Corps de l’article

Introduction

Au cours de l’année 2020, de nombreux pays prennent des décisions visant à lutter contre la pandémie mondiale de COVID-19. Parmi ces résolutions, des mesures de confinement furent décrétées par plusieurs gouvernements. En France, le premier confinement est mis en place le 17 mars 2020 et annoncé la veille par le président de la République. Les bouleversements provoqués n’ont pas été sans conséquence pour les familles (Chatot, Piesen et Viera Giraldo, 2020 ; Moscaritolo, 2021 ; Rajmil et al., 2021) qui ont dû réorganiser précipitamment leur vie familiale et professionnelle, les mettant en présence de situations souvent inédites : télétravail, fermeture des écoles, distanciation physique. Qu’en est-il pour les 337 200 mineurs et jeunes majeurs bénéficiant, en France, d’une mesure de protection de l’enfance[3] ? Les décisions gouvernementales ont engendré d’importantes répercussions sur l’organisation du dispositif de protection de l’enfance et sur le quotidien de ces enfants et jeunes majeurs (Abassi, 2020) : gestion des contaminations (enfants, parents, personnel), surcharge de travail, difficultés à maintenir les suivis des enfants et jeunes accueillis ou accompagnés, ou encore l’insuffisance des équipements sanitaires. Si cette situation semble inédite dans l’Hexagone, quelques travaux internationaux renseignent pourtant sur certains effets que de telles mesures pouvaient avoir sur les organisations et les publics qu’elles accueillent ou accompagnent (Klein et al., 2020). Les auteurs et autrices insistent sur le risque d’isolement social et le sentiment de solitude (Loades et al., 2020), la discrimination et la stigmatisation (Bakrania et al., 2020), l’intensification de la violence au sein des familles ou dans les établissements, mais aussi sur les risques liés à la prématurité et la soudaineté des retours d’enfants dans leurs familles (Goldman et al., 2020). Pour Bakrania et ses collaborateurs, ces contextes sanitaires

ont intensifié l’expérience de la violence et des abus sexuels, en particulier des femmes et des filles. Les quarantaines et les conditions de confinement présentaient des risques plus élevés, ce qui a entraîné une augmentation du stress domestique, l’exercice de comportements de contrôle par les auteurs et un accès restreint des victimes aux services et à l’aide.

2020, p. 8 ; notre traduction

Les travaux recensés semblent majoritairement se focaliser sur les risques de telles mesures sanitaires pour les populations les plus vulnérables, notamment sur le bien-être et la santé mentale des enfants. Peu à peu, de nouvelles recherches ont permis d’explorer l’expérience des enfants, mais celles-ci se sont majoritairement appuyées sur le point de vue des adultes qui les entourent. À l’exception de l’étude sud-africaine de Sadiyya Haffejee et Diane Levine (2020), lesquelles ont pu rencontrer 32 enfants, plus rares semblent être les travaux qui se sont intéressés aux expériences vécues par les enfants concernés par une mesure de protection.

De mai 2020 à avril 2021, dans un département comptant plus de 8000 enfants protégés, une étude fut menée[4] au sein d’un observatoire départemental de protection de l’enfance[5]. Réalisée avec des enfants, cette démarche visait à étudier leur vécu du confinement alors qu’ils étaient accueillis au sein d’établissements, de familles d’accueil ou accompagnés à domicile par des professionnels. Au-delà des résultats relatifs à l’objet de leur vécu du confinement, c’est également la méthodologie participative auprès d’enfants de 8 à 18 ans qui est présentée et discutée dans cet article.

En France, plusieurs chercheurs et chercheuses s’intéressent, depuis quelques années, aux expériences des enfants bénéficiant ou ayant bénéficié d’une mesure de protection (Euillet, 2020 ; Frechon et Robette, 2013 ; Ganne, 2017 ; Toussaint et Bacro, 2021). Certains travaux mobilisent de nouvelles méthodes de recherche (Join-Lambert et Reimer, 2022) et tentent d’impliquer les enfants et les jeunes dans chaque étape de la recherche (Robin, 2018, 2019). Ces recherches ont contribué à la production de nouvelles connaissances à propos des processus de recherche impliquant des enfants et des parcours de vie des jeunes concernés par de telles interventions. Pourtant, les publications portant sur les expériences vécues par des enfants, au moment même où ils bénéficiaient d’une mesure de protection, ainsi que sur les conditions et les effets de leur implication dans de telles démarches restent rares. Dans cet article, il ne s’agit pas seulement de s’intéresser aux contenus du point de vue des enfants, mais à la manière dont nous sommes parvenues à accéder à ces expériences, tout autant qu’aux effets provoqués par notre démarche.

Après avoir détaillé la méthodologie employée, cet article propose de s’intéresser au vécu des enfants et jeunes concernés par ces mesures de protection durant le confinement. Dans une dernière partie, nous nous intéresserons aux conditions, aux freins, qu’une telle démarche participative peut comporter. Enfin, nous conclurons en nous interrogeant sur les effets et les enjeux de cette démarche, et plus précisément, sur l’influence que la prise en compte des expériences singulières de ces enfants pourrait avoir sur les dispositifs et les pratiques.

Il faut écouter les enfants pour pouvoir changer le monde

Amine, 12 ans

Perspective conceptuelle

Les childhood studies comme approche multidisciplinaire pour comprendre l’expérience des enfants

Permettre à un enfant d’exprimer librement son opinion sur « toute question l’intéressant » constitue l’un des principes de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce texte fondateur reconnaît à l’ensemble des enfants, en tant que groupe social, un point de vue qui lui est propre, irréductible à celui des adultes, et à chaque enfant, un point de vue singulier qui témoigne de la situation qui lui est donnée à vivre (Draghici et Garnier, 2020). Si cette première approche, centrée sur les droits, constitue un point de départ à notre réflexion, elle peut paraître réductrice et conduire à minorer les contraintes, paradoxes et enjeux auxquels font face les parties prenantes de ces interventions. De plus en plus, la reconnaissance des enfants comme acteurs sociaux compétents leur permet d’être envisagés comme « des témoins fiables de leur monde qui peuvent aider les chercheurs à le comprendre » (Robin, Join-Lambert et Mackiewicz, 2017, paragr. 5). L’enfance devient peu à peu un « objet » d’étude et les pratiques de recherches avec les enfants s’inscrivent dans un mouvement plus général issu des childhood studies (James et Prout, 1997) et de la sociologie de l’enfance (Sirota, 2006). Pour Draghici et Garnier (2020), les études s’inscrivant dans ce champ reconnaissent et valorisent l’existence d’une perspective propre aux enfants qui doit être reconnue et prise en compte par les adultes. Plusieurs travaux ont alors en commun de chercher à comprendre les relations multiples entre les enfants, les jeunes et les sociétés changeantes qu’ils habitent (Prout, 2019). Ce détour par la perspective actuelle des childhood studies permet de soutenir l’argument selon lequel l’enfance est inéluctablement politique, mais l’enfance est aussi personnelle, fluide et relationnelle (Stryker et al., 2019). La démarche proposée ici tente de s’inscrire dans ces perspectives, en veillant d’abord à ce que les expériences singulières des enfants ne se transforment pas en récits réducteurs et discours généraux.

Dispositif méthodologique

Au cours de cette étude exploratoire visant à étudier les expériences des enfants bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance pendant le confinement, une attention particulière a été accordée au processus de participation. Cela permet d’observer certaines conditions de l’engagement des jeunes, considérant celui-ci comme une expérience et un processus (Greissler et al., 2020) autant qu’un résultat. Le choix d’une méthodologie qualitative combinant plusieurs sources de données, tant du côté des participants (professionnels et enfants) que des modalités de collecte (entretiens, entrevues collectives, questionnaires), répond à la fois aux objectifs poursuivis par l’étude et à la perspective conceptuelle proposée dans les childhood studies.

Explorer l’expérience des enfants à partir des dimensions qui les préoccupent

Les premiers entretiens ont été réalisés auprès de professionnels (N = 11) afin d’explorer les effets du confinement sur leurs pratiques et leurs perceptions des incidences sur les enfants. Ils ont également été invités à proposer à certains enfants qu’ils accompagnent de participer aux phases suivantes de l’étude.

Au cours du mois de mai 2020, 7 garçons et 6 filles, âgés de 8 à 16 ans, ont participé à des entretiens individuels ou en dyade[6] afin de recueillir leurs points de vue et expériences durant la période de confinement. Lors de ces entretiens, deux questions principales étaient envisagées : « Comment as-tu vécu le confinement ? » et « Comment, et à propos de quoi, pourrions-nous interroger un plus grand nombre d’enfants ? » L’information concernant notre démarche a été transmise à l’ensemble des services accompagnant ou accueillant des enfants, les invitant à leur proposer de contribuer à l’étude. Des contacts ont été pris avec plusieurs services ou avec les professionnels rencontrés en première phase afin de parvenir à atteindre une dizaine d’enfants. Ceux-ci bénéficiaient d’une mesure de protection de l’enfance[7].

Au cours de ces échanges, tous les enfants ont exprimé leur intérêt pour la démarche. Mimo[8], âgé de 15 ans, dira : « C’est bien, parce qu’après, avec toutes les réponses, on pourra faire un bilan de qu’est-ce qu’il faut améliorer. » Les enfants ont majoritairement évoqué le questionnaire comme étant un outil adapté pour explorer l’expérience d’un plus grand nombre d’enfants, tout en se demandant dans quelle mesure il pourrait être accessible à tous. Luc et Noémie, tous deux âgés de 13 ans, se demandent comment les enfants qui n’ont pas internet ou pas d’ordinateur vont pouvoir répondre. Tandis que Gaëlle, âgée de 15 ans, se demande si les plus jeunes pourront comprendre les questions. Les premiers entretiens ont permis de déterminer les dimensions de leurs expériences pendant le confinement et les invitaient à formuler les questions qu’ils souhaiteraient poser à d’autres enfants. Si certains sont parvenus à formuler des questions précises, d’autres ont évoqué des thèmes à explorer. Par exemple, Mimo se demande si les enfants « allaient bien pendant le confinement, s’ils mangeaient bien, s’ils dormaient dans des chambres où il n’y a pas de trous, où il n’y a pas de souris, ou c’est propre ». Maëva, 11 ans, se demande quant à elle quelles sont les activités que les enfants ont pu faire. Cet échange lui permettra également de formuler une question sur l’état du lieu dans lequel les enfants ont vécu leur confinement. Les quatre derniers entretiens ont permis de présenter une trame plus aboutie du questionnaire. Luc dira : « Il est bien, il est ciblé ! » Noémie ajoute : « Il est parfait ! » Si, pour l’ensemble des enfants, il semble que leur participation aux rencontres individuelles résulte de la proposition des adultes qui les entourent, Luc dira : « On n’a pas eu trop le choix… » tout en ajoutant, après la présentation de l’étude, qu’il acceptait volontiers d’y contribuer.

Quelques exemples pour illustrer la richesse apportée par les propos des enfants :

Figure 1

Extrait du questionnaire transmis aux enfants

Extrait du questionnaire transmis aux enfants

-> Voir la liste des figures

Au cours de cette démarche, il était nécessaire de résister à notre tendance à sélectionner, dans les discours des enfants, ce qui préoccupait les adultes, considérant que les évènements qui les ont marqués peuvent différer de ceux imaginés (Robin, Join-Lambert et Mackiewicz, 2017). Pour le comprendre, revenons sur la question des repas et sur le critère : « manger froid ou chaud ». Léa, âgée de 8 ans, nous explique alors que sa mère, avec qui elle vit seule, fait partie des professionnels de santé mobilisés durant la crise sanitaire. À ce titre, Léa continuait à aller à l’école afin que sa mère puisse se rendre au travail. Toutefois, les cantines étant fermées, les enfants accueillis n’avaient pas de repas chaud le midi. Léa souhaitait savoir si d’autres enfants, comme elle, avaient mangé froid le midi. Aucun de nos échanges préalables avec les professionnels n’avait laissé apparaître la préoccupation de Léa ni celles de Mehdi, 16 ans, concernant la propreté de son lieu de vie, ou l’ambiance dans celui de Noémie.

Au total, le questionnaire comprenant 25 questions a permis d’explorer les dimensions relatives à la scolarité, aux relations sociales, à l’ambiance sur le lieu de vie, aux activités, aux émotions ressenties pendant le confinement, et ce que les enfants ont « préféré » ou « détesté ». Quelques questions élaborées par les adultes ont permis d’obtenir des informations sociodémographiques sur les répondants.

Le questionnaire a été diffusé en juin 2020 sous un format dématérialisé et 217 réponses ont été reçues. Ce taux de retour, correspondant à 3 % de la population d’enfants accueillis sur le territoire[9], s’explique notamment par la courte temporalité souhaitée pour l’enquête, et par la difficulté de transmettre, directement aux enfants, l’information quant à l’existence de l’étude en cours. Au regard du nombre de réponses obtenues, et de l’objectif initial de notre démarche, il est important de considérer les données suivantes, non comme représentatives du vécu de l’ensemble de la population visée, mais comme le point de vue de plus de 200 enfants accompagnés par l’aide sociale à l’enfance. Comme pour Draghici et Garnier (2007, paragr. 36), « ce qui importe n’est pas tant de monter en généralité pour caractériser l’expérience enfantine, comme vue de haut et homogène, mais pour ainsi dire d’en rester au ras de ces points de vue pluriels, incarnés dans des “savoirs situés” ».

Dépasser la seule sollicitation d’une parole : inclure les enfants dans l’interprétation et la diffusion des résultats

Si de plus en plus de travaux impliquent des enfants, ils restent souvent limités à un rôle d’informateur ou d’intervieweur (Robin, Join-Lambert et Mackiewicz, 2017). Au cours des entretiens réalisés avec les enfants, nous leur avons demandé s’ils souhaitaient être impliqués dans les étapes suivantes de l’étude, en leur proposant d’être associés à la phase d’analyse des données recueillies. Cette dernière phase s’est déroulée entre octobre 2020 et mars 2021. Au total, 11 enfants de 8 à 18 ans ont pu se réunir à huit reprises (trois fois en présentiel, puis en visio en raison des restrictions liées à de nouvelles périodes de confinement) les mercredis après-midi ou en soirée. Parmi les 11 enfants, 6 avaient été rencontrés en entretien. Les autres ont été invités par leurs amis déjà impliqués, et deux enfants ont été proposés par une assistante familiale ayant eu connaissance de l’étude en cours. Parmi les 11 enfants, 7 ont été présents à quatre rencontres au moins. Trois jeunes, les plus âgés du groupe, ont rapidement quitté le collectif, expliquant leur départ en raison de l’hétérogénéité des tranches d’âge, mais également, parce que les rencontres se sont majoritairement déroulées alors qu’ils avaient cours ou étaient occupés par des activités extrascolaires. Une enfant, invitée par un ami du foyer, n’a assisté qu’à une rencontre. Il est intéressant de noter que parmi les 11 enfants, 4 avaient déjà été impliqués dans des évènements collectifs. Ces temps ont été animés par deux membres de l’observatoire, toutes deux travailleuses sociales et ayant déjà contribué à des recherches impliquant des enfants.

S’agissant de l’interprétation des résultats, une première phase de familiarisation avec les données a été nécessaire. Elle a pu se faire à travers la présentation des résultats obtenus une fois le tri à plat réalisé par les adultes. Lors de la première rencontre, des représentations graphiques ont été utilisées (diagramme, secteurs, tableaux, nuages de mots…) afin de présenter à toutes les tranches d’âge les réponses de manière adaptée. Nous avons fourni aux enfants un cahier, des crayons, ainsi que des images pouvant symboliser leurs accords ou désaccords avec les énoncés ou les propositions du groupe (émoticone, pouce levé ou baissé). Les enfants ont pu choisir les thèmes ou questions qu’ils souhaitaient évoquer. Peu à peu, à partir de leurs expériences individuelles et des échanges collectifs, ils sont parvenus à construire une analyse, passant d’un discours individuel centré sur leur vécu du confinement à une parole collective à part entière. Rappelant que l’objectif de l’étude était d’explorer les expériences des enfants protégés en période de confinement, les participants ont exprimé le souhait de pouvoir communiquer les résultats auprès des autres enfants, des professionnels qui les accompagnent (travailleurs sociaux, chefs de service et directeurs), et enfin auprès des responsables politiques et administratifs de l’Aide sociale à l’enfance, qu’ils désignent comme les « grands chefs ». L’intérêt pour eux n’était alors pas d’approfondir les analyses, mais plutôt de rendre visibles ces premiers résultats.

De décembre 2020 à avril 2021, nous avons continué à réunir les enfants afin de construire avec eux le support de restitution (création d’une vidéo) et de préparer les interventions auprès de différents publics. Pour cela, des rencontres individuelles ont été organisées avec les enfants souhaitant continuer à s’impliquer dans la démarche. Sept rencontres ont été planifiées auprès de cinq membres du groupe. Considérant la participation comme un processus, ces rencontres visaient à permettre aux enfants et aux jeunes de mieux comprendre le contexte de leurs prises de parole (formation professionnelle, rencontre avec un élu) et à les préparer à cet exercice souvent inédit.

Résultats

Les éléments de cette section reprennent les résultats issus des questionnaires et du contenu des échanges avec les enfants rencontrés en première phase. Les éléments consécutifs aux entretiens mentionnent le prénom et l’âge de l’enfant. Pour les verbatims provenant des réponses ouvertes du questionnaire, le sexe et l’âge de l’enfant sont mentionnés. Parmi les enfants répondant aux questionnaires, les garçons sont majoritaires (73 %). La moyenne d’âge des répondants est de 14,6 ans, mais cache une très forte hétérogénéité de l’âge des répondants (E-T : 3,9 ans ; min. : 3 ans ; max. : 21 ans). Ainsi, 24,8 % des répondants ont moins de 13 ans, 26,7 % sont âgés de 13 à 16 ans, et 47 % ont plus de 17 ans. Près de la moitié des jeunes sont en foyer (32 %) ou en famille d’accueil (22 %), et 15 % le sont sur des dispositifs d’autonomie ou de semi-autonomie. En outre, 10 % des enfants répondants vivaient, au moment du confinement, chez un membre de leur famille.

Le confinement en protection de l’enfance : entre vécu singulier et vécu partagé

Les enfants rencontrés en entretiens, individuels ou collectifs, ont tous exprimé le sentiment d’avoir partagé, « pour une fois », une expérience commune ne faisant alors pas spécifiquement référence à leur parcours en protection de l’enfance. En effet, alors qu’habituellement, ils peuvent avoir l’impression que leur situation d’enfants protégés provoque certaines inégalités, ou conduit à les marginaliser, le fait que les règles liées au confinement étaient identiques pour tous les enfants a provoqué chez eux un sentiment d’égalité positif. Ce sentiment d’avoir vécu une expérience similaire à tous les enfants se retrouve également lorsqu’il s’agit d’exprimer leurs inquiétudes liées à la COVID-19. Ils mettent en avant leur crainte qu’un membre de leur famille ou qu’un proche soit affecté par la COVID-19. Dans l’ensemble, ils expriment leur tristesse pour toutes les personnes infectées, mais aussi celles décédées : « C’est triste, il y a eu beaucoup de morts » (garçon de 8 ans).

S’agissant du vécu partagé, à la question : « Qu’as-tu préféré pendant le confinement ? », les réponses donnent à voir la satisfaction des enfants de pouvoir partager plus de temps avec leurs pairs ou les adultes qui prennent soin d’eux au quotidien. Une enfant de 8 ans répondra : « Être tous ensemble et faire plein de choses, des jeux, des gâteaux, des jeux de société » ; une autre, âgée de 9 ans, répondra : « C’était bien de passer du temps avec les éducateurs » ; ou encore, « partager plus de choses avec tata et tonton », pour ce répondant âgé de 12 ans. Nombreux sont ceux qui ont fait référence à un sentiment d’être plus libres ou plus reposés : « J’ai eu plus de temps pour faire les choses » (garçon de 16 ans). Certains expriment leur satisfaction en lien avec le temps « gagné » dans cette période et la possibilité d’apprendre de nouvelles choses, de profiter de la nature : « Ne rien faire, je n’étais pas pressé, je prenais mon temps » (fille de 16 ans). Ce même constat apparaît très largement dans les différentes études menées dans d’autres départements français (Chapon, 2021 ; Département du Nord, 2020 ; Idefhi, 2020 ; ONPE, 2020 ; Rousseau et al., 2020).

Les dimensions de la vie quotidienne

Parmi les répondants aux questionnaires, 39 % ont indiqué ne pas avoir bien vécu le confinement. L’inquiétude, la colère ou la tristesse regroupent 33 % des réponses à la question : « La plupart du temps, tu te sentais… ? » Ils ont toutefois majoritairement évoqué une ambiance positive sur leur lieu de vie, 69 % la qualifiant de « bonne » ou « très bonne ». Noémie, 13 ans, dira : « On a créé plus de liens que d’habitude, car avant, on ne se parlait pas trop. » Par ailleurs, ils sont 40 % à mentionner qu’ils auraient souhaité passer le confinement dans un autre lieu. Parmi les lieux mentionnés, ces jeunes désignent majoritairement un membre de la famille ou un logement individuel.

Concernant leur santé, les enfants ont évoqué trois dimensions qu’ils souhaitaient explorer grâce au questionnaire : le sommeil, l’hygiène et le bien-être. Parmi les répondants au questionnaire, 42,86 % ont dormi comme d’habitude, tandis que 26,27 % ont dit avoir mieux dormi contre 22,12 % qui estimaient leur sommeil moins bon. Par ailleurs, ils étaient nombreux à juger avoir dormi davantage, à exprimer le sentiment d’être moins fatigué, en réponse à ce qu’ils ont préféré durant la période. Le rythme ralenti provoqué par la fermeture des écoles, l’annulation de nombreuses activités ou rendez-vous à l’extérieur, semble avoir entraîné un allégement des agendas des enfants, ce que souligne également la recherche de Nathalie Chapon (2021). Plusieurs enfants évoquent le rythme quotidien à travers des formulations répétées : « avoir du temps, profiter, jouer ensemble… ». Il est intéressant de voir que ce constat se retrouve dans d’autres travaux ciblant de jeunes enfants. Pour les auteurs, la suppression des contraintes extérieures (rendez-vous médicaux, visites parentales) a modifié l’organisation quotidienne et permis de développer des aménagements « plus souples et respectueux du rythme des enfants » de 0 à 6 ans et de leurs besoins (Rousseau et al., 2020). Ces constats ne doivent toutefois pas occulter les effets qu’ont pu produire, ou que produiront à moyen et long terme, l’arrêt de certains suivis médicaux, largement évoqués dans différentes études nationales et internationales (Claudet et al., 2022 ; Goldman et al., 2020 ; Klein et al., 2020 ; Loades et al., 2020).

L’alimentation semble également avoir pris une dimension importante chez les enfants interrogés. Près de la moitié des répondants ont indiqué avoir été associés à la préparation des repas. En entretien, Mimo explique qu’il aidait sa mère à faire le repas qui rompait le jeûne pendant la période du ramadan. Pour ceux accueillis dans des lieux collectifs, il y avait alternance entre plats préparés et temps de cuisine éducative : « Y avait déjà des plats préparés et y a un jour où c’est nous qui faisions ». Ces observations rejoignent celles d’une étude française menée en population générale auprès de 498 parents d’enfants âgés de 3 à 12 ans (Philippe, Chabanet, Issanchou et Monnery-Patris, 2021) soulignant des changements dans les comportements alimentaires des enfants et dans les pratiques éducatives en lien avec l’alimentation.

Les expériences sensibles de la scolarité

La scolarité a fait partie des thématiques signalées par tous les enfants rencontrés lors de chaque phase de l’étude. Parmi les enfants scolarisés ayant renseigné le questionnaire, les trois quarts ont poursuivi leur scolarité à distance et un quart en présentiel[10]. Plus de la moitié des enfants estiment que leur scolarité a été « compliquée, fatigante ou énervante ». Parmi les éléments qui ont eu une influence sur leur scolarité, ils évoquent le manque d’équipements disponibles (ordinateur, connexion), le soutien reçu par les professionnels ou leur famille, ainsi que la pression ressentie : « Y avait trop de pression au niveau des devoirs, les profs nous laissaient pas le temps. J’avais beaucoup de travail. Ils ont abusé, y avait trop de devoirs. On travaillait de 9 h à 18 h » (Mehdi, 16 ans). Deux jeunes ont évoqué l’absence d’accessibilité numérique sur leur lieu de vie comme une difficulté ayant une incidence sur le suivi de leur scolarité : « On a demandé d’avoir la wifi, donc ça a été installé dans tout le foyer, dans les salles, mais on attend toujours des ordinateurs, on fait avec nos téléphones, soit avec les ordinateurs perso des animateurs. Certains jeunes ont eu des tablettes, mais si tu n’enregistres pas, tout est effacé, donc c’était mieux d’avoir un ordinateur » (Noémie, 15 ans). Ces éléments apparaissent également dans l’enquête réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) en mai 2020 expliquant que, si 4 établissements sur 5 ont pu fournir des ordinateurs aux enfants, seuls 20 % ont pu équiper l’ensemble des enfants accueillis (Abassi, 2020). Pour Léa, âgée de 8 ans, la poursuite de la scolarité en présentiel a été agréablement vécue : « Au départ, j’étais pas contente d’aller à l’école, parce que je pensais que ça allait être nul, mais en fait après, c’était un petit peu bien. » Elle associe ce sentiment au petit nombre d’enfants présents en classe et au soutien de ses enseignants.

Un difficile maintien des relations avec leur entourage

La dernière dimension intéressant les enfants a concerné les relations qu’ils ont pu entretenir avec leurs pairs, leur famille et les professionnels. Il est préoccupant de constater que 37 % des répondants n’ont pas répondu à la question visant à connaître « la personne qui a le plus compté pour toi pendant le confinement ». Pour celles et ceux ayant répondu, il s’agissait, pour plus de la moitié d’entre eux, d’une personne avec qui ils ne vivaient pas quotidiennement et, pour 78 % d’entre eux, avec qui ils exprimaient avoir pu être en lien plus d’une fois par semaine. Un certain nombre d’enfants ont mis en avant une forme de stabilité des relations grâce aux outils numériques qui leur ont permis de maintenir des liens avec leurs proches, soit par l’intermédiaire de jeux vidéo, ou par la plateforme de continuité pédagogique proposée par leur école. Alicia, 16 ans, nous dira : « Ma soeur, je l’appelle beaucoup, presque tous les jours, je me suis plus rapprochée de ma soeur. » Pour les enfants qui n’avaient pas accès à de tels outils, certaines relations ont été suspendues le temps du confinement. Un jeune explique ne pas avoir pu maintenir le lien en raison de l’insuffisance de son forfait téléphonique : « Je suis resté en lien avec eux par Snap jusqu’à un certain moment, car pas de connexion, pas d’argent » (Mehdi, 16 ans). Il en est de même pour Gaëlle, 15 ans, qui exprime une souffrance importante pendant la période : « J’avais pas de téléphone. J’étais en contact avec personne. J’ai parlé à personne pendant le confinement. » Luc, quant à lui, a réussi à trouver le moyen de rester en lien avec ses amis, utilisant la plateforme de cours en ligne de son collège. À ce jour, ces formes de correspondances numériques, intra et extrafamiliales, en protection de l’enfant font l’objet de rares travaux, alors même que, selon Émilie Potin (2020), les échanges rendus possibles par ces modalités peuvent « modifier la distance entre la sphère de l’accueil et la sphère familiale » (p. 50).

Les membres de la famille ont été souvent mentionnés en réponse à la question ouverte : « Qu’est-ce qui t’a le plus manqué ? » Dans les échanges, les enfants rencontrés ont évoqué leurs souhaits de voir évoluer les droits de visite et d’hébergement (DVH). Un enfant explique qu’il aurait souhaité passer le confinement chez son père (Luc, 13 ans). Noémie, 13 ans, considérant les contacts téléphoniques comme insuffisants, évoque la difficulté de ne pas avoir vu ses parents durant le confinement, alors qu’auparavant, elle les voyait un week-end sur deux. Ces éléments ne semblent pas propres au territoire dans lequel cette étude a été menée. L’étude réalisée par la DREES montre que 4 établissements sur 5 n’ont pas réussi à maintenir l’organisation de droits de visite (Abassi, 2020). S’agissant plus spécifiquement de l’accueil familial, la recherche nationale effectuée par Nathalie Chapon (2021) auprès de 6 388 assistants familiaux, pointe que seulement 7 % des enfants accueillis ont bénéficié de rencontres avec leurs parents au cours du premier confinement.

La fermeture des écoles, l’arrêt des animations extrascolaires ou des sorties ont également affecté les relations que les enfants ont avec leurs pairs et amis. À la question : « Qu’est-ce qui t’a le plus manqué pendant le confinement ? », près d’un tiers des enfants ont directement évoqué le manque de leurs amis ou des activités collectives extérieures. Lorsqu’ils n’évoquaient pas directement leurs amis ou les membres de leurs familles, les enfants ont évoqué des situations impliquant leurs pairs : « jouer au foot », « jouer dehors », « sortir avec mes amis »…

Discussion

Les résultats produits, par et avec les enfants directement concernés, montrent clairement l’intérêt de les associer dès le début à de telles démarches. Qu’il s’agisse du choix des thématiques à explorer, des réponses formulées par les enfants eux-mêmes, de la manière dont ils souhaitent rendre visibles les résultats, leur implication tout au long de l’étude a conditionné la visibilité de leurs réalités et vient améliorer la perception qu’ont les adultes de l’expérience vécue. Les enfants ont certes relié leurs expériences au contexte particulier de la crise sanitaire, mais une part importante de leurs préoccupations semble rendre compte de la nécessité de s’intéresser à leur vie quotidienne, au réel et au vivant, aux êtres et aux objets qui les entourent. Ils parlent alors de vélo, de gâteaux, de plateforme en ligne, de leurs animaux de compagnie, de SMS et pas uniquement de leurs trajectoires familiales ou institutionnelles.

La dimension participative de cette étude ne se limite pas à la consultation du point de vue de quelques enfants ni même à leur participation aux différentes étapes de l’étude. Elle donne à voir la manière dont cette implication a été rendue possible. En effet, l’ambition de réaliser une telle étude, aux contours évolutifs, a pu se concrétiser grâce à l’implication de l’ensemble des acteurs concourant directement ou non à cette politique publique. Les professionnels intervenant quotidiennement auprès des enfants se sont mobilisés pour rendre possibles les rencontres en présentiel et en distanciel. Cette mobilisation s’est traduite par une réactivité importante nécessitant d’ajuster les agendas, d’organiser les déplacements ou les connexions (dans les bureaux d’éducateurs, sur des téléphones, dans la chambre d’un enfant), de tenir informés les détenteurs de l’autorité parentale, mais également de continuer à faire exister cette démarche entre deux espaces-temps. Nous avons été attentives aux liens entretenus avec les professionnels tout autant qu’avec les enfants, notamment en appelant une mère, une assistante familiale, un éducateur de foyer entre deux séances et souvent tard le soir, ou encore en pensant à souhaiter l’anniversaire de certains enfants impliqués. Ces éléments font échos aux propos récents de Lafantaisie, Tourigny et David (2022) rappelant la nécessité de prendre à la fois le temps et le soin de créer, de soutenir, la relation avec les enfants. Les cadres et responsables administratifs ont dû également s’ajuster pour permettre à tous les professionnels d’être disponibles pour les rencontres qui, parfois, se sont réorganisées en quelques heures, au gré des annonces gouvernementales. Enfin, les responsables politiques ont également investi cette démarche en ajustant les espaces, les modalités d’échanges, comprenant par exemple l’intérêt de veiller au nombre d’adultes présents lors d’une restitution et adaptant leurs agendas à celui des enfants. Il ne s’agissait pas d’inviter les enfants dans des espaces pensés et organisés par les adultes où ils ne se sentent pas toujours à l’aise ni légitimes (Van Bijleveld, Vetten et Dedding, 2020), mais de construire ensemble les étapes de la démarche. Les étapes et dimensions évoquées ici contribuent directement au déploiement d’un processus de participation (Faisca, 2021 ; Lacroix, 2016) : veiller à rendre l’information disponible et accessible (sur les contextes, les enjeux, les objectifs) ; développer une relation de proximité avec les mêmes adultes ; créer et adapter les espaces à la présence des enfants.

À l’issue de ce travail, les effets apparaissent tant sur le plan individuel que collectif tout en dépassant largement la question du confinement. Sur le plan individuel, la démarche a permis aux enfants d’être mieux informés sur certains de leurs droits et pour certains de prendre conscience qu’ils ont la possibilité de les exercer dans le cadre de leurs accompagnements individuels. C’est le cas lorsque Mimo, 13 ans, revient sur le fait qu’il n’est jamais invité à s’exprimer dans les synthèses entre professionnels. Il s’exprime alors comme suit : « On me dit que c’est pas ma place, mais c’est MON placement, MON placement. » Amine semble alors prendre conscience du décalage entre ce qui lui est proposé par la démarche et son niveau de participation aux décisions individuelles.

Il est aussi frappant de constater la façon dont certains enfants, en retrait au début de la démarche, sont peu à peu parvenus à prendre la parole, allant jusqu’à s’exprimer devant les responsables politiques et administratifs de la protection de l’enfance et, pour certains, devant plus de 300 professionnels. Les adultes qui entourent les enfants au quotidien ont également observé qu’ils avaient une meilleure compréhension de l’organisation et du fonctionnement des services qui les encadrent, mais aussi des changements dans les accompagnements individuels. Par exemple, Léa, âgée de 8 ans, la plus jeune membre du groupe, apparaît dans un premier temps réservée et parvient difficilement à exprimer son point de vue. Progressivement, elle prend toute sa place dans le groupe d’enfants et s’inscrit, en marge de ce projet, à un concours d’éloquence organisé au sein de son établissement scolaire. Elias, 12 ans, porteur d’un handicap sensoriel, a exprimé à plusieurs reprises son plaisir de faire partie d’un collectif de pairs, de s’y sentir accepté. L’assistante familiale qui l’accompagne a pu partager les effets produits, à la fois dans la relation qu’entretient l’enfant avec ses camarades de classe, mais aussi dans le rapport à son handicap, lui permettant d’accepter de s’inscrire à une activité extrascolaire, alors qu’il considérait sa cécité comme un frein à son intégration. Graduellement, la place prise par les enfants a engendré une évolution de l’animation proposée par les adultes, passant d’une animation basée sur l’impulsion des échanges et des idées à une posture de recueil et de soutien des réflexions et propositions des enfants. Au cours des échanges, souvent informels et imprévus, les jeunes ont livré de précieux témoignages concernant leur vécu de la démarche. C’est le cas de Morgan, 14 ans, qui considère que, pour une fois, on ne lui a pas dit « vas-y parle ! », mais on lui a « permis et appris à le faire ».

La participation ne peut être réduite à un simple espace de recueil d’une parole, qu’elle soit individuelle ou collective. Comme le soulignent certains auteurs (Ulvik, 2015), le terme dominant de « participation effective » dans la littérature sur les droits de l’enfant privilégie analytiquement le résultat par rapport au processus, conduisant à définir la participation par son résultat (Lacroix, 2016). Or, on peut aussi considérer la participation comme un concept plus large, qui implique des dimensions complexes, à la fois relationnelles et mobiles. Il s’agit alors de voir le point de vue de l’enfant comme s’exprimant au cours du processus de participation, et non comme quelque chose de fixe qui devrait être extrait par les adultes (Skauge, Storhaug et Marthinsen, 2021). La participation des enfants constitue dès lors un processus dynamique.

À partir des différents degrés de participation développés par Roger Hart (1992), nous pouvons comprendre que s’il est parfois complexe d’atteindre le plus haut niveau de participation, celle-ci constitue d’abord un processus à activer, à soutenir et à ajuster sans cesse au gré des contextes et des contraintes institutionnelles, organisationnelles, individuelles. Si les premières phases de cette démarche s’apparentent à des niveaux d’information ou de consultation, peu à peu des décisions se construisent avec puis par les enfants. C’est le cas lorsque les enfants envisagent les formes de restitution, lorsqu’ils imaginent les formes que pourrait prendre la suite de cette démarche pour contribuer aux décisions administratives ou politiques. Ces niveaux ne sont pas figés et n’ont pas concerné tous les enfants et/ou toutes les étapes, rappelant qu’il s’agit d’un processus singulier, plus circulaire que linéaire. Si la démarche peut être qualifiée de participative, les niveaux de participation de chaque enfant ont évolué au fil du temps et des rencontres. Certains enfants ont exprimé leur souhait de ne pas s’impliquer davantage, rappelant que si la participation est un droit pour tous, elle ne constitue pas une obligation.

Dans notre démarche, ces aspects sont particulièrement présents lorsque l’on considère que le processus de participation d’Elias s’est aussi déployé lorsque nous sommes allées le chercher en voiture, passant 3 heures à échanger ; ou lorsque nous regardions Alex et Morgan faire du roller au skatepark, entre deux discussions sur l’étude et une dégustation de friandises. C’est aussi le cas, selon nous, lorsque Elias tenait à toucher notre visage et nous prendre la main pour entrer et chercher à maintenir une relation avec l’une de nous, ou lorsque la maman de Léa nous téléphone sur l’un de nos numéros personnels dans le but de trouver une oreille attentive, sollicitant quelques conseils à propos des rapports qu’elle entretient avec les travailleurs sociaux qu’elle rencontre. C’est en considérant ces moments comme faisant partie du processus que nous accédons peu à peu aux expériences singulières et aux conditions de telles démarches. Le partage d’expériences qui s’est progressivement invité dans notre démarche a été rendu possible, au-delà de l’écoute des « voix », par l’attention accordée aux temps, aux espaces et aux corps.

Conclusion

L’expérience des enfants est accessible aux adultes (quel que soit leur statut) lorsqu’en premier lieu, ils disposent d’espaces et d’occasions pour exprimer leurs avis sur l’ensemble des dimensions les concernant, et qu’ils sont soutenus pour le faire. Au cours de cette étude, les enfants ont exprimé leur souhait et leur besoin d’être entendus, pris en compte, qu’il s’agisse des dimensions de la vie quotidienne (repas, aménagement des lieux, hygiène…) ou des décisions les visant (changement de lieu d’accueil, relations avec leurs familles). Mais ils se montrent également curieux et concernés par des dimensions plus politiques et citoyennes. C’est ainsi que des enfants, à partir d’une étude visant initialement à explorer leurs expériences du confinement, finissent par aborder les thèmes de l’écologie, du gaspillage alimentaire, des inégalités, des droits, de la pauvreté, à partir de leurs propres perspectives.

En accordant aux enfants un espace pour partager leurs expériences, cette étude permet de souligner que les enfants accueillis par la protection de l’enfance ont des préoccupations qui diffèrent parfois de celles observées par les adultes s’occupant d’eux, et certaines d’entre elles rappellent celles d’enfants en population générale, en France et ailleurs. Ces préoccupations signalent que les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance sont soumis à une organisation au sein de laquelle leurs marges de manoeuvre apparaissent relativement réduites sur un certain nombre de sujets relevant pourtant de leur quotidien, rappelant ainsi d’autres travaux (Join-Lambert, 2006 ; ten Brummelaar, Harder, Kalverboer, Post et Knorth, 2018).

Lorsqu’elle s’efforce de donner la parole aux enfants, la recherche a une dimension éminemment politique. Elle appelle à une compréhension des enfants comme sujets politiques (Draghici et Garnier, 2020). Mais, si la recherche parvient à produire des connaissances sur, et/ou avec l’enfant, et/ou l’enfance, la diffusion des connaissances devient alors un enjeu essentiel. Cela nous incite à continuer de revisiter la place occupée par les recherches, autant que par les chercheurs dans l’espace public, et la manière dont les savoirs peuvent être compris et utilisés (Robin, 2019). Ces questions ne sont pas déconnectées de la participation, bien au contraire. Car si nous parvenons à nous demander « pour quoi » et « pour qui » espérons-nous faire participer les enfants, la même question s’applique aux chercheurs : « pour quoi » et « pour qui » produisons-nous des connaissances ?

L’une des limites de cette démarche réside dans cette interrogation qui, selon nous, n’a pas bénéficié du même intérêt que d’autres questions ayant traversé notre démarche. Dès lors, si les enfants ont pu restituer oralement les résultats de cette étude, l’évaluation des effets sur les enfants, les professionnels ou sur d’autres sphères de la vie de l’enfant constituent des dimensions qui n’ont sans doute pas pu être mesurées. Les contraintes, les empêchements et restrictions pendant ces confinements n’ont pas été sans conséquence sur les enfants, mais également sur celles et ceux prenant soin d’eux. Pour autant, le désir du « retour à la normale » a peut-être provoqué une dissolution des expériences singulières des enfants durant cette période, alors même que l’étude réalisée a (re)mis à jour certaines des dimensions qui préoccupent les enfants et qui font référence à la qualité des soins, des liens, des lieux, de l’attention et du temps qui leur sont accordés.

Dans cet article, nous nous sommes concentrés sur ce que « disent les enfants » et sur la manière d’accéder à leurs expériences. Mais une question demeure et semble, selon nous, rendre compte du chemin qu’il reste à parcourir : « Sommes-nous prêts à entendre les enfants ? » Il s’agit de réfléchir aux changements que ces démarches pourront et devront avoir dans nos institutions, nos organisations et nos pratiques afin que, collectivement, politiquement, nous puissions réellement accorder aux enfants, à l’enfance, un rôle dans les processus décisionnels individuels, collectifs et politiques qui « affectent leurs vies ».