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Plusieurs communautés nationales[1] dans le monde occidental sont aux prises avec un déclin démographique qui soulève des inquiétudes pour leur survie comme peuples (demoi) singuliers. C’est le cas notamment du Québec, nation minoritaire[2] évoluant dans le cadre de la fédération canadienne. Dans ce contexte, le Québec, comme d’autres nations comparables, a entrepris de renouveler sa base démographique au moyen d’une immigration plus ou moins soutenue. En retour, la complexité ethnoculturelle croissante du corps politique et les demandes de reconnaissance formulées par les groupes composant cette diversité interne provoquent parfois des « malaises identitaires » (Bouchard et Taylor, 2008), alors que la majorité historique craint pour sa capacité de continuer à « faire société » (Thériault, 2005; 2007) selon ses propres paramètres organisationnels.

Afin de répondre à ce double défi (démographique d’une part, et identitaire de l’autre), plusieurs intellectuels au Québec en sont venus à défendre une approche basée sur l’interculturalisme. Il s’agit d’un modèle sociopolitique d’intégration des personnes immigrantes, d’aménagement de la diversité ethnoculturelle et du vivre-ensemble pour l’ensemble de la population, qui repose typiquement sur un équilibre entre l’ouverture à la diversité, associée plus largement au multiculturalisme et au monde anglo-saxon, et l’insistance sur un socle commun, qui se rattache davantage aux prémisses normatives du républicanisme et de l’univers intellectuel français (Gagnon et Iacovino, 2007; Bouchard, 2011; Lampron, 2013; Seymour et Gosselin-Tapp, 2018).

Cette définition de l’interculturalisme a alimenté un vaste débat normatif dans la littérature en science politique, mais également en sociologie et en anthropologie, que ce soit au Québec, au Canada, en Europe et même au Japon (Gagnon, 2000; Bouchard, 2011; Leroux, 2012; Boucher, 2016; Mathieu, 2017; Eid, 2018). Des recherches ont aussi été menées sur la traduction concrète de cette philosophie de l’intégration et du vivre-ensemble dans les politiques publiques élaborées par l’État québécois (Rocher et White, 2014) et par les municipalités (Rocher, 2017). Dans une moindre mesure, des travaux ont été récemment réalisés sur le sens que revêt l’interculturalisme pour certains acteurs sociaux et politiques (Carpentier, 2022; Saillant,Lévy et Ramirez-Villagra, 2017).

La prédominance des analyses normatives dans les recherches portant sur l’interculturalisme, au détriment d’autres approches plus empiriques, peut s’expliquer par son absence de formalisation. En effet, contrairement au Canada, qui s’est doté dès 1971 d’une politique formelle du multiculturalisme, le Québec n’a jamais officialisé de la sorte son modèle interculturaliste, au-delà d’énoncés de politique non contraignants ou de promesses politiques non concrétisées. L’interculturalisme se révèle être néanmoins au coeur des politiques d’intégration du Québec depuis les années 1980 (Gagnon et Iacovino, 2007). De même, au cours des dernières décennies, toutes les formations politiques représentées à l’Assemblée nationale[3] se sont prononcées à un moment ou à un autre en faveur de l’interculturalisme (voir Lamy et Mathieu, 2021). Ainsi, depuis les années 1980, les parlementaires québécois ont discuté de l’interculturalisme dans le cadre de nombreuses commissions parlementaires et d’échanges lors des périodes de questions en Chambre. Plus largement, le débat public a aussi été traversé par ce thème – pensons à la Commission Bouchard-Taylor. Pourtant, aucune recherche à ce jour n’a analysé de manière systématique la signification que revêt l’interculturalisme pour les premiers acteurs sociaux et politiques concernés, à savoir les élus de l’Assemblée nationale et les autres intervenants qui s’y expriment. L’objectif de la présente recherche est de combler cette lacune.

Ainsi, bien que l’interculturalisme n’ait toujours pas été officialisé par l’intermédiaire d’une loi ou d’une politique publique formelle – et rien n’indique qu’il le sera à court ou moyen terme –, comment les parlementaires québécois se le représentent-ils dans leurs échanges à l’Assemblée nationale? S’il est un modèle potentiellement valable pour les « autrui significatifs » (Laniel et Thériault, 2021) du Québec (comme les autres nations minoritaires), quelles sont les vertus et les limites qu’y associent les députés québécois, mais aussi les universitaires, intellectuels et acteurs de la société civile qui interviennent formellement dans les débats parlementaires?

Cet article se propose de répondre à ces questions au moyen d’une analyse de contenu critique qualitative et systématique des échanges portant sur l’interculturalisme à l’Assemblée nationale du Québec, depuis l’apparition de cette notion en 1987 (33e législature) jusqu’à la portion de la 42e législature (2018-) qui précède l’ajournement des travaux au mois de mars 2020, en raison de la pandémie de COVID-19. De même, au moyen d’une analyse de contenu critique de la littérature scientifique, cet article s’enquerra d’abord des débats concernant l’interculturalisme, qui prennent forme dans la vie intellectuelle du Québec, ce qui servira par la suite d’ancrage analytique.

D’abord, en nous inspirant notamment des repères analytiques qui découlent des travaux de Lamy (2015) ainsi que de Mathieu et Laforest (2016), nous allons dresser les contours des deux principales approches discursives et théoriques concernant l’interculturalisme que l’on trouve dans la littérature spécialisée au Québec. Il s’agit aussi de celles, précisément, qui sont promues à un moment ou à un autre par les parlementaires québécois. Puis, nous préciserons les tenants et aboutissants de notre démarche méthodologique, en fonction de laquelle nous analyserons ensuite la manière dont les divers intervenants se saisissent de l’interculturalisme dans leurs échanges à l’Assemblée nationale. Enfin, nous conclurons par quelques réflexions sur la manière dont semblent évoluer les débats concernant la gestion de la diversité au Québec, et poserons un regard critique sur l’avenir de l’interculturalisme dans La Belle Province.

L’interculturalisme : divers points de vue québécois…

Dans l’espace intellectuel québécois, il existe un nombre impressionnant d’approches théoriques et normatives qui défendent la valeur de l’interculturalisme, mais qui proposent aussi une critique de ce modèle de gestion de la diversité ethnoculturelle (voir Rocher et White, 2014; Gratton, 2017). Dans le sillage de la sociologie wébérienne, il est utile, pour des fins analytiques, de repérer les différents groupes porteurs qui arrivent à orienter les débats sociaux et législatifs. Pour ce faire, nous allons recourir à la notion de « coalitions de discours » de Maarten A. Hajer (2005), c’est-à-dire des regroupements d’acteurs qui partagent, de manière plus ou moins concertée et organisée, un ensemble de croyances et d’aspirations normatives et entendent orienter positivement les politiques publiques et plus largement l’imaginaire social.

La notion de coalition de discours nous semble effectivement préférable à d’autres perspectives plus rigides sur le plan analytique, comme le modèle des « coalitions plaidantes » dérivé notamment des travaux de Paul A. Sabatier et ses collaborateurs (Sabatier, 1998; Sabatier et Jenkins-Smith, 1999; Weibleet al., 2019). Certes, les deux approches sont motivées par l’analyse des luttes de pouvoir dans le domaine spécifique des politiques publiques. Le modèle des coalitions plaidantes est cependant beaucoup plus exigeant, puisqu’il requiert l’existence explicite et continue d’un réseau « d’acteurs issus d’agences et d’institutions législatives à tous les niveaux de gouvernement, de leaders de groupes d’intérêt, de chercheurs et de journalistes qui cherchent régulièrement à influencer les décisions politiques à l’intérieur d’un domaine particulier » (Sabatier, 2014, p. 49). La perspective que nous privilégions à travers la notion de coalition de discours n’implique pas quant à elle un niveau de coordination élevé d’acteurs qui se regroupent en vue d’influencer une politique publique. Une coalition de discours n’atteint généralement pas un tel degré de concertation. De même, ses membres ne sont pas fixes dans le temps, et n’ont pas toujours conscience d’y appartenir explicitement. Simplement, une telle coalition rassemble une variété d’acteurs qui soutiennent à un moment donné un ensemble plus ou moins cohérent de croyances et d’idées à l’égard d’un objet sociopolitique, dont les contours sont plus ou moins précis.

Nous sommes d’avis que deux principales « coalitions de discours » se font concurrence à la fois dans le débat intellectuel et dans le débat parlementaire en ce qui a trait à l’enjeu de l’interculturalisme : l’approche libérale-pluraliste d’une part, et l’approche républicaine-moniste, de l’autre[4]. Nous allons maintenant insister sur les fondements théoriques et normatifs que nous associons à ces deux approches, car elles se révèlent in fine à l’origine du positionnement des intervenants lorsqu’ils se prononcent pour ou contre l’interculturalisme. À l’inverse, les perspectives plus critiques ou radicales, et donc plus marginales, ne trouvent pas, dans notre corpus, d’échos similaires chez les législateurs québécois. Nous y reviendrons en conclusion.

L’approche libérale-pluraliste

Gérard Bouchard (2011; 2012) est certainement la figure de proue des libéraux-pluralistes. Selon lui, l’interculturalisme est un modèle de pluralisme, c’est-à-dire une conception théorique et normative qui propose une grille de lecture et d’analyse pour réfléchir à la manière dont on devrait aménager le fait sociologique de la diversité. Ce modèle cherche à concilier deux légitimités souvent décrites comme antinomiques : d’un côté, les aspirations identitaires d’une majorité historique d’origine canadienne-française et, de l’autre, un pluralisme respectueux des minorités ethnoculturelles. En cela, il suggère que l’interculturalisme est « un point de vue québécois », au sens où il propose un modèle correspondant davantage à la réalité québécoise, par opposition au multiculturalisme canadien. En bref, l’interculturalisme de Bouchard consiste en une réponse à la question suivante :

comment arbitrer les rapports entre cultures d’une façon qui assure un avenir à la culture de la société hôte, dans le sens de son histoire, de ses valeurs et de ses aspirations profondes, et qui, en même temps, accommode la diversité en respectant les droits de chacun, tout particulièrement les droits des immigrants et des membres des minorités, lesquels, sous ce rapport, sont ordinairement les citoyens les plus vulnérables?

Bouchard, 2012, p. 9

Parmi les multiples « paradigmes » à partir desquels on peut formuler une réponse à cette question – ceux de l’homogénéité, de la bi- ou multi-polarité, de la mixité et de la dualité – c’est celui de la « dualité » que Bouchard retient. Ce paradigme, selon le professeur de l’Université du Québec à Chicoutimi, convient à ces sociétés qui, comme le Québec, pensent et gèrent la diversité culturelle « sur la base d’un rapport entre des minorités issues d’une immigration récente ou ancienne et une majorité culturelle qu’on peut qualifier de fondatrice » (Bouchard, 2012, p. 32). Les membres de cette majorité ne jouissent pas pour autant d’un statut civique ou juridique particulier. Cependant, cette majorité se reconnaît et est reconnaissable à travers une « identité et un imaginaire exprimés dans une langue, des traditions, des idéaux et des institutions, qui a développé une solidarité et une appartenance, et qui nourrit un sentiment de continuité inscrit dans une mémoire » (Bouchard, 2012, p. 33). Bref, elle est porteuse de « fondements symboliques ».

Pour Bouchard, la reconnaissance explicite d’une majorité n’implique pas qu’elle soit fixe et immuable; elle doit plutôt pouvoir évoluer à travers le temps ainsi qu’avec les rencontres et les échanges culturels (Ibid., p. 34). C’est une culture publique commune, dialogique et évolutive. Prenant ancrage dans le clivage majorité-minorités ou encore « Nous-Eux », le paradigme de la dualité n’est pas ce qui crée ce clivage, ni ce qui a pour objectif de le renforcer (Ibid., p. 37). Il a surtout pour vocation de reconnaître « le statut de la majorité culturelle (sa légitimité, le droit de perpétuer ses traditions, ses valeurs, son héritage) tout en l’encadrant pour réduire le risque de dérives auquel succombent souvent les majorités » (Ibid., p. 39). L’idéal de l’interculturalisme rejette ainsi une perspective assimilationniste, où les nouveaux arrivants seraient invités à se fondre dans la société d’accueil et à s’identifier à une culture de référence avec laquelle ils ne peuvent négocier.

Mais Gérard Bouchard n’est pas le premier ni le dernier des libéraux-pluralistes à s’être penché sur le dossier de l’interculturalisme (Maclure et Taylor, 2010). Le lecteur attentif observe que les travaux du politologue Alain-G. Gagnon (en particulier, Gagnon, 2000, p. 23) sont expressément cités par l’historien et sociologue lorsqu’il présente « l’élément principal ou structurant » de l’interculturalisme québécois, c’est-à-dire la « tension entre deux pôles : d’un côté, la diversité ethnoculturelle et, de l’autre, la continuité du noyau francophone et la préservation du lien social » (voir notamment Bouchard et Taylor, 2008, p. 119). Il semble donc raisonnable de soutenir qu’avec son article « Plaidoyer pour l’interculturalisme », Gagnon (2000) pose le cadre conceptuel, théorique et normatif à partir duquel Bouchard et plusieurs autres édifient leur propre interprétation. Cette percée théorique s’inscrit dans le sillage de ce qu’on peut nommer le libéralisme national ou nationalisme libéral (Tamir, 1993; Requejo, 2009). En un mot, le libéralisme national se distingue d’un libéralisme procédural ou « classique » par l’importance qu’il accorde à la communauté nationale. Contrairement au libéralisme procédural, la variante nationale insiste pour que l’individu ait accès à un « contexte de choix » significatif – ce qu’une communauté nationale lui procure – afin que chacun puisse pleinement jouir de sa liberté individuelle et de son autonomie critique (Kymlicka, 1995). C’est en raison de cet ancrage théorique et normatif que nous désignons ce groupe comme celui des « libéraux-pluralistes ».

Pour Gagnon, comme pour d’autres intellectuels et universitaires (voir Gagnon et Rocher, 1996), l’enjeu de l’interculturalisme au Québec doit toutefois être articulé et tenir compte de l’imbrication – jusqu’à nouvel ordre – de la société québécoise dans le fédéralisme canadien. D’autres travaux, dont certains précèdent le Rapport Bouchard-Taylor (Gagnon et Iacovino, 2007) et d’autres qui lui succèdent (Laforest, 2014; 2017; Mathieu, 2017), défendent une perspective similaire.

L’approche républicaine-moniste

Une deuxième coalition de discours dans le dossier de l’interculturalisme peut être associée au courant des « républicains-monistes » (voir Mathieu et Laforest, 2016, p. 381-283). Certes, ceux-ci s’accordent avec les libéraux-pluralistes pour soutenir l’idée « qu’une nation doit générer des symboles sans lesquels aucune appartenance ne pourra se développer » (Bock-Côté, 2007, p. 43). Cependant, les républicains-monistes reprochent durement au co-président de la Commission Bouchard-Taylor de chercher à « réaménag[er] la mémoire de manière à mettre au second plan l’expérience historique » du groupe majoritaire d’ascendance canadienne-française (Beauchemin, 2002, p. 121). Autrement dit, pour les partisans de ce groupe, qui est parfois désigné comme l’école de « la nouvelle sensibilité historique[5] », il n’existe « pas de différence fondamentale entre l’interculturalisme québécois et le multiculturalisme canadien » (Parenteau, 2013, p. 75), à l’exception peut-être de la question linguistique. Dans tous les cas, ces critiques suggèrent que les libéraux-pluralistes accorderaient trop d’importance aux revendications des groupes minoritaires issus de l’immigration, aux dépens de la poursuite d’un véritable projet intégrateur, républicain et respectueux de la trajectoire particulière du groupe culturel majoritaire au Québec.

Ainsi, le problème que ces auteurs voient dans l’interculturalisme québécois est qu’il participe à la dynamique suivant laquelle « la majorité n’ose plus s’affirmer en raison de cette posture éthique [c’est-à-dire l’idée de l’ouverture aux autres et du respect de leur différence] à laquelle on la presse de se soumettre » (Beauchemin, 2015, p. 129). L’interculturalisme conduirait à une « trudeauisation des esprits », pour paraphraser le titre d’un chapitre de livre d’Éric Bédard (2011). Dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir au sujet de l’interculturalisme, Jacques Beauchemin (2010) accuse aussi cette philosophie politique d’être « hostile aux appartenances nouées dans l’histoire et dans la culture, de même que réfractaire à l’affirmation de la majorité soupçonnée de vouloir contrevenir aux droits des minorités et de se fermer à l’expression de leur différence ».

Alors que la principale mission de la Commission Bouchard-Taylor, et en particulier celle de l’interculturalisme, devait être de concilier les « chemins du républicanisme et du communautarisme », la synthèse dont elle a accouché serait « ratée », car l’interculturalisme « se rabat finalement sur les valeurs libérales inhérentes au patriotisme constitutionnel, réduisant l’histoire nationale à celle-ci, tout en dénigrant son particularisme » (Thériault, 2010, p. 155). De même, Thériault critique la composition du groupe d’experts appelés à travailler pour la Commission Bouchard-Taylor : « Si ce n’est de Jacques Beauchemin – qui sera dissident par ailleurs du rapport final – le Comité des Sages attachés à la Commission ne comprenait aucun intellectuel de la mouvance identitaire ou partisans de l’incarnation des valeurs universelles dans un récit national [; ce sont] tous des partisans connus du pluralisme identitaire, de l’abstractionnisme moralisant. » Il ajoute à la même page que « le dernier livre de Gérard Bouchard (2012) […] donne la même impression » (Thériault, 2013, p. 46).

Dès lors, la proposition que formulent les républicains-monistes revient à insister davantage sur la dimension « républicaine » de la synthèse ici exprimée, en reprenant notamment l’idée de la « convergence culturelle », qui avait été introduite puis réfutée par le ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Gérald Godin, en 1981. Cette insistance sur l’expérience fondatrice du groupe majoritaire, enracinée dans une trajectoire particulière, dans laquelle les minorités ethnoculturelles devraient en venir à se fondre, est la raison pour laquelle nous avons adjoint le qualificatif de « moniste » à cette lecture somme toute universelle et unitaire du vivre-ensemble. Comme le formule le juriste Guillaume Rousseau :

Dans la perspective de la convergence culturelle, qui tout en refusant l’assimilation reconnaît le rôle central de la majorité, de ses institutions, de sa langue, de ses valeurs et de sa culture, il convient de définir l’intégration comme suit : « un processus continu marqué par la participation de tous, y compris des personnes appartenant à des minorités ethniques, à des institutions sociales fondées sur une langue commune. Ce processus favorise une adaptation réciproque, mais asymétrique, en ce sens que ces minorités sont appelées à faire des efforts d’adaptation culturelle plus grands que ceux consentis par la société d’accueil, le tout dans le but de partager des valeurs communes portées par la culture commune ».

Rousseau, 2014, p. 14

Malgré les nombreux points de discorde qui permettent de distinguer les partisans de l’approche libérale-pluraliste de celle républicaine-moniste, on observe néanmoins certains vases communicants. Le principal tient au fait que les deux approches reconnaissent également l’importance de la nation comme foyer de la culture majoritaire au Québec. En corollaire de cela, on accepte aussi de part et d’autre que l’État (lire : l’appareil public québécois) a un rôle clé à jouer dans le domaine de la gestion de la diversité ethnoculturelle présente et à venir sur le territoire de la province, et qu’il a toute la légitimité requise pour agir en la matière en raison, notamment, de la fragilité relative de la culture francophone en Amérique du Nord. Pour l’essentiel, ce sont aussi des éléments avec lesquels les parlementaires québécois sont d’accord, peu importe leur position à l’égard de l’interculturalisme. Nous y reviendrons après la présentation de notre méthodologie.

Considérations méthodologiques

Cet article cherche à rendre compte de la manière dont les divers intervenants se représentent l’interculturalisme dans leurs échanges à l’Assemblée nationale. Après avoir brossé un portrait de la façon dont l’interculturalisme a été débattu dans la sphère intellectuelle du Québec, nous dirigeons maintenant notre attention vers la manière dont cette idée fut discutée et (dé)valorisée dans l’enceinte parlementaire, depuis son apparition en 1987 (33e législature) jusqu’à la portion de la 42e législature (2018-) qui précède l’ajournement des travaux au mois de mars 2020 en raison de la pandémie de COVID-19.

Dans un premier temps, nous avons constitué un corpus de 231 interventions, lesquelles proviennent de 32 séances concernant le Journal des débats (44 interventions) et de 96 séances en commission parlementaire (187 interventions)[6]. La saisie des sources documentaires a été effectuée de manière systématique au moyen du moteur de recherche de l’Assemblée nationale du Québec, accessible via son portail Web[7]. Le mot retenu pour effectuer la recherche est « intercultur », de sorte que nous puissions tenir compte des divers concepts dérivés et pertinents de l’interculturalisme (par exemple, « interculturel » ou « interculturalité »). Comme nous jugeons que les interventions des acteurs non parlementaires contribuent activement à la construction du sens donné au débat sur l’interculturalisme, nous les avons conservées dans notre corpus lorsqu’elles étaient pertinentes. Ce choix méthodologique nous semble raisonnable et légitime, afin d’offrir une analyse la plus cohérente et exhaustive possible.

Dans un deuxième temps, nous avons fait une première lecture des 231 interventions et une analyse de leur contexte d’énonciation. Puis nous avons entrepris de dégager une grille d’analyse sommaire pour évaluer les représentations de l’intégration des personnes immigrantes et/ou de l’aménagement de la diversité véhiculées par le discours des acteurs (voir tableau 1). Si l’élaboration de cette grille repose essentiellement sur une démarche inductive, nous avons néanmoins cherché à l’inscrire dans une certaine continuité analytique et conceptuelle avec les débats théoriques dont nous venons de discuter. Concrètement, cette grille comprend trois dimensions idéelles, soit les représentations (1) des fondements du modèle québécois en matière d’aménagement de la diversité, (2) du rapport qu’il propose entre la culture majoritaire et les minorités ethnoculturelles et (3) de ses objectifs présumés. À l’aide de ces trois dimensions, nous avons classé les différents intervenants dans l’une ou l’autre des deux approches discursives, libérale-pluraliste ou républicaine-moniste.

Tableau 1

Arborescence et noeuds servant au codage des interventions à l’Assemblée nationale sur l’interculturalisme et ses dérivés

Arborescence et noeuds servant au codage des interventions à l’Assemblée nationale sur l’interculturalisme et ses dérivés

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Dans un troisième temps, nous avons codé les interventions faites à l’Assemblée nationale au moyen du logiciel de traitement de données qualitatives NVivo. L’objectif était surtout d’organiser l’information afin d’en faire ressortir, le cas échéant, certaines tendances. L’arborescence utilisée intègre notre grille d’analyse ainsi qu’un noeud visant à répertorier les acteurs en présence et leurs affinités avec l’une des deux approches discursives. En ce qui concerne l’analyse des données et les résultats présentés dans la prochaine section, nous nous appuyons sur un processus interprétatif qui s’inscrit dans la tradition de l’analyse critique de contenu (Krippendorff, 2013, p. 27-30).

Dans les pages qui suivent, nous allons tenter de lier la lecture que font de l’interculturalisme les différents députés dans l’enceinte parlementaire du Québec avec les deux postures théoriques typiques identifiées (LP ou RM).

Débats sur l’interculturalisme à l’Assemblée nationale

Les coalitions de discours à l’oeuvre

À la lumière de notre analyse, il ressort très clairement que l’an 2010 constitue un point tournant quant à la manière dont l’interculturalisme et ses concepts dérivés sont traités. À partir de ce moment, il fait l’objet d’une attention beaucoup plus soutenue et régulière dans les échanges à l’Assemblée nationale. En analysant le nombre d’occurrences des termes se rapportant à ces concepts selon leur contexte d’énonciation en commission parlementaire (consultations particulières, consultation générale, étude des crédits budgétaires, auditions, étude détaillée de projets de loi, etc.), nous remarquons que celles-ci sont effectivement plutôt rares avant 2010 et se concentrent après cette année dans cinq débats spécifiques[8]. Le tableau 2 campe ces cinq consultations générales et auditions publiques en commission parlementaire. Fait intéressant, l’interculturalisme est surtout abordé dans le cadre de débats généraux sur l’immigration, l’intégration des nouveaux arrivants et l’aménagement de la diversité religieuse. À l’exception du projet de loi 60, qui est présenté par un gouvernement péquiste, les autres pièces législatives et documents étudiés émanent de gouvernements du PLQ.

Tableau 2

Consultations générales et auditions publiques à l’Assemblée nationale dans le cadre desquelles l’interculturalisme est abordé de manière relativement substantielle

Consultations générales et auditions publiques à l’Assemblée nationale dans le cadre desquelles l’interculturalisme est abordé de manière relativement substantielle

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Au moins deux raisons concourent à expliquer pourquoi le thème de l’interculturalisme s’impose au tournant de l’an 2010. Premièrement, c’est à ce moment que des débats parlementaires prennent graduellement forme en réaction aux principales recommandations faites par messieurs Bouchard et Taylor dans le rapport final de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. En effet, la première recommandation est celle appelant le gouvernement du Québec à définir « de nouvelles politiques ou de nouveaux programmes relatifs à l’interculturalisme (loi, déclaration ou énoncé de politique) et à la laïcité (projet de livre blanc) » (Bouchard et Taylor, 2008, p. 22). Dans ce contexte, le débat semble simplement avoir pris un certain temps avant d’être véritablement lancé, sans doute en raison de l’annonce faite en Chambre par le premier ministre Jean Charest le 27 mai 2008 voulant que « le concept d’interculturalisme » aurait déjà « été inclus officiellement dans une politique du gouvernement du Québec en 1990[9] ». Deuxièmement, il faut tenir compte de l’évolution des débats sur le multiculturalisme à l’échelle canadienne. En effet, en 2010, le Canada fut le pays hôte de la conférence annuelle de la Coalition interparlementaire de lutte contre l’antisémitisme, ce qui fut l’occasion pour les parlementaires fédéraux de modifier la politique canadienne du multiculturalisme en y ajoutant trois nouveaux objectifs (Brosseau et Dewing, 2018, p. 9). Alors que ces trois nouveaux principes semblent s’inspirer en partie des pratiques québécoises en matière d’interculturalisme – l’un d’eux consiste à « bâtir une société intégrée et cohésive sur le plan social » –, nous sommes d’avis que l’événement contribua à réinscrire à l’ordre du jour politique québécois l’enjeu « interculturalisme », et ce, surtout dans un effort de différenciation avec les politiques canadiennes.

Cela étant, malgré l’intérêt affiché pour l’interculturalisme dans les échanges lors des consultations générales et auditions publiques, qui gagnent en vigueur à compter de ce moment, il n’en demeure pas moins que les occurrences sont globalement peu nombreuses, ce qui témoigne du caractère peu structurant de ce débat politique.

L’analyse des représentations de l’interculturalisme dans les échanges des intervenants à l’Assemblée nationale corrobore notre hypothèse sur la cohabitation, voire la concurrence, de deux coalitions de discours respectivement associées à une approche libérale-pluraliste et à une approche républicaine-moniste. Avant de présenter ce qui les distingue, il importe donc d’aborder brièvement leur composition ainsi que les points sur lesquels ces regroupements convergent ou semblent a priori s’entendre.

La prudence doit guider le processus par lequel sont identifiés les parlementaires et les non-parlementaires qui partagent des affinités avec l’une des deux postures discursives. En raison du caractère relativement peu structurant des débats sur l’interculturalisme, il n’est pas étonnant de constater une adhésion parfois ambiguë, voire contradictoire, des acteurs à l’une ou l’autre approche[10]. Cette intervention du député Yves-François Blanchet (PQ) illustre particulièrement bien l’attitude typique des parlementaires dans les discussions entourant l’interculturalisme : « C’est fascinant de voir... Mais je pense qu’on est tous pareils. Lorsqu’on parle d’interculturalisme, on parle tous plus lentement. On prend le temps de choisir les mots, parce qu’on soulève toujours un ensemble de susceptibilités, puis il y aura toujours quelqu’un qui va le prendre dans un sens autre et puis ça va donner à peu près n’importe quoi » (13 septembre 2011).

On peut néanmoins faire des observations sur la composition de ces deux regroupements. La coalition libérale-pluraliste est transpartisane et rassemble des élus de toutes les formations politiques représentées à l’Assemblée nationale. Par ordre alphabétique, et en raison de leur importance relative dans les débats analysés, nous y classons entre autres André Boulerice (PQ), Françoise David (QS), Liza Frulla Hébert (PLQ), Louise Harel (PQ), Amir Khadir (QS), Stéphanie Vallée (PLQ) et Kathleen Weil (PLQ). Cette approche discursive est aussi adoptée par nombre de non-parlementaires, comme des représentants d’organisations de la société civile défendant les intérêts des immigrants, des acteurs municipaux des grands centres urbains et des intellectuels généralement associés à cette approche[11].

La coalition républicaine-moniste rassemble quant à elle surtout des parlementaires de l’ADQ, du PQ (surtout après la direction d’André Boisclair, post-2007) et de la CAQ, tels que Louise Beaudoin (PQ), Yves-François Blanchet (PQ), Mario Dumont (ADQ), Maka Kotto (PQ) ou encore Nathalie Roy (CAQ). Les idées qu’elle véhicule trouvent aussi un appui certain auprès d’organisations nationalistes et prolaïcité[12].

Les deux coalitions de discours maintenant circonscrites selon leurs principaux intervenants, il est possible d’identifier certains traits qu’elles ont en commun. Nous en proposons trois. Les promoteurs des deux approches reconnaissent premièrement l’importance de la « condition minoritaire » québécoise dans la réflexion sur l’intégration des personnes immigrantes et l’aménagement de la diversité. Comme le souligne la parlementaire et ministre Kathleen Weil : « Je ne pense pas que c’est un hasard si le Québec a développé cette approche. C’est beaucoup parce que c’est la seule société francophone en Amérique du Nord » (20 avril 2011). Il en découle la légitimité de l’État à intervenir afin d’assurer le maintien et la pérennité de la nation francophone en contexte minoritaire, un postulat communément partagé par les partisans libéraux-pluralistes et républicains-monistes. Elle se justifie en raison de la menace induite par l’influence et le rayonnement de la culture anglo-saxonne environnante. Il apparaît donc normal pour les parlementaires, qui se considèrent comme les garants d’une identité nationale relativement fragile, que les pouvoirs publics cherchent à établir ce qu’ils considèrent comme un équilibre entre les droits et libertés individuels et collectifs.

De la prise en compte de cette spécificité nationale dans les débats associés à l’immigration et au pluralisme émane deuxièmement la conviction de l’existence d’un modèle proprement québécois, peu importe sa désignation. Si les parlementaires ne conçoivent pas ce modèle de la même manière – nous le montrons dans la prochaine section –, ils s’entendent néanmoins pour l’opposer aux représentations qu’ils se font de la politique du multiculturalisme canadien. Celles-ci structurent d’ailleurs fortement les débats à l’Assemblée nationale sur l’intégration des nouveaux arrivants et l’aménagement de la diversité. Le modèle québécois y est alors défini par contraste : alors que le multiculturalisme canadien privilégierait, selon les débats à l’Assemblée nationale, l’absence d’interactions entre la majorité et les personnes immigrantes et favoriserait indirectement la constitution de « ghettos ethniques », le modèle québécois mettrait l’accent sur le dialogue entre la majorité d’ascendance canadienne-française et les nouveaux arrivants. De même, si la politique canadienne se caractérise par un certain laisser-faire (des programmes peu structurants), la politique québécoise serait quant à elle davantage proactive et beaucoup plus interventionniste.

Un troisième point de convergence entre les partisans de ces deux perspectives théoriques tient à la promotion d’une identité québécoise partagée, laquelle se décline surtout sous les vocables de « culture publique commune » ou encore de « valeurs communes ». En ce sens, les parlementaires tant libéraux-pluralistes que républicains-monistes cherchent à identifier le plus clairement possible les différents aspects qui définissent et distinguent le Québec comme société d’accueil. S’ils conviennent a priori dans leurs échanges de l’importance de la langue française, de la laïcité de l’État, de l’exercice d’une citoyenneté active et du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, c’est précisément dans la substance de cette discussion sur les valeurs communes que le bât blesse. Par exemple, même s’ils identifient les mêmes valeurs cardinales, les acteurs ne semblent pas les comprendre et les interpréter de la même manière.

Cette dernière observation ouvre la porte à une analyse plus systématique de ce qui différencie sur le plan des idées les promoteurs de chaque coalition de discours sur les enjeux associés à l’intégration des personnes immigrantes et à l’aménagement de la diversité. Pour ce faire, l’étude des représentations de l’interculturalisme que véhiculent les échanges entre intervenants à l’Assemblée nationale offre un terrain des plus féconds.

Dans les deux sous-sections qui suivent, nous passons en revue à partir de notre grille d’analyse tridimensionnelle les interventions des acteurs parlementaires et non parlementaires associés aux approches libérale-pluraliste et républicaine-moniste et cherchons à éclairer leurs spécificités respectives.

La coalition libérale-pluraliste

D’entrée de jeu, il importe de souligner que les acteurs associés à la perspective théorique libérale-nationale se réclament ouvertement de l’interculturalisme dans leurs interventions à l’Assemblée nationale. De même, l’analyse de leurs représentations des fondements du modèle québécois d’aménagement de la diversité nous amène à identifier certaines constantes dans leur discours : par exemple, ces derniers s’imaginent comme étant les porteurs et continuateurs de l’héritage de la Révolution tranquille, de son néonationalisme et de sa conception essentiellement civique et ouverte de la citoyenneté québécoise (c’est-à-dire en insistant surtout sur le fait francophone comme marqueur identitaire).

D’abord, il importe de souligner que, dans leurs interventions, les libéraux-pluralistes définissent la culture publique commune de manière foncièrement dynamique. Comme l’indique très clairement Kathleen Weil (PLQ), alors ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, « l’interculturalisme reconnaît et valorise une conception plurielle et dynamique de l’identité québécoise » (15 mai 2016). En ce sens, non seulement ce modèle reposerait sur la réciprocité et le dialogue, mais la définition même de la culture publique commune serait également négociée : les personnes immigrantes auraient elles aussi leur mot à dire dans la co-constitution de celle-ci. Selon Philippa Jabouin, représentante de l’Organisation internationale canadienne des droits humains, qui intervient dans le cadre d’une consultation : « Pour nous, l’interculturalisme, ce serait plus un échange d’égal à égal. Comme on l’a présenté […] c’est vraiment un échange à double voie » (17 août 2011). Cette conception de la culture accueillerait ainsi positivement l’idée de changement et d’une remise en question par rapport aux principaux marqueurs de l’identité québécoise[13].

Ensuite, les interventions des libéraux-pluralistes au sujet des « valeurs communes » témoignent d’une grande sensibilité pour le pluralisme. Elles mettent notamment l’accent sur l’État de droit, la lutte contre les discriminations, l’hospitalité et la protection des minorités que doit assurer la société d’accueil. Dans les discussions sur le projet de loi 94, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée (PLQ), fait également référence au concept de « laïcité ouverte » (9 février 2011) qui serait à distinguer d’une laïcité stricte à la française. Cette idée est au coeur de l’intervention d’un représentant de l’organisme Ensemble pour le respect de la diversité, dans le cadre des consultations sur le projet de loi 60 du gouvernement péquiste : « Pour nous, l’uniformisation du visage de l’école qui va résulter de l’interdiction des symboles religieux ne contribue pas, justement, à la reconnaissance égalitaire et positive de la diversité québécoise » (Miguel Simao Andrade, 30 janvier 2014). Il n’en demeure pas moins que, malgré cette sensibilité, les « valeurs communes » associées au patrimoine culturel du groupe majoritaire tiennent le haut du pavé. C’est entre autres le cas pour la langue française, présentée par Kathleen Weil (PLQ) comme étant « l’ingrédient le plus important dans ce modèle d’interculturalisme » (26 avril 2012)[14].

Dans un deuxième temps, les représentations du rapport entre la majorité et les minorités ethnoculturelles que partagent les partisans de l’approche libérale-pluraliste se caractérisent par une tension entre la valorisation de la différence et la promotion d’une identité commune, néanmoins « métissée », pourrait-on dire. La diversité culturelle est présentée de manière positive, comme une source indéniable d’enrichissement pour la société québécoise. Ce discours est tenu par plusieurs parlementaires. La ministre de la Culture et des Communications, Liza Frulla (PLQ), résume bien cette idée : « J’aime beaucoup, finalement, l’interculturalisme dans un sens où il faut avoir cette flexibilité-là pour justement pouvoir faire nôtres et enrichir notre tissu culturel québécois de toutes ces cultures dont nous avons le bonheur de bénéficier » (23 octobre 1991)[15]. Dans la mesure où elle concerne surtout la différence culturelle, cette valorisation de la diversité ne doit toutefois pas être lue comme une acceptation totale de l’altérité. Stéphanie Vallée (PLQ) illustre cette idée en se référant plutôt à la notion de respect, que d’aucuns qualifieraient de peu engageante. Dans l’étude détaillée du projet de loi 62, elle dit : « Cet interculturalisme-là, comme je le mentionnais, c’est un respect mutuel. Donc, ce n’est pas une primauté culturelle ou une primauté religieuse, c’est un respect de la diversité, un respect de la différence, tout simplement » (15 août 2017).

Au-delà de l’ouverture relative des intervenants libéraux-pluralistes, le discours positif sur la diversité est aussi motivé par un certain pragmatisme. La diversification de la société québécoise serait inéluctable en raison des besoins démographiques et économiques de la province. Par exemple, dans le cadre d’une consultation, un représentant de la Fédération étudiante collégiale du Québec affirme que son organisation adhère à l’interculturalisme et explique que l’immigration contribue à « l’essor démographique et économique du Québec » (18 septembre 1997).

Dans un troisième temps, les libéraux-pluralistes se représentent aussi d’une manière qui leur est propre les objectifs du modèle québécois d’aménagement de la diversité, synonyme ici de l’interculturalisme. S’il vise à favoriser la pleine participation des personnes immigrantes à la société d’accueil, comme moteur par excellence de leur intégration[16], l’interculturalisme a pour finalité première d’assurer le maintien et l’épanouissement d’une nation minoritaire francophone en Amérique du Nord. Cette préoccupation, qui s’explique aisément par la prise en compte des intérêts majoritaires et minoritaires dans le système démocratique québécois et plus largement canadien, les libéraux-pluralistes la partagent avec les républicains-monistes. Toutefois, les premiers se distinguent à nouveau par une sensibilité pour la diversité culturelle, laquelle semble moins manifeste chez les seconds. Dans une consultation au début des années 1990, le maire de Montréal Jean Doré soutenait que « l’interculturalisme peut aussi nous aider à développer une nouvelle identité québécoise plus ouverte sur le monde » (13 mars 1991). L’interculturalisme sert selon lui à enrichir la culture commune par l’apport d’autres cultures.

Dans la même veine, l’interculturalisme servirait aussi à dépasser les préjugés par le dialogue ou l’échange et donc, en l’occurrence, à lutter contre les discriminations. Dans une intervention à l’Assemblée nationale, Louise Harel (PQ) défend par exemple l’idée que l’école aurait aussi pour fonction de sensibiliser les élèves à la différence : « C’est justement en offrant la possibilité de connaître l’autre à l’intérieur d’une école primaire, secondaire, qu’une société favorise, facilite l’interpénétration, l’interculturalisme, la compréhension et la confiance mutuelle » (28 avril 1994). L’accent est mis sur les interactions positives entre les membres de la majorité et des minorités. Un autre cas de figure est offert par le témoignage de Pierre Harrison, directeur général du Collège Maisonneuve à Montréal, qui soutient lors d’une consultation « qu’un établissement scolaire a une capacité d’intégrer les nouveaux arrivants, d’une part, et, d’autre part, de préparer les jeunes Québécois de souche à vivre la diversité » (11 octobre 2007).

La coalition républicaine-moniste

Pour leur part, les parlementaires et intervenants républicains-monistes ne se réclament généralement pas de l’interculturalisme dans leurs échanges à l’Assemblée nationale. Lorsqu’ils ne rejettent pas tout simplement cette notion, en raison de son ambiguïté ou de sa proximité présumée avec le multiculturalisme canadien[17], les acteurs qui adhèrent à cette perspective théorique la définissent d’une façon différente que les libéraux-pluralistes. Dans un premier temps, s’ils reconnaissent à la Révolution tranquille d’avoir accompli des avancées notables pour la société québécoise, les républicains-monistes fondent plutôt le modèle québécois d’aménagement de la diversité sur la mémoire historique longue du peuple canadien-français.

D’abord, le concept de culture publique commune trouve un sens différent dans leurs propos : ses principaux paramètres sont plus fixes que dynamiques et semblent en bonne partie prédéterminés par la société d’accueil, plus précisément par le groupe majoritaire de culture et d’ascendance canadienne-française. Dans une intervention faite en chambre, Mario Dumont (ADQ), alors chef de l’Opposition officielle, utilise comme des synonymes les termes « culture commune », « culture normative » et culture de la « majorité francophone[18] ». Autrement dit, il revient à la majorité francophone seule de décider des conditions de l’appartenance à la communauté politique québécoise[19]. Or, soulignons qu’une telle position peut représenter une pente glissante vers une certaine hiérarchisation des cultures, sur laquelle s’aventure aussi Kathleen Weil (PLQ) dans l’une de ses interventions, elle qui est pourtant davantage associée à la coalition de discours libérale-pluraliste : « Le modèle québécois, c’est le modèle d’interculturalisme […] ce n’est pas un genre de mosaïque. Il y a une culture dominante. La langue française est la langue commune partagée par tout le monde, et on s’intègre dans ce modèle-là » (19 février 2014).

Cette définition de la culture publique commune influence l’identification des valeurs qui lui sont inhérentes. Les énumérations faites par les parlementaires et non-parlementaires associés à la coalition de discours républicaine-moniste témoignent a priori d’une sensibilité moindre pour le pluralisme. Julie Miville-Dechêne, alors présidente du Conseil du statut de la femme, s’exprime en ces termes lors d’une consultation : « Il y a trois notions principales dans l’interculturalisme […] je pense qu’on s’entend généralement sur ces trois valeurs, qui sont la primauté du fait français, l’égalité entre les sexes, la séparation entre l’Église et l’État » (Julie Miville-Dechêne, 13 septembre 2011). Exit, le dialogue entre la majorité et les minorités, une culture publique commune évolutive, la lutte contre les discriminations et la valorisation de la diversité mentionnés par certains libéraux-pluralistes comme valeurs fondamentales du modèle interculturel.

Sur la laïcité de l’État, les républicains-monistes préfèrent également une conception plus stricte, en prenant généralement comme référence le modèle français. La députée Louise Beaudoin (PQ) estime, par exemple, que « la laïcité ouverte mène aussi non seulement au multiculturalisme, mais à la confusion entre le religieux et le politique. Et la laïcité ouverte mène aussi à l’instrumentalisation de la foi, à la montée de la droite religieuse et à l’intégrisme » (29 mars 2011)[20]. Elle précise que des valeurs collectives comme l’égalité entre les femmes et les hommes – représentée ici de manière antinomique à la foi religieuse – doivent avoir « une préséance et une prédominance sur la liberté de religion » (3 mai 2011).

Dans un deuxième temps, les acteurs associés à l’approche républicaine-moniste valorisent la cohésion sociale et se représentent davantage l’expression des particularismes ethnoculturels et religieux dans la sphère publique – et parfois privée – de manière négative. C’est cette vision qui teinte leurs représentations du modèle québécois d’aménagement de la diversité à propos du rapport entre la culture majoritaire et les minorités ethnoculturelles. En témoigne d’abord la préoccupation qui se dégage de plusieurs interventions relativement aux « ghettos ethniques ». Si la députée Agnès Maltais (PQ) s’inquiète de ce qu’elle nomme le « cercle de contrôle de la communauté » (22 septembre 2015), le parlementaire Amir Kadhir (QS) explique que « l’idée de l’interculturalisme, c’est un type d’intégration qui passe par la déghettoïsation des communautés immigrantes, un plus grand accent mis sur leur intégration au sein de la société, alentour d’un socle commun » (25 avril 2018). À l’instar d’autres représentants de la société civile[21], Francine Lavoie, alors de l’organisme Laïcité citoyenne de la capitale nationale, exprime clairement cette préoccupation en consultation :

Nous croyons que le multiculturalisme, la solution proposée par plusieurs, n’est pas le signe d’ouverture sur le monde qu’il croit être. Il s’agit plutôt d’une juxtaposition de ghettos ethniques repliés sur eux-mêmes et sans autre lien que les rapports d’affaires quotidiens. L’interculturalisme n’est pas non plus valable pour le Québec, même si cette option veut préserver à la fois la culture dominante et les différences individuelles. Le modèle de type républicain que nous privilégions met l’accent sur la liberté et l’égalité, valorisant l’intégration des nouveaux arrivants et le partage des valeurs communes plutôt que le voisinage des différences.

21 janvier 2014

Cette intervention reflète effectivement une perspective républicaine selon laquelle les communautés culturelles – quelles qu’elles soient – ne doivent pas jouer le rôle de groupe intermédiaire entre l’individu et l’État du Québec formant une nation universelle et intégratrice. Ici, la préservation, voire la valorisation, des particularismes n’est pas souhaitable dans la mesure où l’altérité est surtout décrite comme une étape dans le processus visant l’identification à la société d’accueil; ce qui implique une certaine acculturation pour les personnes issues de l’immigration. On rejoint à nouveau le caractère moniste de cette perspective. Une philosophie universaliste associée à un libéralisme procédural (« classique ») – où l’individu et le citoyen sont définis de manière abstraite sans égard à leurs particularismes – prévaut donc dans la vision du vivre-ensemble des membres de la coalition républicaine-moniste.

Dans un troisième temps, les objectifs présumés du modèle québécois de gestion de la diversité, selon l’approche préconisée par les républicains-monistes, ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux poursuivis par les libéraux-pluralistes. D’abord, les partisans de cette perspective théorique ne cherchent pas seulement à assurer la pérennité de la nation québécoise, mais à en affirmer la spécificité; à la fois en elle-même et vis-à-vis de la société canadienne et son modèle multiculturaliste. Cette finalité est apparente dans les démarches législatives visant à institutionnaliser certaines valeurs communes, comme l’inclusion récente des principes de l’égalité hommes-femmes et de la laïcité de l’État, dans la Charte québécoise des droits et libertés. Comme l’explique Claude Boily, lors d’une consultation à propos de l’enjeu de l’intégration : « Je dirais que le premier moyen, c’est que l’immigrant ou la personne qui est néo-québécoise sache très clairement que notre identité culturelle est claire, affirmée, et c’est celle qui est prédominante » (2 octobre 1991). En raison de sa condition de minoritaire, la société québécoise ne pourrait donc pas se permettre de demeurer ambiguë et trop permissive quant aux règles qui la régissent.

Enfin, de cette préoccupation première pour le maintien de la majorité francophone résulte un objectif d’intégration plus exigeant pour l’immigrant. L’approche républicaine-moniste demande aux personnes immigrantes une plus grande adhésion aux valeurs communes; en l’occurrence, une intégration asymétrique, telle que promue par le juriste Guillaume Rousseau (voir Section 1). Le député Maka Kotto (PQ) dépeint par exemple son propre processus d’acculturation comme un idéal, en se décrivant lui-même comme un « ancien immigrant » (27 janvier 2016). Le cadre à l’intérieur duquel les nouveaux arrivants sont invités à s’intégrer paraît moins flexible que celui que promeuvent les libéraux-pluralistes. Si, par exemple, Jean Doré voyait d’un bon oeil le développement d’une « nouvelle identité québécoise plus ouverte sur le monde » (13 mars 1991), cette affirmation du député Yves St-Denis (PLQ) en commission parlementaire est évocatrice d’une approche discursive différente : « On peut grandir et prospérer tout en restant nous-mêmes » (3 mai 2017). Ainsi, dans la perspective républicaine-moniste, les transformations identitaires ne sont pas considérées comme ayant en elles-mêmes une valeur positive. À cet égard, l’importance qu’elle attribue typiquement à la mémoire historique longue lui impose un respect certain pour la tradition.

Dans cet article, nous nous sommes intéressés à la valeur de l’interculturalisme comme proposition politique devant fournir (en partie, à tout le moins) une réponse au double défi (démographique, d’une part, et identitaire, de l’autre) auquel plusieurs communautés nationales minoritaires sont typiquement confrontées. Plus précisément, nous avons cherché à apporter des éléments de réponse à la question suivante : comment les parlementaires québécois se représentent-ils l’interculturalisme dans leurs échanges à l’Assemblée nationale du Québec? Pour ce faire, nous avons effectué une analyse de contenu critique qualitative et systématique des échanges portant sur l’interculturalisme à l’Assemblée nationale depuis l’apparition de cette notion en 1987 (33e législature) jusqu’à la portion de la 42e législature (2018-) qui précède l’ajournement des travaux au mois de mars 2020. De même, nous nous sommes intéressés aux débats concernant l’interculturalisme qui prennent forme dans l’espace public plus largement, en cherchant à identifier les principales approches théoriques et normatives défendues par les intellectuels et universitaires sur le sujet.

À la lumière de cette analyse, nous sommes en mesure de tirer quelques conclusions. Il ressort d’abord que les débats sur l’interculturalisme à l’Assemblée nationale ne furent pas particulièrement « structurants ». Nous entendons par là que l’interculturalisme n’est pas parvenu à s’imposer comme clivage sociopolitique incontournable en fonction duquel chacun doit prendre position clairement pour exister politiquement. Nous en voulons pour preuve l’ambiguïté relative qui persiste lorsque les parlementaires abordent la question de l’interculturalisme, et le fait que les députés d’un même parti, dans une période relativement courte, peuvent en toute impunité partisane défendre des positions contraires. On observe ainsi un manque de consistance idéologique des partisans et des opposants de l’interculturalisme québécois, révélant peut-être l’immaturité ou la faiblesse du débat sur le sujet. Selon Couture et St-Louis (2022), cela annoncerait même « l’éclipse » de l’interculturalisme dans le débat public québécois.

Pour autant, ces débats ne sont pas insignifiants. Ils se révèlent le lieu d’une lutte définitionnelle ayant trait à un ensemble d’enjeux associés à l’intégration des personnes immigrantes et à l’aménagement de la diversité ethnoculturelle plus largement dans le contexte québécois. Concrètement, notre étude illustre la présence de deux coalitions de discours, l’une adhérant à une approche libérale-pluraliste et l’autre à une approche républicaine-moniste. Chaque coalition de discours cherche à mettre de l’avant ses propres représentations de l’identité nationale québécoise et de son rapport à l’altérité, notamment. Or, bien que les deux approches s’opposent sur de multiples fronts, elles ont néanmoins en commun le fait de promouvoir activement l’idée et la valeur d’une identité partagée, mettant également l’accent sur le respect, la promotion et la protection de « valeurs communes », au nombre desquelles on compte la langue française et la laïcité de l’État (valeurs qu’on n’interprète pas exactement de la même manière, toutefois).

L’analyse des débats sur l’interculturalisme montre l’existence d’un consensus certain quant à ce que l’on peut nommer « la condition minoritaire » québécoise et l’impératif (ainsi que la légitimité) pour l’État du Québec d’oeuvrer à l’intégration active des minorités ethnoculturelles (néanmoins, les termes de cette intégration, eux, vont différer). De même, il fait plutôt consensus parmi les députés québécois des deux coalitions de discours, de rejeter le modèle multiculturel canadien et les représentations qu’on s’en fait (non-intégration des immigrants, absence d’interactions entre les groupes ethnoculturels et la culture majoritaire, « ghettos ethniques », etc.). Ainsi, on s’entend généralement pour promouvoir un modèle québécois qui soit plus interventionniste que l’approche canadienne.

Au-delà des points communs, notre analyse révèle aussi comment les acteurs associés à ces approches se représentent différemment (1) les fondements du modèle québécois en matière d’aménagement de la diversité, (2) le rapport qu’il propose entre la culture majoritaire et la diversité ethnoculturelle et (3) ses objectifs présumés. Pour la coalition libérale-pluraliste, la réflexion autour du modèle, synonyme de l’interculturalisme, s’appuie sur la continuité des valeurs que ses membres associent à la Révolution tranquille, et l’on en vient notamment à valoriser activement le pluralisme et la présence de la diversité pour penser de manière dialogique et dynamique l’expression d’une culture publique commune. De même, l’objectif premier que l’on associe à l’intégration et à l’aménagement de la diversité ethnoculturelle consiste en la pleine participation, en français, des minorités aux institutions publiques communes, dans le but à la fois de dépasser les préjugés, de favoriser leur juste intégration et d’assurer la pérennité d’une nation francophone pluraliste en Amérique du Nord.

Quant à la coalition républicaine-moniste, elle insiste davantage sur l’importance de situer l’identité québécoise moderne, et l’expression de sa culture publique commune, dans le sillage plus lointain de la communauté d’ascendance canadienne-française. Elle met l’accent sur des principes tels que la primauté du fait français, l’égalité hommes-femmes et la laïcité plutôt que sur le pluralisme et la valorisation active de la diversité. Sans nécessairement être complètement insensibles au sort des minorités ethnoculturelles, les républicains-monistes se préoccupent davantage de la condition minoritaire du groupe francophone, ce qui a pour corollaire de prioriser les valeurs collectives qui lui sont spécialement associées. Cette coalition en vient parfois à rejeter l’interculturalisme, car ce modèle aurait une trop grande proximité normative avec le multiculturalisme canadien. Enfin, la politique d’intégration de la diversité viserait une certaine acculturation des nouveaux arrivants, ce qui s’inscrit dans l’horizon d’une intégration asymétrique pour les minorités, qui doit être mise au service de la continuité historique de la majorité francophone, et s’accompagner d’une institutionnalisation des attributs de celle-ci.

Dans un autre registre, notre article apporte aussi une contribution à la littérature scientifique en exposant le décalage entre le dynamisme du débat sur l’interculturalisme dans l’univers intellectuel et son caractère somme toute peu structurant dans le débat parlementaire, tout comme son absence d’institutionnalisation formelle. Nonobstant cette faible présence de la notion dans le débat parlementaire, notre analyse rend compte des représentations qui s’y rapportent chez les députés québécois (et autres intervenants non parlementaires) dans le cadre des travaux menés à l’Assemblée nationale du Québec. Sur le plan théorique, elle contribue à un effort de conceptualisation des deux coalitions de discours en dégageant les éléments par lesquels elles divergent l’une par rapport à l’autre. D’autres chercheurs pourront s’inspirer de notre cadre analytique pour interroger les débats entourant le projet de loi 96, les discussions entourant le modèle alternatif de « convergence culturelle », ou encore d’autres matériaux empiriques, comme le discours sur l’interculturalisme dans les médias, par exemple.

Enfin, rappelons certaines limites inhérentes à notre recherche. Notre analyse ne parvient pas à tenir compte de toute la richesse et de toute la complexité du débat public québécois sur l’interculturalisme. Notre cadre d’analyse a, en effet, évacué les critiques antisystèmes qui s’en prennent aux postulats de base sur lesquels sont fondées les interventions à l’Assemblée nationale (entre autres : la reconnaissance de la légitimité d’action de l’État, l’importance accordée à la pérennité de la nation minoritaire francophone, la fonction associée à la culture d’ascendance canadienne-française dans la définition de l’identité québécoise contemporaine). Or, ces perspectives plus « radicales » trouvent bel et bien écho dans les écrits intellectuels et universitaires. Selon plusieurs auteurs (voir Salée, 2010; Leroux, 2012; Eid, 2018) qui s’inspirent des études postcoloniales et du pluralisme radical, l’interculturalisme pensé par les libéraux-pluralistes et les républicains-monistes demeure axé sur une « nation blanche », ce qui contribuerait à dissimuler les rapports de pouvoir et à maintenir actifs les systèmes d’oppression associés au racisme et au colonialisme. Indirectement, donc, notre étude offre une contribution supplémentaire à la littérature en montrant l’absence de cette perspective plus critique et radicale dans les débats parlementaires à l’Assemblée nationale du Québec.