Corps de l’article

Les peuples autochtones au Québec et au Canada ont une relation particulière avec le territoire (Davidson-Hunt et Berkes 2003 ; Landry et al. 2020 ; Martin et Girard 2009 ; McGregor 2014). En effet, le territoire est souvent au coeur de l’identité autochtone et représente un milieu de vie duquel découlent la langue, la culture et l’économie. Toutefois, le lien au territoire des peuples autochtones est mal compris, en plus d’être compromis par l’exploitation des ressources naturelles (Bélisle et Asselin 2021 ; Carlson et al. 2015 ; Notzke 1994), l’industrialisation (Newell 2015 ; Tobias et Richmond 2014) et la négation des droits autochtones (Ahrén 2013 ; GITPA 2015 ; Mackey 2014). Diverses stratégies ont été utilisées par les peuples autochtones face à la négation de leur existence et pour freiner la perte des savoirs due au manque d’accès au territoire (McCarter et al. 2014 ; Saint-Arnaud et al. 2009 ; Salée et Lévesque 2010). Le point commun à ces stratégies est la volonté de continuer à occuper le territoire, non seulement dans une perspective économique, mais également culturelle, sociale, spirituelle et politique (Martin et Girard 2009 ; Wyatt et Chilton 2014).

De tous les enjeux concernant la gestion des ressources naturelles et la gouvernance territoriale en contexte autochtone, ceux du rôle et de la place des femmes autochtones sont parmi les plus méconnus (Valaskakis et al. 2009). Bien que le processus de marginalisation des Autochtones ait été assez bien documenté (Hania et Graben 2020 ; O’Faircheallaigh 2013), les recherches – principalement menées par des hommes – ont en général omis de considérer les conséquences de la colonisation sur la contribution des femmes autochtones à la vie sociale et à la gouvernance de leurs communautés et de leurs peuples, notamment en ce qui concerne l’utilisation du territoire et des ressources naturelles (Harell et Panagos 2013 ; Kuokkanen 2011 ; Lawrence et Anderson 2005). Selon LaFromboise et al. (1990), l’égalité des relations entre les hommes et les femmes autochtones est sous-représentée dans la littérature scientifique et la prépondérance des chercheurs masculins et non-autochtones a fait en sorte de surreprésenter le rôle des hommes. En dépit de leurs luttes pour sauvegarder leurs cultures, leurs langues et leurs pratiques sur le territoire, et malgré leurs efforts pour rétablir l’équité aux plans légal, économique et politique, les femmes autochtones font rarement l’objet d’une attention particulière dans les projets de recherche (Desbiens 2007 ; Valaskakis et al. 2009).

La participation des femmes aux structures de gouvernance territoriale peut mener à une meilleure gestion des ressources naturelles (Agarwal 2009 ; Harper et al. 2018) et à une plus grande solidarité et collaboration entre les membres des comités et des organismes – autochtones et allochtones – voués à la gestion des ressources naturelles (Natcher 2013). C’est pourquoi l’élaboration de nouveaux modes de gouvernance en contexte autochtone doit assurer une participation pleine et entière des femmes (Leisher et al. 2016 ; Sayers et al. 2001 ; Wattez 2015). Or, pour que les femmes autochtones puissent reprendre le rôle et la place qui leur reviennent dans la gouvernance territoriale, il faut comprendre la vision qu’elles en ont afin que le changement vienne d’elles plutôt que de leur être, encore une fois, imposé.

C’est dans cette optique que nous avons réalisé des entrevues avec des femmes des trois communautés atikamekw, afin de mettre en lumière leur rôle et leur place dans la gouvernance du territoire et des ressources naturelles. Leurs témoignages révèlent un sentiment d’insécurité territoriale et culturelle et proposent des stratégies de mise en valeur de leurs savoirs dans la gouvernance territoriale. Les résultats trouveront écho dans d’autres contextes géographiques puisque la marginalisation des femmes autochtones dans la gouvernance territoriale est une réalité observée partout dans le monde (Agarwal 2009 ; Kermoal et Altamirano-Jiménez 2016 ; Kuokkanen 2019 ; O’Faircheallaigh 2013).

Le peuple atikamekw[1]

Les Atikamekw habitent Nitaskinan, terme qui signifie « notre territoire à nous ». Ce territoire ancestral, situé dans la forêt boréale au centre du Québec (Canada), couvre une superficie totale de près de 80 000 km2. Les Atikamekw utilisent aussi parfois le terme Kitaskino pour désigner le territoire, qui signifie « notre territoire à nous tous »[2], pour signifier le partage de l’espace avec les Emitcikociwicak, terme qui désigne les Eurocanadiens (et aujourd’hui, les Québécois) et qui signifie « ceux qui coupent les arbres ». La majorité des 8820 Atikamekw vit aujourd’hui dans les communautés de Manawan, Opitciwan et Wemotaci (CERP 2019). Une proportion de 18 % des Atikamekw vit dans les villes de Nitaskinan et des environs telles que Joliette, La Tuque, Shawinigan, Trois-Rivières, Roberval et Senneterre, dans d’autres communautés autochtones ou ailleurs au Québec (CERP 2019). Une forte proportion des Atikamekw utilisent couramment leur langue (Chachai et al. 2019).

Les transformations du territoire (coupes forestières, inondations, chemin de fer, installation des autres usagers – Emitcikociwicak), des activités (traditionnelles, de subsistance, économiques, industrielles, etc.) et de l’organisation sociale (sédentarisation graduelle dans les années 1950-1970) ont forcé les Atikamekw à adapter leurs pratiques et leur mode de vie. Les Atikamekw ont été écartés du développement de leur territoire et leur participation à l’économie de la région a été occultée (LeBel 2005). Au début des années 1970, les Atikamekw se sont organisés politiquement. En 1979, le Conseil des Atikamekw et des Montagnais a entamé un processus de revendication territoriale globale qui, à ce jour, n’a toujours pas mené à la conclusion d’une entente (Poirier 2014). Depuis ce temps, le Nitaskinan continue de faire l’objet d’exploitation forestière, de développement de routes, d’activités de villégiature, d’aménagements hydroélectriques et de lignes à haute tension, ainsi que d’exploration minière par des intérêts extérieurs.

Diverses recherches effectuées dans les années 1980, 1990 et 2000 se sont intéressées au peuple atikamekw et ont documenté la période suivant la fin de la traite des fourrures, soit de 1940 à aujourd’hui (Charest 1982, 1992 ; Dandenault 1983 ; Morissette 2004 ; Poirier 2001). Mis à part les travaux de Labrecque (1984), et plus récemment de Basile (2017) sur les transformations du mode de vie et de l’économie chez les femmes atikamekw, ainsi que les travaux de Routhier (1984) sur la perte du rôle essentiel des sages-femmes qui a provoqué d’importantes ruptures dans le mode de vie des Atikamekw, peu de données et d’informations concernant spécifiquement les femmes atikamekw ont été produites. Même la « Grande recherche » (sur l’occupation et l’utilisation du territoire) réalisée pour le Conseil des Attikamek-Montagnais entre 1980 et 1984 a très peu abordé les savoirs des femmes à propos du territoire (Basile et al. 2018).

Méthodologie

Une consultation et un exercice de coconstruction des outils de collecte de données ont été menés auprès de femmes de la Nation atikamekw (FAQ 2012 ; Basile et al. 2018) avant que ne débutent les entrevues, qui se sont déroulées en juin 2012 et en juillet 2013. Les conseils de bandes des trois communautés ont approuvé le projet de recherche, de même que le Conseil de la Nation atikamekw, l’association Femmes autochtones du Québec et le Conseil des femmes élues de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. Un certificat a été obtenu du Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

Chaque conseil de bande a identifié une femme responsable d’assurer le suivi de la recherche. Ces informatrices-clés (chacune membre de son conseil de bande) ont suggéré des noms de personnes à interviewer, qui en ont suggéré d’autres à leur tour, selon la méthode « boule de neige » (Gamborg et al. 2012). Les groupes ou comités locaux de femmes ont aussi été consultés pour identifier des participantes potentielles. Reconnues au sein de leurs communautés pour leurs connaissances de la gouvernance territoriale (historique ou contemporaine), les participantes avaient entre 27 et 93 ans ; environ le tiers étaient jeunes (27-39 ans), le tiers adultes (40-59 ans) et le tiers âgées (60 à 93 ans). La plupart étaient professeures (primaire/secondaire) ou retraitées (les plus âgées), une travaillait pour la sécurité publique, deux étaient membres de conseils de bandes et deux assumaient des postes cadres en santé et en éducation. Les participantes les plus âgées ont un long vécu sur le territoire, les adultes ont connu l’épisode des pensionnats et la sédentarisation et les plus jeunes pratiquent des activités sur le territoire de manière continue malgré leurs autres occupations. Un total de 32 entrevues ont été réalisées par Suzy Basile (10 à Manawan, 11 à Opitciwan et 11 à Wemotaci), dont 15 en langue atikamekw avec l’aide d’une interprète. De plus, les propos de sept autres personnes qui sont intervenues pendant certaines entrevues ont été retenus en raison de leur pertinence. Trois de ces personnes étaient des hommes (conjoints), dont certains ont parlé du rôle de leur grand-mère, de leur mère ou de leur conjointe dans la gouvernance du territoire.

Les témoignages des participantes à la recherche ont été classifiés par thèmes à l’aide du logiciel NVivo (QSR International), selon une approche inductive. Au total, 21 thèmes et 10 sous-thèmes ont émergé des analyses (Basile 2017). Cet article présente les cinq thèmes traitant plus directement de la gouvernance territoriale (mode de vie ; gestion du territoire ; complémentarité homme/femme ; économie et travail ; responsabilité et leadership des femmes). Une analyse complète de tous les thèmes et sous-thèmes est présentée dans Basile (2017). Les résultats ont été présentés lors de cinq séances de validation dans les communautés atikamekw afin de respecter les normes éthiques en matière de recherche avec les peuples autochtones (APNQL 2014 ; Asselin et Basile 2012 ; CRSH et al. 2018). L’identité des femmes interrogées a été codifiée (par un « A » pour Atikamekw suivi d’un numéro séquentiel) afin de préserver leur anonymat.

Résultats et discussion

Mode de vie : avant et maintenant

Les femmes interrogées ont parlé de la vie « d’avant » et de la vie « maintenant ». L’« avant » réfère à l’époque de la vie nomade des Atikamekw, précédant l’établissement des réserves, l’imposition du système des conseils de bandes et l’envoi obligatoire des enfants dans les pensionnats (Houde 2014 ; Morissette 2007). Sans vouloir projeter une image idyllique de cette période, car plusieurs ont mentionné que la vie sur le territoire était très difficile en raison de la famine, des maladies et des conditions de vie, certaines participantes parmi les plus âgées ont mentionné que les Atikamekw étaient autonomes et libres sur le territoire et que les connaissances et les expériences des femmes leur valaient de participer davantage à la prise de décisions en lien avec le territoire. Une participante a dit « Elles [les femmes] sont essentielles pour la vie sur le territoire [...]. Sans elles, les hommes auraient beaucoup de difficulté sur le territoire » (A19).

Entre « avant » et « maintenant », les participantes ont noté des changements dans leur mode de vie dus à la transformation du territoire à la suite de l’installation des Emitcikociwicak. Le même phénomène a été décrit par Saint-Arnaud et al. (2009) chez les Anicinapek de Kitcisakik et par Bousquet (2002) chez les Abitibiwinnik (Anicinapek du lac Abitibi). À titre d’exemple, l’arrivée du Maskomiwoc (congélateur) a changé le lien au territoire. Le terme, qui désigne une « boîte de conservation avec de la glace », a une prononciation similaire au terme Marisiwoc, qui désigne les personnes qui ne veulent pas partager. Ainsi, bien que le congélateur soit fort utile, comme en conviennent les femmes rencontrées, le mot « partage » a pris, depuis son arrivée, une autre signification. L’une d’elles explique :

Autrefois, les familles regroupées sur le territoire avaient le sens du partage. Quand un chasseur tuait un orignal, tout le monde avait sa part. Aujourd’hui, les Atikamekw partagent encore entre leurs familles, mais ils sont plus conservateurs maintenant, ils se font une réserve dans le congélateur.

A14

Les femmes interviewées ont fait un lien étroit entre les changements rapides du mode de vie des Atikamekw et la dégradation de la santé, la leur, mais aussi celle du territoire et des animaux. Tel que le rapportent Jardine et al. (2009), FAQ (2018) et Fuentes et al. (2020), les bouleversements du territoire et la baisse de la participation dans les activités traditionnelles affectent la santé et les pratiques autochtones. Contrairement aux hommes, les femmes jugent que les risques pour la santé et l’environnement sont plus élevés et elles sont plus nombreuses à réduire leur fréquentation du territoire en conséquence (Jardine et al. 2009). Le risque de contamination associé à la consommation de nourriture traditionnelle est une préoccupation autant pour les Atikamekw (De Grosbois 2011) que pour les Anicinapek (Bordeleau et al. 2016). La pollution apporte un lot de changements chez les animaux observés par les Atikamekw (goût, texture et odeur), mais ces informations sont rarement prises en compte par les scientifiques (Tanguay et al. 2013). Les femmes atikamekw ont exprimé à maintes reprises leur volonté de conserver le territoire en bonne santé afin de permettre aux futures générations de survivre, autant physiquement que culturellement. Cette volonté se retrouve dans la Déclaration de souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw (CNA 2014), qui énonce explicitement le caractère sacré du territoire et la manière dont il a façonné le mode de vie et la langue des Atikamekw.

Plusieurs femmes ont aussi exprimé leurs préoccupations au sujet de la perte de savoirs due à l’altération et à la baisse de fréquentation du territoire. En effet, c’est principalement sur le territoire que sont partagées les histoires (Atisokan), qui servent non seulement à transmettre les savoirs, mais aussi à renforcer l’identité (Basile et al. 2017). La création des écoles dans les communautés atikamekw a aussi contribué à empêcher les femmes d’aller en forêt aussi souvent qu’avant puisqu’elles doivent rester dans la communauté avec les enfants (Société d’histoire atikamekw - Nehirowisiw Kitci Atisokan 2014). Par ailleurs, le fait que les enfants fréquentent l’école leur laisse moins de temps pour aller en forêt, ce qui a modifié leur lien au territoire (Landry et al. 2020).

Parmi les savoirs qui risquent de se perdre en raison des changements du mode de vie atikamekw, certaines participantes ont donné l’exemple de la fabrication de mackiki (« médecine » ou « médicament »), qui doit se faire sur le territoire, dans le milieu naturel où se trouvent les plantes médicinales. Une femme a raconté :

Les femmes atikamekw détiennent plusieurs connaissances sur les plantes médicinales et nous en consommons tous les jours. Nous en faisons la cueillette, la préparation des tisanes pour guérir nos enfants, nos hommes, les femmes enceintes et les Aînés. Cela fait partie de notre vie traditionnelle.

A12

Il est largement reconnu que les connaissances et usages des plantes médicinales par les peuples autochtones relèvent principalement des femmes (Beaulieu et al. 2013 ; Desbiens et Simard-Gagnon 2012 ; Lévesque et al. 2016 ; Turner et al. 2000). La transmission des savoirs sur les plantes médicinales est en péril en raison de la destruction des milieux forestiers (Turner et Turner 2008).

Gestion du territoire : vers un retour à l’équilibre

Les femmes rencontrées ont mentionné que chaque famille atikamekw était autrefois identifiée à une partie de Nitaskinan dont elle était responsable et qu’elle respectait. Une Aînée a également affirmé : « Gérer le territoire c’est aussi respecter ce que nos ancêtres nous ont laissé » (A21). La gestion de la faune était assurée par ka nikaniwitc, le chef de territoire (souvent aussi chef de famille). Les femmes mariées déménageaient dans la famille et le territoire de leur époux, elles géraient le campement pendant que les hommes allaient à la chasse au gros gibier. Bien que les chefs de territoires étaient généralement des hommes, les participantes ont rapporté que les décisions étaient prises à la suite d’un consensus familial auquel les femmes participaient, tel qu’illustré par cette affirmation : « J’ai toujours entendu ma belle-mère parler du territoire avec son mari. Elle participait aux décisions et ses décisions étaient respectées » (A6). Le même constat a été fait par Royer (2012) chez les Eeyouch, où les Baash-chi-cho-Ouje-Maasquow (les épouses des tallymen, les maîtres de trappe), étaient responsables de la tenue du camp (de chasse à l’oie par exemple) et de la transmission des connaissances aux enfants, en plus de participer à la prise de décisions avec leurs époux. Des participantes ont mentionné que certaines femmes, une fois devenues veuves, géraient leur territoire, prenaient les décisions, et que ces femmes étaient très respectées.

La place des femmes dans la gouvernance territoriale a été considérablement réduite au fil des ans depuis le contact avec les Emitcikociwicak. La participation à la prise de décision et la pratique d’activités de gestion et d’occupation du territoire ont connu d’importantes modifications ‒ une cassure ont dit plusieurs ‒, mais elles continuent d’exister. Les témoignages recueillis permettent ainsi d’écarter l’idée reçue selon laquelle les femmes autochtones auraient perdu leur lien au territoire (Van Woudenberg 2004). Cela dit, le colonialisme réduit tout de même l’accès des femmes au territoire. Par exemple, les participantes ont dit souhaiter un changement des règles de transmission territoriale (de père en fils), puisque les veuves et les femmes seules ont difficilement accès au territoire. Nadon Legault et al. (dans ce numéro) ont rapporté une préoccupation similaire chez les femmes iiyiyuu-iinuu. Afin de remédier à la situation, les participantes ont suggéré d’identifier une aire « communautaire » près des villages pour les femmes seules et leurs enfants.

Aujourd’hui, les femmes atikamekw ont investi plusieurs secteurs de la vie communautaire, l’éducation, la santé, les services sociaux, mais sont très peu présentes dans le secteur voué au territoire et à sa protection. Une des participantes a mentionné : « La femme a un rôle à jouer dans la gestion du territoire. Ce secteur-là [au conseil de bande] n’est jamais sous la responsabilité d’une femme. C’est dommage » (A10). Selon Natcher (2013), les femmes autochtones participent à une gouvernance informelle. Cette participation devrait être aujourd’hui enchâssée de manière formelle dans les pratiques afin d’assurer la prise en compte des savoirs des femmes, qui demandent un retour à l’équilibre entre hommes et femmes et un respect des traditions en puisant dans les modes de gouvernance d’autrefois : « Le rôle de l’homme et de la femme ensemble en équilibre, c’est ce que je souhaite et j’aimerais aussi travailler pour que ça se réalise. C’est aussi un souhait de ma grand-mère » (A10). Dans la même veine, les femmes élues de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) ont elles aussi souligné l’importance de retrouver l’équilibre entre les hommes et les femmes pour le mieux-être de tous (Belleville-Chenard 2015).

Une façon d’augmenter la participation des femmes atikamekw à la gouvernance territoriale serait, selon plusieurs participantes, de leur permettre de participer davantage aux consultations portant sur le territoire. Une participante a dit : « J’aimerais que les femmes atikamekw soient consultées davantage, qu’elles participent aux décisions concernant le territoire » (A18). Les participantes déplorent que des Emitcikociwicak se soient établis sur Nitaskinan sans consultation ni autorisation des familles atikamekw concernées. Elles ont également fait mention du manque de respect de certains Emitcikociwicak envers le territoire (prélèvement faunique sans contrôle) et de leur non-respect du principe « d’invitation » (Wicakemowin) présent dans les coutumes atikamekw (Éthier 2014). À ce propos, une femme a mentionné : « ils [les Emitcikociwicak] se promènent partout, ils ne restent pas dans leur territoire » (A28).

Un des aspects de la gouvernance territoriale pour lequel les femmes atikamekw semblent particulièrement douées est justement le dénouement des conflits avec les Emitcikociwicak. Une des participantes a expliqué :

Il y avait beaucoup de violence avec la pourvoirie et moi je ne comprenais pas. Ma mère m’expliquait que la pourvoirie voulait empiéter sur notre territoire. […] Présentement, il n’y a personne qui s’en occupe. On a des problèmes de territoire, on ne partage plus, nos valeurs ne sont plus à la bonne place. Je ne comprends pas ça. Je pense que c’est plus les femmes qui en parlent, elles insistent auprès de leurs maris pour qu’ils puissent limiter [l’accès à] leur territoire.

A9

Alors que les sources, les types et les acteurs des conflits territoriaux sont bien connus grâce à une littérature relativement abondante sur le sujet (Castro et Nielsen 2001 ; Jérôme et Veilleux 2014 ; Natcher 2001 ; Poirier 2001 ; Scott et Webber 2001), le rôle que les femmes autochtones ont pu jouer dans la résolution de conflits est peu documenté. Staples et Natcher (2015) et Westermann et al. (2005) ont montré qu’il y a moins de conflits quand les femmes sont impliquées de près dans les conseils de cogestion et dans la gouvernance des ressources naturelles. Pourtant, au Canada, les femmes autochtones ont été exclues des systèmes électoraux des communautés (Strasbourg 2018), interdites de participation aux assemblées publiques locales (Anderson 2009 ; Maranzan et al. 2013 ; Morissette 2007) et on leur a retiré leur position de pouvoir (Sayers et MacDonald 2001 ; Suzack et al. 2010). Qui plus est, le dénigrement du rôle des femmes autochtones a été intériorisé par leurs peuples (Kuokkanen 2019). Des hommes et des femmes autochtones ont ainsi adopté un regard dévalorisant envers les femmes autochtones, réduisant à néant leur estime de soi et leur fierté (Boyer 2009 ; Léger 2014).

Complémentarité homme/femme : ensemble dans le même canot

Plusieurs participantes ont souligné la complémentarité entre les rôles des femmes et ceux des hommes, autant pour les activités sur le territoire que pour celles de la vie quotidienne dans la communauté. Lévesque et al. (2016 : 70) définissent la complémentarité comme étant :

l’agencement selon lequel des savoirs ou des compétences détenus et reconnus d’office aux hommes et aux femmes, comme c’est le cas avec la chasse pour les hommes, le domaine des plantes médicinales ou la naissance des enfants pour les femmes, requéraient pour leur mise en oeuvre une contribution d’appoint de l’autre genre. (Traduction libre)

De nombreux exemples de partage des tâches ont été nommés. Par exemple :

Mon beau-père et mon mari partaient quelques jours pour la cueillette de wigwas [écorce de bouleau] et de otapi [racines]. Quand ils revenaient avec de gros rouleaux d’écorce de bouleau, ma belle-mère était contente et elle avait hâte de commencer les travaux sur l’écorce, les entailler, les coudre avec les racines pour ensuite les gratter pour faire de jolies formes de fleurs et d’animaux.

A4

Deux autres participantes ont ajouté : « C’est sûr que c’est l’homme qui tue (les animaux), mais nous, on fait le reste » (A33) ; et « Elle [notre mère] nous a initiée à la pêche au filet, c’est une activité traditionnelle qui était pratiquée par les femmes pendant que les hommes chassaient l’orignal ou autres gibiers » (A12). Les participantes ont également fait état de la mobilité des savoirs en donnant plusieurs exemples de l’apport des hommes dans la pratique d’activités reconnues comme étant du domaine des femmes (ex. collecte des plantes médicinales). Une participante a illustré le phénomène ainsi : « Je pense que la femme aujourd’hui a pris sa place dans la famille. Pas juste à la maison, elle participe aux discussions sur le territoire aussi. La femme peut maintenant aller travailler et l’homme peut faire à manger aussi » (A20). Une récente étude avec les femmes iiyiyuu-iinuu au Québec a aussi permis de montrer qu’elles investissent de plus en plus les sphères d’activités généralement associées aux hommes (Nadon Legault et al., dans ce numéro). À ce propos, l’association Femmes autochtone du Québec affirme que les rôles des femmes et des hommes se sont transformés et ont évolué au cours des dernières décennies. Les femmes ont de plus en plus accès au marché du travail et aux postes décisionnels, ce qui conduit à un partage des responsabilités et des tâches entre les hommes et les femmes (FAQ 2013). Une jeune participante a dit : « Ce n’est pas mon conjoint qui est le boss et ce n’est pas moi non plus. Nous travaillons ensemble et nous nous respectons mutuellement, nous communiquons bien ensemble » (A18).

Métaphore du canot (tciman) pour représenter l’équilibre entre les rôles de l’homme, de la femme et des enfants dans la famille atikamekw

Métaphore du canot (tciman) pour représenter l’équilibre entre les rôles de l’homme, de la femme et des enfants dans la famille atikamekw

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Certaines participantes ont parlé de la complémentarité entre le travail des hommes et le travail des femmes en citant l’exemple de la fabrication du tikinakan (porte-bébé) ou des wakinaskwe (raquettes). Quelques femmes ont illustré la complémentarité des rôles à l’aide de la métaphore du canot (tciman), qui représente l’équilibre de la famille et donc, de la nation atikamekw (voir figure). L’homme-père (otakew), positionné à l’arrière, dirige et propulse le canot, c’est-à-dire qu’il est responsable de la famille, qu’il agit comme pourvoyeur. La femme-mère (nikawi), positionnée à l’avant (nictamkew), regarde vers l’avenir (nikanik), elle donne des indications, a une vision pour la famille. Les enfants (awacak) sont assis au milieu. Le tciman navigue sur le lac (sakihikan).

Économie et travail : des rôles en évolution

Les Atikamekw, à l’instar de plusieurs autres groupes autochtones (Kuokkanen 2011), ont connu des transformations importantes de leur économie au cours des trois derniers siècles. Ils ont connu à la fois l’apogée et le déclin du commerce des fourrures (Gélinas 2003), ainsi que l’accession à l’emploi salarié dans l’industrie forestière et la perte subséquente de cet emploi (Société d’histoire atikamekw - Nehirowisiw Kitci Atisokan 2014). Les participantes plus âgées ont raconté comment leur conjoint et leur famille gagnaient de l’argent par le travail salarié saisonnier et la vente de fourrures. À ce propos, une Aînée explique le fonctionnement des relations avec le poste de traite devenu le magasin général :

Tout le monde achetait à crédit dans le magasin du village. Les familles avaient besoin de nourriture durant l’été et les autres mois aussi. Le magasin leur avançait de la nourriture et quand le fonctionnaire (agent du Ministère des Affaires indiennes) distribuait l’argent ou les bons de nourriture, on payait le compte au magasin avec la vente de fourrures.

A34

Plusieurs hommes ont travaillé dans les chantiers de bûcherons où ils s’installaient en campements avec leurs familles contrairement aux bûcherons « blancs ». Ils ont aussi pratiqué le dangereux métier de « draveur » et ont servi de guides de chasse aux riches touristes américains qui venaient dans la région de la Haute-Mauricie. Ces activités économiques avaient des retombés pour la conjointe et l’ensemble de la famille. Elles permettaient également aux Atikamekw de pratiquer une certaine forme de gestion du territoire et des ressources fauniques[3].

Les femmes atikamekw jouaient un rôle important dans la vie sur le territoire, comme en témoignent les nombreux exemples de tâches attribuées aux femmes mentionnés par les Aînées, telles que la préparation des repas ; la collecte de bois de chauffage, de sapinage pour le plancher de la tente, de sphaigne pour les couches des bébés, de plantes médicinales ; la chasse au petit gibier ; le tannage des peaux (d’original pour en faire de la babiche pour la fabrication des raquettes) et la fabrication des vêtements de tissu et de peau ; les soins aux Aînés et aux enfants ; ainsi que toutes les autres tâches liées au campement. Une des femmes raconte :

Je me souviens que notre mère trappait et chassait les petits gibiers. Elle portait son bébé dans le tikinakan [porte-bébé] sur le dos et nous les enfants nous la suivions sur le sentier. Tout en ramassant un peu de sapinage qu’elle déposait au sol, elle s’installait pour allaiter notre petite soeur et se reposait quelque temps.

A8

Les femmes ont également eu une plus grande influence sur la prise de décisions économiques à partir des années 1930, lorsque les périodes difficiles ont été plus fréquentes (Gélinas 2003). De nos jours, bien que les activités sur le territoire soient pratiquées moins fréquemment (en raison de la sédentarisation et des changements environnementaux), elles n’en demeurent pas moins importantes pour les femmes atikamekw. Une de ces activités est d’ailleurs encore bien présente : la fabrication d’osekwan minic (pâte de bleuets) (Wyatt et Chilton 2014). Plusieurs des participantes ont mentionné vouloir faire ou recommencer à faire leur pâte de bleuets. Cette activité laborieuse nécessite la cueillette d’une grande quantité de bleuets mûrs qui sera cuite sur un feu. La pâte est ensuite conservée pour la période hivernale. Riche en vitamine C et ayant des propriétés antioxydantes, sans aucun additif, elle est très appréciée et recherchée. Osekwan minic fait partie de l’identité des femmes et des familles atikamekw. Malheureusement, peu d’études mentionnent cette activité et aucune ne traite en profondeur de son importance pour les femmes atikamekw. Tel que Parlee et al. (2005) l’expliquent, les recherches anthropologiques passées mettaient l’accent sur la chasse au gros gibier et sur la trappe (activités principalement masculines) et elles sous-estimaient les activités des femmes telles que la cueillette des petits fruits. Natcher (2001) ajoute que les perspectives des femmes sont souvent exclues des recherches portant sur le territoire, ce qui produit un portrait incomplet de l’occupation. Depuis la réalisation de la présente recherche, les femmes de la communauté de Wemotaci ont mis en place le Laboratoire Minic qui est voué à la fabrication et à la vente de osekwan minic (Tremblay 2019).

Jusqu’au début des années 1970, avant l’abolition des clubs privés de chasse et de pêche (Poirier 2001), les Atikamekw ont joué un rôle important dans l’industrie du tourisme à titre de guides de chasse privés (Basile 1998). Cette activité leur rapportait un revenu, mais leur permettait surtout d’exercer une surveillance continue et une gestion des ressources de leur territoire. Les femmes pouvaient aussi tirer un revenu d’appoint par la préparation des prises et l’entretien des camps de chasse (Poirier 2001) et continuer certaines pratiques liées aux plantes médicinales, comme chez les femmes naskapies (Lévesque et al. 2016), et la transformation du sucre d’érable, comme chez les femmes anicinapek de Kitcisakik (Saint-Arnaud 1991). De nos jours, les pourvoyeurs québécois ont pris le relais de cette industrie et, tel que le rapportent Whiteman (2004) et Scott et Webber (2001), le tourisme sportif apporte une pression supplémentaire sur les ressources qui préoccupe les maîtres de trappe eeyouch.

Aujourd’hui, plusieurs femmes atikamekw occupent des emplois dans leur communauté. Le conseil de bande, les écoles primaires et secondaires, les services de santé, les garderies et les entreprises locales (épiceries, stations-service, auberges, restaurants) sont les principaux employeurs locaux (CAM 2015). Certaines ont trouvé des compromis afin de combiner différents modes de vie tout en conservant la pratique d’activités liées à l’occupation du territoire. L’une d’elles a par exemple rapporté : « Comme mon conjoint travaille en tourisme, nous vivions sur le territoire durant tout l’été avec nos enfants. Maintenant que je travaille aussi, nous y allons durant les congés, les vacances et les semaines culturelles » (A18).

Plusieurs jeunes familles dépendent de l’aide sociale ou des prestations d’assurance-emploi pour vivre (Awashish 2013). Par conséquent, certaines se tournent vers la marchandisation du gibier et du poisson pour survivre, et ce, malgré l’existence d’un code de pratique atikamekw non écrit concernant le prélèvement des ressources (dont quelques femmes ont fait la mention durant les entrevues), inconnu de plusieurs et donc, difficile à respecter (Poirier 2014). Une participante mentionne : « Aujourd’hui, les jeunes vont à la cueillette des bleuets pour se faire de l’argent en les vendant mais nous, nous les cueillions pour nos familles, pour nous nourrir ou pour les mokocan (festins communautaires) que nous avions durant les cérémonies » (A7).

Les femmes atikamekw font aussi de l’artisanat (mocassins, mitaines, bijoux, vêtements, couvertures pour enfants, paniers d’écorce, etc.) et en retirent un certain revenu, comme leurs ancêtres l’ont fait avec la vente de vêtements faits de cuir d’orignal aux comptoirs de la Compagnie de la Baie d’Hudson. La création d’une coopérative pour les artisans a notamment permis le développement d’un créneau particulier aux Atikamekw : le travail de l’écorce de bouleau. Tel que le rapporte Awashish (2013), entre 5 et 10 % de la population atikamekw sont des artisans actifs et entre 25 et 30 % font de l’artisanat comme passe-temps. Les participantes ont cependant soulevé les difficultés d’approvisionnement en matières premières de qualité, notamment l’écorce de bouleau, en raison de l’exploitation du territoire.

Responsabilités et leadership des femmes : honorer les aïeules

Les participantes ont rappelé qu’autrefois les femmes atikamekw étaient autonomes, qu’elles avaient les connaissances nécessaires à la survie en forêt et savaient assurer la sécurité des enfants et des autres membres du clan familial. Ce sont les femmes qui veillaient à tenir un registre oral des naissances et des décès et même à « organiser » les mariages en respectant les alliances existantes et certaines règles matrimoniales. Elles assuraient un équilibre dans tous les domaines de la vie en forêt. Aussi, les femmes avaient une certaine autorité. Elles prenaient des décisions et la parole, principalement en ce qui avait trait à la famille et au campement. Dans le même ordre d’idées, LaFromboise et al. (1990) mentionnent que les femmes innues-naskapies avaient la responsabilité de décider du moment opportun pour changer l’emplacement du campement, ce qui suggère le rôle qu’elles détenaient dans la micro gestion territoriale.

Un homme présent lors d’une des entrevues a expliqué que les femmes ont commencé à perdre du pouvoir sur le territoire quand les Kice kokom (femmes de clan) ont dû cesser certaines de leurs activités : « C’est quand les services sociaux sont arrivés dans notre communauté, c’est à ce moment-là que les femmes de clan, les grands-mères, n’ont plus donné le service social traditionnel comme elles le faisaient dans le temps » (AH38). À ce sujet, Anderson et al. (2013 : 12), dans un article portant sur la relation complexe et particulière entre les femmes autochtones et l’eau, rapportent qu’elles ont interviewé 11 femmes qui avaient le statut de « Grand-mère » :

Le terme « Grands-mères » est utilisé ici pour désigner les femmes autochtones d’un certain âge qui ont assumé un certain degré de leadership et de responsabilité dans leur communauté. Nous avons mis une majuscule à « Grand-mère » pour indiquer que le terme est utilisé pour désigner une position d’autorité ou de responsabilité, plutôt qu’une réalité biologique ou un rôle de grand-parent. (Traduction libre)

Dans la même veine, les Grands-mères Haudenosaunee – appartenant à un peuple matrilinéaire (Roesch-Wagner 2001) – avaient de l’autorité et du leadership et qu’elles avaient la responsabilité de maintenir l’équilibre, l’harmonie et la réciprocité dans les relations de leur nation (Hill 2020).

Les efforts de colonisation et les politiques gouvernementales canadiennes ont fait en sorte que les femmes autochtones se sont vues dépouillées de leur pouvoir et de leurs responsabilités, et ce, afin d’accélérer le processus d’assimilation et d’accaparement des terres (McIvor 2004 ; O’Brien 2007 ; O’Faircheallaigh 2012). Tel qu’Anderson (2009) le mentionne, les colons ont tenté d’anéantir le pouvoir des femmes autochtones pour arriver à leurs fins. Elle ajoute : « Le pouvoir des femmes n’était pas compatible avec la domination coloniale et, par conséquent, des systèmes de gouvernance dominés par les hommes devaient être imposés » (Anderson 2009 : 100).

Aujourd’hui, le rôle des femmes autochtones en général, et celui des femmes atikamekw en particulier, est en transformation. Alors qu’elles assument toujours la transmission de la culture, de la langue et de plusieurs des activités rattachées au monde des femmes (art de la couture et du perlage, guide pour certaines cérémonies, préparation du gibier et des plantes médicinales, soins aux enfants et aux Aînés, etc.), plusieurs femmes occupent des postes de direction dans les communautés atikamekw (Morissette 2007). Elles font également partie de comités locaux qui les amènent parfois à participer à des rassemblements de femmes dans leurs nations, au Québec, au Canada, voire à l’international (Dion Stout et Kipling 1998 ; Léger 2014 ). À ce jour, toutefois, aucune femme atikamekw n’a encore été élue cheffe de sa communauté, même si plusieurs ont occupé ou occupent actuellement un poste de conseillère au sein du conseil de bande. Fait à noter : une femme – Eva Ottawa – a été élue au poste de Grande Cheffe de la Nation atikamekw pour deux mandats consécutifs (2006-2013).

Même si la participation des femmes s’est accrue en politique et dans la gouvernance territoriale, la majorité des participantes était d’avis qu’il y a place à davantage d’implication de leur part, notamment en ce qui concerne Notcimik (la forêt). L’une d’elles mentionne : « Il faut qu’elles [les femmes] participent ! Je me demande toujours si nous sommes prêts pour un traité, pour se gouverner » (A33). Les participantes ont souligné l’importance de prendre la parole, d’exprimer leurs opinions afin d’équilibrer les décisions prises par le conseil de bande. Chez les plus âgées, quelques-unes ont mentionné ressentir de la fierté de voir des femmes atikamekw plus jeunes prendre leur place et donner leur opinion. Une participante a dit : « Il y a plus de femmes qui travaillent dans la communauté qu’avant, elles sont plus éduquées qu’avant. Même à l’école on voit chez les enfants que c’est les filles qui mènent, même en classe ! Elles sont plus leaders. Elles commencent jeunes à prendre leur place » (A33). À cet égard, les jeunes générations sont conscientes de la responsabilité qu’elles ont envers leurs aïeules, comme l’exprime cette participante : « Je dois faire comme ma grand-mère, dire ma façon de penser pour mes enfants et mes petits-enfants » (A24).

Conclusion

Les femmes atikamekw ont une expérience et un rôle particulier dans la gouvernance de Nitaskinan, auquel elles ont un fort attachement. Elles ont néanmoins partagé leurs préoccupations au sujet des changements de l’occupation et de l’utilisation du territoire ancestral qui menacent toujours davantage le maintien de la culture, des savoirs et de l’identité atikamekw. Cette situation engendre un sentiment d’insécurité et un désir de « retrouver l’équilibre » qui semble avoir caractérisé la vie d’autrefois, celle qui se passait sur le territoire et dans laquelle les femmes jouaient un rôle clé. Bien qu’elles aient perdu une partie de leur influence sur le territoire en raison de l’influence coloniale, les participantes ont dit avoir tout de même réussi à s’adapter aux changements environnementaux du dernier siècle et demi, de même qu’avoir réussi à conserver et transmettre une grande partie de leurs savoirs. Elles désirent être davantage impliquées et consultées dans la gouvernance territoriale. Alors qu’un mouvement en ce sens est déjà amorcé, des études supplémentaires – idéalement réalisées par les femmes atikamekw elles-mêmes – permettraient de cibler les meilleures façons de « retrouver l’équilibre ».