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C’est sous le prétexte du 150e anniversaire de la Confédération canadienne qu’Oonagh E. Fitzgerald (directrice du CIGI’s International Law Research Program), Valerie Hughes (professeure de droit à l’Université Queen’s) et Mark Jewett (conseiller juridique au cabinet Bennett Jones) se sont donné l’audacieux défi d’établir un portrait général de la situation du Canada dans le champ du droit international. L’ouvrage collectif qu’ils ont co-dirigé ne cache pas sa prétention d’être une sorte de mise à jour du livre Canadian Perspectives on International Law and Organization, publié en 1974 aux éditions University of Toronto Press et dirigé par Ronald St J. MacDonald, Gerald L. Morris et Douglas M. Johnston[1]. Une mise à jour s’avérait pertinente, voire nécessaire, plus de quarante ans après la sortie de ce livre, dans la mesure où le Canada et les relations internationales ont changé durant les dernières décennies sur le plan juridique. Des exemples parmi tant d’autres de ces changements majeurs sont l’intégration croissante des enjeux liés aux changements climatiques et les peuples autochtones.

Le livre de 2018 compte 501 pages et se décline en quatre parties, elles-mêmes divisées en chapitres. Chaque chapitre contient des articles d’experts provenant d’un peu partout dans le pays et comporte une introduction qui circonscrit le cadre exploré.

La première partie (The History and Practice of International Law) contient deux chapitres et examine, comme le titre le suggère, le droit international canadien sous un angle à la fois pratique et historique. Elle transcende l’approche analytique pour donner des textes qui se veulent non seulement synthétiques, mais aussi prescriptifs.

Ainsi, le premier chapitre de cette première partie (The Making of International Treaties and Implementation into Domestic Law[2]) regroupe un ensemble d’écrits résumant de manière concise l’histoire juridique du Canada et décrivant de manière accessible et proactive les dynamiques et structures qui forment le droit international canadien. Par exemple, Gib van Ert[3] explicite dans son article comment la réception du droit international au Canada pourrait bifurquer donnant à la fois des exemples et des solutions viables[4]. Pour sa part, Stéphane Beaulac[5] explore l’« interlégalité » qui laisse place à des obstacles quant à la mise en oeuvre judiciaire des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne[6]. Armand de Mestral[7] et Hugo Cyr[8] illustrent quant à eux la « modeste » contribution du Parlement canadien dans la conduite des relations internationales[9]. Gary Luton[10] opte pour une approche plutôt descriptive et articule un historique de la diplomatie des traités internationaux du Canada, affirmant la nécessité de s’y concentrer afin de mieux comprendre l’héritage juridique du Canada et afin d’atteindre la vérité et la réconciliation avec les peuples autochtones du pays[11]. Finalement, Charles-Emmanuel Côté[12] établit la situation des « entités infra-étatiques » en ce qui concerne la conclusion de traités[13]. Ce texte, comme de très nombreux autres textes de ce recueil, mentionne de manière répétée la situation juridique du Québec, ce qui s’explique évidemment par l’aspect original, spécial et singulier du Québec dans l’articulation de structures politiques et juridiques au Canada. À de nombreux égards, le portrait dressé de l’histoire du Québec et du Canada face au droit international (et, de manière plus large, aux relations internationales) rappelle de nombreux ouvrages, dont Politique internationale et défense au Canada et au Québec, écrit par Kim Richard Nossal, Stéphane Paquin et Stéphane Roussel, et publié en 2007[14].

Le deuxième chapitre de la première partie (Honouring International Treaties with Indigenous Peoples) figure probablement parmi les contributions les plus originales et inédites de cet ouvrage de référence[15]. En fait, l’interprétation des relations entre la Couronne britannique et les peuples autochtones comme étant des relations internationales (effectuée dans certains textes) est à la fois pertinente et audacieuse et tente conséquemment de combler un angle mort trop longtemps négligé par les sciences juridiques. Ceci est le constat établi en premier lieu par Brenda L. Gunn[16] dans son article, où elle s’adonne à un exercice original et pertinent, soit celui de calquer les traités numérotés (soit des traités effectués entre la Couronne et les Premières Nations) aux exigences du droit international en termes de traité[17]. Sans grande surprise, Gunn constate de nombreuses lacunes quant au respect adéquat de ces traités dans le cadre du droit international et appelle à de nombreux changements. Un exercice similaire est ensuite effectué dans le texte de Joshua Nichols[18]. Ce dernier explore les contradictions qui confrontent les traités de Westphalie à la relation épineuse entre le Canada et le concept de nation[19]. L’idéologie westphalienne est critiquée subséquemment par Robert Hamilton[20]. Dans son article à la fois original et moins prescriptif, il confronte les « eurocentric concepts of law and history » en explorant l’histoire du droit transnational et du droit international des Premières Nations dans les Maritimes durant la période Pré-Confédération[21]. Pour conclure le chapitre, Ryan Beaton[22] illustre certains angles morts de la Cour suprême du Canada et de la Couronne britannique en ce qui concerne le droit des autochtones[23].

La deuxième partie (International Law, Governance and Innovation) se tourne davantage vers le présent et l’avenir du droit international au Canada. Cette partie est divisée en cinq chapitres, contenant eux-mêmes de multiples articles.

Le premier chapitre de cette deuxième partie (International Economic Law) propose cinq textes rigoureux qui transcendent le cadre économiciste et néolibéral pour souligner les accomplissements du Canada et proposer de nouvelles stratégies en termes d’économie politique internationale[24]. Le texte de Richard Ouellet[25] décrit le fort apport du Canada dans l’évolution du système commercial multilatéral[26]. Ce constat est également partagé par Valerie Hughes, qui se concentre dans son texte sur la contribution considérable du Canada dans le système de règlement des différends[27]. Soulignant le 100e anniversaire de la Loi de l’impôt sur le revenu[28], Allison Christians[29] évalue les conséquences de la mondialisation sur le système de taxation et, de manière plus générale, la responsabilité sociale des entreprises transnationales[30]. Brian J. Arnold[31] commémore aussi ce centenaire et articule de manière ludique la situation particulière du Canada en ce qui concerne le système de taxation international dans le passé, présent et futur[32]. Finalement, Bernard Colas[33] se concentre sur le droit international privé en matière commerciale, proposant des solutions quant à l’uniformisation internationale du droit privé[34].

Le deuxième chapitre de la deuxième partie (International Environmental Law) est sans contredit l'un des chapitres les plus d’actualité[35]. En premier lieu, Silvia Maciunas[36] et Géraud de Lassus Saint-Geniès[37] décrivent l’évolution des mesures environnementales du Canada au niveau national et international, démontrant une dichotomie notable entre les actions internes et les engagements internationaux[38]. Anne Daniel[39] se préoccupe d’un enjeu davantage circonscrit et illustre les fortes contributions du Canada à l’égard des accords environnementaux multilatéraux touchant les produits chimiques[40]. Les deux derniers textes se concentrent sur les eaux. Dean Sherratt[41] et Marcus Davies[42] comparent les accords Canada-États-Unis en termes de droit des eaux et de droit maritime aux accords internationaux[43], alors que Suzanne Lalonde[44] dresse un bilan de l’histoire de la contribution du Canada au droit de la mer[45].

Le troisième chapitre de la deuxième partie (International Intellectual Property Law) ne contient que deux contributions. L’article de Howard P. Knopf[46] met l’accent sur la force historique du Canada dans les négociations sur la propriété intellectuelle et le potentiel qui en découle dans les négociations futures[47]. Ton Zuijdwijk[48] presse quant à lui les organisations internationales de faciliter le pont entre le commerce international et les normes internationales de propriété intellectuelle[49].

La troisième partie (International Human Rights and Humanitarian Law) ne contient pas de chapitre et semble conséquemment plus variée dans son contenu[50]. Adelle Blackett[51] se concentre sur l’International Labour Legislation et utilise le Canada comme cas de figure pour démontrer l’importance du travail transnational au sein de l’Organisation internationale du travail[52]. Valerie Oosterveld[53] décrit quant à elle la place que le Canada devrait avoir dans le futur du droit criminel international, notant que le Canada y a toujours joué un rôle important, et plus particulièrement à la fin des années quatre-vingt-dix[54]. Toujours dans le droit criminel, Fannie Lafontaine[55] explicite le dilemme (ou la « valse-hésitation ») entre poursuites et expulsions pour les criminels de guerre dans le pays[56]. Finalement, René Provost[57] développe des réflexions sur le flou juridique entourant les enfants-soldats en droit international humanitaire[58], ce qui fait un écho approprié à l’affaire Omar Khadr[59] qui a hanté la justice canadienne pendant de nombreuses années.

La quatrième partie (New Challenges in International Law) est uniquement composée de la conclusion, rédigée par les trois auteurs du livre[60].

L’ouvrage Reflections on Canada’s Past, Present and Future in International Law/Réflexions sur le passé, le présent et l’avenir du Canada en droit international n’a pas la prétention d’être exhaustif, mais réussit tout de même à couvrir des sujets importants de manière efficace, par une structure simple et un désir éditorial apparent de s’en tenir à l’essentiel. De surcroît, les contributeurs sont d’horizons différents (certains sont même issus de communautés autochtones). Néanmoins, le bassin d’intervenants est assez loin d’une zone paritaire représentative du Canada d’aujourd’hui. Ainsi, bien qu’il faille évidemment saluer la participation de nombreuses expertes à cet ouvrage, il reste que la participation d’hommes semble excessivement majoritaire, faisant que le ratio homme-femme de l’oeuvre est très éloigné de celui de la population canadienne.

Aussi, il est discutable, voire regrettable, qu’un ouvrage se voulant une référence au niveau canadien n’ait pas une version complète dans chaque langue officielle. Seuls le titre de l’ouvrage ainsi que sa préface (par l’Honorable L. Yves Fortier)[61] sont présentés à la fois en anglais et en français. Autrement, les titres des parties et des chapitres sont uniquement en anglais, alors que les textes sont uniquement en français ou uniquement en anglais. Il va sans dire que ceci est problématique, puisque de nombreux Canadiens ne maitrisent pas les deux langues. Un livre aussi important et aussi bien articulé gagnerait à être accessible à un maximum de personnes.