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Introduction[2]

La transition vers l’âge adulte des jeunes issus des systèmes de protection de l’enfance et de l’adolescence (ci-après dénommé JSPE) suscite, depuis la fin du siècle dernier, un énorme intérêt partout dans le monde. Différentes revues systématiques et méta-analyses reflètent cet intérêt et montrent les approches méthodologiques et thématiques les plus remarquables sur ce sujet, soulignant comment ce groupe de jeunes fait face, à un stade précoce, à des difficultés et à des défis plus importants dans leur transition que la population générale des jeunes, souvent sans le soutien nécessaire (Bussières, St-Germain, Dubé et Richard, 2017 ; Häggman, Salokekkila et Karki, 2020 ; Komljenovic, 2020). Ces études proposent également des modèles d’intervention et des politiques publiques plus efficaces, l’objectif central de ce travail. Deux autres types de recherche apportent des éléments pertinents à cet égard, les études longitudinales à large spectre (Cameron et al., 2018 ; Dietrich-Ragon et Frechon, 2022 ; Goyette et Blanchet, 2022 ; Marquet et Frechon, 2017) et celles axées sur la construction de systèmes diachroniques d’indicateurs à l’échelle de l’État ou de la région. Ce sont, dans certains cas, des recherches utiles en tant que références évaluatives pour la transition vers la vie adulte des JSPE (AFCARS, 2022 ; CLA, 2022 ; García-Alba, Postigo, Gullo, Muñiz et Fernández del Valle, 2021 ; Goyette, Blanchet, Tardif-Samson et Gauthier-Davies, 2022 ; HHS, 2019 ; Sala, Llosada, Muner et Pérez Romero, 2021 ; Sàlvia, 2021).

Nous incorporons ici, à ce palmarès d’études nationales et internationales, les contributions de notre travail sur le Système d’évaluation de la transition vers la vie adulte (SETVA) et ses rapports d’évaluation annuels pour la Communauté de Madrid. Il convient de noter que depuis le début des années 2000, il existe un engagement clair dans les politiques publiques de la Communauté de Madrid pour faciliter une transition inclusive vers la vie adulte pour le groupe JSPE (Communauté de Madrid, 2013). Dans ce parcours, l’imposition législative élaborée en Espagne par la Loi 26/2015, du 28 juillet, sur la Modification du système de protection de l’enfance et de l’adolescence a été fondamentale. Cette loi établit, dans son art. 22bis, que les entités publiques doivent offrir des programmes de préparation à la vie autonome aux jeunes qui font l’objet d’une mesure de protection, et ceci, deux ans avant l’âge de la majorité. En outre, la loi[3] explique que, une fois qu’ils l’ont atteinte, avec l’engagement de participation active des JSPE, les programmes doivent axer leurs actions sur leur suivi socioéducatif, le logement, leur insertion socioprofessionnelle, le soutien psychologique et l’aide financière.

Dans la Communauté de Madrid, cette disposition légale est mise en oeuvre dans le cadre du Plan d’autonomie personnelle 16-21[4] (ci- après dénommé PdAP) (Communauté de Madrid, 2013). Ce plan, qui concerne environ 1200 jeunes par année, propose deux volets : 1) le Programme d’autonomie personnelle 16-18, qui s’adresse chaque année à environ 800 jeunes encore sous la tutelle de l’État, vise à leur fournir des compétences et des outils pour maximiser leurs possibilités d’autonomie tout en favorisant une indépendance et une insertion sociale et professionnelle progressives ; et 2) le Programme de transition vers la vie indépendante 18-21, s’adressant à près de 700 jeunes pris en charge par des ressources résidentielles (plus de 140 places disponibles grâce aux ressources d’hébergement et à l’accompagnement éducatif des organisations d’initiative sociale) ou des ressources de milieu ouvert, grâce au Programme transit de la Fondation ISOS, qui vise à offrir un soutien personnel, des ressources en logement, formation et emploi pour les accompagner dans l’exercice de leur pleine citoyenneté, leur autonomie personnelle et leur intégration sociale et professionnelle.

Le PdAP a nécessité tout un travail entre les administrations, les organismes sociaux et autres groupes concernés, notamment la Universidad Nacional de Educación a Distancia (UNED, Université nationale d’enseignement à distance), qui a rejoint le programme en 2014. Toute une partie du PdAP vise la nécessité de « développer un projet de recherche sur les résultats de la mise en oeuvre et du développement du Plan d’autonomie dans la Communauté de Madrid […] afin de concevoir des améliorations et des principes de bonnes pratiques dans l’accompagnement socioéducatif des jeunes ex-tutellés » (Communauté de Madrid, 2013)[5].

Plusieurs recherches en cours depuis 2005 (Melendro, 2011) ont permis dès lors de fonder le PdAP sur des informations obtenues avant même sa création, ainsi que de l’accompagner dans son développement et sa consolidation, 18 ans plus tard. Cet article passe en revue les quatre projets de recherche les plus importants réalisés sur cette période quant à la pertinence et aux effets des informations fournies. Ces informations, synthétisées par thèmes, constituent des points nodaux, compris comme des éléments essentiels pour décrire le scénario central de l’action déployée et pour pouvoir aborder les transformations nécessaires du système en vue d’accroître son efficacité dans la réalisation de ses objectifs. Comme le précisent Selvini Palazzoli, Boscolo, Cecchin et Prata (1986), dans les points nodaux d’un système converge « le coefficient maximal des fonctions essentielles pour le maintien du système donné… [Il s’agit de] points qui, lorsque modifiés, opèrent un changement maximal du système avec une dépense énergétique minimale » (p. 44).

Les quatre projets de recherche pour lesquels nous avons opté, mis en oeuvre de manière diachronique, constituent un « micro-récit » cohérent, utile pour narrer, par les points nodaux sélectionnés, la réalité de la Communauté de Madrid, et la comparer avec d’autres régions nationales et internationales. 

Bref, sur la base des résultats des recherches adoptées, l’objectif principal de cet article est de fournir des informations pertinentes sur les points nodaux, les synergies et les dilemmes dans l’approche de la transition vers l’âge adulte des jeunes du système de protection de l’enfance et de l’adolescence de la Communauté de Madrid.

Méthodologie

Les recherches dont il est question ici comportent des informations sensibles et percutantes sur les questions ayant servi de base aux débats et à la prise de décisions sur les politiques publiques de la Communauté de Madrid au cours des 10 dernières années, lorsque le PdAP a été lancé : activités de formation, séminaires, ateliers, rapports annuels et exécutifs, publications et, surtout, les résultats du 1er Congrès international Transitions, sur l’éducation et les jeunes en difficultés sociales en transition vers la vie adulte. Le chemin vers la pleine autonomie et l’engagement social, qui s’est tenu les 1er et 2 décembre 2021 à Madrid[6], sont à la base des recherches choisies, ainsi que leurs résultats, regroupés en sept points : l’insertion professionnelle par opposition à l’enseignement formel ; la réduction des taux d’échec et d’abandon scolaires tout en facilitant l’accès à une vie autonome ; le dilemme de l’intervention avec et auprès de la famille ; l’évaluation positive des intervenants et de leur intervention ; la recherche d’une autonomie engagée socialement ; la formation aux compétences pour l’autonomie ; le défi de la migration et les différences de genre.

Les quatre recherches ont été conçues et mises en oeuvre par des équipes interuniversitaires et interdisciplinaires, gérées par l’UNED :

  • Projet TVA, sur la transition vers l’âge adulte des jeunes protégés (2006-2010) (Melendro, 2010, 2011) ;

  • Projet EFIS-2, sur les stratégies efficaces d’intervention socioéducative auprès des adolescents et des jeunes en risque d’exclusion sociale (2011-2013) (Melendro, Cruz, Iglesias et Montserrat, 2014) ;

  • Projet EVAP-SETVA, pour l’évaluation du PdAP 16-21 de la Communauté de Madrid (2015-2019) (Melendro, Campos, Rodríguez-Bravo et Arroyo-Resino, 2020a) ;

  • Projet Transitions, sur l’évaluation des transitions vers la vie adulte des JSPE de la Communauté de Madrid à travers le SETVA (2019-2022) (Melendro, Rodríguez-Bravo, Rodrigo-Moriche et Díaz, 2022).

Les objectifs de ces recherches coïncident presque en totalité et ont abouti à : 1) la réalisation de diagnostics sur le profil des jeunes aidés et leurs caractéristiques écosystémiques[7] ; 2) la description de scénarios d’avenir des jeunes en relation avec les conditions de leur environnement, leur situation personnelle et les compétences acquises pour l’autonomie personnelle ; 3) l’évaluation du rôle des différents éléments méthodologiques et stratégiques de l’intervention par rapport à la réussite de la transition vers une vie adulte autonome et socialement engagée ; et 4) la construction d’un système stable d’évaluation des trajectoires de transition vers la vie adulte des jeunes protégés, à partir de leurs profils personnel et contextuel et des caractéristiques et effets des actions et politiques publiques développées.

Les quatre recherches ont été menées avec des méthodologies quantitatives ou mixtes, ces dernières en fonction du souci de détail plus ou moins poussé de la recherche d’informations et de la diversité de la population étudiée. Dans cet article, nous nous concentrerons sur les contributions apportées par les approches quantitatives, essentiellement de type descriptif et corrélationnel, avec quelques brèves notes qualitatives.

Le tableau 1 présente les quatre recherches, la période de réalisation, leur approche méthodologique et décrit les échantillons, les instruments et la fiabilité des informations obtenues.

Les échantillons, traités à partir de l’approche de recherche-action qui caractérise la recherche et ses objectifs, se réfèrent aussi bien aux agents (intervenants et, dans un cas, entrepreneurs) qu’aux sujets de l’intervention et des politiques publiques (jeunes), à la recherche des interactions qui ont lieu entre eux.

Parmi les instruments les plus utilisés, notons les questionnaires ad hoc lors des premières recherches et, plus tard, après leurs réélaboration et amélioration, la batterie de questionnaires pour l’Évaluation de l’autonomie personnelle (EVAP) de Melendro et al. (2019) et l’Échelle d’autonomie dans la transition vers la vie adulte (EDATVA), de Bernal-Romero et al. (2020a), construits et validés par les chercheurs du groupe TABA sur la base de l’expérience développée. Nous avons également fait usage d’autres instruments, comme l’échelle de bien-être psychologique de Ryff, dans sa version adaptée à la population espagnole (Díaz et al., 2006).

À titre d’information complémentaire, signalons que les fourchettes adoptées dans les recherches ont principalement suivi des valeurs ascendantes de 1 à 4 points. Cependant, dans la première des recherches, et de façon unifiée avec les fourchettes bien connues par les jeunes et utilisées par ceux-ci dans leurs évaluations dans le système éducatif, des valeurs comprises entre 0 et 10 points ont été employées.

Tableau 1

Aspects méthodologiques des quatre recherches sélectionnées

Aspects méthodologiques des quatre recherches sélectionnées

M : masculin ; F  : féminin ; * Bernal et al., 2020a  ; ** Díaz et al., 2006.

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Le tableau 1 montre que la fiabilité des informations traitées présente, dans presque tous les cas, des valeurs élevées, supérieures à 0,80.

Quant aux procédures et aux analyses effectuées, il est difficile de justifier les différents traitements, les variables dépendant de la possibilité d’avoir recours ou non à des tests paramétriques, ou les différences dans les processus de recherche, qui ne sont pas uniformes. Dans chaque cas, les résultats fournis précisent les types de statistiques employées, dont la justification est trop vaste pour être décrite dans cet article et nécessite une lecture de la bibliographie sur les caractéristiques des différentes recherches. Enfin, les informations obtenues ont été analysées à l’aide des dernières versions des logiciels SPSS et Atlas Ti.

Résultats

Les résultats les plus significatifs de ces quatre recherches ont été organisés autour d’une série de points nodaux basés sur une double valeur : 1) leur intérêt pour la construction d’un modèle d’évaluation systématique et temporairement stable sur la transition vers l’âge adulte des JSPE ; et 2) les répercussions qu’ils ont eues, ont ou peuvent avoir sur les politiques publiques portant sur cette population de jeunes.

Ces points sont présentés dans deux grands blocs d’information qui font référence premièrement au processus de construction du modèle d’évaluation de la Communauté de Madrid, SETVA et deuxièmement aux questions ayant fondé techniquement et politiquement la systématisation de ce modèle d’évaluation.

Quant à la procédure de justification des résultats, les informations les plus pertinentes de chacune des recherches sont incluses, lorsque possible, dans une séquence temporelle qui obéit au moment où la recherche mentionnée a été effectuée. Les séquences temporelles des recherches sont présentées dans le tableau 1. 

Points nodaux dans le processus de construction du SETVA

L’insertion sur le marché du travail par opposition à l’enseignement formel : réduire les taux d’échec et d’abandon scolaires tout en facilitant l’accès à une vie autonome

Dès la première recherche (TVA, 2006-2010), nous avons noté un élément qui n’a guère changé au fil des ans : le faible niveau d’éducation avec lequel les JSPE affrontent leur avenir : « le pourcentage le plus élevé provient de l’enseignement secondaire inachevé, ou de programmes de compensation éducative (86,8 %). Aucun des jeunes n’a terminé des études supérieures/universitaires » (Melendro, 2010, p. 32).

Quelques années plus tard, dans le cadre de la recherche EVAP-SETVA (2015-2019), cette même tendance est observée. Cette étude montre que le processus éducatif est encore « en construction » et très difficile, en raison du besoin urgent de cette jeune population d’atteindre l’autonomie économique par le travail dans les plus brefs délais. En fait, l’accès à l’emploi en tant qu’élément essentiel de l’autonomie est l’une des dimensions les mieux travaillées : comme nous le verrons plus loin, des pourcentages élevés d’emploi sont atteints et il faut ajouter à cela que 88,9 % des JSPE actifs déclarent avoir une bonne ou très bonne intégration sur le marché du travail. Cette dichotomie entre intégration sur le marché du travail et enseignement formel révèle un point d’inflexion et de rupture fréquent, puisque les processus éducatifs augmentent le temps passé dans les programmes de transit et le manque de stabilité financière conduit souvent les étudiants à profiter d’opportunités d’emploi moins qualifiées et à abandonner leurs études (Bussières et al., 2017 ; Comasòlivas Moya, Sala-Roca et Marzo Arpón, 2018).

Dans la recherche EVAP-SETVA, on constate un retard dans la réussite au niveau de l’enseignement secondaire obligatoire (ESO) : seulement 27,8 % le terminent à l’âge de 18 ans, bien qu’un an plus tard, ce pourcentage passe à 53,5 %. Autrement dit, les jeunes continuent à étudier afin de réussir l’enseignement obligatoire après avoir quitté le système (TABA, 2019). Dans l’étude suivante (Transiciones), ces tendances se maintiennent, suivant d’autres études nationales (Fernández-Simo et Cid, 2016 ; López, Santos, Bravo et Del Valle, 2013 ; Martín, González, Chirino et Castro, 2020), même si l’abandon scolaire à 18 ans est réduit de moitié. Ainsi, « un pourcentage de 47 % de l’échantillon avec un âge moyen de 18,85 ans (SD = 1,198) ne poursuit pas ses études après avoir quitté le système de protection de l’enfance et de l’adolescence. Cette situation limite leurs possibilités d’intégration socioprofessionnelle » (Miguelena, Dávila, Naya et Villar, 2022, p. 74).

Cette diminution du taux d’abandon peut être liée à la consolidation des plans d’autonomie. Comme le souligne une évaluation intermédiaire du PdAP, 88,5 % des jeunes disent se sentir soutenus par la ressource résidentielle pour poursuivre leurs études, 82,9 % disent qu’on prend aussi en compte ce qu’ils veulent étudier et 78,5 % disent progresser dans leurs études.

Quoi qu’il en soit, seuls 3,7 % d’entre eux poursuivent des études universitaires, un pourcentage bien inférieur à celui de la population générale de leur tranche d’âge, qui tourne autour de 30 %, raison pour laquelle une ligne de travail claire se réfère à l’orientation de cette population vers l’enseignement supérieur, quand cela s’avère possible (Miguelena et al., 2022). 

Le dilemme de l’intervention avec et auprès de la famille

L’intervention auprès des familles des adolescents en risque d’exclusion apparaît de manière récurrente, dans toutes les recherches, comme le domaine dans lequel le travail est le moins efficace. L’environnement sociofamilial est perçu comme un obstacle sérieux, limitant l’intervention, relégué par les équipes professionnelles, qui considèrent les jeunes et les adolescents comme les sujets centraux de l’intervention professionnelle, et n’envisagent la famille que de manière tangentielle. Il est courant de trouver, dans ce sens, des interventions familiales segmentées et non coordonnées, qui limitent les possibilités de succès, avec des familles dans lesquelles la qualité de la relation est pauvre et qui peuvent facilement devenir des agents médiateurs de comportements agressifs ou de victimisation, ce qui a déjà été signalé dans la recherche EFIS-2 (Bernal-Romero et al., 2020b ; Melendro, De-Juanas et Rodríguez-Bravo, 2016).

Tableau 2

Opinion des intervenants sur les limitations ou les obstacles plus fréquents dans l’intervention auprès des adolescents

Opinion des intervenants sur les limitations ou les obstacles plus fréquents dans l’intervention auprès des adolescents
Source : Melendro, De-Juanas et Rodríguez-Bravo, 2016, p. 69

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Lorsqu’on demande aux intervenants d’attribuer une note quant à leur développement d’interventions adéquates avec les groupes familiaux des adolescents, ils s’attribuent une simple mention passable (X̅ = 5,07, sur 10), avec une forte hétérogénéité dans les réponses (σ = 2,364). Ils ont également constaté un très faible taux de collaboration familiale (X̅ = 4,6 sur 10) (Melendro et al., 2014, p. 116).

En ce qui concerne la perception du jeune qui a réintégré sa cellule familiale après avoir quitté le système (28,9 %), la recherche EVAP-SETVA a révélé une perception négative du soutien familial reçu, un an après cette réincorporation : 51,1 % déclarent qu’ils n’ont pas une bonne relation avec leur famille ; 40 % disent que leur famille ne les aide pas du tout depuis qu’ils vivent avec elle ; seulement 8,9 % pensent que leur famille les aide, cette aide consistant soit en un soutien personnel (28,9 %), soit en la mise à disposition d’un logement (11,1 %), soit en un soutien financier (8,9 %). Seulement 2,2 % disent que leur famille les soutient en tout et leur apprend des choses utiles pour leur vie indépendante (Melendro et al., 2016).

L’évaluation positive des intervenants et de leur intervention

Si les contributions sur l’axe central de l’action sont significatives, un autre point important, présent dans les conclusions de pratiquement tous les projets de recherche, concerne l’évaluation des intervenants par le groupe de jeunes.

Dans la première recherche, le projet TVA (2005-2008), on avait déjà relevé que les jeunes se sentaient particulièrement pris en charge et soutenus par les programmes (9 et 8,6 sur 10) ; c’était en plus de leur évaluation élevée et homogène de la qualification des éducateurs/éducatrices (8,97), reliant la réminiscence de ces figures éducatives avec les apprentissages liés à l’autonomie, l’indépendance et la maturité personnelle (Melendro, 2011).

Cette bonne évaluation des intervenants est reprise dans des études plus récentes, avec quelques contributions plus spécifiques. Ainsi, dans le projet EFIS-2 (tableau 4), les éléments faisant référence à ces qualités ou compétences des éducateurs qui favorisent la pratique socioéducative sont particulièrement bien notés, notamment la facilité de communication (8,78), leur patience et leur gentillesse (8,65) et l’idée claire qu’ils sont des intervenants qui « savent ce qu’ils font » (8,82). (Melendro et al., 2014, p. 67). 

Tableau 3

Évaluation des intervenants par les jeunes

Évaluation des intervenants par les jeunes
Source : Melendro et al., 2014, p. 67

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Par ailleurs, dans l’étude EVAP-SETVA, les jeunes soulignent chez les intervenants des éléments tels que la bonne connaissance de la réalité, l’implication dans l’intervention, la fluidité de la communication et la prise de décision conjointe entre les jeunes et les intervenants ; ils valorisent le traitement reçu avec 7,5 sur 10 et leur relation avec les intervenants avec 7,8 (TABA, 2019)

Cette note élevée à l’égard des intervenants indique un fort sentiment d’appartenance du groupe de jeunes à la structure qui les prend en charge et la force de leur lien avec celle-ci. Comme nous le verrons plus loin, cela permettra aux jeunes d’acquérir des compétences et de favoriser les valeurs fondamentales pour développer la vie en société (Vaillant et Manso, 2019), ainsi que l’acquisition de la compétence de citoyenneté comme compétence clé tout au long de la vie, promue par le Conseil de l’Europe (2018).

La quête d’une autonomie socialement engagée

Le projet Transitions permet d’avancer dans la prise en compte de l’autonomie personnelle comme point central de l’intervention auprès du groupe JSPE. Il s’agit d’un sujet très pertinent, car il sert de cadre de référence tant pour l’analyse de la réalité que pour l’évaluation et la prospective sur les politiques publiques et l’intervention développée. L’autonomie est ici comprise comme « un processus complexe […] qui implique des éléments procéduraux tels que le questionnement et la réflexion sur sa propre vie en relation avec les autres, la prise de décisions interdépendante, l’assomption des conséquences et la pratique de l’auto-éco-organisation » (Bernal-Romero, Melendro, De-Juanas et Goyette, 2021, p. 86). Cette approche complexe implique des manières de voir et de faire très différentes des concepts d’émancipation ou d’ex-tutelle, aussi largement utilisés dans ce domaine, qui sont plus liés à la sortie d’un système qu’à l’objectif vital de la personne qui le quitte.

La construction et l’application de l’échelle EDATVA (Bernal-Romero et al., 2020a) pour la mesure de l’autonomie, qui trouve son origine dans la recherche sur la transition vers la vie adulte des JSPE, représentent une étape importante dans cette conceptualisation complexe, avec des effets intéressants, comme le reflète l’une de ses applications, dans ce cas à un échantillon de 1148 jeunes adultes d’Espagne et de Colombie. Dans cet échantillon, trois parcours de jeunes ont été caractérisés : le parcours de l’emploi ; le parcours de l’éducation et le parcours du désavantage social, dans lequel ont été incluses les JSPE d’Espagne et de Colombie. Alors que le groupe suivant le parcours d’emploi (X̅= 20,44 ; SD = 3,40) obtient des scores plus élevés pour la dimension d’auto-organisation personnelle de l’échelle, le groupe suivant le parcours d’éducation (X̅=19,65 ; SD = 3,36) obtient des scores plus élevés pour la dimension de la pensée critique (X̅=19,79 ; SD = 3,64) et, enfin, les scores les plus élevés pour la dimension de l’engagement sociopolitique appartiennent au groupe correspondant à la voie du désavantage social (X̅=14,68 ; SD = 5,19). (Melendro et al., 2020a). Cette dimension sur la capacité d’implication sociopolitique fait référence à la possibilité du sujet de s’engager socialement, de prendre et d’assumer des décisions en tenant compte de sa responsabilité sociale et de sa participation à la société de son temps (Bernal et al., 2020b). 

La formation aux compétences pour l’autonomie

Un deuxième élément pertinent relatif à l’autonomie des JSPE a trait aux domaines de compétence sur lesquels les intervenants travaillent afin de promouvoir cette autonomie, spécialement évalué dans les projets de recherche EVAP-SETVA et Transitions.

En ce qui concerne le projet EVAP-SETVA, l’augmentation de l’appréciation des niveaux de compétence trois ans après la mise en oeuvre du PdAP est significative. Pour ce qui est de ces niveaux de compétence dans les différents domaines, le tableau 4 montre également une meilleure appréciation de la formation à l’autonomie dans les soins de santé, suivie de la formation à l’acquisition d’habitudes personnelles et de compétences domestiques, ainsi que de la formation aux relations personnelles et aux compétences sociales. Quant aux formations pouvant être améliorées, notons les actions liées à la situation familiale et au soutien à la recherche de logement. On peut également noter la comparaison entre les appréciations offertes par les jeunes et les intervenants, ces derniers étant plus généreux dans l’évaluation de pratiquement tous les niveaux de compétence.

Tableau 4

Appréciation de la formation par compétences

Appréciation de la formation par compétences

* Après trois ans de formation PdAP.

Source : Comparative EVAP-SETVA (TABA, 2016, 2019)

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On trouve des résultats similaires dans l’application réalisée quelques années plus tard dans le cadre de la recherche Transitions, avec de bonnes évaluations de la formation reçue dans les dimensions « attention à la santé et aux soins personnels » et « bonnes relations sociales et affectives ». Cette recherche met aussi en évidence que la formation reçue, dans n’importe laquelle des compétences évaluées, présente des corrélations positives « avec un état de vie favorable et avec un sentiment de bonheur élevé dans le groupe des JSPE, la corrélation avec l’évaluation de la formation pour le « contrôle des dépenses et la gestion économique” étant particulièrement remarquable (r = 0,323 et r = 0,303 respectivement) ». Et, dans le sens inverse, parmi les scores les plus bas, dans les trois groupes, on trouve la formation pour « l’amélioration des relations familiales » et « la recherche et la gestion du logement » (Melendro et al., 2022, p. 41-43), ce qui coïncide à nouveau avec les évaluations proposées dans la recherche EVAP-SETVA.

Le défi de l’immigration et les différences de genre

Entre 2017 et 2018, la population de JSPE a augmenté de façon spectaculaire en Espagne, avec l’arrivée massive d’adolescents et de jeunes non accompagnés en provenance d’Afrique du Nord, principalement du Maroc et de l’Algérie. Cette migration massive fera s’effondrer le système de protection, qui se retrouvera dans une situation compliquée avec les répercussions de la COVID-19 en 2020. Ainsi, alors que dans la première des recherches, 28,7 % des JSPE étaient de jeunes migrants (TVA, 2006-2010), cette proportion passe à 51 % dans la recherche EVAP-SETVA (2015-2019) et à 69 % dans la recherche Transitions (2019-2022). Ce flux migratoire représente un défi considérable pour le système, qui est conçu et structuré pour une population essentiellement espagnole et qui devra s’adapter à un rythme très rapide. Parmi les caractéristiques les plus notables de cette période, la recherche met en évidence les énormes difficultés rencontrées par les jeunes migrants pour obtenir la documentation qui leur donne accès au travail et à un minimum de stabilité vitale et émotionnelle. Ainsi, en 2019, seuls 71,4 % ont un permis de séjour et 68,6 % n’ont pas de permis de travail (TABA, 2019, p. 7), une situation qui s’est maintenue jusqu’à la fin de 2021, lorsque, comme nous le verrons ci-dessous, cela change de façon drastique. 

Par ailleurs, dans la récente recherche Transitions, la population de jeunes migrants donne toujours des appréciations sur la formation reçue qui sont inférieures à celles du groupe de jeunes de nationalité espagnole, avec des scores statistiquement significatifs dans des dimensions aussi importantes que : « recherche d’emploi et intégration professionnelle » (p < 0,001[8]) ; « recherche et gestion du logement » (p = 0,008) ; « amélioration des relations familiales » (p = 0,004) ; et « santé et soins personnels » (p = 0,001) (Melendro et al., 2022, p. 40).

Un autre élément intéressant, qui ressort clairement dans les dernières recherches, est la réponse différente à l’intervention selon le genre. On trouve des différences statistiquement significatives entre les femmes et les hommes dans le projet EVAP-SETVA, où l’on signale comment les jeunes femmes sont « … plus actives et obtiennent de meilleurs résultats que les jeunes hommes dans les aspects liés à la formation, à l’acquisition de compétences, à la gestion de l’argent, à la participation à l’intervention familiale et à la participation en général au Plan d’autonomie… » (TABA, 2019, p. 9). Par ailleurs, la recherche Transitions conclut que les jeunes femmes font des évaluations plus positives de la formation reçue que les jeunes hommes, avec des scores statistiquement significatifs dans les dimensions « recherche d’emploi et intégration professionnelle » (p < 0,001), « bonnes habitudes de vie et compétences personnelles » (p = 0,001), « contrôle des dépenses et gestion économique » (p < 0,001) et « attention à la santé et aux soins personnels » (p = 0,014) (Melendro et al., 2022, p. 39-40).

Discussion et propositions tirées de la littérature scientifique et des politiques publiques

Ces dernières années, avec la référence du PdAP, les politiques publiques de la Communauté de Madrid ont eu pour objectif d’avancer vers une plus grande allocation et diversification des ressources et vers le développement de lignes d’action qui ont été reflétées et/ou liées aux processus d’évaluation mis en oeuvre depuis le Plan. Nous commençons ici la discussion des résultats de recherche précédemment évoqués, tout en contrastant cette construction de nouvelles politiques publiques avec les apports récents de la littérature scientifique sur les questions abordées.

Ces processus d’évaluation systématique, qui ont accompagné l’extension et la consolidation progressives du PdAP, ont démontré l’évaluation positive du projet par les intervenants qui y ont participé et qui ont été spécifiquement formés pour le mener à bien. En particulier, il convient de souligner la formation des intervenants du PdAP grâce aux cours annuels du Plan de formation des employés de la fonction publique et des Journées de conférences annuelles sur le PdAP réalisées par la Communauté de Madrid depuis 2014[9], l’élaboration de soutiens pédagogiques, ainsi que divers documents techniques d’intervention pédagogique. Dans la littérature scientifique, l’importance d’avancer dans ces processus de formation professionnelle et de recherche évaluative a été soulevée (Bussières et al., 2017 ; Lynch et al., 2021 ; Pérez-García, Águila Otero, González García, Santos et Fernández del Valle, 2019). Dans cette perspective, les chercheurs et les intervenants ont évolué ensemble, à l’échelle internationale, dans la conception de méthodes efficaces et stratégiques afin de donner du pouvoir aux jeunes et de faciliter leur transition vers une vie autonome, indépendante et responsable (Courtney et Hook, 2017 ; Dixon et Baker, 2016 ; García-Alba et al., 2021 ; Goyette, Mann-Feder, Turcotte et Grenier, 2016 ; Melendro, Dixon et Incarnato, 2020b ; Montserrat et Melendro, 2017).

Un autre résultat très significatif concerne la formation par compétences dispensée aux JSPE par les équipes professionnelles du PdAP, qui a été perçue comme bien conçue et efficace par les jeunes, tant dans le domaine de l’action socioéducative que par rapport à l’enseignement formel. C’est l’un des thèmes centraux communément mis en avant dans les recherches internationales sur le sujet (Goyette et al., 2022 ; Montserrat et Melendro, 2017). La formation aux compétences de l’action socioéducative est considérée comme particulièrement efficace en ce qui concerne les soins de santé, l’acquisition d’habitudes personnelles et de compétences domestiques, ainsi que la formation aux relations personnelles et aux compétences sociales. Une formation aux compétences à améliorer est celle sur la situation familiale et le soutien à la recherche d’un logement. Pour ce qui est de l’enseignement formel, la formation par compétences a été mise en oeuvre dans le cadre du programme développé en collaboration avec la Fondation Pryconsa, intitulé Ayudando a aprender, Programa de desarrollo de competencias para facilitar y reforzar el aprendizaje escolar en los Centros de Protección de Menores de la Comunidad de Madrid[10], qui, au cours des sept dernières années, a réussi à augmenter les performances scolaires de la population JPSE de la Communauté de Madrid de 26 points, de 46 % à 72 % (Rodríguez-Estevez, Lloret Gregori, Martínez Martínez, Sánchez García et Cuadrado Gamarra, 2018). Comme le soulignent différents auteurs, un système plus favorable à la réussite scolaire permettrait de limiter les effets de l’important retard scolaire qui complique l’insertion des JSPE sur le marché du travail (Courtney et Hook, 2017 ; Frechon et Lacroix, 2020 ; Goyette et Blanchet, 2022).

Il convient de souligner les évaluations positives des JSPE envers les intervenants, le PdAP, et les actions qui y sont menées. Ces résultats viennent valider le fonctionnement du système et, comme le montrent nos recherches, sont directement liés aux apprentissages relatifs à l’autonomie, à l’indépendance et à la maturité personnelle (Melendro, 2011). Ceci est tout à fait en accord avec ce que différents auteurs ont mentionné, dans ce sens, comme potentialités de ce groupe : notamment, sa résilience, sa capacité d’implication sociale, sa capacité critique, son autonomie et son optimisme vital (Dixon et Baker, 2016 ; Goyette, 2019 ; Melendro et al., 2020a). Il est également pertinent, dans ce sens, de mentionner dans les résultats de nos travaux les différentes réponses à l’intervention selon le genre, les jeunes femmes étant plus actives et obtenant de meilleurs résultats que les jeunes hommes dans de nombreux domaines tels que formation, compétences, santé, économie, soins personnels, insertion et participation au marché du travail (Goyette et Blanchet, 2022 ; Goyette et al., 2022 ; Dixon et Baker, 2016 ; Melendro et al., 2017).

Enfin, le défi de la migration a été l’un des aspects les plus pertinents auxquels les politiques publiques espagnoles ont tenté de répondre. Depuis 2018, l’augmentation massive des adolescents migrants non accompagnés dans le pays a été à l’origine de l’adaptation de la part du système de protection de l’enfance et de l’adolescence et, par conséquent, des ressources destinées à la transition vers la vie adulte à une telle réalité. Les adolescents et les jeunes migrants non accompagnés font face à des difficultés supplémentaires dans leur préparation à une vie indépendante, telles que le peu de temps dont ils disposent pour le faire – puisque les mesures de protection sont généralement adoptées lorsqu’ils approchent de la majorité –, les différences culturelles, les difficultés d’acquisition de la langue ou leurs attentes initiales vs leur concordance avec la réalité. L’Instruction 1/2020, émise par le secrétaire d’État aux migrations, a ouvert un nouveau scénario, permettant l’octroi d’un permis de séjour pour les mineurs étrangers, afin de leur permettre de travailler en tant que salariés lorsqu’ils atteignent l’âge de 16 ans, sans avoir besoin d’aucune autre procédure administrative. Ceci a été le point de départ de la modification du règlement sur les étrangers concernant les mineurs étrangers non accompagnés, modifiant le régime juridique des mineurs et des JSPE, afin de favoriser leur intégration[11].

Entre autres sphères où il faut continuer à progresser en matière de politiques publiques, en coordination entre les différents acteurs, figurent celles qui affectent les dynamiques d’emploi et de logement, ainsi que la nécessité de passer de la participation plus ou moins active de ces jeunes à un engagement social authentique avec et par le collectif de jeunes dans la transition vers la vie adulte. Il existe depuis peu des approches plus actives et plus critiques à cet égard ainsi que des plans organisés visant à favoriser l’autonomisation et l’engagement social des jeunes (Goyette et Blanchet, 2022 ; Harder, Mann-Feder, Oterholm et Refaeli, 2020 ; Lynch et al., 2021 ; Montserrat, Delgado, Garcia-Molsosa, Carvalho et Llosada-Gistau, 2021 ; Pérez-García et al., 2019). 

Ainsi, les principaux défis que doivent actuellement relever les politiques publiques en matière de prise en charge des JSPE visent l’atteinte de certains objectifs stratégiques. Entre autres, la mise en place d’une législation propre et autonome, à l’heure où un projet de loi sur l’enfance dans la Communauté de Madrid est en cours d’élaboration, et établit expressément que les politiques de la Communauté de Madrid en matière de jeunesse et d’inclusion sociale tiendront compte des besoins particuliers des JSPE et favoriseront leur accès à l’enseignement post-obligatoire et supérieur. Parallèlement, il convient d’avancer dans le développement d’itinéraires individualisés permettant une transition vers la vie adulte adaptée au projet individuel de chaque jeune. Plus spécifiquement, il importe de progresser dans la conception de ressources permettant de répondre aux besoins particuliers de certains jeunes, comme le soutien psychologique en tant qu’outil et la prise en charge des jeunes ayant des capacités différentes ou des problèmes de santé mentale.

Dans cet article, nous avons examiné l’histoire récente du collectif JSPE à Madrid, mais des processus et des situations similaires peuvent être trouvés dans de nombreux autres territoires. Pour répondre à cette problématique, nous avons voulu montrer ici l’importance de la collaboration entre intervenants, chercheurs et jeunes, pour déconstruire et reconstruire, ensemble, des espaces de cohabitation et des politiques publiques indispensables pour faire avancer l’inclusion de cette jeune population dans la société de leur temps : une inclusion basée sur l’autonomie et l’engagement envers la société.