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Les grands projets de transport collectifs des régions de Montréal et de Québec ont fait beaucoup parler d’eux récemment, entre autres du fait des controverses qu’ils génèrent. En effet, il paraît difficile d’imprimer une nouvelle direction aux systèmes de transport des régions avoisinant les grandes villes québécoises qui semblent souffrir de dépendance automobile chronique. Le livre de Gérard Beaudet, urbaniste émérite et professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, se concentre sur le développement du transport collectif dans la grande banlieue montréalaise. En particulier, le professeur Beaudet se penche sur une évaluation terrain de la stratégie d’aménagement axé sur le transport en commun (transit-oriented development ou TOD) promue dans la grande région de Montréal par le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) ainsi que par le plan stratégique de développement (PSD) de l’autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

Dans les premiers chapitres, l’auteur pose les bases contextuelles de son étude, rappelant les liens importants entre l’urbanisation, le développement du système de transport et la dépendance envers l’automobile du territoire étudié. En effet, « entre 2006 et 2016, 83 % des nouveaux résidents de la région de Montréal se sont installés dans des milieux où l’usage de l’automobile domine largement » (p. 1). Vu de Québec où l’on s’imagine que Montréal est le milieu rêvé si on veut se débarrasser de son « char », Beaudet nous rappelle que c’est une grande région et que les quartiers limitrophes du centre-ville, qui ne représentent qu’une petite partie du territoire, diffèrent énormément de la réalité hors du centre, et que la croissance démographique ne se concentre pas au centre. Dans la grande banlieue montréalaise (comme ailleurs au Québec), les centres commerciaux et zones industrielles sont généralement à l’écart des grands axes de transport collectif, mais semblent plutôt greffés aux noeuds autoroutiers et bénéficient d’une surabondance de stationnements pour la plupart gratuits. Comment s’étonner alors du peu de succès de plusieurs projets d’aménagement axés sur le transport collectif en banlieue montréalaise? Beaudet constate en effet que « plusieurs aires dites de transit-oriented development (TOD) sont plutôt des aires de Transit-Adjacent Development (TAD) » (p. 34) – le TAD représentant un projet voulu comme un TOD qui ne réussit pas à provoquer le report modal tant attendu. Beaudet reconnaît d’emblée que le développement de 155 aires TOD prévues dans la CMM fait face à plusieurs défis : « le rôle joué par les autoroutes en ce qui concerne les choix d’emplacement commercial et industriel et ceux des modes de déplacements, de même que la diversification des motifs et des temporalités de la mobilité, ont rendu la tâche des décideurs, des planificateurs et des gestionnaires du transport collectif passablement ardue » (p. 71). Le problème, selon l’auteur, est que l’on cherche « à imposer à la banlieue des codes empruntés aux quartiers centraux » (p. 3). Cette première partie de l’ouvrage se termine par un chapitre où Beaudet dresse un historique compact, mais rigoureux, du développement des transports collectifs à Montréal et plus généralement dans les banlieues nord-américaines.

Ensuite l’auteur présente le contexte de l’adoption de la stratégie d’aménagement axé sur le transport en commun de la CMM. On voit déjà ici poindre certains des constats de l’étude terrain. En effet, selon l’auteur, même l’étude du contexte dans lequel est développée la stratégie TOD dévoile certains problèmes de gouvernance ou d’incohérence interne du document qui ne peuvent que miner la mise en oeuvre de la stratégie dans la banlieue. Par exemple, le double rôle de l’ARTM comme planificateur et coordonnateur, mais aussi comme exploitant du réseau de trains de banlieue (jusqu’à la réforme de 2018). Pour Beaudet, « l’improvisation et l’ingérence politique sont toujours de mise » (p. 100). Malheureusement, sans une connaissance préalable des récents projets de transport collectif de Montréal, il est parfois difficile de s’y retrouver dans cette section.

Le chapitre 4 est celui de l’analyse terrain où le professeur Beaudet émet un constat peu reluisant de la mise en oeuvre de la stratégie TOD de la CMM. On relève dans son propos six grandes catégories de problèmes : la gouvernance, l’urbanisme, la planification, la coordination entre transport comme tel et urbanisme, le transport et le libre marché. Ce constat exhaustif pour chacune des catégories est malheureusement très convaincant. Beaudet révèle ici certains angles morts dont il sera important de se préoccuper à l’avenir si l’on veut vraiment impulser un virage vers la mobilité durable dans la banlieue montréalaise, mais cela s’applique aussi dans une certaine mesure aux autres régions du Québec. Il s’agit en particulier de l’ingérence de la province dans le dossier de transport collectif, exemplifié ici par le cas du REM imposé par le haut alors que la ligne n’apparaît pas au PMAD, et de son gestionnaire CDPQ Infra qui n’est assujetti à aucune instance politique métropolitaine ou locale. Ce qui rappelle les multiples ingérences de la province dans le projet de tramway de Québec. Preuve que les constats peuvent parfois être généralisés au reste de la province.

Dans l’ensemble, cet ouvrage est très intéressant et saura plaire à quiconque s’intéresse aux défis du transport collectif en banlieue nord-américaine. Il a le mérite de traiter clairement et franchement des multiples problèmes auxquels font face les autorités organisatrices de transport en Amérique du Nord et ouvre le propos urbanistique à ceux de la gouvernance, de la coordination et des problèmes d’urbanisation liés au libre marché. Il s’agit ici d’un regard global sur les problèmes du transport collectif en banlieue ayant pour focale les aires TOD. Bien qu’au Québec le développement des aires TOD soit presque exclusif à la région montréalaise, les problèmes relevés, même ceux liés au développement particulier du système de transport de l’île de Montréal, ne paraissent pas si différents de ceux des autres grandes régions urbaines de l’Amérique du Nord et sauront intéresser les lecteurs de tous horizons.