’avenir des collectivités locales, tant sur le point de leur capacité d’agir politique, que sur le point de leurs ressources financières ou de leur articulation entre elles font apparaître de nouveaux enjeux pour les politiques de communication des échelons territoriaux. En effet, l’émergence des Métropoles révélatrice « d’une mutation de l’urbain dans le cadre de la mondialisation » (Raoul, 2020, p. 134) « témoigne d’une nouvelle manière de penser l’échelle institutionnelle locale » (Raoul, 2020, p. 89) et impose aux autres échelons territoriaux de légitimer le maintien de leur capacité d’agir politique. Nous avons formulé l’hypothèse selon laquelle l’attente d’arbitrages concernant les compétences et prérogatives à venir des différents échelons territoriaux encourage les échelons municipaux à démontrer leur légitimité vis-à-vis de la montée en puissance métropolitaine. Cela les amène à développer des politiques de communication destinées à montrer leur capacité à conduire les actions de politiques publiques de manière autonome sur leur territoire. Après avoir présenté le cadre théorique dans lequel s’inscrit cette recherche et la méthodologie mise en œuvre, nous mettrons en évidence la manière dont la montée en puissance des Métropoles s’accompagne de politiques de communication municipales visant à légitimer la capacité d’agir politique des communes par une mise en opposition de l’échelon communal à l’échelon intercommunal. Nous caractériserons ensuite trois stratégies de communication municipales engendrées par le renforcement intercommunal. En conclusion, nous questionnerons les conséquences de ce positionnement pour les territoires métropolitains.

2. La contribution des productions communicationnelles dans la construction sociale des territoires

Cette étude s’inscrit à la suite des recherches portant sur la communication des collectivités locales et territoriales, telles que celles menées par Isabelle Pailliart (1993), Christian Le Bart (2000), Julien Auboussier (2012), Isabelle Garcin-Marrou et Isabelle Hare (2015). Ces recherches nous amènent à envisager le territoire comme un objet communicationnel (Raoul, 2020, p. 191) et démontrent la contribution des productions de communication institutionnelle à la construction sociale des territoires (Pailliart, 1993, p. 117). Ainsi, les travaux de ces chercheurs révèlent le fait que les journaux institutionnels territoriaux maintiennent « la fiction d’un espace communal, clairement délimité, non problématique, naturel » (Le Bart, 2000). Inscrits dans une « logique de promotion territoriale » et « le désir de faire territoire » (Auboussier, 2012), les journaux municipaux tentent de répondre à la fragmentation de l’espace urbain au cours des différentes évolutions institutionnelles (Auboussier et Garcin-Marrou, 2012). Un procédé qui se matérialise, notamment, au moyen de « récits mythologiques » (Le Bart, 2000, p. 178) et de « figures totémiques » (Le Bart, 2003, p. 109). Ces acquis en sciences de l’information et de la communication permettent de comprendre la manière dont des « pratiques discursives et iconiques instituent des territoires, comment les pratiques médiatiques instituent aussi des acteurs et des espaces, et comment des rapports de domination traversent ces pratiques et les informent » (Garcin-Marrou, 2019, p. 166). Enfin, des recherches ont mis en évidence la jonction fine entre communication publique et communication politique (Miège, 2010, p. 111). Celles-ci mettent en exergue le fait que l’activité discursive des institutions publiques est mobilisée au service de l’exercice du pouvoir (ibid., p. 110). En effet, si l’information des citoyens apparaît comme une condition du bon fonctionnement de la démocratie locale, elle est également mobilisée pour faciliter la bonne administration locale (Gardère, Lakel, 2009) et sert des enjeux de concurrence entre les différents échelons publics d’un même territoire (Huron et Spieth, 2009; Houllier-Guibert, 2011). En ce sens, l’étude des politiques de communication des organisations publiques permet d’observer les logiques « englobant les pratiques sociales » (Bessières, 2013) et les « systèmes de domination » (ibid.) qui visent à faire apparaître comme allant de soi l’ordre institutionnel des collectivités territoriales, issues par nature d’un découpage politique artificiel (ibid.). Ainsi, la communication, envisagée comme « un système de légitimation largement monopolisé facteur de domination » (ibid.), opère un travail de mise en cohérence symbolique des institutions, assoit l’autorité du pouvoir politique (ibid.) et produit une acceptation de l’organisation institutionnelle par la population locale. À partir de là, l’observation des traces discursives du « monde social » (Ollivier-Yaniv, 2014) métropolitain permet de mettre en évidence la manière dont les acteurs s’accordent ou s’affrontent pour tracer des frontières symboliques (ibid.) et cherchent à légitimer et normaliser leur capacité d’agir politique en opérant une « régulation des représentations » (Ollivier-Yaniv, 2013, p. 111). En ce sens, l’analyse d’éditoriaux de journaux municipaux, identifiés comme le lieu où la représentation politique s’adosse à un certain nombre de croyances, telles que la légitimité de l’élu à incarner et représenter le territoire communal (Le Bart, 2000, p. 178), permet de comprendre la manière dont des stratégies de communication tentent de répondre à la perte de pouvoir municipal opérée par le renforcement intercommunal.

3. La mise à jour des dynamiques de repositionnement communales par l’analyse d’éditoriaux de journaux municipaux

Le premier éditorial annuel, traditionnellement consacré à la présentation des vœux, représente un espace d’expression politique privilégié du maire concernant les projets et évolutions en cours. En effet, le discours des vœux, envisagé comme « rituel institutionnel et politique » (Leblanc, 2017, p. 25), apparaît comme un espace discursif qui permet de saisir l’ordre de l’activité politique et sociale de celui qui l’incarne (ibid.). Cette recherche, qui a été menée dans le cadre de notre travail de thèse portant sur les politiques et les stratégies de communication à l’œuvre dans les territoires métropolitains[2], avait pour but d’observer l’évolution des postures mayorales au fur et à mesure de la montée en puissance métropolitaine, au travers de l’évolution des thématiques et du traitement du fait intercommunal dans leurs éditoriaux municipaux. Nous avons pris pour terrain d’étude les territoires métropolitains grenoblois et nantais. Ces deux territoires ont été désignés par l’État français pour faire partie des 14 premières intercommunalités transformées en Métropole, en 2014, dans le cadre de la loi Maptam. La prise en compte des espaces métropolitains nantais et grenoblois a été motivée par le fait que ceux-ci comportaient à la fois des similitudes et des divergences. Ainsi, bien que ces deux Métropoles apparaissent comme similaires, du point de vue de leur date de création, leur caractère hétérogène, du point de vue de leur structuration politique, nous a permis de confirmer les résultats obtenus par les analyses de corpus. La Métropole nantaise représente, en effet, une intercommunalité historiquement plus intégrée que la Métropole grenobloise, qui n’a pas eu auparavant le statut de Communauté urbaine[3]. De même, l’intercommunalité grenobloise n’a jamais été, à ce jour, présidée par le maire de la ville centre, tel que c’est le cas dans le modèle nantais.

Une analyse des éditoriaux des premiers journaux municipaux de l’année des 49 communes de la Métropole grenobloise, parus en 2003, 2005, 2015 et 2018[4], a été réalisée d’une manière lexicométrique. Le corpus d’éditoriaux a été mis en forme pour le logiciel Iramuteq en prenant en compte cinq variables : l’année de parution (2003, 2005, 2015 et 2018); le nombre d’habitants; la position de la commune vis-à-vis de la ville centre et la présence (ou non) d’un représentant dans l’exécutif de la Métropole. La classification descendante hiérarchique de Reinert (1983), réalisée avec le logiciel Iramuteq, permet d’identifier les thématiques et de caractériser les espaces conceptuels (Marty, 2015) significativement présents dans le corpus. Cette analyse statistique a été accompagnée de l’observation des éditoriaux dans leur ensemble afin de prendre en compte le sens de l’acte d’énonciation et d’en permettre une meilleure intelligibilité (Marty, 2015). Un second corpus a été constitué des premiers éditoriaux annuels de Nantes et de Vertou (une commune de la Métropole nantaise) parus les mêmes années que le corpus grenoblois. Le corpus nantais a fait l’objet d’une analyse de contenu (Bardin, 1997, p. 45) dans une approche discursive (Krieg-Planque, Oger, 2010) en partant de l’idée selon laquelle « l’analyse du discours porte un intérêt spécifique à la question de la légitimation des institutions, en insistant sur le système de contraintes qui s’exerce sur l’énonciation » (Krieg-Planque, Oger, 2010). Nous avons observé les thématiques évoquées, le positionnement du locuteur dans l’éditorial (Maingueneau, 2012, p. 97) ainsi que la mise en espace du texte et l’iconographie (ibid., p. 74). Nous avons pris en compte le ton qui donne de l’autorité à ce qui est dit et permet au lecteur de construire une représentation du corps de l’énonciateur (Maingueneau, 2012, p. 89). Ces deux méthodes d’analyses avaient pour but de faire apparaître les dynamiques de production des discours (ibid.) et de mettre en évidence le processus d’institution, entendu comme « action d’établir » (Maingueneau, 2010), opéré par les éditoriaux des journaux municipaux. La confrontation de deux approches méthodologiques, discursive et lexicométrique, nous a permis de confronter et de confirmer nos résultats.

4. La mise en opposition de la commune à l’intercommunalité dans les éditoriaux municipaux

L’échelon métropolitain, qui représente le niveau le plus intégré d’intercommunalité et qui répond à de fortes attentes étatiques en matière de développement économique sur le plan local, national et international rencontre, en parallèle, différentes formes d’oppositions de la part des échelons territoriaux avec lesquels il se superpose. L’étude, ici développée, met en évidence la manière dont les communes procèdent à une mise en cohérence symbolique (Bessières, 2013) de leur espace d’action politique au travers de stratégies de communication visant à opposer l’espace communal à l’espace métropolitain. Cette mise en opposition cherche à répondre à la fragmentation de l’espace urbain (Auboussier et Garcin-Marrou, 2012) en faisant apparaître la fiction d’un espace communal comme naturel (Le Bart, 2000), d’une part, et cherche à démontrer une capacité d’agir politique mayorale, fragilisée par la montée en puissance intercommunale, d’autre part. Ainsi, la mise en avant des spécificités de l’espace municipal et de l’action mayorale, que nous avons relevée, met en évidence la fonction instituante et d’idéalisation communale des publications municipales telles que mises à jour par les recherches d’Isabelle Pailliart (1993), de Christian Le Bart (2000), de Julien Auboussier (2012) et d’Isabelle Garcin-Marrou et Isabelle Hare (2015). Une idéalisation mobilisée au service de la délimitation du groupe (Le Bart, 2000, p. 178) communal qui fait apparaître les éditoriaux municipaux comme des remparts contre l’absorption hégémonique d’une intercommunalité présentée comme menaçante.

Nous avons observé que cette tendance d’opposition s’appuie sur différents procédés lexicaux mis en évidence par les analyses réalisées. Le dendrogramme (figure 1), généré par le logiciel Iramuteq, donne une traduction visuelle des classes de sens caractéristiques et des thèmes dominants (Saigh et al., 2017) du corpus d’éditoriaux en révélant un réseau de signification (Marty, 2015).

Figure 1

Dendrogramme obtenu à partir de l’analyse de l’ensemble du corpus d’éditoriaux constitué sur la Métropole grenobloise

Dendrogramme obtenu à partir de l’analyse de l’ensemble du corpus d’éditoriaux constitué sur la Métropole grenobloise

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Chaque classe lexicale est formée par un « regroupement des formes significativement cooccurrentes à l’intérieur de la matrice formée par les segments » (Marty, 2015). En procédant à un découpage des textes en segments, puis au moyen de la construction d’un tableau lexical à double entrée qui croise ces segments avec l’absence ou la présence des formes pleines qui les composent, la classification lexicale nous délivre les classes lexicales significativement présentes (Marty, 2015) dans le corpus d’éditoriaux. Cette analyse permet de mettre à jour les « mondes lexicaux » (ibid.) significatifs des éditoriaux municipaux en révélant, non pas uniquement des signifiants, mais un réseau de signification (ibid.). De cette manière, le dendrogramme rend compte graphiquement des différents univers lexicaux, mobilisés de manière significative, dans le corpus, mais également des liens qu’ils ont entre eux. La taille des formes lexicales fournit une indication visuelle sur la fréquence de leur utilisation par rapport aux autres. Le pourcentage affiché indique la proportion qu’occupe chaque classe dans les données classées. Les liens qui relient les différentes classes indiquent les imbrications qu’elles ont entre elles. Les nuages de mots donnent une traduction visuelle des cinq mondes lexicaux (Marty, 2015) significativement présents dans le corpus d’éditoriaux municipaux du territoire métropolitain grenoblois.

Figure 2

Nuages de mots représentant les classes lexicales du corpus grenoblois

Nuages de mots représentant les classes lexicales du corpus grenoblois

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La classe 1 représente les termes associés à la métropolisation. Le dendrogramme nous indique que 14,1 % des formes analysées dans les éditoriaux sont associées à la Métropole, aux transferts de compétences, ainsi qu’aux liens qui régissent les relations de la commune à l’intercommunalité. Cette classe est notamment composée des formes « compétence », « métropole », « transfert », « agglomération », « devenir », « passage », « économique », « transition » et « obligatoire ».

La classe 2 s’apparente à la défense communale. Elle représente 12,2 % des termes analysés. Les formes lexicales « défendre », « harmonieux », « peser », « identité », « électeur » sont également associées au nom de « Jacques Nivon ». Le retour au texte montre que le nom du représentant du groupe politique métropolitain, Agir pour un Développement Intercommunal et Solidaire (ADIS), est fréquemment cité dans les éditoriaux des journaux municipaux lors de l’évocation de la défense des intérêts communaux au sein de la Métropole. Le président du groupe ADIS incarne l’action de protection des prérogatives municipales menée par les élus au sein de la Métropole. Ainsi, cette classe associe des verbes relatifs à la défense des intérêts communaux tels que « renforcer », « rappeler », « conserver », « garantir », « rester » à des termes renvoyant au bien-être, à la proximité locale et au lien social, tel que « solidaire », « harmonieux », « humain » ou encore « appartenir ».

La classe 3 correspond à la célébration des vœux. Les éditoriaux analysés étant issus des premiers journaux municipaux de l’année, cette classe est marquée par la forte présence des termes d’usages de présentation des vœux dans les éditoriaux. Toutefois, la classe 3 se compose également de termes renvoyant au registre de l’émotionnel et du lien. Ainsi, les termes « souhaiter », « santé », « bonheur », « année », « vœux », « cérémonie », relatifs à la nouvelle année, sont mobilisés dans les éditoriaux en lien avec des termes tels que « plaisir », « sincère », « générosité », « solidarité », « joie », « passion », « proche ». Ces termes qui relèvent du champ lexical de l’émotionnel renvoient à l’expression d’une proximité relationnelle de la part des maires signataires des éditoriaux, vis-à-vis de leurs administrés. Bien que cette classe soit la plus importante du corpus en taille, le dendrogramme met en évidence le fait qu’en dépit de la période de diffusion, la présentation des vœux n’est pas le sujet majeur des éditoriaux, puisqu’elle ne représente que 26 % des termes analysés, à part presque égale, avec la classe 5, relative à l’action communale de proximité qui concerne 25,9 % des formes analysées.

La classe 4 est constituée d’un vocabulaire technique de l’environnement territorial. Elle représente 21,9 % des formes analysées. Cette classe lexicale est relative à la programmation ainsi qu’à la planification politique. La classe 4, composée de termes et de thématiques relevant de la gestion et du développement territorial, tels que « plan », « travail », « étude », « élaboration », « aménagement », « structure » est caractérisée également par des termes renvoyant aux compétences métropolitaines et intercommunales telles que « logement », « déplacement » et « urbanisme ».

La classe 5 correspond à l’action communale de proximité, au service des citoyens. Elle représente 25,9 % des termes analysés. Il y est question de services publics en lien avec l’école, la jeunesse et la vie associative qui sont des compétences qui relèvent de la commune. Associés à des verbes tels que : « appuyer », « intéresser », « préserver », « aboutir », « bâtir », « participer », « remercier », les termes de cette classe mettent en avant l’action municipale au service du quotidien des administrés. Les humains concernés sont très présents dans cette classe, au travers de l’emploi de termes tels qu’« élu », « parent », « enseignant », « élève », « bénévole ». La présence significative de cette classe de mots dans les éditoriaux montre la mise en avant de l’action de la municipalité au travers de la forte présence de termes tels que « effort », « aboutir », « choisir », « qualité ». Regroupant également des termes relatifs à l’action politique municipale, cette 5e classe est constituée de l’univers lexical des services publics municipaux. Elle se situe toutefois dans un autre registre que la classe 4, composée de l’univers lexical du développement, à laquelle elle apparaît liée dans le graphique. Le dendrogramme (figure : 1) révèle deux formes de confrontation dans le corpus d’éditoriaux en indiquant les liens des classes entre elles : une confrontation de la classe 1 (relative à la métropolisation) à la classe 2 (relative à la défense communale) ainsi qu’une confrontation de la classe 4 (relative aux actions politiques de développement) à la classe 5 (relative aux services de proximité). La mise en évidence de l’association de ces classes entre elles fait apparaître la manière dont la confrontation de l’échelon communal à l’échelon intercommunal est mobilisée au service de la construction d’un collectif communal (Noyer, Raoul, 2013, p. 12) et de la légitimation de la capacité d’agir politique des municipalités vis-à-vis de l’intercommunalité. Ainsi, le territoire communal, caractérisé par la mobilisation du champ lexical de la proximité, de l’harmonie, du lien et de la simplicité, est mis en opposition avec le territoire métropolitain, caractérisé par le champ lexical du développement, de la complexification, et de l’éloignement dans les éditoriaux municipaux. Le retour aux textes des éditoriaux permet en effet d’observer que le positionnement communal vis-à-vis de la Métropole se traduit par une mise en confrontation entre l’échelon métropolitain, présenté comme technocratique, et l’échelon communal, présenté comme démocratique. Nous illustrerons ce propos par deux extraits de l’éditorial du journal municipal d’une commune de la seconde couronne grenobloise paru en 2015. Cet exemple illustre la mise en opposition entre le caractère complexe de la Métropole avec la notion de proximité, érigée en fondement des spécificités de la relation entre la municipalité et ses administrés :

La métropolisation doit être mise en place parce que c’est l’intérêt de chacun et sur le principe, j’y adhère. Mais je considère comme une menace cette tendance qui nous amène à basculer dans le débat technocratique. Moins les citoyens comprendront ce qu’il se passe en termes d’impact sur leur vie quotidienne, plus les technocrates s’empareront du sujet.

L’emploi de la conjonction de coordination « mais » marque ici l’expression de l’opposition municipale à la prise d’ascendance métropolitaine au nom de la transparence des décisions politiques vis-à-vis de citoyens (assurée implicitement par l’échelon communal) et du refus de la technocratisation, un élément qui apparaît encore dans la suite de l’éditorial :

Mais comment demander aux citoyens de se positionner sur la Métropole si on ne leur parle que d’EPCI, de loi MAPTAM, de CGCT, de TA, de CAF, de CLECT ou d’autres barbarismes insaisissables ! C’est pourquoi j’ai voulu, au travers de ce bulletin municipal, vous expliquer l’enjeu qui est le nôtre : création d’emplois, déplacements, proximité avec les citoyens, maîtrise de la fiscalité […].

En employant le terme « barbarisme » pour qualifier le langage métropolitain et les acronymes qui l’accompagnent, le maire de la commune produit une mise en opposition de la complexité et de l’opacité intercommunale avec le caractère accessible de la gestion municipale. La Métropole, présentée comme insaisissable, est alors opposée aux préoccupations municipales de « proximité », de « transparence » et de « maîtrise des dépenses ». La question budgétaire représente une thématique fortement mobilisée dans la mise en confrontation de l’échelon communal à l’échelon métropolitain par les éditoriaux analysés. Un élément qui transparaît, par exemple, dans ces extraits d’éditoriaux de deux communes rurales de l’agglomération grenobloise, parus en 2018 :

Le passage en Métropole au 1er janvier 2015 a généré un chantier colossal lié au transfert des compétences obligatoires : transfert de compétences qui n’est pas sans une lourde incidence financière sur la commune ! (extrait 1).

[…] Autre sentiment également largement partagé et constat plutôt ennuyeux, plus on mutualise, et c’est normalement le but des Métropoles de faire ainsi des économies d’échelle, plus les prix augmentent : eau, assainissement, ordures ménagères, entretien de la voirie, sans amélioration notable du service. Difficile à comprendre pour tous les citoyens et pour les élus. Il faut donc faire en sorte de solutionner au mieux ces problèmes. La Métropole exerce donc, comme je le rappelais l’an dernier des compétences essentielles exercées jusque-là par la commune ou des syndicats intercommunaux spécialisés contrôlés par les communes (extrait 2).

Ces deux exemples illustrent la manière dont le processus de métropolisation est présenté, dans les éditoriaux municipaux, par le prisme des contraintes financières et de la complexification engendrées par les transferts de compétences entre l’échelon communal et l’échelon métropolitain. La poursuite de l’analyse lexicométrique permet d’observer l’évolution des stratégies de communication municipale et la manière dont le maire incarne le territoire communal (Le Bart, 2000, p. 178) dans une posture oppositionnelle et défensive, au fur et à mesure de la montée en puissance politique et territoriale de l’intercommunalité, génératrice d’une perte de pouvoir politique communal.

Figure 3

Représentation des classes lexicales dans les éditoriaux municipaux selon les années

Représentation des classes lexicales dans les éditoriaux municipaux selon les années

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En effet, le graphique diachronique (figure : 3), qui met en évidence l’évolution de la mobilisation des différentes classes lexicales selon les années montre que la métropolisation (classe 1) et la défense communale (classe 2) ont été fortement mobilisées, de manière concomitante, en 2015, une année marquée par la mise en œuvre des lois NOTRe et MAPTAM. De plus, ce même graphique (figure : 3) montre que la classe 4, relative à la planification politique, qui était fortement mobilisée en 2003 par les communes, est beaucoup moins évoquée dans les éditoriaux municipaux de 2018; une année qui a été marquée par la réalisation du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal, qui représente une prise d’ascendance politique et planificatrice importante de la Métropole sur les communes. Nous observons que c’est la classe 5, relative aux actions de proximité, qui a été la plus mobilisée en 2018. Ces observations soulignent un tournant dans les stratégies de communication municipales, de la mise en avant, dans les éditoriaux des journaux municipaux, de l’action politique de développement du territoire communal, à la mise en avant du lien entre les habitants et la municipalité. Cette évolution traduit un repositionnement des politiques de communication municipales par la mise en avant de l’action mayorale au service du quotidien des administrés et procède à une normalisation (Ollivier-Yaniv, 2013, p. 111) de la capacité d’agir politique municipale, par une mise en cohérence (Bessières, 2013) sociale, symbolique et politique, de l’espace communal, au fur et à mesure du renforcement intercommunal. L’analyse des corpus d’éditoriaux permet d’observer que la tendance de mise en opposition de l’échelon communal à l’échelon intercommunal, qui apparaît d’une manière prégnante à partir de l’année 2015 et le repositionnement de la communication des communes, de la thématique de la planification politique (en 2003) vers la thématique de la relation de proximité municipale (en 2018) s’accompagnent de différentes stratégies de communication.

5. Trois stratégies de communication municipales face à la montée en puissance intercommunale

La contextualisation des extraits significatifs du corpus d’éditoriaux et la poursuite de l’analyse permettent de mettre en évidence différentes stratégies de communication municipales vouées à « enjoliver les événements et les personnalités locales » (Pailliart, 1993, p. 117), ainsi qu’à opérer un repositionnement communal, à l’heure où les frontières de la ville sont rendues de plus en plus incertaines par une montée en puissance de l’intercommunalité (Auboussier, 2012). Ces stratégies, qui traduisent différentes manières de se positionner vis-à-vis de la Métropole de la part des élus locaux, se déclinent comme suit :

  • une stratégie de communication « défensive et protectrice », par laquelle le maire se présente comme garant de la préservation de l’espace communal vis-à-vis de « l’hégémonie intercommunale » ;

  • une stratégie de communication que nous avons nommée « entrepreneuriale », qui met en avant le caractère entrepreneur du maire (Le Bart, 1992) et de son équipe municipale au service du développement communal. La démonstration de l’action de terrain et la capacité du maire à mobiliser des réseaux au service du développement de la commune sont alors mobilisées pour démontrer le rôle politique de la municipalité dans le développement communal ;

  • une stratégie de communication « d’appropriation », qui met en avant l’influence mayorale et municipale sur l’échelon intercommunal. La communication municipale met en évidence, dans cette stratégie, la manière dont le maire impose ses orientations politiques à l’instance intercommunale. Les orientations politiques métropolitaines apparaissent ainsi comme découlant de la volonté communale, en produisant notamment un effacement de la conflictualité (Krieg-Planque et Oger, 2010).

Le calcul des spécificités AFC (figure : 4) permet d’observer le lien entre la variable « nombre d’habitants » et le recours à ces différentes stratégies de communication.

Tableau 1

Tableau présentant les formes significatives relevées dans le corpus grenoblois par l’AFC[5] selon la variable nombre d’habitants

Tableau présentant les formes significatives relevées dans le corpus grenoblois par l’AFC5 selon la variable nombre d’habitants

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Le Tableau 1 montre en effet que les termes relatifs à la proximité, au service et à l’humain, tels que « service », « local », « habitant », mobilisés au service d’une stratégie de communication « défensive et protectrice », apparaissent de manière plus importante dans les éditoriaux des communes de moins de 5 000 habitants. De même, la thématique de la « planification » caractérisée par des termes relatifs à l’action tels que « projet », « orientation », « préparer » mobilisés au service d’une stratégie de communication « entrepreneuriale », apparaît de manière plus significative dans les éditoriaux des communes de plus de 5 000 habitants. Enfin, une analyse fine des segments de textes significatifs de la classe 4 (relative à la planification politique) met en évidence la manière dont les communes de plus de 10 000 habitants mobilisent ces formes lexicales pour évoquer des compétences et des prérogatives métropolitaines et révèle une stratégie de communication d’appropriation.

5.1 La stratégie de communication défensive et protectrice

Les éditoriaux municipaux dans lesquels cette stratégie a été mise en évidence expriment l’action protectrice des élus municipaux vis-à-vis des intérêts et de la qualité de vie des administrés présentés comme menacés par la métropolisation. Plusieurs éléments, qu’ils soient tous ou en partie combinés, caractérisent cette stratégie par laquelle le maire apparaît dans une posture de défenseur et de protecteur : l’association des formes lexicales de la classe 1 (relative à la métropolisation) aux formes lexicales de la classe 2 (relative à la défense communale); la mise en opposition entre les thématiques de la proximité et de la simplicité municipale avec celles de la technicité et de l’éloignement métropolitain et l’accentuation de cette mise en opposition par le recours aux chiffres. Cette stratégie apparaît d’une manière plus significative à partir de l’année 2015. Elle est principalement mobilisée par les communes de moins de 5 000 habitants, rurales ou éloignées de la ville centre et dans les communes non représentées dans l’exécutif métropolitain. En effet, le fait que le champ lexical de la défense communale soit plus présent dans les éditoriaux à partir de 2015 (figure : 3), la mise en évidence du fait que les communes de moins de 5 000 habitants mobilisent davantage des formes lexicales relatives à la commune et ses habitants (figure : 4), ainsi que le retour au texte permettent d’observer que des formes telles que « nous veillerons », « défense », « peser », « préserver » servent l’expression d’une protection de l’échelon communal vis-à-vis de la métropolisation. Un élément relevé, par exemple, dans ces deux extraits d’éditoriaux, parus en 2015, dans une commune de moins de 500 habitants, de type rural (extrait 1) et dans une commune de moins de 10 000 habitants de la seconde couronne métropolitaine (extrait 2), dont les représentants ne sont pas présents au sein de l’exécutif métropolitain :

Je veux parler essentiellement de la Métro qui se transformera en Métropole au 1er janvier 2015. Elle reprendra nos compétences en urbanisme, voirie, eau potable ainsi que les réseaux de chaleur. Nous veillerons à ce que ces services restent des services de proximité (extrait 1).

Nous veillerons à travailler de concert avec la Métropole dans l’intérêt et le bien-être de nos administrés qui vont vivre en direct le quotidien de ces réformes. Votre Maire […] (extrait 2).

Le verbe « veiller », mobilisé dans plusieurs éditoriaux, exprime une posture protectrice de la part du maire. De même, l’action défensive de la municipalité vis-à-vis du territoire métropolitain se traduit dans les segments de textes observés par l’association des notions de « proximité », « d’écoute », « de lien », ou « de bien être » au champ lexical de la défense. La mise en opposition de l’échelon communal à l’échelon métropolitain est également accentuée par le recours aux chiffres dans les éditoriaux observés, comme le montre, par exemple, cet éditorial d’une commune rurale, dont les élus non sont pas représentés dans l’exécutif métropolitain, en 2015 :

Nous mettons tout en œuvre pour représenter les 2500 Nucérétains au milieu de près d’un demi-million de métropolitains. Si le poids démographique n’est pas à notre avantage face à la ville centre, notre poids politique est réel au sein de notre groupe d’élus. Nous discutons, bataillons, effectuons les allers-retours avec les services pour défendre nos dossiers, en somme nous représentons Noyarey.

La mise en opposition démographique, accentuée par l’emploi du terme « près d’un demi-million » pour mentionner moins de 450 000 habitants, accompagne la référence au « poids » politique évoqué pour définir l’action du groupe ADIS, voué à garantir la préservation de l’autonomie communale. Ainsi, le recours aux chiffres associés à des termes tels que « représenter », « face », « discutons », « bataillons », « effectuons les allers-retours », « défendre » ainsi que le pronom « notre » expriment l’appartenance collective communale et la mobilisation des élus municipaux pour défendre la spécificité de la commune au sein de la Métropole. Nous prendrons pour autre exemple l’éditorial du journal municipal d’une commune de moins de 1 000 habitants dont la majorité municipale n’est pas présente dans l’exécutif métropolitain, paru en début d’année 2015 :

Les élus du conseil municipal, depuis plusieurs mois, donnent eux aussi beaucoup de leur temps pour défendre à la nouvelle Métropole les dossiers qui nous concernent. Nous mettons tout en œuvre pour que notre village soit entendu comme les 49 autres communes : rencontre avec les services, réunions d’information avant les prises de décisions, en particulier budgétaires. La Métro possède aujourd’hui, entre autres, deux nouvelles compétences importantes pour Venon : la voirie et l’urbanisme […].

Cet extrait d’éditorial, caractéristique de l’opposition de l’échelon communal à l’échelon intercommunal, fait apparaître également la manière dont le recours aux chiffres met en évidence le caractère isolé de la commune dans un grand ensemble intercommunal. L’éditorial exprime ainsi la forte mobilisation des élus du conseil municipal pour « défendre » la spécificité du « village » accompagné du pronom « notre », qui insiste sur l’appartenance collective, au travers de qualificatifs tels que « beaucoup de temps » ou encore « nous mettons tout en œuvre ».

5.2 La stratégie de communication entrepreneuriale

Cette stratégie de communication apparaît majoritairement dans les éditoriaux des communes de 5 000 à 10 000 habitants, qui mobilisent davantage le champ lexical du projet (figure : 4), et dans les éditoriaux de communes dont les représentants ne sont pas présents dans l’exécutif métropolitain. Il repose sur la mise en évidence du caractère entrepreneur du maire (Le Bart, 1992) et s’observe principalement au travers du recours au champ lexical du développement et de la gestion ainsi qu’au travers de l’absence de références à la Métropole. Qu’il s’agisse de l’évocation du lien avec d’autres échelons territoriaux, ou d’autres mandats électifs, la capacité à mobiliser des réseaux au service du développement communal est mise en avant pour démontrer le rôle politique des élus municipaux, mais également leur indépendance vis-à-vis de l’échelon intercommunal. Cette stratégie fait apparaître la posture d’un chef d’entreprise communal (Le Bart, 1992). Le retour aux segments de textes significatifs de la classe 4 (relative à la planification politique) et de la classe 5 (relative à l’action municipale au service des citoyens), deux classes associées par le dendrogramme, permet d’observer cette stratégie entrepreneuriale. Cet extrait d’un éditorial de 2015, d’une commune de moins de 10 000 habitants, dont la municipalité n’est pas présente dans l’exécutif intercommunal, en donne un aperçu caractéristique :

Le nouveau concept multiaccueil permet d’augmenter les capacités tout en élargissant les amplitudes horaires […] la demande de subvention faite auprès du Conseil Général pour la création de la cantine scolaire […]. Cet important investissement pour notre commune […]. Les perspectives financières très peu optimistes inquiètent tous les maires, aujourd’hui « le trou à boucher pour la commune » est d’environ 300 000 € soit l’équivalent de 5 % d’augmentation d’impôt (et ce sont 500 000 € de manque à gagner qui sont encore programmés pour 2016 et 2017). […] une baisse de 5 % a été décidée sur les charges de fonctionnement pour les postes principaux. […] la situation se maîtrise […] Soyez sûrs que nous resterons vigilants !

La mise en avant des ressources obtenues auprès de l’échelon départemental et le vocabulaire financier servent l’expression d’un maire entrepreneur et gestionnaire pour démontrer la légitimité politique de la fonction mayorale. Ce positionnement apparaît également dans la mobilisation significative de verbes d’action conjugués à la première personne du singulier ou du pluriel, tel que nous l’avons relevé par exemple, lors de l’analyse d’un segment de texte de l’éditorial paru en 2018, d’une commune de moins de 10 000 habitants, dont la municipalité est représentée dans l’exécutif métropolitain :

Une nouvelle année est l’occasion de réaffirmer, à travers des projets […] nous continuons nos efforts pour une offre de logements […] Après avoir obtenu le label départemental « Espace Naturel Sensible » pour notre travail de protection […] nous mettons en place un Projet Alimentaire. En 2018, nous maintiendrons aussi une qualité de service public […]. Nous poursuivrons des démarches innovantes et notamment des mutualisations avec les communes voisines. La programmation culturelle avec Seyssinet-Pariset, une première en Isère, en est un bel exemple. Elle nous permet d’élargir […] Tous ces projets se feront avec vous […]. Ensemble nous pouvons accomplir de grandes choses […].

L’évocation des démarches innovantes mises en place avec les « communes voisines » sert l’expression d’indépendance communale vis-à-vis de l’instance métropolitaine qui caractérise la stratégie de communication entrepreneuriale. De même, l’emploi successif de termes tels que « nous continuons », « nous mettons », « nous maintiendrons », « nous poursuivrons », « nous permet d’élargir » ou encore, « nous pouvons accomplir » insiste sur l’activité de la municipalité au service du développement communal. Une posture également observée dans la Métropole nantaise. Les éditoriaux de la commune de Vertou en 2015 et 2018 sont, en effet, caractérisés par l’évocation de la complexité accrue de la gestion communale et le recours au champ lexical du développement et de l’entrepreneuriat. Les termes tels que « équipe », « mouvement », « développement » ou « projets », associés aux pronoms « je » et « nous » ainsi que la présence de verbes d’action insistent sur la posture entrepreneuriale de la municipalité, comme le montre cet extrait de l’éditorial de 2015 : « Avec la majorité municipale, nous avons impulsé […] Je me suis mobilisé […] Je tiens à souligner que le contexte national ne nous empêchera pas d’agir. » La suite de l’éditorial, qui comporte des expressions telles que : « grâce à la bonne gestion des équipes municipales successives, nous pouvons nous projeter dans l’avenir », « maîtrise des dépenses publiques », « engager un budget ambitieux », et le vocabulaire de l’innovation au service du développement communal, dans l’éditorial de 2018, avec des expressions telles que : « Vertou affirme son intention de construire l’avenir de nos territoires en faisant preuve d’imagination et d’innovation pour le futur », sont accompagnés par une iconographie renvoyant au monde de l’entreprise. Les éditoriaux sont en effet illustrés de photos d’un maire notable et bureaucratique. Enfin, l’expression de la mobilisation de réseaux et mandats destinés à peser au sein de la Métropole apparaît dans les éditoriaux de 2015 (extrait 1) et de 2018 (extrait 2) :

À côté de mes collègues maires, je me suis mobilisé pour que la commune obtienne dans le cadre de la discussion avec Nantes Métropole une stabilisation de nos dotations malgré les tensions budgétaires (extrait 1).

Pour ma part, je viens d’être nommé rapporteur général de CDCI (Commission Départementale de Coopération Intercommunale) chargé de tous les sujets relatifs aux questions intercommunales. Ceci nous permettra avant tout de placer Vertou en bonne place dans son environnement institutionnel et de renforcer l’influence de notre ville à sa place de 7e ville de Loire-Atlantique (extrait 2).

La conjugaison de verbes d’action à la première personne du singulier sert l’expression d’un maire actif, au sein de son collectif d’élus et dans le cadre de son mandat départemental, pour favoriser le rayonnement de sa ville au sein du territoire métropolitain.

5.3 La stratégie de communication d’appropriation des projets politiques métropolitains

Cette stratégie met en avant l’influence municipale sur l’échelon intercommunal. Mobilisée principalement par les communes de plus de 10 000 habitants, dont la municipalité est présente dans l’exécutif métropolitain, la stratégie de communication d’appropriation se traduit par l’expression de l’influence du maire sur les orientations politiques de la Métropole au travers d’une posture de décideur métropolitain. Ainsi, c’est comme une interénonciatiation (Maingueneau, 2012, p. 153) qu’apparaît l’éditorial dumaire dans cette stratégie vouée à démontrer une volonté politique indivisée entre l’instance communale et intercommunale en gommant les marques de divergences (ibid.) et en produisant un effacement de la conflictualité (Krieg-Planque et Oger, 2010). La prédominance des termes relatifs au développement et l’évocation de projets relevant de la Métropole caractérisent la stratégie d’appropriation des projets métropolitains par les élus municipaux. Ces deux éléments apparaissent d’une manière plus significative dans les éditoriaux des communes de plus de 10 000 habitants (figure 4). Le retour aux segments de textes permet d’observer que les éditoriaux servent la démonstration d’une position influente du maire vis-à-vis du jeu politique métropolitain, comme le montre, par exemple, cet éditorial d’une commune de la première couronne grenobloise, dont le maire est présent dans l’exécutif intercommunal, paru en 2005 :

Le fait intercommunal constitue désormais une réalité incontournable dans notre pays […]. À Échirolles, nous défendons le principe d’une ville forte, libre de ses choix, au sein d’une agglomération respectueuse des identités qui rayonne à l’échelle de notre région et au-delà. Les élus d’Échirolles travaillent en confiance à la Métro : comme deuxième, premier vice-président, délégué à la politique de la ville, j’ai la responsabilité notamment des dossiers de rénovation urbaine, du contrat de ville. La ville d’Échirolles est particulièrement concernée. Nous avons montré notre détermination pour la réalisation du tramway, sur le programme local de l’habitat […].

Le maire exprime la détermination de son action intercommunale au service du développement de sa commune. Ainsi, le terme « nous défendons » n’exprime pas la défense de la qualité de vie communale, mais la défense de la libre administration municipale dans des dossiers intercommunaux majeurs vis-à-vis desquels le maire se présente comme un acteur influent. Le terme « détermination » est à nouveau mobilisé, en 2018, pour exprimer l’action du maire au sein de l’exécutif métropolitain en faveur de sa ville :

Je veux souligner ma détermination à faire d’Échirolles une ville solidaire et moderne, pleinement intégrée dans la Métropole […]. C’est pourquoi nous voulons renforcer la ville des courtes distances permettant l’accès rapide à des fonctionnalités majeures en termes de transport, de santé ou de commerce de proximité.

Par l’emploi du pronom « nous », suivi de l’évocation de compétences métropolitaines, telles que les transports urbains, l’éditorial du maire laisse apparaître une confusion possible concernant l’initiateur de cette volonté politique. Ainsi, le « nous » peut-il tout à la fois désigner l’exécutif métropolitain, compétent en la matière, et l’exécutif municipal, signataire de l’éditorial. La stratégie qui consiste à présenter la conformité du projet politique métropolitain avec, et au service des intérêts communaux, est fortement présente également dans les éditoriaux du journal municipal de la ville centre de la Métropole grenobloise, comme le montre cet extrait de l’éditorial de 2015 :

[…] transfert de compétences à la Métro : à quoi sert le maire ? Nous étions prêts à cette mutation, avec un vrai projet pour la Métro. Tenir nos 120 engagements, c’est répondre à ces enjeux : réussir le passage en Métropole et retrouver des finances équilibrées pour engager la transition sociale et écologique, avec des services publics locaux efficaces. Notre responsabilité n’en est que plus forte pour 2015 et les années à venir. Grenoble est le cœur de l’agglomération. Nous sommes attendus avec nos propositions […].

Dans cet éditorial, le maire, qui ne fait pas partie de l’exécutif métropolitain, présente les conditions politiques de réussite de la Métropole comme relevant de sa seule responsabilité. Une confusion des mandats politiques également présente dans l’éditorial de l’année 2018 :

Le centre-ville épouse enfin sa vocation de cœur de Métropole. Métrovélo a passé le cap des 100 000 abonnements. La tarification solidaire se développe pour l’eau, le périscolaire, l’énergie, les transports, les musées, la bibliothèque. La justice sociale, qui est l’ADN de Grenoble, c’est permettre à chacun de payer à hauteur de ses moyens […] Grenoble avance, et dans tous les domaines !

L’éditorial présente plusieurs compétences métropolitaines comme relevant de ce qu’il nomme l’ADN de la ville centre. Les actions métropolitaines associées à l’évocation de « justice sociale » apparaissent comme la traduction du projet politique municipal à l’échelle du territoire métropolitain. Cette stratégie d’appropriation apparaît également dans les éditoriaux de la ville de Nantes. Une tendance renforcée par le fait que la fonction mayorale de la ville centre et celle de la présidence de l’intercommunalité soient assurées par la même personne, comme le montre cet extrait de 2015 :

J’agis, avec mon équipe, avec un cap clair […] pour notre ville, notre Métropole […] En 2015, nous agirons résolument pour une Métropole qui rayonne en Europe, innove et investit […] pour une Métropole plus solidaire et plus proche. C’est aussi de cette manière que nous jouerons notre rôle de Métropole Européenne du Grand Ouest.

L’éditorial, qui fait apparaître une interpénétration entre le mandat communal et métropolitain, rend difficilement lisible ce qui ressort de la ville centre ou de l’intercommunalité. Vouée à réduire la dissonance et produire de la cohérence (Oger, Ollivier-Yaniv, 2006) entre les orientations politiques communales et supra communales, cette stratégie de communication d’appropriation tend en effet à effacer les traces de la conflictualité (ibid.) et les tensions politiques territoriales (ibid.) au profit de la démonstration de la capacité d’agir politique et de l’influence municipale.

6. Des stratégies de communication municipales génératrices d’une opacité de la puissance politique métropolitaine

Cette étude a permis de mettre en évidence différentes tendances de stratégies de communication municipales. Motivées par la recherche de l’affirmation d’une légitimité politique et territoriale, ces stratégies prennent la forme d’une compétition de paroles entre les différents échelons d’action politique territoriale. Ainsi, qu’il s’agisse d’une stratégie de communication « défensive et protectrice », « entrepreneuriale » ou « d’appropriation », leur mobilisation conduit à une dissonance communicationnelle territoriale. Emprunté à Yves de la Haye (1984), le terme dissonance est ici employé pour caractériser la manière dont la superposition de discours au sein des territoires métropolitains brouille la perception de l’organisation administrative locale. En effet, le repositionnement politique des municipalités, vis-à-vis de la métropolisation et de l’intercommunalité, devient un outil de communication stratégique pour rendre visible un pouvoir politique territorial municipal de plus en plus décentré vers l’instance métropolitaine. Encouragées notamment par les attentes d’arbitrages institutionnels et l’annulation par la loi NOTRe de la désignation des représentants·es politiques métropolitainsau suffrage universel direct, tel que cela était initialement prévu dans la loi Maptam, ces politiques de communication agissent comme une négation de la prise d’ascendance politique intercommunale. Cette tendance, qui conduit à invisibiliser (Voirol, 2005) l’échelon intercommunal, détenteur des principales compétences politiques locales en lieu et place des communes, a pour conséquence une opacité démocratique de ces territoires complexes et enchevêtrés que sont les Métropoles. En effet, les enjeux politiques et territoriaux des Métropoles, bien qu’ils soient déterminants en matière de structuration territoriale, sont difficilement appréhendables par les usagers, habitants et citoyens pour qui, de fait, l’échelon de référence politique et territorial reste la commune. Ainsi, en mettant en évidence l’opacité démocratique des Métropoles, cette analyse nous permet d’entrevoir des pistes de recherches destinées à saisir le processus de captation du débat public métropolitain par l’échelon de référence démocratique municipal, d’une part ainsi que les conditions de mise en visibilité de l’échelon métropolitain, d’autre part. De même, il serait intéressant, d’observer la manière dont le déploiement de processus d’actions collectives (Gardère, Lakel, 2009) ou de démarches dites participatives, par les différents échelons d’action politique territoriale répondent à ce contexte de crise de légitimité de la représentation politique (Gardère, Lakel, 2009) et quelles en sont leurs formes et limites, à l’heure, notamment, d’une digitalisation accrue des pratiques de communication des collectivités.