Corps de l’article

Cet ouvrage collectif de la collection « Recherche AGRH », coordonné par Ludivine Adla, Virginie Gallego-Roquelaure et Marc-André Vilette met en lumière les enjeux de la GRH en PME au niveau de différentes phases de la vie de l’entreprise (internationalisation, innovation, transmission/reprise), ainsi que ceux relatifs au management responsable des RH en PME. Parfois simplement perçu comme une fonction « administrative », le management des ressources humaines est en réalité une activité hautement stratégique en PME. Les pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) en PME ont leurs spécificités et leurs enjeux propres (A. Richard, préface, p. 13).

Trente-deux enseignants-chercheurs, soutenus en préface par la présidente de l’ANDRH, et en postface par le président de la CPME ont contribué à cet ouvrage utile et important, tant pour les chercheurs que pour les praticiens. À lire donc sans modération indique F. Asselin (postface, p. 286).

La première partie de cet ouvrage aborde le management des RH en contexte international au travers de trois chapitres. Ainsi, des recherches empiriques qualitatives conduisent Marc Valax (Chapitre 1) à cerner les représentations des acteurs concernés par une haute performance des RH en PME internationale. Il identifie trois facteurs clés de succès : les logiques d’empowerment des RH qui facilitent le développement international et l’innovation, notamment une culture d’entreprise favorable à une certaine autonomisation des salariés permettant d’entrer dans une logique d’innovation continue et responsable à l’international ; une philosophie de gestion de leadership responsable, qui agit dans le respect des règles et avec des valeurs morales très fortes, qui décide pour le bien de tous et avec l’avis de tous ; le rôle clé des boundary spanners (hommes-orchestres) qui permettent de transcender les frontières organisationnelles et nationales en connectant un réseau local à d’autres réseaux externes à l’entreprise.

Selon la littérature, le mode de gestion des PME est fortement incarné par le dirigeant et les pratiques de GRH au sein des PME seraient peu formalisées, notamment au niveau des dispositifs d’évaluation et de reconnaissance du personnel. Or, dans le contexte de mutation actuel, les problématiques d’attractivité et de fidélisation des RH sont patentes. Claire Dupont, Perrine Ferauge, Isabelle Alphonse-Tilloy, Sylvie Scoyez-Van Poppel (Chapitre 2) ont tenté d’identifier, au travers d’une étude quantitative, les perceptions des dirigeants de PME au niveau de leurs pratiques de valorisation du personnel. Les autrices ont pu mettre en évidence une diversité de pratiques de valorisation du personnel qu’elles classent selon trois catégories : les « frileux » qui considèrent que la GRH est au service de l’entreprise et de sa rentabilité et non des salariés, ils respectent les obligations légales et la perçoivent comme un coût ; les « attentistes » qui sont plus investis dans l’organisation de formations, d’activités en dehors du temps de travail, d’entretiens d’évaluation, mais pas dans les pratiques de reconnaissance ; les « actifs ou engagés » qui disposent d’un département RH et/ou d’une personne dédiée et sont plus impliqués dans les pratiques de valorisation, ils recourent régulièrement aux entretiens d’évaluation, et organisent plus de formations.

Peu d’études se sont penchées sur la manière dont les pratiques RH peuvent agir comme un levier d’innovation dans les PME ou plus spécifiquement dans les start-up. Viviana Meschitti et Dorra Jebali (Chapitre 3) contribuent, au travers d’une étude qualitative exploratoire portant sur quatre start-up tunisiennes, à montrer l’importance d’établir un environnement de travail (convivial et confortable) propice à l’apprentissage et à l’expérimentation et des pratiques informelles de la GRH fondées sur la confiance pour favoriser des comportements innovants. Les autrices proposent également des recommandations structurées autour de pratiques formelles de formation favorisant l’autonomie, la collaboration et le partage d’idées ; la fixation d’objectifs clairs et des feed-back réguliers afin de responsabiliser les salariés tant au niveau de leurs tâches que de la performance de l’organisation.

Cette question de l’innovation via le management des RH en PME est approfondie dans la partie 2 au travers de quatre chapitres. Abdelwahab Ait Razouk montre (Chapitre 4), au travers d’une étude quantitative sur un panel de 275 PME françaises, qu’il existe une relation significative positive entre un indice de « GRH mobilisatrice » (structuré autour de quatre dimensions : évaluation, participation, information, rémunération), et l’innovation. Des pratiques mobilisatrices de GRH permettent une meilleure utilisation des compétences et des connaissances du capital humain et contribuent à améliorer la performance des entreprises.

Si les PME présentent certaines caractéristiques telles que la flexibilité interne, la réactivité, la souplesse au niveau de la communication interne et la rapidité au niveau de la prise de décision ; elles ne disposent pas souvent des ressources et compétences internes, particulièrement humaines et financières, pour mener à bien un projet d’innovation. Bénédicte Aldebert et Sabrina Loufrani-Fedidia (Chapitre 5) mettent l’accent, au travers d’une étude de cas de PME, sur le rôle de la stratégie dans l’articulation entre management des compétences et PME innovantes. Les compétences sont étudiées, à travers le temps, à quatre niveaux : individuel, collectif, organisationnel, environnemental ; ce qui permet de mieux comprendre « comment » les compétences émergent, se construisent et se développent dans un processus d’innovation ainsi que les stratégies sous-jacentes.

Les trajectoires des PME innovantes sont exigeantes et risquées, elles conduisent à des tensions notamment sur les ressources et compétences individuelles et collectives permettant le développement d’une « ambidextrie organisationnelle » (capacité à articuler les activités d’exploration pour préparer le futur et activités d’exploitation visant la stabilité sur le temps présent). Marie-Laure Buisson, Lise Gastaldi, Bénédicte Geffroy, Romain Lonceint et Cathy Krohmer (Chapitre 6) montrent que la mobilisation des équipes sur ces deux catégories d’activités est compliquée et questionnent les pratiques RH spécifiques en PME pour les soutenir. Si, au travers de deux cas, l’étude permet de démontrer une diversité des pratiques de GRH et une faible pertinence des pratiques d’accompagnement, il est possible également d’observer comment se construit progressivement la fonction RH : dans une logique qui vise dans un premier temps à « décharger » le dirigeant de l’administration du personnel, puis de « mettre au carré » ses processus (formalisation et standardisation des pratiques RH). Les auteurs appellent à une plasticité de la GRH dans ses pratiques et ses modes d’intervention pour favoriser l’ambidextrie, prenant en compte les spécificités et temporalités des processus à l’oeuvre au sein de ces PME.

L’innovation dans les pratiques de GRH peut également se situer au niveau interorganisationnel, notamment au niveau des réseaux territoriaux d’organisation tels que les « clusters » et pôles de compétitivité. Ludivine Calamel et Pierre Yves Sanseau (Chapitre 7) ont pu constater, au travers d’un échantillon de six clusters, l’émergence de dispositifs de GRH innovants partagés entre certaines de ces PME. Le cluster est un cadre ou un espace de coopération et de partage qui implique de prendre le temps nécessaire pour favoriser la collaboration et construire des relations de confiance entre les organisations. L’articulation des différentes formes de proximité (géographique, socioéconomique, de ressources, de coordination) semble également avoir un impact majeur sur l’émergence de dispositifs de GRH partagés.

La troisième partie amène le lecteur dans un contexte différent, celui de la transmission d’entreprise au travers de trois chapitres. La PME se caractérise dans ses agissements par l’immédiateté de ses décisions, les horizons temporels sont généralement courts, ainsi que par l’intuition et l’empirisme de son dirigeant qui souvent se disperse, est peu méthodique et qui ne dispose pas nécessairement de toutes les compétences notamment managériales. Henri Mahé de Boislandelle et Jean Marie Esteve (chapitre 8), au travers d’une étude de cas longitudinale portant sur un transfert d’entreprise, montrent l’enjeu de sensibiliser les salariés, particulièrement le noyau dur, aux dimensions humaines de la conduite du personnel et à des concepts de GRH adaptés à la PME afin d’en retirer un avantage concurrentiel. Ils mettent en avant les conditions préalables à la réussite telles que la sensibilisation préalable des dirigeants à ces concepts, un leadership non fondé sur l’immédiateté, une vision stratégique, un mix social ouvert à la RSE et la valorisation du personnel.

Sonia Boussaguet (Chapitre 9) alerte le repreneur externe de PME sur les dangers (autres que techniques) durant la phase de prise en main de l’entreprise : 30 % des reprises échouent principalement à cause d’erreurs commises durant les six premiers mois. Le repreneur fait intrusion dans un système organisé qui fonctionne depuis longtemps. Ainsi, sa posture et le processus de socialisation face aux valeurs et à la culture de l’entreprise vont conditionner fortement la réussite du projet et la pérennité de l’entreprise. Une clé de compréhension pour garantir une prise en main efficace est identifiée dans le cadre de cette étude exploratoire. Elle se structure en trois niveaux : l’entrepreneur lui-même, l’entreprise nouvellement acquise et les partenaires de la cible, notamment l’équipe en place.

Cependant, de nombreuses entreprises disparaissent chaque année faute de repreneurs, souvent par manque de préparation des cédants. Or, les enjeux de la reprise sont importants en termes d’emplois, de dynamisme économique, d’aménagement et d’équilibre des territoires. Bon nombre de difficultés proviennent des réticences des dirigeants à se séparer de leur entreprise. Tierno Bah (Chapitre 10) mobilise la théorie du deuil pour étudier douze cas de PME transmises à des repreneurs externes, afin de comprendre les différentes phases par lesquelles le dirigeant passe avant de réussir à se détacher de son entreprise. Ce cheminement personnel du cédant peut avoir des impacts sur son interaction avec le repreneur. Ainsi, la description des différentes étapes permet d’identifier des clés utiles au repreneur pour interagir avec son prédécesseur ainsi que des repères pour le cédant facilitant le passage du statut de chef d’entreprise à celui de retraité.

Les cinq chapitres de la quatrième partie complètent les analyses précédentes avec les questions soulevées par le management responsable des RH en PME qui s’impose progressivement à toutes les entreprises. Dans ce cadre, Agnès Paradas, Caroline Debray, Colette Fourcade et Marion Polge (Chapitre 11) abordent plus spécifiquement la question du management de la mixité femmes-hommes (MHF) en PME au travers d’une étude qualitative sur les représentations des dirigeants dans le secteur du BTP. Les stéréotypes et préjugés ainsi que les freins à la MHF (de nature physique ou matérielle, de nature psychologique ou symbolique) ont été mis à jour et les leviers de modification de ces représentations ont été identifiés. Les résultats de cette étude montrent des évolutions profondes dans les perceptions et les comportements ainsi qu’une amélioration de la reconnaissance des compétences des femmes et une évolution des codes au sein des équipes. Les enjeux de cette évolution répondent à des exigences de société et à des besoins économiques.

La GHR présente également des spécificités au niveau des sociétés coopératives tant au niveau du recrutement que des rémunérations ou de la gestion des effectifs. Jean Yves Juban (Chapitre 12) étudie les pratiques RH d’une centaine de sociétés coopératives, au sein desquelles les systèmes de valeurs de chacun doivent être compatibles avec l’idéologie de l’organisation. Les résultats de cette étude montrent que les pratiques RH relèvent autant de choix que de contraintes selon le contexte et le type de décision. Ainsi, le gérant réfléchit et agit avec les salariés concernant les rémunérations, mais il peut s’affranchir du groupe concernant les réductions d’effectifs ou les aménagements de temps de travail en raison de contraintes économiques. Enfin, concernant le recrutement, il agit collectivement tant que la pérennité n’est pas en cause. Ces pratiques sont caractérisées par une recherche d’équilibre entre décisions individuelles et actions collectives.

Caroline Andre et Laëtitia Lethielleux (Chapitre 13) se penchent également sur les particularités des sociétés coopératives avec une attention portée à des groupements d’employeurs (GE) qui peuvent avoir un intérêt à se transformer en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) pour légitimer leurs missions RH. Les résultats de leur étude exploratoire portant sur quatre cas montrent que le passage en SCIC a pour objectif de renforcer la visibilité, la crédibilité et l’attractivité de l’activité GE et d’acquérir une image plus entrepreneuriale. La transformation en SCIC permet de constituer un réseau plus resserré autour d’un GE et de faire évoluer ses activités RH.

Amélie Artis et Marc-André Vilette (Chapitre 14) s’intéressent à un cas particulier de GE : les Groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, et aux spécificités de leur GRH. Le GEIQ peut être considéré comme un tiers facilitateur qui permet de clarifier les objectifs, de mutualiser les outils, et d’accompagner les entreprises comme les salariés dans la mise en oeuvre d’une nouvelle forme de flexibilité dans l’emploi salarié. Dans le cadre d’une recherche-action, les auteurs ont montré que le GEIQ est un dispositif d’insertion professionnelle qui permet des formes d’emplois mutualisés et un management personnalisé. Il apporte flexibilité et sécurité à l’entreprise par la mutualisation des coûts de recrutement et de gestion ainsi que la fidélisation des salariés accompagnés.

Ludivine Adla et Virginie Gallego-Roquelaure (Chapitre 15), au travers d’une étude de cas longitudinale, identifient une voie originale pour aller vers un management plus inclusif des RH en PME : le don/contre don. Si le don est un pari fondé sur la confiance, le don/contre don repose sur le principe de la réciprocité généralisée. Les autrices attirent l’attention sur cette logique qui semble bien adaptée aux PME, car les relations sont entremêlées et les ajustements mutuels permanents. Leurs résultats mettent en exergue des points de vigilance, notamment sur le fait de privilégier une approche relativement informelle pour ne pas entraver l’échange de dons entre acteurs ainsi qu’un contexte a priori propice à une GRH inclusive. Pour co-construire une GRH plus inclusive, il faut faire preuve de vigilance à l’égard des dons échangés et au développement d’une culture du don fondée sur des facteurs organisationnels. Cependant, ces efforts resteront vains si aucun sens n’est donné aux choix opérés.

Cet ouvrage apporte des connaissances très intéressantes sur les pratiques – formelles et informelles – de GRH en PME. Il met en lumière un éventail de problématiques actuelles et des analyses originales qui ne manqueront pas de stimuler l’intérêt du lecteur pour les PME au sein desquelles chacun doit jouer son rôle. Le chef d’entreprise endosse les risques (et est légitimement récompensé si l’activité de l’entreprise le permet) et doit assurer la juste rémunération et la protection de ses salariés. Les salariés doivent quant à eux assurer le juste engagement et la juste loyauté vis-à-vis du bien commun qu’est l’entreprise (p. 286, postface, F. Asselin).