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Dans le contexte où on s’inquiète du déclin éventuel du français au Québec et où l’immigration est la principale source d’accroissement de la population, il est important de se demander comment les langues utilisées à la maison et au travail par les immigrants et les non-immigrants ont évolué dans le temps[1].

L’objectif de ce texte est de présenter une vue d’ensemble de l’évolution entre 2001 et 2016 des langues utilisées à la maison et au travail dans la région métropolitaine de Montréal. Je vais le faire à partir de deux indices provenant des données du recensement, soit un indice d’intensité d’utilisation d’une langue officielle canadienne[2] (le français ou l’anglais à la maison ou au travail) et un indice d’intensité d’utilisation du français par rapport à l’anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée. Cette approche est différente de celle habituellement utilisée qui consiste à comparer différentes catégories de réponses aux questions du recensement portant sur les langues utilisées principalement et régulièrement à la maison et au travail. Elle a l’avantage, en faisant quelques hypothèses raisonnables, de simplifier l’analyse en résumant plusieurs combinaisons de réponses en des chiffres faciles à interpréter.

Je vais d’abord expliquer comment les indices sont définis à partir des réponses aux questions des formulaires de recensement. Les valeurs de ces indices seront ensuite comparées dans le temps pour différents groupes d’immigrants selon le lieu d’origine et la période d’immigration. Les résultats montrent que le français a clairement progressé, mais que ce progrès demeure fragile à cause de l’importance croissante de l’immigration dans la population. Il faudra que les efforts réalisés jusqu’à maintenant se poursuivent.

Indices sur les langues utilisées à la maison et au travail

Dans le questionnaire détaillé des recensements de 2001, 2006 et 2016 et de l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011, une question principale et une question secondaire portent respectivement sur les langues utilisées à la maison et sur les langues utilisées au travail. La structure de ces questions est la même pour les deux enquêtes. La question principale porte sur la langue utilisée le plus souvent à la maison (au travail). La question secondaire porte sur les autres langues utilisées régulièrement à la maison (au travail). Les réponses possibles à la première question incluent l’anglais, le français ou une langue non officielle, mais plusieurs répondants ont aussi déclaré deux (ou même trois) langues utilisées également à la maison (au travail). À la deuxième question, on a les mêmes possibilités de réponses, y compris les égalités, en plus de « aucune » si seulement une langue est utilisée[3].

Il y a donc plusieurs combinaisons possibles de réponses à ces questions – 28, plus précisément (voir par exemple Statistique Canada, 2020, tableau 9) – ce qui en complique l’analyse. Plusieurs de ces combinaisons font l’objet d’un très petit nombre d’observations, mais une dizaine d’entre elles sont pertinentes, ce qui reflète la diversité des comportements linguistiques. L’analyse de ces réponses peut devenir rapidement assez fastidieuse et plusieurs chiffres sont parfois nécessaires pour décrire la situation d’un groupe donné. Les mêmes personnes peuvent être comptées deux fois si elles utilisent deux langues, ce qui peut causer des problèmes (Paillé, 2019).

Pour organiser et simplifier la présentation des résultats, nous avons construit deux indices prenant des valeurs entre 0 et 100 (Grenier et Nadeau, 2016; Grenier 2019; Bousmah, Grenier et Gray, 2021; Bousmah et Grenier, 2021). Le premier indice porte sur l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle canadienne (l’anglais ou le français) à la maison (au travail), et le deuxième sur l’intensité de l’utilisation du français par rapport à l’anglais à la maison (au travail) pour les répondants qui ont indiqué utiliser une langue officielle canadienne (la majorité). L’utilisation de deux indices permet de séparer deux types de décision : d’abord, si on utilise ou non une langue officielle; et si oui, laquelle[4].

Ces indices reposent sur des hypothèses simplificatrices, mais ils ont l’avantage de résumer en deux chiffres une information qui en nécessiterait plusieurs si l’on prenait en compte les différentes combinaisons de réponses possibles. Pour les deux indices, la façon de procéder est la même. Si une langue est utilisée seule à la maison (au travail) par une personne, elle prend la valeur 100; si deux langues sont utilisées également, elles prennent chacune la valeur 50; et si une langue est utilisée principalement et une autre régulièrement, la première prend la valeur 75 et la deuxième la valeur 25. Ces hypothèses sont arbitraires, mais elles semblent raisonnables compte tenu de l’information disponible.

Pour l’indice d’intensité d’utilisation d’une langue officielle canadienne, l’anglais et le français sont traités sur le même pied, comme s’ils étaient une seule langue, et on considère comment ils se situent par rapport aux langues non officielles. L’indice prend les valeurs suivantes :

  • 0 si seulement une langue non officielle est utilisée le plus souvent et aucune langue officielle n’est mentionnée à la deuxième question;

  • 25 si seulement une langue non officielle est utilisée le plus souvent et une langue officielle est mentionnée à la deuxième question;

  • 50 si la réponse à la première question inclut une langue officielle en même temps qu’une langue non officielle;

  • 75 si l’anglais, le français ou à la fois le français et l’anglais est utilisé le plus souvent et une langue non officielle est mentionnée à la deuxième question;

  • 100 si l’anglais, le français ou à la fois le français et l’anglais est utilisé le plus souvent et aucune langue non officielle n’est mentionnée à la deuxième question.

Pour l’indice d’intensité d’utilisation du français par rapport à l’anglais, on ignore les langues non officielles et on considère seulement la relation entre le français et l’anglais. L’indice prend les valeurs suivantes :

  • 0 si l’anglais est utilisé le plus souvent (avec ou sans une langue non officielle) et le français n’est pas utilisé régulièrement, ou si seulement une langue non officielle est utilisée le plus souvent, l’anglais est utilisé régulièrement et le français n’est pas utilisé régulièrement;

  • 25 si l’anglais est utilisé le plus souvent (avec ou sans une langue non officielle) et le français est utilisé régulièrement (avec ou sans une langue non officielle);

  • 50 si l’anglais et le français sont utilisés également le plus souvent, ou si seulement une langue non officielle est utilisée le plus souvent, et le français et l’anglais sont utilisés également régulièrement;

  • 75 si le français est utilisé le plus souvent (avec ou sans une langue non officielle) et l’anglais est utilisé régulièrement (avec ou sans une langue non officielle);

  • 100 si le français est utilisé le plus souvent (avec ou sans une langue non officielle) et l’anglais n’est pas utilisé régulièrement, ou si seulement une langue non officielle est utilisée le plus souvent, le français est utilisé régulièrement et l’anglais n’est pas utilisé régulièrement.

On assigne donc une valeur à ces indices pour chaque individu, ce qui permet ensuite de calculer des moyennes pour différents groupes de la population[5]. Pour une minorité de personnes qui n’utilisent que des langues non officielles, le deuxième indice n’est pas défini. Pour les langues utilisées à la maison, les indices portent sur toute la population. Pour les langues utilisées au travail, ils portent seulement sur les personnes ayant travaillé.

Dans un document sur l’interprétation des données, Statistique Canada (2020) s’abstient de faire ce genre de comparaison en disant que, si une langue est utilisée plus souvent qu’une autre à la maison (au travail), on ne peut pas savoir dans quelle mesure elle l’est et on ne peut considérer que l’ordre d’importance donné par les répondants. Cela est vrai en principe, mais cela force à représenter une situation par plusieurs chiffres. Pour simplifier, les auteurs qui ont travaillé avec ces données ont décidé d’utiliser seulement une partie de l’information, ou de faire des hypothèses sur la façon d’interpréter les réponses quand deux langues sont utilisées également (voir par exemple Statistique Canada, 2017; 2020; Houle et Corbeil, 2019; Paillé, 2019; Arsenault Morin et Geloso, 2020). Ces méthodes sont valables, mais les indices utilisés ici ont l’avantage de résumer toute l’information de façon concise.

Dans l’analyse qui suit, je me suis servi des micro-données publiques des particuliers des recensements de 2001, 2006 et 2016 et de l’ENM de 2011[6]. Il s’agit d’un échantillon de 2,7 % de l’ensemble de la population. L’avantage est qu’on peut facilement recouper ces indices avec toutes les variables incluses dans le recensement. Il est aussi possible de calculer ces indices en utilisant les produits de données disponibles de Statistique Canada[7].

Pour donner une idée des résultats, dans l’ensemble de la région métropolitaine de Montréal en 2016, la valeur moyenne de l’indice d’intensité d’utilisation d’une langue officielle à la maison est de 85,0 et celui au travail est de 98,4. Une interprétation possible, dont je vais me servir dans l’analyse qui suit, est que ces indices donnent une approximation de la proportion du temps durant lequel on utilise une langue officielle par rapport à une langue non officielle, soit 85 % du temps à la maison et 98,4 % du temps au travail. En ce qui concerne les indices d’intensité de l’utilisation du français, dans la région métropolitaine de Montréal en 2016, ils sont respectivement de 77,8 à la maison et de 71,6 au travail. Ici encore, on peut interpréter en disant que, lorsqu’on utilise une langue officielle, il s’agit du français 77,8 % du temps à la maison et 71,6 % du temps au travail.

Langues utilisées à la maison et au travail par les immigrants et les non-immigrants de 2001 à 2016

L’évolution du français au Québec dépend en grande partie du comportement des immigrants et l’analyse qui suit porte donc principalement sur eux. Le tableau 1 présente les deux indices définis précédemment pour les non-immigrants et les immigrants dans la région métropolitaine de Montréal en ce qui concerne les langues utilisées à la maison entre 2001 et 2016. Les non-immigrants, c’est-à-dire les personnes nées au Canada, utilisent presque toujours, soit plus de 95 % du temps, une langue officielle canadienne à la maison et ce pourcentage est demeuré assez constant durant la période entre 2001 et 2016. De leur côté, les immigrants utilisent une langue officielle canadienne à la maison à peu près la moitié du temps et ce pourcentage a légèrement augmenté durant la période.

Tableau 1

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français À LA MAISON, non-immigrants et immigrants, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français À LA MAISON, non-immigrants et immigrants, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Note : Les indices prennent des valeurs entre 0 et 100 et peuvent être interprétés comme le pourcentage du temps qu’une langue est utilisée à la maison : langue officielle par rapport à langue non officielle, et français par rapport à anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée.

Source : Recensements du Canada de 2001, 2006 et 2016 et Enquête nationale auprès des ménages de 2011, fichiers de micro-données des particuliers.

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En ce qui concerne le français à la maison, les non-immigrants le parlent un peu plus de 81 % du temps lorsqu’ils utilisent une langue officielle canadienne et cela n’a pas changé durant la période. De leur côté, lorsqu’ils font usage d’une langue officielle canadienne, les immigrants utilisent le français proportionnellement beaucoup moins que les non-immigrants, entre la moitié et les deux tiers du temps seulement. Cependant, l’indice a augmenté considérablement durant la période. En 2001, lorsque les immigrants employaient une langue officielle canadienne, il s’agissait du français 54,7 % du temps alors que ce pourcentage est passé à 66,2 % en 2016. Ces chiffres suggèrent un progrès évident dans l’attrait du français chez les immigrants. Cependant, pour la population totale, soit la somme des non-immigrants et des immigrants, l’indice demeure constant durant toute la période autour de 78. C’est que la proportion d’immigrants, comme la dernière ligne du tableau l’indique, a beaucoup augmenté, passant de 18,4 % de la population en 2001 à 23,3 % en 2016. Comme les immigrants utilisent en moyenne moins le français que les non-immigrants, cela a affaibli les succès du français. Cependant, ces chiffres ne montrent pas un déclin du français, ils montrent une situation globalement stable.

Le tableau 2 présente les mêmes résultats pour les langues de travail. L’intérêt du premier indice, celui sur l’utilisation d’une langue officielle, est moins grand pour les langues de travail que pour les langues à la maison. Presque tout le temps, on travaille dans une langue officielle canadienne, mais les immigrants utilisent quand même une langue non officielle 5 ou 6 % du temps. Pour les non-immigrants, la valeur de l’indice est près de 100.

Tableau 2

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français AU TRAVAIL, non-immigrants et immigrants, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français AU TRAVAIL, non-immigrants et immigrants, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Note : Les indices prennent des valeurs entre 0 et 100 et peuvent être interprétés comme le pourcentage du temps qu’une langue est utilisée au travail : langue officielle par rapport à langue non officielle, et français par rapport à anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée.

Source : Recensements du Canada de 2001, 2006 et 2016 et Enquête nationale auprès des ménages de 2011, fichiers de micro-données des particuliers.

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En ce qui concerne l’intensité du français par rapport à l’anglais, les non-immigrants se servent du français environ les trois quarts du temps et cela est resté assez constant durant toute la période. Chez les immigrants, on remarque une situation semblable à celle concernant les langues à la maison. Ils utilisent moins le français que les non-immigrants, mais leur usage du français a augmenté, de 54,7 % du temps en 2001 à 61,0 % du temps en 2016. Donc, il y a progrès pour le français, quoiqu’un peu moindre que celui pour les langues à la maison. Mais ici encore, le progrès est atténué par l’augmentation de la proportion d’immigrants dans la population, comme le montre la dernière ligne du tableau 1. Il en résulte que l’usage du français au travail est globalement resté stable.

Langues utilisées à la maison et au travail par les immigrants selon leur lieu de naissance

Les immigrants ne sont pas un groupe homogène et il faut regarder comment les langues utilisées à la maison et au travail diffèrent selon diverses caractéristiques. Le tableau 3 montre l’évolution des deux indices pour les langues utilisées à la maison selon le continent d’origine des immigrants, à savoir les Amériques, l’Europe, l’Afrique et l’Asie. À l’exception de ceux venant des Amériques, les immigrants ont tendance dans les années récentes à employer une langue officielle canadienne à la maison un peu plus souvent que par le passé. Pour ce qui est de l’usage du français, celui-ci a augmenté de façon substantielle pour trois des quatre continents considérés. Entre 2001 et 2016, l’accroissement est d’environ dix points de pourcentage pour les immigrants venant des Amériques, de l’Europe et de l’Afrique. Par exemple, pour les immigrants venus d’Afrique, le français est utilisé à la maison 88,6 % du temps en 2016, alors qu’il l’était seulement 79,0 % du temps en 2001. Les immigrants venus de l’Asie utilisent beaucoup moins le français à la maison, un peu plus de 40 % du temps en moyenne durant toute la période.

Tableau 3

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français À LA MAISON, immigrants selon le CONTINENT D’ORIGINE, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français À LA MAISON, immigrants selon le CONTINENT D’ORIGINE, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Note : Les indices prennent des valeurs entre 0 et 100 et peuvent être interprétés comme le pourcentage du temps qu’une langue est utilisée à la maison : langue officielle par rapport à langue non officielle, et français par rapport à anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée.

Source : Recensements du Canada de 2001, 2006 et 2016 et Enquête nationale auprès des ménages de 2011, fichiers de micro-données des particuliers.

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Concernant le marché du travail, le tableau 4 indique que les immigrants travaillent principalement dans une langue officielle canadienne durant toute la période. Ceux qui viennent d’Asie utilisent une langue non officielle plus que les autres, autour de 10 % du temps. L’usage du français au travail a augmenté significativement pour les immigrants d’Amérique, d’Europe et d’Afrique, comme c’était le cas à la maison. Ainsi, en 2016, les immigrants venus d’Afrique utilisent le français 74,7 % du temps, presque autant que les non-immigrants. Ici encore, les immigrants venus d’Asie emploient beaucoup moins le français au travail, soit autour de 40 % du temps, et il n’y a pas eu de changement important durant la période.

Tableau 4

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français AU TRAVAIL, immigrants selon le CONTINENT D’ORIGINE, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français AU TRAVAIL, immigrants selon le CONTINENT D’ORIGINE, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Note : Les indices prennent des valeurs entre 0 et 100 et peuvent être interprétés comme le pourcentage du temps qu’une langue est utilisée au travail : langue officielle par rapport à langue non officielle, et français par rapport à anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée.

Source : Recensements du Canada de 2001, 2006 et 2016 et Enquête nationale auprès des ménages de 2011, fichiers de micro-données des particuliers.

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Pour une comparaison plus fine selon l’origine des immigrants, les tableaux 5 et 6 présentent les indices en 2016 pour quelques régions et pays d’origine, respectivement en ce qui concerne les langues à la maison et les langues au travail[8]. Au tableau 5, on peut voir que les transferts linguistiques à la maison vers une langue officielle canadienne varient beaucoup entre les régions d’origine. Les immigrants de Chine, du Vietnam et de l’Inde sont ceux qui utilisent le moins une langue officielle canadienne à la maison. L’usage du français varie aussi beaucoup en fonction de l’origine : les immigrants des pays plus proches linguistiquement et culturellement du français s’en servent beaucoup plus à la maison[9]. Ainsi, les immigrants qui utilisent le plus le français à la maison sont ceux de France, d’Afrique du Nord et des Caraïbes (principalement Haïti). À l’inverse, ceux des Philippines, de l’Inde, des États-Unis et de la Chine utilisent très peu le français à la maison.

Tableau 5

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français À LA MAISON, immigrants selon quelques régions de naissance, région métropolitaine de Montréal, 2016

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français À LA MAISON, immigrants selon quelques régions de naissance, région métropolitaine de Montréal, 2016

Note : Les indices prennent des valeurs entre 0 et 100 et peuvent être interprétés comme le pourcentage du temps qu’une langue est utilisée à la maison : langue officielle par rapport à langue non officielle, et français par rapport à anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée.

Source : Recensements du Canada de 2001, 2006 et 2016 et Enquête nationale auprès des ménages de 2011, fichiers de micro-données des particuliers.

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Concernant le marché du travail, le tableau 6 montre que la majorité des immigrants utilisent une langue officielle canadienne plus de 90 % du temps, les exceptions étant encore ceux de Chine et du Vietnam. En général, les groupes qui utilisent le plus le français à la maison font de même sur le marché du travail. Les immigrants de France, des Caraïbes et d’Afrique travaillent en français plus des trois quarts du temps. À l’opposé, ce sont ceux des Philippines qui travaillent le moins en français, seulement 12,4 % du temps, suivis de ceux de l’Inde, des États-Unis et de la Chine.

Tableau 6

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français AU TRAVAIL, immigrants selon quelques régions de naissance, région métropolitaine de Montréal, 2016

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français AU TRAVAIL, immigrants selon quelques régions de naissance, région métropolitaine de Montréal, 2016

Note : Les indices prennent des valeurs entre 0 et 100 et peuvent être interprétés comme le pourcentage du temps qu’une langue est utilisée au travail : langue officielle par rapport à langue non officielle, et français par rapport à anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée.

Source : Recensements du Canada de 2001, 2006 et 2016 et Enquête nationale auprès des ménages de 2011, fichiers de micro-données des particuliers.

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Langues utilisées à la maison et au travail par les immigrants selon la période d’immigration

Pour voir comment les choses ont évolué dans le temps, et pour évaluer comment elles pourraient le faire dans l’avenir, on peut comparer les immigrants arrivés à différentes périodes. Dans le tableau 7, on présente les deux indices pour la langue utilisée à la maison pour les immigrants arrivés avant 1980 et pour différentes cohortes successives d’immigrants jusqu’à ceux arrivés en 2014. Comme on a des observations sur quatre années différentes, on peut observer comment le comportement d’une cohorte d’immigrants a changé à travers le temps. On peut aussi évaluer les différences pour une même année entre les immigrants arrivés à diverses périodes. Pour ce qui est de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle canadienne, on peut voir que les immigrants arrivés avant 1980, ceux d’avant la Loi 101, se servent plus d’une langue officielle canadienne que les autres à la maison, presque 60 % du temps, alors que ceux arrivés après ont plus tendance à conserver leur langue à la maison, faisant usage d’une langue officielle canadienne à peu près la moitié du temps ou un peu moins. Pour toutes les cohortes, il y a tendance à travers le temps à augmenter l’utilisation d’une langue officielle.

La deuxième partie du tableau 7 indique l’intensité de l’utilisation du français lorsque les immigrants utilisent une langue officielle canadienne. Les résultats sont intéressants et montrent un contraste clair entre les immigrants arrivés avant 1980 et ceux arrivés après. Les premiers font beaucoup moins usage du français que les seconds. Pour chacun des recensements, les immigrants arrivés avant 1980 utilisent le français moins de la moitié du temps, l’indice augmentant légèrement dans le temps. En revanche, toutes les cohortes d’immigrants arrivées après 1980 utilisent le français plus de 60 % du temps. Il s’agit d’un changement considérable. En outre, plus les immigrants sont arrivés récemment, plus grande est leur utilisation du français à la maison. Ainsi, en 2016, ceux arrivés entre 1980 et 1989 utilisaient le français 64,2 % du temps, alors que ceux arrivés entre 2010 et 2014 le faisaient 77,8 % du temps. Un autre fait intéressant à noter est que le comportement de chaque cohorte d’immigrants change peu dans le temps; une fois qu’un groupe a adopté une langue officielle à la maison, il la conserve. Cependant, ce qui a beaucoup changé, c’est le comportement des cohortes récentes qui utilisent beaucoup plus le français.

Tableau 7

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français À LA MAISON, immigrants selon la PÉRIODE D’IMMIGRATION, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français À LA MAISON, immigrants selon la PÉRIODE D’IMMIGRATION, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Note : Les indices prennent des valeurs entre 0 et 100 et peuvent être interprétés comme le pourcentage du temps qu’une langue est utilisée à la maison : langue officielle par rapport à langue non officielle, et français par rapport à anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée.

Source : Recensements du Canada de 2001, 2006 et 2016 et Enquête nationale auprès des ménages de 2011, fichiers de micro-données des particuliers.

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Le tableau 8 sur les langues de travail montre des résultats semblables. L’usage d’une langue officielle canadienne augmente avec le temps passé au Canada pour chacune des cohortes, mais n’a pas beaucoup changé entre les cohortes. Pour ce qui est de l’utilisation du français au travail, il y a aussi un contraste entre les immigrants arrivés avant 1980 qui utilisent moins le français que ceux arrivés après, quoique l’écart soit moins important que pour les langues à la maison. Ainsi, en 2016, ceux arrivés avant 1980 utilisaient le français au travail 55,9 % du temps, alors qu’à l’autre extrême, ceux arrivés entre 2010 et 2014 l’utilisaient 64,5 % du temps. Ici encore, il n’y a pas beaucoup de changement à travers le temps pour une cohorte donnée, alors que les différences entre les cohortes sont importantes et favorisent une plus grande utilisation du français à travers le temps.

Tableau 8

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français AU TRAVAIL, immigrants selon la PÉRIODE D’IMMIGRATION, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Indices de l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle et de l’utilisation du français AU TRAVAIL, immigrants selon la PÉRIODE D’IMMIGRATION, région métropolitaine de Montréal, 2001-2016

Note : Les indices prennent des valeurs entre 0 et 100 et peuvent être interprétés comme le pourcentage du temps qu’une langue est utilisée au travail : langue officielle par rapport à langue non officielle, et français par rapport à anglais lorsqu’une langue officielle est utilisée.

Source : Recensements du Canada de 2001, 2006 et 2016 et Enquête nationale auprès des ménages de 2011, fichiers de micro-données des particuliers

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Le débat sur le français au Québec demeure très polarisé. Il y a perception que le français recule chez certains analystes (par exemple, Lacroix, 2020; Castonguay, 2019). D’autres, en revanche, sont plus optimistes (Auger, 2018; Corbeil, 2020; 2021). Vaillancourt (2019) a défini un indice composite du statut du français qui tient compte de facteurs économiques et démographiques. Il montre que le français a fait beaucoup de progrès dans les deux décennies qui ont suivi la loi 101, mais que l’indice s’est stabilisé et a même diminué légèrement à partir des années 1990.

Cette recherche a analysé la situation du français à la maison et au travail entre 2001 et 2016, en mettant l’accent sur les immigrants étant donné que la croissance future de la population dépendra principalement de l’immigration. Cela a été fait en utilisant deux indices définis à partir des questions sur les langues utilisées à la maison et au travail des recensements et de l’ENM. Cette approche diffère de celle utilisée habituellement qui consiste à comparer différentes catégories de réponses. Ces indices, qui prennent des valeurs entre 0 et 100, estiment respectivement l’intensité de l’utilisation d’une langue officielle canadienne à la maison (au travail) et l’intensité de l’utilisation du français par rapport à l’anglais lorsqu’une langue officielle canadienne est utilisée. On peut les interpréter comme représentant approximativement la proportion du temps qu’une langue officielle canadienne (le français ou l’anglais) est utilisée par rapport à une langue non officielle et la proportion du temps qu’on utilise le français lorsqu’une langue officielle est utilisée. Ils ont l’avantage de simplifier une information complexe en deux chiffres qu’on peut interpréter aisément.

Les résultats montrent un progrès notoire de l’utilisation du français chez les immigrants. Ils confirment ceux de Houle et Corbeil (2019) sur les langues de travail. L’utilisation du français est reliée fortement à l’origine des immigrants. Ceux dont la culture et la langue sont près du français ont naturellement tendance à l’utiliser après leur arrivée au Québec. C’est le cas entre autres des immigrants originaires d’Afrique. Au contraire, les immigrants de cultures et langues maternelles éloignées du français, comme ceux de Chine ou des Philippines, préfèrent de beaucoup utiliser l’anglais. Un résultat intéressant est que les immigrants récents tendent à utiliser beaucoup plus le français, à la fois à la maison et au travail, que les immigrants plus anciens. Cela est un signe encourageant, mais son effet est affaibli par le fait que la proportion d’immigrants dans la population a beaucoup augmenté. Globalement, les résultats montrent que la situation du français est demeurée stable. Du moins à partir de ces données, il n’y a pas eu de recul, contrairement à ce qu’on entend souvent dire.

Dans une perspective d’avenir, la situation du français demeure fragile. Le niveau de l’attrait de l’anglais, mesuré par la proportion de la population qui l’utilise à la maison ou au travail, est plus grand que la proportion de la population de langue anglaise. Ainsi, dans la région métropolitaine de Montréal en 2016, les personnes de langue maternelle anglaise comptent pour 12 % de la population, alors que l’anglais est utilisé à la maison et au travail respectivement 22 % et 28 % du temps (voir les tableaux 1 et 2 ci-dessus). Malgré le progrès du français, les immigrants se servent toujours moins du français à la maison et au travail que les non-immigrants. Comme la croissance de la population viendra principalement de l’immigration, il faudra que les progrès réalisés par les cohortes récentes d’immigrants se poursuivent. Les projections démographiques indiquent que la proportion de francophones va continuer à baisser dans les années 2030, principalement à cause de l’augmentation du nombre d’allophones, mais que la proportion d’anglophones va se maintenir, et même augmenter un peu, parce que plus d’immigrants s’intègrent à la communauté anglophone que la proportion d’anglophones dans la population (Houle et Corbeil, 2017). Une difficulté de l’intégration des immigrants tient aux avantages économiques relatifs de l’anglais et du français. À cause de l’importance de l’anglais sur le plan international et dans le reste du Canada, travailler en anglais s’avère souvent être plus payant que travailler en français (Grenier et Nadeau, 2016; Bousmah, Grenier et Gray, 2021; Grenier 2019). Il y a donc une forte incitation à utiliser l’anglais. Les efforts actuels doivent se poursuivre en faisant venir des immigrants dont la culture et la langue maternelle sont proches du français.