Corps de l’article

La diversité des crises et chocs subis au 21ème siècle et l’accélération de leur fréquence fragilisent les territoires et mettent l’accent sur les capacités de résilience à développer. Ces dernières oscillent dans la littérature entre différentes dimensions (individuelle, organisationnelle, territoriale…), sans véritable approche intégrée permettant de les lier. Nous identifions là un gap tant théorique que pratique. Sur un plan territorial, la résilience est une notion aux multiples facettes, interagissant avec la résilience des organisations publiques orchestrant ce territoire. Au sein de ces organisations, la recherche de performance publique, dans ses dimensions externes et internes (Maurel et al., 2014) influence également leur résilience.

L’intérêt de cette recherche porte sur l’articulation entre différentes dimensions de la résilience et de la performance, et les finances publiques (appréhendées à la fois comme facteur de risques et outil de politiques publiques). Parmi les chocs qui frappent les territoires, les crises financières en particulier et les conséquences financières des crises en général, lorsqu’elles entraînent une recherche de performance orientée « efficience et économies », constituent des vecteurs de vulnérabilité à intégrer à la réflexion sur la résilience territoriale. En parallèle, les finances locales sont une ressource essentielle au développement du territoire et à sa résilience. Ces interactions multiples entre finances publiques et résilience sont au coeur du concept de résilience financière. Steccolini et al. (2017) la définissent comme la capacité d’une collectivité à anticiper, absorber et réagir aux chocs affectant sa situation financière. Dès lors, il s’agit d’être en capacité de constituer des marges de manoeuvres pour faire face aux conséquences financières des chocs, tout en finançant le renforcement de la résilience du territoire.

Cette recherche à visée exploratoire porte sur la façon dont les collectivités et en particulier les villes, acteurs centraux du territoire, peuvent intégrer les capacités de résilience et sources de vulnérabilité relatives aux finances publiques dans leurs réflexions relatives à la résilience territoriale. Il s’agit de réfléchir d’un point de vue conceptuel et pratique l’articulation entre résilience financière et territoriale pour mieux appréhender la place et la nature des réflexions financières dans les stratégies de résilience des villes.

Nous considérons ici la thématique de la résilience dans le cadre élargi du management territorial stratégique. Il ne s’agit pas d’apporter une énième définition de la résilience, fusse-t-elle à vocation de synthèse, ni de proposer une boîte à outils. Notre travail consiste davantage en une analyse du champ théorique de la résilience et de son assemblage avec les notions satellites de performance, de vulnérabilité, de risque et de crise, au regard des considérations financières qui les sous-tendent.

Ce travail conceptuel est complété par une analyse empirique. L’étude des stratégies de résilience élaborées au niveau des villes constitue, en effet, une voie pour approfondir la réflexion sur un plan pratique. De 2013 à 2019, le réseau des « 100 Resilient Cities » (100RC) a accompagné 100 villes dans le monde dans la réflexion sur leur résilience, et a abouti à la formalisation de plus de 70 stratégies. Elles ont mis en place une démarche globale et réfléchie sur le long terme afin de faire émerger leur stratégie de résilience, ce qui en fait un terrain intéressant. Notre étude porte plus spécifiquement sur les documents stratégiques produits par 8 villes européennes du réseau. Nous proposons une analyse quantitative, puis qualitative de ce corpus afin d’appréhender la place et la nature des réflexions financières dans ces stratégies.

L’intérêt souligné par notre analyse théorique d’intégrer les dimensions de la résilience financière à celle sur la résilience du territoire contraste avec l’articulation globalement embryonnaire mise en avant par notre étude empirique. Les villes les plus vulnérables apparaissent comme les plus enclines au développement de leurs capacités de résilience financière. Notre étude permet également de documenter les types de capacités organisationnelles identifiées par ces villes. Elles s’avèrent cependant insuffisamment articulées dans la pratique aux capacités existantes et aux vulnérabilités, ce qui en limite le déploiement.

Ainsi, cet article propose dans deux parties successives une réflexion théorique, puis une étude empirique sur l’articulation entre résiliences financière et territoriale.

Résilience territoriale et résilience financière : Quelle articulation conceptuelle ?

Les risques et crises multiples auxquels sont soumis aujourd’hui les territoires interrogent les pratiques de management territorial et amènent les collectivités, acteur pivot du territoire, à intégrer les notions de résilience.

Partant de la pluralité des approches de la résilience, et en les repositionnant dans le cadre du management territorial des risques et des crises, nous mettons l’accent sur l’importance des considérations financières qui de façon ambiguë peuvent constituer à la fois un frein et un levier de cette résilience territoriale.

Le management territorial : des organisations au service d’un territoire

En tant que système complexe (Moine, 2006), le territoire dépasse la dimension spatiale et renvoie à des logiques d’appropriation se traduisant par une mise en valeur des ressources de ce dernier et une organisation de l’espace social et matériel. Ce dernier, en tant qu’espace approprié, support d’une identité collective (Di Meo, 1998, p.38), dépasse l’idée d’un simple cadre ou support pour arborer les caractéristiques d’une organisation globale et revêtir les qualités d’acteur stratégique. Il renvoie en ce sens à des pratiques de management territorial stratégique accompagnant la territorialisation des politiques publiques (Casteigts, 2003). Plus largement, le territoire, en tant qu’organisation faiblement structurée, peut également être étudié à travers la logique de réseaux (Rétaillé, 1997), les sciences de gestion l’envisagent dès lors sous l’angle des relations inter-organisationnelles (Zardet et Noguera, 2013).

Intervenant dans ce cadre, les collectivités peuvent être appréhendées selon une double logique. En tant qu’organisation, elles peuvent être analysées selon les canons fonctionnels classiques des sciences de gestion (finances, ressources humaines, communication…). Ensuite et surtout, en tant qu’acteur pivot d’un management territorial stratégique, elles se révèlent foncièrement tournées vers la finalité externe qu’est le territoire (Fouchet et Lopez, 2000).

De manière générale, le domaine d’intervention du management territorial porte sur « l’ensemble des interrelations humaines contribuant à la production de territoires ou d’environnements » (Ruegg, 1997, p.146). Plus précisément, Decoutère et Ruegg (1996) le définissent comme un mode de gestion publique incitant à prendre en compte l’impact des différentes actions et structures développées par les gouvernements aux échelles locales, régionales, nationales voire transnationales. Il s’agit de prendre en compte la dimension territoriale de l’action publique et son impact plus ou moins direct et à plus ou moins long terme sur les territoires. Ces auteurs en distinguent les finalités stratégique (assurer un développement multidimensionnel, créateur de sens partagé, et allant au-delà de la simple croissance économique à court terme) et opérationnelle (faire face aux difficultés de contexte auxquelles la production des territoires se trouve confrontée). Même si ces dernières sont intrinsèquement liées, chacune de ces finalités dispose de logiques propres, notamment dans leur manière d’envisager les risques et vulnérabilités du territoire.

Elles révèlent une mise en tension fondamentale entre court et long terme qui est au coeur des problématiques de construction de la résilience territoriale. En cela, il y a lieu d’avancer que la résilience territoriale relève de considérations ayant trait au management territorial.

Des multiples facettes de la résilience au cadre intégrateur de la gestion des risques et des crises

Sans revenir sur l’ensemble des définitions de la résilience, rappelons qu’au sens strict du terme elle peut se résumer à une capacité à résister, absorber et/ou rebondir face à un choc traumatisant (que ce soit à un niveau individuel, organisationnel, territorial voire sociétal). Elle implique une recherche permanente d’équilibre entre des éléments en tension. Sur un plan organisationnel, Weick (1993) la définit comme la capacité d’une organisation à maintenir ou regagner un état dynamiquement stable permettant la poursuite des opérations après un choc majeur ou en situation de stress continu.

Sur un plan territorial, la résilience est une notion aux multiples facettes qui ne fait pas l’objet d’une définition unique et qui est étudiée sous des angles extrêmement variés dans la littérature (social, économique, organisationnel, structurel, environnemental, historique, institutionnel) (Jossou, 2020). Appliquée au territoire, la définition qui en est donnée par Villar (2014, 43) en fait « un système en équilibre dynamique, capable d’anticiper les perturbations pour en limiter les effets, de les absorber dans une certaine mesure, et de maintenir son intégrité ». Nous retrouvons-là des capacités à anticiper, résister, s’adapter ou encore se transformer, se réinventer.

Comme souligné par l’ONU, la résilience territoriale est reconnue comme partie intégrante de la prévention des risques (Van Der Vegt et al., 2015) et constitue un élément de la définition du risque selon Harding et al. (2001). L’analyse d’un risque consiste classiquement à dissocier l’aléa de la vulnérabilité. Cette dernière indique la fragilité des éléments à risque par rapport à l’occurrence d’un événement. Vulnérabilité et résilience entretiennent donc une relation forte, avec des effets opposés sur l’ampleur du risque.

S’il est aujourd’hui reconnu que le risque résulte du croisement d’aléas et de vulnérabilités, l’idée reste très marquée qu’il est contenu dans les aléas, les accidents, avec pour conséquence une attention limitée aux effets actifs des vulnérabilités liées aux modes d’organisation et de fonctionnement des territoires. Pour Gilbert (2003), deux conceptions opposées du territoire en ressortent dans sa relation au risque : l’une fonctionnelle (faisant du territoire un simple support de risque) et l’autre plus systémique (sous l’angle d’une approche en réseau en termes de vulnérabilité et de résilience).

La filiation de la résilience à la gestion des risques et des crises peut sembler naturelle, pour autant, ces concepts ont fait l’objet de développements relativement cloisonnés par la littérature en sciences de gestion, conduisant Williams et al. (2017) à proposer un cadre intégrateur.

Leur proposition s’appuie sur deux acceptions distinctes de la crise. La première l’envisage comme un événement non anticipé, un choc venu de l’extérieur. Le management de crise associé à cette approche met l’accent sur la coordination des parties prenantes et ressources dans un environnement incertain pour ramener un système perturbé à une situation d’équilibre et d’alignement (Sommer et Pearson, 2007). La deuxième acception envisage la crise dans sa dimension processuelle. Plus étendue dans le temps et l’espace, elle se déploie par phases, avec de longues périodes d’incubation. Les implications managériales portent alors sur les signaux faibles de crises latentes, ainsi que sur la gestion des événements en cours et des actions post-événement pour assurer l’équilibre dynamique du système.

La figure 1 reprend de manière synthétique le cadre proposé par Williams et al. (2017). Nous y retrouvons les capacités réactives et proactives, ressources et compétences sur lesquelles s’appuie la résilience. Des effets d’apprentissage par boucle de rétroaction peuvent se traduire par la restauration, l’adaptation et/ou la transformation de tout ou partie du système.

Face à la multi-dimensionalité de la résilience des territoires, nous nous intéressons à ses interactions avec les finances publiques, pouvant être appréhendées à la fois comme risque, objet et outil des politiques publiques.

Figure 1

Vue processuelle de la fusion des cadres de la gestion de crise et de la résilience

Vue processuelle de la fusion des cadres de la gestion de crise et de la résilience
Source : adapté de Williams et al., 2017

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Finances publiques : d’un risque objet à un risque praxis pour le territoire

Les réponses apportées par les gouvernements aux différentes échelles à ces problèmes de risque, de crise et de résilience s’inscrivent dans un cadre générique de politiques publiques. Tout au long du cycle de vie d’une politique publique (Mény et Thoenig, 1989), des combinaisons de ressources (financières, humaines, matérielles, immatérielles…), de compétences et de participants interviennent de manière dynamique dans le processus.

A ce niveau-là intervient un phénomène important souligné par Padioleau (2003, p.34-36) à travers la logique de « double risque » résultant des combinaisons de risques « objets » et de risques « praxis ». Selon cet auteur, « le phénomène social du risque conjugue deux types de risques génériques (…) Des risques proviennent “d’objets”, d’activités […]. A ces risques substantiels s’adjoignent des risques liés aux actions éventuelles ou, si l’on préfère, aux praxis publiques. » Ainsi, si les risques objets identifiés peuvent être traités en termes de politiques publiques, ces dernières les transforment, voire génèrent d’autres risques. A ce titre, il n’est pas rare de constater que les décisions du système politique visant à contrôler les risques induits par l’homme génèrent des dangers en retour. Les finances publiques n’échappent pas à cette logique de double risque.

Les finances publiques comme risque objet

Les crises économiques et financières, de la crise pétrolière de 1975, à celle de 2008, ou de la dette grecque en 2010, ont fortement secoué les organisations publiques et fragilisé leur situation financière. Elles constituent des crises « événement » au sens de Williams et al. (2017), en survenant de façon inattendue et en faisant vaciller les valeurs essentielles des organisations publiques. Elles ont ainsi influencé le cours des grandes réformes publiques. L’avènement du New Public Management (NPM) dans les années 1980 est ainsi souvent attribué aux crises financières des années 1970, alors que les grandes trajectoires réformatrices de l’action publique ont pour la plupart été interrompues ou déviées par la crise de 2008 (Pollitt et Bouckaert, 2017).

Ces crises successives ont fait des finances un objet central des politiques publiques. Face à la chute des recettes fiscales et l’augmentation de la dette, les politiciens ont, dans un premier temps, tenté de repousser des coupes budgétaires jugées impopulaires, avant d’imposer des cycles récurrents d’austérité (Kickert, 2012; Kickert et Randma-Liiv, 2015). Les réformes inspirées du NPM ont cherché à réduire la machine étatique, à en contraindre les dépenses tout en améliorant sa performance. La maîtrise de la dépense est devenue centrale dans les stratégies publiques y compris localement, et de façon prégnante depuis 2008. Mais les coupes budgétaires renouvelées depuis 2010 ont mis à mal l’ambition même de performance publique (Pollitt et Bouckaert, 2017) et constituent désormais un risque praxis pour le territoire.

Les finances publiques comme risque praxis

La performance publique se définit autour de 5 dimensions (Maurel et al., 2014), celles propres à toute organisation (organisationnelle, humaine et financière) et celles spécifiques au secteur public (territoriale et de services publics). Elle peut favoriser la résilience lorsqu’elle parvient à équilibrer ces différentes dimensions, à développer les échanges, ou en favorisant l’évaluation et l’apprentissage (Gourbier et al., 2020). Cependant, le management par la performance est soumis à de nombreuses exigences contradictoires, dont celles exercées par les finances, et est souvent appréhendé de façon trop rigide ou technique. Ces déviances peuvent résulter en un rejet du concept de performance et en des difficultés d’implantation de ces pratiques (Carassus et al., 2012). Ainsi, les relations entre les systèmes de management de la performance et la résilience organisationnelle sont multiples et ambiguës, pouvant tout à la fois nuire ou favoriser cette dernière (Gourbier et al., 2020). Il s’agit ainsi de trouver un équilibre entre les démarches de performance (basée sur l’efficience, l’optimisation…) et celles de résilience (redondance, diversité des ressources…).

Face aux crises financières récentes, les Etats, en privilégiant la dette face à l’impôt (Piketty, 2013), ont rendu central le maintien des équilibres financiers et indispensables les coupes budgétaires. Les réformes liées à la performance ont alors été détournées pour servir des politiques d’austérité privilégiant l’efficience et les économies au détriment des autres dimensions de la performance (Pollitt et Bouckaert, 2017), avec pour effet d’accentuer les inégalités (Piketty, 2013). Ainsi, la rigueur budgétaire a favorisé l’émergence d’un risque praxis et jeté les fondements d’une nouvelle crise de type « processuel » (Williams et al., 2017).

Aujourd’hui, les crises auxquelles nous sommes confrontés, l’une appréhendée comme un choc, la crise sanitaire de la COVID-19, et l’autre annoncée depuis longtemps, la crise climatique, jouent un rôle de déclencheur et éclairent durement la vulnérabilité de nos systèmes. La première, du fait de la vulnérabilité des systèmes sanitaires et sociaux, victimes symboliques de cette recherche d’efficience (Math, 2017), menace de devenir la crise économique et financière la plus conséquente de notre époque. La seconde découle, en partie, du manque de priorité accordée au développement durable face aux contraintes budgétaires (Deng-Beck et Price, 2016). Au niveau des collectivités, les signaux répétés de l’urgence climatique n’ont ainsi donné lieu à aucun investissement suffisamment ambitieux d’atténuation ou d’adaptation (Deng-Beck et Price, 2016), préparant dès lors le terrain pour une nouvelle crise aigüe.

Ces crises se nourrissent des tensions exercées sur les systèmes au nom de l’efficience, imposant des contraintes à la redondance des ressources, investissements et process et fragilisant la résilience des organisations et territoires (Bai et al., 2016). Ces deux crises, sanitaire et climatique, mettent en lumière une vision déséquilibrée de la performance publique et une mauvaise appréhension de la résilience holistique de nos systèmes. Les réformes menées face aux crises financières ont négligé les dimensions extra-financières de la performance publique, l’instabilité chronique, la pluralité et la complexité des risques territoriaux. Les pratiques comptables, fortement influencées par le NPM, n’ont pas su éclairer suffisamment les répercussions plus larges et à plus long terme de l’action publique (Steccolini, 2019), comme le montre le lent développement des budgets verts. La réduction des dépenses plutôt que le développement de nouvelles ressources est restée de mise. De même, les réflexions autour d’une fiscalité renouvelée, notamment environnementale, restent peu développées. Ainsi, les investissements orientés vers la résilience territoriale et la création de valeur publique sont restés un angle-mort, grevant le pilotage de la performance globale dans un environnement instable. Il apparaît ainsi urgent de mieux appréhender la résilience financière des collectivités et son articulation avec la résilience des territoires.

Penser la résilience financière (des collectivités) pour renforcer celle du territoire

L’analyse des risques objet et praxis liés aux finances publiques suggère que la résilience financière telle que définie par Steccolini et al. (2017) doit s’articuler avec les autres dimensions de la résilience. Faire face aux crises impactant les finances publiques nécessite de préserver les équilibres budgétaires de long terme, tout en dégageant les marges de manoeuvre financières nécessaires au renforcement de la résilience globale. Il s’agit donc de réorienter les pratiques managériales en matière de pilotage de la performance et de gestion de la dépense publique afin de favoriser la résilience globale.

De manière usuelle, la santé financière des collectivités se définit à travers quatre niveaux de solvabilité : à court terme, budgétaire, à long terme et en termes de niveau de services publics (Groves et al., 2003). La préservation de cette santé fait référence à la durabilité financière. Il s’agit de financer le développement actuel de la collectivité sans compromettre son développement futur (Navarro-Galera et al., 2016). Ces modes de pensées, renforcés par le paradigme du NPM, envisagent la restauration de la bonne situation financière et le maintien des équilibres financiers comme préalables à une action publique plus ambitieuse. Mais ils négligent la récurrence des chocs, faisant l’hypothèse d’une stabilité pourtant régulièrement mise à mal par des crises aux effets budgétaires violents, venant repousser encore les investissements de résilience.

Sans mettre au ban les impératifs financiers et le besoin d’équilibre financier, il s’agit de repenser les finances publiques, dans le cadre d’une instabilité chronique, comme une ressource et une expertise métier au service de la création de valeur publique et de la résilience territoriale. Une approche plus organisationnelle et dynamique des réactions aux chocs financiers, comme celle proposée par le modèle de résilience financière de Barbera et al. (2017) s’avère nécessaire. Ce dernier met en exergue la combinaison dynamique de crises pouvant affecter la situation financière (dépenses accrues ou recettes réduites), de vulnérabilités perçues de la collectivité ainsi que de capacités d’anticipation et de réaction face à ces crises.

Barbera et al. (2021) suggèrent que la compréhension des vulnérabilités et le développement de capacités anticipatives favorisent des stratégies de réponse tournées vers la transformation, le repositionnement, la réorientation. Ces stratégies apparaissent plus favorables à la résilience des territoires que celles de « retour à la normale » (bounce back). Ces capacités transformatives pourraient amorcer un dépassement du NPM comme cadre dominant des finances publiques. Il s’agit pour les collectivités d’envisager de nouvelles logiques financières, de nouvelles ressources et marges de manoeuvre, de nouvelles relations financières entre niveaux de gouvernements et avec la sphère privée, et de nouvelles pratiques au sein des services financiers, afin de pouvoir soutenir le territoire au lieu de le contraindre. La réflexion sur la résilience financière invite à une approche pluraliste fondée sur la co-construction de l’action publique, telle que portée par les tenants du paradigme de la gestion de la valeur publique (ex : Benington et Moore, 2010). Elle incite à intégrer davantage les citoyens dans les choix financiers et à transformer le rôle de la collectivité en tant que productrice de services publics vers un rôle central de coordination et de financement des actions en faveur de la résilience territoriale.

Le modèle de Steccolini et al. (2017) a été réfléchi dans le contexte de la crise de 2008. En intégrant les notions de risques objet et praxis développées plus haut, il permet de concevoir les interactions dynamiques entre les vulnérabilités financières et territoriales et les capacités organisationnelles (Figure 2). Les capacités développées face aux chocs (tampons, adaptatives ou transformatives) sont variées et rétroagissent différemment sur les vulnérabilités favorisant le développement ou l’atténuation de risques de type praxis (Williams et al., 2017).

La réflexion théorique autour des capacités de résilience des collectivités et de leur réaction aux chocs financiers permet ainsi de conceptualiser l’articulation entre résiliences territoriale et financière. Elle permet de souligner l’importance d’intégrer les finances publiques, non pas uniquement (et de façon équilibrée) à la réflexion sur la performance publique, mais également à celle sur la résilience. La prise en compte des dimensions de la résilience financière (chocs, vulnérabilités et capacités organisationnelles) et de leurs interactions dynamiques permet d’enrichir la réflexion stratégique et le pilotage des pratiques financières des collectivités. Par ailleurs, Steccolini et al. (2017) suggèrent que la perception des vulnérabilités par les dirigeants, plus que leur réalité objective, influence les décisions prises face aux crises. Dans ce cadre, le développement d’une culture de la résilience, et en particulier une sensibilisation aux vulnérabilités du territoire face aux pressions financières, semble un préalable.

Les pistes de réflexions sont nombreuses. Les modèles d’analyse financière couramment utilisés pour apprécier les vulnérabilités, comme l’analyse rétrospective basée sur des ratios comptables, ou les démarches de prospective, gagneraient à dépasser cette dimension comptable. Des capacités organisationnelles de résilience résident par exemple dans la capacité des services financiers à exercer un esprit critique sur ces modèles comptables, à intégrer les risques liés aux pratiques financières austéritaires, à anticiper et surveiller les éventuels risques praxis, mais également dans l’adaptabilité des pratiques financières face aux chocs, ou dans la flexibilité et la capacité à réorienter les ressources financières.

Plusieurs implications pratiques découlent de l’intégration conceptuelle de la résilience financière à la résilience territoriale. De façon large, il s’agit de mieux saisir les différentes dimensions présentes dans les stratégies de résilience des collectivités. Dans un contexte où les contraintes financières sont omniprésentes, comment les collectivités articulent réflexions sur la résilience du territoire et considérations financières ? Quelles capacités organisationnelles, anticipatives et réactives, développent-elles face aux dimensions financières des chocs ? Il s’agit également, en fonction des pratiques observées, de formuler des recommandations à destination des managers publics et des collectivités territoriales.

Figure 2

Dimensions de la résilience financière et territoriale

Dimensions de la résilience financière et territoriale
Source : adapté de Barbera et al. (2017)

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Résiliences territoriale et financière : Quelle articulation pratique ?

La littérature donnant peu d’éclairage empirique sur l’état des pratiques des collectivités en la matière, nous proposons une étude empirique afin d’explorer les dimensions financières des stratégies de résilience de villes.

Une méthodologie d’analyse mixte appliquée aux villes européennes du réseau 100RC

Entre 2013 et 2019, la fondation Rockfeller a constitué un réseau international de 100 villes, avec pour mission de les accompagner dans la formulation et la mise en oeuvre d’une stratégie de résilience urbaine. L’objectif pour ces villes est de formuler et planifier leur stratégie de résilience (via une évaluation des risques), ainsi que d’en assurer le contrôle et le suivi. 74 stratégies ont ainsi été publiées, dont 9 en Europe[1].

Dans ce cadre, la résilience urbaine a été définie comme « la capacité des individus, des communautés, des institutions, des entreprises et des systèmes d’une ville à survivre, à s’adapter et à se développer, quel que soit le type de stress chronique ou de choc aigu qu’ils subissent ». Nous l’entendons comme une forme de résilience territoriale s’appliquant plus spécifiquement à la ville et ses caractéristiques en tant que territoire urbain. Selon le 100RC, construire la résilience urbaine nécessite de considérer une ville de manière holistique. La distinction opérée entre stress chronique et choc fait écho à notre revue de littérature.

Dans ce cadre d’analyse développé par le cabinet Arup, plusieurs dimensions rappellent celles du modèle de résilience financière, essentiellement rassemblées dans une catégorie intitulée « économie et société » (Cf. finances publiques; budgets de la ville; investissements étrangers; prise de décision et leadership; bonne gestion des finances publiques…).

Notre analyse porte sur les documents de stratégies de résilience déjà publiées à l’été 2019 par les 8 villes européennes listées dans le Tableau 1. Ces documents, dont la longueur varie entre 60 et 200 pages, détaillent la méthodologie d’élaboration de la stratégie de résilience et, de façon plus ou moins élaborée, son contenu. Ils présentent ainsi les visions et valeurs de chaque ville, proposent un état des lieux des vulnérabilités et des forces et décrivent les buts et objectifs de la démarche. Ils présentent ensuite un panel d’actions à mettre en oeuvre pour répondre à ces objectifs et leur articulation avec les autres politiques publiques. Les documents concluent en général sur des éléments relatifs au suivi et à l’évaluation de la mise en oeuvre de la stratégie.

Notre analyse se fait en deux temps, enchaînant méthodes quantitatives puis qualitative.

Dans un premier temps, du fait de l’ampleur du corpus (216 350 occurrences), nous proposons une combinaison d’analyses statistiques textuelles. Il s’agit d’analyses quantitatives de données qualitatives réalisées grâce au logiciel libre IRAMUTEQ. Ces analyses quantitatives nous permettent d’avoir une vision des grands thèmes des stratégies de résilience et de leurs dimensions clés, et d’analyser la place des réflexions financières dans ces stratégies.

Nous avons réalisé une analyse typologique (classification) et une analyse factorielle (structuration). Ces méthodologies sont particulièrement intéressantes à mobiliser face à une grande masse de données, afin de les condenser, les classer et les structurer pour gagner en intelligibilité. L’objectif principal des analyses typologiques (ici une classification hiérarchique descendante — CHD) consiste à regrouper des objets en classes homogènes, pour que ceux à l’intérieur d’une même classe soient très semblables et ceux dans des classes différentes très dissemblables. Les analyses factorielles (AFC) quant à elles, simplifient les données en mettant en évidence un petit nombre de facteurs généraux ou de dimensions clés. La méthodologie quantitative choisie permet de travailler sur la base de données « brutes », et d’en obtenir un traitement objectif. La subjectivité des chercheurs n’intervient que dans l’interprétation des regroupements et axes mis en exergue par le logiciel. Nous avons également calculé des statistiques textuelles descriptives sur la fréquence des mots de vocabulaire financier.

Tableau 1

Présentation synthétique des 8 villes étudiées

Présentation synthétique des 8 villes étudiées

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Dans un second temps, nous avons réalisé une analyse qualitative de contenu thématique (Blanc et al., 2014). Nous nous sommes concentrés sur les éléments se rapportant aux réflexions financières dans les stratégies de résilience. Cela nous permet de faire émerger les grands thèmes structurant cette réflexion et d’opérer un regard critique sur la place de la résilience financière. Nous avons réalisé les codages à l’aide du logiciel NVIVO dans une démarche hybride alliant la catégorisation sur fondements théoriques pour nos catégories principales à l’émergence des données pour les catégories de niveau inférieur. En ce sens, nous avons opéré une combinaison de codages a priori et a posteriori dans le cadre d’une démarche abductive. Au total, au sein des 8 stratégies de résilience, 389 unités d’analyse ont été recensées et classées en 3 catégories.

Les 5 grands thèmes abordés dans les stratégies de résilience

L’analyse typologique de notre corpus distingue cinq classes, permettant un niveau de classification et un taux de classement (90,93 %)[2] tout à fait satisfaisants. Nous avons interprété et nommé les regroupements de mots dans chacune des classes tel que présenté dans la Figure 3 et ainsi fait émerger 5 grandes dimensions des stratégies de résilience étudiées. Aucune de ces classes ne fait ressortir des éléments financiers parmi les premiers mots associés, ni ne les rassemble.

L’analyse factorielle des correspondances permet de synthétiser les résultats de la classification dans un plan factoriel (Figure 4). Deux facteurs rendent compte de 62,52 % de la variance ressortent, chacun disposant d’un pouvoir explicatif assez proche (respectivement 35,4 % et 27,12 %). Nous interprétons l’axe vertical (facteur 1) comme opérant une polarisation entre les dimensions opérationnelles et stratégiques des démarches de résilience, alors que l’axe horizontal (Facteur 2) nous permet de distinguer les dimensions humaines et sociales de celles environnementales et techniques.

L’axe vertical met en tension la dimension opérationnelle des politiques et actions publiques avec celle stratégique des enjeux et problèmes sociétaux. Ainsi, nous retrouvons les classes traitant des politiques publiques environnementales ou plus sociales, en lien avec l’idée de démocratie participative (respectivement 1 & 5), sur la partie haute du plan relative à la dimension opérationnelle. Les temporalités affichées, notamment en ce qui concerne celles de la classe 5, relèvent plutôt du court ou moyen terme. Par contraste, nous retrouvons sur la partie basse relative à la dimension stratégique, les classes 2 et 4 se rapportant respectivement aux risques et chocs et aux notions de vision, de futur et d’enjeux. La classe 3, que nous identifions comme portant sur la conception et l’opérationnalisation de la stratégie de résilience se retrouve assez logiquement au centre de cet axe.

Figure 3

Noms des cinq classes et nuage de mots associés

Noms des cinq classes et nuage de mots associés
Source : Auteurs, à partir du logiciel IRAMUTEQ

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Figure 4

Positionnement des cinq classes sur le plan factoriel

Positionnement des cinq classes sur le plan factoriel
Source : Auteurs, à partir du logiciel IRAMUTEQ

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L’axe horizontal porte sur la dimension sociétale et territorialisée de la résilience urbaine. Celle-ci peut arborer une connotation sociale et humaine d’un côté (classes 4, 5 et dans une moindre mesure la classe 3) ou plus environnementale et technique de l’autre (classes 1 et 2).

Cette première phase d’analyse nous permet d’identifier les dimensions des stratégies de résilience, synthétisées autour de deux axes d’analyse, et ainsi de noter qu’aucune d’entre elles ne monopolise ou ne met en avant d’éléments relatifs à des réflexions financières.

La faible place donnée au traitement des finances dans les stratégies de résilience territoriale

Suite à ces résultats et afin de mieux appréhender la place des réflexions financières, nous avons complété notre analyse quantitative en recherchant les mots classiques du vocabulaire relatif à la situation et à la gestion financière des collectivités ainsi que ceux de la littérature sur la résilience et la durabilité financière des collectivités. Nous avons exclu les mots traitant exclusivement de la situation financière des habitants, ou des entreprises pour nous concentrer sur les éléments relatifs à la collectivité. Sur cette base, nous avons procédé au calcul de statistiques lexicales. Trois grands thèmes apparaissent tel que présentés dans le Tableau 2.

Les termes financiers ne représentent qu’une très faible part des occurrences (0,8 %). Nous relevons l’absence de certains mots comme « solvency » (solvabilité) ou « financial situation » (situation financière). En revanche, le terme de résilience financière est utilisé, laissant penser que certaines villes ont pu développer formellement ce concept.

Nous pouvons déduire de ces résultats quantitatifs, la faiblesse du traitement général des questions financières, malgré sa place dans la méthodologie du 100RC.

Les dimensions de la résilience financière émergeant des stratégies de résilience

La faiblesse quantitative du traitement des éléments financiers ne signifiant pas l’absence de traitement, il était nécessaire de compléter notre méthodologie par une analyse qualitative de contenu. Cela a permis de faire émerger plusieurs catégories s’inscrivant dans les dimensions du modèle de résilience financière de Barbera et al. (2017). Deux thèmes principaux ressortent de notre analyse : les risques financiers et la vulnérabilité financière, et le développement de capacités organisationnelles de résilience. D’un point de vue quantitatif, c’est la seconde catégorie qui recense le plus d’unités d’analyse. Un troisième thème, qui ne rassemble que quelques unités d’analyse, aborde le concept de résilience financière.

De façon générale, les documents de stratégie consacrent plus de place à une énumération de capacités organisationnelles potentielles qu’à une analyse rétrospective des vulnérabilités financières, ou une réflexion réellement intégrée des résiliences financière et territoriale. L’analyse montre des sensibilités variables aux questions financières selon les villes (Tableau 3). Les deux villes grecques (Athènes et Thessalonique) sont celles qui les abordent le plus, alors qu’elles sont très rares pour Vejle et Glasgow.

Tableau 2

Termes financiers et leur occurrence dans les stratégies de résilience des 8 villes étudiées (classé par nombre décroissant)

Termes financiers et leur occurrence dans les stratégies de résilience des 8 villes étudiées (classé par nombre décroissant)

Seuls les termes utilisés dans un sens financier sont comptés ci-dessus

Occ : occurrences

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Les crises financières et le constat des vulnérabilités financières constituent la première catégorie émergeant de notre analyse (Tableau 4).

Deux crises de type objet, la crise financière de 2008 et la crise grecque, et les politiques d’austérité qui ont suivies, crise de type praxis, sont évoquées dans les stratégies. Elles ont constitué des sources de vulnérabilité en détériorant la situation financière des acteurs économiques du territoire et de la collectivité. La faible analyse des sources de vulnérabilités financières apparaît comme un angle-mort de ces stratégies de résilience, en particulier au regard des difficultés de financements des actions climatiques ou environnementales telles que relevées par de nombreux rapports comme celui de Deng-Beck et Price (2016).

En revanche, qu’elles abordent ou non leurs vulnérabilités financières, les villes étudiées mentionnent toutes, dans des mesures différentes, le besoin de développement de capacités organisationnelles financières pour accompagner la résilience du territoire (Tableau 5). Pour autant, il s’agit davantage d’une énumération que d’une analyse des mécanismes de développement de ces capacités. Notre grille d’analyse fait ressortir des unités d’analyse classées entre capacités d’anticipation et capacités réactives (tampons, adaptation ou transformation).

Les capacités d’anticipation émergeant de l’analyse ont trait au développement de pratiques comptables et prospectives pour éclairer la décision publique. Il s’agit d’améliorer les outils d’analyse financière et économique traditionnels, comme les calculs des coûts et bénéfices économiques des actions et politiques menées, ou la mesure de leurs impacts fiscaux. Il s’agit également de réorienter les pratiques comptables afin qu’elles éclairent la décision publique à plus long terme et permettent une meilleure intégration de la résilience du territoire, grâce à la mesure par exemple, des bénéfices extra-financiers des actions à visée sociale ou environnementale.

Face aux risques, les villes mentionnent le renforcement de capacités tampons au sens de Barbera et al. (2017). Il s’agit de restaurer des marges de manoeuvre budgétaires, en jouant sur les dépenses (économies, recherche d’efficience et pilotage de la performance financière), et les ressources traditionnelles des politiques publiques. Le budget de la ville supporte beaucoup de projets sans que soient analysés la fiscalité, la tarification des services ou le poids de l’endettement. Il en est fait mention sous le terme vague de financement par la ville (« municipal funds » ou « City Budget »), ou en évoquant des réorientations de ressources actuelles vers des projets de résilience. Aucune ville n’assortit ce recours au budget de la ville à une analyse poussée des équilibres financiers.

Enfin, des unités d’analyse évoquent le développement de capacités d’adaptation (« changements progressifs sur les structures et fonctions existantes sans modifier les principes, culture et valeurs sous-jacents ») et de façon plus mineure des capacités transformatives (« changements radicaux, englobant les structures, fonctions, objectifs et valeurs »), au sens de Barbera et al. (2017, p.675). Cette catégorie est la plus abordée et la plus explicitée des stratégies de résilience.

Le recours à de nouvelles sources de financement est un axe important de cette réflexion. Certaines villes (Rotterdam ou Athènes) précisent pour chaque action le financement envisagé. Thessalonique présente une réflexion plus holistique des financements de la ville. D’autres n’abordent que très peu le thème du financement de l’action. Ces nouvelles ressources sont constituées des subventions et aides en provenance d’autres collectivités, et institutions nationales, européennes et internationales, ou découlent de partenariats à développer avec les bailleurs sociaux, la société civile ou le secteur privé. Ces derniers sont particulièrement évoqués à Rome, à Rotterdam et en Grèce. La notion de « blended finance » (mix de financements de sources différentes) est également mentionnée. Enfin, la recherche de financements innovants, souvent évoquée, reste peu détaillée. Il est question de fonds verts, d’obligations de résilience, de crowdfunding. La ville de Paris offre plus de détails : « Nous visons à développer une stratégie innovante pour financer des actions de résilience, qui comprendra des fonds locaux de compensation carbone, un financement participatif, un financement social, des micro-subventions, des incitations fiscales, etc. ». La ville a déjà émis des obligations climat en 2015.

Tableau 3

Recensement du nombre d’unités d’analyse par stratégie de résilience (par ordre décroissant)

Recensement du nombre d’unités d’analyse par stratégie de résilience (par ordre décroissant)

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Tableau 4

Risques et vulnérabilités financiers : Détail des sous catégories émergeant de l’analyse qualitative

Risques et vulnérabilités financiers : Détail des sous catégories émergeant de l’analyse qualitative

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Tableau 5

Capacités organisationnelles : Détail des sous-catégories émergeant de l’analyse qualitative

Capacités organisationnelles : Détail des sous-catégories émergeant de l’analyse qualitative

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Le développement de nouvelles compétences et pratiques financières est également un axe. La ville de Thessalonique est soucieuse de répondre aux exigences des investisseurs : « L’Union européenne a vivement recommandé […] de développer un Plan de Mobilité Urbaine Durable pour faciliter le financement des projets de mobilité. Les autorités locales […] ont commencé à développer leurs plans locaux ». Le développement des compétences des managers dans les domaines financiers, ou du contrôle est peu évoqué par les villes (uniquement 3 mentions). Seule Paris y fait explicitement référence (« Le personnel au service du budget de la Ville sera formé pour évaluer les projets par rapport à ces indicateurs transversaux, et les programmes d’investissement seront définis en utilisant ce cadre »).

Il s’agit également de réorienter les pratiques comptables et financières au service d’un pilotage des actions publiques de résilience. La gestion de la performance est évoquée par toutes les villes, mais rarement dans le détail : pilotage de la performance, mise en place d’indicateurs, ou évaluation des actions menées sont autant de pistes partagées. Si l’on y retrouve les critères d’une performance financière, comme à travers la recherche d’efficience dans les dépenses ou le contrôle des activités, on note également un souhait d’élargir la gestion de la performance à ses autres dimensions sociétales, en écho à Maurel et al. (2014), par exemple par le développement d’indicateurs extra-financiers de résilience ou la réflexion autour d’une performance sociétale.

Certaines villes cherchent ainsi à intégrer des indicateurs financiers et de résilience, comme illustré par le cas de Bristol pour mesurer « les progrès de la ville par rapport à des paramètres tels que le bien-être et l’inclusion aux côtés des indicateurs économiques traditionnels ». Quelques autres pistes sont évoquées, comme une gestion collaborative du patrimoine, ou des politiques d’achat public plus résilients, comme à Paris.

Les notions de reddition des comptes et de transparence financière constituent également un axe. La ville d’Athènes vient ainsi en rupture par rapport à la gouvernance passée, et souhaite transformer son administration vers plus de transparence. Pour les villes étudiées, il s’agit de travailler sur la communication, la collaboration et la co-construction avec les acteurs du territoire. Enfin, les 8 villes souhaitent que leurs méthodes de travail évoluent vers plus d’inclusion des acteurs. Cela se traduit par un décloisonnement des expertises financières, à travers des mécanismes de finance participative, comme le budget participatif de la ville de Paris, ou par une intégration des experts financiers aux instances de gouvernance : « Nous visons à mobiliser l’expertise et le financement des spécialistes de la résilience (acteurs financiers et bancaires, assureurs et/ou réassureurs, auditeurs tiers, etc.) pour s’assurer que les projets financés ont des avantages évidents en matière de résilience ».

L’analyse qualitative a ainsi permis d’illustrer les dimensions de la résilience financière telles qu’elles apparaissent dans les documents de stratégie territoriale, il s’agit maintenant de discuter de l’articulation de ces deux dimensions.

L’articulation des résiliences financière et territoriale : un manque de vision holistique

Si elle permet d’illustrer les dimensions de la résilience territoriale et financière des villes étudiées, notre étude montre surtout que l’analyse de cette dernière reste lacunaire et peu intégrée.

Les dimensions de la résilience financière mises en avant sont principalement orientées vers le développement de capacités organisationnelles, et en particulier adaptatives, au détriment d’une prise en compte des vulnérabilités financières. Cela laisse suspecter un affichage de bonnes pratiques, insuffisamment reliées aux vulnérabilités financières de chaque ville. Les quelques pistes évoquées pour adapter les pratiques restent embryonnaires.

Les questions financières sont essentiellement traitées au niveau des actions, et les stratégies manquent d’une vision globale des vulnérabilités et des effets potentiels des chocs. Par exemple, la ville de Paris qui élabore de façon précise mais concise sa stratégie financière, n’évoque pas sa vulnérabilité financière. La ville de Vejle abordant peu les éléments financiers semble avoir une situation financière meilleure justifiant sa moindre préoccupation pour la résilience financière. Elle anticipe malgré tout une possible détérioration de sa situation (« un certain nombre de réductions sont attendues au niveau des initiatives existantes, ce qui signifie que la bonne performance apparente du passé ne devrait pas se poursuivre »).

Les modes de financement de la résilience occupent une part importante des éléments financiers mentionnés, mais ils sont souvent davantage énumérés qu’analysés. Les finances apparaissent ainsi comme une ressource d’origine externe à pourvoir, plutôt qu’une contrainte à intégrer pour les actions de résilience. La Ville de Paris par exemple ne considère pas que sa stratégie de résilience représente un coût sur le long terme « C’est là la force de cette approche : la résilience n’est pas plus coûteuse, mais vise plutôt à répondre à plus de besoins et à produire plus d’avantages, avec les mêmes budgets. ».

Seules quelques unités, rassemblées dans une troisième catégorie, abordent la notion de résilience financière. Ici, les finances publiques font écho au cadre d’analyse combinant l’approche par les ressources, par les compétences et par les parties prenantes intervenant de manière dynamique dans le processus de résilience. Sur ce volet, même si les efforts de projection restent limités, les villes grecques se distinguent. Ces villes, dont la situation financière a été fragilisée par la crise économique en Grèce, sont les seules à tenir explicitement compte de cette vulnérabilité dans leur résilience globale. Thessalonique est la seule à développer de façon rigoureuse la notion de résilience financière comme un axe d’action formalisé et à afficher une conscience forte des contraintes financières par les décideurs.

La volonté des villes grecques de renforcer leurs capacités organisationnelles est affirmée et leur comportement face à leur vulnérabilité montre un profil de résilience de type adaptation réactive (Steccolini et al., 2017). Celui de la ville de Paris pourrait être qualifié d’adaptation plus pro-active. Sa vulnérabilité est relativement faible, mais sa stratégie aborde des éléments phares de développement de la résilience financière. Les éléments relatifs aux autres villes sont insuffisants pour caractériser de quelque manière que ce soit leur résilience financière. Rotterdam montre une réflexion sur sa durabilité financière sans proposer d’analyse poussée de la résilience, tandis que la stratégie de Rome apparaît peu détaillée. Enfin, les stratégies de résilience de Glasgow ou Vejle n’abordent pas la résilience financière.

Alors que nous nous intéressons à des villes ayant développé une réflexion poussée sur la résilience territoriale, l’intégration de la résilience financière reste faible. Nos résultats laissent suspecter une faible implication des départements financiers dans l’élaboration de la stratégie de résilience, malgré le souhait, parfois mentionné, d’une meilleure intégration des expertises financières. Dès lors, nous invitons collectivités et praticiens à s’interroger sur le rôle accordé aux directions financières dans le développement des stratégies de résilience, sur la transversalité des pratiques et réflexions et sur la prise de conscience par les managers des liens entre enjeux financiers et environnementaux.

Conclusion et discussion

Face aux risques climatiques, environnementaux ou socio-économiques, les collectivités ont un rôle majeur à jouer pour assurer la résilience du territoire. De nombreuses villes se saisissent de cette responsabilité en développant des démarches stratégiques formalisées en la matière. Cette recherche questionne l’intégration des dimensions financières dans les stratégies de résilience territoriale, à la fois d’un point de vue conceptuel et pratique.

Les recherches sur la résilience du territoire abordent insuffisamment la question du financement de ces politiques. Au-delà du recensement des ressources disponibles, l’effet des politiques de financement sur la durabilité financière, au sens d’une solvabilité durable de la ville, doit pourtant être appréhendé.

La revue de la littérature nous a permis de discuter l’articulation des notions de résilience territoriale et financière d’un point de vue conceptuel, en positionnant ces dernières dans un cadre général de management territorial stratégique et d’élaboration de politiques publiques. Il en ressort que l’articulation entre finance et résilience ne se limite pas à une simple réflexion sur le financement de la résilience, mais nécessite d’appréhender les finances publiques de manière holistique, à la fois comme risque (crises financières, objet ou praxis), facteur de vulnérabilité (situation financière) et capacités de résilience (culture, ressources, pratiques), au service de la résilience globale.

En pratique, l’intérêt conceptuel de cette articulation contraste avec le faible traitement des réflexions financières dans les stratégies étudiées. Les villes grecques, marquées par la crise économique et l’austérité du pays, font figure d’exception et affichent une considération plus grande pour ces dimensions. Malgré cela, les stratégies étudiées illustrent dans leur ensemble, la notion de capacités organisationnelles financières, en termes d’anticipation, d’adaptation et de transformation. Elles font écho aux bonnes pratiques développées par les réseaux de villes réfléchissant à la résilience (par exemple Deng-Beck et Price, 2016). Mais, cet affichage de capacités apparaît insuffisamment articulé aux capacités existantes et à la compréhension des vulnérabilités, limitant leur diffusion. Cela souligne de nouveau l’importance d’une vision holistique et partagée de la résilience.

Certaines limites à notre étude peuvent être mentionnées : l’aspect déclaratif des stratégies étudiées, le cadre méthodologique du 100RC qui a pu contraindre les développements relatifs aux dimensions financières dans les documents étudiés ou le profil des villes sélectionnées par le 100RC. Lors de recherches futures, il serait dès lors intéressant de diversifier le type de territoires et de démarches de résilience territoriale analysés, mais également de s’intéresser au point de vue des acteurs en procédant à des entretiens.

Par ailleurs, nous n’avons pas été en mesure d’approfondir et discuter certaines thématiques importantes comme celle du rôle de la ville dans son écosystème territorial, et ses dynamiques d’interaction entre l’urbain et le rural par exemple.

Enfin, cette recherche souligne que si la littérature et le programme 100RC mettent en avant les bienfaits de la résilience, cette dernière présente également un coût (Van Der Vegt et al., 2015; Williams et al., 2017) qui rentre en conflit avec la dimension financière de la performance. La résilience, souvent décrite en termes de redondances, de flexibilité et de marges de manoeuvre, implique des coûts et de l’inefficience. Un enjeu fort réside dans le fait de trouver des manières de gagner en résilience sans perdre en efficience (Van Der Vegt et al., 2015). Il s’agit d’équilibrer les dimensions de la performance (Maurel et al., 2014) et la recherche de résilience. Williams et al. (2017, p.756-758), évoquant le « côté obscur » de la résilience, soulignent les tensions relatives aux nécessaires compromis dans l’allocation de ressources. C’est à travers la gestion de cette tension que les villes doivent chercher les pistes pour assurer leur durabilité financière, financer leur stratégie de résilience et amorcer un nécessaire changement paradigmatique des logiques financières.