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Dans son tout nouveau livre Faire projet d’un héritage, Dominique Laperle se penche sur la question de la réception du concile Vatican II dans les congrégations féminines, majoritairement enseignantes, du diocèse de Montréal de 1961 à 1988. À partir de l’analyse d’un important corpus documentaire provenant notamment de la congrégation de Notre-Dame, des Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie, des Soeurs de la Présentation de Marie et des Soeurs de Sainte-Croix, il tente de comprendre comment la réception conciliaire s’est concrétisée dans ces communautés féminines, et si les transformations suscitées par cet évènement ont bien été une réussite.

Divisé en cinq chapitres suivant une trame chronologique, l’essai s’ouvre sur l’enquête préconciliaire de 1961 menée à la demande du cardinal Paul-Émile Léger auprès des communautés religieuses et des instituts séculiers. Ceux-ci sont invités à répondre à un questionnaire portant sur la vie religieuse dans sa globalité et les réponses obtenues devaient permettre aux autorités diocésaines d’avoir un portrait clair des attentes et préoccupations des religieuses en temps préconciliaire. Les répondantes, majoritairement des communautés enseignantes, ont abordé toutes les sphères de leur vie quotidienne, allant des vocations à la formation théologique et à l’habit religieux. Cette enquête préconciliaire a certainement permis aux religieuses une première mise en contact avec le futur concile. Cependant, les réponses obtenues représentent moins de 15,7 % de l’ensemble des communautés du diocèse, ce qui ne permet pas d’affirmer que cette enquête a eu une influence majeure sur la réception conciliaire dans les communautés religieuses.

Le deuxième chapitre s’attache à la réception du concile à travers les voix des revues catholiques spécialisées, publiées entre 1958 et 1967, et des lettres circulaires des supérieures des communautés. L’analyse du contenu de deux revues spécialisées (Donum Dei et La vie des communautés religieuses) met en lumière l’horizon d’attente des religieuses, puisque les auteurs de la publication tentent alors de saisir les visées de l’évènement conciliaire et leur répercussion sur les fondements de la vie religieuse. Plus encore, les analyses que font les spécialistes des textes conciliaires facilitent leur appropriation par les religieuses. C’est toutefois la lecture des lettres circulaires rédigées par les supérieures des communautés religieuses qui aura un impact plus important sur la réception conciliaire. À partir de l’analyse des lettres circulaires des supérieures de la congrégation de Notre-Dame entre 1954 et 1984, Laperle démontre que ces dernières ont intégré les textes conciliaires à la réalité quotidienne et féminine de la communauté, notamment par l’utilisation des écrits de la fondatrice de l’ordre, des textes conciliaires et des références bibliques. Il faut toutefois faire attention à une généralisation abusive à partir de l’analyse d’une seule communauté religieuse, bien que ces revues et circulaires aient sans conteste été des sources de réflexion pour les religieuses.

L’auteur explore dans le troisième chapitre un évènement tout à fait unique au diocèse de Montréal : l’organisation d’un congrès pour les religieuses en 1968. Il souhaite démontrer que ce congrès a permis aux religieuses de vivre une expérience positive de l’intégration conciliaire, qui ne peut qu’aboutir à une appropriation collective du concile influençant immanquablement leur adaptation. Ce congrès devait offrir un temps de réflexion pour approfondir le sens de la vie religieuse dans le monde d’aujourd’hui et traduire les grands enseignements conciliaires dans la réalité concrète des religieuses. Les différentes conférences et réflexions suscitées par le congrès, notamment sur l’affirmation féminine et l’inscription des religieuses dans le monde, tendent à confirmer que cette expérience a été marquante d’un point de vue local et essentielle au processus de réception conciliaire dans le diocèse de Montréal. Toutefois, la baisse du recrutement et les départs des communautés qui suivront le congrès amènent l’auteur à conclure que cet évènement a été un arrêt bénéfique pour les femmes qui resteront en communauté, mais pas un tournant majeur dans la réception conciliaire.

Le chapitre suivant aborde la question de la refonte des constitutions des communautés religieuses. Après la promulgation des textes Perfectae Caritatis et Ecclesiae Sanctea, les communautés religieuses devaient entreprendre un travail de réécriture de leurs constitutions et règles, lesquelles seront mises en expérimentation (ad experimentum) de la fin des années 1960 jusqu’à leur approbation finale dans les années 1980 et 1990. L’auteur constate, en analysant les constitutions de la congrégation de Notre-Dame et de la congrégation des Soeurs de Sainte-Croix, que le travail de consultation auprès des soeurs a permis une grande liberté créative, notamment par l’intégration d’une nouvelle formulation et d’un nouveau contenu dans les constitutions, basés sur les références bibliques et l’assimilation du corpus conciliaire. De fait, ces documents, qui étaient jusqu’alors surtout juridiques et contraignants, deviennent des textes inspirants pour la vie religieuse et communautaire. Cependant, ces nouvelles constitutions n’ont pas ralenti les départs des effectifs et les dérives de certaines communautés aux yeux des autorités vaticanes ont occasionné un recadrage du processus d’adaptation qui a freiné plusieurs initiatives féminines.

Finalement, l’auteur termine son essai avec une réflexion sur la périodisation de la réception du concile dans les communautés religieuses. À partir de la périodisation de Gilles Routhier et de la mise en application du concept de cycle de vie des congrégations religieuses défini par Raymond Hostie et interprété par Patricia Wittberg, il propose une périodisation de la réception conciliaire pour les congrégations religieuses apostoliques, surtout enseignantes, du diocèse de Montréal. Cette dernière se divise en trois temps : il y a d’abord la phase exploratoire (1959-1963) qui permet une première prise de contact avec l’évènement conciliaire, et qui est suivie d’une phase dite euphorique (1963-1968) où les sujets prennent conscience des changements à venir, dont le statut, le rôle et la place des femmes au sein de l’Église. Finalement, la dernière phase dite de l’adaptation soucieuse (1968-1988) est marquée par une quête des signes du temps et par la volonté profonde de maintenir la cohésion entre les membres et la mission première des communautés religieuses. Cette proposition, peu différente de celle de Gilles Routhier, reste aux yeux de l’auteur sujette à une réflexion plus poussée.

Dominique Laperle nous offre ici un ouvrage complet et indispensable à la compréhension de la réception des enseignements du concile Vatican II auprès des communautés religieuses féminines. Tout en nuances et s’appuyant sur un vaste corpus documentaire, l’ouvrage expose aux lecteurs les différentes facettes de l’évènement conciliaire et de son appropriation, tantôt enthousiaste, tantôt angoissant, par ces femmes consacrées placées au coeur des grands bouleversements sociaux et religieux du Québec des années 1960.