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Ce nouveau numéro de Management international est composé de 13 articles et d’un compte-rendu de lecture. Les contributions de ce numéro régulier de Mi apportent un regard original sur plusieurs thèmes principaux du management international, qu’il s’agisse des stratégies des filiales des entreprises multinationales, de l’importance des différences culturelles, des nouvelles formes de la gestion publique dans les affaires internationales, du rôle des plateformes digitales dans les collaborations internationales, etc. Nous tenons à remercier et à féliciter l’ensemble des auteurs de ce numéro pour leurs excellents travaux de recherche qui ont abouti à ces publications, mais aussi les quelques 40 évaluateurs qui ont contribué par un travail en grande profondeur à la qualité de ce numéro de la revue.

Dans l’article « La diffusion des initiatives des filiales d’entreprises multinationales à travers la distance culturelle nationale : Le rôle du partage des valeurs organisationnelles et du partage des connaissances », Christopher Williams et Maya Kumar étudient comment le partage interne des valeurs et des connaissances dans les entreprises multinationales (EMN) influence la relation entre la distance culturelle nationale externe et l’adoption des initiatives des filiales par le siège. La contribution s’appuie sur les théories de contrôle de gestion et les théories basées sur la connaissance. À partir d’un échantillon de 111 filiales de cultures et d’industries diverses, l’étude aboutit aux résultats suivants : la distance culturelle nationale a un impact négatif sur la diffusion des initiatives des filiales, tandis que le partage des valeurs organisationnelles et le partage des connaissances ont des effets positifs. Le partage interne des valeurs ne contribue guère à surmonter l’impact négatif de la distance culturelle nationale, tandis que le partage interne des connaissances atténue cet effet. La discussion traite des implications pour les manageurs des EMN et pour la recherche.

Gregor Bouville, Stéphane Le Lay et Dominique Mahut, dans leur contribution « Quelles formes d’engagement au travail dans le “sale boulot” d’éboueur ? Une approche par la sociologie de l’activité », ont pour objectif de comprendre les formes que peut revêtir l’engagement au travail dans un métier peu valorisé comme celui d’éboueur. Dans cet article, l’engagement au travail des éboueurs est abordé en référence aux travaux d’Alexandra Bidet. Au travers d’une méthodologie mixte, les auteurs explorent la façon dont les éboueurs élaborent des sources de valorisations internes et externes dans le rapport qu’ils entretiennent avec leurs activités. Une analyse typologique permet de saisir la diversité des modes d’engagement dans le travail, renvoyant à sa dimension sociologique : coopération, appropriation de l’autonomie, mobilisation du corps, technicité et formes d’adhésion aux normes professionnelles. Cette approche originale de l’engagement au travail critique son abord en sciences de gestion, l’engagement au travail y étant souvent appréhendé du point de vue d’un travailleur idéalisé par l’employeur plutôt que celui du travailleur réel.

L’article de Laetitia Dari et Gilles Guieu, « Le rôle clé de l’acteur tiers pour régénérer une filière », vise à expliquer comment régénérer une filière lorsqu’elle s’est effondrée ? Alors que les entreprises évoluent généralement dans un environnement composé d’autres entreprises, la littérature sur la régénération stratégique tend à s’intéresser principalement à la seule régénération individuelle. Les auteurs proposent ainsi d’étudier le concept de régénération à l’échelle collective. La régénération collective, orchestrée par un acteur tiers, leur permet de comprendre comment s’opère la régénération d’une filière. L’analyse de la filière du liège en Aquitaine qui est présentée dans l’article met en évidence : (1) l’existence d’une régénération collective nécessaire pour la redynamiser, (2) les rôles joués par un acteur tiers pour orchestrer les relations inter-organisationnelles.

Dans l’article, « Contribution de la qualité de l’assurance RSE à l’évaluation par le marché des rapports volontaires portant sur la RSE : Une investigation du contexte français », Mehdi Nekhili, Amira Lajmi, Haithem Nagati, et Gilles Paché étudient le rôle modérateur de la qualité des services d’assurance, en référence à l’importance de son champ d’application, à son niveau d’application et à l’usage d’un auditeur externe, sur la relation entre la publication d’un rapport RSE spécifique et la valeur de marché de l’entreprise (évaluée par le q de Tobin). L’analyse économétrique se fonde sur un échantillon de grandes entreprises françaises cotées dans l’indice SBF 120 entre 2007 et 2017. Les résultats concluent que la relation entre la publication d’un rapport RSE spécifique et la performance boursière (mesurée par le q de Tobin) est négative, mais devient positive lorsque les entreprises recourent à des services d’assurance d’un niveau élevé de qualité.

Stéphan Pezé et Christelle Théron, dans leur contribution « Catch me if you can ! L’épisode stratégique à la recherche du strategizing », partent de la constatation selon laquelle le travail stratégique — ou strategizing — est difficile à saisir, en particulier lorsque l’on en cherche les manifestations en dehors des réunions de dirigeants explicitement organisées à cet effet. Dans cet article, les auteurs font l’hypothèse que le concept d’épisode stratégique (Hendry et Seidl, 2003), une des unités d’analyse proposée pour résoudre cette difficulté, permet effectivement l’étude d’une grande variété de manifestations du strategizing. Pour répondre à cette interrogation, nos collègues s’appuient sur une revue systématique de la littérature et dégagent des pistes de recherche afin que ce concept puisse réaliser son plein potentiel. Les implications de ce papier visent à aider les chercheurs à mieux saisir le strategizing dans toutes ces manifestations.

Dans l’article, « Restons connectés : l’impact des réseaux sociaux et d’affaires sur la performance des filiales étrangères », Alfredo Valentino, Urike Mayrhofer et Matteo Caroli, en utilisant l’approche par les ressources étendues et l’approche réseau, étudient l’impact des réseaux sociaux et d’affaires sur la performance des filiales étrangères. L’étude empirique est fondée sur un échantillon de 120 filiales établies par des entreprises multinationales en Italie. Les résultats de l’étude montrent que les réseaux sociaux ont un effet positif sur la performance des filiales à travers le rôle médiateur des réseaux d’affaires. La recherche de nos collègues remet en cause la littérature existante sur la relation réseaux-performance et souligne la nécessité d’accorder plus d’importance à la manière dont les filiales locales gèrent leurs réseaux.

La contribution de Jérôme Maati et Christine Maati-Sauvez, « Diversité des conseils d’administration et volatilité boursière des firmes en France », analyse l’impact de la diversité du profil des administrateurs sur la volatilité boursière des firmes cotées en France. Empiriquement, la diversité et chacun de ses composants, excepté l’âge, réduisent cette volatilité. Ce phénomène s’explique par l’adoption par les conseils d’administration diversifiés d’une politique de financement moins risquée et plus persistante. La diversité modère aussi les décisions des firmes ayant des opportunités de croissance et permet de pallier l’insuffisance de surveillance du dirigeant suite à une trop faible présence d’administrateurs indépendants. Par contre, elle accroît la volatilité boursière des firmes les plus innovantes.

Ingrid Mazzilli et Christian Defelix, dans « Le travail collaboratif au coeur de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences Territoriale : quels effets qualitatifs émergents ? » considèrent que les démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriale (GPECT) impliquent la participation d’acteurs issus de différents secteurs d’activité afin de construire un projet répondant aux besoins de développement de l’emploi et des compétences d’un territoire. La recherche menée par les auteurs interroge les effets qualitatifs émergents des démarches de GPECT en matière de travail collaboratif. L’analyse de trois projets de GPECT, étudiés au prisme des cross-sector collaboration, identifie des effets de structuration interne, de renforcement de la collaboration des acteurs à l’échelle de la filière et de soutien au déploiement de stratégies territoriales en matière de gestion de l’emploi et des compétences.

Dans l’article « Le management de l’austérité dans les collectivités territoriales, entre rééquilibrage budgétaire et performance renouvelée : une étude lexicométrique », Sébastien Dony et Léonard Gourbier partent de la constatation selon laquelle depuis près de dix ans, les effets de la crise financière se font ressentir dans les collectivités territoriales. Face à ce contexte, des programmes d’économies ont été engagés. Plusieurs travaux considèrent que ce contexte austéritaires fait évoluer la vision de l’action publique. Les auteurs explorent cette thématique en étudiant la façon dont les managers conçoivent le management de l’austérité. Une analyse lexicométrique fait apparaitre quatre réflexions austéritaires fondées sur deux dimensions relatives à l’orientation et la nature des réflexions. Ces résultats montrent que le management de l’austérité traduit une renaissance du NPM plutôt qu’un renouvellement des logiques de l’action publique.

Bertrand Agostini et Sybille Persson proposent dans l’article conceptuel « Pour un réexamen du lien entre contexte et langue, de Hall à Jullien : contribution à un véritable dialogue interculturel », un parcours interdisciplinaire de Edward T. Hall à François Jullien, entre contexte et langue, Europe et Chine. Les auteurs, après avoir souligné que les recherches en management international devraient sérieusement considérer la langue pour établir un véritable dialogue interculturel, examinent ensuite la Déclaration universelle des droits de l’homme pour souligner la question éthique de la traduction. Enfin, en accord avec l’approche interculturelle de François Jullien, ils invitent les chercheurs en management international à aller au-delà d’un ethnocentrisme occidental implicite basé sur le concept didentité pour favoriser un management en contexte basé sur le concept de ressource.

Dans « Le pouvoir du CEO et la performance sociale : une étude du contexte français », Ouidad Yousfi, Nadai Loukil et Rania Béji analysent l’impact des traits du CEO et de son pouvoir sur la performance sociale. L’étude porte sur les entreprises du SBF12. Les résultats montrent que le pouvoir du CEO impacte partiellement la démarche RSE. Par ailleurs, les CEO ayant un parcours académique scientifique et/ou en lien avec le monde des affaires semblent marginaliser la performance sociale. Dans les entreprises familiales, le pouvoir du CEO, quand ce dernier n’est pas très âgé, favorise la démarche RSE.

Yves Livian, dans sa contribution « De la psychologie ethnique de Letourneau au management interculturel de Hofstede (1901 - 1980). Une représentation de l’interculturel à déconstruire » part de la constatation selon laquelle, bien qu’ayant fait l’objet de nombreuses critiques, le management interculturel continue à être diffusé dans sa version canonique. Cette résistance au changement trouve son origine dans la construction même du domaine. En soulignant qu’une analyse historique est dans cette perspective utile. Notre collègue met en évidence les racines de ce domaine : la psychologie ethnique (en prenant comme point de départ l’ouvrage de Ch. Letourneau 1901) la « psychologie des peuples » et l’anthropologie culturelle nord-américaine, pour en arriver à ce qui a été considéré comme une science interculturelle « normale » (en prenant pour base l’ouvrage de G. Hofstede 1980). L’article soulève les questions que pose cet héritage en relation avec un renouvellement espéré : de nombreuses différences oubliées (pouvoir, genre, race) et un centrage occidental.

Dans l’article « Co-créer la valeur d’une marque avec des volontaires issus de la diaspora », Franck Barès et Bernard Cova soulignent que les membres de la diaspora d’un pays facilitent la dissémination des marques issues du pays d’origine et leur entrée dans des marchés étrangers. Cependant, l’opportunité de les engager plus sensiblement dans le processus de co-création d’une marque n’a pas encore été investiguée. En conséquence, la recherche exploratoire de nos collègues développe une approche qualitative longitudinale pour étudier comment une nouvelle marque dans un pays en développement peut bénéficier du potentiel co-créatif de la diaspora. Les résultats montrent que les membres de la diaspora sont prêts à agir comme des volontaires fournissant un travail non rémunéré pour la marque.

Le compte-rendu de lecture de Jamal Eddine Azzam qui complète ce numéro porte sur le livre de Charles A. O’Reilly et Michael L. Tushman, « Lead and Disrupt : How to Solve the Innovator’s Dilemma », paru à Stanford University Press, Stanford, 2021. Dans cet ouvrage, O’Reilly et Tushman se proposent d’apporter une vision alternative à celle du célèbre livre de Christensen « The Innovator’s Dilemma » qui expliquait comment des entreprises prospères finissent par échouer et disparaître, et recommandait aux entreprises établies d’explorer les innovations disruptives en créant des entités indépendantes et isolées du reste de l’organisation (c’est-à-dire des spin-offs). O’Reilly et Tushman soulignent dans leur ouvrage les dangers de l’isolement de ces unités du reste de l’organisation et défendent l’idée selon laquelle l’ambidextrie est la seule vraie réponse au dilemme de l’innovateur. L’argument clé est que l’adaptation face à des innovations disruptives requiert une bonne intégration entre exploitation et exploration.

Nous vous souhaitons une excellente lecture !!!!!

Pour le comité éditorial

Patrick Cohendet