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Introduction

Au cours des deux dernières décennies, les préoccupations environnementales et leurs effets sur la santé humaine et la préservation de la terre attirent l’intérêt des chercheurs et des gouvernements. De nombreuses études indiquent que l’activité humaine génère des dommages environnementaux importants tels que la défloration, l’extinction des espèces, la pollution de l’air et des océans, la fonte des glaciers et le réchauffement climatique (Eller et al., 2020 ; Gast, Gundolf et Cesinger, 2017 ; Hörisch, Kollat et Brieger, 2017 ; Muñoz et Cohen, 2018). Face à ces défis environnementaux, l’entrepreneuriat est un domaine offrant des opportunités pour préserver la nature et l’environnement (Arru, 2020 ; Hörisch, Kollat et Brieger, 2019 ; Markman, Waldron, Peter, Gianiodis et Espina, 2019). L’Agenda 2030 pour le développement durable soutient que l’entrepreneuriat est un levier important, car il facilite les pratiques environnementales et l’innovation dans les technologies sur le climat (United Nations, 2015). Ainsi, les créateurs d’entreprise doivent contribuer à réduire la pollution de l’environnement en s’engageant dans des activités soutenant et améliorant les écosystèmes naturels (Yasir, Xie et Zhang, 2022).

De ce constat, certains auteurs arguent que les entrepreneurs devraient considérer les questions environnementales et la réduction des dommages à la nature avant le lancement de leur entreprise (Horne et Fichter, 2022 ; Kirkwood et Walton, 2010), car c’est en amont du processus entrepreneurial qu’ils sont plus efficaces pour développer des compétences, des attitudes et concevoir des produits et des services respectueux de l’environnement (Hörisch, Kollat et Brieger, 2019 ; Lenox et York, 2011 ; Tenner et Hörisch, 2021). Autrement dit, lorsque les entrepreneurs naissants conçoivent et exécutent leurs plans pour lancer leur projet, les préoccupations environnementales doivent se refléter dans leur intention de créer leur entreprise (Patzelt et Shepherd, 2011).

L’intention entrepreneuriale est de plus en plus étudiée dans une perspective d’entrepreneuriat durable (Yasir, Xie et Zhang, 2022). Dans le domaine de l’environnement, le concept d’intention prédit de manière pertinente le comportement respectueux de l’environnement (Lülfs et Hahn, 2014). Cependant, l’examen des préoccupations environnementales dans l’étude de l’intention entrepreneuriale des entrepreneurs naissants est limité dans la littérature (Fischer, Brettel et Mauer, 2020 ; Hoogendoorn, Van der Zwan et Thurik, 2019 ; Lenox et York, 2011). Notre connaissance des antécédents de l’intention entrepreneuriale environnementale est pauvre (Le Loarne Lemaire, Razgallah, Maalaoui et Kraus, 2022) ; seules quelques études s’intéressent aux enjeux environnementaux dès les premières étapes de la création d’entreprise (Kirkwood et Walton, 2010 ; York et Venkataraman, 2010). À notre connaissance, aucune recherche d’envergure en France ne considère les problématiques environnementales dans l’intention de créer une entreprise chez les entrepreneurs naissants.

Pour combler cette lacune, l’objectif de cet article est d’étudier l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français grâce à un modèle d’intention adapté de la théorie du comportement planifié[2] d’Ajzen (1991). Nous appuyant sur la robustesse de cette dernière pour expliquer l’intention dans le domaine de l’environnement (Le Loarne Lemaire et al., 2022 ; Chen, 2016 ; Razali, Dzurllkanian, Weng-Wai, Rangga et Jiram, 2020), il est question d’analyser le rôle et l’importance des antécédents de l’intention entrepreneuriale environnementale. Plus précisément, celle-ci :

  • est-elle prédite par des attitudes environnementales des entrepreneurs naissants français ?

  • ou est-elle plutôt influencée par des normes injonctives environnementales des différentes parties prenantes ?

  • serait-elle également le fait du contrôle comportemental environnemental perçu de ces entrepreneurs naissants ?

Nous avons décidé de nous intéresser à la dimension environnementale de l’entrepreneuriat durable, car celle-ci est une question majeure abordée dans les grands agendas mondiaux, notamment celui de Paris (Nations Unies, 2015). Ce choix est également motivé par notre intérêt de comprendre les difficultés des entrepreneurs à intégrer les questions environnementales dans leurs plans (BPI France, 2020).

Pour répondre aux différentes questions de recherche, nous avons mené une enquête par voie électronique dans le cadre de l’Observatoire permanent des porteurs de projet (OPPP) de la chambre de commerce et d’industrie française (CCI France). Nous ciblons l’entrepreneur naissant qui est défini comme tout porteur de projet activement impliqué dans le démarrage d’une nouvelle entreprise (Reynolds, 1999). Nous visons tous les entrepreneurs naissants et pas nécessairement ceux dont la mission principale serait d’exploiter une opportunité environnementale. Il n’est donc pas question d’intention spécifique de créer une entreprise résolvant une problématique environnementale, mais plutôt celle d’exploiter une opportunité potentiellement rentable. Ce sont 433 entrepreneurs naissants qui ont répondu à notre enquête.

Le reste de cet article est structuré comme suit. La première section présente le cadre conceptuel et les hypothèses de recherche avec des références spécifiques aux domaines de l’environnement et de l’entrepreneuriat. Dans la deuxième section, nous faisons part de l’approche méthodologique. Dans la troisième section, nous présentons les résultats des analyses. Par la suite et au regard de la littérature actuelle, nous discutons des impacts des attitudes environnementales, des normes injonctives et du contrôle comportemental environnemental perçu sur l’intention entrepreneuriale environnementale. Enfin, nous soulignons les implications de cette recherche et ses limites tant théoriques que pratiques.

1. La TCP et les hypothèses de recherche

Puisque le comportement environnemental peut être planifié (Alzubaidi, Slade et Dwivedi, 2021 ; Gast, Gundolf et Cesinger, 2017 ; Ohtomo et Hirose, 2007), le concept d’intention suscite un intérêt grandissant dans le champ de l’environnement (Tounés, Gribaâ et Messeghem, 2014). L’intention environnementale désigne le désir d’un individu d’adopter un comportement respectueux de l’environnement (Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019). Selon Swaim, Maloni, Napshin, et Henley (2014), elle reflète la motivation de s’engager quotidiennement dans des actions environnementales. Pour notre part, nous considérons l’intention entrepreneuriale environnementale comme la volonté d’un entrepreneur naissant d’adopter des comportements respectueux de l’environnement au sein d’une nouvelle entreprise.

Différentes théories sont proposées pour étudier les fondements psychologiques et sociologiques de l’intention orientée vers un comportement. Parmi celles-ci, nous identifions la théorie de l’action raisonnée (Fishbein et Ajzen, 1980), la théorie de l’essai (Bagozzi et Yi, 1988), la TCP (Ajzen, 1991), la théorie des valeurs personnelles (Schwartz, 1992) et la théorie de la Valeur-Croyance-Norme (Stern, 2000). Si elle est critiquée pour être un modèle statique et linéaire (Barba-Sánchez, Mitre-Aranda et del Brío-González, 2022 ; Le Loarne Lemaire et al., 2022) accordant peu d’intérêt à d’autres facteurs personnels et contextuels (Ahmad, Gon Kim, Anwer et Zhuang, 2020), la TCP demeure le cadre théorique le plus mobilisé pour étudier l’intention dans le champ de l’environnement en raison de la cohérence de ses composantes conceptuelles (Alzubaidi, Slade et Dwivedi, 2021 ; Gast, Gundolf et Cesinger, 2017 ; Lülfs et Hahn, 2014 ; Mancha et Yoder, 2015 ; Swaim et al., 2014).

La validité prédictive de la TCP est confirmée dans divers contextes environnementaux tels que le recyclage des déchets (La Barbera et Ajzen, 2020 ; Ohtomo et Hirose, 2007 ; Razali et al., 2020 ; Wan, Qiping Shen et Choi, 2017), le militantisme environnemental (Fielding, McDonald et Louis, 2008), la consommation d’énergie (Chen, 2016), le tourisme environnemental (Ahmad et al., 2020) et la mode durable (Brandão et Gonçalves da Costa, 2021). La TCP se concentre sur l’intention volontaire orientée vers un objectif (Ajzen et Dasgupta, 2015) ; elle est une extension de la théorie de l’action raisonnée développée par Ajzen et Fishbein (1980). Elle postule que l’intention est le meilleur prédicteur du comportement (Ajzen, 1991), en particulier lorsque celui-ci est rare, difficile à observer à cause du décalage temporel imprévisible (Sánchez, 2011).

Cette théorie suggère que l’intention comportementale d’un individu est motivée par trois antécédents perceptuels : l’évaluation positive des conséquences du comportement souhaité (attitudes), les pressions sociales des groupes d’individus importants (normes subjectives) et la facilité ou la difficulté de s’engager dans le comportement souhaité (contrôle comportemental perçu). Si des causalités réciproques entre l’intention et ses antécédents sont évoquées dans la littérature questionnant la robustesse de la TCP (Arru, 2020), ses trois antécédents sont largement mobilisés dans le champ de l’environnement pour expliquer l’intention environnementale (Sánchez-García, Zouaghi, Lera-Lopez et Faulin, 2021). Basée sur la TCP, la figure 1 illustre notre modèle de recherche avec les principales hypothèses.

Figure 1

Un modèle de recherche de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants adapté de la TCP

Un modèle de recherche de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants adapté de la TCP

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1.1. Attitudes environnementales

En psychologie sociale, les attitudes s’expriment à travers des composantes cognitive, évaluative et comportementale. Dans la TCP, les attitudes sont conceptualisées en référence à leur dimension évaluative (Fishbein et Ajzen, 2010). Ainsi, elles reposent sur un choix rationnel des conséquences du comportement souhaité. La TCP postule qu’une attitude favorable augmente l’intention de s’engager dans un comportement ciblé (Ajzen, 1991).

En psychologie environnementale, les attitudes sont un concept essentiel et représentent un thème de recherche fécond (Torgler et García-Valiñas, 2007). Selon Milfont et Duckitt (2010) et Tounés, Gribaâ et Messeghem (2014), les attitudes environnementales sont également théorisées à travers leur composante évaluative. Pour ces auteurs, elles expriment l’évaluation favorable ou défavorable d’un comportement en faveur de l’environnement naturel. Les attitudes environnementales se rapportent ainsi au jugement et aux croyances individuelles relatifs à la protection de l’environnement et à la dégradation des écosystèmes naturels (Rodríguez-Barreiro et al., 2013).

Des attitudes favorables à l’environnement augmentent considérablement l’intention environnementale (Alzubaidi, Slade et Dwivedi, 2021 ; Chen, 2016) et l’intention entrepreneuriale durable (Arru, 2020 ; Barba-Sánchez, Mitre-Aranda et del Brío-González, 2022 ; Le Loarne Lemaire et al., 2022 ; Yasir, Xie et Zhang, 2022). Ceci est confirmé dans des contextes d’intention d’achat de produits verts, de recyclage de papiers, de réduction des ordures ménagères, d’économie d’énergie et de réduction de la pollution industrielle (Chen, 2016 ; Mancha et Yoder, 2015 ; Swaim et al., 2014 ; Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019). Conformément aux développements théoriques évoqués et à la relation de base du modèle de la TCP entre les attitudes et l’intention, nous émettons l’hypothèse suivante :

H1 : les attitudes environnementales influencent positivement l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants.

1.2. Les normes injonctives environnementales

Depuis son article fondateur en 1991 (Ajzen, 1991), le concept de normes sociales a quelque peu évolué dans les récents écrits d’Ajzen. En référence à la théorie de la conduite normative de Cialdini, Kallgren et Reno (1991), il distingue deux types de normes sociales (Ajzen, 2020 ; Fishbein et Ajzen, 2010) : les normes descriptives et les normes injonctives. Appliqué dans le domaine de l’environnement, La Barbera et Ajzen (2020) stipulent que les normes subjectives descriptives se réfèrent à la question de savoir si d’autres personnes importantes exécutent elles-mêmes le comportement environnemental considéré. Les normes subjectives injonctives désignent l’attente ou la probabilité qu’un individu ou un groupe référent approuve ou désapprouve l’exécution de ce comportement. Ainsi, elles sont liées aux attentes suscitées par les pressions sociales quant à l’accomplissement de ce comportement (Ajzen, 2020 ; Nigbur, Lyons et Uzzell, 2010 ; Ohtomo et Hirose, 2007).

Un courant de recherche important soutient que les normes d’injonction sont puissantes en tant que directives comportementales (Jacobson, Jacobson et Reid, 2021 ; White et Simpson, 2013). D’après Cialdini, Kallgren et Reno (1991), quand les normes injonctives sont proéminentes, leur effet sur le comportement environnemental est plus efficace comparé aux normes descriptives[3]. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’il n’existe pas de consensus pour un comportement donné et lorsque celui-ci est associé à une norme injonctive fortement établie (Jacobson, Mortensen et Cialdini, 2011).

En accordant une attention particulière aux normes injonctives, nous constatons que leur impact sur l’intention environnementale est insuffisamment étudié (Lülfs et Hahn, 2014 ; Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019). Cependant, depuis une décennie, un intérêt particulier est accordé à l’effet des pressions sociales exercées par les parties prenantes sur cette intention (Dögl et Behnam, 2015 ; Shevchenko, Lévesque et Pagell, 2016 ; Le Loarne Lemaire et al., 2022). En se référant à la théorie des ressources (Pfeffer et Salancik, 1978), la réussite de l’entrepreneur naissant dépend de sa capacité à gérer les demandes des groupes de pression pourvoyeurs en ressources nécessaires pour lancer l’entreprise.

Parmi les différentes parties prenantes, Shevchenko, Lévesque et Pagell (2016) distinguent celles qui sont directement impliquées dans l’activité commerciale de celles qui le sont indirectement. Les investisseurs (Gast, Gundolf et Cesinger, 2017 ; Kuckertz, Berger et Gaudig, 2019), les clients (Cervelló-Royo, Moya-Clemente, Perelló-Marínb et Ribes-Giner, 2020 ; Cohen et Winn, 2007 ; Dean et McMullen, 2007 ; Kirkwood et Walton, 2010), les fournisseurs (Gast, Gundolf et Cesinger, 2017 ; Hockerts et Wüstenhagen, 2010) et les concurrents (Muñoz et Cohen, 2018 ; Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019) sont des parties prenantes directes exerçant des pressions particulièrement importantes dans les champs de l’environnement et de l’entrepreneuriat. Sur la base des arguments théoriques étayés, nous émettons l’hypothèse suivante :

H2a : les normes injonctives environnementales émanant des pressions des parties prenantes directement impliquées dans l’activité entrepreneuriale (investisseurs, clients, concurrents, donneurs d’ordre et fournisseurs) influencent positivement l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants.

L’impact des parties prenantes indirectes sur l’intention entrepreneuriale environnementale est étudié à travers les pressions exercées par les pouvoirs publics et les organismes environnementaux (Font, Garay et Jones, 2016 ; Shevchenko, Lévesque et Pagell, 2016). Pour ce faire, la théorie néo-institutionnelle (Meyer et Rowan, 1977) semble être un cadre théorique pertinent (Hörisch, Kollat et Brieger, 2017 ; Meek, Pacheco et York, 2010). Cette dernière stipule que le contexte institutionnel motive les individus à démarrer une entreprise dans le respect de l’environnement (Meek, Pacheco et York, 2010).

Dans le contexte de l’entrepreneuriat naissant, savoir comment les porteurs de projet interagissent avec les institutions pour prédire l’adoption de pratiques environnementales demeure peu étudié (Lenox et York, 2011). Cependant, Hörisch, Kollat et Brieger (2017) montrent que des réglementations favorables à l’environnement influencent l’orientation environnementale des entrepreneurs en quête de légitimité et de subventions publiques. Le conformisme institutionnel est donc une pression sociale clé dans le changement environnemental (Le Loarne Lemaire et al., 2022 ; Font, Garay et Jones, 2016 ; Kirkwood et Walton, 2010). Sur la base de ces arguments, nous proposons la troisième hypothèse de recherche :

H2b : les normes injonctives environnementales émanant des pressions des parties prenantes indirectement impliquées dans l’activité entrepreneuriale (organismes environnementaux ; pouvoirs publics) influencent positivement l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants.

1.3. Contrôle comportemental environnemental perçu

Le contrôle comportemental perçu est introduit par Ajzen (1991) pour renforcer la validité théorique et le pouvoir explicatif de la théorie de l’action raisonnée (Fishbein et Ajzen, 1980), en particulier lorsque le comportement recherché est difficile à atteindre (Kautonen, Van Gelderen et Fink, 2015). Le contrôle comportemental perçu renvoie aux perceptions de la facilité ou de la difficulté inhérentes à l’accomplissement d’un comportement donné (Fishbein et Ajzen, 2010). Au niveau individuel, il indique le degré de maîtrise de l’individu de ces capacités à réaliser un comportement ciblé. Au niveau situationnel, le contrôle comportemental renvoie aux croyances relatives à l’accès aux différentes ressources (Kautonen, Van Gelderen et Fink, 2015). La TCP postule que plus les perceptions des capacités et de la disponibilité des ressources sont élevées, plus forte sera l’intention de l’individu.

Dans le domaine de l’entrepreneuriat environnemental, le contrôle comportemental perçu est défini par les perceptions des capacités personnelles et celles de la maîtrise des événements extérieurs pour concrétiser une activité environnementale (Vuorio, Puumalainen et Fellnhofer, 2018). Un lien théorique fort entre le contrôle comportemental environnemental et l’intention environnementale est mis en exergue par un courant de recherche important (Ahmad et al., 2020 ; Mancha et Yoder, 2015 ; Swaim et al., 2014 ; Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019). Conformément aux arguments de littérature exposés, nous émettons l’hypothèse suivante :

H3 : le contrôle comportemental environnemental perçu influence positivement l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants.

2. Méthodologie

Dans l’Agenda 2030 pour le développement durable adopté à Paris en 2015 (United Nations, 2015), la France s’est fixé des objectifs de réduction de 40 % des émissions polluantes à horizon 2030 et la neutralité carbone en 2050. Les nouvelles entreprises représentant annuellement au moins 15 % du parc d’entreprises existantes depuis une décennie (Insee, 2021) peuvent avoir un rôle non négligeable dans la protection de l’environnement et l’atteinte de ces objectifs. Par ailleurs, si une grande partie des entrepreneurs français (80 %) a pleinement conscience des défis environnementaux et de l’impact environnemental de leurs activités, ils sont à peine plus de 10 % (soit 13 %) à pouvoir intégrer les questions environnementales dans leurs stratégies entrepreneuriales (BPI France, 2020).

Pour comprendre ces freins et les mobiles de l’intégration des problématiques environnementales, nous avons décidé de nous intéresser à une population en phase de montage de projets, à savoir les entrepreneurs naissants, c’est-à-dire des individus faisant des démarches pour fonder une nouvelle entreprise (Carter, Gartner et Reynolds, 1996). Au moins deux arguments justifient ce choix. Premièrement, cette cible se trouve à des stades en amont du processus entrepreneurial judicieux pour l’inclusion de pratiques environnementales (Schick, Marxen et Freimann, 2002). Ensuite, devenir entrepreneur est un parcours de vie marqué par des changements majeurs des habitudes (Verplanken et Roy, 2016) pouvant offrir de précieuses opportunités à l’adoption de nouveaux comportements, à l’image de celui respectant l’environnement.

Il existe principalement deux types d’entrepreneuriat durable : celui représentant la création d’entreprises durables et celui s’intéressant à la création d’opportunités rentables incluant des problématiques durables (Yasir, Xie et Zhang, 2022). Dans cette dichotomie, précisons que les individus ciblés dans notre étude sont des entrepreneurs naissants « traditionnels » ayant l’intention de lancer des activités entrepreneuriales dans divers secteurs d’activité sans objet principal de répondre à des problématiques environnementales[4].

2.1. Procédure de collecte de données

Pour tester nos hypothèses de recherche, nous avons mobilisé la base de données de l’Observatoire permanent des porteurs de projet (OPPP) de la chambre de commerce et d’industrie de France (CCI France). Les entrepreneurs naissants sont interrogés sur leurs motivations entrepreneuriales, leurs investissements et les caractéristiques de leur projet d’entreprise. Pour les besoins de notre étude, des questions supplémentaires ont été ajoutées au questionnaire standard. Celles-ci se rapportent aux attitudes environnementales, aux pressions des parties prenantes pour mettre en oeuvre des pratiques environnementales, au contrôle comportemental environnemental perçu et aux pratiques environnementales envisagées.

Afin d’assurer une compréhension efficace de l’objet d’étude, nous décrivons au début du questionnaire l’objectif de la recherche tout en fournissant une explication détaillée des mesures environnementales susceptibles d’être appliquées dans une nouvelle entreprise. Sélectionnées pour leur capacité à réduire l’impact polluant des activités sur la nature, celles-ci sont généralement réalisables sans déployer des ressources substantiellement coûteuses et s’investir dans des démarches contraignantes, type certification par exemple. Ces mesures environnementales concernent un large éventail de pratiques comme l’efficacité énergétique, la réduction et la gestion des déchets, les émissions nocives à la nature, la consommation de l’eau, des énergies et des matières, les processus de conception ou de production et le choix des fournisseurs.

L’administration de l’enquête s’est faite par voie électronique ; un courriel contenant le lien vers le questionnaire a été adressé à 4 337 entrepreneurs naissants : 451 personnes ont répondu, soit un taux de réponse de 10,40 %. Après exclusion des données manquantes et des réponses incomplètes, 433 questionnaires sont exploitables. La figure 2 reprend les différentes étapes du protocole empirique avec les repères temporels correspondants.

Figure 2

Les différentes phases du protocole empirique de recherche en fonction des périodes calendaires des années 2019 et 2020

Les différentes phases du protocole empirique de recherche en fonction des périodes calendaires des années 2019 et 2020

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2.2. Caractéristiques de l’échantillon d’étude

Le tableau 1 résume les caractéristiques sociodémographiques détaillées des répondants ainsi que les domaines d’activité envisagés. L’âge moyen des participants est de 37,9 ans (écart-type = 9,62) avec une proportion d’hommes et de femmes presque équivalente (respectivement 48,97 % et 51,03 %). En ce qui concerne l’éducation, plus de 40 % des répondants (40,65 %) ont un niveau licence (bac +1, +2, +3) et plus de 10 % d’entre eux ont suivi une formation de sensibilisation ou de spécialisation à l’environnement (12,1 %). Le commerce est le domaine d’activité majoritaire où les entrepreneurs naissants entendent lancer leur entreprise (37,41 %), suivi par le secteur des services (30,02 %). Les secteurs du bâtiment, des travaux publics et de l’industrie représentent près de 8 % des projets envisagés (respectivement 4,39 % et 3,23 %).

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des entrepreneurs naissants

Caractéristiques sociodémographiques des entrepreneurs naissants

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2.3. Mesures des variables

Les échelles de l’intention entrepreneuriale environnementale, des attitudes environnementales, des normes injonctives environnementales et du contrôle comportemental environnemental perçu sont adaptées et validées à partir d’études dans le champ de l’entrepreneuriat et de l’environnement (Annexe). Certains points ont été révisés sur les conseils des onze experts consultés, spécialistes des domaines de l’entrepreneuriat et de l’environnement. Pour maximiser la validité faciale des échelles, nous avons testé le questionnaire auprès de quinze étudiants ; les indicateurs de fiabilité composites ont atteint au moins 0,70 pour tous les construits (Bagozzi et Yi, 1988).

2.3.1. Variables principales

Intention entrepreneuriale environnementale (IEE). Plusieurs auteurs mobilisent des construits validés en entrepreneuriat pour mesurer l’intention dans le champ de l’entrepreneuriat environnemental ou durable (Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019 ; Yasir, Mahmood, Mehmood, Rashid et Liren, 2021). Puisque nous étudions l’intention entrepreneuriale d’entrepreneurs naissants susceptibles d’intégrer des pratiques environnementales, ce construit est mieux caractérisé lorsqu’il est opérationnalisé au sein de l’objectif de création d’entreprise (Yasir, Xie et Zhang, 2022) ; ainsi, nous avons adopté l’échelle de Kautonen, Van Gelderen et Fink (2015). Les trois points de cette échelle se rapportent significativement à un même facteur avec une fiabilité très satisfaisante (alpha de Cronbach = 0,89).

Attitudes environnementales (AE). Nous avons adopté l’échelle du « nouveau paradigme écologique » (NPE) de Dunlap, Van Liere, Mertig et Emmet Jones (2000) qui est une mesure des attitudes environnementales parmi les plus déployées (Milfont et Duckitt, 2010). Nous évaluons des attitudes générales liées à des croyances et des jugements relatifs à la protection de la nature et de l’environnement, et non pas des attitudes spécifiques à l’égard d’un comportement environnemental au sein d’un projet entrepreneurial. Ceci est rendu possible, car la TCP permet de modifier les construits originaux pour s’adapter à un domaine d’étude précis (Zaremohzzabieh et al., 2019). Cette échelle de mesure générale des attitudes semble pertinente pour des entrepreneurs naissants souhaitant créer des entreprises dont le coeur de métier n’est pas une opportunité environnementale. La fiabilité des six points la composant n’est pas acceptable (alpha de Cronbach = 0,57). Après élimination du point « La prétendue crise écologique qui guette l’humanité est largement exagérée », le score de fiabilité des cinq points restants est acceptable (alpha de Cronbach = 0,74).

Normes injonctives environnementales (NIE-PRIV ; NIE-PUBLIC). S’appuyant sur la littérature des parties prenantes dans le champ de l’environnement (Dögl et Behnam, 2015 ; Hoogendoorn, Daniela Guerra et van der Zwan, 2014 ; Murrillo-Luna, Garcés-Ayerbe et Rivera-Torres, 2008 ; Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019), nous avons identifié sept groupes de référence susceptibles d’approuver l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants : les pouvoirs publics, les organismes publics environnementaux, les investisseurs, les concurrents, les donneurs d’ordre, les clients et les fournisseurs.

L’analyse factorielle en composantes principales après rotation Varimax produit deux facteurs cohérents. Composé de cinq points, le premier facteur (NIE-PRIV) souligne l’influence sur les entrepreneurs naissants des pressions des investisseurs, des concurrents, des clients, des donneurs d’ordre et des fournisseurs pour accomplir des mesures environnementales. La fiabilité de cette variable est acceptable (alpha de Cronbach = 0,73).

Le second facteur (NIE-PUBLIC) est composé de deux points et exprime l’importance manifestée par les entrepreneurs naissants aux pressions des pouvoirs publics et des organismes publics environnementaux pour la mise en place de pratiques environnementales. La fiabilité de cette variable est acceptable (alpha de Cronbach = 0,68).

Contrôle comportemental environnemental perçu (CCEP). Pour opérationnaliser le CCEP, nous avons adapté l’échelle de Kautonen, Van Gelderen et Fink (2015). Le score de fiabilité de cette variable composée de quatre points est très satisfaisant (alpha de Cronbach = 0,84).

2.3.2. Variables de contrôle

Nous contrôlons les effets de facteurs supplémentaires qui pourraient contribuer à l’explication de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français.

Genre (GENRE). Il existe des preuves que les femmes sont davantage engagées dans l’environnement que les hommes (Hechavarría, 2016 ; Tenner et Hörisch, 2021). Nous avons créé une variable muette GENRE pour distinguer les femmes (= 0) et les hommes (= 1).

Âge (ÂGE). Les jeunes adultes en début de carrière sont plus enclins à adopter des comportements environnementaux (Alzubaidi, Slade et Dwivedi, 2021 ; Eller et al., 2020) et ils ont une intention environnementale plus forte (Hörisch, Kollat et Brieger, 2017).

Éducation (EDUC). Le niveau de formation est important pour expliquer le degré des préoccupations environnementales des formés (Vicente-Molina, Fernández-Sáinz et Izagirre-Olaizola, 2013). Des individus plus éduqués sont plus motivés à se comporter de manière respectueuse de l’environnement (Hoogendoorn, Daniela Guerra et van der Zwan, 2014 ; Hechavarría, 2016 ; Font, Garay et Jones, 2016) et manifestent une forte intention environnementale (Lülfs et Hahn, 2014). Une variable fictive est créée pour distinguer deux niveaux de formation : licence 3 et moins (= 0) et master I et plus (= 1).

Formation environnementale (FOR-ENV). Il est prouvé qu’une relation significative existe entre les pratiques environnementales et la formation environnementale (Garcia-Valiñas, Macintyre et Torgler, 2012 ; Rodríguez-Barreiro et al., 2013). Les programmes de formation à l’environnement contribuent à renforcer l’intention environnementale et l’intention entrepreneuriale durable (Lülfs et Hahn, 2014 ; Yasir, Xie et Zhang, 2022). Une variable muette est créée pour identifier les entrepreneurs naissants ayant suivi (= 1) ou pas (= 0) une formation de sensibilisation ou de spécialisation dans l’environnement.

Revenu (REVENU). Selon Hörisch, Kollat et Brieger (2019), des niveaux élevés de revenus permettent aux entrepreneurs de surmonter des périodes de tension entre les objectifs économiques et environnementaux. Nous avons créé une variable muette (REVENU) en fixant son seuil au montant du revenu minimum (REVENU < = 1 500 € = 0 ; REVENU > 1 500 € = 1).

Secteur d’activité (ACTIVIT). Des études antérieures notent que l’intention environnementale varie selon les secteurs d’activité (ACTIVIT) (Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019). Des variables fictives ont été créées pour saisir les variations entre : le commerce (COMMERC), les services (SERVIC), l’hôtellerie et la restauration (HR), les nouvelles technologies (NT), le bâtiment et les travaux publics (BTP) et l’industrie (INDUSTRI). Les opérationnalisations de toutes les variables et leurs sources sont résumées dans le tableau 2.

Tableau 2

Synthèse des mesures des variables dépendante, indépendantes et de contrôle

Synthèse des mesures des variables dépendante, indépendantes et de contrôle

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3. Analyses préliminaires et tests des hypothèses

3.1. Tests de variance de méthode commune et de multicolinéarité

Parce que les données sur les variables indépendantes et dépendantes ont été recueillies selon une enquête de type transversal, nous devons vérifier le biais de la méthode de la variance commune ; pour cela, trois conditions sont respectées.

Premièrement, les répondants sont assurés de l’anonymat de leurs réponses. Deuxièmement, l’objectif de l’étude est clairement défini au début du questionnaire, où nous explicitons le concept d’environnement durable et les différentes mesures environnementales susceptibles d’être mises en oeuvre par les futurs entrepreneurs. Troisièmement et suivant les recommandations de Podsakoff, MacKenzie, Lee et Podsakoff (2003), nous avons estimé le niveau de covariance entre les variables grâce au test de Harman à un facteur sans rotation ; les résultats du test effectué avec le logiciel SPSS 26.0 pour l’ensemble des points indiquent l’existence de 29 facteurs. Le premier facteur explique 11,18 % (moins de 50 %) de la variance totale indiquant ainsi que le biais de la variance de méthode commune est extrêmement faible dans notre étude (Podsakoff et Organ, 1986).

Nous devons par ailleurs éliminer le risque de multicolinéarité entre les variables indépendantes. Les résultats du test de Pearson repris dans le tableau 3 indiquent des valeurs inférieures au seuil critique 0,7 (la valeur maximale de r = 0,654) ne révélant pas l’existence de corrélation pouvant invalider les résultats des tests des hypothèses. En outre, les valeurs des tests de tolérance supérieures à 0,3 (la valeur minimale = 0,841) et du facteur d’inflation de la variance inférieures à 10 (la valeur maximale = 6,499) répondent aux exigences statistiques recommandées (Lomax, 1992).

Tableau 3

Statistiques descriptives et corrélation de Pearson entre les variables du modèle

Statistiques descriptives et corrélation de Pearson entre les variables du modèle

Coefficients standardisés : * p < 0,05 ; *p < 0,01 ; ***p < 0,001.

Moy. : moyenne.

ET : écart-type.

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3.2. Estimation de la qualité de l’ajustement des deux modèles statistiques

Le premier modèle (M1) intègre les variables de contrôle qui sont : le genre (GENRE), l’âge (ÂGE), l’éducation (EDUC), la formation environnementale (FORM-ENV), le revenu (REVENU) et les domaines d’activité (ACTIVIT). Le second modèle (M2) comprend les principales variables indépendantes de cette recherche, à savoir les attitudes environnementales (AE), les normes injonctives environnementales (NIE-PRIV ; NIE-PUBLIC) et le contrôle comportemental environnemental perçu (CCEP).

L’ajustement des modèles analytiques est estimé grâce aux coefficients de détermination linéaire R2 ajusté et F de Fisher-Snedecor. Comme indiqué dans le tableau 4, le modèle M1 explique 4 % de la variance de l’intention entrepreneuriale environnementale (R2 ajusté = 0,040 ; F = 2,379, p < 0,01). Lorsque les principaux prédicteurs sont inclus dans l’analyse de régression, le modèle M2 révèle une augmentation significative de la variance de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français (R2 ajusté = 39,8 %). La variation de la valeur de F indique que les variables principales du modèle de recherche M2 contribuent de manière significative à la variance expliquée de l’intention entrepreneuriale environnementale (variation F = 62,258, p < 0,001).

Tableau 4

Statistiques des régressions multiples

Statistiques des régressions multiples

Coefficients standardisés : *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; **p < 0,001.

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3.3. Tests des hypothèses

Pour tester les hypothèses de recherche, nous avons effectué des régressions multiples pas à pas. Les valeurs des coefficients standardisés β et des coefficients T de Student renseignent sur la contribution et la significativité de la variable indépendante de chaque hypothèse à la variance expliquée globale du modèle (McClave, Benson et Sincich, 2014).

Le modèle M2 indique les résultats des tests des variables principales sur l’intention entrepreneuriale environnementale tels que décrits dans les hypothèses H1, H2a, H2b et H3. L’hypothèse 1 énonce l’influence positive des attitudes environnementales (AE) sur l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français. L’examen de la valeur β indique que les attitudes environnementales influencent positivement et significativement l’intention entrepreneuriale environnementale (β = 0,107, p < 0,01, t = 2,441). Ainsi, l’hypothèse 1 est vérifiée.

L’hypothèse 2a prédit l’effet positif des normes injonctives environnementales issues des pressions des investisseurs, des clients, des concurrents, des donneurs d’ordre et des fournisseurs (NIE-PRIV) sur l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français. Les résultats statistiques sont surprenants, car le score β montre que cet effet n’est pas significatif (β = – 0,012, n.s. ; t = – 0,250). Les données du modèle M2 ne permettent pas de vérifier l’hypothèse H2a.

Cependant, l’impact des normes injonctives environnementales issues des pressions des pouvoirs publics et des organismes environnementaux (NIE-PUBLIC) sur l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français se révèle positif et significatif (β = 0,080, p < 0,05 ; t = 1,723). Ainsi, l’hypothèse H2b est vérifiée.

L’examen de l’effet du dernier facteur principal formulé dans l’hypothèse H3 montre que le contrôle comportemental environnemental perçu influence positivement et significativement l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français (β = 0,609, p < 0,001 ; t = 13,431). L’hypothèse H3 est vérifiée.

Enfin, parallèlement à l’examen des effets des principales variables dépendantes, les résultats des tests des variables de contrôle indiquent que deux d’entre elles influencent significativement, mais différemment, l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français. Tandis que la formation environnementale (FORM-ENV) influence positivement celle-ci quel que soit le modèle considéré (M1 : β = 0,182, p < 0,001 ; t = 3,295 ; M2 : β = 0,076, p < 0,05 ; t = 1,944), les secteurs d’activité ont un effet prédictif significatif, mais négatif ; c’est le cas des services (M1 : β = – 0,294, p < 0,05 ; t = – 2,242), du bâtiment et des travaux publics lorsque les variables indépendantes sont considérées dans les régressions (M2 : β = – 0,108, p < 0,05 ; t = – 1,962). Le modèle validé se présente comme suit.

Figure 3

Un modèle de l’intention entrepreneuriale environnementale testé auprès d’entrepreneurs naissants français

Un modèle de l’intention entrepreneuriale environnementale testé auprès d’entrepreneurs naissants français

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4. Discussion des résultats

En expliquant les antécédents de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français, nous contribuons à mieux décrire cette phase critique du processus entrepreneurial conduisant au comportement environnemental (Mancha et Yoder, 2015 ; Tounés, Tornikoski et Gribaâ, 2019). Au regard des données collectées, le modèle mobilisé est pertinent avec un pouvoir explicatif robuste avoisinant 40 % (soit 39,80 %). Ce niveau de variance expliquée de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français est supérieur à ceux observés dans certaines études (27,1 % dans Yadav et Pathak, 2016 ; 32 % dans Fielding, McDonald et Louis, 2008 ; 38 % dans Vuorio, Puumalainen et Fellnhofer, 2018 ; 39,76 % dans Chen, 2016).

Notre recherche apporte donc des preuves empiriques sur la robustesse de la TCP dans le cadre peu exploré de l’entrepreneuriat naissant (Muñoz et Cohen, 2018). Elle appuie également les recherches du champ de l’entrepreneuriat environnemental soulignant l’importance des trois antécédents de l’intention environnementale : les attitudes environnementales, les normes environnementales et le contrôle comportemental environnemental (Brandão et Gonçalves da Costa, 2021 ; Sher, Azhar, Mazhar, Azadi et Guanghua, 2020 ; Razali et al., 2020 ; Savari et Gharechaee, 2020 ; Sher et al., 2020 ; Swaim et al., 2014 ; Vuorio, Puumalainen et Fellnhofer, 2018 ; Wan, Qiping Shen et Choi, 2017 ; Yadav et Pathak, 2016).

Toutefois, une analyse critique de ces recherches montre que lorsque des variables supplémentaires sont intégrées au modèle originel, le pouvoir explicatif des modèles élargis de la TCP devient plus fort[5]. Les modèles étendus testés par Chen (2016) – intégrant les obligations morales (48,94 %) –, Razali et al. (2020) – intégrant les normes morales, Hsu, Chang et Yansritakul (2017) – intégrant la sensibilité au prix, et Kumar, Prakash et Kumar (2021) – intégrant la conscience environnementale, indiquent des pouvoirs explicatifs de l’intention environnementale supérieurs à celui observé dans notre modèle et variant entre 48 % et 64 %.

Ceci laisse penser que d’autres variables pourraient augmenter la variance expliquée de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français. À cet effet, les valeurs personnelles (Yasir, Xie et Zhang, 2022), la conscience environnementale (Barba-Sánchez, Mitre-Aranda et del Brío-González, 2022 ; Tilley, 1999), la propension au risque (Arru, 2020), une vision positive de l’entrepreneuriat comme perspective de carrière (Barba-Sánchez, Mitre-Aranda et del Brío-González, 2022 ; Vuorio, Puumalainen et Fellnhofer, 2018) et les motivations entrepreneuriales (Le Loarne Lemaire et al., 2022 ; He, Nazari, Zhang et Cai, 2020) pourraient être particulièrement discriminantes.

Parmi les déterminants de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français, il ressort de nos données que le contrôle comportemental environnemental perçu est le facteur prédictif le plus influent (β = 0,609 ; sig < 0,001). Au-delà de corroborer les résultats des études dans les pays développés (Wan, Qiping Shen et Choi, 2017 ; Razali et al., 2020) et en développement (Ahmad et al., 2020), notre étude conforte, raisonnablement, nous semble-t-il, les recherches antérieures dans les domaines de l’entrepreneuriat environnemental et de l’entrepreneuriat durable montrant la prédominance de ce facteur pour expliquer l’intention environnementale et durable (Yasir, Mahmood, Mehmood, Rashid et Liren, 2021). L’efficacité des perceptions avec lesquelles les entrepreneurs naissants peuvent prendre le contrôle du comportement environnemental et surmonter les obstacles liés à ce dernier est donc un élément crucial dans la détermination de leur intention entrepreneuriale environnementale.

Même si elles ne mesurent pas des attitudes spécifiques à l’égard d’un comportement donné respectueux de l’environnement, des attitudes environnementales générales sont un facteur prédictif significatif de l’intention entrepreneuriale environnementale (β = 0,107 ; sig = 0,01). Sans être liées directement à un comportement environnemental particulier, avoir des attitudes environnementales liées aux lois de la nature et au respect de son équilibre, et aux conséquences écologiques néfastes, contribue au développement de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français. Ce résultat corrobore ceux de Chen (2016) sur le changement climatique, de Sánchez-García et al. (2021) sur la réduction de la pollution et de Savari et Gharechaee (2020) portant sur l’agriculture biologique.

Les normes injonctives environnementales sont les prédicteurs les plus faibles dans l’explication de l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français. Que cela soit dans le champ de l’entrepreneuriat ou celui de l’environnement, les construits relatifs à ces normes sont les plus critiquées dans la littérature (Arru, 2020 ; Barba-Sánchez, Mitre-Aranda et del Brío-González, 2022 ; Yasir, Xie et Zhang, 2022).

Les effets des normes injonctives environnementales présentent des nuances intéressantes, car seules les pressions liées aux pouvoirs publics et aux organismes publics environnementaux ont une relation significative avec l’intention entrepreneuriale environnementale (β = 0,080 ; sig = 0,05). L’importance des acteurs publics dans l’intention environnementale a été observée plus tôt dans le contexte des pays développés (Dögl et Behnam, 2015 ; Hoogendoorn, Daniela Guerra et van der Zwan, 2014) renforçant ainsi les perceptions sociales au sein desquelles les ressources fournies par les parties prenantes ont un rôle crucial dans le comportement durable (Muñoz et Dimov, 2015).

Ce résultat peut être expliqué au regard de la conformité réglementaire (Aragón-Correa, Hurtado-Torres, Sharma et Garcıa-Morales, 2008 ; Dögl et Behnam, 2015 ; Tilley, 1999) pour gagner en capital social et en légitimité institutionnelle (Font, Garay et Jones, 2016). En France, les pouvoirs et organismes publics pourvoient en différentes ressources, agréments et certifications des porteurs de projet adoptant un mode conventionnel de faire des affaires (Thelken et de Jong, 2020).

L’absence d’influence des pressions des acteurs privés sur l’intention entrepreneuriale environnementale est contraire à ce qui est observé dans d’autres pays développés (Fischer, Brettel et Mauer, 2020 ; Dögl et Behnam, 2015). Cela suppose que malgré l’évolution des clients pour consommer et acheter durablement ainsi que les efforts des investisseurs envers l’environnement, les perceptions des injonctions environnementales demeurent sans effet sur les entrepreneurs naissants en France. Ces derniers n’intègrent pas dans le montage de leur affaire les attentes environnementales de ces acteurs ni celles des donneurs d’ordre, des fournisseurs et des concurrents. Ce constat devrait inciter les acteurs des écosystèmes de l’accompagnement entrepreneurial à entrevoir des normes injonctives favorisant des comportements environnementaux croisés entre différentes parties prenantes agissant entre elles.

Enfin, le fait que la formation dans le domaine de l’environnement soit en corrélation avec l’intention entrepreneuriale environnementale n’est guère surprenant au regard des bénéfices de la formation sur cette dernière (Garcia-Valiñas et al., 2012 ; Rodríguez-Barreiro et al., 2013 ; Vicente-Molina, Fernández-Sáinz et Izagirre-Olaizola, 2013). Si des études montrent que l’éducation à la durabilité en général a moins d’utilité que des programmes qui se concentrent sur des prédicteurs forts du comportement durable (Yasir, Xie et Zhang, 2022), des dispositifs de sensibilisation peuvent avoir comme effet d’élever le niveau de conscience environnementale des entrepreneurs percevant peu ou pas l’impact de leur activité sur l’environnement (Tilley, 1999). De manière plus conséquente, déployer des formations spécialisées contribuerait à développer les compétences des entrepreneurs naissants pour réduire leur impact environnemental et les effets nuisibles de leur activité sur l’écologie ; de même, ces compétences environnementales pourraient être expressément orientées à identifier des problèmes environnementaux et à leur appliquer les solutions appropriées.

Un débat plus poussé sur le thème de la formation environnementale suggère de nuancer nos propos en ouvrant doublement le débat. Premièrement, il est de raison de s’interroger sur un phénomène de causalité inverse. Autrement dit, l’existence d’une intention entrepreneuriale environnementale motiverait-elle l’entrepreneur naissant à suivre une formation dans le domaine environnemental ? En second, il serait opportun d’envisager un effet médiateur post hoc (Barba-Sánchez, Mitre-Aranda et del Brío-González, 2022) d’une formation à l’environnement en testant son impact sur le contrôle comportemental et indirectement sur l’intention entrepreneuriale environnementale des entrepreneurs naissants français.

Conclusion

Malgré des avancées certaines dans le champ de l’entrepreneuriat environnemental (Tenner et Hörisch, 2021 ; Lenox et York, 2011), la recherche sur les contributions de l’entrepreneuriat naissant en faveur de l’environnement reste très limitée. Sur un plan théorique, la connaissance des antécédents de l’intention entrepreneuriale environnementale enrichit la littérature actuelle sur l’entrepreneuriat naissant et l’entrepreneuriat environnemental ; notre recherche conforte l’idée que l’entrepreneuriat et la durabilité sont conceptuellement liés (Yasir, Xie et Zhang, 2022). En outre, elle montre la robustesse de la TCP pour prédire l’intention entrepreneuriale environnementale en contexte d’entrepreneuriat naissant.

D’un point de vue empirique, cette recherche d’envergure est l’une des premières en France, combinant environnement et entrepreneuriat naissant. S’intéresser aux entrepreneurs naissants constitue un point de départ judicieux pour étudier la mise en oeuvre de pratiques environnementales (DiVito et Bohnsack, 2017). Ils sont dans un contexte de transition de parcours de vie (Schäfer, Jaeger-Erben et Bamberg, 2012), qui peut être une opportunité stratégique pour promouvoir des changements de comportement en faveur de l’environnement. En effet, lorsqu’ils prennent en compte les préoccupations environnementales avant de lancer leurs affaires, les entrepreneurs naissants sont davantage susceptibles de les intégrer dans les objectifs des futures entreprises (Hörisch, Kollat et Brieger, 2019 ; Tenner et Hörisch, 2021).

Sur la plan managérial, le constat que les entrepreneurs en devenir sont favorables aux considérations écologiques et à la réduction de l’impact environnemental de leur activité est prometteur pour les décideurs politiques et les établissements d’éducation promouvant les comportements respectueux de l’environnement. L’influence sur l’intention entrepreneuriale environnementale, et conséquemment sur le comportement respectueux de l’environnement, devrait impliquer dans un processus coordonné autant d’acteurs au sein d’écosystèmes entrepreneuriaux décentralisés (Le Loarne Lemaire et al., 2022).

Conformément à l’impact du contrôle comportemental environnemental et des programmes de formation spécifiques à l’environnement, les dispositifs de soutien aux entrepreneurs naissants devraient contribuer à développer des compétences et des savoir-faire bénéfiques à la maîtrise des pratiques environnementales. Plus particulièrement, notre étude montre qu’il faut renforcer l’accompagnement environnemental à l’attention de ceux ayant l’intention entrepreneuriale sans condition préalable de durabilité. Deux axes de progrès sont identifiés autour de la sensibilisation/formation à l’environnement et de la modélisation des projets entrepreneuriaux.

Des formations environnementales sont un levier important pour consolider le processus entrepreneurial vers davantage de durabilité. La sensibilisation et, par la suite, la formation sont des conditions de base pour réussir le développement d’une initiative entrepreneuriale durable (Barba-Sánchez, Mitre-Aranda et del Brío-González, 2022). La sensibilisation à l’environnement peut compenser le manque d’exposition à l’entrepreneuriat environnemental en raison, entre autres, de la faible présence des thèmes environnementaux dans les différents cycles de formation du système éducatif français. Cette sensibilisation peut prendre la forme de développement d’attitudes environnementales, au minimum dans une perspective de faible durabilité (Wilson et Wu, 2017) dans une première phase.

Il a été prouvé dans l’enseignement supérieur que des formations spécialisées dans le développement durable renforcent la création d’entreprises durables (Barba-Sánchez, Mitre-Aranda et del Brío-González, 2022 ; Yasir, Xie et Zhang, 2022). Que cela soit des formations spécialisées orientées vers la réduction de la pollution et la protection de l’environnement ou celles dédiées à traiter des opportunités environnementales, les formations environnementales doivent offrir les outils et les méthodes scientifiques nécessaires pour transformer l’intention en un comportement entrepreneurial durable (Kuckertz et Wagner, 2010).

Sans tenir compte des dimensions environnementales du comportement humain, les cadres normatifs des modèles économiques actuels se concentrent majoritairement sur le profit. L’importance de l’intention entrepreneuriale environnementale chez les entrepreneurs naissants français suggère aux dispositifs d’accompagnement entrepreneurial un second axe de progrès combinant simultanément la création de valeurs économiques et environnementales en tant qu’objectifs conjoints pour toute nouvelle entreprise. En somme, un soutien efficace aux entrepreneurs devrait se concentrer sur le renforcement à la fois des objectifs économiques et des engagements environnementaux, en particulier au début du processus entrepreneurial.

Si les contributions de ce travail sont indéniables, il présente des limites réduisant ses portées académiques et managériales. Premièrement, si le comportement environnemental peut être analysé à travers le concept d’intention entrepreneuriale environnementale, à l’évidence nous n’avons pas mesuré le comportement réel des entrepreneurs naissants ; nous avons mobilisé uniquement une échelle autodéclarée pour mesurer leur intention. Or, celle-ci peut ne pas être un prédicteur fiable du comportement (Armitage et Conner, 2001), notamment dans le domaine de l’environnement où le coût économique et la faible conscience environnementale inhibent les attitudes environnementales (Tilley, 1999). De plus, les contingences temporelles entre l’intention et le comportement réel (Kautonen, Van Gelderen et Tornikoski, 2013 ; Shirokova, Osiyevskyy et Bogatyreva, 2016) rendent difficile pour les chercheurs de prédire quels entrepreneurs naissants prendront des mesures et lesquels ne le feront pas (Gielnik, Bledow et Stark, 2019). Dans le domaine de l’environnement, les comportements sont difficiles à changer (Verplanken et Roy, 2016) et l’intention de s’engager dans un comportement visant à protéger l’environnement est atténuée par la distance psychologique perçue avec celui-ci (Trope et Liberman, 2010).

Si la récente étude de Le Loarne Lemaire et al. (2022) montre que l’intention entrepreneuriale environnementale est renforcée durant les premières années de la vie de l’entrepreneur français, les limites identifiées suggèrent de mener une recherche longitudinale sur une période de quelques mois pour s’enquérir de l’effectivité des pratiques environnementales en période de démarrage de l’entreprise.

Ensuite, la TCP est critiquée pour être centrée sur ses trois composantes avec un intérêt insuffisant pour d’autres facteurs individuels et contextuels pouvant agir sur l’intention environnementale (Ahmad et al., 2020 ; Lülfs et Hahn, 2014). Bien que des tentatives concluantes intègrent efficacement des prédicteurs supplémentaires augmentant le pouvoir prédictif du modèle de base de la TCP (Font, Garay et Jones, 2016 ; Savari et Gharechaee, 2020 ; Sher et al., 2020 ; Wan, Qiping Shen et Choi, 2017), il est nécessaire de renforcer celui-ci par des facteurs additionnels (Mancha et Yoder, 2015).

Un premier facteur important pouvant renforcer la robustesse du modèle originel est économique (Nigbur, Lyons et Uzzell, 2010). Ainsi, une seconde voie de recherche propose de tenir compte de situations où il y a des objectifs concurrents – économiques et environnementaux – pour comprendre comment réagissent les entrepreneurs naissants dans des contextes conflictuels non prévus par la TCP (Thelken et de Jong, 2020). En intégrant au modèle de base de cette théorie des facteurs de performance entrepreneuriale, dans quelle mesure les jeunes entrepreneurs seront capables de poursuivre simultanément des objectifs de croissance entrepreneuriale et des objectifs environnementaux ? Sous la contrainte financière, comment équilibreront-ils (ou opposeront-ils) ces objectifs divergents ?

Un facteur supplémentaire, psychologique, pouvant augmenter la prédiction de la TCP, laisse entrevoir une dernière voie de recherche considérant l’effet de la culpabilité environnementale comme réponse émotionnelle à la norme injonctive (Jacobson, Jacobson et Reid, 2021). Ce facteur peut-il expliquer le faible niveau de réponses des entrepreneurs naissants à la conformité injonctive ?