Corps de l’article

Introduction

Ces dernières années, l’artisanat revient sur le devant de la scène. Depuis 2005, les effectifs de l’artisanat en France ont bondi de 70 %, dopés, entre autres, par le statut d’autoentrepreneur et par de nombreuses reconversions professionnelles. Parallèlement, les consommateurs expriment un besoin accru de reconnexion avec des produits faits main, authentiques (Thurnell-Read, 2019) et de proximité. L’artisanat peut être perçu comme un idéal, presque romantique, d’un passé préindustriel regretté (Bell, Dacin et Toraldo, 2021) : les métiers manuels reviennent donc en grâce et l’artisanat devrait continuer à se développer.

Seuls quelques pays[1] ont adopté un cadre légal – non uniforme – pour l’artisanat. En France, le secteur est limité tant dans les métiers qui le composent (250) que dans l’effectif des entreprises et la qualification du dirigeant. Ce dernier doit attester soit d’un diplôme (le certificat d’aptitudes professionnelles – CAP – ou le brevet d’études professionnelles – BEP), soit d’une expérience d’au minimum trois ans. Cette obligation s’applique à tous les métiers susceptibles d’avoir un impact sur la santé ou la sécurité des clients. L’entreprise doit obligatoirement être inscrite au répertoire des métiers (RM) et être enregistrée auprès de la chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) de son département. D’abord fixées à cinq salariés, afin de maintenir le dirigeant impliqué dans la production, les entreprises artisanales peuvent désormais atteindre un effectif de dix salariés. Elles peuvent néanmoins bénéficier du droit de suite (décret 95-1287 du 14/12/1995) pour rester enregistrées au RM jusqu’au seuil de vingt salariés. Le terme « artisan » et ses dérivés ne peuvent pas être utilisés sur une enseigne, dans une communication à destination du public, ni par une entreprise qui n’est pas enregistrée au RM, ce qui offre une protection contre les abus de grandes industries constatés dans d’autres pays (Solomon et Mathias, 2020) que nous qualifions de craft-washing (action qui consiste à qualifier d’artisanal ce qui ne l’est pas).

Ce cadre légal induit un fort isomorphisme dans l’artisanat. D’une part, la restriction sur l’effectif fait que toutes les entreprises artisanales sont de très petites entreprises (TPE) : parmi les 1 500 000 entreprises artisanales, 66,5 % n’emploient aucun salarié[2]. Parmi celles qui embauchent, seulement 5,2 % emploient de six à dix salariés et 3 % plus de onze salariés. D’autre part, l’obtention du diplôme obligatoire (ou de l’expérience) fait que les futurs artisans sont formés par les entreprises artisanales en activité durant l’apprentissage. Ces jeunes apprentis vont reproduire, une fois artisans, le modèle qu’ils auront connu depuis leur plus jeune âge (Abonneau et Campoy, 2014).

Le parcours scolaire en France est conçu de telle manière que l’apprentissage est parfois une issue de secours pour les élèves décrocheurs ou jugés peu aptes à poursuivre dans la voie classique. Le niveau de connaissances général de ces apprentis et futurs artisans est, a priori, moins développé que dans les autres cursus (Alet et Bonnal, 2012). Dans la population des dirigeants d’entreprise artisanale, le CAP/BEP (ou un diplôme inférieur) reste très majoritaire aujourd’hui en France, avec presque 60 % des dirigeants concernés[3]. Zarca (1988) a décrit ce parcours en tant qu’« idéal type artisanal » : d’abord apprenti, ouvrier, puis patron, qui formera à son tour des apprentis. L’artisan acquiert ainsi les connaissances techniques, valeurs, coutumes et usages de la communauté artisanale (Picard, 2006 ; Abonneau et Campoy, 2014). Ce modèle de réplication est encore aujourd’hui majoritaire (Mazaud, 2012). L’installation de ces anciens ouvriers à leur compte n’est pas le résultat d’une étude de marché, d’une opportunité décelée ou d’une volonté d’innover. C’est une installation de promotion sociale, la volonté d’être son propre patron, de gagner son indépendance, après avoir prouvé sa valeur dans la production (Zarca, 1986 ; Mazaud, 2013).

Une autre voie d’accès à l’artisanat est celle de la reconversion professionnelle. Il s’agit de ceux que Mazaud (2015) appelle les néoartisans. Ces profils sont divers : hautement diplômés, anciens ingénieurs ou techniciens (Lamanthe, 2014), décrocheurs de l’enseignement supérieur ou encore salariés ayant connu des incidents de parcours et des difficultés de retour à l’emploi (Mazaud, 2013). Ces néoartisans suivent alors les mêmes formations pour obtenir le CAP, mais souvent sur des durées plus courtes afin de se former au métier qu’ils visent. Ces profils sont différents de l’idéal type décrit par Zarca. Certains disposent d’un bagage de compétences plus étoffé, notamment en gestion. Ils peuvent être arrivés dans ce secteur par hasard, par opportunisme et parfois se sentir plus gestionnaires qu’artisans attachés à un métier.

L’importance du propriétaire-dirigeant dans la TPE est depuis longtemps connue et étudiée (Marchesnay, 2003). Son vécu, son parcours, ses ambitions vont être déterminants dans ce que deviendra l’entreprise (Wagenschwanz, 2020). Que ce soit en économie (Jaeger, 1985), en gestion (Picard, 2006 ; Richomme-Huet, 2006 ; Paturel et Richomme-Huet, 2007) ou en sociologie (Casella et Tripier, 1986 ; Zarca, 1986 ; Mazaud, 2015), les recherches menées sur les propriétaires-dirigeants d’entreprise artisanale mettent en lumière deux profils majoritaires : l’artisan de métier et l’artisan entrepreneurial. Le premier se concentre sur son savoir-faire, sa clientèle de proximité, embauche peu et privilégie la pérennité à la croissance (Julien et Marchesnay, 1988 ; Picard, 2006). Le second serait, lui, un gestionnaire qui cherche à développer une affaire rentable, à embaucher, à conquérir de nouveaux marchés. Pour Casella et Tripier (1986), la première caractéristique de l’artisan entrepreneurial est d’embaucher ; l’artisan abandonne alors progressivement le travail manuel pour devenir gestionnaire, trouver plus de marchés. Picard (2006) définit cet artisan entrepreneurial en s’appuyant sur le profil de l’artisan opportuniste de Smith (1967) et le profil CAP (croissance, autonomie, pérennité) de Julien et Marchesnay (1988). Zarca (1979) résume parfaitement la différence d’aspiration entre ces deux profils : « Devenir son propre patron constitue un choix tout autre que celui qui consiste à engager des salariés et qui suppose un esprit d’entreprise que la condition ouvrière ne suscite guère. » (p. 8)

L’intérêt des chercheurs français en gestion pour l’artisanat s’est quelque peu essoufflé ces dernières années (sept articles seulement depuis 2017) avec, entre autres causes, l’arrêt des travaux du Réseau Artisanat Université (RAU®, collaboration entre l’Institut supérieur des métiers – ISM –, chercheurs et artisans). Cependant, il connaît, au-delà de nos frontières, un regain marqué avec de plus en plus de publications et des ateliers dédiés dans des conférences internationales[4]. L’intérêt des pouvoirs publics pour l’artisanat est également fort : les CMA ont signé avec le gouvernement un plan ambitieux, le « contrat d’objectifs et de performance 2020-2022[5] ». Au moment, donc, où l’artisanat revient sur le devant de la scène économique et scientifique, il nous semble pertinent que les chercheurs en sciences de gestion réinvestissent ce champ de recherche. La conjoncture est une opportunité pour les chercheurs d’apporter de réelles contributions managériales aux artisans et futurs artisans, quel que soit leur profil.

Le but des sciences de gestion est certes de produire des connaissances avec rigueur, mais également d’élaborer des outils destinés à aider les entreprises dans leurs pratiques de gestion. Cependant, la pertinence des travaux conduits par les chercheurs en gestion est régulièrement questionnée (Avenier, 2009 ; Pearce et Huang, 2012 ; Carton et Mouricou, 2017) : « Pour les dirigeants, les questions abordées dans les travaux de recherche doivent être en phase avec les préoccupations des dirigeants et les enjeux des entreprises. Elles doivent donc traiter de sujets actuels, et même d’avenir, car ce sont ceux qui intéressent les praticiens et peuvent aider les entreprises à faire la différence, se démarquer et progresser dans leurs pratiques. » (Soparnot, Arreola et Borel, 2017, p. 124)

Le présent article est une systematic literature review (Tranfield, Denyer et Smart, 2003) sur l’artisanat français en sciences de gestion. Nous procédons à la collecte, l’analyse et la synthèse des données collectées (Crossan et Apaydin, 2010) pour donner une vue globale et exhaustive du thème et en retirer une contribution (Berland, Piot et Stolowy, 2013). En suivant une méthodologie détaillée et reproductible (Tranfield, Denyer et Smart, 2003), nous avons collecté 59 articles de recherche, publiés dans des revues en sciences de gestion classées dans la liste du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). L’objectif de ce travail est double. Outre un état des lieux des connaissances, attendu dans un article de revue de littérature, nous souhaitons également répondre à la problématique suivante : quelle orientation donner à la recherche en gestion sur l’artisanat français, afin de développer son impact managérial ?

Nous présentons, dans une première partie, la méthodologie appliquée pour sélectionner les articles, ainsi que le résultat de cette sélection. Sur la base des études empiriques des articles analysés, nous détaillons ensuite les apports issus des travaux recensés selon trois catégories distinctes : ceux qui étudient l’artisanat de métier, ceux qui portent en particulier sur l’artisanat entrepreneurial et enfin sur l’artisanat en général. Dans la discussion, nous proposons un modèle qui recense ce qui, dans la littérature, peut conduire un artisan de métier à devenir plus entrepreneurial. Nous formulons enfin des pistes de recherche futures, utiles pour ces entreprises (Pearce et Huang, 2012).

1. Méthodologie et présentation des articles retenus

Dans cette section, nous détaillons la méthodologie développée pour sélectionner les articles afin de permettre sa reproductibilité (Tranfield, Denyer et Smart, 2003). Nous détaillons les données collectées et présentons les publications retenues.

1.1. Présentation de la méthodologie développée

La revue de littérature systématique, telle que décrite par Tranfield, Denyer et Smart (2003), doit mettre en lumière, si elles existent, des complémentarités ou des contradictions dans les résultats et donner un sens à ce qui ressort de la collecte et l’analyse des travaux, tant pour les chercheurs que pour les praticiens (Rojon, Okupe et McDowall, 2021). Nous suivons leurs recommandations méthodologiques afin de proposer une revue la plus exhaustive possible, et reproductible.

Nous avons défini le thème de notre recherche : l’artisanat français en sciences de gestion, puis choisi les sources. Nous avons procédé à une recherche dans trois bases de données : EBSCO, Érudit et Cairn (Tableau 1). Cette recherche est effectuée par mots-clés, dans le résumé, offrant un nombre de résultats plus conséquent qu’une recherche sur le titre uniquement (Prêt et Cogan, 2019). Nous avons sélectionné les résultats publiés dans les revues classées par l’Hcéres. Ce classement combine les deux listes de références en France, celle de la FNEGE et du CNRS, et offre un plus large éventail de revues. Ainsi, si nous avions retenu uniquement la liste FNEGE, nous aurions eu neuf articles de moins dans nos résultats. Ces productions, revues par les pairs, « peuvent être considérées comme des connaissances validées et sont susceptibles d’avoir le plus grand impact dans le domaine » (Crossan et Apaydin, 2010, p. 1157). Nous avons procédé à une lecture des résumés (et de l’article si besoin) afin de vérifier que le thème central de l’article porte bien sur l’artisanat français.

Nous avons parcouru les références bibliographiques des productions sélectionnées afin de collecter les articles pertinents qui ne seraient pas accessibles via les bases de données. Nous avons consulté, sur Google Scholar, les publications qui citent les articles de notre panel (Webster et Watson, 2002). Ces deux étapes ont permis de collecter quelques résultats supplémentaires.

Tableau 1

Protocole méthodologique suivi

Protocole méthodologique suivi

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Nous avons établi une liste des thèses en sciences de gestion sur l’artisanat pour la période 1980-2020 (Tableau 2) et avons recherché, auteur par auteur, si ces thèses avaient donné lieu à publication dans une revue Hcéres. Cette étape a produit un résultat.

Tableau 2

Thèses soutenues en gestion sur l’artisanat

Thèses soutenues en gestion sur l’artisanat

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Constatant seulement deux publications entre 1989 et 2000 (Figure 1), nous avons procédé à une recherche complémentaire pour cette période sur Google Scholar (Harzing et Van der Wal, 2008) avec les termes « artisan* OU artisanat OU artisanal* » : d’abord sur les 25 premières pages en français, puis en anglais (500 résultats), puis sur les seuls termes du titre en français (218 résultats). Après vérification de ces 718 documents, nous n’avons procédé à aucun ajout. Nous obtenons finalement un corpus de 59 articles (Annexe 1).

1.2. Catégorisation des articles au sein de notre corpus

Nous avons procédé à une analyse de chaque article afin d’identifier les méthodologies utilisées et, également, de procéder à un tri : ceux dont les terrains étudiés sont constitués à la fois d’artisans de métier et d’artisans entrepreneuriaux, ceux constitués d’artisans de métier, ceux centrés sur les artisans entrepreneuriaux. Les données extraites ont été compilées sous Excel (Webster et Watson, 2002), l’analyse de chaque article nous permettant d’identifier des thèmes de recherche récurrents (Tableau 3).

Tableau 3

Classement des articles étudiés

Classement des articles étudiés

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1.3. Présentation des articles retenus

Les publications de notre corpus portent sur 35 années (Figure 1), débutant en 1985 avec un numéro spécial d’Économie rurale (« agriculteurs et petits entrepreneurs », no 169) dans lequel plusieurs articles traitent de l’artisanat. Ensuite, les thèses du début des années deux mille se répercutent sur la production scientifique. La création du RAU® vient étoffer la production jusqu’au milieu des années deux mille dix, date de sa disparition, faute de financements. Les méthodologies utilisées sont essentiellement qualitatives, quelques-unes sont mixtes ou quantitatives ; une seule étude est longitudinale. Les articles sont principalement publiés dans des revues de rang B et C (Figure 2).

Figure 1

Publications par année

Publications par année

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Figure 2

Publications selon le classement des revues

Publications selon le classement des revues

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2. État de l’art

Nous présentons l’état de l’art selon la distinction faite dans la littérature entre « l’artisan de métier » et « l’artisan entrepreneur ». Cette distinction s’avère pertinente, car elle est communément admise par les auteurs, tant en France (Casella et Tripier, 1986 ; Picard, 2006 ; Richomme-Huet, 2006), qu’à l’étranger (Bouette et Magee, 2015). Afin de déterminer quel type d’artisan les auteurs ont observé, nous avons, pour chaque article, analysé le terrain étudié. Les critères retenus sont : le nombre d’employés, ce critère reflétant les trajectoires de croissance de certaines entreprises artisanales (Casella et Tripier, 1986 ; Paturel et Richomme-Huet, 2007) ; l’attitude de gestion des dirigeants, s’il cherche à croître, à innover, s’implique ou non dans la production (aspiration à la croissance, innovation…). Il en ressort trois catégories (Tableau 3) de travaux :

  • les travaux portant sur l’artisanat en général avec des entreprises variées ou dont le terrain n’est pas identifiable, faute d’informations précises ;

  • les travaux portant sur « l’artisan de métier », qui concernent des entreprises de très petite taille, avec aucun ou quelques employés, centrées sur le métier et le savoir-faire ;

  • les travaux portant sur « l’artisanat entrepreneurial » avec un terrain très majoritairement ou exclusivement composé d’entreprises au profil entrepreneurial, constituées d’un nombre d’employés plus conséquent (souvent dix salariés ou plus).

2.1. Travaux sur l’artisanat, sans distinction

Cette section présente les travaux, dont le terrain est mixte ou non identifiable, à travers cinq thèmes : la stratégie, les compétences et la formation, les difficultés des entreprises et enfin le secteur de l’artisanat d’art, qui peut inclure autant des artisans que des profils à la fibre plus artistique.

2.1.1. Composition du corps artisanal

L’artisanat n’est pas une relique du passé, destinée à péricliter, voire à disparaître (Jaeger, 1985). Même si les changements sociétaux ont profondément modifié la composition du corps artisanal, celui-ci s’adapte et évolue. Le territoire a une importance sur cette évolution : Auvolat (1997) met en lumière les évolutions qu’a connues le corps artisanal rural, bouleversé par l’exode rural et la disparition des petites communautés pour qui les artisans travaillaient.

La distinction artisan de métier/artisan entrepreneurial est récurrente : en 1985, Casella et Tripier distinguaient « les hommes de métier » des « autres ». Jaeger (1985) fait de même, dans une étude portant sur plus de 3 000 entreprises. L’artisan entrepreneur est plus ouvert sur l’environnement et applique une stratégie claire et définie, à l’écoute des opportunités. À l’inverse, l’artisan de métier est centré sur l’activité, hermétique à l’environnement (Picard, 2006). Plusieurs auteurs ont proposé des typologies, avec des nuances, mais toujours avec cette dichotomie dominante identifiable (Tableau 4).

Tableau 4

Synthèse des typologies d’entreprises artisanales

Synthèse des typologies d’entreprises artisanales

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Si le diplôme du CAP reste la principale porte d’entrée, des profils plus atypiques, dits « néoartisans » ou « reconvertis », sont de plus en plus présents dans le corps artisanal : anciens cadres, salariés ayant subi un incident de parcours… (Mazaud, 2012 ; Lamanthe, 2014). Cet afflux de nouveaux entrants dans le corps artisanal n’est pas une nouveauté : Letowski et Quémeré (1985) constataient déjà la grande diversité des nouveaux artisans. Selon Mazaud (2012), ces profils sont plus entrepreneuriaux que ceux ayant suivi le parcours classique, alors que pour Lamanthe (2014), c’est le diplôme élevé qui joue un rôle prépondérant dans cette trajectoire. Ces profils ne cherchent pas la promotion sociale comme les ouvriers, mais la sécurité de leur emploi, le développement d’une affaire rentable ou encore l’épanouissement personnel.

Lors de la transmission d’une entreprise artisanale, Picard (2009) montre que le passage d’un type de dirigeant à un autre peut avoir des conséquences importantes sur l’entreprise selon qu’il y a rupture ou continuité identitaire. La succession entre un artisan de métier et un artisan entrepreneurial peut générer des incompréhensions, des tensions et même aller jusqu’à stopper le processus de cession.

2.1.2. Stratégie, développement et innovation

Richomme-Huet (2006) identifie les stratégies poursuivies par les entreprises artisanales en fonction de leur orientation métier ou entrepreneuriale. Les profils entrepreneuriaux sont plus orientés vers la croissance, alors que les profils métiers sont plus orientés vers la pérennité et l’indépendance, ce qui rejoint l’analyse de Picard (2006). Cette tendance se retrouve chez Amarillo (2016) qui constate que les artisans de métier, qui se lancent dans le secteur des panneaux solaires, le font avec précaution tandis que les profils entrepreneuriaux créent les structures de toutes pièces et embauchent des salariés diplômés de CAP pour contourner la « barrière à l’entrée » que constitue le diplôme (Amarillo, 2016). Cette attitude demande plus de capital et représente un risque plus important pour le créateur d’entreprise. Ces entreprises utilisent des stratégies différentes : les entrepreneurs sollicitent plus les réseaux institutionnels pour obtenir des aides et « refusent d’adhérer aux organisations professionnelles du bâtiment. Ils s’inscrivent plus volontiers dans un réseau de pairs (entrepreneurs partageant un même type de parcours et une même vision de l’activité) » (Amarillo, 2016, p. 136), alors que les artisans de métier s’appuient plus sur les réseaux professionnels dont ils font souvent partie depuis le début de leur carrière professionnelle (CAPEB[6], par exemple). Picquenard et Reyes (2021), dans leur étude sur quatre cas, constatent que l’un d’eux se désintéresse complètement du métier et se consacre au développement de son entreprise, par une alliance et la création d’une seconde entreprise. Ravix (1988) observe deux types d’innovation sur un panel de 89 entreprises : spontanée (métier) ou active (entrepreneurial). L’innovation spontanée renforce l’image de l’artisan et de son savoir-faire ; ses résultats économiques ne sont pas forcément visibles. L’innovation active est le fait d’un artisan qui consacre plus de temps à la gestion de son entreprise qu’à la production. Il s’occupe particulièrement de la promotion de ses nouveaux produits et sollicite même parfois un représentant pour le commercialiser.

Les artisans d’art développent des stratégies collectives. Loup (2003) et Jourdain (2010) observent ainsi des stratégies collaboratives mises en place par un tiers (une ville, la CMA…) dont les participants espèrent un retour individuel positif. D’autres types de stratégies collectives ont été observées par Loup (2003) : coopératives, communautaires et corporatistes.

2.1.3. Formation et compétences

L’accès au statut d’artisan se fait encore majoritairement par le CAP et reste un moyen de promotion sociale (Mazaud, 2012). En 1982, seuls 8 % des artisans ont un diplôme égal ou supérieur au baccalauréat, les non-diplômés s’installent à leur compte plus tardivement (Casella et Triper, 1986). Afin d’accéder à l’inscription au RM, le nouvel artisan doit également avoir suivi le stage à l’installation, afin de maîtriser les rudiments de la gestion d’entreprise, mis en place de façon obligatoire en 1982 (Letowski et Quémeré, 1985).

L’apprentissage est consacré au métier et à la sociabilisation du jeune. L’apprenti(e), à 16 ans, est une personnalité en construction et le rôle du maître d’apprentissage est primordial : modèle social, professionnel, personnel, de comportement et de carrière, il favorise l’intégration et l’attachement du jeune à l’entreprise et au secteur d’activité (Abonneau et Campoy, 2014). Il a une responsabilité de transmission de savoir-faire, perçue comme un devoir par certains, de faire perdurer les compétences et traditions du métier (Picquenard et Reyes, 2021).

Les compétences sont souvent considérées comme différentes selon le profil : à l’entrepreneur, les compétences en gestion ; à l’artisan de métier, les compétences techniques, le fameux « tour de main ». Les artisans arbitrent leur activité en fonction de ce qu’ils apprécient faire ou non (Picquenard et Reyes, 2021). Ainsi, les auteurs constatent que certains artisans transfèrent/délèguent des compétences de gestion, alors que d’autres transfèrent/délèguent des compétences techniques : il y a arbitrage entre savoir-agir, vouloir-agir et pouvoir-agir. Les artisans peuvent se transférer des compétences et des connaissances, par le biais des outils numériques notamment (Marti, 2006). La compétence d’un artisan peut également devenir un outil marketing, par le biais de concours (boulangerie, par exemple) : la reconnaissance des pairs est importante et peut générer de la clientèle aux besoins spécifiques ou pointus (Picquenard et Reyes, 2021).

Pour Frances et Tricoire (2016), un lien existe entre le niveau de formation initiale et la capacité à s’adapter à de nouvelles contraintes règlementaires ou à être pionnier dans un domaine. Les formations donnant accès à des labels sont suivies par les artisans, car elles sont contraignantes (par exemple, si l’artisan n’est pas certifié, le client perd l’accès à une subvention) ; les artisans suivent donc une formation dans une logique défensive afin de ne pas perdre de marchés (Frances et Tricoire, 2016). Dans le secteur des économies d’énergie, Labussière (2017) constate la difficulté des artisans à mettre en place une offre groupée de rénovation énergétique, car ils manquent de compétences administratives.

2.1.4. Difficultés et pénibilité

De nombreuses entreprises artisanales sont défaillantes chaque année, mais les causes (hors retraite) restent peu connues. Rivet (2007) s’intéresse aux différences entre une TPE saine et défaillante. Deux secteurs paraissent plus à risque : le bâtiment et l’alimentation. Sans surprise, plus il y a de concurrence, plus le risque de défaillance est élevé. L’auteur met également l’accent sur l’insuffisance de gestion, qui est un critère particulièrement aggravant de risque, ainsi que les dettes et insuffisances de trésorerie.

Les femmes sont, elles aussi, confrontées aux difficultés et à la pénibilité de l’aventure artisanale. Épouses d’artisans, elles subissent les contraintes d’un conjoint qui exerce une activité à son compte (Charvet, Laurioux et Lazuech, 2016). Elles peuvent être confrontées à des événements brutaux et soudains, comme la disparition du conjoint artisan. Moussaid et Paturel (2018) mettent en évidence les innombrables difficultés auxquelles sont alors confrontées les veuves d’artisans. Dans le secteur du bâtiment, les femmes font face aux préjugés. Paradas et al. (2019) mettent pourtant en évidence les bénéfices importants de la présence des femmes dans le bâtiment.

Enfin, les artisans font face à des difficultés liées au métier et aux transformations technologiques. L’exemple du secteur des garagistes automobiles, étudié par Dutertre et Jullien (2016), montre que le changement technologique ou l’apparition d’une nouvelle forme de concurrence peuvent bouleverser et mettre en danger toute une profession. L’artisanat, rappelons-le, évolue, s’adapte ou disparaît (Jaeger, 1985).

2.1.5. Artisanat d’art

L’artisanat d’art est un secteur spécifique qui représente entre 18 000 et 38 000 entreprises. L’accès se fait généralement par trois voies : l’héritage d’une activité existante, la promotion des ouvriers et la reconversion (Jourdain, 2017). Les deux premières voies sont presque exclusivement masculines, alors que les femmes accèdent à l’artisanat d’art majoritairement par la reconversion. Ces modes d’accès définissent les motivations des artisans : logique patrimoniale, promotion sociale ou réalisation de soi (Jourdain 2016, 2017).

La relation artisans d’art/clients est spéciale, les symboles sont importants : le parcours de l’artisan, son atelier et son expérience sont des totems (De Barnier et Lagier, 2012). Bergadaà (2008) présente le lieu de fabrication comme presque sacré : la visite est un rite pour l’amateur éclairé, le prix est un détail.

Les artisans d’art ont développé, presque malgré eux, quelques compétences en vente et en marketing. S’ils méprisent l’activité de vente qu’ils considèrent comme un travail ingrat, ils se familiarisent néanmoins progressivement, au contact de leurs pairs, aux diverses techniques de mise en scène de leurs produits. Ils se professionnalisent ainsi dans leur activité de vente, exposent sur les lieux de vente des visuels (photos, vidéos) qui mettent en scène et valorisent leur histoire (Jourdain, 2010). Ces artefacts permettent de justifier leurs tarifs en singularisant leurs produits. Informer les consommateurs sur le processus de fabrication long et couteux n’a pas une visée purement informative, mais est perçu comme le moyen de faire accepter le prix élevé des produits. Loup et Rakotovahiny (2010) constatent qu’il existe peu de protection pour la propriété intellectuelle et artistique des artisans d’art.

Ce premier aperçu des travaux antérieurs sur les artisans met en évidence des éléments de différenciation entre le profil « métier » et le profil « entrepreneurial ». Nous présentons maintenant en détail les études portant exclusivement sur l’artisanat de métier.

2.2. L’artisanat « de métier »

La transmission de l’entreprise artisanale, ainsi que l’après-artisanat (retraite), sont des sujets importants pour les artisans de métier (Guichard et Poussou-Plesse, 2017). Ces transmissions sont difficiles : une majorité ne sont pas reprises et lorsqu’elles le sont, le succès n’est pas garanti. Alors que le prix de vente est rarement un problème, une « bonne osmose entre les deux acteurs contribue de manière significative à sa réussite » (Picard et Thévenard-Puthod, 2004, p. 117).

La confiance du cédant dans le repreneur est un élément décisif pour le succès de la reprise : elle incite les autres parties prenantes (salariés, fournisseurs…) positivement, qui sont ainsi mieux disposées auprès du repreneur. Picard et Thévenard-Puthod (2006) identifient différentes sources de confiance : la compétence, la personnalité, le comportement et le réseau social. Ces valeurs sont importantes pour les artisans de métier : si elles sont capitales dans la transmission, elles le sont aussi pour d’éventuelles alliances. Jaouen (2006) constate que les alliances entre artisans de métier sont informelles, la parole donnée étant la garantie du bon déroulement des affaires. Elle observe deux types d’alliances : « l’alliance métier », pour développer en commun une nouvelle activité, une nouvelle facette du métier, ou pallier une trop grande spécialisation, avec mise en commun de ressources, mais chacun garde son activité propre ; « l’alliance produit », afin de satisfaire un client ou de gagner en effet taille : les entreprises créent une enseigne commune ou répondent à des appels d’offres ensemble, puis chacun effectue sa partie du travail. « La relation humaine tient alors une part prépondérante dans le fonctionnement de l’alliance, et le codéveloppement est au coeur du partenariat. » (Jaouen, 2006, p. 15) Les résultats financiers des alliances sont plutôt positifs.

Les relations de l’artisan de métier avec son environnement sont importantes. Le comptable tient une place prépondérante dans cet entourage (Guichard et Poussou-Plesse, 2017) : conseiller fiscal, bancaire, juridique, il sensibilise l’artisan sur les aspects légaux et administratifs de son entreprise ; c’est le généraliste de l’entreprise artisanale. Les concurrents ont aussi un impact sur l’artisan de métier, aussi bien négatif que positif. Certains concurrents sont parfois bienveillants (Debeauvais, 1985 ; Crasset, 2013), voire solidaires.

Concernant les difficultés rencontrées par les entreprises artisanales lors de leur création et durant les trois premières années, Capiez (1990), dans son étude sur 29 entreprises inscrites à la CMA, constate que les quatre principales difficultés des entreprises sont : la recherche de client, la concurrence, la recherche de fournisseur et une rentabilité insuffisante. Le principal besoin en formation exprimé porte sur la négociation avec les clients et les fournisseurs.

2.3. L’artisanat « entrepreneurial »

Dans cette section sont présentés les travaux portant sur des artisans dits entrepreneuriaux. Les thèmes abordés sont : le développement, les relations et réseaux, le dirigeant et son entreprise.

2.3.1. Développement

Les articles publiés sur le développement des entreprises artisanales sont principalement issus du RAU®. Au sein de ce réseau, ce sont les chefs d’entreprise qui suggèrent les thèmes de travail aux chercheurs. Il s’avère que le développement (croissance, innovation) semble être l’un des sujets primordiaux pour ce type d’artisan. Le développement de l’entreprise artisanale entrepreneuriale peut se faire par diversification horizontale ou verticale (Thévenard-Puthod et Picard, 2006) ou par l’innovation (Schieb-Bienfait et Journé-Michel, 2008). Deux facteurs semblent déterminants dans la stratégie de l’entreprise artisanale entrepreneuriale : le profil du dirigeant (Schieb-Bienfait et Journé-Michel, 2008) et le métier dans lequel évolue l’entreprise (Polge, 2008c). Pour Thévenard-Puthod et Picard (2015), les profils entrepreneuriaux issus d’autres métiers (reconvertis) sont plus ouverts aux modes de croissance diversifiés. Cependant, les auteurs constatent qu’« une proximité avec le socle initial de ressources et compétences (techniques ou commerciales) de l’entreprise apparaît être une condition sine qua non de ces choix stratégiques » (p. 160).

Parmi les modes de croissance, Polge (2008a, 2008b et 2008c) distingue le développement interne par une hausse de l’activité, par une hausse du développement externe, par un accroissement de l’activité en collaboration avec d’autres entreprises, par franchise, par la création de nouveaux produits ou encore par l’utilisation de nouvelles méthodes de travail. Thévenard-Puthod et Picard (2015) observent six modes de croissance parmi neuf possibles : en expansion horizontale (croissance organique, partenariat/alliances, acquisition) ; en diversification verticale ou liée (croissance organique, partenariat/alliances, acquisition).

Quand l’artisan entrepreneurial choisit l’innovation comme mode de développement, il essaie de rester le plus possible proche du métier d’origine, sans le dénaturer (Schieb-Bienfait et Journé-Michel, 2008). Quatre types d’innovations sont identifiés par Bréchet, Journé-Michel et Schieb-Bienfait (2008) : l’innovation routinière, l’activité sur mesure, l’innovation importée et la conception innovante. L’environnement peut pousser les entreprises à innover : la demande de plusieurs clients pour un produit/service innovant peut être un déclencheur, ainsi que de nouveaux produits ou technologies imposés par les fournisseurs (Boldrini, Journé-Michel et Chené, 2011). L’innovation reste majoritairement plus incrémentale que radicale, certains métiers s’y prêtant plus que d’autres (Bréchet, Journé-Michel et Schieb-Bienfait, 2008).

2.3.2. Relations et réseaux

Les entreprises artisanales entrepreneuriales entretiennent plus de relations avec leur environnement (Picard, 2006). Les relations banquiers-artisans sont obligatoires pour les entreprises entrepreneuriales, qui ont plus de besoins en financement. Le banquier est un interlocuteur à convaincre au début de l’aventure et devient au fil du temps un partenaire exigeant (Calmé et Polge, 2018).

L’artisan est perçu par les clients comme réalisant un travail manuel et technique ; il est le chef d’une entreprise de très petite taille, l’activité possède un ancrage local dans l’origine des matériaux utilisés (De Ferran, Lallement et Sueur, 2012). Il recrute localement dans son réseau personnel (Cognie et Aballéa, 2010). Les artisans perçoivent comme un avantage concurrentiel le fait que le client soit à la recherche « d’une entreprise dont le dirigeant soit connu, voire reconnu » (Cognie et Aballéa, 2010, p. 84).

Les réseaux mobilisés par l’artisan sont influencés par l’identité du dirigeant. Thévenard-Puthod et Picard (2013) observent deux types de réseaux : réactif ou proactif. Le réseau réactif est organisé de manière informelle, sans firme pivot (quand il y a en a une, c’est généralement une institution). Ce type de réseau est défensif. Le réseau proactif est plus formalisé, avec des engagements et des garanties. Il est offensif, sert à conquérir des marchés, développer de nouveaux produits ou services, à mettre des barrières locales à l’entrée. Un réseau réactif peut évoluer en réseau proactif. Richomme (2001) observe ainsi d’abord de la coopération informelle entre entreprises, pour rivaliser avec les constructeurs de maisons individuelles, puis un groupement d’intérêt économique plus formalisé, mais qui n’a pas fonctionné, car le nombre d’acteurs est devenu trop important. Finalement, une coopérative s’est formée à la suite de cet échec du GIE, autour d’une firme pivot.

Si les réseaux sont essentiels pour l’entreprise artisanale entrepreneuriale, lors de la transmission de celle-ci, le transfert du réseau peut aussi bien réussir qu’échouer. De Freyman et Richomme-Huet (2009) observent plusieurs scénarios de transmission : la défiance sociale, la dissonance cognitive, le conflit générationnel et la zone de cohérence.

2.3.3. Le dirigeant et son entreprise

L’histoire de l’artisanat (Zarca, 1985) montre bien à quel point les politiques, comme les instances artisanales, ont voulu garder le rapport de l’artisan au métier, principalement par la limite du nombre d’employés. Les travaux de Leconte (1985) illustrent le changement qui se produit dans le travail de l’artisan lorsque celui-ci développe son entreprise et devient plus entrepreneurial. Avec un effectif de six personnes, l’artisan a vu son activité glisser vers la gestion, pour environ 70 % de son temps. Cependant, l’artisan continue de réaliser lui-même les finitions importantes. Fourcade et al. (2010) décrivent les relations patron/employés comme étant basées sur la confiance.

La politique de gestion des salariés au sein des entreprises artisanales est aléatoire. Les salariés sont recrutés par réseau principalement, les outils de GRH classiques étant peu utilisés (Fourcade et al., 2010). Paradas et Polge (2010) utilisent la méthode de la carte mentale afin de comprendre comment les schèmes du dirigeant influent sur ses choix concernant sa gestion. Dans la transmission de l’entreprise, le dirigeant a aussi un rôle essentiel. S’il ne prépare pas la succession plusieurs années à l’avance, le risque est « qu’elle ne soit cédée pour rien » (Barbot-Grizzo, 2012, p. 47), voire pas cédée du tout. Le dirigeant doit anticiper son désir de transmission et la manière dont il souhaite le faire.

3. Discussion

L’examen de la littérature démontre qu’il existe de nombreuses différences entre les entreprises artisanales de métier et les entrepreneuriales sur l’innovation (Ravix, 1988), les stratégies mises en place (Richomme, 2001 ; Jaouen, 2006 ; Richomme-Huet, 2006), la transmission des entreprises (Picard et Thévenard-Puthod, 2004, 2006), l’accès aux crédits bancaires (Casella et Tripier, 1986), les réseaux mobilisés (Lamanthe, 2014 ; Amarillo, 2016) ou encore le recours à l’exportation (Thévenard-Puthod et Picard, 2013). Nous synthétisons ici les éléments identifiés dans la littérature qui peuvent conduire une entreprise artisanale de métier à embrasser une destinée plus entrepreneuriale. Nous discutons ensuite sur la manière dont les recherches en gestion sur l’artisanat pourraient accroître leur impact managérial.

3.1. D’artisan de métier à artisan entrepreneurial : des facteurs déterminants ?

La littérature n’apporte pas de réponse précise sur qui sont ces artisans entrepreneurs, mais nous donne des éléments sur ce qui, chez le dirigeant ou dans l’activité de l’entreprise, relève d’une attitude plus entrepreneuriale ou conduit vers un tel chemin. Plusieurs auteurs observent que la détention d’un diplôme élevé serait un élément clé. Pour Schieb-Bienfait et Journé-Michel (2008), « les plus diplômés ont une démarche d’innovation plus réactive, voire pour certains, proactive » (p. 118). Frances et Tricoire (2016) relèvent que les plus diplômés sont ceux qui saisissent le mieux les opportunités. Selon Lamanthe (2014), parmi les profils des reconvertis (néoartisans), les diplômés au-delà de bac +3 seront plus entrepreneuriaux, quand les diplômés jusqu’à bac +2 seront plus « métier ». Cependant, les données de l’Insee sont contradictoires avec ces observations sur les bénéfices d’un diplôme élevé : « Les bacheliers et titulaires d’un diplôme du premier cycle du supérieur sont les créateurs dont les établissements sont les plus pérennes (78 %). Les plus diplômés, les titulaires d’un CAP ou BEP, et les créateurs sans diplôme connaissent en moyenne des fortunes comparables, avec des taux de pérennité proches de 70 %[7]. »

Les reconvertis sont de plus en plus nombreux et la proportion d’artisans titulaires du CAP est aujourd’hui plus basse qu’hier, à 65 %. Pourtant, la part d’entreprises artisanales qui dépassent la barre des cinq salariés reste identique[8]. C’est donc que tous les reconvertis ne suivront pas une logique d’installation entrepreneuriale (Richomme-Huet, 2006), certains poursuivant le rêve d’une vie simple (Bell, Dacin et Toraldo, 2021) et d’exercer une activité « authentique » (Thurnell-Read, 2019).

Les entreprises artisanales entrepreneuriales sont vraisemblablement tout autant composées de dirigeants initialement passés par le parcours classique CAP/BEP qui ont développé leur activité au fil du temps (Paturel et Richomme-Huet, 2007), que de reconvertis, diplômés ou non, qui créent une entreprise de toutes pièces (Lamanthe, 2014 ; Amarillo, 2016) ou en reprennent une pour la développer (Picard et Thévenard-Puthod, 2004). La figure 3 présente les éléments observés dans la littérature qui semblent orienter une entreprise vers une voie plus entrepreneuriale.

Figure 3

Éléments conduisant au développement entrepreneurial

Éléments conduisant au développement entrepreneurial
Source : auteurs

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Figure 4

Schéma d’évolution du profil métier au profil entrepreneurial

Schéma d’évolution du profil métier au profil entrepreneurial
Source : auteurs, inspiré de Wagenschwanz (2020)

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Cependant, l’artisan de métier est loin d’être un entrepreneur au rabais, incapable d’évoluer. Des artisans initialement installés en logique d’émancipation et de promotion sociale suivent, au bout de quelque temps, un parcours de croissance (Picard, 2006). Dans ce contexte, nous pouvons dire que c’est l’activité de l’entreprise qui conduit l’artisan vers une direction plus entrepreneuriale. Comme le souligne Wagenschwanz (2020), si le propriétaire-dirigeant a une influence sur l’entreprise, celle-ci influence également la vision du propriétaire-dirigeant : l’activité influence l’orientation que peut prendre le dirigeant. Les artisans au parcours classique, qui prendront une trajectoire entrepreneuriale, devront apprendre à devenir dirigeants : « Le passage de l’homme-orchestre au chef d’orchestre est un exercice difficile au cours duquel l’artisan apprend à comprendre l’agencement des compétences stratégiques de son entreprise. » (Polge, 2008a, p. 141) La figure 4 présente le parcours que suit un artisan de métier vers un type entrepreneurial. Elle pose aussi la question du retour en arrière (quand l’artisan réduit la taille de son entreprise, de façon volontaire ou non : boucles de rétroaction symbolisées par « ? » sur le schéma), ses causes et ses conséquences.

3.2. Améliorer l’impact managérial des travaux : pistes de recherche futures et diffusion des connaissances

Selon Filion (2000), utiliser les typologies est pertinent « pour améliorer les connaissances et faciliter les apprentissages » (p. 6). Nous pensons que la distinction artisan de métier/entrepreneurial est utile à la fois pour les chercheurs, afin d’affiner leurs observations, mais aussi pour la diffusion des connaissances, les artisans pouvant s’identifier facilement à un profil. Voici des pistes de recherche utiles aux praticiens, puis une réflexion sur leur diffusion.

3.2.1. Propositions de recherche futures

Avec seulement 59 articles en 40 ans, l’artisanat est peu étudié en sciences de gestion. Nous remarquons de plus que la majorité de ces travaux étudient des artisans entrepreneuriaux. Nous pensons donc que les futures recherches sur l’artisanat devraient se focaliser davantage sur l’artisan de métier ou, à tout le moins, les travaux devraient se positionner clairement sur le type d’entreprise artisanale qu’ils étudient (Filion, 2000) afin de clarifier les recherches. Deux arguments viennent appuyer cette proposition. Premièrement, ainsi que nous l’avons vu à travers cette revue de littérature, ces deux types d’entreprises sont différents. Ce qui est vrai chez l’artisan entrepreneur ne s’applique pas nécessairement chez l’artisan de métier. Ensuite, les recherches sur l’artisan de métier sont finalement très peu nombreuses, alors que ces artisans représentent la majorité du corps artisanal. Est-il un propriétaire-dirigeant de TPE comme les autres ou a-t-il des particularités ? Nous savons que, parmi eux, 65 % sont diplômés du CAP ou moins. Malgré ce niveau de qualification académique plutôt faible, la plupart de ces entreprises ont une activité pérenne.

Nous proposons plusieurs pistes de recherche, qui sont tout autant de manques dans la littérature que de sujets aux implications managériales importantes et correspondant à des enjeux actuels (Soparnot, Arreola et Borel, 2017). Pour ce faire, nous nous inspirons notamment des nombreuses publications sur les réseaux sociaux par les chambres des métiers et de l’artisanat départementales, régionales et nationales du programme « relancer mon entreprise[9] », ainsi que du « contrat d’objectifs et de performance 2020-2022 » signé avec le gouvernement français.

L’identité artisanale revisitée

Les travaux antérieurs mettent en évidence de nombreuses différences entre artisan de métier et artisan entrepreneurial. Cependant, nous pensons que la réalité est plus fine et retravailler l’identité artisanale pourrait être la première tâche à accomplir. En effet, le corps artisanal n’est plus le même que dans les années deux mille, suite à des changements radicaux. Autoentrepreneurs et reconvertis ont probablement fait évoluer les mentalités, les méthodes de travail, les représentations. Les nouvelles générations d’artisans sont nées avec le numérique et leur habileté à utiliser les moyens offerts par ces technologies change probablement leur vision de l’environnement, un des critères sur lequel Picard (2006) a fondé son étude sur l’identité artisanale.

Dans cette optique, la théorie de l’identité de l’entrepreneur (IE) semble pertinente. Les concepts d’identité de métier, d’identité sociale et d’identité de rôle semblent en effet particulièrement appropriés pour étudier l’artisanat. Wagenschwanz (2020), dans sa synthèse sur la théorie de l’IE, a proposé un modèle identitaire incluant l’ensemble de ces éléments (Figure 5). En utilisant ce modèle pour étudier le corps artisanal, il serait par exemple possible d’étudier comment l’artisan de métier qui décide d’évoluer agence ses compétences, gère son changement d’identité et développe ainsi de nouveaux rôles ou encore son rapport aux parties prenantes. Les possibilités nous semblent vastes et les apports théoriques à la recherche sur l’artisanat et à la théorie de l’IE peuvent être conséquents.

Figure 5

Synthèse de l’identité de l’entrepreneur

Synthèse de l’identité de l’entrepreneur
Source : Wagenschwanz (2020)

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En termes d’impact managérial, mieux connaître et comprendre les entreprises artisanales, c’est aussi mieux les aider sur la croissance (« Dis-moi qui tu es, je te dirai comment faire croître ton entreprise » (Thévenard-Puthod et Picard, 2015, p. 161)), mais aussi sur de nombreux autres aspects.

Les difficultés de gestion et échec artisanal

Les « difficultés de gestion » de l’artisan de métier, dont font état plusieurs auteurs (notamment Picard, 2006 ; Polge, 2008c), mais sans jamais les expliciter, restent à étudier. Nous avons vu que le comptable joue un rôle important dans la vie juridique et financière de l’entreprise et apporte justement certaines compétences de gestion à l’artisan (Guichard et Poussou-Plesse, 2017) : juridiques, financières, fiscales… Il faut donc explorer d’autres pistes afin de comprendre précisément de quelles lacunes de gestion souffriraient ces artisans. L’étude de Capiez (1990), qui met en avant des difficultés sur le commerce, la négociation et la rentabilité, semble constituer une base solide, bien qu’elle date de 30 ans. L’artisan de métier achète, transforme, assemble ou fabrique, puis vend. Or, acheter et vendre ne sont pas des métiers faciles et, sur ces points, l’artisan de métier est probablement démuni : ni le CAP, ni le BEP ne préparent aux exigences des fonctions commerciales que rencontreront les artisans, pas plus, d’ailleurs, que le stage de préparation à l’installation des CMA, aujourd’hui facultatif. L’achat et la vente constituent pourtant les futurs bénéfices de l’entreprise artisanale. Étudier la pratique des artisans de métier dans ces domaines nous semble être une priorité. La vente a été abordée par Jourdain dans le secteur de l’art (2010). Elle constate d’ailleurs le peu d’attrait pour cette facette du métier.

Cette problématique des artisans et du commerce dépasse le cadre français. Certains auteurs qui travaillent à l’international sur l’artisanat suggèrent même que la vente ferait partie de la « contre-identité » des artisans. Le titre de la publication de Nielsen, Norlyk et Christensen (2018) est à lui seul évocateur : Salesman ? Hell no ! Identity struggles of nascent design entrepreneurs. Au niveau européen, l’enquête SAFE 2015 démontre que la conquête de clients est la préoccupation majeure des dirigeants de TPE. Bouette et Magee (2015) ont également souligné que les formations souhaitées par les artisans irlandais « présentent une forte orientation commerciale » (p. 340). Si nous regardons en détail les programmes de formation des CMA, la vente est un sujet particulièrement important, tandis que la relation avec les fournisseurs est absente. Il semble donc particulièrement important d’investiguer ces thèmes.

Le thème de l’échec artisanal est également important. Quels sont les facteurs qui conduisent l’artisan à l’échec et quels sont les profils les plus susceptibles d’échouer ? Les travaux de Rivet (2007) proposent des critères favorisant le succès ou l’échec, qui seront des pistes dans les futures recherches, mais ce sujet nécessite de plus amples investigations, notamment auprès d’anciens artisans ayant eux-mêmes connu l’échec, bien que l’accès au terrain soit sensible. Pour les échecs, Rivet (2007) s’est basé sur des rapports et pas des entretiens. Les données primaires pourraient être collectées non seulement auprès d’anciens artisans, mais aussi auprès de liquidateurs judiciaires par exemple, afin de comparer les analyses sur les échecs. Comprendre l’échec permettrait, dans une certaine mesure, de tenter de le prévenir en repérant des profils ou des tendances. La figure 4 montre que des artisans entrepreneuriaux peuvent repasser aux « stades d’évolution » antérieurs. Quelles en sont les causes, les conséquences et comment se passe cette « régression » ?

L’artisanat et le territoire : étude comparative rural/urbain

« On a retrouvé le territoire ! » (Fourcade, 2021, p. 32) En effet, le territoire revient lui aussi sur le devant de la scène, notamment par le prisme des ressources spécifiques qu’il offre aux entreprises qui l’occupent. Chaque territoire possède des ressources différentes, plus ou moins faciles à capter, activer, conserver. L’artisan de métier serait « myope » à l’environnement (Picard, 2006), cela ne veut pas pour autant dire qu’il est inactif sur son territoire. Pour l’artisan entrepreneurial, le territoire peut être un lieu comme un autre, sa zone de travail étant parfois internationale (Thévenard-Puthod et Picard, 2015). Pour l’artisan de métier, le territoire, c’est un lieu d’implantation qui est souvent le lieu où il vit. Il va donc radicalement influencer la destinée de son entreprise, mais de manière différente selon qu’il soit rural ou urbain. Le réseau personnel de l’artisan de métier, par exemple, sera vraisemblablement différent selon qu’il habite dans le centre de Lyon ou à Andouillé, petit village mayennais. Être né, avoir grandi et avoir trois générations d’ancêtres au cimetière d’Andouillé fait de l’artisan un « gars du coin » et lui ouvre des accès à différentes ressources : il s’agit d’un « capital d’autochtonie » (Renahy, 2010 ; Mazaud, 2013). Le même artisan dans le centre de Lyon sera, lui, un artisan parmi d’autres. Entre ces deux extrêmes existent diverses réalités territoriales qu’il conviendrait d’explorer.

Les stratégies de coopétition mise en oeuvre par les artisans

Coopérer avec un concurrent est une relation contre nature, mais qui peut s’avérer pertinente pour une entreprise à un moment donné (Bengtsson et Raza-Ullah, 2016). Dans l’artisanat, de nombreuses entreprises concurrentes coopèrent. Le secteur le plus fertile dans ce type de stratégie est probablement celui du bâtiment. Les stratégies d’alliances ont été étudiées par Jaouen (2006) et sur les sept dyades qu’elle observe, cinq sont de ce secteur. Aujourd’hui, la coopétition a fait l’objet de nombreuses recherches, mais principalement sur les grandes entreprises, celles sur les TPE faisant encore défaut (Näsholm, Bengtsson et Johanson, 2018).

Le territoire urbain pourrait s’avérer un catalyseur de la coopétition pour les artisans. La présence de nombreux concurrents plus gros, mieux formés commercialement, captant les marchés, contraint peut-être les artisans des centres urbains à une telle stratégie. Les travaux du sociologue Roy (1995) sur les couvreurs parisiens font état de telles collaborations. Ces entreprises plus importantes, grâce à leurs relations, gagnent beaucoup de marchés au détriment des artisans de métier. Ils font cependant appel à ces derniers pour réaliser une partie des travaux. Selon l’auteur, le territoire et ses spécificités créent cet état de fait. Cette relation artisans entrepreneurs/artisans de métier, décrite il y a 25 ans, est encore d’actualité aujourd’hui (cuisinistes, menuisiers…) et pourrait être investiguée plus largement.

Au-delà du secteur du bâtiment et de ses spécificités, la coopétition est-elle une stratégie adoptée par les artisans ? Sur ce point, nous n’avons aucune information. Là encore, de tels travaux contribueraient à la littérature sur l’artisanat et sur la coopétition et seraient également l’occasion de sensibiliser les artisans sur les avantages, mais aussi sur les risques, qu’implique une telle stratégie.

Le marketing : marque artisan/maître-artisan et numérique

La marque « artisan » est-elle utilisée, et si oui, pour quels avantages ? Nous avons vu que les artisans ont l’exclusivité de ce terme en France, contrairement à d’autres pays (Solomon et Mathias, 2020). En font-ils usage ? Jourdain (2010) apporte quelques précisions sur les pratiques des artisans d’art : comment ils choisissent leur lieu d’exposition pour commercialiser leurs produits ou leurs circuits de distribution ; comment ils tentent de valoriser leurs produits par l’image, l’histoire, sur les lieux de vente. Mais au-delà de l’artisanat d’art, nous ne savons rien. Le digital et le numérique sont-ils utilisés par les artisans pour valoriser leurs produits, services ou encore pour les vendre ? Ces nouveaux outils sont de plus en plus accessibles en termes de prix et de technologie. Aujourd’hui, n’importe qui peut créer, seul, et presque gratuitement, un site Internet. Les réseaux sociaux offrent également des possibilités simples et peu onéreuses pour toucher une clientèle ciblée localement. Enfin, le qualificatif maître-artisan, qui désigne l’élite de l’artisanat, est-il utilisé, valorisé, et si oui, comment, pour quels résultats ? Ces sujets sont des enjeux vitaux pour les artisans. La thèse de Dezécot (2019) porte sur ces thèmes. L’auteur diffusera peut-être ses travaux dans un avenir proche.

Artisanat féminin

L’artisanat féminin est étudié par Paradas et al. (2019) dans le secteur du bâtiment, par Moussaid et Paturel (2018) au sujet des veuves repreneures et par Jourdain (2010, 2016, 2017) dans l’art. Dans ces travaux, les préjugés sur les femmes ressortent très fortement. Pourtant, ces études mettent en lumière le travail incroyable que peuvent réaliser les femmes dans l’artisanat, à l’instar de Richomme (2001) qui met en évidence le rôle central et déterminant de l’une d’elles dans le succès de la coopérative d’entreprises artisanales. Néanmoins, les statistiques démontrent que l’artisanat est encore trop largement fermé aux femmes. Le sujet est donc vaste et très actuel.

Les primocréateurs

Une étude longitudinale auprès de créateurs d’entreprise artisanale serait particulièrement intéressante. En premier lieu, en intervenant avant (ou au début de) et après la création, il serait possible de confronter les aspirations du futur artisan à la réalité artisanale qu’il rencontre. Ensuite, il serait intéressant d’observer, en temps réel, les difficultés que connaissent les jeunes artisans et comment ils les surmontent. Cela permettrait également d’étudier directement, et non ex post, les facteurs qui font que l’artisan de métier devient, ou non, un artisan entrepreneurial, quelles stratégies il va mettre en place, si stratégie il y a. Nous pourrions également avoir un aperçu de l’agencement des identités de l’artisan (Wagenschwanz, 2020) lorsqu’il devient plus gestionnaire que producteur.

3.2.2. Diffuser les connaissances : le rôle du chercheur ?

Les travaux conduits jusqu’à présent en gestion sur l’artisanat ont, semble-t-il, été peu diffusés en direction des institutions et des artisans. Au sein du RAU®, seules Calmé et Polge ont produit un document à destination directe des entreprises : un guide de collaboration d’une soixantaine de pages. Parmi les nombreuses publications en colloques ou articles parus dans des revues, très peu sont concrétisés en outils pratiques.

Il est fort probable que, pour les responsables des CMA, et a fortiori pour les artisans, lire un article scientifique de gestion soit peu attrayant. Polge (2009) affirme que « traduire » la recherche en direction de ces publics est difficile et requiert du temps. Cependant, si nous ne « traduisons » pas et ne diffusons pas les travaux académiques (Soparnot, Arreola et Borel, 2017), alors ceux-ci continueront à être dédiés à un public de chercheurs et resteront probablement inconnus de ceux qu’ils sont censés aider à devenir de meilleurs gestionnaires : les artisans.

Les CMA, la CAPEB et d’autres fédérations professionnelles sont demandeuses de communications courtes en direction des artisans afin de les diffuser sur leurs sites Internet ou dans des revues internes. Les bénéfices seraient de plusieurs ordres : aider les acteurs, dont les artisans, qui est initialement le but des sciences de gestion (Pearce et Huang, 2012) ; nouer des contacts avec les CMA et les syndicats artisanaux pour de futures recherches et ainsi avoir un accès facilité au terrain ; enfin, montrer à quel point la recherche en gestion peut se révéler utile aux entreprises, même les plus petites. Plusieurs moyens de vulgarisation sont envisageables (Carton et Mouricou, 2017) : des rencontres en colloques mixtes praticiens-chercheurs, des articles de vulgarisation (The Conversation, revue Le monde des artisans…), de l’enseignement en formation continue ou plus simplement des synthèses vulgarisées des travaux sous diverses formes.

Conclusion

Cette revue de littérature sur l’artisanat français poursuit un double objectif : faire une synthèse de la littérature et formuler des propositions afin de rendre nos travaux plus actionnables pour les praticiens. En premier lieu, nous fournissons une liste qui se veut exhaustive des travaux existants sur lesquels les chercheurs pourront s’appuyer pour construire les futures recherches. Nous mettons en lumière des productions scientifiques intéressantes peu utilisées à ce jour. Nous signalons également le peu de connaissances dont nous disposons sur les artisans de métier, qui représentent pourtant la plus grande partie du corps artisanal. Les travaux existants sont centrés sur les artisans entrepreneuriaux et concentrés sur quelques sujets (identité, développement, innovation, stratégie…).

Nous mettons également en avant les éléments qui peuvent orienter une entreprise artisanale vers un parcours plus entrepreneurial (Figures 3 et 4). Ces éléments peuvent émaner autant du dirigeant que de l’activité. Notre travail permet également de constater que les profils des artisans entrepreneuriaux sont variés : ils sont tout autant des artisans ayant suivi le parcours classique, que des reconvertis, ces personnes extérieures au secteur des métiers qui reprennent et développent une entreprise artisanale. Sur ce point, nous l’avons souligné, retravailler l’identité artisanale pourra probablement mettre en évidence les spécificités de ces profils et la manière dont les gestionnaires peuvent les accompagner. Nous proposons également une liste (non exhaustive) de thèmes à investiguer qui, selon nous, généreraient des connaissances dont pourraient se dégager de nombreuses préconisations managériales pour les praticiens. De nombreuses thèses (Annexe 2) et publications ont été consacrées à l’artisanat en sociologie, mais les gestionnaires les utilisent peu. Nous pensons que ces travaux pourraient, à l’instar de Roy (1995), apporter des éclairages intéressants pour la recherche en gestion.

Nos travaux comportent eux aussi leurs limites et des biais. Malgré les nombreuses recherches que nous avons conduites, il est possible que notre liste de 59 articles ne soit pas exhaustive. Nous pensons cependant avoir listé les principales contributions du champ de recherche. Le second biais porte sur la répartition des articles dans nos trois catégories, artisanat, artisanat de métier puis entrepreneurial, qui sont potentiellement discutables, notamment parce que, dans une partie non négligeable des articles, nous n’avons pas (ou peu) de précisions sur le terrain étudié. Notre choix a cependant permis de mettre en évidence le peu de travaux sur les artisans de métier, ouvrant ainsi des perspectives de recherche passionnantes et potentiellement très utiles pour les artisans eux-mêmes.