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En 2017, la revue L’Action nationale célébrait ses 100 ans d’existence. Cela fait d’elle la revue d’idées encore en vie la plus ancienne au Québec, et l’une des plus anciennes dans la francophonie (p. 7). C’est d’autant plus remarquable que, on le sait, la survie de ces revues repose essentiellement sur le bénévolat des animateurs et collaborateurs.

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la première partie de son existence, de sa fondation en 1917 aux années 1960. Mais l’ouvrage de Lucia Ferretti est le premier à couvrir de façon exhaustive son parcours depuis la fin des années 1960 jusqu’à 2017.

Bien connue pour ses travaux sur l’histoire de l’Église au Québec, Ferretti, qui enseigne à l’Université du Québec à Trois-Rivières, s’est aventurée ici dans une avenue différente, celle d’un ouvrage de commande qui repose sur une recherche sérieuse et approfondie. Elle avise d’ailleurs dès le départ les lecteurs de ses liens tant avec la Ligue d’Action nationale qu’avec la revue. On lui saura gré de sa transparence, mais si la sympathie est apparente, on cherchera en vain ici un livre-hommage complaisant. Dans une langue vive et agréable, elle nous convie, à travers l’histoire de la revue et de ses combats, à une relecture de l’histoire du Québec vue par le prisme de la question nationale et de ses principaux protagonistes : individus, réseaux et mouvements, partis politiques. C’est un climat et un milieu en évolution et en ébullition qui reprennent vie sous nos yeux.

Plutôt que de procéder par analyse d’échantillons ciblés, l’autrice a choisi le dépouillement exhaustif de l’ensemble des numéros. De 1967 à 2017, nous rappelle Lucia Ferretti, L’Action nationale rassemble plus de 67 000 pages. On comprend mieux dès lors l’ampleur du travail auquel elle s’est livrée. Certes, l’analyse des éditoriaux, débats, mémoires et enquêtes permet de mesurer l’évolution des discours social, politique et économique de la revue, ancrée dans son temps. Mais la lecture attentive de l’ensemble des numéros d’une couverture à l’autre constitue un choix méthodologique judicieux considérant que, comme bien des revues qui ne se trouvent pas rattachées à des institutions, les archives sont rares. Il s’y trouve bien souvent une mine d’informations permettant de reconstruire les conditions matérielles et intellectuelles d’existence de la revue, de la liste des collaborateurs et partenaires aux informations financières, des abonnés aux activités de la Ligue et de la fondation qui la soutiennent. Des enquêtes complémentaires ciblées ont permis à Ferretti de dégager les réseaux et milieux liés à L’Action nationale et à ses idées.

Partant du fait que la plupart des études précédentes se terminent au plus tard au moment des États généraux du Canada français (1967-1969), Lucia Ferretti choisit ce tournant idéologique pour les nationalistes québécois et pour la revue comme point de départ de son analyse.

Divisé en sept chapitres, le livre couvre autant de périodes définies le plus souvent par les aléas de la question nationale, des avancées de la centralisation fédérale à la défense et la promotion de la langue française au Québec, de l’élection du Parti québécois aux deux référendums, de l’échec de Victoria et de Meech à la défense de l’idée d’une nation québécoise inclusive. Ancrée dans son temps, L’Action nationale se penche également sur les grandes questions économiques et sociales qui traversent ces périodes, et se préoccupe de rester un lieu de débat ouvert à toutes les tendances indépendantistes.

L’un des grands mérites du livre de Lucia Ferretti est d’aller au-delà de l’analyse de discours pour replacer la revue dans son environnement. Comment, à chaque période, se situe L’Action nationale dans le champ des revues ? Quelles sont ses conditions matérielles et financières ? Quels sont les réseaux d’auteurs et d’alliés qu’elle entretient ? Cette prise en compte du contexte que l’autrice est à même de reconstruire grâce au dépouillement exhaustif de la revue permet de mieux comprendre son histoire interne, son ancrage dans sa société d’appartenance, son évolution et ses moyens d’action. Par exemple, l’engagement de François-Albert Angers dans des organisations comme le Mouvement Québec français, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et L’Action nationale, montre comment la revue et la ligue se trouvent au centre d’un réseau d’influence qui cherche à orienter les politiques par ses analyses et propositions, comme sur la question de la langue française dans les années 1970. Les réseaux, les acteurs et les actions peuvent varier au fil du temps, il n’en reste pas moins que L’Action nationale demeure une plaque tournante des réflexions et des débats sur les enjeux qui occupent le Québec durant toute la période. Mais, comme le constate Lucia Ferretti, sa fortune fluctue selon la popularité de l’idée d’indépendance, qui est au coeur même de son projet.

Bien faite, bien informée et de belle facture, cette analyse des débats autour de la question nationale au Québec depuis la fin des années 1960 à travers la lecture qu’en fait L’Action nationale trouvera ses lecteurs tant dans le grand public que chez les spécialistes.