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Mise en contexte

La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), causée par l’agent pathogène SARS-CoV-2, a entraîné la mise en place, dans plusieurs pays du monde, de diverses mesures sociosanitaires inédites. Ces mesures, incluant notamment le confinement d’une bonne partie de la population pendant plusieurs semaines, ont des effets importants sur la qualité de vie et la santé de la population. Au Québec, le premier cas de COVID-19 a été officialisé le 27 février 2020. Le seuil des 10 000 cas a été atteint le 7 avril 2020 et celui des 50 000 cas, le 29 mai 2020. La transmission communautaire, quant à elle, a été déclarée active au Québec le 4 avril 2020. Le premier décès officiellement lié à la COVID-19 au Québec est survenu le 18 mars 2020. Au cours de l’année 2020, le Québec a été la province comptabilisant le plus de cas du virus de la COVID-19 parmi toutes les provinces canadiennes.

Dans cette province, les mesures sanitaires de confinement se sont intensifiées progressivement, mais de façon assez rapide à partir du 11 mars (interdiction des rassemblements de plus de 250 personnes) et du 12 mars (déclaration de l’« état d’urgence sanitaire »). Plusieurs lieux publics ont alors été fermés, tels que les centres d’entraînement, les bars et restaurants et les salles de spectacle (15 mars), les établissements d’enseignement et les services de garde (16 mars) et les commerces et services non essentiels (22 et 23 mars). Puis, les commerces et services essentiels ont été fermés le 29 mars, afin d’en permettre une désinfection complète régulière. Le 23 mars, le confinement en CHSLD et dans les résidences privées pour personnes âgées a été instauré. Un confinement généralisé à l’ensemble de la population a ensuite pris place au sein de chaque région avec des points de contrôle policiers pour empêcher les déplacements. Certaines municipalités, comme Montréal et les villes de sa couronne, ont même interdit la fréquentation des parcs publics.

Les premières mesures d’un déconfinement progressif ont été annoncées entre le 15 et le 27 avril 2020 et les régions ont été de nouveau ouvertes à partir du 18 mai. Bien que certaines écoles situées à l’extérieur de Montréal aient ouvert leurs portes dès le 11 mai 2020, la fréquentation scolaire est demeurée optionnelle jusqu’à la rentrée de la fin août 2020 avec des mesures sanitaires importantes. Sans avoir imposé un confinement à domicile comme certains pays, le Québec a, par les mesures mises en place, entraîné un effet similaire puisqu’aucun lieu public n’était accessible ; les Québécois se sont trouvés confinés de facto à leur domicile pendant environ un mois (plus ou moins du 15 mars au 15 avril, selon les secteurs). Au 31 mai 2020, près d’une personne sur deux occupant un emploi rémunéré au Québec faisait du télétravail (Institut national de santé publique du Québec, 2020).

Même si certaines études mentionnent des répercussions positives de la pandémie de COVID-19 sur le fonctionnement familial, concernant notamment l’augmentation du temps passé en famille (Brown et al., 2020 ; Guessoum et al., 2020) et l’amélioration des relations conjugales et familiales (Günter-Bel et al., 2020), plusieurs recherches indiquent la présence de difficultés chez les parents ayant des enfants à charge. Elles soulignent que ces parents présentent de la détresse psychologique (Chartier et al., 2021 ; Marchetti et al., 2020), du stress (Chung et al., 2020 ; Craig et al., 2021) et des troubles du sommeil (Di Giorgio et al., 2020). Au Québec, une enquête réalisée lors du confinement d’avril 2020 auprès de 1 408 répondants révèle que la majorité des 383 parents interrogés ressentaient un état de fatigue général (80 %), un sentiment d’être dépassés par les événements (79 %), de la frustration (77 %), de l’irritabilité et de l’agressivité (75 %), ainsi que des troubles du sommeil (73 %) (CROP, 2020). Selon Cheng et al. (2021), la détérioration de la santé mentale serait amplifiée pour les parents qui travaillent et elle serait fortement liée à l’insécurité financière et au temps consacré à la garde des enfants et à l’enseignement à domicile. Malgré le fait que tous les résidents québécois aient été touchés par la pandémie de la COVID-19 et par les mesures sanitaires et sociales mises en place depuis le 13 mars 2020, les parents occupant un emploi rémunéré ont été particulièrement affectés par les différents stresseurs engendrés par cette crise.

Dans un tel contexte, cet article présente tout d’abord les sources de stress principalement vécues par les parents en temps de pandémie, et ce, tant en ce qui concerne leurs responsabilités familiales que professionnelles. Par la suite, sur la base des études réalisées sur la conciliation travail-famille pendant la pandémie et les facteurs qui y sont associés, la pertinence de s’intéresser plus spécifiquement aux employés universitaires québécois est démontrée. À la lumière de ce contexte théorique, la démarche de recherche entreprise afin de documenter le niveau de conflit travail-famille et les facteurs qui y sont liés chez les employés universitaires québécois est précisée. Les résultats de l’étude sont finalement exposés et discutés.

Une hausse de stress lié aux responsabilités familiales et professionnelles

Au-delà du stress associé au virus en lui-même, les parents ont été soumis à de nombreuses inquiétudes liées à leurs responsabilités familiales en raison des mesures sanitaires, telles que le confinement des enfants à la maison et le télétravail (Chartier et al., 2020 ; Prikhidko et al., 2020). À cet égard, une étude réalisée par Statistique Canada en juin 2020 auprès de plus de 32 000 parents d’enfants âgés de 0 à 14 ans indique que ces derniers étaient inquiets des occasions de socialiser de leurs enfants (71 %), du temps qu’ils passaient devant un écran (64 %), de leur sentiment de solitude ou de leur isolement (54 %), de leur santé mentale générale (46 %), de même que de leur parcours et leur réussite scolaires (40 %) (Statistique Canada, 2020). Ces sources de stress ont été rapportées dans d’autres recherches qui soulignent leur présence accrue pour les parents d’enfants ayant une incapacité (Arim et al., 2020 ; Fontanesi et al., 2020 ; Greenlee et al., 2020 ; Marchetti et al., 2020). Certaines études mentionnent que le stress des parents dans le contexte de la COVID-19 est associé à des manifestations de stress plus élevées chez leurs enfants (Chartier et al., 2020 ; Shorer et al., 2020), de même qu’à des problèmes de santé mentale chez ces derniers (Spinelli et al., 2020).

Parallèlement à ces inquiétudes familiales, des études ont mentionné que le marché de l’emploi suscitait de nombreuses craintes pour plusieurs familles pendant le confinement, particulièrement chez les ménages à faible revenu (Cheng et al., 2021). La perte d’un emploi ou d’un revenu, l’incapacité à subvenir aux besoins de leur famille, ainsi que des difficultés à organiser leur travail à domicile inquiétaient un bon nombre de parents (Brown et al., 2020 ; CROP, 2020 ; Statistique Canada, 2020).

Pendant le confinement, les sources de stress se sont multipliées chez de nombreux parents, tant dans leur vie familiale que professionnelle, alors que la disponibilité des ressources susceptibles de les soutenir dans leur rôle parental a diminué (Marchetti et al., 2020). Dans un tel contexte, il apparaît pertinent de se pencher sur les conséquences engendrées par la pandémie sur la conciliation travail-famille, et en particulier sur les facteurs y étant associés.

La conciliation travail-famille en temps de pandémie

L’équilibre entre le travail et la vie privée est un concept large qui implique de fixer des priorités appropriées entre la carrière et l’ambition, d’une part, ainsi que les loisirs et la famille, d’autre part (Singh et Khanna, 2011). Selon Smith (2010), la conciliation entre le travail et la vie personnelle est liée à la capacité des personnes de consacrer suffisamment de temps à leur travail tout comme à d’autres activités, qu’elles soient familiales ou sociales. L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée a suscité une attention croissante dans la recherche et la presse populaire au cours des 40 dernières années et a de nombreuses conséquences personnelles, familiales et organisationnelles.

La crise de la COVID-19 a entraîné des changements radicaux dans le travail et la vie domestique de nombreuses familles dans le monde (Andrew et al., 2020). Selon l’enquête du Réseau pour un Québec Famille (RQF, 2020), menée entre le 7 et le 22 mai 2020 auprès de 3 006 parents ou proches aidants travailleurs, les mesures de confinement ont nécessité des adaptations importantes pour les ménages afin de concilier leur vie professionnelle et familiale. D’une part, l’organisation familiale a été complexifiée pour la majorité des parents, 59 % d’entre eux ayant éprouvé des difficultés à encadrer les activités scolaires de leurs enfants qui se tenaient alors à distance (RQF, 2020). Cette difficulté à gérer les apprentissages et les travaux scolaires des enfants a aussi été relevée dans d’autres études réalisées au Canada (CROP, 2020 ; Statistique Canada, 2020), aux États-Unis (Brown et al., 2020), en France (Collectif d’Analyse des familles en confinement, 2021 ; Lambert et al., 2020) et en Grande-Bretagne (Adisa et al., 2021). D’autre part, l’enquête du RQF (2020) souligne des changements importants dans l’organisation du travail des Québécois, alors que 55 % des parents et proches aidants interrogés effectuaient du télétravail en mai 2020, dont 48 % à temps plein. Chez les personnes répondantes de cette étude, 60 % estimaient que le confinement avait négativement affecté leur productivité au travail et 43 % étaient d’avis que leur charge de travail avait augmenté.

Ainsi, la pandémie et les mesures de confinement qui en découlent ont fait en sorte que de nombreux parents occupant un emploi ont dû concilier leurs activités professionnelles aux tâches liées aux soins et à l’éducation de leurs enfants (Craig et al., 2021). À ce sujet, Craig et al. (2021), dans une étude réalisée en Australie auprès de 1 536 couples de parents travailleurs, le temps de travail rémunéré avait légèrement diminué pendant la période de confinement, alors que l’importance des tâches non rémunérées, comme les soins et l’éducation des enfants, était beaucoup plus élevée. Statistique Canada (2020) a d’ailleurs souligné que 74 % des parents d’enfants âgés de 0 à 14 ans se sont sentis très ou extrêmement préoccupés par la conciliation des soins aux enfants, de la supervision de leurs apprentissages à distance et du travail lors de la première période de confinement. Malgré tout, dans une enquête réalisée auprès de 2 293 travailleurs québécois, également parents ou proches aidants, 62 % ont rapporté une conciliation travail-famille facile (42 %) ou très facile (20 %) en mai 2020 (Tremblay et Mathieu, 2020). Ce pourcentage est plus élevé que celui habituellement obtenu dans l’Enquête sociale générale de Statistique Canada, dans laquelle une personne sur deux rapporte des difficultés de conciliation (Tremblay, 2019).

Les facteurs associés à la conciliation travail-famille en temps de pandémie

Étant donné l’ampleur des difficultés de conciliation travail-famille, des études ont tenté d’identifier les facteurs qui y sont associés dans le contexte de la pandémie. À l’instar des recherches menées avant la crise de la COVID-19 (Lavoie, 2016 ; St-Onge et al., 2002 ; Tremblay, 2012 ; Tremblay et Mathieu, 2020), les études réalisées pendant la pandémie indiquent que, comparativement aux hommes, les femmes étaient plus nombreuses à trouver cette conciliation difficile (Adisa et al., 2021 ; Cheng et al., 2021 ; Craig et al., 2021 ; Lemieux et al., 2020 ; Qian et Fuller, 2020). Dans cette lignée, quelques études mettent en évidence le fait que les mères ont été plus durement affectées que les pères pendant le confinement, et ce, en raison d’ajustements plus importants ayant trait aux horaires de travail, de pressions professionnelles plus grandes et d’une détérioration générale de l’équilibre travail-vie privée (Adams-Prassl et al., 2020 ; Carlson et al., 2020).

Au-delà des différences entre les hommes et les femmes, certaines études mettent en lumière d’autres facteurs associés à la conciliation travail-famille dans le contexte de la pandémie. Craig et al. (2021) indiquent que les parents insatisfaits du partage des tâches avec leur partenaire pendant le confinement estimaient que la conciliation travail-famille était plus difficile à réaliser au sein de leur ménage. Le partage des tâches familiales est d’ailleurs considéré dans les écrits scientifiques comme un facteur important pouvant influencer la conciliation travail-famille (Lavoie, 2016 ; St-Amour et Bourque, 2013 ; St-Onge et al., 2002 ; Tremblay, 2003 ; 2012).

Dans l’étude de Statistique Canada (2020), les préoccupations liées à la conciliation travail-famille en temps de pandémie étaient particulièrement présentes chez les parents ayant des enfants d’âge scolaire, c’est-à-dire âgés de 4 à 11 ans (80 %), comparativement à ceux qui avaient des jeunes âgés de 12 à 14 ans (55 %) ou des enfants d’âge préscolaire seulement (70 %). Ce résultat diffère des études menées avant la pandémie, qui constataient plutôt une conciliation travail-famille plus difficile chez les parents d’enfants en bas âge, soit âgés de 5 ans ou moins (Boulet, 2014 ; Statistique Canada, 2016 ; Tremblay, 2012). Tout comme d’autres recherches antérieures à la pandémie (Lavoie, 2016 ; St-Onge et al., 2010 ; Tremblay, 2012), Greenlee et al. (2020) mentionnent que les parents détenant un baccalauréat ou un grade supérieur étaient plus nombreux à se dire très ou extrêmement préoccupés par la nécessité de concilier les soins à leurs enfants, l’école à la maison et le travail pendant le confinement, en comparaison avec les parents ayant un diplôme d’études secondaires ou moins.

Pour leur part, Tremblay et Mathieu (2020) soulignent que le degré de compréhension manifesté par les employeurs peut faciliter ou nuire à la conciliation travail-famille. Dans le même sens, d’autres études soulignent que l’attitude et le soutien des supérieurs et des collègues peuvent aider ou entraver la conciliation travail-famille chez les parents (Fusulier et al., 2009 ; 2011 ; Tremblay, 2012 ; 2019 ; St-Onge et al., 2002), et ce, notamment chez les professionnels et les cadres (Lapeyre, 2006a ; 2006b).

Le but de l’étude et sa pertinence

Bien que certaines études aient permis de documenter des facteurs associés à la conciliation travail-famille en temps de pandémie, ces dernières demeurent peu nombreuses et une seule a été réalisée en contexte québécois (Tremblay et Mathieu, 2020). Or, la conciliation travail-famille est susceptible d’être vécue différemment au Québec, « où la politique familiale en place favorise l’activité des femmes » (Tremblay et Mathieu, 2020 : 76). La présente étude est la première, à notre connaissance, à s’intéresser aux employés universitaires, un groupe de travailleurs faisant partie des premiers à avoir été touchés par les fermetures d’établissements scolaires au printemps 2020. Ces parents ont eu à s’adapter rapidement aux nouvelles modalités de dispensation des enseignements universitaires. Il faut rappeler que ces modalités n’ont pas été établies clairement et une fois pour toutes dès le début des mesures sanitaires. Ainsi, tous les employés universitaires, des cadres aux employés de soutien en passant par les professionnels et les enseignants (professeurs et chargés de cours), ont dû constamment adapter leurs façons de faire aux décrets gouvernementaux et aux recommandations de la Santé publique. Les employés universitaires ont suivi, semaine après semaine, les changements annoncés par le gouvernement : d’abord une fermeture complète des établissements, puis une réouverture annoncée, de nouveau annulée, reportée, etc. En outre, les directives de la Santé publique interdisaient aux employés de retourner sur leur lieu de travail pour récupérer leur matériel, qu’il s’agisse d’équipement informatique, de manuels ou de notes de cours. Lorsque cette récupération a été permise, les conditions étaient très restrictives et chaque service universitaire a été sollicité pour permettre aux employés d’obtenir leur matériel sans avoir à entrer dans les locaux. Tout le personnel des universités a été en constante adaptation, dans le cadre général d’une pandémie mondiale faisant craindre pour sa propre santé ou celle de ses proches. Les parents ont été particulièrement concernés par ces adaptations puisque, en plus de devoir adapter leur travail à domicile, ils ont dû s’occuper de leurs enfants à la maison, notamment en les accompagnant dans leur travail scolaire à distance.

Pour les professeurs universitaires, cette responsabilité s’est ajoutée à des conditions de stress déjà omniprésentes dans leur environnement de travail, qui exige une performance dans les tâches de recherche, d’enseignement et de gestion. Selon Kinman et Wray (2013), 75 % des professeurs estiment que leur travail est stressant. Dans différentes études, ce stress est associé à la charge de travail trop élevée, à la compétitivité inhérente aux demandes de financement, à des ressources jugées insuffisantes (Ford et Jin, 2015 ; Mc Cormick et Barnett, 2011 ; Tight, 2010), ainsi qu’à l’augmentation des tâches administratives (Pace et al., 2021 ; Vera et al., 2010). Chez les professeurs universitaires, le travail intensif et compulsif serait culturellement approuvé, voire encouragé par la culture universitaire (Van Wijhe et al., 2013). Ce constat amène Dingel et al. (2021) à qualifier les universités de greedy institution, dont les demandes impossibles à satisfaire monopolisent le temps et l’énergie des employés. En période de pandémie, ces auteurs estiment que ces demandes épuisantes engendrent des inégalités sociales, car les femmes et les membres des minorités du corps professoral supportent le plus lourd fardeau de ces exigences en ce qui concerne l’enseignement et les services aux collectivités, et ce, peu importe l’étape de leur carrière. Les études menées à l’égard des employés universitaires autres que professeurs sont toutefois quasi absentes.

Dans ce contexte, l’objectif de la présente étude vise à documenter les caractéristiques personnelles, familiales et professionnelles associées à la conciliation travail-famille chez les employés universitaires ayant des enfants âgés de 11 ans ou moins en temps de pandémie de la COVID-19. Du fait des différentes adaptations auxquelles ont dû faire face les employés universitaires et étant donné que des études soulignent que la conciliation peut être plus difficile pour les parents ayant un niveau de scolarité plus élevé (Greenlee et al., 2020) et des enfants âgés de 11 ans ou moins (Statistique Canada, 2020), il semble pertinent de s’intéresser plus spécifiquement à ce sous-groupe de parents.

Méthodologie

Le déroulement de la collecte des données

Les données utilisées pour la présente étude ont été collectées durant la première phase d’une vaste étude longitudinale portant sur les impacts de la pandémie de la COVID-19 dans le milieu universitaire. Cette première phase a été menée entre le 24 avril et le 5 juin 2020. Par le biais d’un sondage en ligne, disponible sur la plateforme LimeSurvey, les données ont été recueillies auprès de personnes étudiantes et employées de dix établissements du Réseau de l’Université du Québec. Une fois le formulaire de consentement lu, et la case « j’accepte de participer à l’étude » cochée, les participants avaient accès au questionnaire. Une stratégie d’échantillonnage non probabiliste a été privilégiée, en sollicitant la participation de volontaires par divers moyens, dont des messages électroniques reçus de la part de leur syndicat, de leur association étudiante ou par le Service des communications des différentes universités participant à cette étude. Une relance à mi-parcours a été effectuée afin d’encourager la participation. Toutes les personnes ayant complété le sondage en ligne étaient éligibles à un tirage de 20 cartes cadeaux de 50 $. La certification éthique du projet (#2020-491) a été attribuée par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Chicoutimi. Au total, 2 754 personnes, dont 1352 sont des employés, ont participé à l’étude.

Les variables à l’étude

Le questionnaire développé dans le cadre de cette enquête en ligne comportait 149 questions réparties en onze sections : affiliation et expérience universitaire, caractéristiques sociodémographiques générales, vécu socioprofessionnel, santé conjugale, santé familiale, problèmes de santé physique et mentale, habitudes de vie, gestion du stress lié à la pandémie, santé sociale, santé mentale positive et santé spirituelle. Lorsque disponibles, des échelles ou des questions validées en français ont été utilisées dans la conception du questionnaire, afin de favoriser les comparaisons nationales et internationales. Le temps moyen de complétion du sondage par les participants a été de 32 minutes.

Variable dépendante.

Les difficultés de conciliation travail-famille ont été mesurées à partir d’une échelle de l’Enquête québécoise sur l’expérience des parents d’enfants âgés de 0 à 5 ans [EQEPE] (Lavoie, 2016). Cette échelle est composée de cinq questions permettant d’évaluer les situations de conflit travail-famille vécues fréquemment au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête. Quatre de ces questions proviennent de la Job-Family Role Strain Scale (Bohen et Viveros-Long, 1981) et la cinquième est tirée de la Work-Family Conflict Scale (Netemeyer et Boles, 1996). À partir de ces cinq situations potentiellement conflictuelles entre les obligations familiales et professionnelles, un indicateur a été créé afin d’estimer le niveau de conflit travail-famille vécu par les parents. Dans le cadre de la présente étude, cet indicateur est nommé l’indice de conflit travail-famille (ICTF). Pour construire cet indicateur, les choix de réponse « souvent » et « toujours » ont été regroupés pour chacune des questions, sauf pour le deuxième énoncé qui est formulé dans des termes positifs et pour lequel les choix de réponse « jamais » et « rarement » ont été catégorisés ensemble. Ensuite, pour chaque parent, un calcul du nombre de situations de conflit travail-famille pour lesquelles les parents ont mentionné « souvent » ou « toujours » (ou « jamais » ou « rarement » dans le cas du deuxième énoncé) a été effectué (Lavoie, 2016). Alors que cet indicateur présentait un coefficient alpha de Cronbach de 0,77 dans l’EQEPE (Lavoie, 2016), il est de 0,82 dans notre étude.

Variables indépendantes.

Les variables indépendantes sont ici des caractéristiques personnelles, familiales et professionnelles des répondants. Les caractéristiques personnelles constituent un ensemble de trois variables sociodémographiques, soit le genre, l’âge et le statut matrimonial. Les caractéristiques familiales comprennent six variables. Trois d’entre elles visent à décrire la présence d’enfants au sein du milieu familial, qu’il s’agisse du nombre total d’enfants de 0 à 11 ans ou encore du nombre d’enfants compris entre 0 et 4 ans ou entre 5 et 11 ans. De plus, deux variables concernant la satisfaction face au partage des tâches domestiques (« Êtes-vous satisfait(e) du partage des tâches domestiques entre votre conjoint(e) et vous ? ») et liées aux enfants (« Êtes-vous satisfait(e) du partage des tâches concernant les soins et l’éducation des enfants entre votre conjoint(e) et vous ? ») ont été considérées. Enfin, une question visant à savoir si les personnes se mettent beaucoup, un peu ou pas du tout de pression quant à la façon de s’occuper de leurs enfants (pression parentale) a été utilisée. Les caractéristiques professionnelles comprennent douze variables relatives à l’emploi et aux revenus qui en découlent. Sept de ces variables concernent les différents types de statuts professionnels universitaires, c’est-à-dire est-ce que les personnes participantes sont : des cadres, des chargés de cours, des professeurs, des professionnels, des professionnels de recherche ou encore relèvent d’une autre catégorie d’emploi. Deux variables réfèrent au statut d’emploi (temps plein ou temps partiel) et à la stabilité des revenus mensuels. Enfin, le rendement et la satisfaction au travail, de même qu’une variable liée aux conditions de travail (télétravail) ont été intégrés aux analyses.

L’analyse des données

Les analyses statistiques descriptives (par exemple : fréquences, proportions et moyennes) et de variance (ANOVA) ont été menées à l’aide du logiciel SPSS (version 27). Le logiciel SAS (version 9.4) a, quant à lui, été privilégié pour les analyses de régressions multiples. Le modèle de régressions linéaires multiples avec variables descendantes a été retenu, car il permet d’élaborer un modèle prédictif de haute qualité, mais qui se compose d’un nombre minimal de dimensions. Ce type d’analyse implique que toutes les variables indépendantes sont intégrées au départ, puis éliminées une à la fois, jusqu’à ce que le modèle ne comprenne que des variables significatives. Dans le cas qui nous concerne, les 21 variables décrites à la section précédente ont été considérées dans le modèle initial. Ces analyses ont permis de déterminer l’influence respective des facteurs associés à l’ICTF. Des ajustements de Bonferroni ont systématiquement été effectués pour prévenir les fausses corrélations. De plus, des tests ont été réalisés afin de valider les postulats d’homogénéité de la variance des résidus et de normalité des résidus.

Résultats

Dans un premier temps, le profil des participants est décrit. Par la suite, les résultats de chacune des cinq situations de conflit travail-famille sont présentés, de même que ceux relatifs à l’ICTF. Les résultats des analyses de régressions permettent ensuite de cerner les principaux facteurs associés à l’ICTF dans le cadre de cette étude.

Le profil des participants

L’échantillon sélectionné pour cet article est constitué de 217 membres du personnel faisant partie du Réseau de l’Université du Québec, ayant un enfant âgé de 11 ans ou moins qui vit plus de 40 % du temps avec eux. L’échantillon se compose de 69,9 % de femmes, de 29,6 % d’hommes et 0,5 %, soit une personne, ayant rapporté être d’un sexe « autre ». L’âge moyen des personnes répondantes est de 39,6 ans (ÉT : 5,21 ; Min : 24, Max : 60).

La plupart des personnes participantes vivent en couple (91,7 %) et ont en moyenne 2,16 enfants (ÉT : 0,92 ; Min : 1, Max : 7), âgés majoritairement de 5 à 11 ans (63,0 %). Lors de la collecte des données, les parents étaient largement satisfaits du partage des tâches domestiques (76,8 %) et de celles liées aux soins et à l’éducation des enfants (79,9 %) au sein de leur famille. Ils estimaient qu’ils s’imposaient un peu (40,6 %) ou beaucoup (52,5 %) de pression en lien avec leur rôle parental.

Au plan professionnel, les parents travaillent presque tous à temps plein (90,0 %) et ils en étaient très satisfaits (70,4 %). Ils travaillaient en tant que professeurs (n=62 ; 27,2 %), professionnels (n=59 ; 25,9 %), membres du personnel de soutien (n=47 ; 20,6 %), chargés de cours (n=38 ; 16,7 %), professionnels de recherche (n=16 ; 7,0 %), cadres (n=3 ; 1,1 %), ou occupaient d’autres types de fonctions au sein de leur université (n=3 ; 1,3 %). La plupart des parents travaillaient pour une université située à l’extérieur de la région métropolitaine de Montréal (77,5 %). Depuis le début de la pandémie, ils considéraient majoritairement que leurs revenus étaient restés stables (87,6 %), mais que leur rendement au travail s’était détérioré (53,1 %). La quasi-totalité des répondants avait eu la possibilité de faire du télétravail (98,0 %).

Le tableau 1 présente les principales caractéristiques personnelles, familiales et professionnelles des répondants. Parallèlement à ces données, la proportion de personnes ayant vécu « une situation ou moins de conflits » et « deux situations de conflits ou plus » est précisée. Ces proportions mettent en évidence que certains groupes de personnes sont susceptibles de vivre davantage d’enjeux de conciliation travail-famille que d’autres. Les analyses de variance, menées à partir de l’ICTF et dont les valeurs p sont situées dans le tableau, confirment que certains groupes sont significativement plus à risque que d’autres de vivre un conflit travail-famille. En effet, les employés âgés de 25 à 34 ans sont significativement plus nombreux à vivre des conflits travail-famille. Au plan familial, avoir des enfants âgés de 0 à 4 ans et de 5 à 11 ans, comparativement au fait de ne pas avoir d’enfants est également associé au fait de vivre davantage de conflits, le pourcentage étant plus élevé pour les parents d’enfants plus jeunes. Les employés insatisfaits du partage des tâches domestiques et liées aux enfants, et qui ressentent de la pression dans leur rôle parental sont aussi significativement plus nombreux à présenter deux situations ou plus de conflits travail-famille. En ce qui concerne les caractéristiques professionnelles, les employés qui occupent un poste de professeur ou de cadre expriment davantage de situations de conflit travail-famille, de même que ceux qui estiment que leur rendement au travail s’est détérioré ou qui sont peu satisfaits de leur emploi[1].

Tableau 1

Portrait des caractéristiques personnelles, familiales et professionnelles des répondants

Portrait des caractéristiques personnelles, familiales et professionnelles des répondants

* Résultat significatif au seuil de 0,05.

** Résultat significatif au seuil de 0,01.

a Afin d’alléger le tableau, la catégorie d’emploi est traitée comme une variable catégorielle, mais il s’agit en réalité d’une variable dichotomiques de type « oui ou non ». Les pourcentages présentés dans le tableau représentent la proportion de parents ayant répondu « oui » pour chaque catégorie (par exemple : « êtes-vous un professeur ? »).

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La conciliation travail-famille

Le tableau 2 présente la répartition des parents selon la fréquence à laquelle ils ont mentionné vivre, au cours des 12 mois précédant l’enquête, chacune des situations de conflit travail-famille à l’étude. Ce tableau révèle que 61,8 % des parents avaient « souvent » ou « toujours » l’impression de « courir toute la journée » afin d’accomplir leurs responsabilités. Ils n’avaient « jamais » ou « rarement » l’impression d’avoir suffisamment de temps libre pour eux (66,8 %) et près de leur moitié avaient « souvent » ou « toujours » le sentiment de ne pas consacrer assez de temps à leurs enfants (49,5 %). Près d’un parent sur deux était « souvent » ou « toujours » épuisé lorsque l’heure du souper arrivait (44,7 %) et plus du tiers éprouvaient le sentiment que les exigences de leur travail se répercutaient sur leur vie familiale (36,9 %). Aucune différence statistiquement significative n’est présente entre les hommes et les femmes sur ces différents items.

Tableau 2

Répartition de la fréquence des situations de conflit travail-famille vécues au cours des 12 derniers mois

Répartition de la fréquence des situations de conflit travail-famille vécues au cours des 12 derniers mois

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En fonction du nombre de situations de conflit travail-famille vécues au cours des 12 mois ayant précédé la collecte des données, les parents ont pu être classifiés selon une gradation du niveau de conflit : (a) un niveau faible, correspondant à aucune ou à une seule situation de conflit (33,8 %), (b) un niveau modéré, soit deux ou trois situations de conflit (31,9 %), (c) un niveau plus élevé, c’est-à-dire quatre ou cinq situations de conflit (34,3 %). Cette gradation a été utilisée pour les analyses de régression.

Le modèle explicatif du conflit travail-famille

Un modèle de régression linéaire avec sélection de variables descendantes (issues du tableau 1) a été utilisé pour identifier les caractéristiques personnelles, familiales et professionnelles permettant d’expliquer l’ICTF. Le modèle, présenté dans le tableau 3, comprend 5 variables indépendantes qui expliquent 39 % de la variance. Dans ce modèle, les postulats d’homogénéité de la variance des résidus et de normalité des résidus sont validés (Figure 1).

Tableau 3

Tableau des effets fixes

Tableau des effets fixes

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Par ordre décroissant d’importance, on peut observer que le niveau de pression dans l’exercice du rôle parental, la satisfaction du partage des tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants, le fait d’occuper un emploi de professeur, la stabilité du rendement au travail et le nombre d’enfants âgés de 5 à 11 ans sont les variables qui permettent d’expliquer le niveau de conflit travail-famille (Tableau 3).

Ainsi, le paramètre de régression positif associé au niveau de pression dans le rôle parental (Estimation = 0,9681, Écart-type = 0,1768, t = 5,47, Pr>|t| < 0,0001) permet d’affirmer que plus un individu s’impose une pression parentale élevée, plus son niveau de conflit travail-famille est élevé. De plus, il apparaît que le niveau de conflit travail-famille des parents qui ne sont pas satisfaits du partage des tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants est significativement plus élevé (Moindres carrés moyens [MCM] = 3,7187) que celui des répondants qui en sont satisfaits (MCM = 2,6169) (α = 0,05). De la même manière, le niveau de conflit travail-famille des parents qui occupent un poste de professeur est significativement plus élevé (MCM = 3,6620) que le niveau de conflit de ceux qui ont tout autre type d’emploi (MCM = 2,6736) (α = 0,05). Également, cette étude montre que les parents qui perçoivent une détérioration de leur rendement au travail ont un niveau de conflit travail-famille significativement plus élevé (MCM = 3,5039) que ceux qui estiment que leur rendement au travail est resté stable (MCM = 2,8200) (α = 0,05). Pour sa part, le paramètre de régression négatif associé au nombre d’enfants âgés de 5 à 11 ans (Estimation = -0,2805, Écart-type = 0,1331, Valeur t = -2,11, Pr>|t|= 0,00366) permet d’affirmer que plus un individu a un nombre élevé d’enfants âgés de 5 à 11 ans, plus son niveau de conflit travail-famille est élevé.

Figure 1

Analyse des résidus statistiques

Analyse des résidus statistiques

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Discussion

L’objectif de cette étude était de documenter les caractéristiques personnelles, familiales et professionnelles associées à la conciliation travail-famille chez les employés universitaires ayant des enfants âgés de 11 ans ou moins dans le contexte de la pandémie. Pour ce faire, une étude a été réalisée auprès de 217 parents et membres du personnel de dix établissements du Réseau de l’Université du Québec. De façon générale, les résultats de la présente étude indiquent que deux parents sur trois présentaient un niveau de conflit travail-famille modéré ou élevé lors du confinement, une proportion supérieure à celle obtenue dans le cadre de l’EQEPE (Lavoie, 2016), dans laquelle un parent sur deux se retrouvait dans cette situation. Il semble donc possible d’avancer que la conciliation travail-famille ait été négativement influencée par le contexte de la pandémie de la COVID-19 et les mesures sociales et sanitaires qui en découlent chez les employés universitaires ayant des enfants âgés de 11 ans ou moins. L’étude met également en évidence plusieurs relations significatives entre les caractéristiques étudiées et la conciliation travail-famille. En ce qui concerne les analyses univariées, 10 dimensions s’avèrent reliées au conflit, tandis que ce nombre est de 5 pour les analyses multivariées. Cette discussion met l’accent sur les variables comprises dans le modèle final de régression. Les facteurs familiaux et professionnels principalement associés au conflit travail-famille dans la présente étude sont analysés. Finalement, les limites de l’étude et ses implications pour la pratique sont présentées.

Les facteurs personnels et familiaux associés au conflit travail-famille

Parmi les facteurs familiaux liés au conflit travail-famille, le niveau de pression que les répondants s’imposaient dans leur rôle parental semble particulièrement important. Ce résultat converge avec l’étude de Lavoie (2016), qui indique une plus grande difficulté à concilier travail et famille chez les parents qui se fixent de hautes exigences et attentes quant à la façon d’élever leurs enfants. Dans le même sens, d’autres recherches soulignent que la personnalité et les valeurs peuvent expliquer que certains parents éprouvent un stress élevé lorsqu’ils tentent d’articuler leur vie familiale et leur vie professionnelle (St-Onge et al., 2010 ; Tremblay, 2012). Les études réalisées dans le contexte de la pandémie montrent, à ce sujet, que les inquiétudes des parents sont multiples en ce qui concerne leurs responsabilités parentales (Brown et al., 2020 ; Greenlee et al., 2020 ; Marchetti et al., 2020 ; Statistique Canada, 2020), ce qui peut sans doute exacerber le niveau de pression que les parents s’imposent.

À l’instar de l’étude de Craig et al. (2021), nos résultats indiquent que la satisfaction entourant le partage des tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants est un facteur associé à un niveau moins élevé de conflit travail-famille. Ces résultats suggèrent que pendant le confinement, les parents satisfaits du partage de leurs tâches avec leur partenaire estimaient plus facile la conciliation travail-famille dans leur ménage. Par ailleurs, la répartition des tâches domestiques n’est pas ressortie comme un facteur associé à la conciliation travail-famille dans le modèle explicatif. Néanmoins, il est intéressant de constater que plus du trois quarts des répondants ont affirmé être satisfaits de la répartition des tâches, qu’elles soient domestiques ou liées aux soins et à l’éducation de leurs enfants au sein de leur famille.

En outre, plus les parents avaient un nombre élevé d’enfants âgés de 5 à 11 ans, plus leur conflit travail-famille était important. Dans le contexte où notre collecte de données coïncide avec la première période du confinement, ce résultat s’explique sans doute par le fait que les écoles primaires ont été fermées pendant plusieurs semaines, ce qui a nécessité l’implication des parents dans la supervision et l’accompagnement de l’apprentissage à distance de leurs enfants. Les parents qui avaient plus d’un enfant poursuivant leur formation à la maison ont probablement dû déployer plus d’efforts et de temps pour concilier leur horaire à l’emploi du temps de leurs différents enfants, notamment en ce qui concerne la planification des travaux scolaires à compléter. Bien que certaines écoles situées à l’extérieur de Montréal aient ouvert leurs portes à partir du 11 mai 2020, la fréquentation scolaire est demeurée optionnelle et bon nombre de parents ont préféré que leurs enfants restent à la maison pour poursuivre leur cursus scolaire (par exemple, par crainte d’attraper la COVID). Pendant ce premier confinement et lors du retour en classe pour les élèves du primaire, plusieurs répondants ont été contraints d’assumer leurs responsabilités professionnelles à domicile, tout en aidant leurs enfants dans leurs activités scolaires, et ce, en bénéficiant de peu de soutien extérieur, que ce soit des services de garde, de l’école ou des membres de leur famille élargie. Nos résultats convergent avec ceux obtenus dans l’enquête de Statistique Canada (2020), qui mentionne que les parents ayant de jeunes enfants d’âge scolaire étaient plus susceptibles d’être préoccupés par la conciliation des soins aux enfants, de l’enseignement et du travail. Avoir plusieurs enfants est également un facteur associé au conflit travail-famille dans les écrits scientifiques (Boulet, 2014 ; Statistique Canada, 2016 ; Tremblay, 2012).

Contrairement aux autres études menées sur la question pendant la pandémie (Cheng et al., 2021 ; Craig et al., 2021 ; Lemieux et al., 2020 ; Qian et Fuller, 2020 ; Tremblay et Mathieu, 2020), la présente recherche ne révèle pas de différences statistiquement significatives entre les hommes et les femmes quant au niveau de conflit travail-famille. À ce sujet, Tremblay et Mathieu (2020) soulignent l’effet positif du congé de paternité largement utilisé au Québec, qui favoriserait l’implication des pères dans les tâches relatives aux soins des enfants. Ce contexte particulier pourrait expliquer le fait que nos résultats ne convergent pas avec les études menées à ce jour dans d’autres pays. Plus spécifiquement, Craig et al. (2021) mentionnent que la pandémie et les changements qui en découlent sont associés à une réduction des écarts entre les hommes et les femmes en ce qui concerne le stress temporel. Dans cette étude, le pourcentage d’hommes qui estimaient se sentir toujours pressés est passé de 11 % à 24 % pendant le confinement, alors qu’il est demeuré relativement stable chez les femmes, allant de 23 % à 27 % (Craig et al., 2021). De leur côté, Shafer et al. (2020) soulignent que les pères participent davantage aux tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants dans le contexte de la pandémie, ce qui pourrait diminuer le conflit travail-famille vécu par les femmes. Dans l’interprétation de nos résultats, il est possible de penser que le plus grand investissement des pères dans les premiers mois de la crise sanitaire ait pu amplifier leur niveau de conflit travail-famille, alors que les femmes ont pu, de leur côté, ressentir un certain soulagement d’être davantage soutenues par leur partenaire. Il est toutefois impossible de savoir si cet engagement des pères s’est maintenu dans les vagues suivantes de la pandémie, lorsque le sentiment d’urgence s’est amoindri et qu’une nouvelle routine s’est mise en place dans les familles. D’ailleurs, le Collectif d’analyse des familles en confinement (2021) affirme que les inégalités persistent dans la répartition sexuée du travail chez les couples en temps de pandémie, malgré le fait que les pères s’engagent davantage dans les tâches domestiques et liées à l’éducation des enfants. Il importe de rappeler que notre étude porte sur la perception du conflit travail-famille chez les pères et les mères. Or, l’étude de Mikelson (2008) sur la perception de l’implication paternelle au sein de couples de parents (n=2058), révèle que l’évaluation de la participation des pères auprès de l’enfant diffère de façon importante chez les pères et les mères en couple. En effet, les mères considèrent que les pères s’impliquent moins auprès de leurs enfants que leurs conjoints ne le déclarent. Selon Tremblay et Mathieu (2020), il est possible que les femmes aient intégré davantage les contraintes familiales, ce qui pourrait niveler vers le bas leur perception du conflit travail-famille. Autrement dit, habituées d’être responsables des obligations familiales, les femmes seraient susceptibles d’avoir intériorisé ce rôle, ce qui pourrait expliquer que leur niveau de conflit travail-famille soit comparable à celui des hommes. De leur côté, les hommes pourraient être plus conscients de leur implication auprès de leurs enfants étant donné que ce rôle leur est traditionnellement moins attribué au sein de la famille, ce qui pourrait amplifier leur niveau de conflit travail-famille.

Les facteurs professionnels associés au conflit travail-famille

Deux facteurs professionnels sont liés au conflit travail-famille dans le modèle explicatif de la présente étude. D’une part, la catégorie socioprofessionnelle est associée à la conciliation travail-famille, les professeurs présentant un niveau de conflit plus élevé que les répondants qui occupaient un autre type d’emploi. Ce résultat peut sans doute s’expliquer, du moins en partie, par le niveau de scolarité élevé et la nature du travail réalisé par les professeurs universitaires. En effet, certaines recherches menées avant la pandémie (Lavoie, 2016 ; St-Onge et al., 2010 ; Tremblay, 2012) et pendant celle-ci (Greenlee et al., 2020) mentionnent que les parents détenant un baccalauréat ou un grade supérieur sont plus nombreux à être préoccupés par la nécessité de concilier les soins aux enfants, l’enseignement à distance des enfants et le travail. Les professeurs, en plus de l’enseignement, ont également dans le cadre de leur travail, différentes tâches à effectuer, qu’elles sont reliées aux services aux collectivités (par exemple, siéger sur différents comités à l’intérieur et à l’extérieur de l’université), ou encore à la réalisation de recherches (par exemple, demandes de subventions, rédaction d’articles scientifiques, participation à des conférences). Ce cumul de tâches et la charge de travail qui en découle sont d’ailleurs reconnus comme des sources importantes de stress chez les professeurs universitaires (Ford et Jin, 2015 ; Kinman et Wray, 2013 ; McCormick et Barnett, 2011 ; Tight, 2010). Dans le contexte de la pandémie, les professeurs ont eu à adapter rapidement leurs modalités et pratiques d’enseignement à l’aide d’un dispositif à distance, tout en étant confrontés à de nouveaux défis liés à leurs activités de recherche. Il leur a été impossible de poursuivre normalement certaines activités relatives à la collecte de données sur le terrain, à l’embauche et à l’encadrement d’assistants de recherche. Ces professeurs ont dû, dans un laps de temps très court, adapter à la fois leurs propres pratiques d’enseignement et de recherche avec celles de leurs enfants. Cette adaptation a probablement induit du stress supplémentaire dans leur vie quotidienne. Cette migration du « présentiel vers le virtuel » autant en enseignement qu’en recherche a demandé du temps (Pudelko, 2020), ce qui a pu accroitre le niveau de conflit dans la conciliation travail-famille. En ce sens, le nombre d’heures travaillées par semaine a pu être augmenté chez cette catégorie de répondants, limitant ainsi le temps disponible afin de répondre aux demandes familiales, qui étaient aussi plus élevées qu’à l’habitude pendant le confinement, en raison de la présence des enfants à la maison. Un nombre élevé d’heures travaillées par semaine constitue un facteur associé au conflit travail-famille dans les écrits scientifiques (Duxbury et Higgings, 2005 ; St-Amour et Bourque, 2013 ; Statistique Canada, 2016 ; Vézina et al., 2011). Comparativement à leurs collègues masculins, certaines recherches indiquent que les professeures auraient été particulièrement affectées par l’augmentation des tâches liées à l’enseignement (Dingel et al., 2021 ; Walters et al., 2021). Une étude de Statistique Canada (2021) révèle que la COVID-19 pourrait avoir des « conséquences en ce qui a trait aux inégalités fondées sur le genre pour les universitaires, sur le plan de la productivité et de la probabilité de se voir accorder la permanence ».

D’autre part, notre étude souligne que les parents qui perçoivent une détérioration de leur rendement au travail, soit un parent sur deux, ont un niveau de conflit travail-famille significativement plus élevé que les autres. Tremblay et Mathieu (2020) notent aussi une baisse de productivité au travail dans le contexte du confinement, alors que les attentes des employeurs en termes de productivité sont restées les mêmes pour une majorité de salariés québécois. Bien que les employés interrogés dans notre étude soient largement satisfaits de leur emploi et qu’ils aient eu la possibilité de modifier leur horaire de travail, la presque totalité des parents interrogés effectuait du télétravail à temps plein lors du confinement. Or, les études menées en temps de pandémie mentionnent que le passage au télétravail pour plusieurs employés a nécessité des adaptations importantes afin de concilier leur vie professionnelle et familiale (Chartier et al., 2020 ; Craig et al., 2021). Une étude réalisée auprès de 662 chercheurs mentionne, à cet égard, que ceux qui avaient des enfants, vivant seuls ou en couple, jugeaient majoritairement que leur travail était moins efficace pendant la période de confinement (Aczel et al., 2021). Dans cette étude, 71 % des parents vivant seuls et 57 % des parents en couple considéraient qu’ils étaient moins efficaces dans leurs tâches en télétravail, comparativement à la situation qui prévalait avant le confinement à domicile (Aczel et al., 2021).

Les forces et les limites de l’étude

Cette étude présente plusieurs forces et limites. Sur le plan des forces, cette étude rapidement démarrée en temps de pandémie permet d’avoir un regard sur une population de parents confinés, ce qui est en soi assez unique. De plus, l’utilisation de l’enquête en ligne a permis de joindre un grand bassin de population adulte répartie à la grandeur du Québec (Lachance et al., 2020). Il est également reconnu que les sondages en ligne permettent plus facilement l’obtention de réponses sur des sujets sensibles.

Les résultats de cette étude, malgré leur pertinence, doivent toutefois être interprétés à la lumière de certaines limites. Bien que personne ne pouvait prédire l’arrivée de cette pandémie, aucune collecte de données prépandémie n’a été spécifiquement réalisée auprès de nos répondants. Il est donc impossible de conclure à une augmentation du conflit travail-famille chez les employés universitaires dans le contexte de la pandémie. Dans le même sens, l’échelle utilisée pour mesurer le conflit travail-famille référait aux 12 mois ayant précédé la collecte des données et s’étendait à une période plus large que celle du confinement. Toutefois, selon Auriat (1996), l’incapacité de se souvenir avec exactitude d’une information du passé amène le répondant à déclarer son sentiment actuel. Étant donné que « les habitudes sociales ont été profondément perturbées au cours du Grand Confinement » (Gauthier, 2021 : 479), en raison du stress induit par la pandémie et toutes les adaptations nécessaires, il est fort probable que les répondants aient complété cette échelle en ayant en tête leurs préoccupations au moment présent, voire pendant les semaines précédentes, donc à la lumière des situations de conflit travail-famille vécues pendant le confinement. De plus, les participants à cette étude constataient, pour la plupart, une stabilité de leurs revenus pendant la pandémie, limitant ainsi la prise en compte du poids de l’insécurité financière sur la conciliation travail-famille. Ils permettent d’illustrer que même chez les personnes en situation de stabilité financière, certaines problématiques liées à la conciliation travail-famille sont rencontrées. L’échantillon de cette étude étant non probabiliste, des biais de sélection ont pu être introduits, c’est-à-dire que les personnes ayant été affectées par des problèmes de santé (physique, mentale, sociale et spirituelle) ont pu se sentir davantage interpelées par le sujet de l’étude et être surreprésentées au sein de cet échantillon. L’échantillon est essentiellement composé de parents travaillant pour une université située en dehors de la région métropolitaine de Montréal (77,5 %). Bien que notre étude n’indique pas de différence statistiquement significative selon l’institution d’appartenance, un plus grand nombre de participants œuvrant dans une université montréalaise aurait pu permettre de mieux tenir compte de certaines particularités vécues par ces derniers dans le contexte de la pandémie. Néanmoins, les présents résultats suggèrent que les professeurs à l’extérieur de la métropole sont également confrontés à des enjeux importants sur le plan de la conciliation travail-famille. Si la catégorie professionnelle des professeurs recouvre une réalité assez homogène, il en est autrement des chargés de cours, des professionnels et des employés de soutien. Les employés de ces catégories peuvent avoir une stabilité d’emploi très variable, des revenus forts différents selon le nombre d’heures travaillées, ainsi que des conditions matérielles de travail difficilement comparables (par exemple, travail de bureau, en laboratoire ou en milieu naturel). Enfin, des études futures sont nécessaires auprès de plus grands échantillons de parents afin d’évaluer les facteurs associés à la conciliation travail-famille.

Les implications pour la pratique

À notre connaissance, la présente étude est la première à avoir documenté la conciliation travail-famille auprès des employés universitaires, une population peu étudiée à ce jour, ayant pourtant vécu une situation particulière en début de confinement. Les résultats indiquent que les employés universitaires, plus spécifiquement les professeurs, présentaient un niveau de conflit travail-famille modéré ou élevé lors du confinement. Pour les professeurs, la carrière universitaire implique l’adhésion à une culture de la productivité scientifique et une charge de travail difficilement conciliables avec les tâches domestiques et les soins aux enfants. Au regard des défis additionnels auxquels font face les professeurs parents dans le contexte de la pandémie, il semble que la culture universitaire doit s’adapter et mettre de l’avant différents mécanismes de soutien afin d’assurer une réelle prise en compte des répercussions de la pandémie sur la charge de travail et l’avancement des travaux de recherche des professeurs, particulièrement chez ceux ayant plusieurs enfants à charge. De plus, les universités doivent offrir un soutien adéquat à leurs professeurs en ce qui a trait à la formation à distance, tout comme elles doivent mieux soutenir les autres membres de leur personnel dans la réalisation de leurs diverses tâches lorsque ces derniers doivent poursuivre leurs fonctions à la maison.

Les employeurs devraient aussi prendre en considération que la performance au travail de leurs employés, parents de jeunes enfants, risque d’être mise à l’épreuve lorsque les écoles primaires et secondaires et les services de garde sont fermés pour une période indéterminée. Plusieurs membres du personnel des universités du Québec ont été confrontés à la détresse des étudiants qui s’inquiétaient quant à leur formation et leur performance scolaires (Flynn et al., 2020). Des formations sur la gestion du stress et de l’anxiété ainsi que la mise en place de différentes stratégies pour faire face à ces situations auraient probablement facilité la tâche des employés des universités, tout en diminuant leurs inquiétudes concernant le bien-être des étudiants. De tels mécanismes pourraient contribuer à réduire la pression à la performance ressentie par les professeurs et les autres membres du personnel, tant dans leur vie professionnelle que familiale. À l’instar d’autres auteurs (Cheng et al., 2021 ; Di Giorgio et al., 2020), nous croyons aussi important, en période de pandémie, que les institutions développent des mesures de soutien à la garde des enfants et à l’enseignement à domicile, incluant de l’aide psychologique, afin de favoriser la conciliation travail-famille.

Conclusion

De façon générale, cette vaste étude indique que les employés universitaires ayant des enfants âgés de 11 ans ou moins présentent majoritairement un conflit travail-famille modéré ou élevé dans le contexte de la pandémie. Elle permet également de mettre en lumière certains facteurs susceptibles de favoriser ou de faire obstacle à la conciliation travail-famille dans cette population de parents, à savoir : le niveau de pression dans l’exercice du rôle parental, la satisfaction du partage des tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants, la catégorie d’emploi, la stabilité du rendement au travail et le nombre de jeunes enfants d’âge scolaire. Contrairement à d’autres études menées dans le contexte de la pandémie, cette recherche ne révèle pas de différences statistiquement significatives entre les hommes et les femmes quant au niveau de conflit travail-famille. Ces résultats soulignent la pertinence de mettre en œuvre des programmes de soutien et des mesures de répit pour les pères et les mères ayant de jeunes enfants d’âge scolaire, afin de les aider à concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles en temps de crise. De plus, il importe de poursuivre l’étude du phénomène, et ce, de manière longitudinale. D’ailleurs, nous prévoyons le faire au cours de la prochaine année.