Corps de l’article

1. Introduction

L’interprétation, opération de lecture littéraire qui implique non seulement la mobilisation de savoirs, mais aussi la subjectivité et la réflexivité des lecteurs, est une composante centrale de la compétence «Lire et apprécier des textes variés» du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) (Gouvernement du Québec, 2005). Dès le 1er cycle du secondaire, les élèves doivent apprendre à justifier leur interprétation et leur appréciation d’oeuvres littéraires (Gouvernement du Québec, 2011). Cependant, comme l’ont souligné Falardeau et Sauvaire (2015), l’interprétation n’est pas clairement définie dans ces prescriptions, de même que la compréhension. L’absence de ces définitions serait-elle un obstacle à des visions partagées et cohérentes de l’interprétation et de son enseignement? D’une part, les distinctions entre la compréhension et l’interprétation sont difficiles à cerner dans les prescriptions (Falardeau et Sauvaire, 2015), d’autre part, les débats persistent chez les didacticiens qui peinent à faire consensus sur les distinctions fines entre ces opérations de lecture (Tauveron, 1999; Falardeau, 2003; Ahr, 2019): les personnes enseignantes demeurent donc privées d’indicateurs clairs pour travailler de façon spécifique et complémentaire chacune de ces opérations de lecture en classe. Le Cadre d’évaluation des apprentissages (Gouvernement du Québec, 2010) pourrait être un autre outil pour orienter, du moins en partie, leurs choix didactiques, leurs pratiques d’enseignement ainsi que leurs critères pour évaluer les compétences interprétatives de leurs élèves; ce cadre demeure cependant tout aussi imprécis. Partant, les personnes enseignantes disposent de peu de repères quant à ce que signifie «interpréter» un texte littéraire, comparativement à le «comprendre» ou à «l’apprécier» (Falardeau et al., 2012). Alors quelles sont les conceptions des personnes enseignantes à l’égard de l’interprétation d’un texte littéraire, sachant que leurs conceptions guident leurs pratiques d’enseignement (Wirthner, 2011)? En effet, si les conceptions[1] influencent les attitudes et les actions quotidiennes, nous pensons, à l’instar de Demougeot-Lebel et Perret (2010), qu’elles se construisent «en fonction du vécu, du milieu social, ou encore du milieu professionnel» (p. 57). La présente contribution vise donc à décrire les conceptions qu’ont des enseignantes de l’interprétation, ce qui nous permettra de mieux comprendre leurs choix didactiques, à savoir ce qui oriente et freine leur enseignement de l’interprétation.

2. Problématique

2.1 L’influence du rapport à la lecture littéraire sur les conceptions et pratiques d’enseignement de l’interprétation

Rappelons que les personnes enseignantes du secondaire ont peu d’indicateurs clairs pour orienter leur enseignement de l’interprétation (Falardeau et Pelletier, 2015), ce qui entraîne des conceptions plus ou moins floues de ce que signifie pour eux «interpréter un texte littéraire» et l’enseigner. Leurs conceptions de cette opération lectorale (Dufays, 2019) varient en fonction de leur rapport à la lecture littéraire (Émery-Bruneau, 2010), lequel est justement constitué de leurs conceptions et de leurs pratiques de lecture personnelles et professionnelles. Par exemple, les personnes enseignantes ont reçu des formations universitaires variées en didactique de la littérature, leurs bibliothèques intérieures orientent leur choix de corpus à enseigner (Louichon et Rouxel, 2010), leurs expériences de lecture orientent leurs gestes didactiques (Sauvaire et al., 2021); tant de facteurs qui mènent à des représentations variées de la littérature et de son enseignement, particulièrement entre les personnes enseignantes du 1er et du 2e cycle du secondaire (De Beaudrap et al., 2004; Émery-Bruneau, 2014). En outre, l’enseignement de l’interprétation est peu présent au 1er cycle du secondaire, car on y travaille surtout la compréhension en lecture (Émery-Bruneau, 2014), notamment en recourant à des questionnaires de repérage d’information (Dezutter et al., 2012; Lépine, 2017). Les personnes enseignantes modélisent les réponses (Ronveaux et Schneuwly, 2018) ou explicitent une stratégie de lecture que les élèves doivent reproduire (Falardeau et Gagné, 2012). L’interprétation semble plutôt travaillée dans les niveaux scolaires plus avancés (Dufays et al., 2020; Sauvaire et al., 2021), comme s’il s’agissait d’une opération plus complexe. Pourtant, il est demandé explicitement aux personnes enseignantes du 1er comme du 2e cycle du secondaire d’enseigner et d’évaluer la compétence à interpréter un texte littéraire (Gouvernement du Québec, 2010).

Le problème n’est pas le manque d’homogénéité quant à une conception qui serait unique de l’interprétation et de son enseignement, car nous adoptons une posture épistémologique du divers, au sens de Sauvaire (2015):

S’inscrire dans cette épistémologie […] [signifie] rompre avec la définition essentialiste d’un sujet identique à soi, unitaire, homogène et permanent. L’épistémologie du divers nous encourage au contraire à repenser non seulement les modalités de l’ouverture du sujet à la diversité, mais surtout la diversité comme une caractéristique constitutive du sujet lui-même.

p. 109

Si les conceptions de l’interprétation qu’ont des personnes enseignantes du 1er cycle du secondaire demeurent un objet encore peu exploré, il gagnerait à être documenté de façon à ce qu’on puisse mieux comprendre les choix didactiques des personnes enseignantes.

2.2 Les recherches récentes sur l’enseignement et l’apprentissage de la lecture littéraire

Peu de recherches en didactique de la littérature se sont concentrées sur ce que signifie «interpréter» pour les personnes enseignantes. En effet, quelques études traitent des compétences interprétatives des élèves observées à l’aide de dispositifs didactiques spécifiques au travail interprétatif (Aeby Daghé, 2010; Dias-Chiaruttini, 2010; Sauvaire, 2013; S. Leclerc et Émery-Bruneau, 2021; Sauvaire et al., 2021). Or, ces recherches qui portent sur le débat interprétatif[2] n’ont pas étudié la manière dont les personnes enseignantes conçoivent a priori l’interprétation. D’autres recherches ont étudié les tâches proposées en lecture littéraire, comme le cercle de lecture (Hébert, 2013): la manière dont les personnes enseignantes introduisent une oeuvre littéraire et les tâches qui y sont associées ont des effets sur l’interprétation des élèves (Aeby Daghé, 2010). Cependant, l’ensemble de ces recherches avaient pour focale les capacités des élèves à interpréter plutôt que les pratiques d’enseignement de l’interprétation. En outre, on a proposé aux personnes participantes d’utiliser des dispositifs didactiques créés dans le cadre de recherche-action, de recherche-formation ou d’ingénierie didactique; les pratiques ordinaires d’enseignement de l’interprétation n’ont donc pas été documentées.

Deux autres recherches québécoises récentes qui se rapprochent de l’étude des conceptions et de l’enseignement d’une opération de la lecture littéraire sont celles de Lépine (2017), portant sur les conceptions et pratiques d’enseignement de l’appréciation littéraire au primaire, et de Babin (2016), traitant de l’enseignement d’oeuvres littéraires au cégep. Or, ces deux études ne traitent pas spécifiquement de l’interprétation, en plus de s’être déroulées dans des ordres d’enseignement différents du secondaire (primaire et cégep).

Ces constats nous ont alors amenées à nous demander: comment des personnes enseignantes de français du 1er cycle du secondaire conçoivent‑elles et enseignent-elles l’interprétation d’un texte littéraire? Nous avons donc voulu décrire les conceptions de personnes enseignantes en regard de l’interprétation et décrire leurs pratiques déclarées d’enseignement de cette compétence lectorale.

3. Cadre conceptuel: la lecture littéraire et l’interprétation

Comme Louichon (2011) l’a rappelé, le concept de lecture littéraire, dont les origines puisent dans les théories de la réception (Iser, 1976; Jauss, 1978), est défini en fonction de l’oscillation entre deux pôles, soit la «distanciation» et la «participation» du lecteur avec le texte. Lorsqu’il lit un texte littéraire, le lecteur effectue un va-et-vient entre ces deux pôles, soit un «mouvement dialectique» (Dufays, 2006). Ainsi, la distanciation signifie mettre à distance le texte et soi-même de façon à mieux intellectualiser son expérience de lecture, à y réfléchir, à juger de la qualité de sa compréhension (Tauveron, 1999). Le lecteur mobilise alors des «activités cognitives et culturelles variées, la construction d’un sens et d’une culture communs» (Dufays, 2002, p. 19). Quant à la participation, elle est nécessaire et complémentaire à la distanciation, car elle met «en oeuvre des ressources de l’émotion, de l’imagination, de la passion, de la subjectivité» (p. 19). C’est dans cet acte subjectif que se retrouve l’interprétation d’un texte littéraire (Rouxel, 1996).

Les premiers travaux en didactique de la littérature qui visent à définir l’interprétation s’inscrivent en continuité de l’herméneutique classique (l’interprétation est l’aboutissement de la compréhension) (Gadamer, 1996) et de l’herméneutique moderne (la compréhension et l’interprétation sont en constante interaction) (Ricoeur, 1986). Vandendorpe (1992) divisait l’action d’interpréter en deux niveaux: au premier niveau, le lecteur comprend le texte et l’interprète, puis au deuxième, il développe une interprétation plus poussée. En revanche, pour Grossmann (1999), le lecteur interprète d’abord d’une façon «machinale» et subjective pour ensuite interpréter le texte de façon «consciente», c’est-à-dire que le lecteur entreprend une démarche volontaire de recherche de significations variées, ce qui se rapproche de la posture de distanciation au sens de Dufays et al. (2015). Cette deuxième interprétation, qui approfondit aussi la compréhension, pousse le lecteur à se questionner sur les intentions possibles de l’auteur et sur les interprétations des autres lecteurs (Grossmann, 1999).

Ces premières définitions proposées par des didacticiens qui se sont inspirés de l’herméneutique ont néanmoins soulevé des questionnements quant aux liens entre l’interprétation et la compréhension. C’est ce qui a mené Tauveron (1999) et Falardeau (2003) à montrer que le lecteur effectue un va-et-vient entre la compréhension et l’interprétation, car «la compréhension du contenu d’un texte facilite le travail interprétatif qui nourrit la compréhension qui, en retour, enrichit l’interprétation» (Falardeau, 2003, p. 692). Ainsi, dans cette perspective, compréhension et interprétation sont complémentaires. Cet aller-retour du lecteur, sans hiérarchisation des compétences lectorales, nécessite néanmoins une compréhension minimale du texte, générée par une lecture d’abord distanciée pour que le lecteur puisse ensuite pleinement expérimenter sa lecture subjective.

La subjectivité reliée à l’interprétation crée un point de divergence chez les didacticiens. En effet, l’interprétation peut prendre appui sur différentes intentions: celle de l’auteur, celle du texte et celle du lecteur. Par exemple, Hirsch (1967) et Juhl (1980) défendaient la centration traditionnelle sur l’auteur. Dans cette perspective, une seule interprétation ne peut être possible: celle de l’auteur. D’autres défendent plutôt une centration sur le texte (Eco, 1992), ce qu’on nomme «les droits du texte», car l’auteur lui‑même n’est pas nécessairement en mesure de contrôler l’effet qu’il aura sur le lecteur. Enfin, pour ce qui est de l’intention du lecteur, celle-ci part de l’expérience même de la lecture et repose sur sa réception singulière (Jauss, 1978). Cette troisième acception, qui fait désormais consensus chez les didacticiens (Louichon, 2011), renvoie aux «droits du lecteur». Ces «droits du lecteur» laissent supposer que diverses interprétations d’un même texte sont possibles. Afin toutefois de s’assurer que les interprétations ne soient pas délirantes (Bayard, 2007), il est nécessaire de les confronter et de les valider auprès d’une communauté de lecteurs (Dias-Chiaruttini, 2010), car pour être jugée recevable, une interprétation doit faire consensus (Sauvaire, 2013).

Pour générer une multitude d’interprétations, le lecteur doit être confronté à un texte «proliférant», polysémique et donc résistant (Tauveron, 1999). Ces textes permettent au lecteur de réfléchir plus profondément au sens, car ils «présentent de nombreux éléments potentiellement polysémiques, des indices pouvant entrer dans plusieurs réseaux et donc diversement interprétables» (Tauveron, 1999, p. 20). Pour approfondir le sens du texte et valider son point de vue, ce type de texte est essentiel, car il génère la production de significations diverses et variées.

En tenant compte des diverses acceptions de la notion d’interprétation, et en considérant l’évolution des travaux dans le domaine de la didactique de la littérature qui se sont décentrés de l’auteur et du texte pour se concentrer sur la réception des lecteurs, nous considérons que l’interprétation peut être définie comme un travail continuel d’appropriation d’un texte littéraire proliférant et de création d’hypothèses subjectives qu’un lecteur émet sur ce texte, puis valide au sein d’une communauté de lecteurs.

4. Méthodologie

Nous avons réalisé une étude multicas avec neuf enseignantes de quatre régions du Québec qui ont accepté volontairement de participer à la première phase de cette recherche (échantillon de convenance). Nous avons réalisé avec elles des entretiens semi-dirigés d’une durée moyenne de 45 minutes qui portaient sur trois grands thèmes:

  • le rapport à la lecture littéraire (ses définitions et composantes relatives à la lecture de textes littéraires; ses pratiques personnelles de lecture; les corpus enseignés; sa manière d’enseigner la lecture littéraire);

  • la manière de conceptualiser l’interprétation (sa définition de l’interprétation et ses liens avec la compréhension et l’appréciation; ses manières de décrire l’acte d’interpréter une oeuvre littéraire; sa vision du rôle et des finalités de l’interprétation de textes littéraires; sa manière personnelle d’interpréter une oeuvre);

  • la manière de l’enseigner (ses séquences d’enseignement et d’apprentissage de la lecture littéraire; les activités et tâches privilégiées pour développer les compétences interprétatives des élèves; ses gestes d’enseignement pour inviter les élèves à interpréter une oeuvre; ses finalités didactiques relatives à l’enseignement et l’apprentissage de l’interprétation).

La deuxième partie de la collecte de données prévue visait à faire des observations en classe pour décrire la manière dont l’interprétation est enseignée (comme invariant, le même texte aurait été proposé à toutes les participantes). Or, la fermeture des écoles en raison de la propagation de la COVID-19 en mars 2020 a engendré un changement dans la collecte de données et nous avons plutôt procédé par questionnaire écrit. À partir d’un même texte littéraire, les enseignantes ont décrit leurs pratiques projetées (la séquence d’enseignement, les objectifs, les activités et tâches, etc.). Six des neuf enseignantes ont participé à cette deuxième phase de la collecte. Cependant, dans le présent article, faute d’espace, nous nous concentrons spécifiquement sur les résultats obtenus lors de la première partie de cette recherche, car nous voulons décrire ici leurs conceptions de l’interprétation et leurs pratiques d’enseignement déclarées. Soulignons enfin que nous avons choisi de nous concentrer uniquement sur des enseignantes du 1er cycle, car a contrario des recherches québécoises qui ont porté sur le primaire (Lépine, 2017), le 2e cycle du secondaire (Sauvaire et al., 2021) et le cégep (Babin, 2016; Sauvaire, 2013), aucune étude sur l’interprétation n’a précisément porté sur le début du secondaire.

Nous avons réalisé une analyse de contenu de type thématique (Bardin, 1977) des entretiens transcrits (verbatim composé de 10 à 12 pages chacun) et codé les énoncés de sens avec des catégories préétablies et émergentes. Les catégories utilisées apparaissent en annexe. Voici comment nous avons procédé à l’analyse à l’aide de NVivo. Nous avons d’abord découpé l’énoncé de sens, par exemple: «Tant que je suis pas à l’aise à 100 % dans la compréhension, j’ai pas tendance à faire automatiquement de l’interprétation» (Catherine). Cet énoncé illustre sa conception du processus interprétatif. Nous avons donc classé l’énoncé dans la catégorie «Comprendre et ensuite interpréter», car pour elle, l’interprétation d’un texte ne peut être faite sans une compréhension initiale. Cette conception de l’enseignante s’inscrit dans le sillage de l’herméneutique classique.

Pour nous assurer d’un codage systématique et valide, l’ensemble des données a été codé à trois reprises: d’abord avec les catégories préétablies provenant de notre cadre conceptuel, ensuite en intégrant les catégories émergentes, puis enfin en révisant toutes les analyses avec la grille stabilisée. Nous avons atteint un taux d’accord intra/intercodeur de 90 % à la troisième phase d’analyse. Puis, nous avons analysé nos résultats en deux temps. D’abord, puisque nous faisons une étude multicas, nous avons produit des portraits individuels de chaque enseignante, ce qui nous a permis de faire émerger les liens entre leurs conceptions de l’interprétation, puis la manière dont elles déclarent l’enseigner. Nous avons aussi réalisé une comparaison entre les neuf participantes en fonction des résultats classés dans chaque catégorie. Une relecture fine des énoncés classés a donc été réalisée de façon à «comprendre le sens de la réalité des individus» (Karsenti et Savoie-Zajc, 2011, p. 126), étant donné qu’il s’agit d’une recherche de type interprétatif. L’analyse de nos résultats a donc mis en lumière les conceptions de l’interprétation de ces neuf enseignantes et leurs pratiques d’enseignement déclarées de cette opération lectorale. Dans la présente contribution, nous présentons les résultats provenant des analyses croisées.

5. Résultats

Les résultats de cet article proviennent des entretiens réalisés avec neuf enseignantes: Audrey, Béatrice, Catherine, Daphné, Édith, Fannie, Geneviève, Hélène et Ivonne[3]. Nous en faisons ressortir les visions communes et singulières en regard de l’interprétation et de son enseignement.

5.1 Les conceptions de l’interprétation de textes littéraires

Les résultats obtenus ont mis en lumière trois éléments au centre des conceptions des enseignantes: les distinctions et les liens entre la compréhension et l’interprétation, l’importance de la justification pour défendre une interprétation et la nécessité de valider les interprétations au sein d’une communauté de lecteurs.

5.1.1 Les liens entre la compréhension et l’interprétation

L’analyse de nos entretiens a révélé que cinq des neuf enseignantes croient qu’il faut d’abord une compréhension initiale (qui implique notamment le décodage, les mots de vocabulaire et la structure narrative du texte) pour être en mesure d’interpréter un texte littéraire. Selon elles, c’est en comprenant d’abord le texte et en étant en mesure de s’y référer qu’un lecteur peut justifier une interprétation, ce qui est décisif pour en déterminer sa pertinence. Daphné décrit ainsi ce processus: «D’abord tu lis l’ensemble, tu lis la coquille de l’oeuvre. Tu comprends la mécanique de l’oeuvre, puis après ça, je pense que tu entres dans l’analyse, dans l’interprétation.» Ce qui rappelle l’héritage de l’herméneutique classique.

Néanmoins, certaines enseignantes se questionnent par rapport à la distinction entre compréhension et interprétation. Par exemple, Geneviève souligne que «la ligne est mince entre les deux» opérations, car une interprétation peut aussi contribuer à approfondir sa compréhension. Pour trois des enseignantes, la compréhension et l’interprétation sont tellement imbriquées que le lecteur effectue un «va-et-vient» entre ces deux opérations. Catherine a ajouté qu’il y a certaines «dimensions qui s’emboîtent les unes dans les autres, mais qu’il y en a qui sont au service d’autres qui permettent de vraiment [s]’approprier le texte». Selon elle, la compréhension approfondit l’interprétation qui, à son tour, mène à une meilleure compréhension du texte. Ce qui s’inscrit en continuité des théories de la réception.

5.1.2 La justification: une pratique indissociable de l’interprétation

Pour ce qui est d’établir une définition de ce qu’est «interpréter», selon la majorité des enseignantes interrogées, il s’agit d’une action reposant sur la subjectivité, car elle pousse le lecteur à créer des liens avec le texte afin de cibler ce que le texte tente vraiment de dire ou bien ce que le lecteur perçoit. Catherine a apporté une précision à cet égard: «[…] si l’autre à côté a une autre interprétation… c’est tu vraiment important de savoir qui a raison? À moins que l’interprétation soit basée sur des pistes complètement erronées». Cet énoncé propose deux composantes de l’interprétation: la polysémie du texte et la réception du lecteur qui, pour être valide, doit être justifiée. Cette justification prend appui, selon les enseignantes, sur les connaissances du lecteur relatives aux thématiques dans l’oeuvre, ainsi que sur des passages spécifiques du texte. Parce qu’interpréter est une opération subjective selon elles, trouver le sens donné initialement par l’auteur est plus ou moins primordial, car il fait partie de la «valise de réponses» de chaque lecteur (comme l’a souligné Béatrice). Donc, selon elles, plusieurs interprétations demeurent possibles si elles sont justifiées convenablement.

5.1.3 Le retour au texte et le partage des interprétations

Six des neuf enseignantes soulignent l’importance de la relecture et du partage des interprétations au sein d’une communauté de lecteurs afin de bonifier et de nuancer ses justifications. Fannie affirme d’ailleurs que l’interprétation, «c’e[st] souvent quelque chose qui apparaî[t] avec plusieurs relectures, avec beaucoup de réflexion». Ce retour au texte peut aussi être fait en cercles de lecteurs, comme certaines le proposent. Par exemple, selon Hélène, cette pratique rend compte de la diversité interprétative: «[F]aire des discussions, discuter de nos lectures, de nos points de vue […] c’est important de rendre les élèves conscients de leurs interprétations, des interprétations des autres». Il semble donc qu’elles conçoivent l’interprétation comme une activité singulière, certes, mais qui mobilise indubitablement une collectivité (le lecteur n’interprète donc jamais seul, selon elles) qui est un soutien à l’interprétation.

5.2 Les pratiques d’enseignement déclarées

Les résultats ont révélé une conception commune de l’archiélève du 1er cycle, dans le sens de Ronveaux (2014), à savoir l’entité imaginée par la personne enseignante et qui guide cette dernière lorsqu’elle planifie. Cette façon de se représenter «l’élève modèle» ou «l’élève à former» trouve des échos sur leurs pratiques d’enseignement de l’interprétation et sur quelques dispositifs didactiques proposés par les participantes.

5.2.1 L’enseignement explicite pour les élèves jugés incapables d’interpréter de façon autonome

Toutes les enseignantes interrogées utilisent la modélisation pour enseigner la lecture, particulièrement lorsqu’il s’agit d’enseigner l’interprétation. Par exemple, Daphné parle de «mécanisme» et suggère une structure de «réponse» afin de répondre correctement aux questions d’interprétation. Selon elles, l’archiélève du 1er cycle n’a ni les expériences ni les connaissances lui permettant d’interpréter adéquatement ou, du moins, de comprendre ce qu’est l’interprétation. Geneviève est éloquente à l’égard de cette disciplination: «[…] je pense qu’ils finissent par comprendre comment répondre à une question d’interprétation plus que, c’est quoi l’interprétation». En outre, la complexité du processus interprétatif motive les enseignantes à enseigner explicitement une méthode, en passant notamment par les stratégies de lecture. Ces stratégies sont mobilisées lors de cercles de lecture ou dans un journal, comme l’indiquent Édith et Fannie. En fait, elles soulignent la difficulté encore trop importante des élèves à comprendre les idées principales d’un texte. Selon elles, plusieurs n’en sont encore qu’au décodage. Elles privilégient alors la lecture guidée lors de laquelle elles questionnent constamment les élèves, car comme le souligne Audrey, c’est «surtout à travers les questions [posées par] l’enseignante que les élèves interprètent». Elles leur montrent comment employer les stratégies de lecture, relire le texte afin de cerner des indices menant à une justification détaillée et partager ses interprétations (la plupart du temps en grand groupe) afin de constater la diversité interprétative.

5.2.2 Des outils pour réduire les difficultés des élèves

Pour rendre le processus interprétatif plus simple, les enseignantes utilisent majoritairement le questionnement et les questionnaires de lecture afin de réduire les difficultés des élèves. Elles précisent qu’elles emploient aussi d’autres outils comme des grilles d’évaluation ou le journal de lecture. D’un côté, Béatrice, Fannie et Geneviève croient que l’enseignement de l’interprétation s’effectue notamment par le biais de textes plus courts, ce qui permet de réduire le temps alloué à la compréhension initiale pour accélérer l’accès des élèves à l’interprétation. Ainsi, les élèves peuvent effectuer une relecture rapide afin de déceler des «preuves» ou «indices» qui prouvent une hypothèse interprétative. D’un autre côté, elles reconnaissent qu’un texte plus court n’est pas nécessairement proliférant, ce qui n’encourage pas la diversité interprétative, comme l’indiquent Béatrice et Fannie.

D’autres enseignantes, comme Audrey et Catherine, choisissent même d’outrepasser le travail sur la compréhension en visionnant avec leurs élèves des courts-métrages. Selon elles, cela réduit les difficultés des élèves qui n’ont plus à décoder des mots puisqu’ils visionnent un film: les images racontent l’histoire. Ces enseignantes peuvent aussitôt questionner les élèves sur leurs interprétations et montrer que celles-ci surviennent non seulement en contexte de lecture, mais également dans plusieurs aspects de leur vie. Ivonne souligne d’ailleurs cette transposition du travail interprétatif à d’autres contextes de communication, comme dans les relations interpersonnelles: «[…] si je te fais une face, tu interprètes ça comment?».

5.2.3 Des genres d’activités scolaires qui se distinguent: la mise en scène et le débat interprétatif

Nous avons remarqué, enfin, que deux enseignantes ont des pratiques d’enseignement qui se distinguent. Catherine utilise la mise en scène, ce qui évite que les élèves se limitent à un discours objectivé de leur interprétation. Tel un acteur, elle invite l’élève à illustrer avec son corps et sa voix sa propre vision de l’oeuvre, par exemple, en mimant une bande dessinée ou en reproduisant oralement un dialogue tiré d’un roman. Geneviève a, pour sa part, mentionné se servir du débat interprétatif comme dispositif afin de travailler l’interprétation lorsque les élèves travaillent en petits groupes et qu’ils ont déjà élaboré des interprétations personnelles. Ce dispositif vise à rechercher collectivement des interprétations recevables, parfois contradictoires.

6. Discussion

Nous avons été en mesure de mettre en écho ces résultats avec d’autres recherches et de soulever de nouvelles questions et enjeux par rapport à l’enseignement de l’interprétation de textes littéraires, particulièrement en regard des liens entre conceptions et pratiques déclarées.

6.1 La compréhension d’abord

Nous constatons qu’au 1er cycle du secondaire, les enseignantes privilégient la compréhension d’abord, en misant sur l’explicitation des stratégies de lecture, ce que d’autres travaux ont aussi montré (Brunel et al., 2017; Ronveaux et Schneuwly, 2018). Se tourner vers l’enseignement des stratégies de lecture laisserait-il sous-entendre une valorisation de l’enseignement explicite (Falardeau et Gagné, 2012), ce qui expliquerait pourquoi les enseignantes recourent souvent au modelage et aux pratiques guidées, soumettant alors le processus interprétatif à un «carcan», comme l’a nommé Geneviève? Serait-ce parce que, comme indiqué par les enseignantes, l’archiélève du 1er cycle n’aurait pas encore acquis les compétences nécessaires pour interpréter de façon autonome? Comme l’a aussi montré Ronveaux (2014), les enseignantes sous-estiment peut-être les compétences de leurs élèves. En effet, il a été montré que les élèves sont capables d’interpréter dès la première année du secondaire (Hébert, 2013; Brunel et al., 2017; Ronveaux et Schneuwly, 2018; Dufays et al., 2020), voire au primaire (Hébert, 2019). Nos résultats corroborent aussi ceux de De Beaudrap et al. (2004) et d’Émery-Bruneau (2014) qui avaient constaté que les personnes enseignantes du 1er cycle misent d’abord sur les apprentissages essentiels (savoir-lire, savoir-écrire), qu’ils ou elles ne considèrent pas encore maîtrisés par leurs élèves, relayant le travail interprétatif au 2e cycle.

6.2 L’importance de la justification pour valider ses interprétations

Les neuf enseignantes interrogées conçoivent qu’il est important de retourner au texte pour mieux justifier ses interprétations. De plus, elles défendent aussi la nécessité d’en discuter pour les approfondir et mieux les justifier. Ceci rejoint les résultats de Lépine (2017) dans lesquels nous découvrons que la justification est un des critères les plus importants pour les enseignantes dans l’évaluation de l’appréciation critique. De même que pour l’appréciation, la justification semble indissociable du processus interprétatif, comme l’ont montré Sauvaire et al. (2021) dans leur étude sur les débats interprétatifs. Pour arriver à rendre les justifications plus étoffées, Hébert et al. (2015) ont constaté que les échanges lors de cercles de lecture permettaient aux lecteurs de «reformul[er] et justifi[er] davantage et de façon plus variée leurs propos» (p. 44). La communauté de lecteurs, selon les enseignantes que nous avons rencontrées, contribue à valider les interprétations et confirme l’importance de prendre en compte la diversité interprétative (Sauvaire, 2013; S. Leclerc et Émery-Bruneau, 2021).

6.3 La lecture guidée pour modéliser l’interprétation

Comme nos résultats le montrent, la lecture guidée est un genre d’activité scolaire privilégié par ces enseignantes du 1er cycle afin d’accompagner les élèves dans leur travail de compréhension et dans l’élaboration et la justification de leurs interprétations. Dans le même esprit, Ronveaux et Paquier (2014) ont d’ailleurs montré que la lecture à voix haute permet de créer un sens au texte lu. Pour la majorité des enseignantes de notre étude, faire la lecture guidée en questionnant leurs élèves permet de miser sur une posture de lecture distanciée, qu’elles associent à l’interprétation. En grand groupe, elles recourent aux stratégies de lecture et à la relecture de passages clés afin de cerner des indices menant à l’illustration d’une interprétation. Or, établir de telles habitudes servirait-il à développer l’autonomie des élèves en tant que lecteurs, ou bien de telles approches les préparent-ils plutôt à répondre à des questionnaires de lecture en explicitant le genre de réponses attendues, comme l’ont critiqué plusieurs didacticiens (Ahr, 2019; Ronveaux et Schneuwly, 2018; Sauvaire, 2013)? L’enseignement explicite d’une certaine méthode interprétative nuirait à la subjectivité de leur expérience de lecture littéraire et à la diversité des interprétations (Sauvaire et al., 2021): cette approche se rapproche d’un enseignement formel de la lecture littéraire vivement critiqué par les didacticiens de la littérature depuis 20 ans (Langlade, 2004).

La «routine» lire-annoter-questionner crée des attentes chez les élèves; ils savent que, bien souvent, la lecture d’un texte signifie qu’il faudra répondre à un questionnaire de lecture, comme l’ont aussi constaté Falardeau et al. (2014), ainsi que Lépine (2017). Peut-être que ce guidage (et cette préparation aux évaluations) est dû au fait que les enseignantes jugent que les élèves du 1er cycle ne sont pas capables d’interpréter seuls. D’ailleurs, nos résultats montrent qu’à l’exception de deux enseignantes (Catherine et Geneviève: nous y revenons à la section 6.5) elles mobilisent peu de genres d’activités pour inviter les élèves à explorer les textes de façon autonome, à leur manière, et à en faire émerger des interprétations qui, même si elles peuvent s’avérer parfois délirantes (Bayard, 2007), mobilisent tout de même les ressources subjectives et réflexives des lecteurs (Sauvaire, 2013). En fait, il se pourrait aussi qu’elles ne se sentent pas suffisamment confiantes en leur propre maîtrise de l’interprétation, comme Fannie qui a confié qu’«[enseigner l’interprétation] requiert un bagage de connaissances assez impressionnant [qu’elle n’a pas]». Les enseignantes recourent alors à la modélisation afin de s’assurer que les élèves donnent la «bonne réponse», comme le soulignait Fannie. Or, contrairement à ces conceptions répandues, parmi les quatre principes didactiques défendus par Sauvaire (2015), il serait plus formateur de «favoriser les pratiques de questionnement plutôt que la recherche d’une “bonne réponse” (par exemple, formuler des hypothèses sous la forme de questions que se posent les élèves, plutôt que répondre à un questionnaire)» (p. 112).

6.4 Simplifier le processus interprétatif: dérives possibles

Nos résultats montrent que certaines enseignantes tentent de simplifier le processus interprétatif. Cette pratique a comme but de faciliter l’enseignement du concept «interpréter» et d’éviter de prendre trop de temps pour construire le sens du texte avec les élèves en leur offrant par exemple un texte moins réticent ou plus court. Or, le 1er cycle du secondaire sert justement au développement d’«habitudes» de lecture, en matière d’appétence et de compétence (Lépine, 2017). Ainsi, à ce niveau, les enseignantes se concentrent principalement sur le développement du savoir-faire, car les «finalités […] poursuivies [sont] plutôt d’ordre psychoaffectif et cognitif» (Émery-Bruneau, 2014, p. 24). Choisir des textes moins résistants, et moins polysémiques, qui posent d’entrée de jeu moins de difficultés pour les lecteurs, permettrait-il de motiver davantage les élèves ayant des difficultés en lecture pour atteindre cet objectif psychoaffectif, car s’ils «ne se perçoi[vent] pas comme étant compétent[s]», ils ne tenteront pas d’effectuer une tâche qui requiert un travail plus cognitif (Cartier, 2006, p. 442)? Cela soulève ici une réflexion moins tournée vers des principes didactiques (comme apprendre à interpréter) que motivationnels (le plaisir de lire), comme le défendent Falardeau et Pelletier (2015): «[L]e guidage des élèves dans l’appropriation de stratégies de lecture efficientes apparaît comme un facteur clé dans le renforcement de leur motivation en lecture et, à terme, dans le plaisir que leur procurera la lecture de textes complexes» (p. 91).

Certaines enseignantes proposent aussi l’utilisation de courts-métrages pour parvenir à outrepasser l’étape initiale de la compréhension. Cependant, cette solution inscrit plutôt les élèves dans une posture d’écoute (Lafontaine, 2006), ce qui les amène à travailler l’oral, et non la lecture. En ayant recours à de telles stratégies de détournement pour enseigner l’interprétation, nous craignons que les élèves développent peu de compétences lectorales, ce qui contribue à freiner leur progression, étant donné que ces apprentissages devront être développés dans les années subséquentes.

6.5 (Se) former à la mise en scène et au débat interprétatif pour varier les genres d’activités scolaires

Deux enseignantes ont proposé l’emploi de dispositifs didactiques qui se distinguent de la manière «traditionnelle» d’enseigner et d’évaluer l’interprétation. D’une part, la mise en scène proposée par Catherine permettrait d’observer le processus interprétatif des élèves et de les confronter aux autres lecteurs de la communauté. Si ce dispositif s’avère pertinent et valide pour illustrer les interprétations d’un texte lu (S. Leclerc et Émery-Bruneau, 2021), pourquoi cette approche n’est-elle pas davantage employée par les enseignantes du 1er cycle? Les enseignantes interrogées seraient-elles résistantes à employer le genre théâtral en classe? La valorisation de l’enseignement explicite et le «formatage» des élèves à apprendre une structure de réponse nuiraient-ils à l’utilisation d’une telle pratique, plus expérientielle que formelle, en raison des attentes en ce qui concerne l’évaluation des apprentissages? Comme l’a montré Émery‑Bruneau (2020), «ces pièges de l’évaluation conduisent à se demander si ce qui est évalué par les personnes enseignantes est davantage tourné vers les capacités des élèves à imiter, reproduire ou repérer plutôt que celles d’interpréter» (p. 8).

D’autre part, le débat interprétatif proposé par Geneviève est encore un genre d’activité scolaire peu utilisé, ce qui croise les observations d’Aeby Daghé (2010). Peut-être que les enseignantes l’associent-elles de surcroît à une pratique du 2e cycle du secondaire, où les oeuvres sont davantage lues avec une posture «esthétique et culturel[le]» (Émery‑Bruneau, 2014, p. 24)? Même Sauvaire et al. (2021) ont fait le choix de réaliser leur recherche‑formation sur les débats interprétatifs avec des enseignantes oeuvrant uniquement au 2e cycle du secondaire. Pourtant, Dias-Chiaruttini (2010) a travaillé avec ce dispositif au primaire. L’absence du débat interprétatif dans les pratiques au 1er cycle du secondaire s’explique-t-elle par le fait que les enseignantes sous-estiment les habiletés interprétatives de leurs élèves? Ou par le fait qu’elles n’ont pas été encore formées à ce genre d’activité scolaire et se sentent plus ou moins à l’aise d’accueillir les interprétations diverses de leurs élèves? Quelques enseignantes, comme Fannie, ont effectivement exprimé qu’elles se sentaient limitées en ce sens.

7. Conclusion

Notre recherche a permis de décrire les conceptions de l’interprétation et les pratiques d’enseignement déclarées d’enseignantes du 1er cycle. Elle offre une meilleure connaissance du contexte réel vécu par ces enseignantes et, par le fait même, permet de constater de quelles façons leurs conceptions trouvent des échos sur leurs pratiques. Les résultats obtenus dans cet article et nos constats ne sont pas généralisables à l’ensemble des personnes enseignantes du 1er cycle du secondaire québécois, car nous avons travaillé avec un échantillon restreint. Il s’agit d’une des limites de notre recherche. Nous reconnaissons aussi qu’il se pourrait que les enseignantes aient répondu à nos questions avec le souci de «désirabilité sociale» (Allaire, 1998). Enfin, les pratiques ordinaires déclarées ne sont pas une garantie de ce que pourrait révéler l’observation de leurs pratiques effectives, ce que nous n’avons pas été en mesure de documenter en raison de l’accès impossible aux classes au cours de la pandémie. En revanche, la continuité de cette étude pourrait décrire les pratiques effectives de l’enseignement de l’interprétation au 1er cycle du secondaire québécois.

Une réflexion émerge à la lumière de notre étude: pourquoi les enseignantes s’en tiennent-elles au guidage, à une manière de répondre à des questions d’interprétation, laquelle se rapproche d’un certain formatage pour remplir un questionnaire? La subjectivité et la réflexivité de leurs élèves, postures centrales du processus interprétatif (Sauvaire, 2013), s’en trouvent par conséquent évacuées. Est-ce par manque de confiance en leurs propres conceptions de l’interprétation, par méconnaissance d’autres dispositifs didactiques permettant d’enseigner l’interprétation ou pour uniformiser les réponses de leurs élèves afin d’en faciliter l’évaluation? Des recherches collaboratives ou des recherches-développements, ancrées spécifiquement au 1er cycle du secondaire, et portant sur des dispositifs novateurs comme le débat interprétatif, les cercles de lecteurs ou la mise en scène de textes littéraires, pourraient aussi être un prolongement à la présente étude, ce qui contribuerait à mieux outiller les personnes enseignantes quant à l’interprétation de textes littéraires qui, à la lumière de nos résultats, semble demeurer une opération de lecture littéraire peu enseignée au début du secondaire, contrairement à la compréhension.