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1. Contexte et problématique

On assiste aujourd’hui à une émergence des productions multimédias ainsi qu’à une expansion de l’usage des dispositifs numériques. Les récits multimodaux font dorénavant partie des expériences communicatives des jeunes. Or, les propriétés sémiotiques des nouveaux médias diffèrent de celles du langage textuel qu’on enseigne aux élèves à l’école. Face à ce nouveau défi technologique, des didacticiens comme des chercheurs s’efforcent à s’interroger sur les modalités du développement des compétences multimodales chez les apprenants.

Dans cette perspective, Lacelle et Lebrun (2018) insistent sur l’importance d’intégrer les supports médiatiques dans l’éducation des jeunes en vue d’une meilleure maîtrise des codes et des contenus concernés. Castagnet-Caignec (2021) estime que l’école ne saurait se dispenser de l’étude de fictions multimédiatiques tant le phénomène est ancré dans nos sociétés et influe sur nos représentations, notre imaginaire, nos modes de réception et nos jugements esthétiques. Herr-Stephenson et al. (2013) proposent les exercices de transmédia storytelling en confrontant les élèves à divers contenus médiatiques en vue de les sensibiliser aux propriétés de chaque médium.

Ces travaux suggèrent l’intérêt et la nécessité de la pratique de l’écriture numérique dans l’enseignement-apprentissage des langues. À cet effet, dans notre domaine, celui de didactique du français langue étrangère (désormais FLE), nous avons été amenés à réfléchir aux bénéfices de cette pratique pour le développement des compétences scripturales et multimodales des apprenants sinophones. Considérant que les difficultés rencontrées par les étudiants chinois dans les productions écrites sont nombreuses, la principale étant le manque d’idées et d’inspiration (Xu, 2010, p. 103), la présente étude part de l’hypothèse que la pratique de l’écriture transmédiatique ouvre les portes de la création aux apprenants en leur fournissant des éléments narratifs susceptibles d’être réinvestis dans leur propre récit. Pour vérifier la pertinence de cette hypothèse, nous nous sommes penchés sur les questions suivantes : comment les étudiants interprètent-ils l’histoire source pour ensuite la transformer selon leurs enjeux narratifs ? Quels éléments narratifs feraient l’objet de transposition entre différents supports médias à l’instar des points d’appui dans le développement de l’histoire ? Comment diverses ressources médiatiques aident-elles les apprenants dans la création du récit numérique ?

Afin d’y répondre, la présente étude, qui porte sur une expérience didactique menée au cours de l’année scolaire 2021-2022 au Département de français de l’Université de la culture chinoise à Taïwan, introduit un cadre théorique qui esquisse les bases possibles liées aux modalités des opérations transmédiatiques. Elle se poursuit par l’analyse du croisement des éléments narratifs de l’histoire source et de ses extensions, présents dans des écritures d’apprenants sur le support numérique Book Creator. L’objectif est de relever des indices de la transfictionnalité dans le développement diégétique et dans la combinaison texte-image en vue de la création de l’album numérique et multimodal. L’analyse des résultats permet de montrer les apports et les limites de la séquence didactique effectuée tout en mettant en évidence les bénéfices de l’écriture transmédiatique dans l’enseignement de la lecture-écriture numérique en classe de FLE.

2. Cadre théorique

Ce cadre conceptuel sous-tend l’élaboration de notre projet didactique de l’écriture transmédiatique et permet de mieux comprendre la logique des démarches didactiques adoptées en classe et exposées dans la partie suivante. Pour ce faire, les opérations transfictionnelles y sont abordées. D’une part, dans le rapport structural entre l’histoire source proposant une logique interne et ses récits satellites contribuant à l’enrichissement de l’univers narratif et, d’autre part, dans les rapports intermédiatiques variant selon les spécificités des supports mis en oeuvre.

2.1. Le transmédia storytelling et la structure narrative

Selon Jenkins, la notion de transmédia storytelling renvoie aux histoires qui « se déploient à travers de multiples plateformes médiatiques, chaque support apportant des contributions spécifiques à notre compréhension du monde » (Aïm, 2013, paragr. 39). Ce monde est bien justement l’univers fictionnel édifié à la confluence de tous récits satellites, distribués dans des médias différents. Du point de vue structural, le déploiement de l’histoire matrice renvoie au processus top-down qui

[…] suit un arc temporel partant d’un état initial pour mener vers une complication et une résolution. C’est ainsi qu’Aristote décrivait les histoires, comme ayant un début, un milieu et une fin. Et il vaut mieux préciser qu’il s’agit d’un arc narratif qui ne se prête pas facilement à la fragmentation et la dispersion sur de multiples documents.

Ryan, 2017, paragr. 8

Autrement dit, des récits satellites faisant partie du bottom ne sauraient représenter chacun une différente étape de l’intrigue sur de multiples supports, ce qui cause sans doute le problème de la compréhension chez le lecteur. Ils devraient au contraire se montrer autonomes et indépendants en proposant des informations complémentaires, favorables à la compréhension du monde fictionnel (Ryan, 2017). En ce sens, la compréhension des récits satellites recourt à la logique interne de l’histoire, le « Vaisseau Mère » selon les mots de Ryan (2017), afin de décortiquer leur stratégie narrative mise en oeuvre dans des extensions transmédiatiques.

En vertu du lien étroit entre récits satellites et histoire matrice, l’opération transfictionnelle se fait à partir de la rencontre avec le texte source dans lequel le lecteur-scripteur s’en empare pour l’augmenter dans une liberté interprétative (Aim, 2013). Cette liberté n’est cependant pas sans limites, car la lecture doit s’appuyer sur l’histoire source pour s’approprier ses potentiels fictionnels dans la pratique de la transfiction (Brunel, 2019). Celle-ci témoigne en effet d’un engagement du lecteur-scripteur dans son écrit de la réception (Lacelle et Lebrun, 2018), du fait qu’il doit apprendre, durant le processus d’écriture, à « sélectionner, à organiser et à mettre en valeur un élément (textuel, iconique ou auditif) plutôt qu’un autre » (Da Silva et Araújo, 2015). Rowsell et al. (2018) approuvent cet engagement de la part des apprenants-créateurs sur le plan affectif dans le transfert des éléments narratifs entre médias en vue de donner un sens à leur histoire. On pourrait ainsi dire que le développement diégétique se fait parallèlement à un entraînement des compétences multimodales.

2.2. Les opérations transfictionnelles et les rapports intermédiatiques

D’après Jenkins, le « monde fictionnel n’est pas figé, mais peut se démultiplier en fonction des supports et des spécificités de chacun des supports » (Aïm, 2013, paragr. 42). Si le transfert des éléments d’un média à un autre permet aux apprenants d’acquérir des connaissances plus profondes sur l’art du transmédia (Rowsell et al., 2018), l’analyse des oeuvres transfictionnelles n’échappe cependant pas aux considérations des interférences, des relations entre médias, d’autant plus que les propriétés des supports d’accueil influencent fréquemment la représentation de l’oeuvre réécrite. Nous entrons ainsi dans le domaine de l’intermédia et Méchoulan (2017) définit l’intermédialité comme les déplacements, les échanges, les transferts ou les recyclages d’un média bien circonscrit dans un autre, telle une pièce de théâtre devenue opéra, puis adaptée au cinéma. Ce concept est bien différent de celui du multimédia qui renvoie en effet à une association de médias déjà institués, mis par exemple sur un même site en ligne.

L’intermédialité prend ainsi en charge « les processus de production du sens liés à des interactions médiatiques » (Müller, 2000, p. 106). Différentes pistes d’analyse sont alors proposées par les chercheurs en médias et communication pour remettre en question des opérations transmédiatiques visant la cohérence entre récits de différents médiums. Tel est le cas de Simons et al. (2012) qui suggèrent de décortiquer la structure et les éléments narratifs faisant l’objet de la modification, ainsi que l’intention de cette transfiction. En plus, il est possible de faire confronter les éléments partagés entre oeuvres afin de repérer les matières que propose l’oeuvre originale à ses récits satellites. À cela s’ajoutent de possibles investigations sur leurs points divergents afin de repérer les propriétés des médiums favorisant la nouvelle configuration médiatique (Painter et al., 2013). Quant à la chercheuse taïwanaise Lai (2018), elle s’interroge sur le prolongement des designs d’interface et l’imitation des signes visuels de l’oeuvre source dans l’enrichissement des images de l’oeuvre d’accueil en examinant le cas de l’adaptation transmédiatique du récit à l’album numérique.

En somme, du concept du transmédia storytelling qui dévoile le principe de la structuration de l’intrigue entre récits satellites et histoire matrice, à la notion de l’intermédialité qui souligne l’importance des rapports médiatiques dans le transfert des éléments narratifs entre supports, nous avons présenté les deux axes théoriques sous-tendant la séquence didactique mise en place dans une classe de FLE à Taïwan. Dans la section suivante, les démarches didactiques concernées sont présentées, pour ensuite rapporter les résultats de cette expérience.

3. Démarches didactiques et méthodologiques

La présente étude de cas s’inscrit dans une démarche qualificative portant sur l’analyse des résultats d’une séquence inédite : un projet didactique d’écriture transmédiatique en FLE. Sept séances de deux heures ont été consacrées à l’écriture numérique, le genre narratif en particulier, dans le cours semestriel intitulé Composition française II, destiné aux étudiants du département en troisième année (vingt étudiants taïwanais assidus de niveau A2-B1). Les étudiants participants ont le chinois comme langue maternelle et l’apprentissage du français en tant que deuxième langue étrangère ne se fait que depuis deux ans. Étant donné que le cours de Composition française I (dispensé en deuxième année) se concentre sur les textes explicatifs, descriptifs et les correspondances, le texte narratif, notamment sous forme numérique, demeure un type d’écrit peu pratiqué en classe. L’objectif didactique est donc de familiariser les apprenants avec le genre narratif et de les outiller avec des compétences nécessaires pour réaliser la tâche finale, celle de la réécriture transmédiatique de la BD numérique 2[1] en album multimodal sur l’application Book Creator.

Dans ce qui suit, la séquence didactique élaborée dans le cadre de cette étude est présentée étape par étape, ce qui permet de mieux saisir ses potentialités. Par la suite, les aspects de collecte et d’analyse de données sont détaillés.

3.1. La séquence didactique élaborée

La séquence s’organise en trois étapes durant sept semaines. Le tableau 1 présente les principaux aspects.

Tableau 1

Démarches didactiques

Démarches didactiques

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3.1.1. Étape 1

Savoir écrire une histoire, c’est savoir organiser un récit dans sa cohérence globale en favorisant la construction du sens chez le lecteur. Différentes stratégies narratives sont mises en place à cet effet, et la logique narrative, autrement dit, la logique de cause et conséquence selon laquelle les événements de l’histoire s’imbriquent en fait partie. Dans cette optique, l’étude du schéma narratif canonique, suivie de celle du couple noeud-dénouement (Baroni, 2007), a pour but de sensibiliser les apprenants au fonctionnement de la logique narrative dans la structuration du récit. Comment créer un problème (noeud) auquel le protagoniste doit faire face et mettre en place des actions? Comment les retournements de situations (péripéties) conduisent-ils à la résolution du problème (dénouement) ? Cette réflexion d’ordre structural est d’autant plus importante que l’oeuvre à transformer – ici la BD 2 (voir figure 1) – se caractérise par son intrigue énigmatique invitant le lecteur à combler des ellipses non explicites, telles que les espaces libres permettant de développer des idées selon l’inspiration de chaque étudiant-créateur qui se démarque ainsi des autres.

Figure 1

Couverture de la BD numérique 2, écrite et illustrée par Margarita Molina Fernández

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3.1.2. Étape 2

La présentation de BD sur papier, suivie de la BD numérique 2 de Molina Fernández (2020), permet de voir d’une façon plus claire l’évolution du genre bédéique tout en faisant se confronter différentes configurations visuelles entre elles. Tout d’abord, la linéarité des BD traditionnelles est construite à partir de cases (autrement appelées les vignettes) composant une séquence narrative, tandis que la BD 2 est caractérisée par ses branches narratives non linéaires, visant à un engagement de la part du « lectacteur », défini comme un « interprète à la fois impliqué dans une activité de lecteur et de jeu d’acteur » (Rageul, 2009, p. 68), dans l’exploration des différentes fins possibles (sept fins au total). En effet, son design d’interface renvoie à un hybride de la bande dessinée et du jeu vidéo en reflétant une relation d’interdépendance narration-interaction (Molina Fernández, 2020, p. 61). L’engagement du lectacteur se fait ainsi dans une lecture interactive qui demande le choix du lectacteur devant chaque bifurcation binaire du récit en vue d’avancer dans l’histoire.

Au niveau de l’intrigue, la narration débute avec un mystérieux rendez-vous à partir duquel le protagoniste Segundo est convoqué chez un notaire dans un immeuble du centre-ville de Madrid. Son aventure, selon les mots de l’auteur, n’est qu’un « stratagème manigancé par les habitants de l’immeuble afin de le faire tomber dans leurs pièges. Segundo n’a qu’une façon de s’en échapper sain et sauf » (Molina Fernández, 2020, p. 58). Les choix des objets interactifs proposés durant le parcours du jeu conduisent le lectacteur à différentes clôtures que l’auteure considère comme des « brèches ouvertes » permettant de « mettre à profit les caractéristiques des interfaces numériques » (Molina Fernández, 2020, p. 58). En fait, ces brèches, dans une perspective didactique de l’écriture, pourraient servir d’« amorces favorables à la transfictionnalisation » (Lacelle et Lebrun, 2018), telles que des tournants de l’histoire à envisager pendant l’élaboration de l’intrigue :

  • Pourquoi l’animateur de l’émission a-t-il voulu tuer le protagoniste ?

  • Qui a entraîné le protagoniste dans le monde du miroir ? Pourquoi ?

  • Comment le protagoniste pourrait-il sortir du monde du miroir ?

3.1.3. Étape 3

Si ces lacunes narratives s’avèrent inspirantes pour les apprenants-créateurs dans l’enrichissement de l’intrigue initiale et pour déterminer le thème du récit, les ressources multimodales de la BD 2 semblent de même profitables pour la représentation visuelle de l’histoire enrichie. Les apprenants-créateurs pourraient s’inspirer des images fixes ou mobiles, des effets sonores, etc., dans leur propre création du récit numérique. Sans doute, le récit multimodal nécessite un dispositif numérique adapté à ses fins, dans notre cas, liées au développement des compétences scripturale et multimodale chez les jeunes étudiants. L’application Book Creator est ainsi choisie en raison de sa mise en page intuitive qui ne nécessite pas une formation à long terme pour créer des albums multimédias en format E-Pub ou PDF. En effet, sur sa page-écran blanche peuvent être facilement ajoutés des textes, des images, des sons, voire des lectures à haute voix dans la création d’un récit linéaire.

Côté pratique, bien que la jeune génération se familiarise avec la réception/production des textes multimodaux sur Internet, l’acte de combiner les modes divers à visée narrative n’est pas aisé, si bien qu’il nécessite un apprentissage systématique. D’après Sipe (2012), « l’album ne peut être pleinement compris que lorsque les lecteurs perçoivent les relations complexes et dynamiques entre le système de signes des images et le système de signes des mots ». De ce fait, pour que les ressources multimodales soient transposées d’une façon plus pertinente à côté du texte verbal, quatre rapports texte-image établis par Maisonneuve (2015) ont été étudiés en classe (voir annexe 1). Il s’agit de la relation complémentaire, de la relation coconstructive, de la relation de contrepoint, et la relation général (texte) et particulier (image). En examinant la nature, la fonction et le rôle respectifs des signes linguistiques et iconiques dans la construction du récit, les apprenants ont été invités à réfléchir sur les spécialités des deux modes différents en vue d’une meilleure maîtrise de leur usage.

3.2. Collecte et analyse de données

En fin de semestre, 20 albums numériques créés sur l’application Book Creator ont été récupérés, tous écrits en français, d’une longueur variable selon la quantité de ressources multimodales insérées. La version numérique, rendue en accompagnement d’une copie du texte verbal sous forme Word, est présentée telle quelle dans cet article pour garder l’authenticité des écritures dans le cadre de la recherche scientifique.

L’analyse des résultats vise moins les défauts morphosyntaxiques (corrigés uniquement dans la copie du texte verbal) que les cohérences textuelles, d’une part, liées à la logique narrative impliquée dans la construction de l’histoire et, d’autre part, à la combinaison intermédiatique entre texte et image. En référence aux travaux de Bardin (2016) sur l’analyse de contenu, le traitement des travaux commence par une préanalyse consistant à repérer des indices de la catégorisation (p. ex., des thèmes récurrents) et à élaborer des indicateurs (p. ex., les fréquences des thèmes), avant de passer aux étapes de traitement des résultats et d’interprétations. Pour ce faire, l’analyse prend appui sur les trois principales opérations de la transfictionnalité (Doležel, 1998, cité dans Ryan, 2017, paragr. 3) à l’instar des trois thèmes récurrents :

  1. L’extension, c’est-à-dire l’ajout de nouvelles histoires à un monde fictionnel en respectant les fait établis par l’oeuvre originale;

  2. La modification, durant laquelle l’intrigue originale est modifiée, par exemple en lui donnant une fin différente;

  3. La transposition, qui préserve le design et l’histoire principale […] mais la situe dans un cadre spatial ou temporel différent.

Les travaux catégorisés sont ensuite analysés à l’aide du couple noeud-dénouement (Baroni, 2007) pour étudier les stratégies narratives employées à l’effet de la cohérence entre récits de différents médiums. De cette analyse de l’intrigue s’ensuit l’étude des configurations multimodales, catégorisées selon les styles esthétiques mis en oeuvre. Les stratégies liées à des opérations transmédiatiques ont été examinées afin d’évaluer la cohérence intermédiatique, c’est-à-dire la pertinence des mariages texte-image dans les oeuvres numériques des étudiants.

4. Présentation et analyse des résultats

Dans la lignée des travaux présentés ci-dessus, l’analyse des résultats du projet s’organise selon deux axes principaux : d’une part, l’analyse de l’extension, la modification, ou la transposition des éléments narratifs de l’histoire source dans la réécriture transmédiatique; d’autre part, l’analyse des rapports médiatiques, notamment le rapport texte-image dans les réécritures des étudiants-créateurs, ainsi que l’influence des propriétés du support, ici, l’album numérique, sur la représentation narrative.

4.1. L’interprétation de l’histoire source et les stratégies narratives mises en oeuvre dans les transfictions en vue des enjeux narratifs particuliers

Lors de la préanalyse, il est constaté que rares sont les écritures transposant l’intrigue principale de l’histoire dans un autre cadre spatio-temporel. Bien que les représentations esthétiques du monde fictionnel puissent varier selon les projets d’écriture de chacun, leur cadre spatio-temporel, autrement dit le lieu et la date du rendez-vous, reste majoritairement identique à celui établi dans l’oeuvre source. Il est possible que la consigne de travail[2] donnée par l’enseignant soit à l’origine de cette basse fréquence du thème; la transposition. Par conséquent, 2 récits recourent au procédé de transposition en changeant le cadre spatio-temporel; 2 récits portent sur celui de modification en retouchant l’intrigue ou en donnant une fin différente; 12 récits sur celui dextension en ajoutant de nouveaux épisodes; 4 récits présentent le parcours du jeu effectué sans faire aucune opération transfictionnelle. L’analyse des travaux se concentre alors sur les trois principales opérations de la transfictionnalité en raison du cadre limité du présent article.

4.1.1. Les enjeux narratifs mis en valeur par la pratique de l’extension

Rappelons que l’histoire de la BD 2 débute dans l’annonce d’un mystérieux rendez-vous pour le protagoniste (noeud), en raison duquel ce dernier se rend au lieu désigné et commence ainsi son aventure. Différents parcours déclenchés en réponse aux choix des objets interactifs effectués par les lectacteurs deviennent alors des péripéties distinctes, donnant une particularité propre à leur transfiction. À titre d’exemples, nous renvoyons d’abord à des récits portant sur l’extension pour rendre compte des stratégies narratives mises en oeuvre à cet effet (voir tableau 2).

Tableau 2

L’application de la structure narrative chez les étudiants

L’application de la structure narrative chez les étudiants

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Dans ces récits en mode d’extension, des scènes, des personnages, des objets et des informations sont ajoutés pour clarifier la situation énigmatique tout en respectant la logique interne de l’histoire source. Comme dans Deuxième chance, la scène de la rencontre du protagoniste avec son oncle dans le monde du miroir est intégrée pour justifier le piège que l’on a tendu à Segundo. L’enjeu de cette transfiction consiste alors à mettre en valeur l’importance de l’entretien de l’héritage. De même dans Le miroir no 2, de nouveaux personnages sont créés à l’instar des adjuvants du protagoniste pour l’aider à surmonter la difficulté rencontrée – un sosie voulait prendre sa place pour obtenir l’héritage. Ils révèlent au protagoniste l’incantation permettant le retour au monde réel : « il est 2 h, à la pièce 2B, au no 2 de la Place 2 », mais aussi lui donne des outils auxiliaires – la clé de la chambre pour en sortir, ainsi qu’un grand tuyau aspirateur pour aspirer le méchant vers le monde du miroir. Le message de l’histoire apparaît symbolique en comparant le méchant sosie aux ordures du monde, et le combat contre son sosie à un combat avec soi-même.

Dans le récit Quelque chose d’étrange, des informations supplémentaires sur l’identité du méchant double sont fournies afin de justifier son motif et sa présence dans l’histoire. Il s’agit en effet d’un extraterrestre qui voulait s’installer sur Terre. Pour y parvenir, l’extraterrestre saisit la seule occasion de rencontrer le protagoniste : « à deux heures, en février, au deuxième étage du No 2 de la Place 2 de mai ». Cette mise en avant de la condition de la rencontre souligne bien la structure de l’histoire initiale qu’explique l’auteure de la BD : « des signes ont été placés dans la narration pour permettre au lectacteur de déduire la structure : la réitération du chiffre 2 dans le mystérieux rendez-vous, le titre de l’oeuvre et le nom du protagoniste » (Molina Fernández, 2020). Dans l’interprétation de l’histoire, nombreux sont les étudiants-scripteurs qui renvoient le sens du titre « 2 » au méchant double, tandis que peu sont ceux qui, tels que les auteurs de Le miroir no 2 et de Quelque chose d’étrange, prennent l’information du mystérieux rendez-vous (« il est 2 h, à la pièce 2B, au no 2 de la Place 2 de mai ») comme éléments clés de l’intrigue dans leur organisation du récit.

En somme, nous voyons comment les étudiants-créateurs interprètent le sens de l’histoire initiale pour ensuite l’augmenter en lui greffant une scène inédite, de nouveaux personnages, des objets narratifs, des infos supplémentaires, voire des valeurs particulières dans une cohérence globale.

4.1.2. Les enjeux narratifs mis en valeur par la pratique de la transposition ou de la modification

Si les récits en mode d’extension reposent sur l’intrigue initiale dans le développement diégétique, ceux en mode de transposition et de modification procèdent en revanche soit à une modification partielle sur un moment crucial du récit, soit à une transposition de l’intrigue dans un autre cadre spatio-temporel (voir tableau 3).

Tableau 3

Opérations de transposition et de modification chez les étudiants

Opérations de transposition et de modification chez les étudiants

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Les trois récits débutent dans le même noeud – une partie d’informations sur la lettre concernant la succession de l’héritage est occultée. Il s’agit en effet d’un autre parcours du jeu déclenché en réponse à certaines combinaisons des choix interactifs. Cependant, les intrigues diffèrent entre elles par l’enjeu respectif lié à l’information non révélée de la lettre qui conduira au résultat positif ou négatif du legs de l’héritage. Par exemple, dans le cas du récit Le mystère du temps, en mode de transposition, la date du rendez-vous est changée au 12/11/2022 et le lieu est devenu non défini, comme si l’histoire se situait dans un endroit hors du temps pour camper un univers onirique. L’intrigue n’est cependant pas éloignée de l’histoire initiale, et l’interprétation du sens du chiffre 2 renvoie toujours à l’heure du rendez-vous – 2 heures de l’après-midi, au deuxième étage du lieu, ainsi qu’à la seconde chance que l’animateur de l’émission donne au protagoniste. Mais là encore surgit un tournant de l’histoire marqué par le remaniement du dénouement : le refus de Segundo face à la proposition débouche malheureusement sur une double journée identique qui recommence sans cesse alors que la version originale s’arrête là. C’est ainsi que l’héritage ne pourra jamais être légué, d’où l’enjeu du récit devenu Le mystère du temps.

Ce refus de coopérer avec l’animateur est en revanche vu comme preuve de l’honnêteté du protagoniste dans La tourmente d’héritage. Dans cette réécriture en mode de modification, l’étudiant-créateur décide de retoucher des faits déjà établis dans l’histoire source : l’oncle de Segundo n’est pas mort, et l’information occultée de la lettre est bien le logo de la chaîne de télévision où travaille son oncle. Sa participation à l’émission devient alors une retrouvaille familiale, une occasion de renouer le lien de parenté et, par conséquent, fournit une condition favorable à son obtention de l’héritage. Quant au récit Une aventure fantastique, de même en mode de modification, son histoire s’approche le plus de la version d’achèvement du jeu programmé par l’auteure de la BD 2, sauf que la fin est transformée. Contrairement à l’intrigue de l’histoire source, le sauvetage du protagoniste du monde de miroir ne provient pas du geste magique du vitrier, mais de sa récitation d’une incantation permettant de renvoyer le protagoniste au bureau du notaire. L’aventure dans le monde du miroir est représentée dans la réécriture comme une épreuve à surmonter pour le protagoniste. Son caractère débrouillard devient ainsi la qualité requise pour l’acquisition de l’héritage.

À la lumière des récits présentés, nous voyons comment les étudiants procèdent à transformer différents aspects de l’histoire aussi bien en respectant l’intrigue principale qu’en lui donnant un surcroît de sens. En somme, qu’il s’agisse d’opérations de transposition, de modification ou d’extension, l’oeuvre initiale offre une source abondante aux réécritures transmédiatiques. Les aspects maintenus ou transformés font valoir les intentions narratives de chaque créateur, qui déterminent les représentations des éléments narratifs dans différentes exploitations des thèmes variés. De ce fait, les bénéfices de l’aspect diégétique étant attestés, il est temps d’examiner les ressources multimédias que fournit la BD numérique 2 aux nouvelles configurations esthétiques sous forme d’album.

4.2. Les modalités du réinvestissement des ressources multimodales dans la création de l’album multimodal

D’après Demirkan et al. (2016), « dans sa combinaison des médias, le matériel hybride pluridisciplinaire donne l’occasion de renvoyer la spécificité de chaque mode de communication à la totalité qui le compose et de mesurer leurs apports et leurs interactions qui ont lieu au sein-même de l’oeuvre » (p. 55). Nous sommes dès lors entrés dans le domaine du rapport intermédiatique pour examiner les natures respectives du texte et de l’image, ainsi que les conditions et les objectifs narratifs de leurs collaborations.

Parmi les 20 albums numériques recueillis, 7 oeuvres sont représentées dans un nouveau style esthétique, différent de celui de l’original; 3 oeuvres mélangent les éléments bédéiques avec de nouveaux signes iconiques; 10 oeuvres réinvestissent les éléments bédéiques dans une différente configuration.

Commençons par le cas du réinvestissement des ressources iconiques telles quelles dans une nouvelle composition de la page-écran. À titre d’exemple, dans Héritage mystérieux, les images empruntées à la BD 2 sont réinvesties côte à côte avec le discours verbal sans subir aucune transformation (voir figure 2).

Ayant une visée descriptive et explicative, le discours verbal d’un narrateur extérieur permet de décrire la scène en exprimant les pensées, les sentiments et les mouvements du protagoniste, tandis que les emprunts figuratifs offrent des informations supplémentaires sur le décor, les formes et les couleurs des objets. On parle alors de la relation complémentaire texte-image pour qualifier ce genre de réinvestissement des éléments bédéiques. Comme l’explique Klinkenberg (2020), « les sémiotiques linguistiques d’une part et iconique d’autre part n’ont pas, par définition, les mêmes potentialités » (paragr. 80). C’est ainsi que leur collaboration peut, d’un effet synergique, contribuer à la construction sémantique du récit. Bien qu’il existe un aspect redondant dans les informations offertes par les deux modes, leur spécificité et complémentarité permettent de présenter une scène tangible, et d’augmenter ainsi la lisibilité du texte.

Figure 2

Extrait du récit Héritage mystérieux

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Ces emprunts figuratifs à l’oeuvre d’origine peuvent aussi collaborer avec d’autres signes visuels qui ne proviennent pas de l’histoire source, comme dans le récit Deuxième chance. Dans sa représentation de la page-écran sont en effet ajoutés des photos et des dessins pour illustrer l’intérieur de l’appartement. L’objectif narratif est de donner un sens nouveau à l’histoire – l’importance de garder la propreté du bien familial. Cependant, le style de la photo semble quelque peu décalé avec celui des images empruntées à la BD source (voir figure 3).

Figure 3

Extrait d’une double page de Deuxième chance

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D’après Van der Linden, pour assurer une cohérence interne de l’oeuvre, les images associées devraient être reliées non seulement par leur enchaînement spatial, mais aussi par une cohérence sémantique ou une continuité plastique (2003, p. 65). Pourtant dans notre récit en question, le problème de continuité plastique (couleur, forme, texture du signe visuel)[3] se double à celui de cohérence sémantique – l’appartement devrait se situer au centre de Madrid (indiqué dans le texte), alors que la photo montre un salon avec la vue sur la Tour Eiffel. En analysant la relation texte-image dans les doubles pages de l’album, Leclaire-Halté (2014) parle de la « fonction proleptique » de l’image dans l’anticipation du déroulement du texte. C’est-à-dire, la vision immédiate et simultanée que représente l’image attire l’attention du lecteur dans un premier temps en orientant son horizon d’attente. Les interférences préjudiciables entre image et texte troubleraient la compréhension du lecteur lors de sa réception. Il est possible que cette rupture sémantique vienne de la négligence de l’étudiant-créateur, ou de difficultés à trouver des images correspondantes.

Pour éviter ce problème de cohérence, différentes stratégies narratives pourraient se proposer comme des solutions. Prenons le cas du récit Double chance comme exemple. Bien que son opération transmédiatique repose aussi sur des emprunts iconiques à l’original, le texte et l’image s’articulent dans un rapport coconstructif afin de contourner l’exigence des informations homologues entre deux médiums (voir figure 4).

Puisqu’il est impossible de puiser dans l’oeuvre source des images illustrant l’action du protagoniste, ici, le réveil, l’étudiant-scripteur recourt au discours verbal pour combler le vide des informations manquantes. Il est manifeste que les discours verbaux ne sont pas disposés à côté de leurs images correspondantes, mais présentés dans des bulles bédéiques. Dans cette configuration de la page-écran, le message iconique ne suffit pas à se faire comprendre, mais nécessite un discours verbal sans lequel le lecteur ne saurait comprendre ce qui se passe dans l’appartement. Mais c’est grâce à ce rapport coconstructif que s’engendre une unité sémantique dans une expression globale.

Figure 4

Extrait de Double chance

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Ou encore, de façon plus poussée, certains étudiants-scripteurs créent leurs propres éléments iconiques pour contourner le problème de cohérence. Les créateurs de Le miroir no 2 et de Le mystère du temps dessinent eux-mêmes les personnages, les objets et les décors en vue d’une plus grande liberté de les coordonner avec les discours verbaux selon leur propre intention narrative. Cette liberté les incite à s’interroger sur les propriétés de l’album, notamment la force esthétique que peut produire la composition de la double page. Ainsi, dans Le miroir no 2, l’étudiant-créateur étend l’espace de narration sur une double page en organisant le rapport texte-image dans une continuité horizontale (voir figure 5).

Figure 5

Extrait d’une double page de Le miroir no 2

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Dans cette configuration, l’oeil du lecteur est guidé par la composition directionnelle de la gauche vers la droite, c’est-à-dire de l’image de l’immeuble au texte descriptif. En disposant des éléments textuels et iconiques de cette manière, l’étendue horizontale crée une force déployée grâce au décloisonnement de pages et à l’alternance de textes et d’images en continuum. À ce cela s’ajoute l’expression du mouvement continu dans une progression temporelle (voir figure 6).

Figure 6

Extrait d’une double page de Le mystère du temps

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Le protagoniste positionné au premier plan permet de souligner le thème de la scène : le rêve, tandis qu’à l’arrière-plan s’illustrent une suite d’actions pour démontrer l’activité cérébrale du protagoniste au cours du sommeil. De la gauche vers la droite, il s’agit en effet des actions que le protagoniste a effectuées lors de son rendez-vous chez le notaire. Grâce à cette organisation séquentielle en dessins, les composants iconiques étendus sur la double page permettent non seulement d’illustrer la simultanéité et la spatialité des thèmes (sommeil et activité cérébrale), mais aussi de raconter l’histoire dans une linéarité et une continuité de l’événement que représente normalement le discours verbal.

5. Discussion

Revenons à la problématique de départ portant sur les modalités de l’interprétation de l’histoire source par les étudiants pour les opérations transmédiatiques. Notre expérience didactique se recoupe avec la théorie de Meyer (2001) qui définit la lecture du récit comme une activité de questionnement (p. 95). Comprendre-interpréter ce que veut dire un récit consiste à (re)construire une question figurée permettant de saisir le récit comme un tout (Meyer, 2001). En ce sens, les étudiants-scripteurs s’interrogent sur un aspect de l’histoire, à leurs yeux, opaque, intriguant et énigmatique à partir duquel ils formulent leur propre problématique et commencent l’aventure de l’écriture. Les traces des transfictions soulevées témoignent alors de leur quête du sens dans laquelle se construit progressivement une réponse à la question figurée, un « écrit de la réception » (Lacelle et Lebrun, 2018; Le Goff et Fourtanier, 2017).

Différents éléments narratifs à cet effet font l’objet de transposition entre médiums, comme en attestent les opérations effectuées dans le partage du protagoniste, du cadre spatio-temporel, de l’événement principal (le rendez-vous chez le notaire). Pourtant, les modifications, les extensions et les transpositions témoignent chacune d’une intention particulière du créateur dans l’enrichissement de l’univers fictionnel établi. Qu’il s’agisse de dévoiler l’identité du méchant double comme un extraterrestre voulant prendre la place de l’humain (Quelque chose d’étrange), d’expliquer la scène énigmatique du spectacle par rapport à l’information manquante de la lettre (La tourmente d’héritage), ou encore de modifier seulement la fin de l’histoire pour justifier le mérite du protagoniste à obtenir l’héritage (Une aventure fantastique). Il s’avère que les bénéfices du transmédia storytelling se font dans deux sens : d’une part, les manières de remettre en question l’histoire source donnent lieu aux réécritures des étudiants en les incitant au développement d’une rédaction singulière, d’autre part, les récits des étudiants enrichissent l’histoire source en comblant ses ellipses narratives.

Or, le couple noeud-dénouement sous-tendant ces réinvestissements des clés narratives dans les réécritures ne s’est pas appliqué sans difficulté chez les étudiants-scripteurs. En raison du sujet traité et du cadre limité de la présente étude, les allers-retours des échanges de courriel entre enseignant et étudiants dans la détermination des dessins de l’intrigue ne sont pas exposés. Néanmoins, il paraît recommandable de souligner que l’application non maîtrisée du couple noeud-dénouement peut conduire à la mise en scène d’« une résolution simpliste de nature aléatoire ou coïncidence » (Huang, 2021, p. 88) ou à la présence d’« un problème de discontinuité dans la logique narrative » (Huang, 2021, p. 88). Pour les éviter, la conduite par l’enseignant dans la définition du sujet traité et du motif du personnage s’avère primordiale en amont de l’écriture pour accompagner les étudiants vers une résolution de problèmes tenant bien la route.

Quant aux apports des ressources médiatiques dans la création du récit numérique, les signes iconiques issus de l’oeuvre source offrent des bases possibles de création à partir desquelles s’inventent de nouvelles compositions visuelles adaptées à l’album numérique. Qu’il s’agisse d’un réinvestissement d’extraits bédéiques, d’un mélange avec d’autres sources iconiques ou d’une invention d’un nouveau style, les étudiants expérimentent l’écriture transmédiatique dans différents rapports texte-image. Bien que certaines difficultés puissent être soulevées dans cet exercice qui n’est cependant pas sans contrainte et nécessite un soin particulier dans l’accord des ressources multimédias employées, les étudiants ont trouvé des solutions en profitant des spécificités du médium, ici, l’album numérique. Sachant que les signes iconiques de la BD 2 sont conçus pour être vus dans une page-écran, certains étudiants ont confectionné leurs propres dessins pour une meilleure adaptation à la double page de l’album. Leur talent artistique surpasse l’attente initiale de l’enseignante et nous incite à réfléchir sur le statut de la valeur esthétique dans la communication postmoderne à laquelle nous sommes confrontés quotidiennement. Il paraît évident que le développement du sens esthétique, s’il est bien recommandé dans notre instruction nationale, est en réalité délaissé dans notre pratique en classe depuis longtemps.

Conclusion

Avec l’arrivée de l’ère numérique où les données visuelles ne sont plus les informations supplémentaires, mais les collaboratrices du texte verbal, il serait approprié d’élargir nos sujets enseignés pour prendre en compte des apports iconiques au développement des compétences scripturales. Se dotant de fonctions esthétique, illustrative et sémantique, les images fixes et/ou mobiles permettent d’accorder une meilleure lisibilité au texte tout en le rendant plus captivant. De ce fait, il s’avère judicieux de travailler les compétences multimodales en s’interrogeant sur les différentes conditions, modalités, et objectifs de leur articulation. Les valeurs hiérarchiques qu’on a traditionnellement accordées au rapport texte-image devraient dès lors faire l’objet d’une réévaluation. C’est ainsi que l’écriture transmédiatique sous forme de récit multimodal s’avère être un exercice favorisant la créativité et la réflexion sur les particularités de chaque support à l’instar des sources d’inspiration. L’idée ne s’est pas formulée sans se référer aux caractères « interactif », « contributif » et « participatif » des communautés de fans motivés par l’engouement pour l’oeuvre source dans une perspective de la fanfiction (Aïm, 2013). Néanmoins, dans le domaine du FLE, l’écriture transmédiatique se traduit davantage comme une tâche assignée qui plonge les apprenants dans un état de concentration et de plein engagement en vue de son accomplissement par l’effet des matières stimulantes de l’oeuvre. Il ne serait pas étonnant que le développement des connaissances de base sur les propriétés multimédias devienne un enjeu didactique de plus en plus important dans les années à venir.