Corps de l’article

Pour un archiviste francophone, la publication d’une nouvelle édition de l’abrégé archivistique est toujours un petit événement en soi. Avec cette quatrième édition, l’Association des archivistes français (AAF) peaufine son ouvrage qui se veut être une présentation condensée et complète des principes théoriques et des pratiques professionnelles devant être connus et appliqués par toute personne attachée à la gestion des archives. Un guide d’autant plus nécessaire que le développement des technologies numériques influence profondément la manière dont le gestionnaire des documents administratifs et l’archiviste perçoivent leur objet et leurs gestes. Un numérique qui, comme pour montrer son emprise sur la discipline et la profession, va même jusqu’à transformer la matérialité de l’abrégé qui revêt une forme hybride à cheval entre le papier et les données numériques.

Sur le plan de la structure, le livre est constitué de neuf chapitres visant à présenter, dans les larges lignes, le contexte archivistique français, mais également les différentes étapes de gestion des archives. Ainsi, alors que le premier chapitre se focalise principalement sur la présentation de la légalisation et de l’organisation des archives en France, le second traite plus directement des activités des gestionnaires des documents administratifs et des archivistes en lien avec le traitement des archives courantes et intermédiaires. C’est dans ce second chapitre que le lecteur va trouver un certain nombre de définitions pour les notions de documents, d’archives ou encore de données, mais qu’il va également pouvoir lire une présentation du cycle de vie des documents et de sa transformation avec le développement du numérique dont les principaux enjeux sont présentés dans la troisième section du chapitre. Ce dernier fait aussi récit de l’expertise et des pratiques que l’archiviste doit acquérir lorsqu’il effectue l’identification et la sélection des documents, mais également lorsqu’il assure la gestion des archives durant les deux premières phases ou âges de leur existence. Le troisième chapitre se focalise plus sur la présentation des outils et des pratiques se rattachant à l’évaluation et à la collecte des archives définitives qui doivent permettre la constitution d’un fonds reflétant les activités du producteur. C’est dans cette partie de l’ouvrage que les valeurs primaire et secondaire des documents telles que théorisées par l’américain Schellenberg en 1956 et introduites en France par Pérotin (Schellenberg dans Pérotin, 1961) sont présentées, mais également que les pratiques traditionnelles liées à la conservation totale ou partielle des archives (tri) sont traitées. Comme pour une majorité des autres chapitres, toute une section est entièrement consacrée aux archives numériques dont la nature demande d’adapter outils et gestes. Dans le quatrième chapitre sur le classement et la cotation, le lecteur trouvera une présentation sommaire du principe fondateur de la discipline qu’est celui du respect du fonds, mais également des pratiques liées au classement, à la cotation, au conditionnement, au rangement et à la localisation des archives. Le chapitre cinq, riche en exemples concrets, se concentre plus sur les principes fondamentaux rattachés à l’analyse et à l’indexation des documents. Une analyse alors utile pour la constitution des instruments de recherche dont les différentes typologies sont présentées dans le sixième chapitre qui se focalise également sur la description des archives selon les normes internationales (ISAD(G), ISAAR, ISDF et ISDIAH) et sur les enjeux actuels en lien avec la mise en ligne des outils de recherche afin de répondre aux attentes du public. Un public qui, après un chapitre sept consacré à la conservation et à la pérennisation des archives analogiques et numériques, est placé au centre de l’avant-dernier chapitre traitant de la communication des archives. Une communication que les auteurs présentent alors comme la raison d’être de la conservation des archives à intérêt public (p. 273). En plus de rappeler le cadre légal en France, ce chapitre introduit les principes fondamentaux du bon fonctionnement d’une salle de lecture comme l’inscription du lecteur lors de sa première visite et les règles de protection des documents lors de leur consultation. Ce chapitre présente également les types d’aide à la recherche que l’archiviste peut proposer pour soutenir le lecteur lors de sa consultation des outils de recherches et des documents en salle de lecture ou à distance, sur le site Internet de l’institution. Finalement, le dernier chapitre propose plusieurs pistes pour effectuer la valorisation des archives comme l’organisation de visites de classes, l’organisation d’expositions et l’usage des nouvelles technologiques et des réseaux sociaux.

1. Un guide pratique adressé principalement aux professionnels français, mais pas uniquement

De manière générale, la volonté des auteurs des différents chapitres de se focaliser sur les pratiques professionnelles et de proposer un outil pratique à leur lecteur fait que, même si l’ouvrage reste logiquement centré sur le contexte français, l’abrégé peut très bien être utile aux archivistes francophones évoluant dans un tout autre pays. En effet, l’abrégé effectue une présentation relativement classique des principes fondamentaux de la profession en se basant sur le parcours traditionnel des archives qui démarre avec la création et l’évaluation des documents pour finir avec la diffusion, en passant par le classement, la description, l’indexation, la conservation et la création des outils de recherche. Cependant, alors que certains ouvrages comme la publication québécoise Les fonctions de l’archivistique contemporaine (Couture, 1999) articulent majoritairement leur discours sur les liens qui unissent ces différentes étapes du traitement des archives, l’abrégé se veut plus pratique et s’appuie sur l’expérience des différents auteurs pour agrémenter le texte d’exemples concrets et de pense-bêtes visant à aider le professionnel dans son travail au quotidien. Ces derniers ont le mérite de montrer que les métiers de gestionnaire des documents administratifs et d’archiviste ne se résument en aucune manière à un suivi aveugle des différents outils, tels que la politique d’acquisition, le calendrier de conservation ou encore les règles internes de conservation, et qu’ils seront sans cesse appelés à se prononcer sur des cas inédits faisant appel à leur expérience et à leur jugement. Ainsi l’archiviste, par les choix d’évaluation, de description, de conservation ou de diffusion qu’il effectue, devient un acteur dans la constitution de ce que sont les archives. Même si les auteurs ne dissertent pas longuement sur ce sujet, ils ne nient nullement cette réalité et invitent à plusieurs reprises les archivistes et les gestionnaires des documents administratifs à bien documenter leurs choix. C’est par exemple le cas dans le chapitre trois consacré à l’évaluation et la constitution des archives définitives où il est stipulé :

L’archiviste doit toujours penser que ses décisions seront probablement réinterrogées après quelques années, décennies ou siècles et qu’on devra pouvoir comprendre ses choix. Même si la méthode d’évaluation proposée par le cadre méthodologique vise à limiter la part de subjectivité dans la décision, la sélection archivistique est trop complexe pour qu’on puisse atteindre l’objectivité, ce qui n’est pas si grave si les décisions sont documentées. Pensons à nos collègues du futur.

p. 106

2. Un numérique omniprésent

S’il fallait réécrire l’abrégé sous la forme d’un roman ou d’une nouvelle, il est une certitude que le numérique, à défaut d’être le héros principal du récit, en serait néanmoins l’un des essentiels protagonistes. Dans le cas d’une oeuvre de fiction, le numérique pourrait même être pensé comme un « virus » transformant le code génétique et la nature même du peuple « archives » et de la société archivistique en général. Ainsi, la nature des documents s’est radicalement transformée et, en l’espace de quelques générations, les gestionnaires des documents administratifs et les archivistes ont dû apprendre à gérer au mieux ces ensembles de données structurées (bases de données) ou non structurées (par exemple les courriels et les fichiers informatiques) qui jalonnent leur quotidien.

Une fois encore c’est sur leur expérience que les auteurs de l’abrégé s’appuient pour présenter leurs réflexions et les principes de gestion qu’ils préconisent. Ils rappellent alors que l’archivage électronique exige de la personne responsable qu’elle intervienne dès la production afin de s’assurer que les métadonnées permettant l’identification, l’interprétation et l’intelligibilité du document électronique soient adéquatement inscrites. Pour faire face aux pratiques souvent hasardeuses du personnel des organismes producteurs de documents (l’absence de règle de nommage et d’inscription de métadonnées, la création de fichiers non-classés, de doublons ou encore de fichiers esseulés) (p. 123), la mise en place de systèmes automatisés basés sur des normes et des standards comme le Standard d’échanges de données pour l’archivage (SEDA), présenté dans le chapitre trois du livre, apparaît comme une solution.

De manière générale, l’abrégé montre que certains principes fondamentaux de la discipline ne disparaissent pas totalement avec les documents électroniques et que ce sont surtout les pratiques qui se transforment. Dans ce cadre, l’ouvrage met particulièrement l’emphase sur les systèmes d’archivage pérennes des fichiers électroniques. Les auteurs invitent les lecteurs à se renseigner sur les supports d’enregistrement, les formats de fichier, ou sur l’identification des différentes manières de préserver les médiums de lecture (logiciel et matériel) des documents. Ils montrent ainsi que l’archiviste doit constamment s’assurer de l’intégrité et de la lisibilité des fichiers qu’il préserve s’il souhaite pouvoir les rendre consultables à long terme. Le développement de connaissances minimales en informatique devient dès lors une nécessité.

Cependant, les nouvelles technologies ne constituent pas uniquement un défi et un risque pour les archives, mais offrent également l’opportunité de mieux définir et présenter ces dernières. Dans une section malheureusement beaucoup trop succincte, les auteurs de l’abrégé présentent le modèle conceptuel et l’ontologie RiC qui visent à remplacer très prochainement les normes traditionnelles de descriptions des archives (ISAD(G), ISAAR(CPF), ISDF et ISDIAH) (p. 211-212 et annexe 13). L’objectif est alors de présenter la nature complexe des documents et des contextes en utilisant le modèle de graphe RDF. Les gestionnaires des documents administratifs et les archivistes pourront utiliser ce modèle conceptuel pour mieux définir, par exemple, les différents créateurs des documents d’un fonds, pour dire dans quelles institutions ces créateurs évoluent, pour signaler l’existence de copies du document décrit, pour mentionner une partie précise de ce dernier, etc. Le standard RiC, s’il rencontre son public, dispose d’un puissant potentiel permettant de mieux définir les documents et leurs contextes que les formes traditionnelles de description des archives.

En conclusion, dès la première page, l’abrégé d’archivistique est présenté comme un « manuel » permettant aux étudiants en archivistique et aux professionnels de connaître les archives, leurs outils et les gestes professionnels qu’ils doivent apprendre et effectuer au cours de leur carrière (p. 3). Sans jamais prétendre à l’exhaustivité, les auteurs ont surtout voulu présenter un « texte accessible, précis et didactique, reflétant au plus la pratique professionnelle des archives » (p. 4). Sur ce plan, le pari est grandement réussi. Nous pourrons bien évidemment déplorer, comme l’effectue l’archiviste suisse Gilbert Coutaz dans son propre compte rendu de l’abrégé, que ce dernier ne s’ouvre pas plus au monde francophone qui l’entoure alors que le Portail international archivistique francophone (PIAF) a très bien su le faire depuis 2005 (Coutaz, 2021). Cependant, l’abrégé reste un guide souhaitant aider l’archiviste dans ses gestes de tous les jours, mais l’invitant également à réfléchir sur ces derniers qu’il devra forcément aménager aux vues de son contexte spécifique. L’intégration, depuis la troisième édition, du numérique qui occupe toujours une place importante au sein des différents chapitres est appréciée et nous rappelle combien notre profession est, depuis le XXe siècle, constamment en train de se révolutionner. L’abrégé impose et s’impose au lecteur comme une référence qu’il importe, quelle que soit la région où l’on évolue, de lire. Il est un guide s’adressant à tout le monde tant il rappelle les principes fondamentaux et donne une série d’exemples concrets aidant le professionnel dans son métier. Pour reprendre les expressions propres à nos amis libraires, c’est un best-seller et un must have.