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Introduction

La filière vitivinicole est l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie française en termes de contribution au PIB et au commerce extérieur du pays. Elle occupe une place de premier plan au niveau mondial avec 17 % de la production mondiale en volume, soit environ 42 millions d’hectolitres, dont un tiers est exporté[1]. En valeur, la production viticole française représente 12,5 milliards d’euros. La filière connaît depuis vingt ans une mutation continue visant à s’adapter aux nouvelles conditions de la concurrence mondiale, ainsi qu’à l’évolution des habitudes de consommation en France, en Europe et sur les marchés émergents. La filière vin française est complexe, encadrée par un environnement institutionnel dense, mêlant règlementations nationale et européenne, droits agricole, civil, rural, fiscal, commercial et administratif. Elle est aussi marquée par des identités locales très fortes des différents vignobles, qui ne permettent pas de l’appréhender comme une entité homogène au niveau national.

Si les exemples de travaux analysant les acteurs individuels de la filière sous l’angle de l’entrepreneuriat, de la stratégie ou du marketing sont courants (Bélis-Bergouignan et Corade, 2008 ; Celhay et Trinquecoste, 2008 ; Duquesnois, Roy et Gurau, 2010), son organisation est encore souvent analysée sous l’angle de sa gouvernance, aux niveaux mondial (règles de l’Organisation mondiale du commerce), européen (réformes de l’Organisation commune du marché [OCM] vitivinicole) ou national (Code rural et législation viticole française, rôle de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et cahiers des charges des appellations d’origine). Les données présentées y sont principalement de nature macroéconomique (production, chiffre d’affaires, exportations) et le comportement des acteurs économiques individuels ne fait que peu l’objet d’une attention soutenue. Ceux qui s’y intéressent aboutissent toutefois à des conclusions non équivoques : il n’existe pas de « modèle unique » pour les acteurs de la filière vin, mais une gamme étendue de stratégies qui peuvent varier, y compris au sein d’un même vignoble (Alonso Ugaglia, Cardebat et Jiao, 2019).

Par ailleurs, les adaptations au sein de la filière passent généralement par une évolution progressive des modèles économiques individuels, au premier rang desquels ceux des domaines vitivinicoles. On cherche donc à identifier les facteurs susceptibles d’affecter les stratégies individuelles desdits acteurs au sein d’un vignoble donné et à comprendre dans quelle mesure leurs modèles économiques vont être caractérisés par l’uniformité ou la diversité, la stabilité ou le dynamisme évolutif.

Notre point de départ est le business model (BM[2]) (Osterwalder, Pigneur et Clark, 2010), outil qui décrit de façon systématique le processus de création et de captation de la valeur par une entreprise donnée. Nous le combinons avec le modèle global développé par Peng, Sun, Pinkman et Chen (2009), appelé « trépied de la stratégie » (strategy tripod). Celui-ci permet d’articuler la perspective microéconomique du BM et une perspective mésoéconomique suggérée par les composantes du trépied, que sont l’approche par le positionnement, l’approche par les ressources et, enfin, l’approche institutionnelle. Ces trois approches mettent en relief les tensions possibles entre les trois composantes de la stratégie d’une entreprise et leurs répercussions sur son BM : là où les approches en termes de positionnement et de ressources incitent l’entreprise à se démarquer de ses concurrents (positionnement différencié et ressources distinctives), l’approche par les institutions insiste, au contraire, sur le fait que les entreprises sont poussées au mimétisme dans leur quête de légitimité (Peng et al., 2009).

Nous en déduisons la question de recherche suivante : comment les différents pieds du trépied affectent-ils les BM individuels des domaines viticoles ? Dans une logique d’isomorphisme institutionnel (DiMaggio et Powell, 1983), le cadre institutionnel contraint-il les exploitations d’un vignoble donné à adopter un positionnement, des ressources et, in fine, un « BM typique » commun à la grande majorité d’entre elles ? Quelle est leur marge de manoeuvre à l’intérieur d’un tel cadre ? L’isomorphisme institutionnel peut contribuer à ériger des barrières à l’entrée, figeant la hiérarchie des domaines, favorisant les plus prestigieux (au premier rang desquels les Grands Crus), au détriment des autres. Certains producteurs pourraient toutefois choisir d’esquiver cette contrainte institutionnelle en mobilisant des ressources spécifiques, un positionnement concurrentiel différencié et, donc, un BM innovant.

Nous nous intéressons plus précisément au vignoble bordelais, qui occupe une place de premier ordre en France du fait de sa superficie, de sa diversité, de son histoire et d’une réputation qui lui permet de produire et vendre des vins considérés comme les plus prestigieux et les plus chers au niveau mondial. En 2019, il a exporté 44 % des volumes qu’il a commercialisés, dont 10 % à destination de la Chine et 5 % à destination des États-Unis (CIVB, 2020). Il connaît cependant depuis quelques années une situation de crise aigüe, en particulier du fait du durcissement de son environnement international lié à l’émergence de nouveaux pays producteurs et à l’évolution des foyers et habitudes de consommation, sans oublier la pandémie de Covid-19[3]. Les tensions s’exacerbent en conséquence entre les tenants d’un modèle bordelais traditionnel, celui des « châteaux », qui tendrait à figer les positions à l’avantage des vins les plus prestigieux, et ceux qui prônent son renouvellement.

Nous avons mené une étude empirique de nature qualitative du positionnement stratégique d’un échantillon de châteaux bordelais auquel nous appliquons notre modèle afin de percevoir dans quelle mesure les BM d’un échantillon de domaines ou châteaux bordelais appartenant au sommet de la hiérarchie (car bénéficiant d’un classement) reflètent ces spécificités, là où les stratégies mises en oeuvre par des outsiders pourraient potentiellement remettre en cause cette même hiérarchie. La première partie de l’étude est consacrée à la présentation du modèle. Puis, nous expliquons notre méthode avant de présenter et d’analyser nos résultats.

1. Cadre théorique : du business model au trépied de la stratégie

Notre cadre théorique articule une perspective microéconomique, celle du business model, et une perspective élargie, celle du trépied de la stratégie au sein de laquelle nous accordons une place particulière à l’analyse institutionnelle.

1.1. Business model et management stratégique

Le business model (BM) est un modèle décrivant dans quelles conditions, de quelles manières et avec quels moyens une entreprise envisage de développer et d’exploiter un avantage concurrentiel susceptible de créer de la valeur et de s’approprier une part de cette valeur. La paternité en est traditionnellement attribuée à P. Drucker, dans son ouvrage de 1954 intitulé The practice of management. Le concept a été popularisé à la fin des années quatre-vingt-dix avec l’émergence des start-up Internet. Il est couramment appliqué de nos jours bien au-delà de ce cadre particulier. Nous verrons plus précisément comment l’approche par les BM trouve sa place dans le champ du management stratégique, qui explore les questions liées au développement d’un avantage concurrentiel et à la recherche de rentes.

Figure 1

Le business model Canvas

Le business model Canvas
Source : d’après Osterwalder et Pigneur (2011)

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Pour Verstraete, Krémer et Jouison-Laffitte (2012), un BM est une convention de présentation visant à « donner du sens aux affaires d’une entreprise » (p. 13). Il existe de fait plusieurs modalités de représentation d’un BM. Selon ces mêmes auteurs, le BM est la représentation d’une affaire exprimant comment la valeur est générée, rémunérée et partagée (appelée représentation GRP). Nous utilisons pour notre part la représentation du business model Canvas (BMC) développée par Osterwalder, Pigneur et Clark (2010). Elle modélise le BM d’une entreprise à partir de neuf blocs descriptifs, regroupés en quatre volets (Figure 1) :

  1. Offre : la proposition de valeur est au coeur du modèle. Il s’agit de l’ensemble des produits et services de l’entreprise qui créent de la valeur pour ses clients.

  2. Infrastructure : les activités de création de valeur sont les principales activités de production du bien ou du service, ainsi que les ressources et les partenaires clés dont elles ont besoin.

  3. Clientèle : les activités de transmission et de capture de la valeur décrivent les segments de clientèle de l’entreprise, ses relations avec ces derniers et les canaux de distribution de la proposition de valeur.

  4. Viabilité économique : équilibre entre structure de coûts et structure de revenus.

La force de cette représentation – et la raison pour laquelle nous l’adoptons – est qu’elle propose un ensemble de points d’entrée et de voies permettant à chaque entrepreneur de définir son processus de création propre, tout en mettant en évidence les interactions entre les différents blocs et leur cohérence dans une perspective systémique. D’un point de vue méthodologique, cette représentation nous fournit une grille d’analyse unique, autorisant une comparaison systématique de différentes organisations au sein d’un même secteur d’activité.

Les relations entre BM et stratégie sont équivoques : Porter (cité par Warnier, Lecocq et Demil, 2018) déplore que « la focalisation des start-up sur le terme BM les a[it] empêchées d’avoir une stratégie ». Zott et Amit (2008) estiment que ce sont deux domaines d’analyse distincts. Pour Casadesus-Masanell et Ricart (2010), la stratégie d’une organisation est un plan d’action aboutissant au choix d’un BM particulier. Pour Lecocq, Demil et Ventura (2010), le BM peut être considéré comme un véritable programme de recherche en management stratégique, dont l’originalité est de s’intéresser à la création de valeur par une organisation, plutôt qu’à la recherche d’un avantage concurrentiel, et d’articuler plusieurs échelles d’analyse (organisation, secteur, écosystème), faisant intervenir des acteurs dont les interactions ne sont pas uniquement de nature concurrentielle. Selon Desreumaux (2014), le BM est une « sorte d’auberge espagnole théorique » qui peut être mobilisée sous plusieurs angles : il ne se substitue pas aux modèles proposés antérieurement, mais fait plutôt figure de « boîte à outils » potentielle dans laquelle il est possible de transposer les modèles existants.

L’approche par le BM permet de combiner les dimensions externe (environnement) et interne (organisation et ressources) de la stratégie (Warnier, Lecocq et Demil, 2018) et peut aussi être mobilisée dans une perspective dynamique (Reboud, Lequin et Tanguy, 2021). Le changement par une entreprise de l’un ou plusieurs éléments d’un business model est alors défini comme une innovation de business model (Björkdahl et Holmén, 2013 ; Chesbrough, 2010 ; Foss et Saebi, 2017, 2018), qui peut entraîner des adaptations de ses autres composantes. L’innovation de BM se traduit selon certains auteurs par des rendements plus élevés que de simples innovations de produit ou de processus (Massa et Tucci, 2013). Selon Teece (2018), BM, stratégie et capacités dynamiques sont interdépendants : c’est grâce à ses capacités dynamiques – entendues comme « le résultat (i) d’une somme de processus ou de routines (ii) dont le but intentionnel est d’adapter la firme à l’environnement et lui permettre d’exploiter des opportunités » – qu’une entreprise peut piloter l’évolution de son business model et de ses compétences organisationnelles (Burger-Helmchen et Frank, 2011, p. 91).

Il est parfois reproché au BM de se focaliser sur « des problématiques et phénomènes micro-organisationnels » en délaissant les questions relatives à l’environnement de l’entreprise, reproche adressé également à la littérature dominante en stratégie (Desreumaux, 2014). Pour Warnier, Lecocq et Demil (2018, p. 118), cette négligence apparente tient avant tout au fait que « l’approche BM conçoit l’environnement comme étant sélectionné en fonction du BM choisi », là où les modèles de management stratégique plus anciens prônent un alignement strict des organisations sur leur environnement (Lecocq, Demil et Ventura, 2010 ; Lecocq et Demil, 2006). On ne saurait toutefois oublier que les BM sont façonnés par leur environnement (juridique, économique, technologique, culturel), qui représente à la fois une contrainte et des ressources à exploiter (Zott, Amit et Massa, 2011).

Des auteurs tels que Verstraete et al. (2018) ont cherché à approfondir ce dernier point dans une perspective conventionnaliste : si un BM est en tant que tel une convention, à savoir un « dispositif cognitif collectif », ou une « forme de représentation partagée », il n’existe pas non plus dans un espace vide et doit donc tenir compte des « conventions des espaces sociaux » au sein desquels il opère. Bien que notre recherche ne s’inscrive pas dans une optique conventionnaliste, ces travaux nous semblent apporter une contribution à l’analyse des BM, en « ouvrant » ceux-ci à la prise en compte de leur environnement.

1.2. Comprendre les business models à l’aide du « trépied de la stratégie »

Nous développons ici un schéma global d’analyse des BM mobilisant le « trépied » de la stratégie (strategy tripod), modèle développé par Peng et al. (2009) afin de réconcilier trois écoles de cette discipline jeune et fragmentée que constitue la stratégie (Chabaud et Sattin, 2018). L’objectif est, dans un premier temps, d’articuler l’approche microéconomique du BM et une perspective élargie suggérée par les composantes du trépied. Dans un second temps, nous cherchons à montrer comment l’une de ces composantes, les institutions, affecte les ressources, le positionnement et, en fin de compte, la structure des BM individuels des entreprises.

Le premier pied du trépied est constitué par « l’école du positionnement » (Mintzberg et Lampel, 1999). S’appuyant sur le paradigme structure-conduite-performance (Bain, 1959) et rendu populaire par Porter (1980), cette école met l’accent sur les conditions de demande, d’offre et de concurrence dans lesquelles se trouvent les entreprises, qui déterminent dans une large mesure leurs stratégies et performance. Une entreprise doit donc construire et maintenir son avantage concurrentiel en renforçant sa position dans son secteur d’activité (Porter, 1980). Cette perspective a donné naissance aux modèles des « cinq forces » et aux stratégies génériques dans les années quatre-vingt et, dans les années quatre-vingt-dix, à celui de la compétitivité des nations, encore largement utilisé aujourd’hui par les dirigeants, voire les décideurs politiques (Ardinat, 2013).

La proposition de valeur, qui est au coeur d’un BM, et le bloc « clientèle » font référence de façon pertinente à des questions posées par les auteurs se référant à cette école : pourquoi nos clients vont-ils choisir les produits de l’entreprise ? Quelle est la valeur unique créée par celle-ci ? Dans quelle mesure l’offre de l’entreprise se distingue-t-elle de celle de ses concurrents auprès des clients ?

À l’autre extrémité du schéma, la proposition de valeur combinée aux ressources, partenaires et activités de création de valeur est parfaitement compatible avec le second pied du trépied, à savoir l’approche par les ressources et compétences (resource-based view) développée par des auteurs tels que Barney (1991), Penrose (2009), Peteraf (1993) ou Wernerfelt (1984). Les ressources sont les actifs corporels ou incorporels que les entreprises utilisent pour concevoir et mettre en oeuvre leurs stratégies (Barney, 1991), à savoir les terrains, les bâtiments, les équipements, mais aussi la réputation, les marques ou la propriété intellectuelle.

Ces ressources peuvent être classées en quatre catégories (Barney, 1997) :

  • le capital financier, y compris les ressources monétaires qui peuvent être utilisées pour concevoir et mettre en oeuvre des stratégies ;

  • le capital physique, y compris la technologie physique utilisée, les usines et les équipements, la situation géographique, l’accès aux matières premières ;

  • le capital humain, y compris la formation, l’expérience, le jugement, l’intelligence, les relations et la perspicacité des gestionnaires et des travailleurs individuels ;

  • le capital organisationnel, similaire au capital humain, mais relatif aux attributs des groupes plutôt qu’à ceux des individus.

Dans son modèle VRIN, Barney (1991) considère que des ressources peuvent être considérées comme stratégiques lorsqu’elles sont utiles, valuable en anglais (V), rares (R), inimitables (I) et non substituables (N). Partant de l’hypothèse que les ressources sont hétérogènes et propres à chaque entreprise, cette approche suggère que l’avantage concurrentiel durable d’une entreprise résulte principalement des ressources distinctives stratégiques qu’elle possède ou auxquelles elle peut accéder. Les ressources mobilisées peuvent être internes à l’entreprise, mais aussi externes, par exemple lorsqu’elle fait appel à des partenaires extérieurs (sous-traitants, etc.) ou du fait d’externalités positives.

À ces deux premiers piliers, qui sont déjà largement intégrés dans le modèle du BM, nous ajoutons l’environnement institutionnel de l’entreprise, qui définit le cadre de son action. Cette « perspective institutionnelle » s’appuie sur un corpus qui articule économie institutionnelle (North, 1990 ; Williamson, 1985) et théorie institutionnelle sociologique (DiMaggio et Powell, 1983). Elle suggère que le comportement et la performance d’une entreprise dépendent en partie des composantes de son cadre institutionnel propre (Monticelli, Garrido et de Vasconcellos, 2018 ; Peng et al., 2009). Cette question institutionnelle nous semble essentielle dans la filière vin où, comme nous le verrons, les institutions, formelles et informelles, jouent un rôle central dans les stratégies des acteurs.

Les institutions sont définies par North (1990, 2005) comme un ensemble de règles, de représentations et de cadres mentaux communs, tacites ou explicites. Elles peuvent être formelles (lois et règlements) ou informelles (normes et valeurs). Elles indiquent si une forme particulière de comportement est acceptable ou non, limitant l’éventail des actions conventionnelles, tout en réduisant l’incertitude et les coûts de transaction (Ditter et Brouard, 2012). Les entreprises qui réussissent sont par conséquent celles qui se conforment et s’adaptent aux pressions institutionnelles afin de gagner en légitimité (Oliver, 1991) et celles qui sont en mesure d’influencer le cadre institutionnel (Dockès, 1999). Le BM d’une entreprise doit donc tenir compte de son environnement institutionnel, qui encadre et contraint ses actions, et peut la pousser au mimétisme vis-à-vis de ses concurrents, phénomène que DiMaggio et Powell (1983) qualifient d’isomorphisme institutionnel.

L’isomorphisme institutionnel peut être analysé selon trois dimensions (Scott, 1995). La dimension réglementaire (ou juridique) consiste en la capacité de produire des règles, d’attester de leur respect et, si nécessaire, d’imposer des sanctions. Les institutions coercitives sont donc définies comme un ensemble de règles et un système de sanctions qui contraignent le comportement des acteurs. La dimension normative (ou sociale) implique que les institutions guident le comportement individuel en définissant ce qui est attendu ou approprié dans des circonstances spécifiques. Les institutions normatives, telles que les valeurs et les normes, sont donc destinées à guider les agents en leur fournissant des critères de décision. Elles ne sont pas source de sanctions, mais peuvent être aussi contraignantes que les institutions coercitives. Enfin, la dimension culturelle comprend les symboles (mots, signes et gestes), ainsi que les règles culturelles, qui guident notre compréhension de la réalité. Elles consistent en des cadres mentaux associés à des formes spécifiques de comportement.

La perspective institutionnelle appréhende les institutions comme un « mode de régulation des conflits inhérents à la différenciation des intérêts et des positions de pouvoir » (Théret, 2000, p. 2)[4]. Reprenant les schémas d’analyse de Williamson (1985), Croidieu et Monin (2011) opèrent une distinction entre acteurs institutionnels, structures de gouvernance et logiques institutionnelles. Les premiers sont des acteurs individuels ou collectifs qui interagissent dans un champ institutionnel donné. Ils peuvent occuper une position dominante ou chercher à remettre en cause la position d’autres acteurs. Ces rapports de pouvoir sont institutionnalisés par des structures de gouvernance qui, à travers des normes et des lois, structurent le champ et les pratiques desdits acteurs. Enfin, ces acteurs agissent selon un certain nombre de croyances, de valeurs et de pratiques dominantes, appelées logiques institutionnelles d’action. Pour North (1990), les institutions s’imposent aux acteurs économiques en tant que « règles du jeu », mais sont elles-mêmes un produit des comportements et stratégies de ces acteurs, ainsi que des compromis auxquels ils aboutissent au cours de leurs interactions (Ditter et Brouard, 2012).

Un des apports de North est de mettre l’accent sur l’entrepreneur institutionnel, défini comme un acteur qui crée des normes, des modèles, des valeurs et comportements en cohérence avec (son) identité et (ses) intérêts, qu’il établit comme standard et légitime vis-à-vis des autres (DiMaggio, 1988 ; Zimmerman et Zeitz, 2002). La caractéristique principale de l’entrepreneur institutionnel est sa capacité à tisser de nouveaux liens répondant à la défense et la promotion de ses intérêts propres et contribuant à former une nouvelle configuration du réseau dans lequel il opère (Boyer, Boyer et Laferté, 2007). L’entrepreneur institutionnel est plus précisément celui qui va chercher à valoriser son positionnement et ses ressources en poussant à la transformation du cadre institutionnel (Levy et Scully, 2007).

Les trois approches développées par le « trépied » mettent ainsi en évidence les tensions possibles entre les trois composantes de la stratégie d’une entreprise et leurs répercussions sur son BM : là où les approches en termes de positionnement et de ressources incitent l’entreprise à se démarquer de ses concurrents (positionnement différencié et ressources distinctives), l’approche par les institutions la pousse au mimétisme dans sa quête de légitimité dans une logique d’isomorphisme institutionnel (Peng et al., 2009). L’approche de DiMaggio et Powell peut être en réalité utilisée pour rendre compte à la fois des convergences et des divergences entre entreprises, comme c’est le cas des pratiques de RSE des entreprises lorsqu’on les étudie au niveau international (Ben Rhouma, Koleva et Schaltegger, 2019). Cette hétérogénéité peut être due à différents facteurs tels que l’inertie institutionnelle (path dependency), les différents « registres d’évaluation » d’acteurs ne partageant pas les mêmes références culturelles, le manque de légitimité des institutions transposées ou, enfin, les formes nationales spécifiques des systèmes économiques (Beckert, 2010).

Ces tensions sont particulièrement marquées dans la filière vin française, où l’histoire et le système des appellations (AOC/AOP)[5] imposent des contraintes fortes en termes de positionnement (différenciation par l’origine), d’utilisation des ressources (contraintes quant à l’irrigation, origine des raisins), de processus de production (rendements), de composantes du produit final (cépages autorisés) ou encore de communication (mentions autorisées sur les étiquettes). L’exemple de Burgonéo, développé par Asselineau (2010), montre comment un BM original, mais ne tenant pas compte de son environnement institutionnel, a pu conduire à l’échec du projet entrepreneurial. Un vignoble est de fait un ensemble d’institutions caractéristiques sur un espace géographique donné, qui lui donnent son identité et facilitent les interactions entre agents (Ditter et Brouard, 2012, 2014).

Figure 2

Business model et trépied de la stratégie[6]

Business model et trépied de la stratégie6
Source : schéma des auteurs adapté de Osterwalder et al. (2010) et Peng et Khoury (2009)

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2. Institutions et BM du vignoble bordelais

Nous appliquons notre cadre théorique à l’analyse du vignoble bordelais, dont nous cherchons à comprendre dans quelle mesure les positionnements stratégiques, ressources distinctives, et en fin de compte les BM des domaines, sont affectés par l’environnement institutionnel du vignoble.

2.1. Méthode de recherche

Notre recherche répond à une démarche qualitative et s’appuie sur la méthode des études de cas, qui vise à étudier des objets complexes dans un contexte réel. Plus précisément, nous appliquons la méthode des cas multiples, qui permet, à partir de données empiriques, de prédire des résultats similaires ou de produire des résultats contrastés, mais pour des raisons prévisibles (Chiambaretto, Gurāu et Le Roy, 2016 ; Yin, 2009). Notre échantillon est composé de onze domaines bordelais, sélectionnés parmi les appellations les plus renommées. Cinq appartiennent à de grands groupes dans les secteurs du vin, du luxe ou de la finance (Rejalot, 2013). Nous avons complété notre liste initiale en interrogeant à titre d’experts un négoce et une courtière qui ont pu valider ou préciser certains des éléments qui étaient ressortis de notre analyse (voir Tableau 1).

Nos visites ont été réparties sur des périodes d’une semaine chacune, entre 2015 et 2019. Une à deux visites ont été effectuées dans chaque château avec pour objectif de reconstituer leur BM. Les BM de tous les domaines ont été analysés en appliquant le modèle BMC. Notre méthode d’analyse du discours (entretiens qualitatifs semi-directifs) s’est basée sur une analyse thématique permettant la classification des données selon les différents blocs du BMC. Les entretiens ont porté sur toutes les dimensions des BMC, mais c’est pour la proposition de valeur, les segments de clientèle, les relations avec la clientèle et les canaux de commercialisation que nous avons recueilli les données les plus complètes.

Tableau 1

Domaines (châteaux) visités

Domaines (châteaux) visités

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Les données primaires recueillies lors de nos visites ont été complétées par des données secondaires provenant d’articles de journaux spécialisés et des sites Web des domaines visités. Nous avons entre autres utilisé la description faite par Verstraete et Néraudau (2015) du Château Angélus, premier cru classé « A » de Saint-Émilion. Les données historiques relatives au vignoble ont été obtenues à partir de la littérature existante sur le sujet. Elles nous ont permis de concevoir un « BM type », ou BM « traditionnel », du vignoble bordelais, résultant de son contexte institutionnel. Nous l’avons ensuite comparé aux « BM observés » des domaines visités (Figure 3).

Figure 3

Méthode de l’étude

Méthode de l’étude
Source : schéma des auteurs

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Suivant la méthode utilisée par Chiambaretto, Gurāu et Le Roy (2016), nous nous appuyons sur notre cadre théorique pour émettre les propositions de recherche suivantes :

  • proposition 1 : dans une perspective historique, les institutions formelles découlent des stratégies mises en oeuvre par des acteurs cherchant à se différencier par leur positionnement et leurs ressources. Nous verrons ainsi comment les interactions stratégiques des vignerons et négociants bordelais sont à l’origine d’un cadre institutionnel propre au vignoble ;

  • proposition 2 : à un moment donné t, l’isomorphisme institutionnel contraint à la fois les ressources mobilisables par les entreprises, les conditions de la concurrence, leur positionnement et, in fine, leur proposition de valeur (Figure 2). On en déduit qu’à chaque environnement institutionnel particulier doit correspondre un « BM type » appliqué par les exploitations concernées, qui vont ensuite chercher à se différencier à l’intérieur de ce cadre imposé ;

  • proposition 3 : certains acteurs résistent à l’isomorphisme institutionnel afin de faire appel à des ressources inédites, développer un positionnement original et, in fine, adopter des innovations de BM (Andreini, Bettinelli, Foss et Mismetti, 2021 ; Foss et Saebi, 2017 ; Laifi, 2012). Le développement d’une stratégie de « durabilité » peut notamment constituer une incitation forte à l’innovation de BM (Inigo, Albareda et Ritala, 2017).

2.2. Le « modèle » bordelais : institutions et BM type

La filière vin française a fait l’objet de nombreuses études qui ont permis de brosser un environnement institutionnel complexe, constitué de lois, règles, pratiques et valeurs cristallisées dans le concept de terroir et le système des appellations d’origine contrôlée (Ditter et Brouard, 2012). Mais, au-delà des logiques institutionnelles et structures de gouvernance communes à la filière au niveau national, au premier rang desquelles le système des AOC/AOP, les différences entre vignobles peuvent être significatives. Les BM des producteurs bordelais, plus particulièrement leurs segments de clientèle et la relation qu’ils entretiennent avec leurs clients, sont ainsi façonnés par l’histoire du vignoble, les interactions entre acteurs et les institutions qui en résultent. Ces institutions se fixent dans deux agencements particulièrement saillants, à savoir le « modèle aristocratique » de valorisation des vins et le système de commercialisation communément appelé la « Place de Bordeaux ».

Le vignoble bordelais a été choisi en raison de sa place symbolique et économique dans le vignoble français et son histoire. Sa taille et sa réputation mondiale de vignoble de qualité sont telles qu’il est devenu un moteur de l’évolution de l’industrie vitivinicole mondiale. Il est aussi fragmenté et hétérogène, produisant des vins considérés comme les meilleurs au niveau mondial, mais aussi une grande quantité de vins ordinaires, dont la commercialisation est fortement dépendante des fluctuations du marché (Brand, 2019 ; Rejalot, 2013). Il comprend toutes les vignes du département de la Gironde, dans le Sud-Ouest de la France. Il est divisé en 7 régions viticoles, 14 000 producteurs, dont plus de 5 000 « châteaux » et 65 appellations différentes[7]. Avec 110 000 hectares de surface cultivée et une production annuelle de 5 millions d’hectolitres, la Gironde est le troisième département viticole de France en termes de volume de production global et le premier pour les AOC/AOP. Le vin de Bordeaux est principalement du vin rouge (89 %) à base de cépages Merlot, Cabernet-Sauvignon et Cabernet Franc. Le Sauvignon, le Sémillon et la Muscadelle sont quant à eux utilisés pour les vins blancs.

L’histoire du vignoble bordelais est très documentée (Brand, 2019 ; Garcia-Parpet, 2004 ; Rejalot, 2013). Son origine remonte à l’Antiquité. Il a connu son essor dans le cadre des échanges économiques avec l’Angleterre (xve siècle) et les Pays-Bas (xvie siècle). Il est aussi l’un des premiers à avoir mis en place un système de classification des crus en 1855. Dès le xviiie siècle, le vignoble de Bordeaux se composait de grandes exploitations bourgeoises et aristocratiques, dont le produit était généralement assimilé au territoire du domaine sans dénomination particulière, si ce n’est le terme de « cru ». Le « modèle aristocratique », qui en résulte, et caractérise encore le vignoble bordelais, s’est étendu en France à la fin du xixe siècle, y compris en Bourgogne où il a perduré jusque dans les années trente, avant d’être supplanté par un modèle qualifié de « vigneron » basé sur le terroir (Laferté, 2006).

Ce modèle aristocratique est une institution dans le sens où il cristallise un certain nombre de pratiques acceptables dans le vignoble, que ce soit en matière de ressources mobilisées ou de positionnement concurrentiel des vins, deux des piliers du trépied. Le vin ne peut ainsi être produit qu’à partir des raisins du château, qui doivent être vinifiés selon des pratiques communément admises. Contrairement au modèle dit de « terroir », le vin peut être composé d’un assemblage de raisins issus de parcelles localisées dans des terroirs variés. Suivant les éléments mis en avant par Beverland (2005), la valorisation est liée à l’historique du château, assurée par la transmission familiale, qui est perçue comme un indicateur de réputation et par conséquent de qualité auprès des consommateurs. Les vins sont eux-mêmes qualifiés de « fins » ou « aristocratiques », subtils et complexes, tout comme le développe la communication sur le produit. Le répertoire de communication fait appel à l’utilisation des patronymes familiaux, à la référence à une lignée ou encore à une date de fondation et à la perpétuation d’un prénom. La référence au « château » y apparaît comme la forme la plus expressive et sans doute la plus anciennement établie de domaine.

Ce modèle aristocratique est combiné à une autre forme d’institution qui assure la hiérarchisation des vins, à savoir les classements. Il existe cinq classements traditionnels, au premier rang desquels le « classement des vins du Médoc et du Sauternais » de 1855[8]. À partir des années quatre-vingt-dix et deux mille, les évaluations du critique vinicole américain Robert Parker se sont imposé comme un élément de classification supplémentaire des vins de Bordeaux, mais sont actuellement débattues. Ces classements se combinent de nos jours avec les autres signes de qualité que sont les appellations et les marques de négociants. Cependant, une particularité du vignoble est que l’essentiel de la valeur se concentre dans la référence au château. Les marques commerciales (Mouton Cadet, Malesan, Baron de Lestac) s’adressent aux marchés de masse, mais n’ont pas de validité historique. Les AOC, qui peuvent être assimilées à des marques collectives, ne sont pour leur part pas nécessairement bien comprises des consommateurs, ni même des professionnels locaux (Rejalot, 2013).

Le vignoble bordelais est original en France dans la mesure où c’est une ville portuaire (Bordeaux) qui lui donne son nom et non pas une région viticole (Bourgogne, Champagne). Cette particularité reflète l’importance de la Place de Bordeaux, système de commercialisation des vins unique en son genre, né au xviie siècle. Il s’agit d’une émanation du modèle aristocratique dans lequel on retrouve trois types d’acteurs institutionnels (Croidieu et Monin, 2011) : les courtiers, les négociants et les producteurs, ou châteaux, précédemment cités. Les châteaux produisent du vin à partir de raisins récoltés sur leur propre domaine, suivant le cahier des charges des AOC du vignoble et les classements. Ils ne vendent pas leurs vins en direct ni aux particuliers, ni dans d’autres circuits de distribution, mais à des maisons de négoce, entreprises commerciales qui en assurent la distribution en France et dans le reste du monde. Les 300 maisons de négoce assurent environ 70 % de la commercialisation bordelaise globale et 80 % de ses exportations (Brand, 2017, p. 319).

L’histoire du vignoble est ainsi marquée par les conflits d’intérêts et rapports de pouvoir entre production et négoce : ce dernier a cherché à intégrer la plus grande partie de la chaîne de valeur (vinification, élevage, commercialisation) et donc à capter la plus grande partie de la valeur créée, les propriétaires se contentant de vendre leur production de moût et parfois de vin. Son importance a toutefois varié au cours de l’histoire (Brand, 2019 ; Rejalot, 2013) : tout d’abord central lorsque les vins étaient vendus sous les marques des négociants, il a été limité par l’émergence des châteaux et la création des AOC, qui ont redonné aux producteurs le contrôle de leurs vins. L’émergence des vins dits « du Nouveau Monde », valorisés par les marques, a permis aux négociants de se repositionner au sein de la filière : outre la commercialisation des vins de châteaux produits par les propriétés, l’une de leurs fonctions est la régulation du marché, afin de le stabiliser et de fidéliser le consommateur. Selon Rejalot (2013), la filière vitivinicole bordelaise est en effet l’une des plus segmentées en France : les négociants contrôlent mal leurs bases d’approvisionnement en vins et/ou raisins, tandis que les domaines connaissent mal les consommateurs finaux.

Pour finir, le courtier est l’intermédiaire clé de confiance entre le producteur et le négociant. Il remplit trois missions : conseiller les parties, faire connaître à chaque partie les conditions de l’autre, tenter de concilier des intérêts divergents. Les courtiers « de campagne » ont pour rôle d’échantillonner et de présenter au négoce des vins en vrac, ou provenant de « petits » châteaux, tandis que les courtiers « de ville » sont spécialisés dans les grands crus du Bordelais. Les 80 courtiers du vignoble interviennent dans 75 % des transactions et jouent de fait un rôle central dans la réduction des coûts de transaction entre production et négoce. La régulation des relations entre production, courtage et négoce est assurée depuis 1948 par le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB).

Le système des ventes en primeur est une autre institution induite par ce modèle, qui concerne principalement les grands crus. Le principe en est que la mise en marché des vins est réalisée au printemps suivant la récolte, alors que le vin n’est pas encore embouteillé. Il fait intervenir les courtiers, qui serviront d’intermédiaires entre propriétaires et négociants. Les vins sont payés dans les mois qui suivent, mais livrés un à deux ans plus tard, à la mise en bouteille. Les châteaux proposent aux négociants les « allocations primeurs » (les quantités promises), toutes au même prix. Ceux-ci proposeront le cru en primeur à leurs clients ou garderont les vins pour une vente différée. La vente dite « en livrable » s’oppose à la vente en primeurs et concerne les vins stockés en bouteilles et vendus par les producteurs aux négociants toujours par l’intermédiaire des courtiers.

On peut construire à partir de ce cadre institutionnel un BM « traditionnel » ou « typique » des producteurs bordelais, résumé par Croidieu et Monin (2011, p. 102) : « Le propriétaire de château produit un vin dans sa propriété en utilisant les vignes qui y sont rattachées, met son vin en bouteille, avec une étiquette représentant ledit château, et vend sa production aux négociants par l’intermédiaire des courtiers. » (Figure 4) La communication sur le produit suit des modalités traditionnelles et fait appel au répertoire aristocratique, l’innovation étant peu valorisée.

Cependant, le vignoble est soumis depuis quelques années à de nombreuses tensions[9]. L’environnement international est tout d’abord particulièrement difficile pour les producteurs, sous les effets conjugués du Brexit, du protectionnisme croissant des États-Unis et des évolutions politiques récentes en Chine (politique de lutte contre la corruption, puis reprise en main de Hong Kong, plaque tournante des vins de Bordeaux en Asie). Le dérèglement climatique se traduit pour sa part par des épisodes plus fréquents de fortes chaleurs ou de gel qui affectent les rendements, mais aussi par une pression accrue de la société civile réclamant des modes de production plus respectueux de l’environnement. Le vignoble subit également une baisse continue de la demande intérieure française en volume, signe d’une évolution des habitudes de consommation.

Les tensions internes ne sont pas moins nombreuses, car outre son hétérogénéité, la composition du vignoble se modifie, du fait de l’entrée d’investisseurs français ou internationaux venus d’autres secteurs que le vin, ainsi que de sa féminisation et de son rajeunissement graduels. Le modèle traditionnel des châteaux et la « parkerisation » des vins sont ainsi remis en cause par les vins de garage (Chauvin, 2005 ; Verstraete, Néraudau et Jouison-Laffitte, 2018), tandis que la biodynamie et l’agriculture biologique se développent aux dépens d’une production plus intensive basée sur l’utilisation d’engrais et produits phytosanitaires. Les rapports de pouvoir évoluent, susceptibles d’entraîner l’évolution de l’environnement institutionnel du vignoble, sous la pression d’entrepreneurs institutionnels dynamiques.

Figure 4

Business model type d’un château bordelais

Business model type d’un château bordelais
Source : schéma des auteurs

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2.3. Les BM observés du vignoble bordelais : alignements et écarts

Nos observations corroborent nos propositions de recherche : notre BM type correspond assez précisément aux BM observés des producteurs bordelais de notre échantillon. L’activité principale, généralement unique, des châteaux est la production de vin. L’export représente une part conséquente des ventes, pouvant aller jusqu’à 90 % de la production (E7). L’oenotourisme est peu ou pas développé et, lorsqu’il existe (E4, E6, E8, E10, E11), sert avant tout de vitrine aux vins du domaine, les visiteurs étant autant de prescripteurs potentiels.

Les vignes, possédées en propre, sont considérées comme des ressources essentielles, dont la localisation permet de produire des vins plus ou moins bien positionnés dans les classements. La référence au terroir n’apparaît que pour un seul répondant, qui la combine par ailleurs avec la référence au château pour valoriser ses vins (E9). En cohérence avec le modèle aristocratique, le patrimoine immobilier est cité comme une autre ressource clé : certains domaines sont sur la liste des monuments historiques (E1, E5) et la majorité des répondants mettent en avant la valeur architecturale de leur domaine : ancienneté et histoire du château, jardins à la française, conçus ou inspirés par Le Nôtre, rénovation et modifications effectuées par des architectes connus. Le matériel, les barriques et le personnel sont aussi considérés comme des ressources importantes, dont le caractère distinctif, stratégique, est toutefois moins manifeste. La structure de coûts tient aux ressources mobilisées pour la production.

L’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV), pôle d’enseignement et de recherche de l’Université de Bordeaux, et les oenologues ne sont mentionnés comme des partenaires clés que par un seul répondant (E4). La Place de Bordeaux joue a contrario toujours un rôle central dans le vignoble : courtiers et négociants sont de façon quasi unanime considérés comme des partenaires essentiels. Les premiers assurent la fluidité du marché, tandis que les réseaux des seconds permettent une bonne valorisation des vins. Les flux de revenus sont donc essentiellement assurés par la vente au négoce (E1, E4, E5, E6, E7, E8, E9, E11), qui représente jusqu’à 90 % de la production des domaines, généralement en primeur. On note toutefois que la plupart des producteurs (E1, E4, E5, E8, E9) réalisent une petite partie de leurs ventes directement auprès des cafés, hôtels et restaurants (CHR), en vente directe au château, et dans quelques cas auprès de la grande distribution dans le cadre des foires aux vins. Celle-ci reste considérée comme « marginale », aux alentours de 5 % en moyenne du total des ventes.

Les domaines interrogés sont généralement satisfaits de cette situation, dans la mesure où ils arrivent à tisser une relation de confiance avec les négociants qui leur garantit une cohérence entre l’image de leur vin et la clientèle visée par ces derniers. Certains (E2, E10) regrettent cependant qu’une trop grande partie de la valeur créée soit captée par les négociants. Un répondant (E8) dit vouloir se dégager de la Place de Bordeaux en retirant 15 % de ses vins. Un autre (E3) a mis en place trois types de canaux de distribution : il travaille avec des négociants, des importateurs pour les marchés internationaux et dispose de sa propre équipe commerciale qui démarche le circuit traditionnel des cafés, hôtels et restaurants (CHR) et cavistes.

Les canaux de communication privilégiés sont plutôt traditionnels, que ce soient les salons ou les revues spécialisées, mais aussi les sites Web. La plupart des domaines disent toutefois mobiliser les réseaux sociaux (E2, E3, E4, E5, E7, E8, E9, E11), dont Facebook et, plus rarement, Twitter ou Instagram. Le commerce en ligne est peu développé (aucune réponse positive)[10]. La visite du domaine sert parfois de levier de communication indirecte : l’objectif n’est pas de vendre, mais plutôt d’affirmer le rayonnement du domaine dans l’esprit des clients, consommateurs et possibles prescripteurs, toujours dans une logique aristocratique. Les domaines étudiés assurent un premier niveau de communication sur leur produit auprès des courtiers et négociants, à qui il revient ensuite de communiquer auprès de leurs propres clients. Une partie non négligeable de la communication est par ailleurs directement assumée par le CIVB, dont une des fonctions est de « développer la notoriété et renforcer l’image des vins de Bordeaux en France et à l’international par le biais de campagnes de publicité, de communication digitale, de relations publiques et presse et de formation ».

Il en résulte que la relation directe avec le client est limitée et que les domaines étudiés connaissent généralement mal le consommateur final. Il est toutefois possible pour un domaine d’obtenir des statistiques de vente auprès des négociants qui ont acheté ses vins, bien que la complexité des circuits de vente (vente entre négociants, rachat par certains négociants de vins mis en vente en grande distribution ou exportés) en limite la traçabilité. Certains domaines appartenant à des filiales (E1) ont enfin mis en oeuvre des stratégies d’intégration verticale et créé ou acquis leur propre maison de négoce afin de distribuer leurs vins.

Les propositions de valeur et les segments de clientèle visés sont plus complexes qu’on pourrait le supposer au premier abord, la plupart des domaines étudiés disposant de plusieurs gammes de produits destinés à différents types de clientèles. En cohérence avec le modèle aristocratique traditionnel bordelais, une partie des producteurs interrogés (E1, E4, E5, E6, E11) privilégient un positionnement haut de gamme, s’appuyant sur la tradition et le prestige. Le répondant E9 considère par exemple son vin comme un « produit de luxe ». Les références au château, aux classifications, à l’appellation sont autant d’indicateurs de qualité destinés à une clientèle aisée de connaisseurs, en France et de façon croissante à l’international. Un producteur (E7) mentionne toutefois le concept de « vins de plaisir » pouvant être consommés rapidement. D’autres ont diversifié leurs produits pour toucher une clientèle plus jeune (E1, E2, E4) ou qualifiée « d’expérimentateurs » (E7).

Mais, les propositions de valeur font aussi référence à l’agriculture raisonnée (E3, E4, E7, E8), à l’agriculture biologique (E1, E2, E3, E4, E6), voire à la biodynamie (E1, E2, E6, E9, E10). Tous ne le mentionnent toutefois pas dans leur communication, d’une part pour se garder des marges de manoeuvre s’il apparaissait nécessaire de traiter la vigne pour éviter une perte de récolte trop importante et d’autre part, parce qu’au moment de l’enquête les consommateurs n’étaient pas perçus comme particulièrement sensibles à la labellisation « bio ».

En conclusion de cette section, les positionnements, ressources et BM des châteaux étudiés sont cohérents avec le BM type du vignoble défini précédemment, dont ils suivent la logique institutionnelle dominante. L’environnement institutionnel local est valorisé par ces domaines comme étant le plus à même de garantir la performance des domaines individuels et du vignoble en général. La plupart des châteaux analysés présentent toutefois des écarts plus ou moins marqués avec ce BM type et mettent en oeuvre des innovations de BM limitées, que ce soit dans leur proposition de valeur, leur clientèle ou encore leurs canaux de commercialisation. Il s’agit pour les producteurs d’adapter leurs pratiques à la marge pour tenir compte de l’évolution de la demande intérieure ou internationale, sans que le modèle traditionnel ne soit remis en cause.

2.4. Un exemple de BM atypique et innovant

Nous développons dans cette section une présentation du domaine E2, dont le BM s’écarte largement de notre BM type (Figure 5). Il s’agit d’un domaine indépendant, qui a été un précurseur en matière de viticulture biologique et biodynamique sur son appellation, entraînant à sa suite six autres producteurs locaux. Les vignes sont situées sur le plateau de Pomerol, les meilleures terres de l’appellation selon le propriétaire, voisines de celles de Petrus. Le domaine fait partie de l’AOC Pomerol, appellation prestigieuse du vignoble bordelais, mais qui ne possède pas de classement propre et n’apparaît pas non plus dans le classement de 1855.

Les ressources clés du domaine sont :

  • des vignes situées au coeur d’une appellation de renom ;

  • un savoir-faire spécifique des propriétaires en matière de viticulture et d’oenologie, transmis sur plusieurs générations ;

  • un outil de production (chai) récent, qui ne nécessite pas d’investissement à court terme ;

  • un stock important de vieux millésimes.

Sa proposition de valeur se différencie fortement de celle des autres domaines analysés, à deux niveaux. Tout d’abord, la référence au terroir y est centrale, les propriétaires mettant en avant le fait que leurs terres sont situées sur « l’un des grands terroirs viticoles au monde ». La conduite des vignes en agriculture biologique ou biodynamique est dans un second temps présentée comme un moyen de mettre en valeur les qualités de ce terroir sans le dégrader, tout en préservant la santé des consommateurs. Les vins du domaine se positionnent ainsi sur différents marchés de niche : vins bio, vins naturels (écartant de la vigne à la bouteille tout traitement ou intrant chimique), mais aussi vins « de luxe » (sous une appellation spécifique).

Hormis la généralisation du bio et de la biodynamie, l’innovation de BM la plus radicale tient aux canaux de commercialisation du domaine. Tous les millésimes sont en effet vendus en vente directe, que ce soit aux particuliers, aux cavistes ou au secteur CHR. La propriétaire a toujours refusé de travailler et de vendre son vin aux négociants de la Place de Bordeaux. L’export représente 50 % des ventes et est réalisé par l’intermédiaire d’importateurs (un par pays concerné). Les États-Unis représentent 40 % des ventes à l’export, soit 20 % des ventes totales du domaine. Sur le marché français, les principaux clients (environ 27 % des ventes) sont les cavistes, les restaurants et les bars à vins, en particulier à Paris, où le domaine a pu commercialiser ses vins naturels. Les ventes à la propriété et en salon (Vins nature en Nord, ViniCircus, Salon Rue89 Paris et Lyon, entre autres) représentent environ 10 % du total des ventes.

Cette politique commerciale originale est motivée par la volonté du domaine de disposer d’une indépendance totale vis-à-vis de la Place de Bordeaux, afin de pouvoir conduire son domaine selon ses souhaits. Il a ainsi pu expérimenter dans les années quatre-vingt-dix l’enherbement[11] et la viticulture biologique, pratiques qui étaient alors mal perçues dans le vignoble. En se passant d’intermédiaires, cette stratégie a surtout permis au château de capter une partie importante de la valeur qui serait autrement revenue au négoce. N’ayant pas recours à la vente en primeur, il peut aussi proposer à ses clients des vins couvrant plusieurs millésimes (jusqu’en 1994), chose rare dans le vignoble bordelais.

Un autre effet induit de cette politique commerciale concerne les relations avec la clientèle : le domaine a souhaité développer une connaissance plus fine de celle-ci afin de pouvoir réagir rapidement aux évolutions des marchés, en créant par exemple des cuvées destinées à une clientèle plus jeune. La communication avec les cavistes, bars à vins et particuliers passe essentiellement par les réseaux sociaux, dont Facebook, qui ont été un facteur clé de pénétration de ces nouveaux marchés. Ils ont permis au domaine d’établir un profil type du consommateur de leurs vins : si ses clients sont principalement des hommes de plus de 40 ans, cadres supérieurs, connaisseurs avertis de vins, sensibles à la démarche bio et biodynamique et au respect de l’environnement, une clientèle plus jeune (25-35 ans) et mixte, sensible aux problèmes écologiques, a émergé récemment. Cette nouvelle clientèle a souvent découvert les vins du château dans les bars à vin et chez les cavistes.

Figure 5

Business model du château E2

Business model du château E2
Source : schéma des auteurs

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Comme on peut le constater, ce BM se démarque radicalement de notre « BM type », en particulier au niveau de sa proposition de valeur. Deux facteurs peuvent expliquer ces choix :

  • sa surface réduite (Tableau 1) est typique des châteaux de la rive droite de la Gironde, où la propriété familiale est encore courante, et qui sont en conséquence de plus petite taille que ceux de la rive gauche. La taille, donc la production, de l’exploitation étant limitée, il est plus simple pour des propriétaires entreprenants de trouver des débouchés directs que pour des exploitations de taille plus importante ;

  • malgré sa réputation auprès des connaisseurs, le vignoble de Pomerol, auquel appartient le château, n’apparaît pas dans les classements du vignoble bordelais, ce qui est susceptible d’affecter la valorisation du vin sur la Place de Bordeaux. De fait, la vente directe combinée à une proposition de valeur mettant en exergue le terroir (au sens de qualité des terres) et la production biologique offrent de meilleures perspectives de valorisation que le recours à la Place de Bordeaux.

On voit donc que des ressources et un positionnement originaux peuvent amener cette exploitation à résister à l’isomorphisme institutionnel et développer un BM original. À ce stade, cette innovation de BM n’a toutefois pas entraîné de changements majeurs dans l’organisation générale du vignoble bordelais : ses effets d’entraînement sont limités, n’ayant été adoptée que par quelques domaines voisins. Le domaine fait cependant partie des « Aliénor du vin de Bordeaux », une association ayant pour but la promotion, la mise en avant et la reconnaissance du travail des femmes dans la gestion de crus bordelais. C’est un moyen de communication essentiel pour le château, car ses membres se regroupent pour participer aux salons professionnels comme Prowein (Düsseldorf), Vinexpo (Hong Kong) ou encore TopWine China (Beijing) et en répartir la charge, dans une logique de coopétition (Battista Dagnino etal., 2007).

Conclusion

Un des objectifs de notre recherche était de dépasser une lecture descriptive du BM des exploitations vitivinicoles pour identifier les facteurs susceptibles d’affecter les BM individuels d’un vignoble donné à l’aide d’une grille d’analyse basée sur le trépied de la stratégie. À partir de l’exemple de onze châteaux, cette étude avait plus précisément pour objet d’analyser dans quelle mesure l’environnement institutionnel d’un vignoble français donné, celui du Bordelais, pouvait exercer une influence sur le positionnement, les ressources et, en fin de compte, les BM individuels de ces exploitations, mais aussi dans quelle mesure celles-ci pouvaient s’écarter de façon plus ou moins marquée d’un BM type commun. Nos observations semblent confirmer les propositions mises en évidence dans notre cadre théorique.

En ce qui concerne notre première proposition, nous avons pu montrer comment, dans une perspective historique, les interactions stratégiques des vignerons et négociants bordelais sont à l’origine d’un cadre institutionnel propre au vignoble. En relation avec notre deuxième proposition, nous avons pu identifier un « BM type » appliqué par les exploitations analysées, qui cherchent toutefois à se différencier marginalement les unes des autres : pour dix domaines parmi les onze étudiés, la référence au BM traditionnel du vignoble reste incontournable, quand bien même chacun d’entre eux présente des écarts plus ou moins marqués avec celui-ci. Les institutions locales (modèle aristocratique et classements, Place de Bordeaux) n’y sont pas remises en cause, car elles sont porteuses d’une efficacité et d’une stabilité qui correspondent aux attentes de ces domaines. Les tensions traversées par le vignoble bordelais ne se retrouvent pas dans notre échantillon.

En relation avec notre troisième proposition, nous avons toutefois pu observer que certains acteurs résistent à l’isomorphisme institutionnel et font appel à des ressources inédites, développent un positionnement original et, in fine, des innovations de BM (Andreini et al., 2021 ; Foss et Saebi, 2017 ; Laifi, 2012). Le développement d’une stratégie de « durabilité » peut notamment constituer une incitation forte à l’innovation de BM (Inigo, Albareda et Ritala, 2017). Ainsi, un domaine parmi ceux analysés a développé un BM distinctif à plusieurs niveaux : proposition de valeur, ressources, relations clientèle, canaux de commercialisation. Cette innovation de BM lui permet de se différencier en termes de ressources et produits et de mieux capter la valeur ajoutée créée en évitant l’intermédiation des courtiers et négociants. S’il semble faire la preuve de son efficacité et de son attractivité auprès de quelques autres exploitations, ce BM ne répond pas pour le moment à une logique d’entrepreneuriat institutionnel, ses effets d’entraînement étant limités.

Une implication managériale majeure de cet article se situe dans le prolongement de l’étude de l’échec de Burgonéo, étudié par Asselineau (2010), qu’il peut enrichir. Si des travaux récents ont montré qu’une innovation de BM peut difficilement s’affranchir du respect des institutions en mesure de la légitimer (Snihur, Zott et Amit, 2021 ; Wu, Zhao et Zhou, 2019), notre étude montre que l’identification et l’exploitation de ressources spécifiques (aire d’appellation prestigieuse, connaissance fine de la clientèle) et un positionnement original permettent de contourner certaines d’entre elles. Une recherche future pourrait ainsi approfondir les comportements possibles des producteurs individuels en réponse à leur environnement institutionnel à partir des travaux d’Oliver (1991). Celui-ci identifie cinq réponses stratégiques à la pression de l’environnement institutionnel – acceptation, compromis, évitement, contestation, manipulation –, chacune étant susceptible de jouer sur le BM du domaine concerné.

Un deuxième axe de recherche, complémentaire du précédent, viserait à approfondir la compréhension des interactions entre les niveaux « méso » et « micro » de notre modèle dans une perspective dynamique. Si l’on perçoit assez bien l’influence de l’environnement institutionnel sur les BM d’un vignoble, les canaux par lesquels une innovation de BM peut influencer son environnement institutionnel sont, pour leur part, moins explicites. Notre modèle offre ainsi un cadre intéressant pour analyser l’évolution d’un entrepreneur en entrepreneur institutionnel.

Le troisième axe est comparatif, à deux niveaux. Le premier niveau consisterait à élargir notre échantillon au-delà des châteaux les plus prestigieux pour nous intéresser à des domaines produisant des vins moins réputés, et donc plus fortement touchés par la baisse des ventes. La comparaison entre BM de différents types de producteurs permettrait de nouveau d’établir des similitudes et différences et peut-être d’identifier plusieurs BM types, dépendant de facteurs tels que la taille de l’exploitation, sa situation géographique, ses autres ressources productives. Le deuxième niveau de comparaison est international : le fameux « Jugement de Paris » de mai 1976 a marqué la reconnaissance de la qualité des vins californiens par des experts de pays producteurs traditionnels. Le vignoble californien n’a, depuis, pas cessé de se développer et de gagner en réputation au point de devenir une référence dans un contexte de mondialisation de la filière, tant et si bien que l’on en vient à évoquer une « californisation » progressive des vignobles de « l’Ancien Monde ». Il serait intéressant de mener une étude longitudinale et comparative de BM de producteurs bordelais et californiens afin d’identifier des points communs, traces possibles d’influences croisées.

En fin de compte, notre étude s’insère dans une réflexion plus large sur le devenir du modèle aristocratique bordelais, dominé par les châteaux les plus prestigieux et la Place de Bordeaux, positionné sur le « tout-export » (notamment vers la Chine) de produits de luxe. Les écarts par rapport à ce modèle, voire le refus de celui-ci, mettent en évidence l’émergence de nouveaux positionnements individuels (terroir, « bio ») visant de nouveaux consommateurs (jeunes, « expérimentateurs »). Les adaptations individuelles sont un symptôme de la nécessité de mener une réflexion et des actions collectives, notamment en termes d’image et de marketing des vins de Bordeaux pour faire évoluer le cadre institutionnel du vignoble sans lui faire perdre sa cohérence.