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Introduction

Au cours de cette dernière décennie, le Printemps arabe, défini par les mouvements qui ont éclaté en 2011 en Tunisie avant d’être répandus dans d’autres pays, s’est traduit par des défis économiques et des événements politiques impactant particulièrement les choix stratégiques et les pratiques managériales des PME locales et des multinationales implantées dans ces pays (Teulon et Fernandez, 2013). Dans ce contexte, les entreprises ont choisi soit l’option du retrait immédiat du marché (Yayla, Yeniyurt, Uslay et Cavusgil, 2018), soit celle du réajustement stratégique et opérationnel en adoptant une nouvelle OS plus appropriée aux nouvelles conditions environnementales (Khalifé et de Montmorillon, 2018 ; Baker, Grinstein et Perin, 2020).

Les recherches antérieures ont montré l’importance d’adapter l’OS de l’entreprise aux caractéristiques de l’environnement (Beliaeva, Shirokova, Wales et Gafforova, 2020 ; Didonet, Fearne et Simmons, 2020). Pour faire face à de fortes turbulences environnementales, les entreprises doivent mettre en place une matrice d’évaluation permanente des ressources, des compétences et des choix stratégiques leur permettant d’explorer de nouvelles opportunités de développement (Evers, Gliga et Rialp-Criado, 2019). L’OS est ainsi reconnue comme la philosophie permettant aux entreprises de faire face avec succès à un environnement incertain (Boso, Story et Cadogan, 2013). Malgré la richesse de la littérature, les travaux traitant la question du choix de l’OS font l’objet de controverses théoriques en matière d’approches et de typologies et présentent des résultats fragmentés (Hakala, 2011 ; Adams, Freitas et Fontana, 2019 ; Han et Zhang, 2021). Des travaux récents ont repéré de nombreuses failles théoriques et méthodologiques et recommandent d’adopter de nouvelles démarches afin de compléter les travaux existants (Li, Jiang, Pei et Jiang, 2017 ; Yayla et al., 2018 ; Adams, Freitas et Fontana, 2019 ; Chen, Zou, Xu et Chen, 2020 ; Jiang, Mavondo et Zhao, 2020 ; Bouguerra, Hughes, Cakir et Tatoglu, 2022).

Sur le plan théorique, nous constatons premièrement que la majorité des travaux ont étudié l’OS dans le contexte d’entreprises indépendantes telles que les PME (Panda, 2014 ; O’Dwyer et Gilmore, 2018 ; Grimmer, Miles, Byrom et Grimmer, 2017 ; Fatonah et Haryanto, 2022 ; Morgan et Anokhin, 2020) et les multinationales (Chen et al., 2020 ; Bouguerra et al., 2022 ; Ahsan et Fernhaber, 2019). À notre connaissance, peu d’études ont croisé le concept de l’OS aux relations interorganisationnelles, notamment les JVI entre PME et multinationales (Colak, Husain et Dayan, 2015 ; Li et al., 2017 ; Yayla et al., 2018 ; Jiang, Mavondo et Zhao, 2020). Pourtant, ces JVI sont universellement reconnues pour leur rôle dans l’acquisition d’une variété de ressources et de connaissances au profit des entreprises qui cherchent à gagner un pouvoir sur le marché et à partager les risques (Jiang, Mavondo et Zhao, 2020). En cohérence avec le rôle fondamental de l’OS, la JVI offre un contexte favorable à l’exploitation des ressources stratégiques mutuelles en vue de saisir de nouvelles opportunités de développement. Toutefois, le choix ainsi que l’efficacité de l’OS d’une JVI peuvent être influencés par les caractéristiques de son contexte collaboratif, notamment 1) la complexité inhérente à la double structure de la JVI contrôlée par au moins deux entreprises partenaires, 2) la divergence des objectifs et des intérêts, 3) les incompatibilités organisationnelles potentielles et les différences en termes de ressources et de capacités d’apprentissage et 4) la distance culturelle (Cheriet, 2016 ; Triki, Moncef et Belkhair, 2019 ; Nippa et Reuer, 2019).

Deuxièmement, malgré la récente attention accordée au concept de l’OS, le volet traitant l’influence de l’incertitude de l’environnement dans lequel opèrent et évoluent les partenaires d’une JVI sur le choix de leur OS n’a pas été investigué (Yayla et al., 2018). Les quelques recherches empiriques menées dans cette perspective ont démontré l’influence potentielle de l’environnement incertain soit sur le choix de l’OS des entreprises hors cadre de JVI (Miller et Friesen, 1982 ; Hult, Ketchen, Stanley et Slater, 2005), soit sur le choix des partenaires de leurs stratégies d’investissement, des modes de gouvernance et des mécanismes de gestion (Zhou et Li, 2007 ; Kwok, Sharma, Gaur et Ueno, 2019).

Troisièmement, depuis son introduction dans la littérature, l’OS a été majoritairement traitée comme un concept statique (Covin et Lumpkin, 2011) qui ne peut être façonné par des facteurs de contingence internes et externes (Chen et al., 2020). Peu de recherches ont été menées pour étudier la dynamique de l’OS d’une firme au fil du temps, surtout que celle-ci a tendance à évoluer en fonction des mutations de l’environnement (Colak, Husain et Dayan, 2015). Cela est particulièrement vrai pour les JVI évoluant dans des contextes instables et incertains (Meschi et Riccio, 2008). Sur le plan méthodologique, les études empiriques exploitant la méthode quantitative dominent la recherche traitant ce sujet (Gupta, Atav et Dutta, 2019). Comprendre la variété et l’évolution de la configuration de l’OS peut conduire à des pistes fertiles pour des explorations futures. Compte tenu de la nature, de la complexité inhérente au concept de l’OS et de l’existence de facteurs de contingence pouvant l’influencer, plusieurs auteurs recommandent le recours à une méthode qualitative (Adams, Freitas et Fontana, 2019 ; Han et Zhang, 2021).

Les différents constats théoriques et méthodologiques mettent en évidence la nécessité de compléter les travaux existants par de nouvelles investigations. Ainsi, nous menons ce travail de recherche afin d’étudier le choix et la dynamique de l’OS des entreprises dans le cadre des JVI opérant dans un environnement incertain, en prenant l’exemple de l’avènement du Printemps arabe. La JVI constitue une forme organisationnelle particulièrement intéressante à investiguer puisqu’elle met l’accent sur les facteurs de contingence internes (liés au contexte collaboratif de la JVI) et externes (liés à l’environnement) susceptibles d’influencer le choix de l’OS. Plus précisément, notre objectif consiste à comprendre comment évolue le choix de l’OS dans le cadre des JVI entre PME et multinationales exposées à une incertitude environnementale causée par l’avènement du Printemps arabe.

Pour répondre à cette question de recherche, nous avons été amenés à faire des choix théoriques et méthodologiques. Sur le plan théorique, nous avons tenu compte de facteurs de contingence liés au contexte collaboratif de la JVI (la convergence stratégique, l’alignement des objectifs, les ressources engagées et la cocréation de nouveaux produits) et au contexte externe (incertitude de l’environnement) afin d’étudier le choix et la dynamique de l’OS des partenaires. Sur le plan méthodologique, nous avons opté pour une démarche qualitative fondée sur une étude longitudinale de six cas de JVI entre des PME tunisiennes et des firmes multinationales opérant dans des secteurs d’activité différents (agroalimentaire, pharmaceutique et produit d’entretien). Les résultats obtenus fournissent un éclairage intéressant sur les antécédents du choix et de la dynamique de l’OS dans le cadre d’une JVI évoluant dans un environnement incertain.

L’article est organisé de la manière suivante. Dans une première section, nous présentons les définitions et les liens existants entre les différents concepts théoriques mobilisés. Dans une deuxième section, nous présentons notre protocole de recherche. Dans une troisième section, nous présentons nos résultats illustrés par des verbatim. Enfin, nous concluons sur les apports, limites et perspectives de cette recherche.

1. Revue de la littérature

Après avoir défini et distingué les différents types d’OS, nous examinerons ce concept dans le contexte des JVI évoluant dans un environnement incertain.

1.1. Orientation stratégique : définition et types

L’OS traduit les grandes lignes de conduite stratégique mises en place par les entreprises (Gatignon et Xuereb, 1997, p. 78). Elle reflète la philosophie, les croyances et les valeurs profondément ancrées d’une entreprise, ainsi que sa manière d’orienter ses affaires (Mu et Di Benedetto, 2011). Selon ces auteurs, pour obtenir un avantage concurrentiel, l’OS d’une entreprise doit être alignée à la configuration de ses ressources stratégiques.

La littérature récente (Ho, Plewa et Lu, 2016 ; Didonet, Fearne et Simmons, 2020 ; Morgan et Anokhin, 2020 ; Han et Zhang, 2021) a accordé une attention croissante aux différentes configurations de l’OS en mettant l’accent sur les différentes typologies et approches, permettant ainsi d’apporter une contribution aux controverses théoriques et aux résultats fragmentés. Dès lors, plusieurs typologies de l’OS ont été proposées par des études antérieures, notamment la typologie de Miles et Snow (1978), qui identifie quatre OS : « prospecteur », « défenseur », « analyste » et « réacteur ». Bien que celle-ci constitue le socle commun de nombreuses recherches antérieures (Morgan et Strong, 2003 ; Venkatraman, 1989), elle ne peut être appliquée dans notre recherche du fait qu’elle exclut de sa grille d’analyse des dimensions importantes, comme les comportements et les actions (Speed, 1993). Dans la même lignée, nous distinguons la typologie de Porter (1980) faisant référence aux stratégies génériques de différenciation et de réduction de coûts, ainsi que la typologie qui inclut l’orientation entrepreneuriale, l’orientation marché, l’orientation technologique, l’orientation apprentissage, l’orientation innovation et l’orientation employé (Masa’deh, Al-Henzab, Tarhini et Obeidat, 2018).

Hakala (2011) identifie trois approches pour comprendre l’influence de multiples OS sur la performance de l’entreprise, à savoir : l’approche séquentielle, l’approche alternative et l’approche complémentaire. L’approche séquentielle croit en la suprématie d’une seule OS susceptible de se développer à la suite de changements dans l’environnement et/ou avec le temps. L’approche alternative défend l’existence de choix entre les différentes OS et plaide en faveur de celle qui répond mieux aux facteurs de contingence. Enfin, l’approche complémentaire considère les OS comme un ensemble flexible combiné en modèles universellement bénéfiques et adaptés aux facteurs de contingence. Dans la lignée des travaux de Hakala (2011), plusieurs travaux de recherche se sont intéressés à l’étude de la relation entre la performance des entreprises et plusieurs types d’OS (l’orientation marché, l’orientation technologie et/ou l’orientation entrepreneuriale) en s’inscrivant dans une perspective séquentielle, alternative ou complémentaire (Deutscher, Zapkau, Schwens, Baumc et Kabst, 2016 ; Ho, Plewa et Lu, 2016 ; Hughes et al., 2018 ; Han et Zhang, 2021 ; Morgan et Anokhin, 2020).

L’orientation marché. Le concept de l’orientation marché a reçu une attention considérable depuis la publication des travaux fondateurs de Kohli et Jaworski (1990). Le statut de pierre angulaire de cette approche dans la recherche relative au positionnement concurrentiel des entreprises a suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs (Gupta, Atav et Dutta, 2019 ; Adams, Freitas et Fontana, 2019 ; Morgan et Anokhin, 2020 ; Han et Zhang, 2021). Dès lors, plusieurs travaux de recherche ont investigué les antécédents et les résultats de l’orientation marché en se focalisant soit sur les facteurs internes liés à l’entreprise, soit sur les facteurs externes liés à l’environnement. Il en découle que l’orientation marché dépend de divers aspects liés au fonctionnement de l’entreprise et ne peut toujours garantir une performance supérieure (Ngo et O’Cass, 2012). Selon Colak, Husain et Dayan (2015), une orientation marché est centrée sur le client, le concurrent et la coordination interfonctionnelle. En d’autres termes, les entreprises poursuivant une orientation marché doivent produire une offre qui répond aux exigences du marché. Ainsi, l’accès, la génération et l’exploitation des signaux pertinents du marché jouent un rôle critique dans le déploiement des ressources stratégiques des entreprises orientées marché. Selon Mu et Di Benedetto (2011), le processus de détection de ces signaux doit être conduit en permanence afin que la mise en pratique des connaissances n’ait pas une pertinence limitée dans le temps. Dans la même veine, Ngo et O’Cass (2012) soulignent l’importance des ressources engagées et de la structure fonctionnelle de l’entreprise orientée marché dans l’atteinte des objectifs stratégiques. Les entreprises axées sur le marché doivent détenir des ressources et des compétences permettant de comprendre, de surveiller et d’éviter les menaces de leurs environnements (Armario, Ruiz et Armario, 2008).

Bien que l’orientation marché ait suscité un intérêt considérable tant dans le monde académique que dans celui des praticiens, le rôle qu’elle joue dans la réussite des entreprises reste un sujet controversé. En effet, certaines études portant sur la relation orientation marché-performance, orientation marché-innovation, orientation marché-nouveau produit ont présenté une relation positive (Masa’deh et al., 2018 ; Fatonah et Haryanto, 2022), tandis que d’autres ont démontré une relation non significative ou négative (Hakala, 2011 ; Beliaeva et al., 2020).

L’orientation technologie. L’orientation technologique fait référence à l’ouverture d’une organisation aux nouvelles idées (Tsou, Chen et Liao, 2014) et souvent associée à l’innovation technique, technologique et des produits. Toutefois, l’acquisition, l’assimilation et l’utilisation des dernières technologies nécessitent une coordination entre la structure, le système opérationnel et les ressources de l’entreprise (Masa’deh et al., 2018). Les organisations ayant une orientation technologique doivent adopter une attitude proactive pour identifier, acquérir et appliquer les nouvelles technologies dans le processus de développement de leurs produits/services (Tsou, Chen et Liao, 2014 ; Morgan et Anokhin, 2020). Ainsi, les entreprises orientées technologies doivent intégrer des technologies innovantes pour différencier leurs produits de ceux de la concurrence. Pour ce faire, les hauts dirigeants doivent engager des ressources importantes, cultiver une culture innovante basée sur la créativité, le partage et la cocréation (Masa’deh et al., 2018).

L’orientation entrepreneuriale. L’orientation entrepreneuriale reflète la volonté d’une entreprise de vouloir poursuivre des activités entrepreneuriales et de répondre efficacement aux besoins actuels et à anticiper les besoins futurs du marché (Hughes et al., 2018). Dans la littérature, l’orientation entrepreneuriale est considérée comme une capacité organisationnelle incarnant un comportement innovateur, proactif à l’égard des opportunités et non averse au risque (Mu et Di Benedetto, 2011). L’innovation joue un rôle crucial pour l’entreprise ayant une orientation entrepreneuriale, puisqu’elle consiste à soutenir la créativité et la nouveauté pour le développement de nouveaux processus et produits/services. Un comportement proactif vise la détection de nouvelles opportunités de croissance par une anticipation des besoins futurs du marché en améliorant des produits existants ou en développant de nouveaux produits (Masa’deh et al., 2018). Enfin, la non-aversion au risque conduit l’entreprise vers de nouveaux projets de développement. Le facteur risque est estimé par les coûts relatifs soit aux erreurs, soit aux résultats incertains des projets poursuivis (Wheelen et Hunger, 2015).

Les entreprises adoptant une orientation entrepreneuriale doivent analyser et surveiller en permanence leur environnement afin d’identifier de nouvelles opportunités et d’enrichir leur patrimoine par des ressources innovantes (Mu et Di Benedetto, 2011 ; Masa’deh et al., 2018). Les travaux de recherche sur l’orientation entrepreneuriale ont montré que les nouvelles entreprises ne peuvent pas réussir une telle OS en raison d’absence de ressources stratégiques (Hitt, Ireland, Camp et Sexton, 2001). Par conséquent, une orientation entrepreneuriale peut être source de création de valeur si et seulement si les entreprises acquièrent, développent et exploitent des ressources stratégiques qui favorisent à la fois la saisie de nouvelles opportunités et le développement d’un avantage compétitif.

In fine, la démarche stratégique d’une entreprise diffère selon le type de l’OS adopté. Les entreprises peuvent toutefois combiner entre deux ou trois types d’OS (Hakala, 2011), ce qui constitue, pour certains auteurs, un gage de réussite pour celles opérant dans un environnement incertain (Boso, Story et Cadogan, 2013 ; Ho, Plewa et Lu, 2016 ; Masa’deh et al., 2018 ; Han et Zhang, 2021).

1.2. Orientation stratégique des JVI entre multinationales et PME opérant dans un environnement incertain

La JVI est appréhendée comme une forme de collaboration interentreprises impliquant la participation d’une multinationale dans le capital d’une entreprise locale opérationnelle (souvent une PME) afin de pallier les difficultés liées à la pénétration d’un marché étranger caractérisé par des particularités économiques, politiques ou culturelles difficilement maîtrisables (Chen et Hennart, 2004). En effet, les multinationales optent pour une JVI avec une PME locale afin de pénétrer de nouveaux marchés, de diversifier leur portefeuille d’activités, d’obtenir des économies d’échelle et de partager les coûts et risques associés aux nouvelles activités (Kwok, Sharma, Gaur et Ueno, 2019). À cela s’ajoutent les avantages « classiques » des PME en termes de réactivité, de flexibilité et de capacité d’adaptation (Cheriet, Le Roy et Rastoin, 2008). Pour les PME, la JVI apparaît comme un moyen pour contourner les contraintes structurelles et assurer de nouvelles opportunités de développement (Chen et Chen, 2002 ; Cheriet, 2016). En effet, les PME optent pour une JVI afin d’intégrer de nouvelles ressources et de les exploiter dans le développement de nouveaux produits à forte valeur ajoutée (Jiang, Mavondo et Zhao, 2020). Dans cette perspective, Ahsan et Fernhaber (2019) soulignent que les multinationales poursuivent une OS agressive, de type entrepreneurial, dont la mise en oeuvre nécessite l’utilisation des capacités dynamiques afin d’identifier, évaluer et exploiter les opportunités qui se présentent à l’international. Le choix de leur OS dépend alors des caractéristiques du marché local dans lequel elles opèrent (Luo et Park, 2001).

Pour les PME, la revue de la littérature met en évidence l’aspect problématique du choix de l’OS. La pénétration de nouveaux marchés, l’innovation et la différenciation des produits permettent à la PME de rivaliser avec ses concurrents locaux et étrangers, de garantir une meilleure performance et d’affronter les défis posés par un environnement complexe et incertain (Hagen, Zucchella, Cerchiello et De Giovanni, 2012 ; Ardito, Simon, Albino et Bertoldi, 2021). Néanmoins, la taille ainsi que l’accès au financement externe, à l’information et à la technologie dans le cadre des projets d’innovation constituent les principales difficultés pour les PME souhaitant obtenir un avantage concurrentiel sur les marchés étrangers cibles (Ben Ayad et Zouari, 2014 ; Belze et Gauthier, 2000 ; O’Dwyer et Gilmore, 2018 ; Bodlaj et Cater, 2022). En outre, les PME sont reconnues comme ayant des comportements non planifiés, réactifs ou, au mieux, opportunistes (Avlonitis et Salavou, 2007). Toutes ces contraintes sont susceptibles de les empêcher de poursuivre une OS efficace.

D’autres travaux, en revanche, mettent en évidence que les PME sont capables de saisir des opportunités qui s’offrent à l’international et de mettre en oeuvre des OS efficaces et pertinentes. À ce titre, Hagen et al. (2012) montrent que les PME qui recherchent activement des opportunités à l’international, en poursuivant une OS claire, proactive et cohérente avec la stratégie globale, sont capables de se développer plus rapidement et d’afficher des performances internationales. O’Dwyer et Gilmore (2018) soulignent la nécessité pour les PME de former des alliances stratégiques facilitant l’accès à des ressources complémentaires et le développement sur le marché. La complémentarité des ressources facilite les économies d’échelle, les synergies opérationnelles et la saisie de nouvelles opportunités. Dans la continuité, Morgan et Anokhin (2020) mettent en évidence que les turbulences environnementales et la forte intensité technologique obligent la PME à poursuivre une double orientation entrepreneuriale-marché afin d’exploiter de nouvelles opportunités.

Dans le cadre de ce travail de recherche, nous avons fait le choix d’étudier l’orientation entrepreneuriale, l’orientation marché et l’orientation technologie dans le cadre des JVI entre PME et multinationales en s’inscrivant dans une perspective dynamique et complémentaire, pour les trois raisons suivantes.

Premièrement, la complémentarité des ressources est au coeur des JVI et de ces trois OS. Le fondement de ces dernières appuie la raison d’être d’une JVI qui consiste à acquérir de nouvelles ressources, technologies et connaissances dans le but de développer de nouveaux produits et de saisir de nouvelles opportunités de croissance. Les études traitant ces concepts montrent que la synergie issue de la combinaison et la complémentarité des ressources, des connaissances et des compétences des partenaires des JVI facilite le déploiement de leurs OS (Ho, Plewa et Lu, 2016 ; Han et Zhang, 2021).

Deuxièmement, les JVI entre PME et multinationales constituent une forme de gouvernance particulière organisée par deux partenaires ne poursuivant pas systématiquement la même OS. Dans ce contexte particulier, la nature des échanges interpartenaires en matière de partage de savoir-faire, de ressources et de génération de nouvelles connaissances peut faire l’objet de conflits d’intérêts et de divergences (Dikmen Gorini, 2012 ; Triki, Moncef et Belkhair, 2019 ; Ben Jemaa-Boubaya, Cheriet et Smida, 2020). De même, les différences de cultures, de valeurs et de normes entre les partenaires peuvent conduire à des dysfonctionnements, à des relations de travail contre-productives et à des difficultés opérationnelles susceptibles d’entraver la mise en oeuvre de leurs OS. De ce fait, les partenaires doivent déployer conjointement des efforts afin de créer un contexte favorable à la collaboration, à l’engagement mutuel et au partage des risques et des gains (Cherbib et Bahri Korbi, 2022). En d’autres termes, ils doivent faire preuve de convergence stratégique en alignant leurs objectifs spécifiques sur ceux de la JVI et en mettant en oeuvre des ressources et des compétences complémentaires (Chang, Wang et Bai, 2020 ; Hu, Jain et Delio, 2021 ; Ben Jemaa-Boubaya, Cheriet et Smida, 2020).

Troisièmement, ces deux concepts (JVI et OS) présentent un caractère non statique. En effet, les trois OS retenues et les JVI évoluent dans le temps et leurs résultats sont souvent influencés par des facteurs de contingence internes et externes (Adams, Freitas et Fontana, 2019 ; Chen et al., 2020 ; Cherbib et Bahri Korbi, 2022).

D’une part, les obstacles environnementaux, opérationnalisés par le dynamisme, la complexité et l’incertitude, impactent le choix de l’OS d’une entreprise (Miller et Friesen, 1982 ; Gatignon et Xuereb, 1997). Cette situation est d’autant plus problématique lorsque l’incertitude du contexte est évaluée par le niveau des perturbations économiques, politiques et sociales, tel le cas du Printemps arabe qui a entraîné de lourdes incidences sur l’activité des entreprises. D’autre part, les entreprises impliquées dans une JVI sont par définition exposées à des obstacles internes et externes susceptibles d’accroître leur vulnérabilité (Luo, 2007 ; Meschi et Riccio, 2008 ; Kwok, Sharma, Gaur et Ueno, 2019) et d’influencer, par conséquent, le choix de l’OS. Dans cette perspective, Colak, Husain et Dayan (2015) ont établi un modèle conceptuel identifiant les antécédents, les modérateurs et les conséquences du choix d’une OS par les partenaires d’une JVI. Selon ces auteurs, la turbulence du marché, l’intensité concurrentielle et/ou la turbulence technologique sont susceptibles d’amener les partenaires d’une JVI à revoir l’OS en place afin de faire face aux nouvelles conditions environnementales et de maintenir leur avantage concurrentiel. Les travaux récents d’Yayla et al. (2018) se sont penchés sur l’étude d’une OS « marché » dans le cadre des JVI exposées à un environnement incertain. En se basant sur un échantillon de 156 entreprises turques opérant sur le marché égyptien pendant le Printemps arabe (2010-2015), les auteurs ont démontré que le choix d’une orientation marché expose ces firmes aux nouvelles contraintes environnementales et favorise la mise en oeuvre de la solution la moins coûteuse, en quittant le marché.

En dépit de sa profusion, la littérature traitant la question du choix de l’OS a occulté comment celle-ci s’applique et évolue dans le temps, notamment dans le cadre particulier des JVI entre PME et multinationales opérant dans un environnement incertain (Colak, Husain et Dayan, 2015 ; Yayla et al., 2018). Compte tenu de ces différents constats théoriques et empiriques, il s’avère nécessaire 1) de connaître les objectifs, les apports et la nature des interactions entre les partenaires de la JVI pour comprendre le choix de la configuration des OS en place et 2) d’étudier les caractéristiques du contexte dans lequel évolue la JVI pour comprendre les raisons des ajustements opérationnels et stratégiques conduisant ou pas à l’évolution de la configuration initiale de ces OS.

2. Méthodologie de recherche

Compte tenu de la complexité du déploiement de l’OS des partenaires dans le cadre d’une JVI d’une façon générale et dans un environnement incertain d’une façon particulière, nous avons suivi les préconisations de Yin (2003) selon lesquels le recours à une étude qualitative fondée sur des études de cas permet une meilleure appréhension des phénomènes comprenant des variations peu anticipées. Ainsi, nous avons étudié six cas de JVI entre des PME tunisiennes et des multinationales opérant dans divers secteurs d’activité, notamment le secteur agroalimentaire, chimique et pharmaceutique. Les JVI étudiées s’articulent autour de la conception, la production et la commercialisation de gammes de produits soit sous la marque de la PME locale, soit sous la marque de la multinationale ou en cobranding[1]. Aucune nouvelle entité juridique distincte n’a été créée dans la mesure où ces JVI se basent sur la prise de participation de la multinationale dans le capital de la PME locale. Le tableau 1 décrit les six cas étudiés.

Tableau 1

Présentation des cas

Présentation des cas

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Dans la lignée des travaux de Hakala (2011), nous avons mené une étude longitudinale qui s’est étalée sur la période 2010-2016 pour une meilleure compréhension de la dynamique de l’OS dans le cadre de JVI opérant dans un environnement incertain. Ainsi, nous avons réalisé les entretiens sur trois périodes : 2010, 2013 et 2016 afin de suivre l’évolution de l’OS des partenaires dans le temps. Nous avons interviewé les principaux acteurs des deux partenaires, comme recommandé par Kortmann et al. (2014), afin de garantir l’objectivité et la véracité des informations collectées ainsi que d’assurer la richesse des discours complémentaires. La solution de « double source » proposée par Baumard et Ibert (2014, p. 285) a été exploitée afin d’éviter tout biais lié à une appréciation subjective ou à un point de vue personnel communiqué par une seule source d’information. En entretien, les interviewés ont été invités à présenter les motivations respectives de la création de leur JVI, l’objet de leur coopération, les OS poursuivies avant et après le déclenchement de la révolution tunisienne pour réagir à l’incertitude de l’environnement, les efforts déployés mutuellement afin d’ajuster leur(s) OS aux nouvelles caractéristiques du marché tunisien (Annexe).

Au total, nous avons réalisé 66 entretiens semi-directifs correspondant à 99 heures d’entretien, toutes retranscrites. Le traitement des données a été effectué par le logiciel de traitement de données qualitatives NVivo 10 qui a considérablement facilité le traitement et le codage d’un matériau volumineux de données. D’après Miles et Huberman (2003), le codage permet d’étiqueter les segments les plus importants, compte tenu de l’objectif de la recherche. Nous avons systématiquement vérifié, pour l’ensemble des entretiens, notre codage par un double codage inter et intracodeur. Un taux de fiabilité de 90 % a été obtenu.

3. Résultats

Pour analyser l’évolution de l’OS de chaque cas de JVI, nous avons fixé deux repères sur un axe temporel de six ans (avant la révolution/après la révolution). Pour le premier repère (avant la révolution), nous nous sommes limités à l’identification du type de l’OS que les partenaires de chaque cas de JVI ont poursuivi. Pour le second repère (après la révolution), nous nous sommes focalisés sur l’évolution de l’OS des partenaires face aux nouvelles conditions environnementales, ses répercussions sur le mode de fonctionnement interne de la JVI et les résultats qui en découlent.

L’analyse des résultats nous a permis d’identifier deux dynamiques d’OS, à savoir une orientation marché évoluant vers une orientation marché-technologie et une orientation marché-technologie évoluant vers une orientation marché-entrepreneuriale.

3.1. Les types d’orientation stratégique avant la révolution

Avant la révolution, la démarche stratégique des partenaires des cas de JVI étudiés a été basée soit sur une orientation marché, soit sur une orientation marché-technologie. Ces derniers adaptent et concentrent leurs efforts en fonction des caractéristiques intrinsèques des produits, de la nature des offres concurrentes et des besoins des clients. Les règles concurrentielles sont régies par la différenciation produit et l’offre d’une valeur supérieure recherchée par le client. Pour les cas A, B et C, les résultats montrent que les partenaires convergent vers la mise en place d’une orientation marché fondée sur la commercialisation de produits répondant aux besoins actuels des clients. Par ailleurs, les partenaires des cas D, E et F sont focalisés sur une orientation marché-technologie qui répond à un double objectif : avoir une attention sur l’offre des concurrents et intégrer l’innovation dans la conception et la fabrication de nouveaux produits afin de garantir la proximité avec le client, la rentabilité et la compétitivité (Tableau 2).

Tableau 2

Convergence et orientation stratégique des partenaires avant la révolution

Convergence et orientation stratégique des partenaires avant la révolution

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3.2. Les types d’orientation stratégique après la révolution

Depuis l’avènement du Printemps arabe le 14 janvier 2011, le contexte tunisien a été qualifié d’incertain (Rapports de la banque mondiale, 2014). La Tunisie a connu une forte instabilité politique, sociale et économique marquée par des pertes estimées à 2,58 milliards d’euros, soit 4 % du PIB, une croissance économique en dents de scie, pour atteindre 2,5 % en 2018, un taux de chômage de 17,9 % en 2013 et une inflation avoisinant les 5 % en 2017[3]. La hausse des prix est devenue un frein à la consommation des ménages, qui trouvent leur pouvoir d’achat affecté négativement, aussi par la dépréciation du dinar tunisien. La révolution a considérablement impacté l’activité des entreprises locales et étrangères implantées sur le territoire tunisien. De multiples problèmes ont émergé, accélérant ainsi la cessation d’activités et le désinvestissement de beaucoup de firmes étrangères. Par conséquent, le poids des IDE dans l’économie tunisienne est passé de 9,4 % en 2006 à 1,5 % en 2016 (OCDE, 2020).

Au regard de ces nouvelles conditions, le choix de l’OS s’est fait en fonction des priorités que les partenaires ont fixées pour relever les défis que leur imposent les nouvelles conditions environnementales. Ces priorités concernent 1) la productivité et la réduction des coûts, 2) l’innovation et le développement de nouveaux produits et/ou de nouvelles activités et 3) la réorientation géographique. Le niveau de convergence entre les partenaires (alignement entre les objectifs et les priorités des alliés, exploitation de nouvelles ressources et développement de nouveaux produits) a influencé le choix des ajustements stratégiques adoptés. Ainsi, trois types d’OS ont été identifiés : une orientation marché, une orientation marché-technologie et une orientation marché-entrepreneuriale.

3.2.1. Le maintien d’une orientation marché

Malgré la forte incertitude du marché (une perturbation économique et politique et une baisse du pouvoir d’achat), les partenaires du cas A ne prévoient aucune nouvelle orientation stratégique visant l’exploitation de nouvelles solutions, l’élargissement ou le développement de nouveaux produits (Tableau 3).

L’analyse des résultats montre que la divergence des alliés du cas A est liée au refus de la multinationale d’investir dans de nouvelles ressources technologiques, de développer de nouvelles formes de produits et d’élargir le portefeuille existant : « Nous devons suivre les objectifs de développement du groupe à l’international. Élargir le portefeuille de produits sur le marché local ne figure pas dans le plan stratégique des cinq prochaines années », explique le chef de zone de la multinationale. Face à cette situation, les deux partenaires ont décidé de procéder principalement par des ajustements opérationnels tels que l’optimisation des capacités de production et le maintien des volumes de vente.

Dans les faits, les résultats montrent que les partenaires exploitent des solutions industrielles et organisationnelles. Sur le plan industriel, les cycles de production se planifient en fonction du nombre de commandes effectif et non potentiel et les capacités de production sont ajustées à un rythme hebdomadaire proportionnel à la demande. Sur le plan organisationnel, les équipes des principaux départements (production, marketing et vente) collaborent d’une façon transversale autour des problématiques relatives à l’optimisation des ressources, à l’augmentation de la productivité et à la réduction des coûts afin de promouvoir une offre conforme aux attentes du consommateur.

Bien que l’optimisation des ressources et la productivité offrent aux partenaires la possibilité de réduire les coûts et de proposer un prix compétitif, elles demeurent insuffisantes pour faire face aux nouveaux enjeux de l’environnement. Comme le souligne le directeur de production de la PME : « Nous avons beaucoup de difficultés financières aujourd’hui. Les ventes sont en décroissance, le comportement du patient a changé à cause de la situation économique du pays. Le résultat n’est pas satisfaisant, nous luttons pour sauver la situation… » Les partenaires se retrouvent ainsi en grandes difficultés financières. Leur part de marché et leur résultat affichent une nette baisse accentuée par la décroissance de leur rentabilité et le ralentissement du rythme des investissements.

Tableau 3

Maintien de l’orientation stratégique du cas A

Maintien de l’orientation stratégique du cas A

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3.2.2. L’évolution vers une orientation marché-technologie

L’analyse des cas B et C (Tableau 4) montre que l’OS des partenaires a évolué vers une OS de type marché-technologie. Les deux alliés convergent vers la nécessité d’avoir un double regard marché-innovation pour pouvoir maintenir leur avantage concurrentiel sur un marché à forte incertitude. L’objectif étant de développer, à partir d’une feuille de route axée sur de nouveaux processus opérationnels, de nouveaux produits afin de satisfaire le client local.

Pour se rapprocher au maximum du client et parvenir à dépasser la concurrence, les partenaires des cas B et C ont concentré leurs efforts sur le produit. Dès lors, une étroite collaboration entre l’équipe de production et l’équipe marketing a conduit au développement de nouveaux produits répondant aux exigences d’une orientation marché-technologie. La concrétisation du développement de nouveaux produits est le résultat d’un recueil minutieux des appréciations des clients et des distributeurs ainsi que de plusieurs allers-retours permettant de cerner les besoins réels de la cible.

Sur le plan opérationnel, le contexte collaboratif, composé d’équipes transversales et complémentaires, a facilité le développement de nouvelles gammes de produits et le déploiement de la nouvelle OS. À titre d’illustration : « Les équipes ont fait preuve d’une expertise opérationnelle de haut niveau. Nous avons testé de nouvelles recettes et introduit progressivement de nouveaux produits répondant au mieux aux préférences des clients en termes de goût, texture, ingrédients, volume et prix. » (directeur général de la PME, cas C, septembre 2016)

Ainsi, le choix d’une nouvelle orientation marché-technologie permet aux partenaires des cas B et C de se distinguer de la concurrence, de développer leurs parts de marché et de maintenir leur avantage concurrentiel malgré l’incertitude environnementale. Cette OS limite la réflexion stratégique des partenaires autour du même marché, du même client et des mêmes concurrents et peut à terme être peu efficace.

Tableau 4

Évolution de l’orientation stratégique des cas B et C

Évolution de l’orientation stratégique des cas B et C

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3.2.3. L’évolution vers une orientation marché-entrepreneuriale

L’analyse des cas D, E, et F (Tableau 5) montre que l’OS des partenaires a évolué vers une OS marché-entrepreneuriale. Par une offre adaptée aux attentes des clients, les partenaires s’alignent aux principes fondamentaux de l’orientation marché, et par un comportement proactif, innovateur et non averse au risque, ils s’alignent aux principes de l’orientation entrepreneuriale. Pour anticiper les nouvelles tendances du marché, les partenaires se lancent alors dans l’innovation et le développement de nouvelles solutions. Face à un consommateur de plus en plus exigeant et disposant d’un pouvoir d’achat en baisse, les partenaires ont opté pour une exploitation des nouvelles ressources technologiques et une consolidation des efforts en R&D pour atteindre la rentabilité et la nouveauté.

Pour déployer de manière efficace l’orientation marché-entrepreneuriale, les partenaires capitalisent sur leurs ressources mutuelles en se lançant, ensemble, dans de nouveaux projets tant au niveau local que sur les marchés internationaux voisins. En effet, les résultats montrent que les alliés procèdent à l’élargissement du portefeuille produits et à la pénétration de nouveaux marchés voisins, à l’instar de l’Algérie (cas D et F), du Maroc et de l’Égypte (cas E) dans l’optique d’une réorientation géographique. Le croisement entre ces deux types d’OS permet aux partenaires de saisir les opportunités de croissance internationale et de résister aux difficultés causées par un environnement local incertain, notamment la baisse de la demande, la flambée des coûts, etc.

Tableau 5

Évolution de l’orientation stratégique des cas D, E et F

Évolution de l’orientation stratégique des cas D, E et F

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À la suite de l’analyse des six cas de JVI retenus, nous pouvons retenir qu’une OS marché-entrepreneuriale (cas D, E et F) constitue un atout pour les partenaires d’une JVI opérant dans un environnement incertain puisqu’elle assure un mélange entre adaptation et proactivité, alors que l’orientation marché-technologie (cas B et C) permet le maintien de la part de marché et de l’avantage concurrentiel grâce à ses trois dimensions, à savoir le développement de nouveaux produits, la coordination interfonctionnelle et le focus client. Bien que celle-ci aide les partenaires à surmonter les difficultés liées à un contexte d’incertitude élevée, elle risque sur le long terme de limiter la réflexion stratégique à une adaptation progressive aux mêmes domaines d’activité et aux mêmes marchés. Enfin, le maintien d’une orientation marché (cas A) s’avère insuffisant pour faire face à l’incertitude de l’environnement.

Après avoir exposé nos résultats, nous proposons de les illustrer par quelques extraits de verbatim dans le tableau 6.

Tableau 6

Extraits de verbatim

Extraits de verbatim

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En reprenant le tableau 6, nous explicitons nos principaux résultats dans la figure 1.

Figure 1

Dynamiques de l’orientation stratégique dans le cas de JVI entre PME tunisiennes locales et multinationales opérant dans un environnement incertain

Dynamiques de l’orientation stratégique dans le cas de JVI entre PME tunisiennes locales et multinationales opérant dans un environnement incertain

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4. Discussion

La littérature existante en stratégie pointe l’importance de l’OS dans la création d’un avantage concurrentiel pour une entreprise opérant dans un environnement incertain (Hakala, 2011 ; Panda, 2014 ; Ho, Plewa et Lu, 2016 ; Deutscher et al., 2016 ; Han et Zhang, 2021 ; Fatonah et Haryanto, 2022). Depuis son introduction dans la littérature, la question de l’OS a été traitée d’une manière statique, selon une approche basée sur les résultats (Covin et Lumpkin, 2011 ; Chen et al., 2020), plutôt que d’une manière dynamique qui tient compte des antécédents (facteurs de contingence internes et/ou externes) susceptibles de la façonner et/ou de la faire évoluer.

À notre connaissance, très peu de recherches se sont intéressées à l’étude de l’OS pour le cas spécifique des JVI (Colak, Husain et Dayan, 2015 ; Yayla et al., 2018 ; Jiang, Mavondo et Zhao, 2020). D’autant plus, les quelques recherches empiriques menées dans cette perspective n’ont pas étudié systématiquement les antécédents, la dynamique et les résultats de l’OS déployée par les entreprises (PME-multinationale) impliquées dans des JVI et opérant dans un environnement incertain. Dans cette recherche, nous nous sommes inscrits dans une perspective dynamique et complémentaire, en tenant compte des facteurs de contingence internes (convergence stratégique, alignement entre les objectifs et les ressources engagées et cocréation de nouveaux produits) et externes (avènement du Printemps arabe) pour étudier l’évolution de l’OS. L’étude longitudinale de six cas de JVI entre PME tunisiennes et multinationales entre 2010 et 2016 fait ressortir les implications académiques suivantes.

Tout d’abord, la dynamique de l’OS dans le cadre d’une JVI, entre PME et multinationale, est influencée par des facteurs de contingence internes et externes. Nos résultats montrent que la convergence stratégique alimentée par un alignement entre les objectifs et les ressources engagées et soutenue par une culture de partage et de cocréation influence le choix de la configuration de l’OS la plus adaptée aux conditions environnementales externes (Ben Jemaa-Boubaya, Cheriet et Smida, 2020 ; Chang, Wang et Bai, 2020 ; Hu, Jain et Delio, 2021). Ainsi, l’OS ne peut pas se cantonner à une intention stratégique fixée d’une manière unilatérale ou bilatérale pour saisir une nouvelle opportunité. Sa mise en place et son développement nécessitent une organisation structurée (matrice d’évaluation des ressources, processus et routines) et une capacité d’orchestration (collaboration entre les équipes et flexibilité opérationnelle) qui garantissent l’acquisition, l’absorption et l’exploitation des méthodes et pratiques permettant l’identification et la saisie de nouvelles opportunités. Pour faire face aux difficultés causées par l’avènement du Printemps arabe, les partenaires de cinq cas sur six des JVI étudiés ont procédé à des ajustements opérationnels et stratégiques conduisant à de nouvelles configurations complémentaires (marché-technologie ; marché-entrepreneuriale) plus adaptées aux nouvelles menaces environnementales (Ho, Plewa et Lu, 2016 ; Deutscher et al., 2016 ; Adams, Freitas et Fontana, 2019).

Ensuite, le choix du maintien de l’orientation marché et son inadaptation aux nouvelles conditions environnementales est la conséquence de la divergence stratégique entre les partenaires. Cette dernière a conduit au maintien de l’orientation marché qui a influencé, à son tour, négativement la relation de la PME avec son partenaire (Fatonah et Haryanto, 2022). Limiter les ajustements au volet opérationnel réduit les capacités de la PME à maîtriser l’évolution des besoins des clients (Suliyanto et Rahab, 2012 ; Masa’deh et al., 2018). L’orientation marché, fondée sur une coordination interne et un double focus client-concurrent, est universellement reconnue comme l’une des principales orientations contribuant à la performance d’une entreprise (Masa’deh et al., 2018 ; Fatonah et Haryanto, 2022). En revanche, une orientation marché alimentée par des ajustements opérationnels s’avère insuffisante pour une JVI qui fait face à un environnement incertain. Ainsi, bien que l’orientation marché soit pertinente pour une JVI opérant dans un environnement stable, elle perd toute sa valeur dans le contexte des JVI exposées à un environnement incertain, ce qui corrobore avec les travaux de Hakala (2011).

Enfin, bien que périlleuse, la dynamique orientation marché-technologie/orientation marché-entrepreneuriale est la plus adaptée pour les entreprises opérant dans un environnement incertain. Celle-ci permet une maîtrise des règles concurrentielles par l’exploitation des dimensions de la proactivité, de l’innovation et de la prise de risque (Mu et Di Benedetto, 2012). Les PME engagées dans ce type de configuration (orientation marché-entrepreneuriale) sont motivées pour exploiter les connaissances acquises dans le développement de nouveaux processus/produits et proposer une offre à forte valeur ajoutée. Ce résultat corrobore, en outre, avec les travaux de (Ho, Plewa et Lu, 2016 ; Adams, Freitas et Fontana, 2019 ; Dung, Bonney, Adhikari et Miles, 2021) qui avancent que la combinaison de deux types d’OS (marché-entrepreneuriale) contribue à la réussite d’une entreprise opérant dans un environnement incertain.

De son côté, la dynamique orientation marché/orientation marché-technologie contribue, grâce à l’innovation et aux efforts déployés en R&D, au maintien d’un avantage concurrentiel et au développement de la part de marché (Hakala, 2011 ; Panda, 2014 ; Masa’deh et al., 2018). Les PME et leurs alliés se sont engagés ensemble dans des activités de R&D pour acquérir de nouvelles connaissances afin de les exploiter dans le développement de nouvelles gammes de produits (Masa’deh et al., 2018 ; Adams, Freitas et Fontana, 2019). En effet, la convergence des partenaires (PME-multinationale) vers l’alignement des ressources aux objectifs s’est traduite par l’intégration de nouveaux processus technologiques contribuant au développement de nouveaux produits à forte valeur ajoutée (Hakala, 2011). L’orientation marché-technologie a permis aux PME et à leurs alliés de créer de la valeur à partir de l’exploitation de solutions innovantes et de l’utilisation de technologies sophistiquées (Adams, Freitas et Fontana, 2019). Par ailleurs, l’absence de comportement proactif limite la réflexion stratégique à une simple adaptation et affaiblit les capacités organisationnelles à faire face au nouvel aléa de l’environnement.

Conclusion

Ce travail de recherche s’interroge sur le choix et la dynamique de l’OS dans le cadre particulier des JVI évoluant dans un environnement incertain. L’analyse longitudinale de six cas de JVI, formés entre des PME tunisiennes et des multinationales confrontées aux répercussions du Printemps arabe sur la période 2010-2016, permet d’élaborer de nombreuses implications académiques et managériales.

Sur le plan académique, notre travail de recherche met en évidence les contributions suivantes. Premièrement, nous contribuons à la littérature en examinant de plus près la relation entre les antécédents et la dynamique de l’OS. En prenant en considération la convergence, l’alignement entre les objectifs et les ressources engagées, la cocréation de produits comme facteurs de contingence internes ainsi que l’avènement du Printemps arabe comme facteur de contingence externe, nous avons répondu à l’appel de nombreux auteurs quant à l’étude du rôle des facteurs de contingence dans le choix et la dynamique de l’OS d’une entreprise dans le cadre particulier d’une JVI (Adams, Freitas et Fontana, 2019 ; Gupta, Atav et Dutta, 2019 ; Jiang, Mavondo et Zhao, 2020 ; Han et Zhang, 2021). En effet, la JVI constitue une forme organisationnelle particulière qui peut être confrontée à des divergences et des incompatibilités stratégiques (Cheriet, 2016 ; Triki, Moncef et Belkhair, 2019 ; Nippa et Reuer, 2019). Notre travail de recherche montre que le choix, la dynamique et les résultats de l’OS dans un environnement incertain sont tributaires des facteurs de contingence liés à la relation entre les partenaires (PME-multinationale) et à leur philosophie managériale. Plus précisément, la convergence et la volonté des partenaires à aligner les ressources aux objectifs d’ajustements opérationnels et stratégiques nécessaires pour faire face aux turbulences de l’environnement constituent le catalyseur de la configuration en place et les conséquences de son résultat.

Deuxièmement, nos résultats permettent d’enrichir la littérature existante concernant l’importance d’avoir une configuration multiorientations pour les entreprises opérant dans un environnement incertain (Adams, Freitas et Fontana, 2019 ; Han et Zhang, 2021). Dans la lignée de Masa’deh et al. (2018) et Deutsher et al. (2016), nous démontrons que les entreprises qui utilisent une configuration multiorientations sont plus performantes que celles qui adoptent une configuration mono-orientation. Plus précisément, et contrairement aux résultats des études antérieures (Avlonitis et Salavou, 2007 ; Suliyanto et Rahab, 2012 ; Masa’deh et al., 2018), nos résultats montrent que les PME peuvent réussir le déploiement d’une configuration multiorientations et faire face aux menaces d’un environnement incertain.

Troisièmement, nous contribuons à la littérature avec une étude longitudinale qui permet de suivre l’évolution de l’OS des partenaires (PME-multinationale) d’une JVI dans le temps, ce qui permet de répondre à l’appel de plusieurs auteurs tels que Colak, Husain et Dayan (2015) ; Yayla et al. (2018) ; Adams, Freitas et Fontana (2019) et Han et Zhang (2021) qui recommandent d’investiguer la question de la dynamique de l’OS d’une JVI opérant dans un environnement incertain par des recherches qualitatives longitudinales. Nos résultats démontrent que les capacités organisationnelles des PME en matière de réactivité et de flexibilité ont conduit à l’alignement des objectifs entre les alliés et à la saisie de nouvelles opportunités (Cheriet, 2016 ; Morgan et Anokhin, 2020). Nos résultats ont également relevé que la configuration de l’OS la plus adaptée aux nouvelles conditions de l’environnement ne peut atteindre son résultat optimal que si les deux partenaires (PME-multinationale) convergent vers un alignement entre les objectifs des ajustements stratégiques et les ressources nécessaires pour les atteindre.

Quatrièmement, la littérature des PME a majoritairement traité le concept de l’OS dans un contexte d’entreprises indépendantes (Panda, 2014 ; O’Dwyer et Gilmore, 2018 ; Grimmer, Miles, Byrom et Grimmer, 2017 ; Fatonah et Haryanto, 2022 ; Morgan et Anokhin, 2020). Notre travail de recherche complète les travaux antérieurs en étudiant le choix et la dynamique de l’OS des PME dans le contexte spécifique des JVI. Bien que ce type de coopération offre un contexte favorable à l’exploitation des ressources stratégiques mutuelles et à la saisie de nouvelles opportunités, la PME peut se retrouver face au risque de divergences et de conflits d’intérêts. Nos résultats identifient les facteurs de contingence internes (la convergence stratégique, l’alignement entre les objectifs et les ressources engagées et la cocréation de nouveaux produits) qui peuvent influencer le choix et la dynamique de l’OS de la PME impliquée dans une JVI et consolider la configuration multiorientations la plus adaptée aux nouvelles conditions environnementales.

Sur le plan managérial, les résultats obtenus permettent d’aiguiller les partenaires des JVI entre PME et multinationales vers les configurations stratégiques qui garantissent un avantage concurrentiel durable et permettent de faire face aux défis d’un environnement incertain. Une configuration marché-entrepreneuriale facilite l’anticipation et le suivi des nouvelles tendances du marché, la maîtrise des règles concurrentielles et l’exploitation de nouvelles opportunités de croissance sur de nouveaux marchés étrangers. Dans cette optique, les alliés doivent exploiter la complémentarité des ressources et cultiver un contexte collaboratif riche par la génération de nouvelles idées, le partage et la cocréation de nouvelles pratiques innovantes conduisant vers de nouveaux produits à forte valeur ajoutée.

En ce qui concerne la PME évoluant dans un environnement incertain, celle-ci est invitée à prendre conscience de la richesse des ressources et des compétences que la collaboration avec une multinationale lui offre. Ainsi, pour renforcer sa capacité d’innovation et d’adaptation aux évolutions du marché, la PME doit cultiver une culture qui valorise la créativité et l’innovation en saisissant toute opportunité permettant d’impliquer ses employés dans des processus d’intégration de nouvelles connaissances, tels que les formations internationales et les programmes d’échange et de collaboration avec les équipes de la multinationale. Il convient à la PME de promouvoir la valeur de la relation de la JVI et de considérer la multinationale comme un réseau intégré de nouvelles opportunités plutôt qu’un partenaire individuel afin d’encourager les dirigeants et les cadres à développer une conscience collaborative et de renoncer à toute attitude de colonisation.

À ce titre, faire preuve de flexibilité pour assurer une compatibilité stratégique avec la multinationale est la démarche la plus optimale pour une PME qui souhaite gagner en légitimité, maintenir son avantage concurrentiel et affronter l’incertitude de l’environnement externe. Finalement, afin de faire face à l’impact du Printemps arabe aux conséquences néfastes, cette étude encourage les dirigeants de PME à saisir les opportunités de développement local et international grâce à une collaboration avec un partenaire étranger, source d’inspiration et de synergies. Cette pratique contribue à diminuer sa vulnérabilité et les risques de son échec face à la turbulence de l’environnement.

Toutefois, ce travail de recherche ne manque pas de limites. Tout d’abord, nous avons étudié le lien entre les facteurs de contingence internes et externes ainsi que le choix et la dynamique de l’OS dans un contexte où l’incertitude est liée à des changements politiques et économiques. Une voie de recherche future serait d’évaluer ce lien dans un contexte où l’incertitude est liée, par exemple, à la structure industrielle ou aux caractéristiques du marché. Concernant les facteurs de contingence internes, nous avons tenu compte de la convergence stratégique, des ressources engagées et de la cocréation des produits. Une voie de recherche future serait d’investiguer le lien entre le choix de l’OS des PME et le niveau d’asymétrie entre les partenaires en exploitant les facteurs d’asymétrie tels que la répartition du capital, la taille, l’apprentissage organisationnel, l’origine géographique et la nature des ressources. Enfin, l’approche méthodologique adoptée dans le cadre de cette recherche ne permet pas de généraliser les résultats obtenus étant donné que nous nous sommes focalisés sur le cas spécifique des PME tunisiennes pendant le Printemps arabe. Une voie de recherche future consisterait à tester les résultats de cette étude dans d’autres pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.