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1. Introduction

En 2013, le gouvernement du Québec a introduit une nouvelle dynamique dans la gouvernance de la forêt publique. La mise en place du nouveau régime forestier visait à concilier deux objectifs, soit développer « une industrie novatrice, performante et concurrentielle, et [assurer] la pérennité des forêts dans une perspective de développement durable[1] ». L’objectif était également de prévoir un modèle de gestion forestière qui soit axé sur de nouvelles approches d’aménagement forestier et qui tienne compte des conséquences des changements climatiques sur les forêts, des intérêts, des valeurs et des besoins des communautés autochtones et des régions du Québec, ainsi que du potentiel économique, écologique et social des forêts et de tous les produits qui en découlent.

Avec l’entrée en vigueur de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (LADTF), l’État a pris la responsabilité de la planification et de la gestion des activités d’aménagement forestier, qui comprennent des activités à caractère commercial (récolte d’arbres de diamètres commerciaux) et non commercial (tous les autres traitements sylvicoles comme la préparation de terrain, le reboisement et l’éducation de peuplement au moyen d’une scie débroussailleuse).

La mise en place du nouveau régime forestier est intervenue sur fond de crise sociale alors que plusieurs estimaient que l’exploitation de la forêt se faisait de façon erratique et sans égards aux écosystèmes et communautés locales, notamment autochtones.

La restructuration par l’État de ce secteur clé a mené à l’émergence d’acteurs dont les pratiques et les schémas d’action façonnent aujourd’hui les conditions de travail des ouvriers et des ouvrières sylvicoles effectuant des tâches non mécanisées, soit des opérations d’éducation de peuplement et de reboisement. Les travaux sylvicoles non commerciaux, lesquels sont, pour la plupart, réalisés par les ouvriers et les ouvrières sylvicoles, contribuent au maintien des écosystèmes forestiers et à la pérennisation des avantages économiques liés à l’exploitation forestière.

Il importe de souligner que, contrairement à ce qui prévaut dans d’autres provinces canadiennes, l’usage de phytocides chimiques est interdit en forêt publique au Québec depuis 2001 (Thiffault et Roy, 2011). À la suite d’une consultation publique, le Québec a plutôt fait le choix de se tourner vers des pratiques dites « mécaniques » pour éliminer la végétation concurrente aux essences forestières à valeur commerciale. Or, ces pratiques reposent sur le travail des ouvriers et des ouvrières sylvicoles.

Le travail sylvicole est dur et intense (Borz et al. 2019; Toupin et al., 2007). Dès 1991, l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec soulignait l’importance d’identifier « les types d’organisation du travail qui seraient les plus susceptibles d’offrir des conditions optimales en termes de rémunération, de charge de travail et d’alternance travail/repos » compte tenu de la nature du travail (IRSST, 1991 : 60).

Le nouveau régime forestier a entraîné la restructuration du système d’emploi dans lequel s’insèrent les ouvriers et les ouvrières sylvicoles effectuant des tâches non mécanisées. Cependant, les conséquences, pour la main-d’oeuvre, de la restructuration de leur système d’emploi n’ont pas encore été documentées. C’est de cette question dont nous traitons dans le présent texte. Nous présenterons d’abord le contexte ainsi que le cadre théorique et méthodologique de la recherche. Ensuite, nous définirons sommairement les contours du secteur forestier et des changements qu’a entraînés la mise en place du nouveau régime forestier. Finalement, nous montrerons dans quelle mesure ce nouveau régime a permis l’émergence d’acteurs exogènes au champ du droit du travail, lesquels jouent un rôle déterminant dans la structuration des conditions de travail des ouvriers et des ouvrières sylvicoles.

2. Cadre théorique et méthodologique : contours d’une recherche portant sur le recours au droit du travail

Nos constats sont issus d’une recherche qui avait pour objectif de documenter les facteurs qui inhibent ou favorisent la mobilisation du droit du travail par les ouvriers et les ouvrières sylvicoles. Le recours aux ressources proposées par le droit dépend « des opportunités et des contraintes matérielles et humaines proposées par le contexte » (Crozier et Friedberg, 1977 : 46). Pour saisir la nature de ces opportunités et contraintes, il importait de cartographier le système d’emploi dans lequel les ouvriers et les ouvrières sylvicoles s’insèrent. Un système d’emploi est défini par les différents mécanismes qui y interviennent, depuis la formation jusqu’à la terminaison de la relation d’emploi. Chaque système d’emploi comprend un ensemble singulier d’acteurs relativement interdépendants, qui interviennent avec plus ou moins d’intensité selon le stade de la relation d’emploi (Gesualdi-Fecteau, 2016a; 2016b).

Or, en matière de régulation juridique de l’activité-travail, l’État, les syndicats, les employeurs, les travailleurs et les travailleuses partagent traditionnellement la scène de l’action. En plus de ces acteurs endogènes au champ du droit du travail, il importe de tenir compte du champ d’action occupé par d’autres acteurs, exogènes à ce champ, dont le rôle et l’existence sont a priori indéterminés (Bellemare et Briand, 2015; Bellemare, 2000) et sont susceptibles de jouer un rôle de premier plan dans l’établissement des conditions de travail et la mise en oeuvre du droit du travail. Ces acteurs interagissent au sein d’un système d’emploi, et leurs rôles varieront selon l’étape de la relation d’emploi.

Compte tenu de l’objet de notre recherche, l’approche méthodologique empirique et qualitative était la plus appropriée. Notre approche était inductive; il ne s’agissait pas de valider ou d’infirmer des hypothèses en fonction de variables prédéterminées, mais plutôt d’étudier le « contexte écologique » dans lequel s’inscrivait l’objet de la recherche.

Nous avons eu recours à deux méthodes : l’analyse de données documentaires et l’entretien semi-dirigé. La collecte des données s’est déroulée entre 2017 et 2020. Les sources documentaires consultées omprenaient des documents accessibles au public. Il s’agissait, pour l’essentiel, de rapports et de documents de référence produits par des agences gouvernementales, la Vérificatrice générale du Québec et le Comité sectoriel de la main-d’oeuvre en aménagement forestier (CSMOAF). Nous avons également procédé à 52 entretiens semi-dirigés auprès de 64 personnes représentant différentes catégories d’acteurs qui interviennent, directement ou de façon interférentielle, dans le système d’emploi étudié (Tableau 1). Les entretiens avec les acteurs-informateurs et les acteurs exogènes au champ du droit du travail visaient à cartographier le système d’acteurs intervenant dans le système d’emploi dans lequel s’insèrent les ouvriers et ouvrières sylvicoles. Ces entretiens ont également permis de mieux comprendre leur rôle dans l’établissement des conditions de travail. Les entretiens avec les acteurs endogènes au champ du droit du travail visaient à saisir leur perception du rôle des acteurs exogènes ainsi qu’à documenter le cadre dans lequel intervient le recours de la main-d’oeuvre aux protections prévues par le droit du travail. Le recrutement des travailleurs et des travailleuses s’est fait selon la méthode boule de neige. Nous nous sommes toutefois assuré·e·s que la composition de la main-d’oeuvre sylvicole soit reflétée (personnes issues de l’immigration, main-d’oeuvre dite locale, main-d’oeuvre étudiante, notamment).

Tableau 1

Répartition des personnes ayant participé aux entretiens semi-dirigés selon la catégorie d’acteurs et l’organisation/groupe d’appartenance

Répartition des personnes ayant participé aux entretiens semi-dirigés selon la catégorie d’acteurs et l’organisation/groupe d’appartenance

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Comme nous le verrons, les stratégies et les schémas d’action des acteurs interagissant dans le système d’emploi dans lequel s’insère la main-d’oeuvre sylvicole sont largement tributaires de règles issues de lois et de règlements dont la fonction première n’est pas la régulation de la relation d’emploi. En effet, nos résultats permettent de constater que plusieurs acteurs exogènes au champ du droit travail jouent un rôle de premier plan dans la détermination des conditions de travail des ouvriers et des ouvrières sylvicoles depuis l’entrée en vigueur de la LADTF en 2013.

3. Gestion de la forêt publique québécoise, d’hier à aujourd’hui

Au Québec, près de 92 % des forêts sont publiques (Forestier en chef, 2020). Elles couvrent près de 54 % de la superficie totale de la province, et près de 30 % sont destinées à la production forestière (MFFP, 2020a).

Pour la plus grande partie du 20e siècle, les gouvernements ont géré les forêts en ayant pour objectif premier la production de « matière ligneuse » (bois) (Coulombe, 2004 : 2). L’adoption, en 1986, de la Loi sur les forêts mettait un terme définitif au régime des concessions forestières qui prévalait depuis plus de 150 ans et qui permettait aux entreprises de s’approprier de vastes territoires forestiers dont elles contrôlaient l’accès. L’accès au territoire forestier était donc particulièrement limité pour les collectivités et les entreprises souhaitant s’adonner à des activités sur celui-ci. La Loi sur les forêts, entrée en vigueur le 1er avril 1987, instaurait un nouveau mode d’allocation de la matière ligneuse sous la forme de « contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestiers » (CAAF). De 1987 à 2013, le gouvernement du Québec consentait des volumes de bois à long terme aux titulaires d’un permis d’exploitation d’une usine de transformation du bois, et ce, à condition qu’ils aménagent les forêts de manière à en maintenir, sinon en augmenter, la productivité. En d’autres mots, les entreprises forestières étaient également responsables des travaux sylvicoles nécessaires à la régénération des peuplements forestiers. L’émergence d’un système d’emploi fondé sur l’impartition flexible a, au fil des ans, fait l’objet de plusieurs travaux portant sur le secteur forestier (p. ex. Mercure, 1996).

Or, ce régime a été vertement critiqué. La parution du documentaire L’Erreur boréale en 1999 a soulevé l’indignation populaire. Le film de Richard Desjardins et de Robert Monderie posait un diagnostic sévère sur l’état des pratiques d’aménagement de la forêt boréale au Québec sous le régime des CAAF (Paré, 2016; Sandberg et al., 2004). Ces critiques ont conduit le gouvernement du Québec à créer, en 2003, la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise (Hagan, 2010). Son rapport, déposé en 2004, recommandait au gouvernement de procéder à des virages « majeurs » en matière de sylviculture et de gestion de la matière ligneuse. La Commission suggérait plusieurs changements quant au rôle du gouvernement et à la participation des acteurs locaux et régionaux dans la gestion des forêts, en traitant de manière spécifique de la participation des Premières Nations, compte tenu des liens particuliers qu’elles entretiennent avec le territoire forestier.

Le gouvernement a ainsi décidé de mettre en place un nouveau régime forestier afin de « promouvoir la contribution de la forêt publique au développement économique, mais aussi [d’]assurer sa pérennité ». La LADTF, entrée en vigueur le 1er avril 2013, a introduit de nombreux changements en matière de gouvernance des forêts. Au premier chef, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) est passé d’un rôle de contrôleur et de vérificateur à celui de responsable de la planification forestière.

La LADTF prévoit pour les travaux commerciaux le remplacement des CAAF par des « garanties d’approvisionnement » (GA). À l’instar des CAAF, les GA confèrent à leurs bénéficiaires un volume de bois de la forêt publique. On attribue à ces bénéficiaires le droit d’acheter annuellement un volume de bois en vue d’approvisionner une usine de transformation contre l’obligation de réaliser les opérations de récolte des bois achetés sur pied et le paiement d’une redevance leur permettant de conserver et d’exercer ce droit (Gouvernement du Québec, 2013).

Pour ce qui est des travaux non commerciaux[2], le ministère a désormais l’entière responsabilité de la gestion des opérations et assume l’entièreté des coûts liés aux activités d’aménagement. Ce nouveau rôle a imposé l’établissement d’un nouveau système de gouvernance dans ce secteur de l’industrie forestière, notamment quant à l’octroi des contrats et au suivi de la réalisation des travaux sylvicoles non commerciaux.

Comment les changements apportés par le nouveau régime forestier se sont-ils répercutés sur le système d’emploi dans lequel s’insèrent les ouvriers et les ouvrières sylvicoles? Comme nous le verrons, les parties à la relation d’emploi estiment qu’elles disposent d’un pouvoir limité. En effet, les conditions de travail de la main-d’oeuvre sylvicole sont largement surdéterminées par la LADTF et les pratiques mises de l’avant par différents acteurs exogènes au champ du droit du travail.

4. Système d’emploi des ouvriers et des ouvrières sylvicoles et rôle des acteurs exogènes au champ du droit du travail

Le taux de syndicalisation dans le secteur forestier québécois est passé de 78 % en 1986 à 28 % en 2009. Le taux de syndicalisation des entreprises effectuant des travaux sylvicoles non commerciaux est encore plus faible. Le Syndicat national de la sylviculture (SNS-CSN), le plus actif dans ce secteur, représente environ 400 ouvriers et ouvrières sylvicoles effectuant des tâches non mécanisées, réparti·e·s dans cinq régions. Quant aux employeurs, leurs intérêts sont représentés par des associations sectorielles, soit l’Association des entrepreneurs en travail sylvicole du Québec (AETSQ), la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) et le Regroupement des coopératives d’aménagement forestier du Québec (RESAM). Les entreprises sylvicoles prennent différentes formes, de l’entreprise unipersonnelle à la coopérative en passant par les entreprises constituées.

La main-d’oeuvre sylvicole est vieillissante, et le recrutement et la rétention de cette dernière constituent des défis de taille. En effet, les conditions de travail dans ce secteur sont difficiles. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) estime que les travailleurs et les travailleuses de ce secteur sont à risque « élevé et extrême » de subir une lésion professionnelle[3]. La prestation de travail des ouvriers et des ouvrières sylvicoles est soumise aux aléas de la météo et aux feux de forêt. Les activités, lesquelles se déroulent souvent en région relativement éloignée, se caractérisent par leur saisonnalité et la rémunération s’établit au « rendement », c’est-à-dire qu’elle est forfaitaire et déterminée selon la productivité[4].

Dès 2014, une étude menée par le CSMOAF rapportait que les ouvriers et les ouvrières sylvicoles percevaient une dégradation de leurs conditions de travail (CSMOAF, 2014). Dans les entretiens que nous avons menés, certains enjeux ressortaient de façon récurrente, dont la stagnation des revenus et la dégradation des conditions de vie dans certains camps forestiers. La question des coûts que doit assumer la main-d’oeuvre sylvicole est également une source de mécontentement. En effet, plusieurs ouvriers et ouvrières sylvicoles nous ont expliqué devoir assumer les coûts de leurs outils de travail en plus de débourser d’importants montants afin de se rendre de leur domicile au camp forestier. Nos constats font d’ailleurs écho aux résultats de l’Enquête sur les coûts assumés par les travailleurs forestiers manuels dans l’exercice de leur emploi réalisée par le CSMOAF (2018).

Au cours des dernières années, la main-d’oeuvre s’est diversifiée et se compose aujourd’hui d’ouvriers et d’ouvrières sylvicoles « en mouvement » s’inscrivant dans une démarche de mobilité interrégionale, interprovinciale ou internationale. Les membres des Premières Nations, dont les communautés sont établies à proximité des territoires où s’effectuent les activités forestières, occupent également des emplois d’ouvriers et d’ouvrières sylvicoles, et leur intégration aux activités du secteur dans son ensemble est encouragée par les acteurs gouvernementaux (Proulx et al., 2020).

La détermination des conditions de travail dans le secteur sylvicole dépend de l’intervention d’acteurs exogènes au champ du droit du travail. Ces acteurs interviennent dans la dynamique d’attribution et de supervision des contrats de travaux sylvicoles non commerciaux et jouent un rôle de contrôle et de surveillance des conditions de travail.

4.1 Dynamique d’attribution des contrats et incidence sur les conditions de travail

Compte tenu des mécanismes de planification et d’opérationnalisation de l’aménagement forestier mis en place par le nouveau régime forestier, la dynamique d’attribution des contrats de travaux sylvicoles non commerciaux s’est complexifiée, faisant intervenir trois principaux acteurs exogènes au champ du droit du travail : le MFFP, Rexforêt et le Bureau de mise en marché des bois (BMMB).

Le MFFP est l’entité chargée de la planification de l’aménagement du territoire forestier public. La planification procède de l’élaboration d’une stratégie d’aménagement forestier qui concerne à la fois les activités commerciales et non commerciales. Cette stratégie est déterminée par unité d’aménagement en fonction de la possibilité forestière établie par le Forestier en chef, c’est-à-dire du volume maximum des récoltes annuelles que l’on peut prélever à perpétuité, sans diminuer la capacité productive du milieu forestier. Des scénarios sylvicoles sont ensuite élaborés. Ils correspondent à la séquence des traitements sylvicoles qui doivent être réalisés sur un territoire donné et pendant une période donnée. En découlent des prescriptions sylvicoles, propres à des secteurs d’intervention spécifiques identifiés par le MFFP pour l’année en cours.

Selon les entretiens que nous avons réalisés, un budget global annuel est fixé pour les opérations sylvicoles. La répartition budgétaire se fait selon les régions et en fonction des prescriptions sylvicoles à réaliser. La détermination du budget alloué se fait en prenant appui sur la grille de valeur des traitements sylvicoles non commerciaux en forêt publique produite par le BMMB et indexée annuellement. Le BMMB, une unité administrative du MFFP instituée par la LADTF[5], a pour mission d’assurer un marché libre des bois en encourageant la compétitivité entre les entreprises. Dans le secteur sylvicole, le BMMB établit une grille de valeur qui a pour fonction d’évaluer le coût des activités d’aménagement forestier, dont les travaux sylvicoles non commerciaux[6]. La valeur d’un traitement sylvicole est calculée à partir des coûts associés à sa réalisation, qui comprennent notamment les salaires et avantages sociaux, les dépenses relatives à l’équipement, les frais de transport des ouvriers et des ouvrières sylvicoles et des personnes qui les supervisent, les coûts liés au Programme de certification des pratiques de gestion des entreprises sylvicoles (PGES) du Bureau de normalisation du Québec (BNQ) auquel toutes les entreprises sylvicoles doivent souscrire (BMMB, 2021-2022). La valeur des traitements sylvicoles dépend également du type de traitement à réaliser, par famille de traitement[7]. La grille de valeur du BMMB prévoit des majorations pouvant être ajoutées au taux initial, en fonction des conditions particulières d’un secteur d’intervention au moment de l’attribution à une entreprise du contrat pour ce secteur. Ces majorations permettent de prendre en compte les conditions dans lesquelles le traitement sylvicole est réalisé, par exemple le niveau de la pente dans un secteur d’intervention, l’obligation pour l’entreprise de fournir un hébergement compte tenu de l’éloignement du secteur ou l’organisation d’un transport collectif[8].

Sous la LADTF, l’octroi des contrats est fait d’après les prescriptions sylvicoles préétablies par le MFFP, mais a été confié à Rexforêt. Rexforêt est une filiale d’Investissement Québec dont la mission est, selon la présentation offerte sur leur site Internet, de « soutenir le [MFFP] dans l’aménagement forestier durable des forêts publiques, en gérant avec efficience les activités et les budgets qui [leur] sont confiés, principalement en matière de sylviculture ». Le MFFP a conclu une entente de délégation de gestion avec Rexforêt, notamment pour l’attribution des contrats de travaux sylvicoles[9]. Avec le nouveau régime forestier, Rexforêt, en tant que délégataire du MFFP, est devenu l’unique donneur d’ouvrage sur le territoire forestier public. Il se charge également du suivi des travaux, dans le but d’assurer le respect des prescriptions sylvicoles et des normes de qualité, et que les termes du contrat sont respectés par l’entreprise.

C’est donc Rexforêt qui détermine les secteurs d’intervention qui seront attribués à chaque entreprise sylvicole et qui établit la valeur réelle des travaux selon la grille de calcul du BMMB en ajoutant au taux initial les majorations applicables à chaque secteur. Les entreprises doivent ensuite gérer le montant octroyé en fonction des coûts liés à la réalisation de chacun des traitements de manière à ne pas dépasser ce montant.

Bien que certaines variables et majorations soient prévues par le BMMB dans le calcul de la valeur des travaux sylvicoles non commerciaux, les montants versés aux entreprises ne permettent pas toujours de tenir compte des multiples réalités du travail réalisé par les ouvriers et les ouvrières sylvicoles. Toutefois, celles-ci ont une incidence sur les frais d’exploitation des entreprises. Or, dans certains cas, ce sont les ouvriers et les ouvrières sylvicoles qui assument ces coûts. En effet, les ouvriers et les ouvrières sylvicoles nous ont fréquemment mentionné l’effet de la pente du terrain sur leur rendement, compte tenu de l’effort supplémentaire requis pour manipuler une scie débroussailleuse ou planter un arbre dans un terrain à fort dénivelé. Les ouvriers et les ouvrières sylvicoles effectuant des tâches de débroussaillage ont aussi mentionné la densité de la végétation comme un facteur affectant leur productivité. Dans les deux cas, il s’agit d’éléments pouvant être pris en compte dans le calcul de valeur réalisé par Rexforêt; les ouvriers et les ouvrières sylvicoles considèrent toutefois que la rémunération reçue ne correspond pas à la difficulté rencontrée sur le terrain. Conséquemment, les ouvriers et les ouvrières sylvicoles doivent travailler davantage pour maintenir un salaire convenable, parfois au détriment de leur santé et de leur sécurité (Toupin et al., 2007).

Malgré les éléments pris en compte dans la détermination de la valeur des contrats, dont les majorations versées pour un secteur d’intervention donné, en milieu non syndiqué, la détermination du montant qui sera versé aux ouvriers et aux ouvrières sylvicoles est une décision qui appartient aux entreprises. La main-d’oeuvre non syndiquée rencontrée nous a expliqué ne pas connaître le montant total reçu par l’entreprise pour chaque plant reboisé ou chaque hectare débroussaillé ni la proportion de ce montant qui sert à les rémunérer. Comme le soulignent les personnes répondantes du MFFP, du BMMB et de Rexforêt, ces acteurs n’ont pas le mandat d’assurer un suivi des montants effectivement versés aux ouvriers et aux ouvrières sylvicoles.

En milieu syndiqué, cette préoccupation a été conventionnée : l’entreprise est tenue d’attribuer aux ouvriers et aux ouvrières sylvicoles au moins un pourcentage prédéterminé du montant reçu. Cela dit, les entreprises doivent composer avec le montant calculé par Rexforêt. Il n’en demeure pas moins que, pour s’assurer une marge bénéficiaire, certaines entreprises tentent de limiter les coûts d’opération. Dans certains cas, ces paramètres budgétaires se répercutent sur les conditions de vie dans les camps forestiers, et ce, en milieu non syndiqué comme en milieu syndiqué. Nos résultats nous ont permis de constater que les conditions d’hébergement et de restauration offertes à la main-d’oeuvre sylvicole varient de façon importante d’une entreprise à l’autre. Dans certains cas, certaines normes établies dans le guide Hébergement en forêt de la CNESST ne sont pas respectées[10].

Mais il y a plus. Cette nouvelle dynamique de planification et de gestion des contrats de travaux sylvicoles non commerciaux est caractérisée par un système mixte d’attribution des contrats, soit par voie d’ententes à long terme de réalisation des travaux sylvicoles (ERTS) et par voie d’appels d’offres publics. Cette décision a été prise en concertation avec les représentants des associations d’entreprises sylvicoles au moment de l’entrée en vigueur du nouveau régime forestier (VGQ, 2017). Des contrats peuvent également être attribués par octroi direct, c’est-à-dire sur décision du MFFP, notamment dans le cas des contrats octroyés aux communautés autochtones (Rexforêt, 2019; Politique d’octroi : art. 6).

Une ERTS est une entente conclue entre Rexforêt et une entreprise qui réalise des travaux sylvicoles. Les ERTS découlent du modèle des CAAF, lesquels ont mené à la régionalisation du développement de l’industrie des travaux sylvicoles et à la division des responsabilités. En effet, les entreprises détenant un CAAF sous-traitaient à des tiers la partie « aménagement » du contrat. Les entreprises détenant des CAAF étaient d’importants donneurs d’ouvrage. Ainsi, malgré la mise en place du nouveau régime forestier, les ERTS sont attribuées selon l’historique de travaux de chaque entreprise sylvicole dans un territoire donné, de 2008 à 2010. Le calcul d’historique a été réalisé par le ministère et est basé sur le chiffre d’affaires que chaque entreprise avait sur un territoire durant cette période.

L’ERTS se rattache à l’entreprise. Elle correspond à une part du marché qu’une entreprise détient pour un territoire donné. Il est possible qu’une entreprise détienne plus d’une ERTS si elle réalise des travaux dans plus d’un territoire. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une part du budget disponible qui est attribuée à une entreprise. Ce sont des ententes d’une durée de cinq ans, d’abord conclues pour la période de 2013 à 2018, et qui ont été renouvelées pour la période de 2018 à 2023.

Selon les acteurs rencontrés, les ERTS permettent de favoriser une stabilité des activités des entreprises au niveau régional. Par le biais des ERTS, le MFFP a garanti aux entreprises sylvicoles une proportion importante de leurs activités économiques en garantissant 75 % de leur historique de travaux. Il s’agissait de s’assurer une certaine prévisibilité pour les entreprises, les ouvriers et les ouvrières sylvicoles, en plus de maintenir un système qui était déjà en place dans un contexte de réforme majeure.

Une partie des contrats est également octroyée par appels d’offres publics (AOP). L’un des objectifs de ce mode d’octroi est d’obtenir la valeur réelle des travaux, de manière complémentaire aux données déjà collectées, pour ajuster la grille de valeur en instaurant un « libre marché ». À cette fin, les conditions et le processus de réalisation des appels d’offres sont déterminés par le BMMB. À partir d’un prix estimé, ce sera le plus bas soumissionnaire qui obtiendra le contrat.

Suivant la Politique d’octroi des contrats de Rexforêt, les AOP sont lancés à toutes les entreprises qui sont inscrites au Registre des entrepreneurs de Rexforêt. Les contrats soumis en AOP comportent une date de début et une date de fin des travaux. Les entreprises soumissionnaires doivent donc considérer le secteur où se dérouleront les activités prévues dans l’appel, de même que leur capacité à réaliser les travaux dans la période allouée. Il n’est pas nécessaire pour une entreprise d’avoir complété les contrats octroyés par ERTS pour soumissionner en AOP. Par ailleurs, un des objectifs poursuivis par la mise en place des AOP est d’introduire de « nouveaux joueurs » dans ce secteur.

Selon les acteurs rencontrés, Rexforêt a intégré dans les contrats attribués par AOP une clause selon laquelle les conditions de travail doivent être équivalentes à celles prévues dans les contrats effectués en vertu d’une ERTS. Cette clause vise le salaire et les frais. Elle a pour but d’éviter que les entreprises soumissionnent plus bas aux dépens des conditions de travail des personnes qu’elles emploient. Or, cette clause ne s’applique pas aux entreprises qui ne détiennent pas d’ERTS. Toujours selon les acteurs rencontrés, Rexforêt imposerait aux entreprises qui soumissionnent à des taux très bas une vérification comptable. Le suivi quant au respect de la clause ne semble toutefois pas systématique.

Dans son Bilan 2008-2013 sur l’État de la forêt publique du Québec et de son aménagement durable, le bureau du Forestier en chef rapportait que, bien que les conditions de travail dans le secteur forestier s’étaient améliorées, l’attribution des travaux au plus bas soumissionnaire pouvait « reléguer la sécurité des travailleurs au second plan » (Bureau du Forestier en chef, 2015 : 246). Les ouvriers et les ouvrières sylvicoles rencontré·e·s estiment que les montants accordés par hectare étaient plus bas, au cours d’une même saison et en travaillant pour une même entreprise, dans les cas où les contrats avaient été octroyés par soumission. La conjugaison de contrats obtenus par ERTS et par AOP affecte également la durée du travail et les exigences de mobilité de la main-d’oeuvre dans un contexte de travail saisonnier. En effet, bien que chaque AOP porte sur un secteur d’intervention prédéterminé, une entreprise peut soumissionner même si ses activités ne se déroulent généralement pas dans ce secteur. Compte tenu des périodes auxquelles les AOP sont lancés et de la durée déterminée de réalisation des contrats par AOP, cela a des conséquences pour les ouvriers et les ouvrières sylvicoles qui devront se déplacer — à leurs frais — pour réaliser un contrat obtenu dans une autre région. Dans certains cas, l’entreprise n’aura pas obtenu le contrat après avoir soumissionné, et les ouvriers et les ouvrières sylvicoles devront se tourner vers une autre entreprise pour « terminer leur saison ». Le système mixte d’attribution des contrats ne tient pas compte des exigences et contraintes que l’attribution de contrats par AOP imposent aux entreprises et, ultimement, à la main-d’oeuvre sylvicole.

Initialement, 75 % des montants de travaux devaient être attribués par ERTS et 25 %, par AOP, en augmentant progressivement le nombre de contrats octroyés par AOP de manière à atteindre « un équilibre du marché » à 60 % de contrats attribués par ERTS et 40 % de contrats attribués par AOP (VGQ, 2017). Selon un audit du vérificateur général sur la gestion des travaux sylvicoles réalisé en 2017, pour l’année financière 2015-2016, les proportions étaient plutôt de 80 % pour les octrois par ERTS et de 16,6 % pour ceux par AOP (VGQ, 2017, p 18)[11]; selon les personnes répondantes, ce serait approximativement toujours le cas.

Or, les contrats obtenus par AOP servent à alimenter la grille de valeur du BMMB, laquelle permet de déterminer la valeur des contrats attribués par ERTS. Compte tenu du fait que ce sera le plus bas soumissionnaire qui obtiendra le contrat par AOP, cette situation se répercutera sur les conditions de travail, et ce, indépendamment du mode d’octroi des contrats. Le mode d’octroi par AOP risque d’influencer à la baisse la grille de valeur du BMMB.

Le système d’emploi dans lequel s’insèrent les ouvriers et les ouvrières sylvicoles est marqué par le jeu de trois acteurs exogènes : le MFFP, le BMMB et Rexforêt. La planification de l’aménagement forestier et la dynamique d’octroi des contrats de travaux sylvicoles non commerciaux, dont l’objectif est la régulation d’activités économiques, constituent des mécanismes au sein du système d’emploi. Ces mécanismes découlent des règles établies dans la LADTF et des pratiques d’acteurs exogènes au champ du droit du travail. Dans un contexte où les paramètres financiers des contrats octroyés aux entreprises sont prédéterminés et non négociables, les employeurs déploient des stratégies afin de diminuer leurs coûts. Ces stratégies se répercutent directement sur les conditions de travail.

En plus du MFFP, du BMMB et de Rexforêt, un autre acteur exogène au champ du droit du travail joue un rôle incontournable dans ce secteur. Comme nous le verrons, le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) est chargé de la mise en oeuvre d’un programme privé de certification, lequel porte sur les conditions de travail.

4.2 Encadrement des conditions de travail : le rôle du Programme de certification des pratiques de gestion des entreprises sylvicoles (PGES)

Le PGES est une certification de tierce partie créée en 2009 dont l’élaboration a été confiée au BNQ (BNQ-PGES). Le BNQ développe et met en oeuvre différents programmes de certification. Dans le secteur sylvicole, l’intervention du BNQ a été sollicitée par les trois associations sectorielles, soit l’AETSQ, la FQCF et le RESAM. Ces associations souhaitaient mettre en place un programme de certification afin d’uniformiser les conditions de la concurrence de manière à enrayer les pratiques dites « déloyales » entre les entreprises du secteur. Ces pratiques consistaient principalement au recours à la sous-traitance en cascade et à des entrepreneurs indépendants, au non-respect des règles de santé et sécurité du travail, notamment en matière d’hébergement et de modification des équipements de protection, et au manque de transparence eu égard aux conditions de travail (BNQ-PGES, Cahier des charges : 1).

Les démarches ayant mené à la mise en place du PGES ont été entreprises avant l’adoption du nouveau régime forestier, alors que plusieurs évoquaient la possibilité de recourir à un processus d’appel d’offres dans le secteur. Le programme a été instauré en 2009.

Le PGES vise donc à éviter que les conditions de travail deviennent un outil de concurrence entre les entreprises. À l’instar d’autres certifications développées et administrées par le BNQ[12], le PGES s’apparente, a priori, à un cadre de référence non contraignant auquel les entreprises souscrivent volontairement. Or, il en est tout autrement dans le secteur sylvicole. La LADTF prévoit que « les activités d’aménagement forestier […] peuvent […] être réalisées sous la supervision et la responsabilité d’une entreprise qui détient les certificats requis ou qui est inscrite à un programme pour l’obtention de ces certificats.[13] » Ainsi, Rexforêt octroie des contrats uniquement aux entreprises ayant obtenu ou étant en voie d’obtenir une certification en vertu du PGES.

Sur le plan des conditions de travail, le programme prévoit notamment des exigences relatives à la transparence envers les travailleurs et les travailleuses quant à leur rendement et leur rémunération, dont « la description qualitative et quantitative du travail à faire » et du travail « réalisé », les frais exigés et les modalités de remboursement par l’entreprise le cas échéant, de même que les méthodes d’évaluation de la production. Les travailleurs et les travailleuses doivent aussi être informé·e·s des objectifs du programme et des moyens de sa mise en oeuvre. Le PGES prévoit également des mesures concernant la santé et la sécurité du travail. Par exemple, le PGES énumère explicitement le matériel de premiers soins dont l’employeur doit disposer et l’entreprise doit démontrer qu’elle « met en oeuvre une procédure de vérification des dispositifs de sécurité des équipements de travail et de leur entretien » (BNQ-PGES, Cahier des charges, art. 4.7.2). Le PGES prévoit également que l’entreprise doit veiller à ce que des campements et des moyens de restauration soient mis à la disposition des travailleurs et des travailleuses exécutant des travaux dans des lieux éloignés. Ces campements « doivent respecter le Guide des campements temporaires en forêt de la CNESST » (BNQ-PGES, Cahier des charges, art. 4.8).

Le PGES encadre aussi la sous-traitance. Fait intéressant, l’entreprise sylvicole qui confie une partie de ses travaux à une entreprise non certifiée devient responsable du respect par cette dernière des normes établies par le PGES.

D’autres exigences sont relatives à la « qualité des travaux ». L’entreprise sylvicole doit en effet démontrer qu’elle s’est assurée de documenter la mesure de la « quantité » et de la « qualité » des travaux. Ces vérifications sont réalisées à partir des données du MFFP (BNQ-PGES, Cahier des charges, art. 5.1).

Les acteurs que nous avons rencontrés s’entendent pour dire qu’à l’origine, l’objectif du PGES était de s’assurer que les lois et règlements en vigueur au Québec soient respectés par toutes les entreprises. En matière de droits au travail, la plupart des normes prévues au PGES renvoient explicitement aux lois et règlements du travail et aux outils développés par la CNESST en matière de prévention. Il est toutefois intéressant de noter que les exigences formulées au PGES sont adaptées à la réalité du travail en forêt et du travail sylvicole.

Le BNQ a formé un comité consultatif composé de représentants des trois associations sectorielles et du MFFP. Ce comité a pour mandat d’assurer la révision des exigences du cahier des charges et faire des recommandations sur les règles de fonctionnement du PGES. La surveillance du respect des standards fixés par le PGES est toutefois assurée par le BNQ. À la demande des parties et « dans le but de faciliter l’accès au présent programme aux petites entreprises », il existe deux types de certification (A et B) (BNQ-PGES, Règles : 2).

Toutes les entreprises qui le désirent peuvent demander une certification de type A menant à la délivrance d’un certificat de conformité d’une durée de quatre ans (BNQ-PGES, Règles : 3). Pour ce faire, un audit initial visant à évaluer la conformité des pratiques de gestion à l’ensemble des exigences du référentiel d’audit doit être réalisé. Cet audit initial comprend deux volets : un premier qui aura lieu dans les bureaux administratifs de l’employeur et chez ses sous-traitants non certifiés s’il y a lieu, et un second qui consiste en une visite « sur le terrain » incluant, selon le cas, « une visite des lieux d’hébergement ». Nos résultats révèlent toutefois que certaines exceptions s’appliquent, notamment lorsque les bureaux se trouvent à une distance importante du lieu où se déroulent les activités en forêt. Cet audit initial doit être suivi de trois audits de maintien annuel pour la durée de la certification, visant à s’assurer que les pratiques de gestion certifiées soient maintenues et appliquées conformément aux exigences.

La certification de type B est offerte pour les entreprises de plus petite taille, c’est-à-dire celles ayant un chiffre d’affaires « répondant au seuil de référence établi par le comité consultatif »; approximativement 80 % des entreprises sylvicoles auraient obtenu une certification de type B (BNQ-PGES, Règles : 3). Les entreprises souhaitant acquérir une certification de type B doivent se soumettre à un audit initial qui vise à évaluer un « échantillonnage » d’exigences, lequel se déroulera au « bureau » ou sur le terrain en forêt. Qu’il s’agisse de la certification de type A ou B, les audits de maintien portent sur un « échantillonnage » d’exigences et prennent aussi la forme d’une visite au bureau ou sur le terrain en forêt. Les entretiens réalisés révèlent qu’un plan d’audit est envoyé à l’employeur dans les jours qui précèdent celui-ci. Ce plan énonce quelles exigences seront auditées.

Toute personne peut déposer une plainte auprès du BNQ. Selon la gravité et les répercussions pouvant découler d’une plainte concernant une entreprise certifiée, le BNQ pourra juger nécessaire de réaliser un audit supplémentaire sur place dans les 30 jours civils suivant la réception de la plainte. L’entreprise sera toutefois avisée des conditions dans lesquelles se déroulera cet audit ainsi que des exigences qui feront l’objet de celui-ci. Nos résultats indiquent que très peu de plaintes ont été déposées depuis la mise en place du PGES, et que les plaintes émanant de travailleurs ou de travailleuses sont généralement redirigées vers la CNESST.

Une demande d’action corrective (DAC) est formulée pour tout écart à une ou plusieurs exigences énoncées au plan d’audit transmis par le BNQ à l’employeur. Deux types de DAC peuvent être exigés (BNQ-PGES, Règles : 6). Une DAC majeure se définit comme l’absence de mise en oeuvre ou la mise en oeuvre inadéquate ou partielle d’une ou de plusieurs exigences « ayant une importante conséquence sur l’atteinte des résultats attendus ». Il s’agit notamment des exigences relatives à la transparence envers les personnes employées, à la sous-traitance et à la qualité des travaux. Une DAC mineure se définit comme la mise en oeuvre inadéquate ou partielle d’une ou de plusieurs exigences applicables « n’ayant pas ou ayant peu de conséquences sur l’atteinte des résultats attendus ». Les personnes conduisant les audits sont invitées à « utiliser leur jugement selon la gravité de l’écart ». Pour le suivi des DAC majeures, le BNQ doit examiner, accepter et s’assurer de l’efficacité des corrections et des actions correctives mises en oeuvre. Quant aux DAC mineures, le BNQ doit examiner et accepter les corrections ou les actions correctives proposées et mises en oeuvre. Dans les deux cas, l’employeur a généralement 30 jours pour agir, quoiqu’un délai plus long pourra être consenti dans certains cas.

Il semble toutefois que le BNQ s’en remet à la bonne foi de l’employeur. En effet, sauf exception, le BNQ ne procède pas à un suivi « actif » afin de vérifier la mise en oeuvre des DAC parce que cela « engendrerait des frais supplémentaires pour l’employeur ». Une DAC majeure reconduite deux années consécutives peut mener à une suspension du certificat. Une DAC mineure portant sur la même exigence et reconduite deux années consécutives peut mener à l’émission d’une DAC majeure. Ainsi, en 2017, 133 DAC ont été émises sur 113 audits, dont sept étaient des DAC majeures. Du reste, 33 DAC dites mineures portaient sur la « transparence » envers les travailleurs et les travailleuses.

Tous les acteurs rencontrés s’entendent : le PGES a eu pour effet d’éliminer les employeurs « les plus délinquants ». Plusieurs ouvriers et ouvrières sylvicoles estiment que les exigences en matière de transparence font en sorte qu’ils et elles disposent de plus d’information leur permettant d’évaluer dans quelle mesure leur rémunération est adéquate compte tenu, par exemple, de la superficie du terrain ou de la densité de la végétation. Comme l’ont toutefois souligné les personnes répondantes, le PGES n’apporte pas de correctifs si la rémunération s’avère insuffisante. Le PGES n’oblige pas non plus les entreprises à informer les ouvriers et les ouvrières sylvicoles du montant total qu’ils ou elles reçoivent de Rexforêt ni à leur verser une proportion minimale de ce montant.

Il semble que ce soit l’absence de moyens de contrôle efficaces des lois et règlements du travail en vigueur, notamment compte tenu de l’immensité du territoire, qui ait motivé la mise en place du PGES. Ce programme découle donc d’un certain échec des institutions de régulation formelles à assurer une mise en oeuvre effective des lois du travail, ainsi que d’un taux de syndicalisation trop faible pour assurer une « surveillance » syndicale. Plusieurs des personnes que nous avons rencontrées jugent toutefois que la présence du BNQ « sur le terrain » est insuffisante, surtout lorsque le travail est effectué dans des régions éloignées des grands centres.

Par ailleurs, la fonction première du PGES n’est pas de protéger les travailleurs et les travailleuses contre les risques du travail. Le PGES répond d’abord à un impératif économique, c’est-à-dire de protéger et de limiter la concurrence entre les entreprises d’un même secteur. Cette tension n’est pas sans rappeler les deux fonctions principales du droit du travail : une première afférente à la protection et une seconde, à la régulation du fonctionnement de l’économie (Verge et Vallée, 1997 : 31 et suivantes). Or, la mise en oeuvre du PGES repose sur un système d’audit dont les bienfaits pour les travailleurs et les travailleuses sont inférés indirectement.

5. Conclusion

Les changements successifs de régimes forestiers se sont systématiquement opérés dans des contextes de crises, muées par des considérations tantôt économiques, tantôt écologiques. L’un des objectifs poursuivis en instaurant le nouveau régime forestier était notamment de mettre en place une gestion forestière assurant le développement du « potentiel économique, écologique et social des forêts[14] ». C’est pourquoi la mise en place du nouveau régime forestier et l’adoption de la LADTF ont vu l’État prendre à sa charge les responsabilités relatives à la planification forestière et à la réalisation des activités d’aménagement forestier.

Or, le développement du potentiel économique, écologique et social des forêts impose de prendre en compte les effets du système de gouvernance sur les conditions de travail de la main-d’oeuvre forestière. Nos résultats nous ont permis de constater que cela entraîne une désarticulation entre le rôle conféré à l’employeur par le droit du travail et celui de certains acteurs exogènes au champ du droit du travail et qui interviennent avec prégnance dans la détermination des conditions de travail. De plus, aucun interlocuteur imputable n’intervient pour présenter le point de vue des ouvriers et des ouvrières sylvicoles auprès du BNQ et du BMMB.

Le secteur forestier compose avec des enjeux de recrutement et de rétention de la main-d’oeuvre, accentués par le contexte de pénurie auquel fait face une pluralité de secteurs d’activités. Afin de les pallier, des solutions visant l’amélioration des conditions de travail doivent être mises de l’avant. Compte tenu de l’importance du rôle des acteurs exogènes en cette matière, deux pistes devraient être explorées. D’une part, les montants établis par le BMMB dans la grille de valeur doivent être bonifiés. Pour ce faire, le MFFP doit augmenter le budget global annuel fixé pour les opérations sylvicoles; le partage de cette augmentation avec les entreprises détenant notamment des GA doit être envisagé. D’autre part, les contrats octroyés aux entreprises par le biais des ERTS et des AOP doivent explicitement prévoir un seuil minimal du montant octroyé par contrat devant être versé aux ouvriers et aux ouvrières sylvicoles. Cette information doit leur être communiquée et le suivi de cette obligation pourrait être confié au BNQ; déroger à cet impératif devrait donner lieu à une DAC majeure. De telles avenues seraient cohérentes avec les finalités poursuivies lors de la mise en place de la LADTF et éviteraient, en définitive, un retour vers le futur.