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Partant d’une lecture purement positiviste du droit international pénal, il importe de souligner que les catégories juridiques incarnant la criminalisation des atteintes à la paix et la sécurité de l’humanité[1] ne permettent pas de cerner de manière complète les dommages portant gravement atteinte à l’environnement. Il se trouve que seule la définition des crimes de guerre ressort de l’incrimination de graves forfaits écologiques perpétrés dans le contexte de conflits armés[2]. Les graves atteintes environnementales commises en temps de paix ne sont donc pas juridiquement prises en charge. Il se profile dès lors un réel vide juridique s’agissant de la criminalisation de ces forfaits écologiques[3]. Ceci explique l’impunité de multitudes atteintes environnementales perpétrées par les multinationales et écomafias[4]. Pourtant, les enjeux écologiques de l’heure recommandent une répression effective et imminente de tout comportement constitutif d’endommagement significatif de l’environnement. Point n’est besoin de rappeler l’actualité du changement climatique et ses conséquences réelles par rapport à la sûreté de la planète et à la sécurité de l’humanité pour s’en convaincre[5]. Il en va des preuves scientifiques qui parviennent évidemment à lier la destruction des écosystèmes, à travers ses diverses manifestations, dont l’acidification des océans et l’hémorragie de la biodiversité, à l’émission de gaz à effet de serre due à une industrialisation à outrance[6]. Il s’impose donc de réfléchir sur une criminalisation complète de graves atteintes écologiques qui se résumerait idéalement par la consécration d’un crime autonome essentiellement naturaliste dans le champ conceptuel des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité à travers la révision du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI)[7].

C’est dans cet ordre d’idées qu’il importe de saluer le combat mené par des ONG[8] et des centres de recherche[9] en vue de la criminalisation des graves atteintes à l’environnement perpétrées dans un contexte de paix. Mentionnons le travail abattu dans le cadre de la fondation Stop Ecocide qui a débouché sur la conception d’un projet d’amendements du Statut de Rome présenté lors de la dernière Assemblée des États parties tenue au mois de décembre 2021[10]. Même si la dynamique apportée dans le cadre du mouvement associatif essentiellement piloté par la société civile se révèle tant soit peu féconde[11], il convient tout de même de souligner le fait que les efforts d’une telle incrimination autonome ne pourront, de manière réaliste, être féconds dans un futur proche. La faisabilité d’une telle hypothèse n’est pas une question de jours ou de semaines, moins encore de mois, voire d'années. Ceci est correct d’autant plus qu’elle doit requérir au minimum l’adhésion des deux tiers des États signataires du Statut de Rome, soit 82 États[12]. Entre-temps, les défis du changement climatique et de la destruction substantielle de l’environnement s’accentuent. Ils n’attendent pas les caprices souverainistes des États. Cela nécessite de trouver une solution le plus vite possible.

Pourtant, à observer de près, on se rend à l’évidence du fait que l’interprétation de certains éléments constitutifs des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide peuvent permettre de cerner, à l’instar des crimes écologiques de guerre, l’essence criminogène des forfaits écologiques réalisés en temps de paix[13]. Il convient de capitaliser dès lors cette opportunité visant à incriminer les dommages écologiques partant de ses répercussions humaines, en attendant la ratification de ces amendements. Cela permettra de pallier la carence qu’accuse le Statut de Rome à l’égard de cet aspect de la criminalité environnementale, en attendant l’avènement d’un crime autonome d’écocide. Cette hypothèse s’appuie sur le fait que la destruction substantielle des éléments de l’environnement débouche inexorablement sur des conséquences évidentes sur les droits intangibles de la personne : le droit à la vie, le droit à l’intégrité physique, le droit à la santé, etc.[14] Procédant par une démarche interprétative, le juge peut assimiler[15] le fait des atteintes écologiques à certains actus reus constitutifs de ces crimes. Dans ce cas, leur identité criminogène dépend de leur impact sur l’inhumanité de l’individu ou le qualificatif destructeur visant un groupe sociologiquement identifiable. Ils peuvent dès lors revêtir la casquette d’un des crimes sous-jacents de ces incriminations : meurtre, extermination, meurtre des membres du groupe, torture, etc. Il faut reconnaitre que la communauté juridique n’est pas trop sensible à digérer facilement cet aspect des choses. L’affaire Al-Bashir[16] s’inscrit justement dans cette dynamique. Au-delà de ses acquis, cette saga judiciaire illustre à suffisance l’hypothèse d’un génocide environnemental[17]. La correspondance des ONG, agissant pour le compte des victimes de l’affaire Chevron-Texaco, à l’attention de la procureure près de la CPI est, de ce point de vue, pleine d’enseignements. Celle-ci sollicite l’ouverture des enquêtes préliminaires aux fins d’attester l’identité criminogène des forfaits écologiques perpétrés en Équateur au titre des crimes contre l’humanité[18].

En substance, cette orientation incarne l’objectivation d’une humanité « écologique » dans l’amas diffus des règles postulant le droit international[19]. Est-il besoin de souligner, à l’appui de cette affirmation, que l’humanité est une valeur synthétique à vocation anthropocentrique permettant de « systématiser le droit à partir d’une idée représentative et, si possible évocatrice, dont les conséquences dérivées rayonnent ensuite sur toute la matière pour l’unifier et, éventuellement, la féconder »[20]. Le concept d’humanité s’inscrit fondamentalement à travers cette étude dans une perspective positiviste de l’incrimination des atteintes à la paix et la sécurité de l’humanité. Son assise contextuelle repose dans la représentation de l’idée de la paix et la sécurité de l’humanité à travers une démarche de criminalisation. C’est là justement le lieu de souligner le fait que ce concept appréhendé en droit international pénal s’incarne à travers une démarche répressive essentiellement protectrice à l’épreuve des atteintes aux principes modérateurs des conflits armés[21] et des actes gravement déshumanisants. Mis à contribution dans une démarche de systématisation de la protection environnementale au coeur du droit international pénal, ce concept rend compte de la glorification d’un destin anthropocentrique sur une question substantiellement éco-centrique. La mobilisation d’un terme ayant valeur anthropocentrique dans le vocabulaire propre à l’univers écologique serait sans doute consécutive à une perception dominante des rapports qui caractérisent les relations entre l’éco-centrisme et l’anthropocentrisme. Les intérêts liés à l’humain deviennent la mesure de l’action visant à criminaliser les dommages gravement attentatoires à l’environnement. Cette affirmation remet à la surface la pertinence des avis[22] somme toute critiques sur la possibilité d’inclure, à travers la criminalisation, à la manière d’une proposition de la Commission du droit international[23], les dommages écologiques dans la définition des crimes contre l’humanité.

S’il fallait dégager quelques lignes directrices à ce sujet, on dirait que le juge a la possibilité de recourir à une appréhension écologique de certains actes matériels des crimes du champ répressif de la CPI, à l’instar des crimes de guerre, pour cerner les actes gravement attentatoires à l’intégrité de l’environnement non clairement criminalisés par le Statut de Rome. Plus précisément, on est enclin à avancer, à titre d’hypothèse, que si les éléments du crime de guerre permettent de réprimer l’écocide commis en temps de guerre[24] (I), l’interprétation de certains actes constitutifs des crimes contre l’humanité et de génocide pourrait permettre de saisir l’écocide perpétré en temps normal (II). Dans ce cas, à quoi servirait-il alors de penser à une incrimination autonome au coeur du Statut de Rome en vue de cerner la nature criminogène de graves atteintes écologiques perpétrées en temps de paix (III)?

I. Si la qualification du crime de guerre permet de saisir toutes les graves atteintes écologiques commises en cas de conflit armé…

L’identité criminogène associée aux graves dommages environnementaux, qui résultent des attaques armées, ne procède pas d’une lecture uti singuli de l’hypothèse envisagée au paragraphe 8(2)e)iv) du Statut de Rome. Cette interprétation doit s’inscrire dans une perspective systémique sur l’entendement de la disposition dans son ensemble. Au-delà du fait qu’ils sont envisagés dans le cas bien précis des dommages graves et durables causés par le fait d’une attaque intentionnelle (A), les crimes de guerre environnementaux résultent aussi des conséquences découlant de la violation de certains principes du jus in bello (B).

A. Une consécration bien précise visant la protection de l’environnement

L’environnement est pénalement protégé en temps de conflit armé à travers les éléments de définition du crime de guerre qui s’inscrit dans la logique des articles 35(3) et 55 du Protocole I aux Conventions de Genève[25] (Protocole I). Cette protection vise aussi bien l’environnement naturel que l’environnement culturel[26]. Paraphrasant le droit humanitaire conventionnel, deux dispositions de l’article 8 du Statut de Rome énoncent la protection pénale de l’environnement en temps de conflit armé. Aux termes du paragraphe 2b)(iv) de l’article 8 du Statut de Rome, est constitutif des crimes de guerre tout comportement intentionnel et disproportionné visant la partie adverse, en temps de conflit armé, susceptible d’endommager directement, et substantiellement, l’environnement[27]. Et le paragraphe 2b) ix) de l’article 8 du Statut de Rome qualifie de crime de guerre « le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques […] à condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires »[28]. Ces dispositions ont le mérite de ressortir clairement les éléments constitutifs de ce qu’il conviendrait de baptiser par crime écologique de guerre[29]. Il en découle ainsi deux éléments essentiels.

Ayant trait à l’acte physique pouvant constituer un crime écologique de guerre, le premier élément s’applique à déterminer le comportement par rapport à son ampleur au vu de la gravité censée caractériser un endommagement significatif à l’environnement. Il importe de souligner dans cet ordre d’idées que trois éléments ont été retenus par les rédacteurs du Protocole I aux Conventions de Genève comme indicateurs d’appréciation de la gravité des dommages écologiques perpétrés en temps de guerre : ceux liés au temps, à l’espace et aux conséquences sur l’humanité de l’homme[30]. La dimension spatiale illustrant la hauteur des conséquences résultant de ces dommages sur l’environnement repose sur les effets extraterritoriaux[31]. La dimension temporelle inscrivant l’étendue des conséquences environnementales d’une attaque armée renvoie à un concept illustré par l’adjectif « durables ». Il rend compte de la pérennité des effets de ces dommages sur l’environnement[32]. Il n’en demeure pas moins vrai du terme « durabilité »[33] théorisé en droit de l’environnement pour illustrer une gestion durable et rationnelle de l’environnement au bénéfice des générations présentes et futures[34]. Visant à identifier la hauteur de ces dommages écologiques d’une attaque, l’adjectif « graves » ne nous parait-il pas comme un élément de trop? Rien qu’à lire de près l’énoncé du texte de l’article 8 du Statut de Rome, il semble sans doute que les dimensions spatiale et temporelle suffisent à illustrer l’ampleur des dégâts causés par une attaque armée sur l’environnement. Il est bien vrai que la durabilité et la territorialité illustrent la gravité du dommage écologique. Il est cependant important de souligner que cela doit être apprécié par rapport à une cible protégée en priorité par le jus in bello : est-ce l’humanité visée à travers la protection de l’environnement ou l’environnement pris intrinsèquement? C’est là justement le lieu de faire remarquer la position d’une tendance dominante se penchant à l’idée de considérer à travers l’usage de l’adjectif « graves » la mise en évidence de l’effet collectif du dommage environnemental. Il en va également de même pour Nicolas de Sadeleer qui l’assimile au caractère significatif et collectif du dommage environnemental[35]. Le fort symbole anthropocentrique identifiant les crimes de guerre conforte à suffisance cette thèse.

La deuxième préoccupation inhérente à la définition de l’acte physique du crime de guerre écologique tient à la détermination de la finalité de l’attaque. Elle repose sur la question de savoir si l’attaque constitutive de dommage à l’environnement s’avère nécessaire à la poursuite de la stratégie militaire[36]. Permet-elle au belligérant de tirer un avantage militaire concret sur la partie adverse? Située comme un aspect de la détermination de l’élément matériel du crime de guerre, la nécessité peut aussi s’illustrer comme facteur d’appréciation de l’élément moral[37]. L’identité criminogène desdites attaques tient substantiellement à l’identification de leur nécessité militaire par rapport à l’avantage direct et concret. L’identité criminogène d’une attaque armée au titre de crime de guerre réside notamment dans la mise à l’évidence de son caractère manifestement excessif par rapport à un quelconque avantage militaire direct et concret au profit du belligérant. Il est, dans cet ordre d’idées, impérieux de souligner le fait que l’appréciation de la finalité de l’attaque est liée au test de proportionnalité[38]. Admettons que l’adoption de ces comportements dommageables à l’environnement s’avèrerait nécessaire à la poursuite de la stratégie militaire, la hauteur des dégâts y résultant en vaudrait-elle la peine? C’est là justement l’occasion d’évoquer la disproportionnalité illustrant la cruauté écologique de l’armée américaine au Vietnam (l’utilisation de l’agent orange sur les forêts)[39] et la destruction des puits de pétrole pendant la guerre au Koweït[40].

À la suite de ce raisonnement, il importe de relever, au titre du second point relatif à l’élément psychologique du crime, que la mise à l’évidence du caractère criminogène associé à ces forfaits dépend, de manière indispensable, de la caractérisation de l’état d’esprit animant les auteurs de ces attaques. Ainsi que souligne la disposition de l’article 8 du Statut de Rome, on entend par crimes de guerre : « iv) le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera […] des dommages […] ix) contre les bâtiments consacrés à la religion, […] à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques »[41]. Cette phrase de l’article 8 ressort les deux éléments énumérés, au titre de la mens rea du crime, par l’article 30 du Statut de Rome : l’intention et la connaissance[42]. Si le sous-point iv du paragraphe 2b) de l’article ressort clairement les deux éléments[43], le sous-point ix du paragraphe 2b) n’énonce clairement que l’intention[44]. La première énonciation met à l’évidence le lien entre l’intention de diriger une attaque contre l’environnement et la connaissance du contexte du fait de l’appréciation sur l’avantage direct qui en résulterait. L’élément psychologique de ce crime est sans doute cristallisé dès lors qu’il peut être prouvé que l’auteur s’imaginait ou attendait au départ tel avantage de son comportement belliqueux ayant porté atteinte à l’environnement.

Comme on peut ainsi bien le remarquer, les crimes de guerre contre l’environnement naturel n’ont jusque-là fait l’objet d’aucune décision judiciaire. Néanmoins, les crimes de guerre contre l’environnement culturel ont fait l’objet d’une décision de la CPI dans l’affaire de la destruction des mosquées de Tombouctou par Al Mahdi[45]. Cela remet à la surface la question de la justiciabilité des atteintes graves contre l’environnement perpétrées en temps de guerre, si bien que le Statut de Rome prend soin de les cerner clairement[46], en plus de la possibilité pour le juge de les appréhender par une démarche interprétative.

B. Une protection environnementale par déduction

La violation de certains principes du droit international humanitaire est constitutive des crimes de guerre contre l’environnement. L’article 8 du Statut de Rome, à la suite d’autres dispositions du jus in bello[47], ne les énoncent pas expressément comme tels. Ils l’envisagent bien entendu comme actes physiques constitutifs de crimes de guerre. Leur connotation écologique relève du fait que certaines d’entre ces violations mettent à la surface l’incidence évidente des attaques armées sur les intérêts environnementaux en jeu. Le principe ou la règle du droit humanitaire violé par le fait d’un comportement débouchant à une atteinte écologique[48] met à l’évidence le lien logique entre ses conséquences humano-écologiques et l’impératif de faire la distinction entre les biens à caractère civil et les objectifs militaires. Cela recommande de prendre des précautions nécessaires en vue d’éviter des destructions gratuites et couteuses.

L’observation du principe de distinction en vue de la protection des biens civils rend compte de l’intérêt d’identifier, au regard de leur nature, de leur emplacement et de leur utilisation, les biens éligibles à la catégorisation des objectifs militaires pouvant être visés comme cibles d’une attaque. Partant du fait qu’un bien par nature civil peut être utilisé ou peut se situer en position d’être utilisé par un des belligérants en vue d’une tactique militaire[49], bien d’éléments environnementaux sont susceptibles d’être visés. Cela conforte à juste titre l’intérêt d’énumérer les objets constituant par nature des biens à caractère civil. Le chapitre III du Protocole I en donne la caractéristique à l’article 52 et l’énumération aux articles 53, 54, 55 et 56. Ces dispositions les énumèrent et en recommandent la protection. Il s’agit des biens culturels, des biens indispensables à la survie de la population, de l’environnement ainsi que des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses. À l’instar de son article 55[50], les articles 35(3) et 53 du Protocole I permettent de ressortir une dimension écologique d’une attaque militaire. Les articles 54 et 56 pourront permettre de déduire un entendement écologique d’une attaque. La destruction d’un bien indispensable à la survie de la population peut avoir une incidence écologique évidente[51]. D’autant plus que ce dernier peut être un élément de l’environnement : un cheptel des bétails, une plantation des légumes, un arbre produisant des fruits, une rivière servant d’eau potable à la population civile, etc.

La destruction d’un bien indispensable à la survie de la population peut également occasionner des perturbations environnementales importantes. C’est dans cet ordre d’idées qu’il importe de mettre en évidence le lien entre le principe de distinction et la protection des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses. La protection de ces ouvrages en temps de guerre justifie sans doute un intérêt écologique de l’incrimination[52]. Ceci est d’autant plus vrai que leur destruction est d’un effet direct sur l’intégrité de l’environnement. Il en va par exemple d’une attaque visant une usine d’enrichissement nucléaire dont les conséquences sont sans doute néfastes à l’équilibre des systèmes naturels. L’observation de la distinction conforte l’intérêt de prendre des mesures de précaution en vue d’éviter les effets d’entrainement de certaines conséquences non voulues sur le belligérant[53]. Il en va des conséquences écologiques et/ou des dommages humains. Ces mesures doivent être envisagées en vue de prévenir les attaques contre d’autres cibles non visées et les effets débordants[54]. Cela recommande aux auteurs de ces attaques l’utilisation de certaines armes ou méthodes de guerre. Les mesures de précaution visent essentiellement à atténuer les conséquences humaines pouvant résulter des attaques[55]. Elles glorifient l’importance du principe d’humanité[56]. La violation du principe d’humanité peut permettre de ressortir la dimension écologique des crimes de guerre à partir des conséquences humaines résultant de la destruction d’un élément de l’environnement[57]. Fort de ces développements, il convient de souligner le fait que le visage écologique du crime de guerre peut ressortir de l’analyse déductive de certains éléments de l’article 8 du Statut de Rome autres que ceux consacrant la protection de l’environnement naturel et de l’environnement culturel[58].

III. …l’appréhension écologique du crime contre l’humanité et du génocide permettrait également d’illustrer toutes les graves atteintes écologiques perpétrées en temps normal?

L’attestation criminogène associée aux crimes contre l’humanité et de génocide procède de toute déshumanisation pouvant résulter des actes d’atteintes aux droits intangibles de la personne. Ces incriminations traduisent l’idée protectrice de l’humanité de l’individu à l’épreuve d’un comportement à la base criminel. Les actus reus de ces crimes peuvent résulter d’un comportement d’atteinte à un autre objet ayant un effet nuisible à la santé, à la vie ou à la liberté de la personne. Il peut s’agir d’une activité attentatoire à l’intégrité de l’environnement ou de l’un de ses éléments. Cela traduit justement l’intérêt de penser à une approche évolutive ou déductive de l’interprétation judiciaire au service d’une appréhension écologique.

A. L’interprétation évolutive au bénéfice d’une appréhension écologique de certains actus reus constitutifs de crime contre l’humanité et de crime de génocide

Il est bien vrai qu’en droit international pénal, les atteintes massives perpétrées en temps de paix contre l’environnement ne sont pas spécifiquement incriminées[59]. Partant de l’idée que les comportements attentatoires à l’humanité peuvent être réalisés à travers une destruction substantielle de l’environnement[60], il n’est cependant pas interdit au juge de cerner l’inhumanité pouvant résulter de ces crimes à partir des graves dommages écologiques. Il est justement question, s’agissant de l’interprétation évolutive, de ressortir de l’énonciation ouverte de certains actes matériels des crimes contre l’humanité et de génocide, une identité criminogène liée à la destruction environnementale. Les actus reus comme les autres actes inhumains, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence intenables, les mesures visant à entraver les naissances et la stérilisation forcée sont réputées de portée ouverte[61]. Ils n’énumèrent pas un comportement prédéterminé ou ne mettent pas à l’évidence la protection d’un bien juridique précis[62]. Force est de souligner que le Statut de Rome est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours[63]. C’est dans cette perspective qu’il soit légitime de laisser au juge la latitude d’assimiler avec le temps qui coure d’autres actes pouvant se révéler identique à ces catégories juridiques. Il s’observe dès lors que bien des comportements dommageables à l’environnement revêtent d’une potentialité criminogène à même d’impacter la fertilité procréatrice, d’affecter les droits intangibles de la personne comme ceux protégeant la vie et l’intégrité physique[64].

Les autres actes inhumains s’inscrivent parfaitement dans la perspective énonciative ouverte des actus reus de crime contre l’humanité. Ils s’entendent comme des comportements assimilables à une action ou omission causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. Partant du fait qu’il est impossible d’appréhender de façon casuistique tous les actes répréhensibles constitutifs des crimes contre l’humanité, il s’imposait de consacrer un acte matériel qui devrait reprendre d’autres comportements inhumains non clairement visés[65]. Il parait dès lors pertinent d’inscrire notamment dans cette dynamique énonciative les comportements gravement dommageables à l’environnement. Ceci est cohérent d’autant plus qu’un acte ou une omission dommageable à l’environnement peut inévitablement entamer ou affecter la vie, l’intégrité physique ou la santé des personnes situées à côté de ces éléments environnementaux. Les conséquences humaines, ayant résulté de la catastrophe écologique du Probo-Koala à Abidjan[66] et de l’affaire Chevron-Texaco dans la forêt amazonienne[67], illustrent à suffisance la thèse d’une qualification analogue aux autres actes inhumains constitutifs de crime contre l’humanité. Les rapports renseignent à cet effet un lourd bilan pouvant comptabiliser plusieurs cas de détérioration sanitaire et de perte en vies humaines. La pollution de ces lieux avait affecté les milieux de vie de toute une population.

C’est dans ce même ordre d’idées qu’il convient d’évoquer un autre acte matériel constitutif de crime contre l’humanité dont la teneur terminologique remet à la surface la question de l’énonciation ouverte : la stérilisation forcée. Reprise dans un ensemble d’actes criminogènes de nature sexuelle à travers l’article 7(1)g) du Statut de Rome[68], la stérilisation forcée n’est pas clairement définie par cet instrument conventionnel. Elle est l’un des cas illustratifs des actes ouverts dans le lot des actes de nature sexuelle que le Statut de Rome se propose d’incriminer au titre des crimes contre l’humanité[69]. Elle s’inscrit au nombre des actes non exhaustifs que ce texte identifie comme attentatoires à l’humanité. Le point 2 de l’article 7 du Statut de Rome censé le définir, comme le fait-il avec d’autres, ne s’y applique pourtant pas. Ce sont à peine « Les Éléments de crimes » qui relèvent deux paramètres essentiels permettant de définir cet acte inhumain : la privation de la capacité biologique de se reproduire[70] et la justification des actes y résultant par les seuls faits du traitement médical et du consentement de la personne concernée[71]. Même alors, ce texte n’énumère pas de manière précise et exhaustive un quelconque acte. Cet actus reus s’identifie par ce fait comme une énonciation ouverte pouvant permettre au juge d’assimiler au-delà des actes anti-procréateurs connus un bon nombre de comportements dont notamment les atteintes écologiques. Ainsi, l’une d’entre les conséquences inhumaines sous-estimées à la suite des désastres écologiques est notamment celle pouvant porter atteinte au droit à la reproduction.

Bien des cas de stérilité résultent des actes de pollution effectués aux alentours des contrées habitées par le fait des incidents écologiques majeurs comme c’était le cas avec les affaires du Probo-Koala[72] et du Chevron-Texaco[73]. Utilisées par les habitants des quartiers pollués (à Abidjan et en Équateur) comme breuvage, les eaux des rivières contaminées par ces déchets hautement toxiques ont affecté la santé de plusieurs femmes enceintes. Ces éléments de l’environnement (eaux polluées) contiennent dès lors des matières toxiques nuisibles à la santé à même d’affecter la capacité biologique de reproduction. L’effet de l’intoxication résultant de l’utilisation de l’eau comme boisson peut détériorer la santé de reproduction des personnes au point de les rendre stériles. Il est vrai que les rédacteurs du Statut de Rome ne pouvaient, lors de la rédaction, s’imaginer à la base notamment un comportement gravement attentatoire à l’environnement comme constitutif de stérilisation forcée. S’identifiant cependant comme un énoncé ouvert, cet actus reus doit également s’illustrer à travers tout comportement résultant de l’évolution[74]. C’est à ce titre qu’il importe d’envisager notamment les actes de sabotage écologique. Il suffirait à ce titre que le forfait écologique incriminé réunisse les éléments constitutifs suivants : 1) la privation de la capacité biologique de se reproduire, 2) l’absence de justification par un traitement médical ou hospitalier des personnes concernées ni effectuées avec libre consentement, 3) faire partie d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile, 4) la connaissance du contexte[75]. Les affaires précitées permettent d’étayer la thèse d’une connotation écologique de la stérilisation forcée-crime contre l’humanité. Les rapports de ces catastrophes écologiques renseignent notamment des cas avérés de stérilité chez quelques personnes ayant utilisé les eaux des rivières polluées par ces faits. Ne s’inscrivant pas dans une perspective purement médicale ou consensuelle, les conséquences de ces forfaits ne peuvent fonder une quelconque justification criminogène à même d’exclure la stérilisation forcée. Il se trouve en effet que ces faits criminels se cristallisent dans un contexte certifiant que les auteurs de ces forfaits savaient ou auraient dû savoir que les circonstances entourant ces affaires peuvent illustrer à suffisance l’hypothèse d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile.

Et que dire du sceau écologique de la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence intenables et des mesures visant à entraver les naissances, actes constitutifs de crime de génocide? L’élasticité énonciative caractéristique de ces actus reus aménage au bénéfice du pouvoir interprétatif du juge une marge d’appréciation considérable dans la qualification des actes[76] (soumission à des conditions d’existence intenables et mesures visant à entraver les naissances) constitutifs du crime de génocide. L'énonciation de l’article 6 du Statut de Rome, en ses paragraphes c) et d), corrobore cette affirmation. Cette disposition se limite à énoncer ces éléments comme actes matériels de génocide et n’en donne pas d’autres explications.

Le point 5 de l’article 6c) des Éléments des crimes du Statut de Rome[77] (Éléments des crimes) conforte cette position. Cette disposition souligne le fait que le comportement constitutif de soumission à des conditions d’existence intenables contre le groupe s’inscrit dans le cadre d’une série manifeste de comportements semblables dirigés contre ce dernier ou pouvant déboucher sur une telle destruction[78]. Cela renvoie à tout comportement pouvant permettre d’aboutir à ce résultat criminel. Il en va justement des actes graves de sabotage écologique visant une destruction progressive de l’essence d’un groupe. C’est sur cette lancée que les travaux préparatoires de la Convention sur le génocide font mention de deux éléments indicatifs, pouvant justement illustrer cette imprécision terminologique : l’épuisement direct par l’assujettissement du corps et la privation des moyens de subsistance[79]. Qu’importe sa nature, tout comportement dont la teneur participe à l’imposition de ces mesures d’autorité ou permet de priver des moyens de subsistance dans cette visée criminelle constitue un crime de génocide[80]. Il peut notamment s’agir d’un acte d’empoisonnement d’une rivière censée être utilisée par un groupe identifiable.

Cette astuce fait penser à un autre actus reus dont la teneur est d’une potentialité destructrice de la capacité procréatrice des membres d’un groupe identifiable : les mesures visant à entraver les naissances. Sans doute, bien des cas illustrent l’idée d’empoisonner une rivière dans le but de détruire une communauté sociologiquement identifiable. Il en va de l’empoisonnement des rivières situées dans les contrées habitées par les Marais de Mésopotamie à travers une politique diligentée par le régime de Saddam Hussein[81]. Pour revenir à cet acte matériel de génocide, il est impératif de souligner le fait que c’est une disposition des Éléments des crimes qui tente de le définir en l’assimilant à une série des comportements manifestes pouvant concourir à l’objectif destructeur de la capacité créatrice des membres d’un groupe sociologiquement identifiable[82]. À l’instar de la soumission à des conditions d’existence intenables, les rédacteurs des Éléments des crimes utilisent la même formule terminologique que les autres actes inhumains, mettant à l’évidence la nature élastique de l’énonciation. Cela authentifie dans le chef du juge une aptitude créatrice à même de justifier le pouvoir d’assimiler notamment les forfaits écologiques au titre de cette qualification.

B. Une protection environnementale par déduction?

Si l’essence ouverte caractéristique de certains actes matériels constitutifs de ces crimes permet de justifier au profit du juge un pouvoir créateur, pouvant participer à leur appréhension écologique, un énoncé fermé ne le permettrait aucunement[83]. Cela ne l'empêche cependant pas de déduire, partant de la qualification de certains comportements à la lumière des actes matériels fermés, un visage écologique du crime de génocide ou du crime contre l’humanité. Sans doute, toute énonciation fermée des actus reus concourt à la protection des biens juridiques périphériques atteints[84] : la vie humaine, l’intégrité physique et psychique et la liberté. Ainsi, tout comportement visant l’environnement dont la teneur constitue une atteinte à ces biens juridiques est dès lors réputé constitutif de ces crimes dans la mesure où il est perpétré dans le dessein de nier l’humanité de l’individu ou de détruire en tout ou en partie un groupe identifiable. Cela permet au juge d’appréhender à travers la qualification de certains forfaits écologiques la négation du droit à la vie, du droit à la liberté et du droit à l’intégrité du corps. Cette appréhension concerne les crimes sous-jacents de meurtre, d’extermination, de privation grave de liberté physique, de torture, de meurtre des membres du groupe et d’atteinte grave à l’intégrité physique des membres du groupe.

Trois d’entre ces actus reus portent atteinte à la vie humaine : le meurtre, l’extermination et le meurtre des membres du groupe. Elles permettent d’identifier les dommages écologiques comme éléments constitutifs du crime contre l’humanité ou du crime de génocide. Les deux premiers d’entre ces actes s’inscrivent dans la perspective du crime contre l’humanité. Ils aboutissent en réalité à la négation de la vie humaine. La distinction de leur identité criminogène réside cependant dans la dimension quantitative[85]. Par rapport au meurtre, l’extermination vise la mort à grande échelle. Le meurtre implique un acte d’homicide[86]. L’extermination a pour finalité de massacrer par le fait de la mort d’une population ou d’une partie importante de celle-ci[87]. L’autre élément de distinction repose sur l’assise temporelle pouvant inscrire la réalisation de ces actes physiques[88]. Si la mort s’inscrit dans un contexte d’instantanéité, l’extermination est une infraction continue.

La définition de l’extermination rend utile de se référer expressis verbis à l’imposition des conditions de vie intenables dans l’objectif d’un anéantissement proche et à grande échelle de la vie. Cela permet de s’interroger à juste titre sur la portée terminologique de cet acte : est-ce une énonciation ouverte ou fermée ? S’il faut considérer le fait que l’extermination renvoie à des comportements consistant à imposer, aux fins d’un anéantissement proche et à grande échelle, un nombre indéterminé des mesures d’autorité consistant en la privation des conditions de vie, cet actus reus doit être appréhendé comme une énonciation ouverte. Dans ce cas, le juge sera appelé à recourir à l’interprétation évolutive en vue d’assimiler tout comportement, dont notamment les forfaits écologiques, visant la mort à petit feu d’un nombre important des personnes comme tel. C’est justement dans cette perspective que les notes de bas de page expliquant le fait de tuer en l’article 7(1)(b) des Éléments des crimes soulignent le fait que « ces actes pourraient impliquer différentes méthodes de meurtre, directes ou indirectes »[89]. On peut alors inscrire la destruction substantielle de l’environnement dans cette logique réaliste du meurtre. S’il faut s’en tenir à la finalité du crime sous-jacent, on ne peut s’interdire de le considérer comme un énoncé fermé. Alors, tout acte grave d’atteinte écologique ayant débouché à la mort de plus d’une dizaine des personnes est réputé constitutif d’extermination. Les Éléments des crimes du Statut de Rome confortent à suffisance cette thèse. Le terme « notamment » évoqué au point 1 de l’article 7(1)(a) de ce texte envisage l’imposition de ces mesures comme une des hypothèses définissant l’extermination[90].

Défini comme l’acte causant le décès de la victime avec l’intention de donner la mort, le meurtre est une infraction sous-jacente des crimes contre l’humanité[91] et du crime de génocide[92]. Cet acte est différemment énoncé selon qu’il s’agisse de l’un de ces deux crimes : meurtre et meurtre des membres du groupe. Poursuivant un objectif clair, la définition de cet acte est singulière par sa portée terminologique fermée. La jurisprudence considère le terme « meurtre » comme étant générique parce qu’il vise à désigner nonobstant le degré d’intentionnalité le fait d’enlever la vie. Elle assimile l’assassinat[93], l’homicide volontaire, l’homicide involontaire au meurtre dans l’identification générique des actes sous-jacents de ces crimes. Il importe de l’envisager, à la manière de l’article 6(a)(4) des Éléments des crimes, comme s’inscrivant dans le cadre d’une série des comportements analogues visant l’objectif assigné à la négation de l’humanité de l’individu ou à la destruction d’un groupe[94]. C’est à ce titre qu’il s’avère légitime d’assortir dans cette perspective terminologique notamment tout comportement négatif ou positif d’atteinte environnementale pouvant causer la mort instantanée, pour autant qu’il constitue une négation de l’humanité ou une destruction d’un groupe identifiable. Les affaires Trafigura, Bhopal[95], Chevron-Texaco et Amaco-Cadiz[96] permettent à juste titre d’illustrer la connotation écologique du crime contre l’humanité. Seules deux d’entre ces quatre affaires peuvent conforter à suffisance cette thèse : Probo-Koala et Chevron/Texaco. Même si les rapports renseignent des pertes importantes en vies humaines dans toutes ces catastrophes, les affaires Amaco-Cadiz et Bhopal ne peuvent permettre de valider une telle identification criminogène, d’autant plus qu’elles relèvent des circonstances soudaines et non voulues (accidents).

C’est enfin le lieu de questionner le sceau écologique des crimes sous-jacents consacrant l’atteinte grave à l’intégrité physique du corps. Cernées au titre des crimes contre l’humanité, les atteintes graves à l’intégrité physique sont identifiées à travers l’ensemble des infractions de nature sexuelle, de torture et de réduction à esclavage. Pourtant, le crime de génocide les circonscrit à travers une seule catégorie nommée « atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe »[97]. Il faut reconnaitre que certaines d’entre elles n’atteignent pas que l’intégrité physique du corps. Elles irritent aussi d’autres valeurs comme la liberté et la dignité humaine. Il en va de la réduction à l'esclavage dont la teneur met notamment en relief ces valeurs à travers le fait de la chosification de l’homme[98]. Une certaine tendance par ailleurs soutient le fait que la complexité et la multiplicité des formes associées à ces actes lui ont valu d’être assimilé à la catégorie « autres actes inhumains »[99].

En vue de saisir la quintessence de notre démarche, il importe de souligner le fait que seuls les comportements s’identifiant à la stérilisation forcée ou à la torture, dans son versant traitements inhumains et dégradants, peuvent permettre de cerner l’appréhension écologique de ces crimes[100]. Bien des hypothèses permettent d'illustrer à ce titre l'effet destructeur des atteintes massives à l’environnement sur la capacité reproductrice de l'homme. Prenons à titre d'exemple la pollution de certains éléments de l’environnement, comme l’eau ou les rivières, qui peut impacter négativement la santé physique des personnes, dont les femmes enceintes, au point d’interrompre une grossesse ou de rendre stérile. Cette affirmation est correcte dans la mesure où les femmes enceintes peuvent se servir de l’eau d’une rivière polluée par les déchets hautement toxiques comme breuvage ou pour laver et préparer les aliments sans être au courant de ce caractère nocif. Entendue comme « le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous [la] garde ou sous [le] contrôle [de l'accusé] »[101], la torture peut être illustrée par le fait d’une imposition à l’utilisation d’un élément de l’environnement pollué par des déchets hautement toxiques au titre de breuvage à l’exemple d’une rivière à forte capacité de nuisance sanitaire et physique. Bien des catastrophes écologiques peuvent légitimer la thèse de l’impact de la destruction substantielle de l’environnement sur la santé de la population. C’est le cas des multiples actes de pollution perpétrés dans le contexte des affaires Trafigura, Iam Gold à Alamatoula au Mali et de la situation survenue en Équateur dans la municipalité de Cuyabeno[102]. Les rapports de ces forfaits écologiques renseignent sur l’apparition de diverses maladies allant du cancer aux troubles digestifs, sans oublier des cas constatés de stérilité. Il en est de même du rapport sur le largage des déchets hautement toxiques à Abidjan par la société Trafigura qui certifie qu’une centaine des femmes ayant habité les quartiers avoisinant les lieux de ce déchargement est à ces jours déclarée stérile[103]. Certaines d’entre elles ont perdu des grossesses par le fait des conséquences toxiques de ces déchets. Parlant de l’affaire Iam Gold à Alamatoula, Alain Denault note que l’exposition aux déchets contenant de l’arsenic serait la cause de la dénatalité et que, par conséquent, « on y trouve presque plus d’enfants de 3 ans ou moins puisqu’une exploitation minière a commencé là il y a 3 ans »[104]. Il se rapporte une situation similaire en Amazonie dans la municipalité de Cuyabeno où se confirment des cas vérifiables de stérilité dus à la contamination de l’eau de consommation par les compagnies pétrolières[105]. L’exploitation anarchique des ressources pétrolières a accru le niveau de contamination des sites, ce qui a notamment comme conséquence l’augmentation des cas de stérilité dans la contrée[106]. Ces exemples étayent l’hypothèse d’une connotation écologique de la stérilisation forcée au titre de crime contre l’humanité. Il peut en résulter ainsi une privation de la capacité biologique de se reproduire. Aucune raison médicale ou sorte de consentement ne peut donc justifier le fait de cette privation. Perpétrés en connaissance des circonstances pouvant à suffisance illustrer une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile, ces forfaits s’inscrivent dans un contexte et un état d’esprit pouvant attester l’existence d’un crime contre l’humanité.

C. Un contexte reflétant l’état d’esprit spécifique à ces crimes

Bien des comportements attentatoires à l’environnement peuvent permettre d’illustrer au titre de tel ou tel crime sous-jacent la qualification des crimes contre l’humanité ou de crime de génocide. Rares sont cependant ceux qui parviennent effectivement à réunir les éléments constitutifs de ces crimes. Il s’avère parfois difficile d’associer ces dommages écologiques à un contexte criminel approprié. Lorsqu’on essaie de le faire, on se rend souvent compte du fait que leur gravité et/ou leur nature ne suffisent pas pour valider l’essence criminogène assignée au crime de génocide[107] ou au crime contre l’humanité[108]. C’est là justement l’occasion de souligner le fait que nonobstant leur offense sur les droits intangibles de la personne[109], l’assimilation des dommages écologiques au crime contre l’humanité ou au crime de génocide dépend de la déshumanisation ou de la finalité discriminatoire et destructrice pouvant y résulter. La spécificité de ces crimes repose essentiellement sur le contexte ayant entouré la réalisation des actes matériels y relatifs[110]. Ce contexte permet justement de structurer l’état d’esprit criminel[111].

Cette spécificité tient, s'agissant du crime contre l'humanité, des caractères généralisés ou systématiques identifiant l’attaque constitutive de l'incrimination[112]. Ainsi donc, s’identifiant à une quelconque infraction sous-jacente, un dommage environnemental revêt le qualificatif de crime contre l’humanité lorsqu’au-delà de ses répercussions humaines, il est réalisé dans un contexte pouvant mettre en lumière une attaque généralisée ou systématique lancée contre la population civile. La connaissance de ces facteurs atteste le fait que l’auteur aurait dû savoir que de tels comportements déboucheraient inévitablement sur une négation de l’humanité[113].

Les affaires Trafigura et Chevron/Texaco permettent d’étayer ces affirmations. Le contexte ayant entouré le largage des tonnes des résidus hautement toxiques dans quelques quartiers d’Abidjan en 2006 conforte à suffisance la thèse de la faisabilité d’un crime de masse[114] ou de système[115] à connotation écologique portant atteinte à l’humanité de l’individu. Il n’en demeure pas moins illustratif du cas de rejet des résidus pétroliers par la société Chevron dans la forêt amazonienne. Plusieurs faits légitiment le décryptage du caractère généralisé ou systématique inhérent à ces conséquences constitutives de meurtre, d’atteinte grave à l’intégrité physique, de stérilisation forcée, etc. Les rapports renseignent plus d’une dizaine des morts instantanées, des conséquences sanitaires évidentes sur des milliers des personnes, des cas de légions de stérilités[116]. Le nombre des victimes de ces forfaits écologiques atteste la généralisation de la situation. Et que dire de la régularité ayant circonstancié la pollution de la forêt amazonienne par le fait de Chevron? Les informations renseignent que cette entreprise s’est réalisée durant trente ans[117]. La fréquence de ces comportements et sa répétitivité illustrent la généralisation du crime[118].

S’agissant de l’aspect planificateur, le cas Chevron/Texaco intéresse à plus d’un titre. À observer de près, le comportement de cette société illustre à suffisance une politique planificatrice. Ayant en effet constaté que les boues toxiques dégagées par le forage étaient simplement stockées dans les bassins non couverts avec, pour conséquence, le débordement de ces derniers vers les cours d’eau, la société Texaco va ouvrir les routes vers les villages pour évacuer ces déchets[119]. Ce fait illustre néanmoins une politique bien jugulée en vue de se débarrasser de ces déchets à coût réduit et au mépris des conséquences sur l’humanité. C’est dans ce même ordre d’idées qu’il importe de souligner que les péripéties ayant illustré le largage des déchets hautement toxiques à Abidjan attestent une planification. Les enquêtes renseignent que la société Trafigura a pris contact avec plusieurs sociétés locales pour apprécier le prix préférable, choisir des matériels adaptés et des moments convenables pour se faire[120]. Tout ceci atteste une minutie criminelle caractérisant l’aspect planificateur, si bien qu’il soit difficile, voire impossible, de prouver, dans le chef de ces sociétés multinationales, un mobile manifestement criminel certifiant la survenance d’une attaque généralisée ou systématique contre la population civile. Transparaissant sans doute que le but ultime à la base de toutes ces manoeuvres se trouvait être le profit à tirer en se débarrassant facilement et à un coût minime de ces déchets toxiques, il se révèle que le mobile de ces largages est lucratif[121].

Dans cette quête protectrice de l’humanité, le crime de génocide se singularise du crime contre l’humanité par l’idée d’une humanité inclusive à l’épreuve d’une destruction identitaire[122]. Tout actus reus identifiant le génocide consacre l’exclusion identitaire d'un groupe identifiable de l'ensemble d'une communauté sociologique et/ou juridique donnée [123]. Il se superpose ainsi un dol général et un dol spécial s’inscrivant dans un contexte criminel spécifique[124]. Cela traduit l’idée d’un dessein criminel orienté par un mobile discriminatoire et réalisé au moyen d’une destruction. Il va falloir dès lors concevoir, à côté de ce dol spécial, une intention de commettre le meurtre, de soumettre le groupe à des conditions d’existence intenables, d’atteindre gravement les fonctions physiques, d’entraver les naissances, etc. C’est dans ce moule conceptuel que doit s’inscrire l’idée d’un génocide environnemental. Il va sans dire que le dommage écologique envisagé au titre d’un de ces crimes sous-jacents est constitutif de crime de génocide dans le seul cas où il vise à détruire en tout ou en partie un groupe. Prenons à titre d’exemple, l’empoisonnement d’une rivière utilisée comme breuvage par une communauté nationale, raciale ou religieuse identifiable.

Il est dommage qu’à ce jour aucune décision judiciaire définitive ne permette d’étayer ces cas illustratifs, excepté l’affaire Al-Bashir qui exemplifie le génocide environnemental[125]. Il est curieusement constaté qu’au regard de cette possibilité, bien des comportements anti-environnementaux de cette trame sont restés impunis. Or, multiples situations inscrivant la destruction substantielle de l’environnement se rapprochent à ces qualifications. C’est sur cette lancée qu’il faut justement souligner le courage des avocats du collectif des victimes et les ONG dans l’affaire Chevron/Texaco qui se sont illustrés à écrire à la Procureure de la CPI afin de solliciter au titre de crime contre l’humanité des enquêtes préliminaires[126]. Il est cependant curieux de faire remarquer que depuis lors, cette correspondance n’a requis aucune réaction de la part de la Procureure et aucune enquête préliminaire n’a été initiée dans ce sens[127]. Pourtant, abordant les urgences devant guider sa politique des poursuites, la même procureure souligne, à travers le Document de politique générale de 2016, qu’elle s’intéressait « particulièrement aux crimes visés au Statut de Rome impliquant ou entrainant, entre autres, des ravages écologiques »[128]. Dans l’affaire Trafigura, pouvant permettre d’observer à juste titre la réunion des éléments constitutifs de crime contre l’humanité, aucun acteur n’envisage la possibilité de saisir la CPI, si bien que le collectif des victimes peine à accéder au droit et à la justice[129].

III. À quoi servirait alors une incrimination autonome? 

Il se confirme en partant d’une lecture essentiellement interprétative des dispositions du Statut de Rome que, à l’instar des éléments constitutifs des crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et de génocide permettent de saisir les atteintes écologiques perpétrées aussi bien en temps de conflit armé qu’en temps de paix. Cela validerait-il, dans ce cas, la thèse soutenant l’impertinence d’une incrimination de plus au coeur du Statut de Rome au titre d’un cinquième crime contre la paix et la sécurité de l’humanité visant à cerner juridiquement les graves atteintes écologiques commises en temps normal?

Il est bien vrai que les conséquences pouvant résulter de ces crimes sur les personnes permettent d’assimiler dans bien des cas certains comportements gravement attentatoires à l’environnement, pourvu qu’ils affectent l’humanité censée être protégée ce faisant. Il n’est pas cependant sans ignorer le fait que la volonté des rédacteurs à la base de la conception de ce texte n’était pas d’envisager une incrimination par déduction de graves atteintes écologiques[130]. Cette catégorisation criminelle était bien entendu projetée lors des travaux de codification des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité dans la perspective de l’article 19 sur le projet d’articles relatifs à la responsabilité de l’État[131]. Tout le problème a justement résidé dans l’interprétation de la finalité devant guider cet objectif : protéger l’environnement pour réduire les conséquences de sa destruction sur l’homme ou protéger l’environnement en vue de penser à son intégrité même. Il est vrai que la condescendance anthropocentrique militant en faveur de la démarche codificatrice du droit international pénal ne pouvait qu’influencer cette question. La portée de la cruauté écologique ayant illustré l’utilisation de l’Agent orange par l’armée américaine au Vietnam a cependant permis de mettre en relief l’urgence de cerner la question dans une perspective équilibriste inscrivant une finalité intrinsèque de protéger la nature[132]. Qu’à cela ne tienne, la première ébauche résolut d’inscrire la tendance anthropocentrique à travers l’inclusion de graves atteintes écologiques dans l’essence criminogène des crimes contre l’humanité[133]. Faisant face à cette hégémonie humaniste, une avalanche des plaidoiries écocentrées[134] structure la nécessité d’un projet considérant, dans l’océan anthropocentrique, par équilibre une bonne dose d’écocentrisme. C’est fort de cet aspect qu’il s’impose d’orienter la criminalisation des comportements gravement attentatoires à l’environnement dans le sens d’une catégorie autonome à visage essentiellement écologique au coeur des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Il en va de l’article 26 sur les crimes contre l’environnement[135] qui, de justesse, ne survivra pas à l’épreuve de l’approbation du président du groupe de travail censé l’intégrer dans le corps de ce qui constitue actuellement l’incrimination des atteintes à la paix et la sécurité de l’humanité[136].

Force est d’admettre, partant de ce qui précède, le fait qu’il transparait dès lors un vide juridique s’agissant de la criminalisation de graves atteintes écologiques perpétrées en temps de paix. Le Document de la Procureure sur la sélection et la hiérarchisation des affaires atteste à suffisance la nécessité d’incriminer les graves atteintes écologiques commises en temps de paix au titre d’un crime à part entière de la compétence de la CPI[137]. Le Statut de Rome, moins encore un quelconque texte de droit international pénal, ne criminalise pas ces actes. Il s’impose donc un réel besoin de les prendre juridiquement en charge. Doit-on alors s’en tenir à la volonté des rédacteurs qui ne les ont pas envisagés comme tels, ou se servir des méthodes d’interprétation du droit international pour pouvoir ressortir leurs identités criminogènes à travers les incriminations existantes? Cette préoccupation fait ressortir deux orientations qui permettent de situer la réponse tant dans une dimension idéaliste que dans une dimension pragmatique. Il est sans doute bien établi qu’une incrimination autonome permettra de bien cerner tous les contours liés à la définition de ces atteintes, à l’équilibre inhérent aux conflits des finalités dans un instrument conventionnel par excellence anthropocentrique[138] et à la mise en évidence de la valeur suprême protégée[139]. Cette hypothèse se trouve être la solution parfaite à même de combler le vide accusant l’impunité grandissante de la criminalité écologique. Elle permettra d’appréhender, de la manière la plus efficace, tous les multiples forfaits écologiques perpétrés par les multinationales. C’est sur cette lancée que chemine d’ailleurs le projet rassembleur[140] adopté dans le cadre de Stop Écocide au mois de juin 2021 et présenté à l’Assemblée des États parties du Statut de Rome au mois de décembre de la même année[141].

Il demeure cependant préoccupant de souligner les difficultés et problèmes liés à la faisabilité d’un tel projet qui, au-delà de son contenu, nécessite de réviser le Statut de Rome ou d’adopter une convention tout entière pour se faire[142]. Considérant les conditions d’effectivité d’un instrument conventionnel au regard des enjeux de l’heure et de la réalité internationale, il faut être honnête pour souligner le fait qu’un projet visant une incrimination autonome n’est pas évident d’ici moins d’une dizaine d’années. On peut aussi douter de sa réalisation même après autant d’années. Les textes renseignent qu’il faudra au minimum l’adhésion de quatre-vingt-deux États parties du Statut de Rome[143]. Pourtant, cette nature de criminalité écologique ne cesse de croître et les impératifs justifiant sa répression ne font qu’interpeller la conscience de l’humanité sur les responsabilités à prendre. Ne vaudrait-il pas, devant cette réalité, de s’approprier et de soutenir l’idée de réprimer cette criminalité à l’aide des crimes du Statut de Rome comme démontré ci-haut ? En attendant que se réalise la proposition d’un cinquième crime contre la paix et la sécurité de l’humanité, le juge peut se servir des méthodes d’interprétation du droit international pour devoir assimiler bien des comportements gravement attentatoires à l’environnement au crime contre l’humanité ou au crime de génocide. Cela permettra justement de cerner les multiples atteintes écologiques réalisées par-ci par-là de manière systématique et intentionnelle par les multinationales et les écomafias qui échappent depuis bien longtemps à la rigueur du juge.

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Le besoin de rencontrer la teneur des atrocités massives portées sur l’environnement justifie l’intérêt d’une démarche de juridicisation visant à saisir leur caractère criminogène dans l’ordre international. C’est à ce titre qu’il importe d’inscrire dans cet effort d’identification l’existence d’une incrimination incomplète limitée aux graves atteintes écologiques perpétrées en temps de conflit armé à travers la définition des crimes de guerre. Les forfaits perpétrés en temps normal ne sont donc pas criminalisés par le Statut de Rome de la CPI. Le paradoxe entre la multiplication vertigineuse de ces genres de comportements en temps de paix et leur rareté dans le contexte de belligérance accentue davantage la nécessité de consacrer une incrimination autonome au coeur de la vocation répressive du droit international. Il faudra dès lors intégrer dans le Statut de Rome de la CPI un cinquième crime contre la paix et la sécurité de l’humanité répondant au nom d’écocide. Pourtant, les enjeux de l’heure ne permettront pas la matérialisation d’un tel projet dans un futur proche. Entre-temps, l’on s’aperçoit que la définition des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide ressort quelques actes matériels pouvant, à travers la fonction interprétative du juge international, permettre de cerner la casuistique de la perpétration des dommages gravement attentatoires à l’environnement en temps de paix. Le juge pourra, à travers l’interprétation évolutive ou déductive, appréhender l’essence écologique des actus reus des crimes contre l’humanité et de génocide. L’on peut donc s’appuyer sur cette possibilité interprétative du juge, en attendant l’avènement d’un crime d’écocide dans le Statut de Rome, pour devoir combler ces lacunes du droit positif à l’endroit de milliers d’actes constitutifs d’atteinte écologique grave commis par des multinationales et les écomafias. Cette possibilité ne s’éloigne pas à proprement parler de l’hypothèse jadis évoquée dans le cadre de la Commission du droit international visant à intégrer dans la définition des crimes contre l’humanité un acte matériel relatif aux dommages gravement attentatoires à l’environnement survenus en temps normal. Cela remet à la surface le débat sur le destin anthropocentrique de l’incrimination des comportements d’atteinte écologique.