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Cet ouvrage est paru en septembre 2021, dans l’actualité de la première vision du Réseau express de la Capitale (REC) présentée en avril par le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Le REC marie deux projets d’infrastructures de transport jusqu’alors indépendants et opposés dans leur promotion : le troisième lien entre Québec et Lévis (alors un tunnel routier contenant six voies, long de 8,3 km et large de 19,4 m, au coût estimé de 9,45 G$) qui doit faciliter la circulation automobile, mais qui risque d’en induire, ainsi que de l’étalement urbain; et le Réseau structurant de transport en commun (RSTC), qui mise sur une ligne de tramway pour accroître la qualité et l’usage du transport en commun à Québec, notamment afin de réduire la circulation automobile. Un réseau de voies réservées était aussi ajouté dans le plan du REC, par l’élargissement d’autoroutes sur la Rive-Nord, avec d’autres projets en transport sur la Rive-Sud à la suite d’une critique du premier ministre Legault ayant jugé que le RSTC ne desservait pas assez bien les banlieues. Promoteur du RSTC, Régis Labeaume restait réservé quant au projet du troisième lien. Le gouvernement des Libéraux de Justin Trudeau s’inquiétait pour sa part du prix, de la pertinence et des conséquences environnementales du troisième lien qu’il était appelé à financer en partie. Dans les médias, les opinions exprimées apparaissaient divisées entre pro-RSTC et pro-troisième lien, respectivement confrontées par des critiques anti-RSTC ou anti-tramway et anti-troisième lien.

En novembre, Labeaume a terminé son mandat en publiant une lettre contre le troisième lien, qui suggérait notamment l’alternative d’ajouter une voie dans le sens du trafic matin et soir sur le pont Pierre-Laporte. Le nouveau maire de Québec, Bruno Marchand, a rapidement fait sienne la promotion du tramway et du RSTC, auquel il a ajouté, sur les territoires de banlieues moins bien desservies, le déploiement du service de transport sur réservation Flexibus échelonné jusqu’en 2025. Les lecteurs trouveront une mise à jour sur l’évolution du projet de tramway et les dernières nouvelles qui s’y rapportent sur la page Internet Où en est le projet de tramway de Québec? créée par Radio-Canada (réactions aux sondages d’appui, aux voies partagées, à la coupe d’arbres, à des procédures judiciaires d’opposants au tramway contre la Ville de Québec et le Gouvernement du Québec, etc.). En avril, le Gouvernement de la CAQ a quant à lui annoncé une révision de sa vision du REC, remplaçant son tunnel par un bitube pour réduire les coûts et les risques associés à sa construction : une paire de tunnels de moindre diamètre contenant au total quatre voies, dont une réservée dans la direction du trafic. « Rééquilibrer » le développement de la région métropolitaine vers l’Est, faciliter l’accès à la propriété d’une maison pour les familles, prévenir les conséquences d’une fermeture éventuelle du pont Pierre-Laporte dont les suspentes sont usées et augmenter la productivité des travailleurs de la région se sont ajoutés à la liste des arguments controversés des promoteurs du troisième lien. Par ailleurs, au moment d’écrire ces lignes, l’expérience de la pandémie de COVID-19 et du télétravail ne semblent plus rendre les projets du RSTC et du troisième lien moins urgents pour leurs promoteurs, ce que soulevaient comme possibilité les auteurs de l’ouvrage.

Leur écrit de circonstance reste intéressant pour certaines propositions d’analyses devant aider à comprendre les fondements de positions opposées dans les polémiques sur le développement des transports, ainsi que pour leurs critiques de la validité de quelques arguments. À l’effort de la CAQ pour associer le développement du transport collectif à l’élargissement et l’ajout d’autoroutes, le chapitre 3 et la conclusion opposent une contre-proposition de troisième lien reliant les centres historiques de Québec et de Lévis uniquement ou principalement par transport collectif. L’élasticité de la demande lorsqu’on ajoute des voies pour les automobiles, la relocalisation des entreprises et des ménages en périphérie où l’espace coûte moins cher, l’augmentation des déplacements tentaculaires, le partage inéquitable des coûts entre tous les contribuables et la nécessité de rendre les modes de déplacements alternatifs à la voiture plus compétitifs pour qu’ils soient davantage utilisés sont les principaux arguments présentés par Jean Dubé à l’appui de cette proposition.

Le chapitre 1 explique que la congestion routière et les émissions de GES sont le côté obscur de l’étalement, en raison de la faible densité et de la configuration polycentrique de la région métropolitaine de Québec acquise dans sa conversion au système sociotechnique de l’automobilité. La tendance mondiale à l’individualisation des déplacements, de la consommation et des loisirs combinée à l’extension des banlieues accentue ces problèmes, face auxquels s’opposent deux visions de la modernité urbaine : mettre en commun les déplacements dans un plan d’offre de transport collectif qui structure mieux les déplacements; ou rendre les automobiles plus écologiques, maintenir et améliorer les infrastructures routières et développer des applications informatiques visant à réduire la congestion. Au terme de son analyse des débats depuis 2009, Emiliano Scanu discerne une opposition sous-jacente entre deux cultures : l’une qui prône un urbanisme de proximité et des infrastructures de transport actif et collectif, et l’autre qui tient à la liberté individuelle de choisir et de se déplacer avec un minimum d’entraves. Jean Mercier schématise quant à lui les positions polarisées des participants aux débats dans une « guerre culturelle » entre deux coalitions présentes partout en Occident. Celle qui est en faveur du transport en commun ferait confiance aux autorités publiques, à la science et aux experts et privilégierait un processus de décision par le haut pour rendre le cadre de la vie urbaine plus dense, économique et efficace dans des idéaux de respect de l’environnement, de partage et du bien commun. L’autre voudrait un respect des choix des individus et des familles, quels qu’ils soient, tels qu’ils s’exprimeraient sur un marché libre, plutôt que leur refoulement par une moralité et une rectitude politique et environnementale imposée par un secteur public dont l’action est susceptible d’empêcher la prospérité. Ce schéma nous semble surtout intéressant dans l’usage qui en est fait pour situer nombre de prises de position hors des appartenances pures, avec la reconnaissance que, pour plusieurs citoyens, la recherche de confort et de commodité se passe d’un choix de cohérence idéologique.

Rompre ou non avec la tendance à la dépendance de sentier dans l’aménagement des transports et du territoire de la région métropolitaine, telle est la question, et vis-à-vis d’elle, cet ouvrage situe Québec dans un moment charnière de son développement. À l’échelle du Québec, l’examen de la question devra prendre acte d’autres enjeux étroitement liés aux transports : l’accès à des logements abordables à proximité des lieux d’activité et des transports en commun, l’approvisionnement en véhicules électriques, l’adaptation des routines pour réduire les déplacements et la recharge aux heures de pointe, puis la dispersion métapolitaine du peuplement le long d’axes où l’automobile règne sans partage.