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Introduction

Vivre avec le diabète, ce n’est pas facile pour moi qui suis entourée des gens qui me rappellent toujours les manières de vivre de mon pays natal. Lorsque je suis avec ma communauté, je sais qu’au lieu de prendre un demi-comprimé de metformine, je vais me retrouver avec deux demi-comprimés. On me dit : « Ah ! Maman, mange, mange ! Le manger ne fait pas mal. Goûte ça ! C’est très bon. Au moins une fois, oublie la nourriture des Blancs. Mange et bois comme nous, ne pense pas à demain. Dieu est avec nous. Profites-en. » On me pousse à manger et ceux qui insistent sont ceux qui me connaissent et savent que j’ai un régime […].

F45, COD, CAN10, DT25[1]

L’extrait inscrit en exergue est tiré d’une entrevue réalisée dans le cadre de notre recherche doctorale[2]. Ces mots sont ceux d’une femme originaire d’Afrique subsaharienne (ASS), résidant au Canada depuis plus d’une décennie et porteuse d’un diagnostic de diabète de type 2 (DT2) depuis 5 ans. De fait, comme plusieurs autres de ses compatriotes originaires d’ASS résidant au Canada, elle vit avec ce diagnostic de maladie chronique ainsi qu’avec la longue liste de recommandations, d’enseignements et de prescriptions qui l’accompagnent. Ce bref extrait fait écho à plusieurs propos rapportés par des participants[3] à notre recherche. Il éclaire un contexte rarement, sinon jamais pris en compte par les milieux de la santé qui s’investissent pour transformer les comportements des personnes « malades » afin qu’ils se conforment aux normes édictées par les sciences de la santé. Les propos de cette participante révèlent l’incontournable dimension sociale de l’acte alimentaire. Des propos qui ouvrent une fenêtre sur des règles et contraintes qui, elles, relèvent du politique et pas seulement des bonnes connaissances pour prendre de bonnes décisions. L’histoire coloniale tangible et incorporée, les rapports raciaux et même Dieu s’invitent à la table. La créativité de l’interlocutrice se révèle. Elle compose, négocie, ajuste son agir en fonction des contraintes émanant des uns, des autres et d’elle-même. Nous sommes au coeur du déploiement de la normativité.

L’acte alimentaire, une des dimensions ancrées dans un système de représentations socioculturelles (Fischler 2001 ; Kaufmann 2005 ; Poulain 2002), compte significativement dans l’avènement du DT2. Cet acte est d’ailleurs l’une des dimensions ciblées par les milieux de la santé pour que les personnes vivant avec cette pathologie retrouvent la santé, entendue comme l’absence de maladie (Adhikari et Sanou 2012 ; Roy 2002 ; Steyn et al. 2004). En effet, ces personnes sont individuellement invitées à choisir minutieusement leurs produits alimentaires afin de les inclure dans leur alimentation quotidienne tout en respectant les valeurs nutritives et des apports caloriques normés. Cette conception occulte les dimensions sociales, identitaires, historiques et politiques de l’acte alimentaire.

Cet article présente quelques éléments de réflexion qui ressortent de notre recherche doctorale. Celle-ci visait à explorer la normativité sociale des personnes migrantes originaires d’ASS vivant avec le DT2 ou à risque de développer cette pathologie. Pour plusieurs acteurs oeuvrant dans les milieux de la santé, le fait d’être noir ou d’origine hispanique ou encore d’appartenir à un groupe autochtone accroît substantiellement le risque de développer, un jour ou l’autre, un DT2 (Adhikari et Sanou 2012 ; De Maio 2010).

Dans cet article, nous aborderons brièvement, dans un premier temps, la prévalence du DT2 dans la population canadienne en général et chez les migrants en particulier. Dans un deuxième temps, nous illustrerons les facteurs explicatifs de cette maladie puis nous ferons une brève description de notre démarche méthodologique et de notre cadre théorique. Dans un troisième temps, nous aborderons l’acte alimentaire en nous appuyant sur le concept de la normativité sociale.

Prévalence du diabète de type 2

Des recherches réalisées au Canada révèlent qu’un grand nombre de migrants, bien qu’en très bonne santé à leur arrivée dans le pays d’accueil, développent, après quelques années, un DT2 (Battaglini et al. 2014 ; De Maio 2010). Selon les données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC), la prévalence du DT2 est plus élevée parmi les migrants (10,5 %) comparativement aux Canadiens de naissance (6,4 %) entre 2011-2012. Toutefois, les migrants ne sont pas également touchés par cette maladie (Adhikari et Sanou 2012 ; Creatore et al. 2010).

Ainsi, au Canada, alors que les études révèlent une prévalence élevée de cette maladie chez les migrants originaires de l’Afrique, de l’Amérique du Sud et de l’Asie du Sud, elle est, par ailleurs, très faible, chez les migrants d’origine européenne (Adhikari et Sanou 2012 ; Creatore et al. 2010).

Notre étude s’est intéressée aux migrants originaires d’Afrique subsaharienne vivant avec le DT2. L’intérêt porté sur cette population s’explique principalement du fait que la prévalence de cette maladie est élevée au sein de celle-ci après quelques années de vie au Canada alors qu’elle était absente à leur arrivée au pays. De plus, les données portant sur cette pathologie concernant cette population sont limitées (Adhikari et Sanou 2012 ; Creatore et al. 2010).

Facteurs explicatifs

Une large part de la littérature s’intéressant à la prévalence du DT2 explique l’émergence de cette pathologie à partir des facteurs de risque non modifiables et modifiables. Parmi les facteurs modifiables figurent l’activité physique, les habitudes alimentaires et l’obésité (Fédération internationale du diabète [FID] 2019 ; Steyn et al. 2004). On estime que de 80 % à 90 % des personnes recevant un diagnostic de DT2 sont qualifiées d’obèses ou présentent un excès de poids (Wharton, Sharma et Lau 2013). Plus spécifiquement, dans le cas des migrants, plusieurs explications tournant autour de la notion d’acculturation sont avancées. On associe souvent l’avènement du DT2 chez ces personnes à la perte de leur culture d’origine ou à l’adoption des comportements de la société occidentale (Adhikari et Sanou 2012 ; FID 2019). Certains migrants, comme ceux originaires d’ASS, sont considérés à un haut risque de souffrir d’obésité et de maladies cardiovasculaires (Sanou et al. 2014).

Quant aux facteurs non modifiables, les arguments culturel et génétique occupent une place importante dans les modèles explicatifs concernant les populations ethniquement ou « racialement » différentes des personnes d’origine caucasienne. La génétique chez certaines populations de migrants est également interpellée en tant que facteur à l’origine de l’émergence de cette maladie (Adhikari et Sanou 2012 ; De Maio 2010). Quoique critiquée, l’hypothèse du gène économe (thrifty genotype), émise en 1962 par le généticien James Neel (Moustafa et Froguel 2013), est souvent soulevée pour expliquer la forte prévalence du DT2 chez cette population, tout comme elle l’est pour les populations autochtones des Amériques ainsi que pour les populations aborigènes ou maories du Pacifique Sud. Selon cette hypothèse, souvent considérée comme une théorie, les natifs des pays du Sud, où autrefois se succédaient des périodes d’abondance et de famine, ont développé un génome leur permettant d’emmagasiner de l’énergie dans le but de combler les carences durant les périodes de famine.

Pour combattre ou pour prévenir le DT2, les milieux de la santé investissent souvent dans des programmes et campagnes visant à instaurer des changements substantiels dans le mode de vie des individus afin de le rendre conforme aux normes édictées par les sciences gravitant autour du paradigme biomédical (Alzubaidi et al. 2015 ; Baradaran et al. 2006).

Démarches méthodologiques

Nous avons réalisé une étude qualitative exploratoire auprès des migrants originaires d’ASS. Entre octobre 2019 et septembre 2020, nous avons effectué, à Québec et à Montréal, des observations flottantes (Moussaoui 2012 ; Pétonnet 1982) dans certains lieux tels que les épiceries « exotiques » et durant quelques évènements festifs, comme les fêtes de Noël, du Nouvel An et de retrouvailles, organisés par les migrants originaires d’ASS. Nous avons également mené plusieurs entretiens individuels en plus de nombreuses discussions informelles. Au total, 28 entrevues semi-dirigées ont été effectuées en français, à l’exception de deux, qui se sont déroulées dans un mélange de français et de lingala.

Précisons que dans notre recherche, nous avons porté notre attention sur l’acte alimentaire ainsi que sur la corporalité, deux dimensions sociales associées à l’avènement du DT2. Pour les fins de cet article, nous présentons spécifiquement les éléments de réflexion en lien avec l’acte alimentaire. Le but de cet article ne consiste pas à présenter les résultats finaux de notre démarche. Plutôt, nous souhaitons dégager quelques éléments de réflexion issus de notre étude pour appuyer notre posture.

Caractéristiques des participants

Nous avons interviewé 28 migrants originaires d’ASS, dont 16 femmes (57 %) et 12 hommes (43 %), âgés de 26 à 65 ans. Toutes et tous résidaient au Canada depuis au moins 5 ans, vivaient avec le DT2 ou étaient considérés comme à risque de développer cette pathologie. Nous les avons considérés non pas comme un groupe d’individus homogènes, mais plutôt comme un ensemble de personnes présentant des expériences plus ou moins similaires, notamment en ce qui a trait à leur parcours historique, politique et identitaire. Par « migrant », nous faisons référence à toute personne née et ayant grandi dans l’un des pays d’ASS et qui a obtenu, par les autorités de l’immigration, le droit de résider au Canada en permanence.

Nos participants se répartissent entre les résidents permanents n’ayant pas la nationalité canadienne (46 %) et ceux qui ont acquis la nationalité canadienne (54 %) au moment de l’entrevue. Ils sont originaires de huit pays d’ASS. Parmi ces pays, nous comptons le Bénin (BEN), le Burkina Faso (BFA), le Cameroun (CMR), le Nigeria (NGA), la République démocratique du Congo (RDC ou COD), le Togo (TGO), le Soudan (SDN) et le Rwanda. Parmi les participants, 29 % proviennent du Cameroun et de la RDC.

La plupart des participants (environ 82 %) étaient âgés, au moment de l’entrevue, entre 26 et 45 ans. Leur âge au moment de la migration variait entre 19 et 52 ans. Le nombre d’années passées au Canada varie entre 5 et 14 ans. Toutefois, au moment de l’entretien, la majorité des personnes rencontrées vivait au Canada depuis au moins 7 ans.

La plupart des personnes interviewées sont des professionnels détenant des diplômes universitaires et un statut social relativement élevé dans leurs pays d’origine. Ceci n’est pas étonnant puisque nous nous sommes intéressés aux migrants économiques et que les conditions d’immigration au Canada concernant cette catégorie de migrants disqualifient ceux ayant un faible niveau de scolarité ou un faible niveau économique. En effet, l’acceptation des migrants sur le territoire canadien tient compte des compétences professionnelles, du niveau d’éducation, des compétences linguistiques (maîtrise du français ou de l’anglais) ainsi que des liens familiaux (Dirks 2017). La capacité de subvenir à ses besoins une fois arrivés au Canada fait également partie des conditions d’admission. Ces conditions disqualifient d’emblée les personnes ayant, dans leurs pays d’origine, un faible statut social ainsi qu’un faible niveau de scolarité.

Ancrage théorique

Notre étude s’inscrit dans une posture vitaliste prenant racine dans les écrits de Georges Canguilhem (1966), mais également dans ceux du philosophe Gilles Deleuze ou, de manière plus contemporaine, dans ceux de Frédéric Worms (2019). La perspective théorique retenue s’est principalement inspirée du concept de normativité sociale développé par Georges Canguilhem (1966).

Normativité

Canguilhem (1966) définit la normativité comme étant la capacité de l’individu à créer des normes, à les transformer et à en instituer des nouvelles. Il s’agit d’un processus constant d’invention de nouvelles normes s’inscrivant et se déployant dans la quotidienneté, dans l’expérience du vivant. Elle est cette capacité à transformer la normalité, à contester une normalité instituée. Le sujet normal, chez Canguilhem (1966), est un sujet normatif, capable d’instituer de nouvelles normes, même organiques. À travers le déploiement de la normativité, le vivant se lie à son milieu. Par ses choix de valeurs, le sujet transforme son milieu de vie en son oeuvre (Le Blanc 1998).

La normativité échappe à la facticité, à la positivité. Elle impose d’appréhender la normalité non pas en fonction d’étalons des mesures prédéfinis en dissociant le sujet du milieu dans lequel il vit. Plutôt, elle nous oblige à considérer la création de normes, de Certeau (1990) dirait de règles de convenance, en fonction des conditions et des dynamiques sociales animant la vie qui se déploie. En d’autres mots, « si l’on peut ou veut porter des jugements sur la normalité d’un comportement, ces jugements doivent en examiner les conditions. Chaque comportement est une réponse à une situation » (Cornu 2009). Si être normal depuis la posture des sciences de la santé relève d’un jugement établi sur la base de moyennes scientifiquement établies, seul le sujet « normatif », lui, est en mesure de décider ce qui lui apparaît vital pour vivre dans le milieu dans lequel il évolue.

Normativité sociale

Dans notre recherche, nous avons mobilisé le concept de « normativité sociale » que Georges Canguilhem (1966) a développé en 1963 en portant sa réflexion du vital vers le social. La normativité sociale renvoie aux normes individuelles et aux valeurs sociales qui déterminent l’organisation du milieu de vie. Parler de « normativité sociale » c’est parier sur la création d’écarts au sein de normes imposant des exigences à des existences, à des données « dont la variété, la disparate s’offrent, au regard de l’exigence, comme un indéterminé hostile, plus encore qu’étranger » (Canguilhem 1966 : 177). Cette posture critique au regard de la métaphore de l’organicisme qui suggère, en quelque sorte, un modèle indépassable sur le plan du social, suggère plutôt que ce n’est pas le vital qui tire vers lui le social, mais le contraire. Dans ses nouvelles réflexions, Canguilhem écrit :

[qu’] il suffit qu’un individu s’interroge dans une société quelconque sur les besoins et les normes de cette société et les conteste, signe que ces besoins et ces normes ne sont pas ceux de toute la société, pour qu’on saisisse à quel point le besoin social n’est pas immanent, à quel point la norme sociale n’est pas intérieur, à quel point, en fin de compte la société, siège de dissidences contenues ou d’antagonismes latents, est loin de se poser comme un tout.

Canguilhem (1966 : 191)

Au cours de notre recherche, nous avons considéré la personne vivant avec le DT2 ou à risque de développer cette pathologie comme un sujet ayant la capacité de créer lui-même des normes de vie sociale. Ce qui, chez Canguilhem, correspond à la normativité, c’est-à-dire cette capacité à dépasser la norme qui définit le normal momentané ou institué et d’instituer, en fonction des situations nouvelles, des normes nouvelles, convenables, vitales. Pour le philosophe Pierre Macherey (2009 : 78), le « sujet » chez Michel Foucault signifie être littéralement assujetti « non toutefois au sens de la soumission à un ordre extérieur supposant une relation de pure domination, mais à celui d’une insertion des individus, de tous les individus sans exception et sans exclusive, dans un réseau homogène et continu, un dispositif normatif, qui, en les produisant, ou plutôt en reproduisant, les transforme en Sujet ». Michel de Certeau (1990) critiquait également la posture de Michel Foucault qui, lui, à travers son concept de biopouvoir, estimait que les acteurs sociaux disposaient de peu de latitude pour se soustraire à la domination. Michel de Certeau estimait que du côté des dominés, ceux-ci développaient de nombreuses tactiques que nous associons à la normativité, c’est-à-dire des « procédés muets qui organisent la mise en ordre sociopolitique » (de Certeau 1990 cité par Fassin 1996 : 21). Pour sa part, Guillaume Le Blanc (1998) estime que, dans la perspective de Foucault, le non-respect des normes existantes relève de l’impossibilité. Il en va tout autrement chez le sujet considéré depuis la posture vitaliste de Canguilhem. La personne, déployant sa normativité au sein de son environnement social, se construit comme sujet en établissant, au fil de son parcours, des ruptures avec les logiques adaptatives au profit d’une inventivité « par laquelle il fait usage de soi, dans l’expérience des microformes qu’il institue » (Canguilhem 1966 : 100).

Là où les intervenants et les chercheurs endossant une posture naturaliste voient l’adoption de « comportements à risque », de « mauvaises » ou « malsaines habitudes de vie », nous avons plutôt observé le déploiement d’une normativité permettant, entre autres, de créer des liens sociaux au sein de collectivités constituées de personnes partageant des histoires de vie et des postures sociales, économiques, politiques et identitaires apparentées. Une normativité que de Gaulejac et Hanique (2015) associent à des résistances créatrices, à des mécanismes de dégagement. L’homme en santé, pour ces auteurs, est celui qui ne subit pas les contraintes du milieu, mais plutôt celui qui est en mesure de les modifier pour y affirmer ses normes et projets de vie.

« Normativité » et « normativité sociale » sont, à nos yeux, l’expression d’une santé assumée. « Être en bonne santé » équivaut à pouvoir dialoguer avec le système normatif : « faire craquer les normes » (pour Canguilhem), « tenter de renormaliser » (dans le vocabulaire d’Yves Schwartz), c’est-à-dire « chercher à s’approprier les normes, à essayer, finalement, d’apporter sa part d’invention au coeur des normes imposées » (Durrive 2015 cité par Camus 2018 : 6).

Acte alimentaire au prisme de la normativité sociale

Considérer l’acte alimentaire sous l’angle de la normativité sociale ouvre une fenêtre sur des trajectoires de vie se déployant, ou, comme le dirait Corbeau (2017), « vagabondant » en empruntant, bien sûr, des lieux communs, mais également des chemins de traverse, en créant des alliances avec les uns ou en se dissociant des autres. Un « vagabondage » traversant des zones de quiétude et d’autres de turbulence qui, au fil du temps, permet au sujet de créer, d’inventer une « normalité » qui lui convient. Une création normative à travers laquelle le sujet accepte ou non, en tout ou en partie, des normes étrangères, en prenant ou non le risque de la transition ou de la résistance. Partager un même repas permet non seulement de faire société, il permet également de sceller l’amitié et la paix (Kaufmann 2005).

Si l’acte alimentaire permet de nourrir le corps biologique, il permet aussi d’alimenter le corps social, d’entretenir des liens indispensables à la sauvegarde et à la régénérescence de tissus sociaux vitaux pour la survie du corps familial, social, identitaire, voire politique. Il faut que la nourriture incorporée, comme l’exprimait Claude Lévi-Strauss, soit non seulement « bonne à manger », mais aussi, « bonne à penser ». La prise en compte des discours alimentaires émanant des instances de santé publique et de l’industrie de l’alimentation permet de comprendre, du moins en partie, la société nord-américaine tout comme la société française (Corbeau, Héron et Janin 2019). Mais, à une échelle plus locale, microsociétale, elle permet également de prendre la mesure des dynamiques qui animent les diverses communautés qui composent cette même société. L’acte de manger est une action hautement culturelle par lequel des sujets se lient à un groupe, à une communauté. À travers et par le manger, ils se reconnaissent, se distinguent, se dissocient. Manger relève d’un acte universel qui donne accès à des histoires qui racontent comment on fait communauté. L’acte alimentaire s’inscrit dans des systèmes de normes qui s’imposent socialement, qui se créent au jour le jour, mais également à travers des mécanismes de résistance.

L’attention portée à la normativité nous a, justement, donné accès aux dynamiques de résistance et de création des sujets à l’égard de normes prescrites au sein de la société d’accueil. Comme nous le rappelle le philosophe Guillaume Le Blanc (1998 : 221), « la normalisation est une normativité instituée tandis que la normativité est une normalisation contestée ». Le regard que portent sur l’acte alimentaire les professionnels et les chercheurs s’appuyant sur un paradigme naturaliste ne retient généralement que les impacts négatifs sur la « santé », sur l’avènement de maladies devrions-nous dire, du fait de la non-adoption de « saines habitudes alimentaires ». Leurs préoccupations, analyses et recommandations viseront, entre autres, le développement de stratégies pour contourner et vaincre les résistances empêchant l’adoption de « bonnes habitudes alimentaires ». Mais trop souvent, ces analyses ne s’appuient pas sur des connaissances approfondies du contexte social, politique et culturel qui animent les sujets agissant et créant au sein de leurs communautés d’appartenance. De nombreux travaux d’anthropologues, de sociologues et d’ethnologues ont d’ailleurs montré que les pseudo « résistances des populations » à l’adoption de comportements « santé » ne relèvent surtout pas de tabous ou de l’irrationalité supposée des populations.

Les pratiques apparemment ordinaires de l’acte alimentaire révèlent, en fait, la complexité d’une normativité sociale reposant, elle, sur de multiples relations sociales, politiques et identitaires que nous qualifions de vitales. L’anthropologue Charles-Édouard de Suremain (2017) estime d’ailleurs que l’alimentation, plus que tout autre fait social total, exprime et offre une synthèse de l’ensemble de la vie des groupes et des sociétés.

Porter notre regard, depuis une posture vitaliste, sur l’acte alimentaire des migrants originaire d’ASS vivant avec le DT2 ou à risque de développer cette pathologie n’est certes pas anodin du fait que, entre autres, « la question de l’adaptation des migrants a longtemps été régulièrement mesurée à travers leurs pratiques alimentaires. “Est-ce qu’ils mangent encore comme au pays ?” » (Hassoun et Crenn 2017 : 83).

L’approche vitaliste que nous avons adoptée reconnaît que le sujet détient le pouvoir de juger ce qui, pour lui, est normal ou non. Il fait des choix, construit sa vie au regard du confort et du bien-être qui lui apparaissent vitaux. Georges Canguilhem (1965 : 90), citant le médecin Marie François Xavier Bichat, écrit : « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort. » Mais cette vie, depuis une posture vitaliste, ne se réduit pas à la vie biologique. Et, depuis cette posture, la création normative qui se déplie au coeur de l’acte alimentaire révèle la puissance déployée pour ne pas laisser mourir des liens sociaux vitaux au sein de la famille, au sein d’une communauté d’appartenance tangible et intangible, au coeur d’une histoire.

Manger comme et avec « les gens qui comptent »

En général, pour la plupart des migrants interviewés, leurs proches, ceux d’ici (dans la société d’accueil), mais aussi ceux d’ailleurs (restés dans les pays d’origine ou de transition), jouent un rôle important dans les choix alimentaires. Ils peuvent influencer tant négativement que positivement les normes alimentaires auxquelles ils s’identifient. Le désir de manger comme et avec leurs proches, particulièrement durant les moments de fêtes, prime sur le respect du plan établi par un professionnel de santé. Comme l’illustre l’extrait au début de cet article, qui fait échos à de nombreux propos recueillis, la créativité s’invite à table et permet de créer un contexte qui s’harmonise avec les règles de convenance de chaque communauté. En d’autres mots, ces personnes inventent des manières de faire pour se conformer en tout ou en partie aux normes sociales prônées par leurs proches. Elles composent, négocient et ajustent leur agir en fonction des contraintes émanant des unes, des autres et d’elles-mêmes.

[…] Au début, lorsqu’on m’avait informé que j’avais le diabète, j’avais paniqué. J’avais alors changé mon alimentation. Je suivais un plan précis. Ce plan m’isolait de mon monde, j’étais loin de mes proches. Le problème, je n’allais pas bien, je sentais comme si quelque chose me manquait. J’avais vraiment essayé, mais après j’ai repris avec mes anciennes habitudes sans rien dire à mon médecin. Je ne partais plus le voir comme c’était avant. Quelques fois lorsque j’y allais, je ne lui avais pas informé de mon alimentation. Il sait que j’observe le plan qu’on m’avait donné. Tout allait bien. Pour moi, manger c’est avant tout du plaisir. C’est être bien avec mon monde.

H33, COD, CAN10, DT24

Les propos de cet informateur suggèrent qu’il a agi, en toute conscience, en écart aux normes prescrites par son médecin du fait qu’il a préféré et choisi de se comporter ainsi pour être bien avec les gens qui comptent pour lui. Il a ainsi fait preuve, à notre sens, de normativité sociale à travers l’acte alimentaire. Comme le mentionne Canguilhem (1966), « dans l’ordre du normatif, le commencement c’est l’infraction ». La norme prescrite, estime Le Blanc (1998 : 84), « est moins unificatrice que régulatrice. Elle organise les écarts, cherche à les réduire ou à les déterminer à partir d’une mesure commune ». S’il suivait la norme alimentaire édictée par son médecin, ce participant risquait de voir se dégrader ses liens vitaux.

Depuis notre posture, les propos tenus par la plupart de nos participants autour des thématiques de l’acte alimentaire révèlent un refus de mourir, non pas en des termes biologiques, mais plutôt en des termes relationnels, voire identitaires.

Plusieurs directives et prescriptions émanant des professionnels de la santé concernant les manières de manger sont vécues par les sujets comme des agressions menaçant des liens vitaux. Si ces recommandations et prescriptions ont pour but premier de sauvegarder la vie physiologique des sujets, elles peuvent constituer de sérieuses menaces à l’intégrité de relations vitales inscrites au sein des relations de couple, familiales, communautaires et même identitaires.

Manger comme les « Blancs »

Dans des populations ayant un passé colonial, comme c’est le cas dans notre étude, les dynamiques qui animent le processus de normativité sociale sont indissociables des rapports politiques et coloniaux incorporés dans l’identité. Porteurs d’un héritage colonial, l’arrivée des migrants dans un pays d’accueil comme le Canada risque de faire surgir, chez certains, des blessures inscrites dans une mémoire transgénérationnelle. Des propos entendus dans le contexte de notre recherche nous ont poussés à explorer une littérature tout à fait inattendue. Le déploiement de la normativité dans le contexte de l’acte de manger ne contestait pas seulement des « normes prescrites » en des termes « médicaux » ou « diététiques ». La normativité déployée par plusieurs des sujets questionnés dans le cadre de notre recherche contestait des normes qu’ils associaient à la société dominante, à ce monde qui, depuis des décennies, entretenait des rapports coloniaux avec leurs pays d’origine. Des normes qu’ils associaient au monde des « Blancs » en opposition au monde des « Noirs ». Ces propos nous ont obligés à nous investir dans une littérature rarement explorée (Fanon 1952 ; Memmi 1985) par le monde de la recherche s’intéressant au DT2. D’une manière générale, deux tendances émergent de notre recherche. D’une part, la volonté de ressembler au colonisateur et, d’autre part, le désir de se dissocier de celui-ci.

Des participants à notre recherche nous ont mentionné que la pratique alimentaire consistant à manger avec les mains, assis par terre, était perçue par le monde occidental comme l’une des pratiques relevant de la sauvagerie. En revanche, l’adoption des pratiques alimentaires occidentales impliquant de manger avec des ustensiles, en étant assis à table, relevait de la civilité. Du coup, pour entrer dans le monde des civilisés, le colonisé doit abandonner ses pratiques alimentaires pour adopter celles de l’Autre, celles de l’homme blanc. Toutefois, ceux qui demeurent fidèles aux pratiques alimentaires associées à leur pays d’origine, à leur vie passée, seront perçus ou, du moins, se percevront comme des personnes non civilisées. Il ressort des propos entendus de nos participants qu’un chemin emprunté pour accéder, en quelque sorte, au statut de civilisé consistera à adopter les manières de table de l’Autre.

Avant, on souhaitait mettre la salade à table pour donner cette impression-là que nous sommes en Occident. La salade, le pain et le vin, ce sont les produits de l’homme blanc. Ce sont des choses qui montrent que tu es chez l’homme blanc, en Europe, en Amérique. Les endroits où beaucoup d’Africains aimeraient habiter. Et d’autres amis qui ne sont pas ici, ils nous envient lorsqu’on envoie les photos avec des aliments de l’Occident. Mais dans la vie de chaque jour ici, ce n’est pas du tout la salade qu’on souhaite manger.

H45, CMR, CAN12

L’adoption des normes alimentaires édictées par la société d’accueil donne l’impression au migrant, du moins symboliquement, d’atteindre un statut social convoité. Pour faire état de cette ascension sociale présumée, on expose, tout spécialement aux gens demeurés au pays d’origine, les nouvelles manières de table acquises. Une ascension sociale qui, pour certaines personnes de « couleur », s’illustre par l’acquisition, voire l’incorporation de traits, de comportements, d’attitudes, de normes corporels et alimentaires. Albert Memmi (1985 : 136) écrit à cet effet que « la première tentative du colonisé est de changer des conditions en changeant la couleur de peau. Un modèle tentateur et tout proche s’offre et s’impose à lui : précisément celui du colonisateur ». Là aussi, il s’agit d’un mouvement vital, du déploiement d’une normativité qui vise à ne pas mourir socialement.

Franz Fanon (1952) décrit cette dynamique dans son ouvrage Peau noire, masques blancs. Voulant se rapprocher le plus possible du Blanc, l’Antillais se mettra à distance des Noirs africains, qu’ils n’hésitent pas à considérer comme inférieurs, comme les « véritables nègres ». « Car enfin, écrit Fanon, il faut blanchir la race. […] Blanchir la race, sauver la race, mais non pas dans le sens qu’on pourrait supposer : non pas préserver “l’originalité de la portion du monde au sein duquel elles ont grandi”, mais assurer sa blancheur » (Fanon 1952 : 45).

Les récits de quelques participants nous suggèrent que le déploiement de leur créativité normative s’inscrit clairement dans une dynamique de contestation d’un système de normes qu’ils associent à la société qu’ils qualifient de « blanche » et de « dominante ».

Des propos qui font écho à ce que Fanon, dans son ouvrage Les Damnés de la terre (1961), associe à un désir de désaliénation. La volonté exprimée par certains migrants de ressembler au colonisateur cède ici la place à la volonté d’embraser l’identité « africaine », ses valeurs, ses manières de manger, de parler et de se vêtir. Cette prise de conscience est présente dans les propos de plusieurs sujets de notre recherche. Elle se manifeste parfois quelques mois et même quelques années après l’arrivée au sein de la société d’accueil. Fanon mentionne que parfois, le colonisé intellectuel ayant vécu dans le monde de l’Occident prendra conscience qu’il est en train de pérenniser la domination blanche. Il cherchera alors à retourner aux sources pour retrouver la « normalité africaine » de manger.

J’aime manger les produits de chez moi. Ça me rappelle beaucoup les choses passées, mon enfance. Je refuse de manger comme les Occidentaux. Je pense à ce que mon père me disait. Qu’ils ont été envahis par les Blancs qui ne voulaient rien savoir de chez nous… nos langues… Notre manière de manger n’avait aucune valeur face à eux. Quoi manger ? La salade ! Les spaghettis ! Les plats des Blancs ! Jamais de la vie.

H45, TGO, CAN6

Manger comme les « Blancs » sera considéré, par certains, comme un acte de désolidarisation, une trahison. Un constat qui fait écho à ces propos de Fanon (1952 : 18) : « Dans un groupe de jeunes Antillais, celui qui s’exprime bien, qui possède la maîtrise de la langue, est excessivement craint ; il faut faire attention à lui, c’est un quasi-blanc. En France, on dit : parler comme un livre. En Martinique : parler comme un Blanc. »

Le refus de manger certains plats, certains aliments des Occidentaux peut, dès lors, apparaître comme un moyen de résister à la domination historique du système normatif occidental. Les propos d’un autre participant d’origine nigérienne vont, estimons-nous, en ce sens :

Depuis longtemps, nous sommes fatigués de cette domination qui nous tue à feu lent. Si vous présentez aux gens de chez moi la salade, les pâtes, cela représente parfois une humiliation. Ces plats nous font revenir au temps de la colonisation. L’homme blanc est venu piller nos richesses de toute nature. Ils ont pris nos hommes et ils les ont rendus esclaves. Ils nous ont obligés à parler leur langue, à nous habiller comme eux. Ils sont venus nous dominer chez nous. Pour beaucoup de personnes de chez moi, manger la nourriture des Blancs représente une humiliation…

H33, NER, CAN9, DT24

Les propos entendus chez la plupart des participants à notre recherche laissent entendre que les choix alimentaires permettent de s’associer à une normalité alimentaire « africaine », de ressentir, d’exprimer et de manifester l’appartenance à un peuple, à une nation. Ces choix alimentaires permettent de s’affirmer, mais aussi de s’inscrire distinctement dans un monde dans lequel perdure un contexte d’exclusion (Poisnel 2017 ; Roy, Labarthe et Petitpas 2013).

On entend les Blancs dire que nos plats sentent mauvais et qu’ils ne sont pas bons. Tu peux aussi rencontrer des Africains qui ne veulent plus manger des mets de chez nous ou qui ont honte ou encore qui pensent qu’en mangeant comme l’homme blanc, ils seront considérés comme l’homme blanc. Je ne mange pas par conviction personnelle des aliments typiquement de l’Occident. Et je refuse que mes enfants aussi les mangent. On répète les mêmes bêtises en croyant que ce que les Occidentaux mangent vaut plus que ce que nous mangeons.

H33, NER, CAN9, DT24

La normativité apparaît ici motivée et animée par un sentiment de révolte à l’égard d’un système de normes dévalorisant. En expérimentant la précarité des normes sociales existantes, chaque être humain fragilise par son expérience la normalité sociale, estime Le Blanc (1998). Toute norme posée peut être interrompue. Il n’y a pas de norme sans risque de sa propre dissolution. Le précédent extrait est une illustration d’une vie « socialement normative » qui s’inscrit en rupture de normes prescrites. L’imposition d’exigences à l’existence afin d’unir la diversité peut, suggère Le Blanc (1998 : 90), « se renverser dans son contraire ou dans une autre norme ».

Conclusion

À partir des résultats de notre recherche doctorale en santé communautaire réalisée auprès des personnes originaires d’ASS porteuses d’un diagnostic de DT2 ou à risque de développer cette maladie, à travers le prisme de l’acte alimentaire, nous désirions explorer le déploiement de la normativité sociale. La normativité, concept développé par Georges Canguilhem, est entendue ici comme un processus vital par lequel le vivant humain s’individualise. Un concept permettant de considérer l’humain comme un acteur social, un sujet capable de créer la norme lui permettant de se lier à son milieu. L’être normatif est celui qui parvient à créer ses valeurs, vitales et sociales. Il n’est surtout pas ce résultat de laboratoire qui réduit le fonctionnement humain à une norme de fonctionnement unique (Le Blanc 1998). Plus spécifiquement, la normativité sociale proposée par Canguilhem vise à montrer comment la position sociale dynamise, chez le sujet, un processus d’individuation lui permettant de maintenir des liens sociaux qui lui sont vitaux.

Dans le contexte d’une maladie comme le DT2, la prescription des normes alimentaires visant à sauvegarder la vie biologique inscrit le sujet dans des conflits de normes qui, avons-nous vu, menacent des dimensions vitales de sa vie. Les profondes remises en question des normalités alimentaires que lui imposent les normes de la société d’accueil fortement intriquées dans le discours d’une santé naturaliste constituent, pour plusieurs, des zones de fracture avec leur milieu d’origine, leur histoire, leur solidarité identitaire. Nombre de recommandations ou de prescriptions émanant des milieux de la santé dans le contexte de prévention ou du traitement du DT2 apparaissent, à travers bon nombre des propos entendus, comme des menaces à la vie familiale, sociale et identitaire. À travers le déploiement de leur normativité, ces personnes s’opposent à une mort familiale, sociale ou identitaire. Elles résistent !

Le DT2 est une maladie qui, à plus ou moins long terme, attaque le corps biologique. Elle menace, bien sûr, la vie physiologique et l’intégrité du corps biologique. Les conseils, mesures, prescriptions et diètes enseignés aux personnes vivant avec cette pathologie ou à risque de la développer s’intéressent d’abord et avant tout au corps biologique. La plupart de nos participants, à travers leur récit, révèlent qu’ils ne sont pas que des corps biologiques. Ils sont des êtres sociaux, des êtres politiques. « Poser la vie comme opposition à la mort, c’est admettre la réalité non pas de “la vie”, mais des vivants, c’est admettre bien sûr qu’il n’y a pas d’autre réalité de la vie, sinon celle des vivants » (Worms 2018 : 580).

Par ailleurs, il importe de rappeler que dans les populations au passé colonial, comme c’est le cas des participants à notre étude, les dynamiques qui animent le processus de normativité sociale sont indissociables des rapports politiques et coloniaux incorporés. Dans un tel contexte, les normes prescrites par les milieux de la santé ne peuvent être dissociées de leur contexte politique. La résistance aux normes prescrites prend alors des dimensions insoupçonnées, en général, par le monde de la santé sous le couvert de l’« objectivité ». Les prescriptions, les diètes et les recommandations des « saines habitudes de vie », bien que reposant sur des postulats scientifiques, sont interprétées par plusieurs de nos participants comme étant des valeurs imposées par la société dominante, valeurs qui sont souvent associées au monde des « Blancs ».

La non-adhésion, voire la résistance des personnes concernées par notre étude à leurs traitements témoignent de leur détermination, de leur capacité créatrice, de leurs désirs vitaux. Le désir de ne pas mourir familialement, socialement et identitairement prend manifestement le pas sur le désir de sauvegarder une vie réduite à ses strictes dimensions biologiques.