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« Créer, faire exister, c’est aussi accepter de perdre quelque chose en chemin »

Perret, 2020, p. 7

Introduction

Au sein du Programme de formation de l’école québécoise (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2001), la créativité est mentionnée à plusieurs reprises. D’une part, c’est l’importance de celle de l’enseignant, en tant que professionnel, qui est soulignée. Celui-ci doit donc user de créativité dans sa pratique, élément qui est aussi relevé dans le Référentiel de compétences professionnelles : profession enseignante (MEQ, 2020). D’autre part, c’est celle de l’élève qui est mise à l’honneur à travers la compétence « Mettre en oeuvre sa pensée créatrice » (MEQ, 2001, p. 22), dont la nature transversale incite les enseignants à la développer dans des contextes éducatifs variés. Du point de vue disciplinaire, la créativité a évidemment une place majeure dans le domaine des arts, mais elle est également mentionnée dans celui des langues dans la compétence « Apprécier des oeuvres variées » où la fréquence de la mise en contact des élèves avec la littérature jeunesse est reconnue comme moyen de « stimuler [leur] créativité » (MEQ, 2001, p. 84). À partir de ces prescriptions ministérielles, il est intéressant de se questionner sur les pratiques que les enseignants mettent en oeuvre à partir de la littérature jeunesse pour nourrir et développer la créativité de leurs élèves.

Dans cet article, nous proposons une description de pratiques centrées sur l’utilisation de la littérature jeunesse en classe, en les étudiant sous l’angle de la créativité. Il s’agit d’une analyse secondaire, à caractère exploratoire, de données issues d’une recherche-action menée dans une vaste école primaire montréalaise située en milieu défavorisé allophone. Cette recherche-action qui était axée sur le recours aux réseaux littéraires pour soutenir la conscience linguistique en lecture et en écriture a impliqué 23 enseignants et 445 élèves.

Un des objectifs de la recherche source était de décrire les pratiques d’enseignement utilisant des réseaux d’oeuvres littéraires. Cette analyse secondaire orientée sur la créativité poursuit les objectifs spécifiques suivants : 1) décrire les activités qui visent à mettre les élèves en contact avec l’originalité des albums et à investir ces aires de jeu; 2) décrire les activités créatrices proposées aux élèves dans les réseaux littéraires.

1. Cadre théorique

Pour se doter de critères utiles à l’atteinte de notre analyse, ce cadre aborde d’abord la créativité, puis la manière dont elle se manifeste dans l’originalité des albums postmodernes. Par la suite, l’intérêt d’aborder les albums dans le cadre de réseaux littéraires est présenté, de même que les types de réseaux et les activités métatextuelles et hypertextuelles qu’ils proposent. Enfin, des objectifs spécifiques sont définis.

1.1. La créativité

« La créativité vise à créer des idées et des productions nouvelles et adaptées au contexte dans lequel elles se manifestent » (Vincent-Lancrin et al., 2020, p. 26). Dans la société, elle joue un rôle majeur tant en ce qui a trait à l’innovation et au développement sur les plans social et économique qu’en ce qui concerne le bien-être des individus (Collard et Looney, 2014; Vincent-Lancrin et al., 2020). Compte tenu de cette importance, dans le cadre d’un projet de grande envergure mené dans onze pays, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a conçu un référentiel de compétences pour soutenir les enseignants dans le développement de la créativité des élèves au sein des disciplines enseignées (voir tableau 1)[1].

Ce référentiel permet de guider les enseignants, mais il est aussi intéressant pour étudier et décrire leurs pratiques. C’est pourquoi, dans cet article, les descripteurs chercher, imaginer, faire et réfléchir, centraux dans ce référentiel, sont utilisés comme critères pour analyser la créativité développée chez les élèves par les pratiques des enseignants.

Dans un même ordre d’idées, Lucas (2016) a conçu un modèle de la créativité pour un usage en classe qui comprend cinq piliers : la curiosité, l’imagination, la persévérance, la collaboration et la discipline. Les pratiques des enseignants doivent encourager le développement de ces cinq éléments. La curiosité et l’imagination peuvent facilement être reliées aux deux premières compétences du référentiel de l’OCDE. Quant à la collaboration, elle est fort pertinente à examiner dans un cadre scolaire comme elle relève la dimension sociale de la créativité et peut être mise en branle pour le développement de chacune des compétences du référentiel de l’OCDE, ce qui est également le cas de la persévérance et de la discipline. Dans notre analyse, seul le fait de collaborer est ajouté comme critère d’analyse des pratiques comme les deux premiers piliers sont déjà inclus dans les compétences chercher et imaginer et que la persévérance et la discipline doivent s’observer dans le temps, ce que ne permettent pas nos données.

Tableau 1

Référentiel des compétences de l’OCDE sur la créativité (Vincent-Lancrin et al., 2020, p. 31)

Référentiel des compétences de l’OCDE sur la créativité (Vincent-Lancrin et al., 2020, p. 31)

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Dans le domaine des langues, la littérature jeunesse est considérée comme un moyen de stimuler la créativité par le ministère de l’Éducation (MEQ, 2001). Pour mieux comprendre en quoi celle-ci peut jouer un tel rôle, il importe de se questionner sur la place de la créativité en son sein, plus spécifiquement pour ce qui est des albums, puisque c’est cette forme de livres qui a été utilisée dans notre recherche.

1.2. La créativité dans les albums

Au primaire, l’album de littérature jeunesse est la forme littéraire que les enseignants déclarent le plus utiliser en classe pour l’enseignement de la lecture et de l’appréciation littéraire (Lépine, 2017). Pour cette raison, c’est à cette forme que nous nous intéressons davantage dans cet article. L’album se définit comme un « livre où, dans son ensemble et sur l’espace de la double page, interagissent un message visuel et un message textuel créés conjointement afin de former un ensemble cohérent. Le message textuel comprend tous les types de textes » (DeRoy-Ringuette, 2021, p. 366). L’album est donc multimodal dans son essence, le sens émanant du texte, de l’image et de leur mise en relation (Boulaire, 2018). L’originalité de l’album contemporain peut trouver sa source dans l’existence de cette double narration, mais également provenir de multiples procédés que les auteurs et les illustrateurs utilisent pour raconter autrement, et ainsi faire preuve de créativité. Ces albums originaux sont qualifiés par certains de « postmodernes » (Sipe et Pantaleo, 2008), en référence au courant du postmodernisme en art reconnu pour la liberté prise par les créateurs quant aux codes établis, ou d’albums « résistants » par d’autres (Tauveron, 1999) en raison de la réception plus complexe qu’ils engendrent chez le lecteur.

Comme il s’agit ici de présenter la créativité dans l’album jeunesse, l’angle du postmodernisme semble tout destiné puisqu’il met en valeur la façon dont les auteurs et les illustrateurs innovent dans l’album. En s’appuyant sur les écrits de nombreux chercheurs, Anstey et Bull (2018, p. 174) proposent la synthèse suivante des caractéristiques des albums postmodernes :

  • « Utilisation non traditionnelle ou inattendue de l’intrigue, des personnages ou du cadre »;

  • « Utilisation inhabituelle de la voix du narrateur, notamment un narrateur non fiable ou une distinction floue entre l’auteur, le narrateur et le lecteur »;

  • « Éléments indéterminés ou laissés en suspens dans le texte ou l’illustration, et se rapportant notamment à l’intrigue, au personnage ou au cadre »;

  • « Pastiche de style (illustrations ou textes) »;

  • « Caractère inédit ou inhabituel de la mise en page ou du format (p. ex., présentation non linéaire ou non séquentielle) »;

  • « Rapport texte-image en opposition offrant des perspectives multiples, des aires de jeux, ou faisant appel à l’ironie ou à la parodie »;

  • « Intertextualité »;

  • « Multiplicité et ambiguïté des lectures possibles de l’oeuvre »;

  • « Autoréférentialité du texte »[2].

Tous les procédés littéraires décrits à travers ces critères d’originalité de l’album jeunesse créent des « aires de jeu » (Tauveron, 2002, p. 15), c’est-à-dire qu’ils incitent le lecteur à être actif et à participer ainsi à la création du sens en investissant cet espace. Dans cet article, ces critères servent d’assise pour décrire l’originalité des albums jeunesse utilisés en classe.

Prendre conscience de la spécificité d’un album, du fait qu’il s’éloigne des canons du genre, d’en apprécier l’originalité, nécessite de le mettre en relation avec d’autres oeuvres. C’est ce que permettent les réseaux littéraires.

1.3. Les réseaux littéraires

Un réseau littéraire consiste à regrouper des oeuvres en fonction d’un questionnement qui peut émaner tant de l’enseignant que des élèves (p. ex., auteur, genre, personnage, thématique) (Boutevin et Richard-Principalli, 2008; Tauveron, 2002). Les réseaux peuvent ainsi être de nature variée (voir tableau 2) et comporter des oeuvres de différentes formes, notamment des albums, des romans, des nouvelles.

Tableau 2

Différents types de réseaux littéraires (adapté par Dupin de Saint-André et al., 2015, à partir de Tauveron, 2002, p. 206-207)

Différents types de réseaux littéraires (adapté par Dupin de Saint-André et al., 2015, à partir de Tauveron, 2002, p. 206-207)

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Il est à noter qu’au primaire les réseaux littéraires sont le plus souvent constitués d’albums et de documentaires, même si d’autres formes peuvent y trouver sporadiquement leur place. C’est à travers les liens établis entre les livres que le questionnement initial, qui constitue le fil conducteur du réseau, est éclairé sous plusieurs angles. Cette mise en relation incite le lecteur à entrer plus finement dans les oeuvres et à y découvrir des éléments difficiles à saisir autrement (Tauveron, 2004). La lecture et l’appréciation des oeuvres littéraires sont ainsi travaillées de façon intégrée dans les réseaux littéraires. Il en va de même pour l’écriture, car de la lecture et de la mise en lien des oeuvres émanent des possibilités multiples. Les réseaux littéraires constituent également des terreaux fertiles pour l’interdisciplinarité (Dupin de Saint-André et al., 2015).

Dans un réseau littéraire, les activités proposées aux élèves pour les amener à développer leurs compétences à lire, à apprécier des oeuvres littéraires et à écrire peuvent être très diversifiées. En se basant sur plusieurs travaux antérieurs, Lépine (2022) explique qu’à partir des oeuvres littéraires, les activités peuvent être de deux natures : « métatextuelles » ou « hypertextuelles ». Il précise que les premières ont un caractère « analytique et réflexif » puisqu’elles consistent à s’exprimer (à l’écrit ou à l’oral) à propos du texte (p. ex., réagir à l’oeuvre, témoigner de sa compréhension) et que les deuxièmes ont un caractère « créatif et imaginatif », car il s’agit dans ce cas de s’exprimer à partir du texte (p. ex., écrire à la manière de l’auteur, écrire une suite). Pour investir les aires de jeu offertes par l’auteur, il est donc possible de proposer aux élèves de s’exprimer à leur propos à travers des activités métatextuelles ou de les inciter à s’inspirer de ces aires pour créer à l’aide d’activités hypertextuelles. Ces descripteurs sont utilisés dans notre analyse pour catégoriser les activités proposées aux élèves dans les réseaux littéraires afin de décrire comment le recours aux oeuvres littéraires stimule leur créativité.

2. Méthodologie

Les données qui font l’objet d’une analyse secondaire pour cet article sont issues d’une recherche-action menée avec l’ensemble d’une équipe-école montréalaise. Un des objectifs de cette recherche était de décrire la mise en oeuvre de pratiques d’enseignement utilisant des réseaux d’oeuvres littéraires. À cette fin, une collecte de données qualitatives a été effectuée à l’aide de deux observations ethnographiques par enseignant.

2.1. L’échantillon

Au total, 44 observations ethnographiques ont été réalisées dans des classes des trois cycles du primaire au Québec. Parmi celles-ci, nous avons sélectionné 18 observations permettant de nourrir les deux objectifs menés pour cette analyse secondaire, soit parce que les enseignants y utilisaient des oeuvres originales (objectif 1), ce qui a eu lieu dans 9 observations, soit parce que les élèves y participaient à des activités créatrices (objectif 2), ce qui s’est passé dans 9 autres observations.

2.2. Déroulement des observations et analyse des données

Dans le cadre de la recherche-action, qui se déroulait sur une période de deux ans, les enseignants ont été observés à deux reprises pendant qu’ils mettaient en oeuvre deux réseaux littéraires différents en classe. Pour l’observation, l’enseignant choisissait la pratique en lecture ou en écriture qu’il voulait réaliser au sein du réseau littéraire à l’honneur dans sa classe. Lors de ces observations, une des chercheuses prenait des photographies des pratiques tandis que l’autre prenait des notes du déroulement de l’activité. Cette complémentarité de l’image et du texte est au coeur de l’ethnographie en éducation (Escallier, 2009). Comme cette chercheuse le précise, « la photographie ethnologique doit “dire” quelque chose que le stylo du chercheur ne peut transcrire sur le carnet » (p. 154). Il s’agit par l’image de décrire le cadre de la pratique et les gestes d’enseignement au centre de celle-ci. Un enregistrement sonore des propos complétait les données recueillies. Chaque observation durait environ 50 minutes.

Dans le cadre de cette analyse secondaire, pour chaque pratique observée étudiée afin de répondre à notre premier objectif, nous présentons en premier lieu 1) le réseau dans lequel celle-ci s’insère ainsi que 2) le cycle et 3) l’album, nous décrivons 4) l’originalité de l’album choisi en nous appuyant sur les critères d’Anstey et Bull (2018), 5) la ou les compétences touchées en lien avec le Programme de formation de l’école québécoise (MEQ, 2001), 6) l’activité proposée par l’enseignant et 7) sa nature métatextuelle ou hypertextuelle (Lépine, 2022) ainsi que 8) les compétences en lien avec la créativité de l’OCDE (Vincent-Lancrin et al., 2020) et de Lucas (2016) touchées par cette pratique.

Dans le but de documenter notre deuxième objectif, l’analyse est très similaire à celle de l’objectif 1. Seule l’originalité de l’album n’est pas étudiée, compte tenu du fait que ces activités observées ne portent pas sur un album particulier, mais davantage sur une activité créatrice vécue par les élèves à partir des oeuvres lues dans le réseau littéraire.

3. Résultats

Cette partie présente les résultats de nature qualitative en lien avec les deux objectifs de cette analyse secondaire.

3.1. Description des activités qui visent à mettre les élèves en contact avec l’originalité des albums et à investir ces aires de jeu (objectif 1)

Dans cette section, nous décrivons les neuf pratiques dans lesquelles les enseignants ont utilisé des albums originaux et expliquons comment ils ont convié les élèves dans « ces aires de jeu » (Tauveron, 2002). Tous les éléments analysés sont présentés à l’Annexe 1.

Dans la classe de N. au 1er cycle, un réseau d’auteur centré sur l’univers de Michaël Escoffier est en vedette. L’album choisi, Au secours!, présente un format original, comme il s’agit d’un leporello (format accordéon). Dans cet album, chaque animal est la proie d’un prédateur qui devient lui-même la proie d’un autre, et ainsi de suite. Le format leporello sert la structure en boucle de l’album, car une fois la lecture terminée, le lecteur se retrouve de nouveau au début de celui-ci. De façon à amener ses élèves à comprendre la spécificité de ce format tout en réagissant à l’oeuvre, l’enseignante leur propose de vivre un rappel mimé après la lecture interactive de l’album. Elle touche ainsi à la compétence à lire (comprendre et réagir) et à la compétence en art dramatique qui consiste à interpréter des séquences dramatiques. En jouant de cette manière l’histoire, les élèves s’identifient aux personnages, ressentent ce qu’ils vivent. Cette activité est de nature métatextuelle, car elle conduit les élèves à réagir à l’oeuvre en analysant le vécu des personnages puis en l’incarnant. À travers cette activité, plusieurs compétences en lien avec la créativité sont touchées : chercher (les élèves doivent ressentir ce que vivent les personnages, comprendre l’histoire et observer leurs réactions), faire (les élèves doivent produire un rappel mimé) et collaborer (ils doivent prendre en compte tant les réactions des élèves avant eux dans la chaîne qu’après eux et s’ajuster en fonction de celles-ci.).

L’enseignante P. fait, quant à elle, vivre à ses élèves un réseau de personnage axé sur le renard. Elle leur lit l’album Pou-poule! de Loufane et arrête sa lecture à un moment où un élément est laissé en suspens dans le texte et les illustrations. Sur cette double page, seule l’interjection « Oh! », accompagnée de poils de renard et de plumes de poule, apparaît. Le lecteur est tenu en haleine, car il ne sait pas quelle est l’issue de cette rencontre entre deux personnages habituellement connus comme proie et prédateur l’un de l’autre. Pour que les élèves comprennent toute la tension créée par l’autrice à ce moment précis, l’enseignante les convie à un jogging d’écriture pour qu’ils décrivent, individuellement et en un temps limité, ce qui est en train de se passer entre les deux protagonistes. Ainsi, elles les amènent dans l’aire de jeu conçue par l’autrice pour qu’ils émettent des hypothèses quant à l’issue de la rencontre (prédictions) et comprennent les enjeux liés à la situation. Cette activité de nature métatextuelle incite les élèves à analyser la situation. Du point de vue des compétences liées à la créativité, ils doivent chercher (en comprenant les enjeux de la situation et en observant les indices laissés dans l’illustration) et imaginer (en produisant des hypothèses quant à l’issue de l’histoire).

Au 2e cycle, l’enseignante C. met en oeuvre un réseau hypertextuel sur le conte Boucle d’or et les trois ours. Dans celui-ci, après avoir découvert avec les élèves la version classique de ce conte, elle leur a lu l’album La revanche des trois ours d’Alan MacDonald et Gwyneth Williamson. Celui-ci raconte comment les trois ours ont décidé de se venger de Boucle d’or en allant saccager sa maison. Toutefois, à la toute fin de l’histoire, le récit présente qu’ils se sont trompés de lieu et ont plutôt dévasté la maison du grand méchant loup. Un élément est laissé en suspens dans le texte et les illustrations, car des personnages indiquent que le prochain épisode sera celui de la vengeance du loup, ce qui donne lieu à une fin ouverte. L’enseignante saisit cette occasion pour proposer aux élèves de raconter cette vengeance. La période observée est consacrée à la planification de cette écriture. Collectivement, elle leur présente l’ensemble des éléments à planifier. Ceux-ci touchent le personnage (description physique du loup, traits de caractère, actions qu’il va accomplir, émotions qu’il vivra) et l’énonciation (choix de mots variés pour ne pas répéter le mot loup). Les élèves discutent ensuite en équipe de ces éléments puis planifient individuellement la structure de leur histoire en s’appuyant sur celle du récit en cinq temps. Enfin, lors de périodes subséquentes, ils ont mis en texte et révisé leur histoire. Cette activité de nature hypertextuelle invite les élèves à prendre possession de l’aire de jeu pensée par l’auteur, ils doivent chercher en comprenant le vécu du personnage du loup, imaginer son histoire, faire leur production personnelle et collaborer avec leurs pairs pour produire leurs idées à l’étape de la planification.

Dans une autre classe de 2e cycle, dans lequel le même réseau hypertextuel sur le conte Boucle d’or et les trois ours est en vedette, l’enseignante M. a lu l’album collectivement Une autre histoire d’Anthony Browne. Celui-ci est original en raison de l’utilisation inhabituelle de la voix du narrateur. En effet, l’histoire y est racontée selon deux points de vue différents dans une structure en parallèle : celui de Petit ours (narré par le texte et les illustrations), celui de Boucle d’or (narré uniquement par d’autres illustrations). Afin d’amener les élèves à comprendre l’histoire vécue par Boucle d’or, qui n’est pas mise en mots par l’auteur, et à s’engager dans cet espace de jeu, l’enseignante leur demande de lire les images et d’écrire en équipe une partie de l’histoire à partir de ces illustrations. Ainsi, cette écriture à relais permettra d’obtenir l’ensemble du récit de Boucle d’or. Cette activité est de nature métatextuelle, car les élèves analysent les images pour raconter cette histoire. Du point de vue de la créativité, ils sont principalement invités à chercher, comme ils doivent comprendre les images, les observer et décrire ce qui s’y déroule. Ils doivent également collaborer pour écrire leur partie du récit, chacun ayant un rôle précis : secrétaire, responsable du temps et responsable du droit de parole.

Toujours au 2e cycle, dans le réseau hypertextuel sur le conte Boucle d’or et les trois ours, l’enseignante N. poursuit la lecture de l’album Bou et les 3 zours d’Elsa Valentin. Celui-ci a la particularité d’être écrit dans une langue inventée et comprend donc des éléments indéterminés dans le texte. Lors d’une période précédente, les élèves ont réalisé une lecture partagée de la première partie de l’album lors de laquelle ils ont relevé certaines des stratégies utilisées par l’autrice pour créer cette langue : mélange de deux langues, suppression d’une lettre, utilisation d’un mot d’une autre langue, invention d’un mot. Cette fois-ci, les élèves ont pour mission de traduire un extrait de l’oeuvre en équipe. Cette activité métatextuelle leur permet de plonger dans le jeu imaginé par l’autrice afin de comprendre le texte. Ce faisant, du point de vue de la créativité, ils doivent collaborer pour chercher à comprendre le texte, observer les illustrations et établir des liens avec leurs connaissances des autres langues. Pour ce dernier point, la collaboration est un immense atout dans ce milieu allophone où les langues parlées par les élèves sont très variées.

L’enseignante T., aussi au 2e cycle, vit depuis plusieurs semaines un réseau littéraire sur la thématique de l’interprétation. Elle vient de lire avec ses élèves l’album Le festin de Noël dont l’originalité repose sur des éléments indéterminés dans le texte et les illustrations. En effet, dans celui-ci, le lecteur doit interpréter les intentions du personnage de la dinde tout comme la fin ouverte. Dans un premier temps, les élèves sont invités à s’exprimer à l’oral pour interpréter cette fin en s’appuyant sur les caractéristiques des personnages et sur leurs actions. Puis, dans un deuxième temps, ils échangent en équipe pour interpréter les pensées de la dinde à trois moments clés du récit. Ces activités métatextuelles leur permettent d’investir ces silences dans l’oeuvre et de prendre position quant aux intentions du personnage. Ainsi, du point de vue de la créativité, ils vont chercher en comprenant et en interprétant différents éléments du récit. Pour cela, ils vont observer tant le texte que les illustrations afin d’imaginer les pensées de la dinde. Les regroupements ciblés leur permettent de collaborer, ce qui est essentiel pour s’ouvrir à différentes interprétations d’une même oeuvre et apprendre à défendre son interprétation (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009). De plus, au sein de la communauté de lecteurs, ils sont amenés à réfléchir en évaluant les interprétations des autres en s’appuyant sur le texte, les illustrations et leurs connaissances.

Toujours au 2e cycle, dans son réseau d’autrice sur l’univers poétique de Sylvie Nicolas, l’enseignante N. lit avec un sous-groupe d’élèves en lecture guidée l’album L’enfant qui tissait des tapis de cette autrice. L’originalité de celui-ci tient grandement aux éléments indéterminés dans le texte et les illustrations en ce qui a trait à l’intrigue. Le sous-groupe d’élèves discute avec l’enseignante pour comprendre et interpréter ces éléments. De plus, les élèves écrivent individuellement les questions qu’ils se posent en cours de lecture sur ces éléments indéterminés afin de nourrir la discussion en sous-groupe qui va suivre. Cette activité métatextuelle leur permet d’analyser les éléments indéterminés dans l’oeuvre et de réfléchir à propos de ceux-ci. En ce qui a trait à la créativité, les élèves doivent chercher, puisqu’ils sont amenés à comprendre et à interpréter l’oeuvre en observant les indices dans le texte et les illustrations. Ils doivent aussi imaginer, car à partir de ces éléments indéterminés ils produisent des questions. Ils sont aussi invités à réfléchir en examinant les questions et les solutions proposées par les autres membres du sous-groupe et à collaborer pour construire le sens.

Au 3e cycle, l’enseignant Y. vit avec ses élèves un réseau générique centré sur des albums sans texte. Lors de l’observation, il leur présente l’album Le monde englouti de David Wiesner en lecture partagée. Cet album comprend de nombreux éléments indéterminés dans les illustrations en ce qui a trait à son intrigue. Collectivement, avec parfois quelques échanges en duo pour engager tous les lecteurs, l’enseignant et les élèves discutent de ce qui se déroule sur chacune des doubles pages. Ainsi, ils s’expriment à propos des éléments clés du récit. Pour la créativité, cela les amène à chercher pour comprendre des éléments indéterminés dans l’intrigue, à observer les illustrations et à établir des liens avec d’autres disciplines (univers social : connaissances liées à la belle époque). Le dispositif d’enseignement choisi les incite également à collaborer et à profiter de la force du groupe pour construire le sens.

Toujours au 3e cycle, l’enseignante O. a elle aussi choisi de faire vivre à ses élèves un réseau générique sur les albums sans texte. Lors de notre présence en classe, elle a mené une lecture interactive de l’album Dessine! de Bill Thomson. Dans celui-ci, les éléments laissés en suspens dans les illustrations concernent la fin ouverte. En effet, les craies magiques utilisées par les personnages au fil de l’histoire sont redéposées par ceux-ci à l’endroit même où ils les ont trouvées au point de départ. Cela laisse présager que d’autres aventures, tout aussi rocambolesques que celles vécues par les personnages, pourraient de nouveau survenir. Pour amener les élèves à réagir à cette fin et à habiter l’espace que l’auteur y laisse, l’enseignante propose aux élèves une écriture individuelle. Ils doivent se mettre dans la peau d’un personnage qui trouverait ces craies. Cette activité revêt un caractère hypertextuel, car elle invite les élèves à créer une toute nouvelle histoire en s’identifiant à un nouveau personnage. Les élèves vont ainsi chercher en s’appuyant sur ce qu’ils peuvent ressentir en tant que personnages. Ils vont ensuite imaginer en donnant naissance à leurs idées et faire une production personnelle. Ainsi, tant la réaction en lecture que la planification, la mise en texte et la révision sont touchées.

3.2. Synthèse des résultats de l’objectif 1

Lors des observations choisies, les albums lus et travaillés par les enseignants sont originaux à plusieurs égards. Un l’est par son format leporello inhabituel, un autre par la coexistence de plusieurs points de vue, tandis que pour les sept autres, il s’agit soit d’éléments laissés en suspens dans le texte ou les illustrations, soit d’éléments indéterminés dans ceux-ci. Ces éléments touchent soit la langue utilisée, soit l’intrigue ou encore les personnages.

Les activités proposées pour mettre les élèves en contact avec l’originalité des albums sont principalement de nature métatextuelle (7 activités sur 9), les élèves s’exprimant à l’écrit ou à l’oral à propos des oeuvres. Dans l’ensemble des observations, la compétence à lire est touchée, tandis que la compétence à écrire l’est dans deux observations qui sont de nature hypertextuelle. L’interdisciplinarité est aussi présente une fois avec l’art dramatique.

Du point de vue de la créativité, l’ensemble des activités analytiques conduisent les élèves à développer la compétence à chercher, et 5 activités sur 9, celle à imaginer. Les compétences faire et réfléchir sont mobilisées respectivement seulement à trois et à deux reprises. La compétence collaborer est quant à elle très souvent sollicitée, c’est-à-dire dans 7 des 9 observations.

3.3. Description des activités créatrices vécues par les élèves dans les réseaux littéraires (objectif 2)

Dans cette partie, nous décrivons les neuf pratiques dans lesquelles les enseignants ont proposé aux élèves des activités créatrices lors de la mise en oeuvre de réseaux littéraires. Tous les éléments analysés sont présentés à l’Annexe 2.

Dans sa classe de 1er cycle, l’enseignante C. réalise un réseau d’autrice-illustratrice sur l’univers de Satomi Ichikawa. Après la lecture des albums Dalla-dalla et Les voitures de Jibril, elle invite ses élèves à créer un dalla-dalla (camion-bus) à la manière du personnage Jibril, qui utilise des matériaux recyclés pour fabriquer des jouets. Cette activité hypertextuelle, comme il s’agit de créer à partir de deux oeuvres, permet aux élèves de réaliser des créations personnelles en arts plastiques en s’appuyant sur des éléments issus de leur lecture. Du point de vue de la créativité, les élèves doivent chercher, car ils observent tant les caractéristiques du véhicule représenté dans l’oeuvre Dalla-dalla que les créations de Jibril et son usage de matériaux recyclés. Ainsi, ils sont conduits à établir des liens entre leurs lectures (français) et leurs créations plastiques (arts plastiques). Ils doivent ensuite imaginer leur véhicule et faire leur production originale de façon individuelle.

Au 1er cycle, l’enseignante P. vit avec ses élèves un réseau générique sur la poésie. Au fil de celui-ci, les élèves ont été en contact avec de très nombreux poèmes à travers ses lectures, les leurs et leur écoute de poèmes. Ils ont également écrit des poèmes de structure variée (p. ex., poèmes lanternes, acrostiches). L’activité créatrice interdisciplinaire (français et arts plastiques) consiste en la conception d’un arbre à poèmes combinant les écrits des élèves à une création plastique collective à laquelle chacun participe. Cette activité est de nature hypertextuelle, car il s’agit d’écrire à la manière de poèmes lus. Elle permet de développer diverses compétences liées à la créativité : chercher (les élèves doivent ressentir l’effet produit par les poèmes lors des lectures, ils doivent comprendre le rôle des poèmes ainsi que leur structure, et ce, en observant de nombreux écrits d’auteurs), imaginer (chaque élève recherche et produit des idées pour son poème, il doit oser utiliser des idées innovantes), faire (chaque élève crée un poème original) et collaborer (la création finale émane de la mise en lien des différents poèmes sur l’arbre). Cet arbre à poèmes affiché dans le couloir fait rayonner dans l’école les poèmes des élèves.

L’enseignante C. met à l’honneur dans sa classe de 2e cycle un réseau thématique sur la ville de Montréal. Ce réseau vise à développer les connaissances que les élèves ont sur la ville dans laquelle ils habitent. Les élèves ont ainsi lu plusieurs livres sur Montréal, dont un abécédaire bilingue de Stéphane Poulin intitulé Ah! belle cité!/A beautiful city abc. Inspirée par cette lecture, l’activité créatrice consiste à concevoir un abécédaire multilingue sur Montréal. Il est à noter que dans ce milieu pluriethnique et plurilingue, les langues parlées par les élèves sont très nombreuses. Cette activité est hypertextuelle, car l’album lu sert de tremplin pour la production d’un abécédaire sur Montréal représentant le plurilinguisme de ses concepteurs. Les élèves sont invités à explorer en équipe des abécédaires en vue d’y repérer des mots se rapportant à la ville de Montréal pour chacune des lettres de l’alphabet. Ainsi, ils doivent chercher en observant des livres et collaborer, car ils doivent s’entendre sur la pertinence de sélectionner les mots relevés. Cette observation les conduit à imaginer leur abécédaire en explorant différentes idées, en recherchant des informations et en produisant des idées. Ensuite, les élèves doivent faire leur abécédaire collectif en vue de le diffuser auprès des autres élèves en l’affichant dans le couloir. Pour ce faire, seul ou avec l’aide de ses parents, chaque élève doit traduire quelques mots sélectionnés dans sa langue première.

Dans son réseau sur un procédé d’écriture centré sur les tautogrammes, l’enseignante G. a lu à ses élèves de 2e cycle plusieurs albums dans lesquels ces phrases comportant le plus de mots commençant par la même lettre sont à l’honneur. Après la lecture de l’album D’Alex à Zoé de Bertrand Gauthier, elle les convie à une activité créatrice d’écriture à la manière de l’auteur. Ici encore, l’activité est hypertextuelle, car ils écrivent à partir de l’oeuvre en s’inspirant de ses caractéristiques. Dans un premier temps, ils doivent chercher à comprendre la structure des tautogrammes dans l’album de Bertrand Gauthier et observer ses tautogrammes pour s’en inspirer. Ils doivent ensuite imaginer les leurs en explorant différentes ressources (dictionnaires variés), en recherchant des mots commençant par la même lettre et appartenant à des classes de mots différentes. Puis, ils doivent produire des idées en lien avec un thème de leur choix. Enfin, chaque élève doit faire au moins un tautogramme personnel et original qui a du sens.

Dans son réseau d’autrice sur l’univers poétique de Sylvie Nicolas, l’enseignante N. demande à ses élèves de 2e cycle de lire des poèmes de leur choix, d’en sélectionner un qu’ils aiment et de l’illustrer. Cette activité interdisciplinaire, jumelant le français et les arts plastiques, est de nature métatextuelle. Elle permet aux élèves d’exprimer leur compréhension d’un poème, leur réaction à celui-ci et leur interprétation du message de l’auteur à travers une création plastique personnelle. Ainsi, en ce qui a trait à la créativité, ils doivent chercher (ressentir ce que le poème déclenche en eux et le comprendre), imaginer (produire des idées en lien avec leur lecture du poème) et faire une production personnelle.

Au 3e cycle, l’enseignant D. propose à ses élèves un réseau littéraire sur la thématique de l’histoire des Noirs d’Amérique. Notre observation porte sur l’activité synthèse du réseau qui consiste à écrire en équipe des slogans contre le racisme. Dans cette activité hypertextuelle, les élèves doivent s’appuyer sur les différentes oeuvres lues dans le réseau pour écrire. Pour commencer, ils écoutent et lisent les paroles d’une chanson d’Hugues Aufray. L’enseignant les amène à comprendre et à interpréter celles-ci et à les mettre en lien avec les oeuvres lues. Puis, il revient sur les notions de préjugé, de stéréotype, de xénophobie et de discrimination vues en éthique. Enfin, les élèves produisent leurs slogans. La période se clôture sur l’écoute d’une autre chanson visant à combattre le racisme. Du côté de la créativité, les élèves doivent chercher (comprendre les messages des différentes oeuvres et de la chanson, établir des liens entre ceux-ci et les notions en éthique), imaginer (rechercher, produire et utiliser des idées originales pour marquer les esprits), faire (une production originale), réfléchir sur la pertinence des slogans des autres équipes lors d’un retour collectif et collaborer tout au long du processus pour créer.

Dans son réseau sur l’univers de l’autrice-illustratrice Élise Gravel, l’enseignant Y. a convié ses élèves du 3e cycle à écrire à la manière de l’autrice. Plus précisément, ils ont créé une publicité mettant en valeur un objet inutile comme l’autrice le fait dans son album Le catalogue des gaspilleurs. Cette activité hypertextuelle a amené les élèves à chercher (comprendre l’intention de l’autrice et observer ses procédés d’écriture), à imaginer (rechercher et produire des idées originales au sujet d’un produit inutile), à faire une production originale alliant écriture et arts plastiques et à collaborer tout au long du processus de création.

Avec ses élèves du 3e cycle, l’enseignante C. met en oeuvre un réseau intertextuel dont le coeur est l’album Les histoires de Marcel d’Anthony Browne. Dans celui-ci, le personnage de Marcel incarne sur chaque double page un protagoniste d’une oeuvre qu’il a aimée, sans la nommer. Comme activité synthèse du réseau, les élèves doivent écrire à la manière de l’auteur. Ils ont à choisir un album aimé et le présenter, comme le fait Marcel. Cette activité est à la fois de nature métatextuelle, car les élèves écrivent à propos d’une de leur lecture, et hypertextuelle, puisqu’ils produisent à partir d’une oeuvre. Elle touche tant à la réaction en lecture qu’à l’ensemble du processus en écriture (planification, mise en texte, révision). Cette activité créatrice les incite à chercher (ressentir leurs préférences en lecture, comprendre l’oeuvre lue et observer les procédés d’écriture de l’auteur), imaginer (rechercher et produire des idées pour présenter leur album à la manière de Marcel) et faire (production individuelle).

Pour clore un réseau sur l’univers de l’autrice-illustratrice Jackie Morris, cette même enseignante propose à ses élèves d’écrire à la manière de sa voix poétique. Dans l’optique de remercier le stagiaire qui va bientôt les quitter, les élèves ont pour mission de le décrire en reprenant les procédés littéraires de l’autrice. Ces productions individuelles sont ensuite mises en commun et présentées sous la forme de calligrammes. Cette activité interdisciplinaire, mêlant français et arts plastiques, incite les élèves à chercher (comprendre et observer les procédés de l’autrice ainsi que ressentir les effets qu’ils produisent), imaginer (rechercher et produire des idées pour décrire leur stagiaire de façon poétique), faire (une production individuelle originale sous la forme d’un calligramme) réfléchir et collaborer pour sélectionner les productions à inclure dans le recueil collectif en évitant les répétitions.

3.4. Synthèse des résultats de l’objectif 2

Les activités créatrices proposées aux élèves au sein des réseaux littéraires sont principalement de nature hypertextuelle. En effet, sept activités sont hypertextuelles, une est métatextuelle et une dernière comporte à la fois des composantes métatextuelle et hypertextuelle. Les élèves s’expriment alors à partir des oeuvres à travers des productions écrites et/ou artistiques.

Parmi les activités observées, six sur neuf sont interdisciplinaires : cinq d’entre elles allient français et arts plastiques tandis que la sixième touche simultanément le français et l’éthique.

À travers les observations, il en ressort que les compétences chercher, imaginer et faire sont mobilisées dans l’ensemble des activités créatrices. Dans un peu plus de la moitié des observations, les élèves sont aussi conduits à collaborer lors du processus créatif. La compétence réfléchir semble mobilisée dans une seule des activités créatrices.

4. Discussion

Au sein du Programme de formation de l’école québécoise, la fréquentation de la littérature jeunesse est reconnue comme moyen pour « stimuler [la] créativité » des élèves (MEQ, 2001, p. 84). Notre analyse exploratoire a permis de décrire comment des activités centrées sur la littérature jeunesse peuvent contribuer au soutien des compétences liées à la créativité.

D’une part, elle met en lumière comment l’utilisation d’albums originaux dans lesquels les créateurs sortent des sentiers battus et utilisent des procédés littéraires audacieux amène les lecteurs à être actifs en investissant les éléments laissés en suspens ou indéterminés par l’auteur (Anstey et Bull, 2018). La nature métatextuelle des activités proposées par les enseignants les place dans une posture analytique (Lépine, 2022) visant à comprendre, à interpréter l’oeuvre ou encore à y réagir. Du point de vue des compétences de la créativité de l’OCDE (Vincent-Lancrin et al., 2020), cela les conduit principalement à chercher et à imaginer. Ils s’engagent dans les aires de jeu des auteurs et des illustrateurs (Tauveron, 2002) en apprenant à ressentir le vécu des personnages, à observer les indices semés par ceux-ci dans le texte et les illustrations ainsi qu’à émettre des hypothèses pour combler des blancs ou lever des ambiguïtés. C’est donc en plongeant dans ces espaces laissés vacants par l’auteur que les élèves sont appelés à être créatifs. Le plus souvent, l’enseignant choisit de les amener à collaborer pour investir les aires de jeu, un élément essentiel au développement de la créativité relevé par Lucas (2016). Ainsi, à travers leurs interactions, ils peuvent partager leurs observations et leurs hypothèses et les évaluer au sein d’une communauté de lecteurs.

D’autre part, notre analyse exploratoire relève que les réseaux littéraires permettent aussi la mise en place d’activités créatrices dans lesquelles les oeuvres lues deviennent des tremplins pour des productions personnelles et originales. Ces activités créatrices de nature hypertextuelle (Lépine, 2022) sont alors l’occasion de développer davantage de compétences liées à la créativité de l’OCDE (Vincent-Lancrin et al., 2020). En effet, comme elles mènent à une production, les élèves doivent chercher, imaginer et faire. Ils sont souvent conduits à collaborer (Lucas, 2016) soit tout au long du processus, soit lors de la mise en commun des productions individuelles pour obtenir une création collective. De plus, le fait que les activités soient souvent interdisciplinaires, ce qui est favorisé par les réseaux littéraires (Dupin de Saint-André et al., 2015), incite les élèves à établir des liens entre les différentes disciplines scolaires pour créer à leur tour.

Que les activités soient métatextuelles ou hypertextuelles, la compétence réfléchir qui consiste à revenir sur le processus de création et sur son issue (Vincent-Lancrin et al., 2020) semble moins fréquemment mobilisée. Toutefois, ce constat peut être inhérent au fait que nous n’avons pas toujours pu observer l’intégralité des activités quand celles-ci se déployaient sur plusieurs périodes.

En somme, tant les activités métatextuelles que les hypertextuelles vécues dans les réseaux littéraires semblent stimuler la créativité des élèves. Même si les premières sont plus analytiques que créatrices (Lépine, 2022), le fait qu’elles amènent les élèves à investir les aires de jeu de l’auteur ou de l’illustrateur nourrit leur créativité, ce qui pourra ensuite se matérialiser dans des activités hypertextuelles. Ainsi, ces deux types d’activités revêtent une grande complémentarité.

Conclusion

Cette analyse secondaire des données d’une recherche-action, centrée sur l’utilisation des réseaux littéraires en classe, visait à décrire les pratiques que les enseignants mettent en oeuvre à partir de la littérature jeunesse pour nourrir et développer la créativité de leurs élèves. Il en ressort que tant les activités métatextuelles, principalement observées pour mettre les élèves en contact avec l’originalité des albums lus et leur permettre de plonger dans les aires de jeu pensées par l’auteur, que les activités hypertextuelles, essentiellement observées lors des activités créatrices, présentent un intérêt pour développer leurs compétences liées à la créativité.

Toutefois, cette étude comporte des limites. Tout d’abord, elle est basée sur des pratiques observées. Or, il est possible que celles-ci diffèrent des pratiques habituellement mises en oeuvre par les enseignants (Bru, 2002). Ensuite, comme nos observations duraient toujours une seule période, nous n’avons pas toujours été témoins de l’ensemble de l’activité. Les éléments manquants ont été complétés à l’aide des pratiques déclarées des enseignants, pratiques qui peuvent à leur tour différer de ce qui a réellement été vécu en classe (Bressoux, 2001). Enfin, cette analyse exploratoire qui porte sur un nombre limité d’observations nécessiterait d’être complétée à l’aide d’autres observations.

À la suite de cette analyse, plusieurs aspects mériteraient d’être éclairés par de nouvelles recherches. D’une part, dans cette étude, les aires de jeu qu’investissent les élèves sont principalement provoquées par des éléments indéterminés ou laissés en suspens dans l’oeuvre. Il serait intéressant d’examiner des activités métatextuelles portant sur d’autres caractéristiques des albums postmodernes parmi celles relevées par Anstey et Bull (2018). D’autre part, la créativité des enseignants dans leur pratique n’a pas été étudiée dans cet article. Or, une telle analyse s’avérerait judicieuse pour mettre en lumière comment à partir des réseaux littéraires qui leur ont été proposés, les enseignants ont innové à plusieurs égards.