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Johanne Collin est professeure d’histoire de la pharmacie à l’Université de Montréal ; elle a réalisé ce livre avec la collaboration de Denis Béliveau. Leur objectif est de présenter une vue d’ensemble de l’histoire de la pharmacie au Québec depuis les tout débuts de la présence européenne. Pour ce faire, les auteurs ont consulté un large éventail de sources constituées principalement d’archives de l’ordre des pharmaciens, de journaux professionnels, et de plusieurs documents gouvernementaux (lois, enquêtes, rapports). La matière y est présentée en 12 chapitres.

Les deux premiers portent sur l’exercice de la médecine dans la colonie, de la période de la Nouvelle-France jusqu’à l’ordonnance de 1788, émise par la nouvelle administration britannique. Durant ces années, la médecine réglementée reste essentiellement européenne dans son organisation, dans ses pratiques, ainsi que dans sa pharmacopée. À Québec, Montréal et Trois-Rivières, ce sont les religieuses apothicaires qui, dans les hôpitaux, ont la responsabilité de l’entreposage des remèdes (herbes, poudres, onguents, lotions, etc.) et de l’exécution, auprès des malades, des ordonnances des médecins. Ailleurs dans la colonie, les apothicaires et les médecins étant peu nombreux, ce sont les chirurgiens qui, en général, soignent les malades.

Les trois chapitres suivants (3 à 5) sont essentiellement consacrés au 19e siècle. Cette période est d’abord marquée par l’arrivée, à partir de 1792, des premiers druggists et chemists. La pharmacopée change peu durant ces années, mais certaines drogues, comme l’opium et la morphine, sont de plus en plus administrées. De nouveaux alcaloïdes ont également été découverts, parmi lesquels la vératrine, la brucine, la strychnine et la quinine. Le 19e siècle est aussi caractérisée par l’omniprésence de remèdes brevetés (les patent medicines). Leur composition était secrète et contenait souvent de l’alcool ou de l’opium. Vendus fréquemment sous le nom de vins thérapeutiques ou de sirops calmants, ils sont même donnés aux enfants sous prétexte, comme le disait une publicité, qu’« un enfant qui se porte bien ne crie pas » (p. 147). C’est dans ce contexte que s’impose, dans la deuxième moitié du 19e siècle, la nécessité de mieux réguler le monde des médicaments. Cela donne lieu, en 1868, à la création du Montreal College of Pharmacy ; en 1870, à la loi sur l’incorporation professionnelle de l’Association des pharmaciens de la province de Québec ; et, en 1875, à la loi relative au contrôle des drogues et substances médicamenteuses.

Les derniers chapitres relatent les profondes transformations de la profession au 20e siècle. Cette période coïncide avec la naissance des grandes entreprises pharmaceutiques et l’apparition, après la Seconde Guerre mondiale, d’un grand nombre de médicaments, dont la cortisone, les antibiotiques, les antipsychotiques, les somnifères, les antidépresseurs et autres. En effet, « plus de 90 % des médicaments prescrits en 1966 n’existaient pas encore en 1945 » (p. 250). Or, plusieurs de ces nouveaux médicaments ne nécessitent aucune préparation, car ils sont fabriqués dans les laboratoires mêmes des grandes entreprises (Pfizer, Johnson & Johnson, etc.). Les pharmaciens n’en sont que les distributeurs. S’ajoute ensuite la concurrence entre les grandes chaînes de vente au détail, comme Jean Coutu et Pharmaprix, qui leur fait perdre une autre part de leur autonomie. C’est ainsi qu’un grand nombre de pharmaciens ont fini par devenir des gérants de succursales ou des salariés de ces grandes chaînes. En 1980, ils constituaient en effet les deux tiers des membres de la profession (p. 313).

Ces changements plongent la profession dans une grave crise identitaire. Une première réaction des propriétaires de petites et moyennes pharmacies est de se regrouper à des fins communes d’approvisionnement et de publicité. Cela donne lieu, en 1972, au premier regroupement de pharmaciens indépendants du Québec sous la bannière d’Uniprix. Cela force aussi les pharmaciens à redéfinir et renégocier leur place au sein de l’équipe de santé. Ils font alors valoir, notamment, leurs compétences comme spécialistes des médicaments, auprès tant des patients que des autres praticiens. C’est ainsi que la pharmacie clinique commence à se développer dans les milieux hospitaliers. C’est aussi à partir de ce moment que les pharmaciens se définissent comme les responsables du suivi pharmacologique des patients, et comme les spécialistes des problèmes associés à la prise de médicaments (effets secondaires, réactions allergiques, mésusage, problèmes de toxicité, surmédicalisation, etc.). En 1974, la nouvelle loi sur la pharmacie les autorise à procéder à la substitution des remèdes brevetés par des remèdes génériques. Cela conduit les universités à revoir la formation des futurs pharmaciens, notamment en chimie, biochimie, physique et bactériologie. De nouveaux programmes sont également créés, dont celui du doctorat de premier cycle en pharmacie. Depuis 1972, les étudiants en pharmacie doivent également suivre une formation en milieu hospitalier.

Ce livre a été écrit dans le contexte du 100e anniversaire de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, et du 150e anniversaire de l’incorporation de la profession. Il y est beaucoup question de l’évolution de la formation des pharmaciens et des conditions d’exercice de cette profession, notamment au cours du dernier siècle. On trouve peu de choses cependant sur les pharmaciens eux-mêmes ; par exemple sur les variations de leur nombre, de leur proportion au sein des professionnels de la santé, de leur répartition géographique ou de leur situation économique. Il n’y a pas non plus de comparaisons avec d’autres provinces. Pourtant, la santé étant de juridiction provinciale, les auteurs ont certainement noté des particularités à cet égard. La lecture n’est pas aisée, entre autres parce que les points essentiels ne ressortent pas toujours clairement. Malheureusement, il n’y a ni index ni chronologie, ni liste des tableaux. Cela dit, ce livre sera certainement très utile aux pharmaciens qui veulent mieux comprendre les défis passés de leur profession, et aux personnes qui s’interrogent sur les origines et le développement de cette profession au sein du système de santé au Québec.