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Il va sans dire que les besoins des jeunes placés ou suivis dans la communauté (en probation par exemple) ou encore de ceux qui reçoivent des services dans les systèmes de protection et de justice pénale juvénile (y compris les jeunes sous double mandat ayant été suivis dans les deux systèmes) sont au centre des préoccupations médiatiques, sociales, politiques et scientifiques. Sur le plan international, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) promeut la nécessité de permettre aux jeunes d’exprimer leur opinion dans les décisions qui les concernent au même titre que leur droit à des conditions de vie appropriées, à un endroit pour vivre, à une scolarisation de qualité et à la non-discrimination.

Dans le champ de la protection de la jeunesse, répondre à ces enjeux majeurs commande d’aller au-delà d’une vision centrée sur les troubles du comportement et de prendre davantage en compte l’ensemble des sphères de la vie des jeunes et leurs diverses interactions. Le corollaire est l’implantation d’interventions et de programmes multidimensionnels ou intersectoriels afin d’envisager la complexité des enjeux que vivent les jeunes et leur famille. Ceux-ci doivent pouvoir compter sur des services sociaux et de santé de première ligne dans leur communauté afin d’éviter l’intervention exceptionnelle de la protection de la jeunesse et un placement hors de la famille du jeune (Esposito et al., 2023). De même, ces jeunes, avant d’être « placés », sont des jeunes qui font face aux mêmes enjeux que ceux de leur âge, du fait notamment de leur transition vers l’âge adulte (Bernal-Romero et al., 2021). Ils peuvent ainsi relever plusieurs défis qui exigent des soutiens (santé mentale, parcours de judiciarisation, itinérance, etc.) qui rendent compte des situations de vulnérabilité (Goyette et al., 2011). Du point de vue de la recherche, ces besoins, processus et trajectoires doivent être resitués dans une compréhension des processus d’accès et de non-recours à ces soutiens en considérant le rôle des environnements sociaux. Cette considération des soutiens et du rôle des contextes et des environnements signifie d’aller au-delà des paradigmes associés à une vision pathologisante de la jeunesse et qui visent le contrôle du comportement des jeunes, notamment autour de diagnostics cliniques pouvant les individualiser et les essentialiser.

Ainsi, le contexte social dans lequel évoluent les jeunes placés, les rapports à l’intervention en protection de la jeunesse et les parcours différenciés des jeunes de la diversité sont à considérer pour comprendre leurs réalités, accueillir leur point de vue sur les services et saisir les enjeux inégalitaires ou de surreprésentations systémiques (Boatswain-Kyte et al., 2020).

Au Québec, ces réflexions correspondent à la plupart des recommandations de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, dans son rapport publié le 3 mai 2021, et qui mettait en évidence la faible participation des jeunes dans le processus décisionnel ainsi que la nécessité de soutenir davantage ces jeunes dans leur transition à la vie adulte (Gouvernement du Québec, 2021).

Ces constats soulèvent ainsi la nécessité de replacer les adolescents, les adolescentes et les jeunes adultes au coeur du processus d’intervention dans les systèmes de protection de la jeunesse et de justice pénale juvénile, ainsi que d’examiner leurs perceptions et leurs expériences du système de justice pénale, un aspect trop peu exploré jusqu’à maintenant (Niang et al., 2021). Cela implique de mener davantage de réflexions sur les droits de ces jeunes, leur participation au sein des systèmes ainsi que la prise en compte de leurs besoins dans les multiples sphères de leur vie. Plus précisément, il s’agit de leur transmettre l’information pertinente sur leurs droits, la manière de les faire valoir et de créer une véritable intériorisation de ces droits pour qu’ils puissent en assurer le plein exercice.

Ce numéro spécial vise justement à rendre visibles, par une variété de méthodologies et de thèmes, sur le plan national et international, la place des jeunes et leurs expériences dans les systèmes de protection et de justice juvénile. Les articles présentés dans ce numéro traitent ainsi des enjeux de la protection de la jeunesse et de justice juvénile en redonnant une place aux adolescents et adolescentes ou jeunes adultes, âgés de 12 à 35 ans, qui font ou ont fait l’objet d’un placement ou de mesures probatoires. Une attention est également portée à la prise en compte dans l’intervention de leurs différents besoins en fonction de leur réalité personnelle, sociale et culturelle, notamment en appliquant des principes d’équité, de diversité et d’inclusion.

L’ensemble des articles s’inscrit dans la thématique des droits, de la parole et des besoins des jeunes. Ils s’articulent plus particulièrement autour de trois aspects : 1) la préparation des jeunes à deux étapes significatives de leur parcours, soit sur le plan judiciaire ou préplacement, et aussi sur le plan postplacement ; 2) leurs expériences de placement ; 3) l’adaptation des services et des politiques.

La première section du numéro présente quatre articles qui soulèvent des réflexions quant à l’accès aux droits et à la parole des jeunes, en mettant notamment en avant l’importance de la préparation, aussi bien au début du processus judiciaire (Gadoua et al. ; Niang et al.) que lors du postplacement (Lacroix et al. ; Melendro et Gómez-Aparicio). Suivant le point de vue de jeunes judiciarisés sur le plan pénal sur leurs interactions avec les juges de la Chambre de la jeunesse au Québec, Niang et al. soulignent la pertinence de privilégier la création d’un espace de dialogue avec les jeunes, des relations de qualité ainsi que leur préparation à l’audience comme levier de participation à la décision. L’article de Gadoua et al. offre un éclairage complémentaire relativement à la préparation des témoins et met en évidence les apports d’un programme de préparation des mineurs dans la réduction des craintes de témoigner devant la cour. Une perspective internationale est apportée au numéro avec l’article de Melendro et Gómez-Aparicio qui traite de la préparation des jeunes dans le contexte de leur transition vers la vie adulte. En présentant quatre projets de recherche, les auteurs dressent les constats et les défis de la transition des jeunes des systèmes de protection de l’enfance et de l’adolescence à Madrid, en Espagne, tout en offrant des pistes de réflexion intéressantes sur les leviers permettant de parvenir à une transition réussie. L’article de Lacroix et al. poursuit ces réflexions en témoignant des apports de l’engagement autonome des jeunes dans la mobilisation de quatre types de ressources qui agissent comme des facilitateurs dans la transition vers la vie adulte.

La deuxième section permet d’aller au-delà des réflexions liées à la préparation des jeunes pour mettre en lumière leurs expériences durant le processus d’intervention. Le premier article, de Gauthier-Davies et al., discute de l’instabilité des trajectoires de services au moyen de l’exploration des liens entre le nombre d’intervenants qui assurent le suivi des jeunes et le niveau de satisfaction de ces derniers au regard des services offerts. Dans le cadre d’une recherche menée auprès de jeunes dits « sous double mandat », Dumollard s’interroge sur la continuité de l’intervention sous le prisme de l’articulation entre les suivis au sein des systèmes de protection de la jeunesse et de justice pénale juvénile. L’article de Marcotte et al. aborde les traumatismes vécus par des jeunes ayant eu une expérience de placement, notamment dans leur construction identitaire, tout en documentant les stratégies mobilisées par ces derniers pour affronter ces traumatismes en fonction de leur avenir. L’article de Couture et al. présente quatre types d’expérience des jeunes de la fugue et la convergence de leurs expériences concernant l’aspect relationnel et leur insatisfaction quant au contexte de placement. Enfin, l’article de Simard et al. est consacré aux besoins des mineurs hébergés dans un centre intégré universitaire de santé et services sociaux au Québec.

La dernière section de ce numéro s’intéresse à la singularité des expériences des jeunes, ce qui suppose de les inscrire dans leur contexte. Ainsi, l’article d’Esposito et al. montre la nécessité de tenir compte du contexte géographique et socioéconomique dans l’intervention en protection de la jeunesse au Québec, tout en soulevant des pistes de réflexion sur le lien entre intervention en protection de la jeunesse et pauvreté. Maameri et al. examinent la dimension contextuelle de l’intervention dans une analyse comparative entre la France et le Québec et sous le prisme de l’accès des jeunes et leur participation au système de protection. En plus du rôle des déterminants socioéconomiques dans l’intervention en protection de la jeunesse, ce numéro aborde en outre les questions relatives à diversité culturelle et de genre. L’article de Jimenez témoigne en ce sens d’une lecture de la judiciarisation des jeunes dans le système de justice pénale selon leur trajectoire migratoire ou encore du processus et des écarts d’acculturation, entre ces jeunes et leurs parents, et les enjeux qui en découlent. Pullen Sansfaçon et al. proposent une réflexion autour du droit et des besoins des jeunes placés en protection de la jeunesse et la prise en compte des enjeux liés à la diversité sexuelle et de genre au Québec. Enfin, les deux derniers articles permettent de poursuivre les réflexions sur les enjeux et les modalités d’accessibilité à leurs droits, au sein d’un dispositif d’intervention, la justice restaurative (Filippi), ou de recherche (Faisca).